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Points de vue - Page 232

  • Le latin, discipline de l’esprit...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Antoine Desjardins, cueilli sur Causeur et consacré au projet d'éradication de l'enseignement du latin porté par les pédagogistes du ministère de l’Éducation Nationale. Professeur de Lettres modernes, Antoine Desjardins est membre de l'association Sauver Les Lettres.

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    Le latin, discipline de l’esprit

    « Le grammairien qui une fois la première ouvrit la grammaire latine sur la déclinaison de “Rosa, Rosae” n’a jamais su sur quels parterres de fleurs il ouvrait l’âme de l’enfant. »

    Péguy, L’Argent, 1913

    Dès lors qu’on s’en prend au latin, à l’allemand (langues à déclinaisons), qu’on affaiblit ou qu’on dilue ces enseignements, on s’en prend à la grammaire mais aussi aux fonctions cognitives : à l’analyse et à la synthèse, à la logique, à la mémoire pourtant si nécessaire, à l’attention. On s’en prend à la computation sémantique et symbolique, au calcul (exactement comme on parle de calcul des variantes aux échecs), à la concentration. On s’en prend donc indirectement à la vigilance intellectuelle et à l’esprit critique.

    « L’âme intellective » qu’Aristote plaçait au dessus de « l’âme animale », elle-même supérieure à « l’âme végétative » : voilà désormais l’ennemi.

    Mais le pédagogisme a déclaré la guerre à cette âme. Il est un obscurantisme qui travaille à humilier l’intelligence cartésienne, présumée élitiste : il est un mépris de la mathématique et de la vérité, il sape le pari fondateur de l’instruction de tous, il nie les talents et la diversité, fabrique de l’homogène ou de l’homogénéisable. Il mixe et il broie, il ne veut rien voir qui dépasse. Il est d’essence sectaire et totalitaire. Il est un ethnocentrisme du présent  comme le souligne Alain Finkielkraut : « Ce qu’on appelle glorieusement l’ouverture sur la vie n’est rien d’autre que la fermeture du présent sur lui même. »  Il utilise à ses fins la violence d’une scolastique absconse,  jargon faussement technique destiné à exercer un contrôle gestionnaire. Le novmonde scolaire exige en effet sa novlangue. Activement promue par nos managers, elle est loin d’être anodine : elle montre l’idée que ces gens se font de ce qu’est la fonction première du langage : une machine à embobiner et à prévenir le crime par la pensée claire.

    L’URSS, à qui ont peut faire bien des reproches, eut au moins cette idée géniale, à un moment, de faire faire des échecs à tout le monde ! Quel plaisir pour beaucoup d’enfants, quelle passion dévorante qui vit éclore tellement de talents. De très grands joueurs vinrent des profondeurs du petit peuple russe : c’est cela aussi ce que Vilar appelait l’élitisme pour tous, utopie pour laquelle je militerai sans trêve ! Si j’avais la tâche d’apprendre les échecs à mes élèves, je ne leur ferais pas tourner des pièces en buis avec une fraise à bois dans le cadre d’un EPI (enseignement pratique interdisciplinaire) ! Je leur apprendrais, pour leur plus grand bonheur, le déplacement des pièces, les éléments de stratégie et de tactique ! je les ferais JOUER : Je ne pars pas du principe désolant, pour filer mon analogie, que ce noble jeu est réservé à une élite, aux happy few, tout simplement parce que c’est faux ! Je ne pars pas du principe également faux que ce jeu est ennuyeux !

    Le plaisir de décortiquer une phrase latine est unique : c’est un plaisir de l’intelligence et de la volonté, une algèbre sémantique avec ses règles, comme les échecs. On perce à jour une phrase de latin comme Œdipe résout l’énigme du Sphinx. Tout le monde devrait pouvoir y parvenir. Construire une maquette de Rome avec le professeur d’histoire ou un habit de gladiateur avec celui d’arts plastiques… ne relève pas du même plaisir ! Je pense que ce qui ressortit au périscolaire, même astucieux, ne doit plus empiéter sur le scolaire.

    Mais la logique, aujourd’hui, est attaquée et l’Instruction avec elle. Des dispositifs « interdisciplinaires » nébuleux proposant des « activités » bas de gamme et souvent franchement ridicules, viennent jeter le discrédit sur les disciplines et dévorer leurs heures. Comme si des élèves qui ne possèdent pas les fondamentaux allaient magiquement se les approprier en « autonomie » en faisant n’importe quoi. Pauvre Edgar Morin ! La complexité devient… le chaos et la transmission, le Do it yourself. Portés par une logorrhée toxique produite en circuit industriel fermé, des « concepts » tristement inspirés du management portent la fumée et même la nuit dans les consciences. La « langue » des instructions officielles donnerait un haut-le-cœur à tous les amoureux du français : on nage dans des « milieux aquatiques standardisés », on finalise des « séquences didactiques », on travaille sur des « objectifs » (de production), on valide des « compétences » (Traité de Lisbonne), on doit « socler » son cours, donner dans le « spiralaire » et le « curriculaire », prévoir des « cartographies mentales ». Voilà à quoi devrait s’épuiser l’intelligence du professeur. Voilà où son désir d’enseigner devrait trouver à s’abreuver. Cela ne fait désormais plus rire personne… En compliquant la tâche du professeur, on complique aussi celle de l’élève. On plaque une complexité didactique artificieuse et vaine sur la seule complexité qui vaille : celle de l’objet littéraire, linguistique, scientifique, qui seul devrait mobiliser les ressources de l’intelligence.

    Dans les années 2000, déjà, le grand professeur Henri Mitterand, spécialiste de Zola,  appelait le quarteron d’experts médiocres qui s’appliquaient et s’appliquent encore  à la destruction de l’école républicaine, les « obsédés de l’objectif » ! Depuis, ils sont passés aux « compétences » et noyautent toujours l’Institution : rien ne les arrête dans leur folie scientologico-technocratico-égalitaro-thanatophile. Finalement ces idéologues fiévreux ne travaillent pas pour l’égalité (vœu pieu) mais pour Nike, Google, Microsoft, Coca-Cola, Amazon, Bouygues, etc. Toutes les multinationales de l’entairtainment, de la bouffe, des fringues, de la musique de masse, disent en effet merci à la fin de l’école qui instruit : ce sont autant de cerveaux vierges et disponibles pour inscrire leurs injonctions publicitaires. Bon, il est vrai que nos experts travaillent aussi pour Bercy : l’offre publique d’éducation est à la baisse, il faut bien trouver des « pédagogies », si possible anti-élitistes et ultra démocratiques, pour justifier ou occulter ce désinvestissement de l’État et faire des économies.

    Après trente ans de dégâts, il serait temps de remercier les croque-morts industrieux de la technostructure de l’E.N. qui travaillent nuit et jours à faire sortir l’école du paradigme instructionniste à coup de « réformes » macabres. Des experts pleins de ressentiment, capables de dégoûter pour toujours de la littérature (bourgeoise !) et de la science (discriminante !) des générations d’élèves ! Des raboteurs de talents qui, et c’est inédit, attaquent à présent, en son essence même, l’exercice souverain de l’intelligence : les gammes de l’esprit ! Ils n’ont toujours pas compris que l’élève joue à travailler et que l’art souriant du maître consiste à exalter ce jeu.Plus que jamais aujourd’hui, nos élèves ont besoin, avec l’appui des nouvelles technologies s’il le faut, mais pas toujours, de disciplines de l’esprit qui fassent appel à toutes les facultés mentales. Ils doivent décliner, conjuguer, mémoriser, raisonner, s’abstraire. Ils doivent apprendre la rigueur, la concentration et l’effort : toutes choses qu’un cours transformé en  goûter McDo interdisciplinaire ne permet guère. Ils ont besoin d’horaires disciplinaires substantiels à effectifs réduits, de professeurs  passionnés et bien formés et non d’animateurs polyvalents : la réforme du collège prend exactement le chemin inverse.

    Quant à moi, dans l’œil de tous mes élèves, je la vois, oui, l’étincelle du joueur d’échecs potentiel, du latiniste en herbe qui s’ignore, du musicien ou du grammairien, du germaniste, de l’helléniste en herbe qui veut aussi faire ses gammes pour pouvoir s’évader dans la maîtrise. Déposer dans la mémoire d’un élève de ZEP, pour toujours, le poème fascinant et exotique de l’alphabet grec. Peu me chaut qu’on ne devienne pas Mozart ou Bobby Fischer ou Champollion, c’est cette étincelle ou cette lueur qu’il me plaît de voir grandir. L’innovation en passera désormais par une ré-institution de l’école et une réaffirmation de ses valeurs. Il faut participer à la reconstruction d’une véritable culture scolaire, où l’élève apprenne à conquérir sa propre humanité. Au lieu de moraliser, il faut instruire ! Au lieu d’abandonner l’élève il faut le guider.

    Par la pratique assidue des langues, la lecture des grands textes, il faut maintenir les intelligences en état d’alerte maximum au lieu de baisser pavillon et de glisser plus avant dans l’entonnoir de la médiocrité en prêchant un catéchisme citoyen bas de gamme à usage commun. Il ne s’agissait pas pour Condorcet et les autres de fabriquer du citoyen pacifié, docile, lénifié, mais bien de porter partout la connaissance, l’esprit de doute méthodique, l’esprit scientifique, la fin des préjugés ! Dans le même mouvement, qu’on en finisse avec cette espèce de maximalisme égalitaire qu’on dirait inspiré de doux idéologues cambodgiens génocidaires. Comme l’a montré Ricœur en son livre sur l’histoire (La mémoire, l’histoire, l’oubli) une société dépense une grande violence pour ramener à chaque instant une position d’équilibre (égalité/normalité) quand il y a un déséquilibre (inégalité/anormalité). A grande échelle, cette violence peut s’avérer meurtrière et criminelle. Relisons notamment Hannah Arendt sur les questions d’éducation et sur l’analyse du totalitarisme. L’égalité ne saurait être l’égalisation, elle doit être l’égalité des chances : chacun a le droit de réussir autant qu’il le peut et autant qu’il le mérite.

    Pour un pouvoir politique, quel qu’il soit, c’est prendre un grand risque d’émanciper le peuple, de le rendre autonome. L’école des « compétence » et de « l’employabilité » qu’une poignée de réformateurs nous impose est une école du brouillage et de l’enfumage des esprits, de l’asservissement du prof-exécutant et des élèves « apprenants ». En attaquant le latin, elle s’en prend de façon larvée non pas à un ornement scolaire, mais à sa substance même : la gymnastique de l’esprit.

    Si, comme le pensait Valéry, la politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde, on comprend mieux que l’école programme désormais l’impuissance intellectuelle et l’art d’apprendre à ignorer.

    Antoine Desjardins (Causeur, 6 janvier 2016)

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  • Déchéance, confusion politique, clarification idéologique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré au débat sur la déchéance de la nationalité et à ses conséquences idéologiques... Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais et a publié dernièrement Think tanks : Qand les idées changent vraiment le monde (Vuibert, 2013).

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    Déchéance, confusion politique, clarification idéologique

    L'interminable affaire de la déchéance de nationalité provoque une confusion politique qui dissimule une paradoxale clarification idéologique.

    La confusion politique s'est développée à partir d'une manœuvre présidentielle, habile au départ. Pour un Hollande commémorant et incarnant à tout va, tout ce qui évoque fermeté et unité nationale est bon à prendre. Et s'il peut d'un même mouvement se présenter comme au-dessus des partis, envoyer un signal fort à l'électorat de droite dans la perspective de 2017 et susciter la confusion chez les Républicains, obligés de voter une mesure qu'ils ont réclamée, pourquoi s'en priver ? Une occasion de rassurer neuf Français sur dix ne se refuse pas.
    Puis l'affaire est partie dans tous les sens dès que la gauche morale se soit opposée à la gauche pragmatique autour du syndrome de la stigmatisation (le fameux risque de faire "deux catégories de Français").
    Du coup, au lieu d'un consensus pour exclure de la Nation ceux qui combattent la République les armes à la main, la classe politique se divise en :
    - partisans de ne rien changer
    - partisans d'une indignité qui priverait les terroristes de leurs droits civiques (au cas où l'un d'entre eux désirerait se présenter à la présidence de la République ou s'engager dans l'armée une fois purgée sa peine) mais ce qui ne permettrait pas de les expulser
    - partisans d'une déchéance applicable un binationaux nés Français, dont on peut penser qu'à la sortie de prison ils seraient renvoyés dans leur autre pays. Encore faudrait-il que celui-ci n'ait pas eu la bonne idée de les déchoir de l'autre nationalité entretemps, ou qu'il ne leur réserve pas des châtiments tellement effroyables que nous serons obligés de les garder...
    - partisans d'un déchéance applicable à tous les Français à titre de peine emblématique, quitte à faire des apatrides et à jouer des trous du droit international (nous n'avons pas exactement ratifié la convention de l'ONU, etc.). Là encore, l'affaire reste hypothétique et on imagine mal ce que l'on ferait d'un apatride, ex Français, ayant purgé une longue peine. Le remettre à l'UNHCR ? Mais au moins la valeur d'anathème de la mesure serait manifeste.
    - partisans de toute exigence supplémentaire conditionnant l'acception du projet gouvernemental et qui donnerait un prétexte pour ne pas le voter sans perdre la face (stratégie Sarkozy si nous avons bien compris)
    - partisans de n'importe quelle autre option qui permettrait de compliquer encore le pataquès qui précède.

    Ce débat ne touche que la classe politique, les médias et les élites en général, le bon peuple étant, lui, partisan de la déchéance sans chichis et méprisant les états d'âme des prescripteurs d'opinion en cette affaire comme en beaucoup d'autres.

    Sur le plan idéologique, en revanche, la chose se simplifie. Elle reflète deux conceptions de la Nation et de la souveraineté.
    On connaît les arguments des opposants : le soutien objectif apporté aux thèses d'extrême droite et le scandale de distinguer "deux catégories de Français" (comme si la séparation entre mono et bi nationaux ne constituait pas déjà cette différence).
    Le premier reproche s'est un peu usé par répétition. Mais ici Hollande commet le péché dont fut si souvent accusé son prédécesseur : libérer la parole, prononcer les mots interdits, stimuler les mauvaises peurs....
    Mais c'est surtout le second reproche qui peut faire des ravages. La proposition du gouvernement viole en effet plusieurs tabous : le droit du sol présenté comme consubstantiellement républicain (ce qui historiquement douteux), le principe d'égalité poussé à l'extrême et l'obsession de ne rien faire qui soit discriminant (ici, la peur d'envoyer un "mauvais signal" à nos compatriotes musulmans).

    Pour le dire autrement, il y a trois totems menacés :
    - les "valeurs" dont l'évocation rituelle est sensée servir de pierre de touche (ce qu'elles font d'autant plus facilement que personne ne se prononce ouvertement contre la liberté, l'égalité ou la fraternité) ;
    - le refus des appartenances héritées : tout ce qui peut faire un lien entre nationalité et transmission est réputé réactionnaire par une pensée qui ne connaît que des individualités ;
    - le culte de l'Autre, qui semble réduire le malheur du monde par un facteur unique : le repli sur soi, le déni de la différence.
    Tout cela se résume en une peur d'offenser (offense au droit naturel, offense passée faite à l'étranger ex colonisé, offense future infligée au citoyen "de seconde zone" binational et qui nourrirait son ressentiment). Comme si le dernier marqueur d'une gauche fantasmique était de présenter perpétuellement des excuses et de "respecter" toujours mieux les sensibilités de communautés. Ou comme si le combat pour l'égalité sociale se transformait en compétition de bienveillance. On peut penser ce que l'on veut de cette attitude - et le lecteur a compris que nous sommes plutôt d'une école pour qui la Nation accueille, protège et sanctionne, a des frontières, ennemis et des amis, etc. -, mais là n'est pas la question. Il y a quelque chose de pathétique dans la transformation d'une exigence historique de justice, sensée être de gauche, en une exhibition de supériorité morale, totalement coupée des préoccupations populaires. Et sans doute quelque chose d'inquiétant pour le fonctionnement de notre système politique.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 8 janvier 2017)

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  • L'imposture pédagogique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré aux Nouveaux Enfants, produits depuis les années 90 par la société du tout tout de suite... Professeur en classes préparatoires, Jean-Paul Brighelli a publié de nombreux essais dont, dernièrement, Tableau noir (Hugo et Cie, 2014) et Voltaire ou le Jihad (L'Archipel, 2015).

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    L'imposture pédagogique

    Dans Pinocchio, sur l'île des plaisirs, le soda et la bière coulent à flots, les cigares sont gratuits, tout est permis – et Pinocchio devient un âne. Lui et tous les autres. La fable de Collodi résonne étrangement aujourd'hui : la société du loisir, nous y sommes, et l'école du moindre effort, nous y allons tout droit.

    Évidemment, l'hédonisme n'a de sens que pour ceux qui peuvent se le payer. Consommer coûte – de cela, on ne parle jamais. Rappelez-vous les publicités Eram des années 1980. Aujourd'hui, plus personne ne vous dit le prix. À croire que tout est gratuit, ou très bon marché. L'abondance est au coin de la rue…

    Mais le chômage aussi. Mais les très bas salaires aussi. Mais la vraie misère également. Le message de la société de consommation revue et corrigée par l'état présent du libéralisme est mensonger : on a beau offrir les colifichets du bonheur – le portable Machin et la montre Truc, sans laquelle on a raté sa vie à 50 ans –, on n'en est pas moins obligé d'opérer des surenchères dans le chic-toc. Parce que le vrai bonheur – avoir un vrai boulot, ne dépendre d'aucune aide sociale, ne plus habiter chez ses parents à 30 ans, et emmener ses enfants en vacances – n'est pas à la portée de tout le monde. Loin de là. Pas de neige, nous dit une météo affligée. Mais combien de Français s'en fichent, de la neige ? Combien n'iront pas skier ? Combien n'ont jamais eu les moyens de skier ?

    Les assassins de l'État islamique ont été à l'école de la République

    Cette ère de l'imposture généralisée ne m'importerait guère, si notre société ne nous tricotait pas une école à la mesure de son manque d'ambitions. « Les enfants s'ennuient à l'école », a déploré Mme Vallaud-Belkacem. Et de lancer cette réforme du collège  qui va encore anéantir un peu plus la possibilité même d'une culture. Et sans culture, les têtes creuses des adolescents iront se gaver de messages de substitution, aussi mortifères soient-ils : les assassins programmés par l'État islamique ont été élevés dans les écoles de la République, ils étaient en primaire dans les années 1990, au collège à l'orée des années 2000, et à la morgue aujourd'hui. Et pas seuls.

    Tout, tout de suite. Les diplômes sans transpirer. Le savoir sans mémoriser. Le chahut sans réprimandes. Les Nouveaux Enfants sont les héros de la fête. Rois à huit ans, esclaves à dix-huit, parfois djihadistes à vingt-cinq, assistés sociaux toute leur vie. Essayez de me prouver que ce n'est pas vrai.

    Le vrai désir des mômes, c'est d'apprendre

    Les émissions de prospective des années 1960 nous promettaient la civilisation des loisirs et de la semaine de travail de quinze heures. Pour les loisirs, nous avons la télé, dont je ne vous dirai pas tout le bien que j'en pense. Mais pour ce qui est de la semaine de travail, encore faudrait-il avoir un travail. Des gosses auxquels on ne transmet plus de savoirs solides, et qu'on laisse passer d'une classe à l'autre alors qu'ils savent à peine lire – à peine s'ils ânonnent, un joli mot dans lequel il y a âne. Des collégiens auxquels on offre le brevet, auxquels on délivre le bac avec mention – pourquoi ? Pour en faire des intérimaires à vie ? Des étudiants poussés jusqu'en licence, en dépit de leurs lacunes et de leur absentéisme, pourquoi ? Pour en faire des aigris à jamais ?

    L'effort – la valeur-travail – est en train de devenir dangereusement lettre morte. Pendant ce temps, d'autres pays, dans le Sud-Est asiatique, bossent avec acharnement et conquièrent le monde. « Tout pour ma gueule ! » ronchonne le « nouveau jeune » : pendant ce temps, au Moyen-Orient, d'autres jeunes agitent des étendards, bien certains qu'ils ne feront qu'une bouchée des populations débiles d'Occident. Et ils n'auront pas tort, si nous continuons à tout donner aux enfants – tout ce qu'ils ne demandent pas.

    Parce que le vrai désir des mômes, c'est d'apprendre. Pinocchio a la nausée à force de loisirs, il sait bien que la vraie vie est ailleurs que sur l'île des plaisirs – mais pour ses camarades, il est déjà trop tard, on a enseigné l'ignorance, on a fait du braiment l'expression du désir, et du selfie la manifestation de l'instinct artistique.

    Un diktat idéologique

    Je suis désolé, en ce tout début d'année, de plomber un peu l'ambiance. Mauvaise digestion des agapes, diront les optimistes. Vésicule engorgée. Mélancolie par excès de sucres et de graisses. Pourtant, je cherche à rester optimiste : je souhaite par exemple à Mme Vallaud-Belkacem, qui nous présente, à nous, des vœux soigneusement édulcorés, un sursaut de bon sens, la chose au monde la moins bien partagée chez ceux qui nous gouvernent. Je lui souhaite de réaliser que la réforme du collège, au mieux, ne changera rien à la catastrophe scolaire et, au pire, l'aggravera. Les profs sont vent debout contre ce qui apparaît de plus en plus comme un diktat idéologique – parce que de concession en concession, il ne restera bientôt plus rien sur le terrain de ces grandes ambitions minuscules, sinon la mort du latin et de l'allemand qui servaient de gares de triage aux bons élèves – ces pelés, ces galeux, qui auraient bien fini par demander au Père Noël autre chose que des consoles de jeux.

    Mais qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est pas seulement de l'incompétence, c'est de l'idéologie qui préside à la destruction de l'école. Ce sont les Khmers rouges qui dirigent aujourd'hui le ministère – et je ne suis pas le seul à le penser.

    Et je souhaite aussi à l'opposition, qui, à part le FN en général et Bruno Le Maire en particulier, n'a pas bien saisi que cette réforme « de gauche », s'additionnant aux dernières réformes « de droite » et combinée à l'idéologie destructrice des « compétences » mises à la place des savoirs, allait finir par décérébrer les rejetons du peuple français, de bien vouloir proposer enfin pour l'école de la République autre chose que ces cataplasmes sur jambes de bois dont on trouve la recette à Bercy et à Bruxelles, et nulle part ailleurs.

    Jean-Paul Brighelli (Le Point, 6 janvier 2015)

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  • Le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré aux décisions européennes récemment adoptées vis-à-vis du programme Ariane. Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

     

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    Ariane 6 : le début de la fin pour l'industrie spatiale européenne ?

    Atout stratégique par excellence, le lanceur Ariane est le symbole même de l’Europe spatiale. Fait plutôt rare, c’est un succès à la fois politique, technologique et commercial. Or il risque aujourd’hui d’être détricoté, suite à un transfert inédit de contrôle et de compétences de l’Etat vers des industriels privés. 

    Le projet du nouveau lanceur, successeur de l’actuelle Ariane 5, fut approuvé en décembre 2014 par les ministres européens. Pour faire face à la concurrence internationale, en particulier à l’américain SpaceX et ses lancements à bas prix, ceux-ci ont accepté, de A à Z, un projet proposé par les industriels. Plutôt que de privilégier l’innovation technologique, ce projet se fonde sur la mainmise de ces derniers sur l’ensemble de la filière. Il prévoit une réorganisation-privatisation de fond en comble pour s’approcher d’un modèle, prétendument plus compétitif, importé des Etats-Unis ; mais sans la garantie des engagements étatiques qui, en réalité, le font vivre de l’autre côté de l’Atlantique.

    En agissant ainsi, les gouvernements européens, en premier lieu la France, prennent de sérieux risques. Outre les aspects financiers (qui laissent poindre le spectre d’une immense gabegie), c’est avant tout la modification des rapports de force entre industriels et pouvoirs publics qui s’annonce fort problématique. Donner les clés de ce programme hautement stratégique à des industriels comme Airbus, aux visées douteuses et à l’allégeance malléable, témoigne, de la part de l’Etat, d’une attitude pour le moins irresponsable.

    Postulats erronés

    Précisons d’emblée que la fusée, de même que la société qui l’exploite et le commercialise, Arianespace, est un succès incontesté et incontestable. Pour reprendre les propos de Stéphane Israël, le PDG d’Arianespace, récemment auditionné au Sénat, Ariane est « sur le point de battre un double record opérationnel et commercial », tout en étant une fierté européenne et nationale, ayant pour tâche principale de « garantir un accès indépendant de l’Europe à l’espace ». Chose surprenante par les temps qui courent, M. Israël n’oublie pas de rappeler l’effort collectif à la base de ces résultats remarquables. Quelques mois auparavant, devant les députés, il avait fait remarquer que « les systèmes de lancement que l’entreprise exploite, en particulier Ariane, n’existeraient pas sans la volonté et les investissements publics. Cette fusée est donc aussi un peu la vôtre. »

    Or, il est clair que la décision des gouvernements européens concernant la suite de l’aventure soulève plus de questions qu’elle n’en résout. La cause en est simple : ils partent de postulats idéologiques au lieu de s’en tenir aux faits, et préfèrent des gains mercantiles immédiats (par ailleurs incertains) à la stratégie et à la vision politique à long terme. Les deux sources d’inspiration derrière ce choix, entériné en décembre 2014 par les ministres de l’Agence spatiale européenne, étaient l’Allemagne et les industriels eux-mêmes. Comme l’a expliqué la ministre Fioraso à l’époque, c’est Berlin qui fut l’avocat d’« une intégration industrielle plus importante, une prise de risques plus grande des industriels », en faisant valoir que « si l’industrie prend davantage de risques, il est normal qu’elle participe davantage à la conception et qu’elle partage la stratégie ».

    Les industriels, eux, n’attendaient que cela. Ils avaient même devancé les gouvernements et les agences spatiales. Airbus, le maître d’œuvre, et Safran, le motoriste, avaient travaillé dans le plus grand secret, pour mettre les autorités publiques devant le fait accompli, en présentant, dès juin 2014 leur projet. En plus du design de la fusée, ils ont annoncé leur intention de fusionner leurs actifs respectifs, par la création d’une co-entreprise. Le tout assorti d’une condition de taille: la cession des parts du gouvernement français dans Arianespace. Deux semaines après, François Hollande lui-même donne son feu vert, lors d’un petit déjeuner rassemblant tous les acteurs principaux au palais présidentiel.

    La co-entreprise Airbus Safran Launchers (ASL) aura donc désormais autorité sur les lanceurs dans tous les segments. Outre le développement proprement dit, cela inclut donc la conception (jusqu’ici la prérogative des agences, désormais réduites à définir les grandes lignes), de même que la commercialisation. Car en juin 2015, le gouvernement français a, en effet, entériné la cession des 34% d’Arianespace détenus par le CNES à ASL, ce dernier devient ainsi premier actionnaire avec 74% du capital. Rappelons encore une fois qu’en arrière-fond de cette restructuration-privatisation sans précédent se trouverait la volonté de « l’optimisation » de la filière dans le but de réduire les coûts, pour relever le défi de la concurrence internationale.

    Paradoxalement, les points d’interrogation sur l’avenir d’Ariane sont moins liés à la compétition mondiale qu’aux choix opérés par les gouvernements européens soi-disant pour y faire face. A bien y regarder, le tant redouté américain SpaceX ne semble pas provoquer, en soi, un danger existentiel pour Ariane. Tout en reconnaissant les talents de son créateur Elon Musk (on lui doit également le service de paiement en ligne PayPal et les voitures électriques Tesla), il convient de souligner, comme l’a fait le PDG d’Arianespace, que les principaux atouts de SpaceX sont d’ordre politique, dans la mesure où le soutien indirect du gouvernement fédéral lui est fort bénéfique, à la fois en termes de marché captif (garanties de lancements domestiques) et en termes de prix.

    En effet, pour citer l’ancienne secrétaire d’Etat chargé du dossier, « les pouvoirs publics américains sont très impliqués ». Et Geneviève Fioraso de préciser que « la Nasa achète 130 millions de dollars à SpaceX un vol que l’entreprise va vendre à 60 millions de dollars à l’exportation. On peut appeler cela du soutien mais c’est du dumping ! » Curieusement, le patron d’Airbus Group, lui, passe cet aspect complètement sous silence lorsqu’il déclare vouloir s’inspirer de SpaceX, en louant notamment leur « dynamisme ». Fidèle à son dogme libéral-atlantiste, Tom Enders s’est servi de SpaceX pour revendiquer une restructuration complète de la filière avec, à la clé, plus de pouvoir aux industriels et la réduction du champ de contrôle des pouvoirs publics.

    Incertitudes persistantes

    La réorganisation en cours ne se fait pas sans mal, et comporte de sérieuses incertitudes pour Ariane. Pour commencer, l’annonce en fanfare du lancement du nouveau programme, et la passation des contrats qui s’en est suivie, ont failli faire oublier que les Allemands avaient obtenu un point d’étape (go/no go, autrement dit feu vert ou arrêt), à la mi-2016. Or si Berlin a été le grand avocat de l’option « industrielle » retenue pour Ariane 6 (restructuration-privatisation plutôt qu’innovation technologique), c’est avant tout parce qu’il considère le projet sous un angle mercantile. Son soutien risque de s’évaporer si, au lieu de la réduction escomptée des coûts du projet, l’opération finit, ce qui est fort probable, par en augmenter les frais.

    Outre la multiplication des factures imprévues présentées par les industriels, l’autre point d’interrogation sur le plan financier concerne les éventuelles réserves des clients actuels et potentiels. En effet, les constructeurs de satellites rivaux d’Airbus (dont c’est une des branches d’activité) pourraient ne pas trop apprécier ce nouvel arrangement. Airbus Group se veut rassurant : pour eux« notre objectif est de vendre le plus de lanceurs possible, y compris pour lancer les satellites de nos concurrents. Rien ne justifie la moindre inquiétude à ce sujet ». Pourvu que les clients partagent ce sentiment. Car même si on leur promet une cloison impénétrable entre satellites faits maison et fusées, il est difficile d’empêcher qu’à un moment ou un autre, le doute surgisse. Que ce soit l’octroi des créneaux de lancement privilégiés ou la possibilité d’offres coordonnées, Arianespace, de facto devenue filiale d’Airbus Group, pourra toujours être soupçonnée de favoritisme.

    Pour couronner le tout, en plus de la commercialisation des fusées, Arianespace remplit aussi une fonction d’expertise qui lui donne accès aux informations techniques confidentielles des constructeurs de satellites rivaux d’Airbus. Avant le lancement, elle « prépare les analyses de mission, qui visent notamment à s’assurer que le lanceur est adapté au satellite qu’il devra mettre en orbite ». Cela nécessite une connaissance exacte des données techniques des satellites. Pour le PDG d’Arianespace, un découpage entre les deux fonctions (commerciale et d’expertise) serait inconcevable, puisque les deux font ensemble le succès de la société, en positionnant Arianespace comme la garante de la fiabilité ultime de la fusée. Reste à voir comment la nouvelle co-entreprise saura jongler avec ces différents volets.

    A ces questionnements de nature financière et commerciale viennent s’ajouter ensuite des interrogations d’ordre politique. Sans surprise, la première d’entre elles concerne la question, sempiternelle, de la préférence européenne. Autrement dit, le fait de savoir si les gouvernements du vieux continent seraient enfin prêts à s’engager à privilégier leurs propres produits; comme le font d’ailleurs, et à juste titre, les Etats-Unis. Pour Ariane 6, seuls cinq lancements institutionnels seront garantis, d’après la ministre. Certes, on reste au même nombre qu’aujourd’hui, mais « cela signifie, tacitement, que chaque pays membre accepte le principe d’une préférence européenne. On ne peut pas écrire obligation, à cause des règles européennes ».

    Le PDG d’Arianespace voulait y voir, en mai, « une sorte de ‘Buy European Act’, sachant que notre concurrent américain bénéficie déjà, quant à lui, d’un marché garanti aux États-Unis : la législation américaine impose que les charges utiles américaines soient mises en orbite par un lanceur construit majoritairement aux États-Unis. » Cinq mois plus tard, il a dû se rendre à l’évidence :« Aujourd’hui, le ‘Buy European Act’ n’existe pas. Il est vrai que les États européens peuvent choisir un autre lanceur que ceux d’Arianespace ». Ce qu’ils font, en effet, sans état d’âme. A l’instar de l’Allemagne, qui n’a pas hésité à confier à SpaceX le lancement de certains de ses satellites.

    Or, prévient la ministre française : « Si nous ne sommes pas la carte de l’Europe, nous fragiliserons et in fine, perdrons la filière des lanceurs européens. Et au-delà, nous perdons notre avantage compétitif en matière de télécoms, en matière d’accès aux données scientifiques, environnementales, climatiques et en matière de sécurité et de défense. » Mais comment attendre des gouvernements de jouer la carte de l’Europe en matière de lancement si même Airbus ne le fait pas ? Le groupe, qui aura désormais la haute main sur l’ensemble de la filière et réclame, de ce fait, la garantie de cinq lancements institutionnels, souhaitait lui-même confier à son concurrent US le lancement d’un satellite de télécommunication dernier cri de l’Agence spatiale européenne (ESA), simplement pour le rendre plus rentable…

    Abandons coupables

    Au départ, la réorganisation actuelle a été présentée comme répondant à deux critères de base. D’une part, un besoin de réduction des coûts, par le biais d’une plus grande prise de responsabilité des industriels, de l’autre le maintien, tout de même, de la position des Etats. Sur ce dernier point, la ministre Fioraso a été très claire : « L’Etat restera présent dans la gouvernance et contrôlera ». Sauf que le périmètre de cette présence se réduit comme une peau de chagrin, en emportant le pouvoir de contrôle dans son sillage. Pour le PDG d’Arianespace, « les acteurs minoritaires qui représentent un lien avec les Gouvernements (…) doivent recevoir des garanties ». Autrement dit, ce n’est pas d’emblée le cas.

    La question des coûts reste elle aussi opaque. Si les industriels disent prendre plus de risques, c’est loin d’être manifeste. Pour commencer, on ne sait toujours pas qui aura la charge d’éventuels échecs. Or, selon Stéphane Israël, « rien ne coûte plus cher qu’un échec et il importe de préciser les engagements des uns et des autres », mais « jusqu’à ce jour, rien n’est figé comme en témoignent les discussions en cours entre l’Agence spatiale européenne et Airbus Safran Launchers ». De surcroît, les industriels ne cessent de grignoter sur le volet financier de l’accord. Comme Michel Cabirol de La Tribune le met en évidence, tantôt ils demandent une rallonge d’un milliard, tantôt ils refusent de contribuer au maintien en condition opérationnelle du pas de tir en Guyane, tantôt ils exigent pour eux la gratuité pure et simple du Centre spatial, une faveur jamais octroyée à Arianespace.

    Force est de constater que, dans ce domaine hautement stratégique, on risque de se retrouver devant un schéma étrangement similaire à celui des Etats-Unis. Un modèle caractérisé par de grandes sociétés privées, soutenues par d’immenses gaspillages de fonds publics. A la différence près que, contrairement au cas américain, les pouvoirs publics en Europe ne peuvent même pas être certains, à long terme, de la loyauté des sociétés qu’ils soutiennent – en l’absence d’un marché public gigantesque qui garantirait une loyauté d’intérêt, et faute de règles contraignantes européennes capables d’imposer, comme de l’autre côté de l’Atlantique, une loyauté juridico-institutionnelle.

    Or, en parlant d’Ariane, il convient de garder à l’esprit que le lanceur conditionne la pérennité, la crédibilité, la rentabilité/compétitivité et l’autonomie de l’ensemble du secteur spatial. Que l’on se rappelle les origines mêmes de la création d’Ariane : en 1973, n’ayant pas de lanceur européen à leur disposition, Français et Allemands ont dû aller quémander auprès des Américains pour pouvoir mettre en orbite leur satellite de télécommunication. Or « les Américains, se souvient Frédéric d’Allest, ancien Directeur général du Centre national d’Etudes spatiales (CNES), ont fait savoir qu’ils voulaient bien lancer Symphonie mais à condition qu’il soit limité à des fonctions expérimentales ». Profitant de leur monopole, les Américains ont donc interdit toute utilisation à des fins commerciales, par souci d’éliminer la possibilité même d’un rival.

    Un véritable déclic, d’après les témoins de l’époque, le diktat américain a finalement permis de lever les obstacles politiques, entre Européens, à la construction de ce formidable outil de souveraineté qu’est le lanceur Ariane. En effet, la leçon fut claire : sans accès indépendant à l’espace, il n’y a tout simplement pas de politique spatiale. Jouer aujourd’hui à l’apprenti sorcier, en procédant à une restructuration dans des conditions et avec des engagements opaques, au risque de fragiliser la position de l’Etat et au profit d’industriels dont le passé, le bilan et le profil sont loin d’être irréprochables – cela mérite au moins débat…

    Hajnalka Vincze (IVERIS, 1er janvier 2016)

     

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  • La diplomatie française entre atermoiements et impuissance assumée...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Migault, cueilli sur le site de l'agence d'informations russe Sputnik et consacré au flottement de la diplomatie française, notamment vis-à-vis de la Russie...

    Philippe Migault est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (IRIS).

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    La diplomatie française entre atermoiements et impuissance assumée...

    La reconduction des sanctions envers la Russie avec l’assentiment de la France est révélatrice de notre incapacité à conduire une politique étrangère cohérente. Soucieuse de donner des gages à tous, notre diplomatie n’est plus lisible, ni crédible.

    Dans la foulée des attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre dernier, les autorités françaises ont cessé de camper sur leurs anciennes positions déconnectées des faits sur le dossier syrien afin de demander la collaboration de la Russie, que François Hollande est allé chercher en personne au Kremlin, à grand renfort d'amabilités et de tutoiement vis-à-vis de Vladimir Poutine. Terminée l'intransigeance sur le départ préalable de Bashar el-Assad, avant tout processus négocié de sortie de crise. Contraint et forcé, Laurent Fabius est non seulement revenu sur cette ligne inflexible, mais est même allé jusqu'à évoquer une coopération contre l'Etat Islamique avec les troupes du dirigeant syrien, bref, semblait rejoindre la position de la Russie. Dans ce cadre, alors que nous semblions bel et bien prêt à nous rendre à Canossa, il eût semblé logique de mettre fin à la bouderie franco-russe déclenchée par la crise ukrainienne et de cesser d'apporter notre soutien à la politique de sanctions décrétée par l'Union européenne envers Moscou. Manuel Valls, avec sans aucun doute l'assentiment préalable de François Hollande, semblait aller dans ce sens lorsque, le 26 novembre dernier, il déclarait à la tribune de l'Assemblée nationale que la France aimerait que ces sanctions prennent fin. Mais une fois encore le diable se cache dans les détails et pour ceux qui n'ont pas retenu simplement cette phrase, mais ont pris soin d'écouter la totalité du discours du Premier ministre, il était clairement stipulé que la levée des sanctions demeurait conditionnée au respect par la Russie des accords de Minsk-2. C'est là, dans cette aspiration à obtenir tout et son contraire en Syrie et en Ukraine, que le bât blesse.

    Car les autorités françaises savent pertinemment que la plupart des violations du cessez-le-feu sont à attribuer, non pas à la Russie et aux séparatistes du Donbass, mais aux Ukrainiens. Elles ne peuvent que constater l'impuissance de Kiev à réformer sa constitution dans le sens d'une autonomie accrue des provinces ukrainiennes, comme convenu dans le cadre de ces accords. Bref, elles exigent des Russes qu'ils se conforment à un texte qui n'est pas respecté par la partie adverse, ce dont celle-ci, aussitôt, tirerait avantage. Ce que nous, Français, serions certainement prêts à accepter suivant l'angélisme coutumier de nos dirigeants, s'imaginant qu'ils ont vocation à guider le monde par l'exemple, suivant « l'esprit des lumières », mais qu'on ne peut guère attendre d'un réaliste déterminé comme Vladimir Poutine. Manuel Valls savait donc, lorsqu'il s'exprimait il y a un mois, que ses propos relevaient du vœu pieux et ne l'engageaient à rien.

    Au demeurant cela n'a rien de surprenant. La France est coutumière de cette diplomatie conjuguant effets de manche, absence de volonté politique et stratégie inexistante. D'une diplomatie multipliant les déclarations mais jamais suivie d'actes. Alors que nous avons perdu 130 de nos compatriotes, de nos proches, sous les coups des terroristes islamistes, les mêmes qui ont frappé à Beslan ou ont détruit l'Airbus A321 russe de Metrojet, rien ne semblait plus logique, alors que nous sommes de facto partenaires puisque confrontés au même ennemi, que de saisir cette occasion pour aplanir nos différents avec la Russie. Il n'en est rien. Car il est tellement plus important de donner des gages à nos « véritables » alliés. De flatter nos amis Polonais, qui nous ont fait miroiter des milliards de dollars de contrats d'armement si nous renoncions à vendre des Mistral aux Russes et qui, la chose faite, font la fine bouche sur nos matériels. De rassurer nos amis Baltes, pourtant loin de cultiver l'art du « vivre ensemble » avec les fortes minorités russes vivant sur leur territoire. De complaire à nos clients Qatari et Saoudiens, qui ignorent tout, bien entendu de l'Etat Islamique, du Wahabbisme et du terrorisme. De prouver notre fidélité à cette Union européenne dont le modèle s'écroule. De faire acte d'allégeance, enfin, à notre grand frère américain.

    Oui, il est si important de plaire à nos mandataires, de ne pas froisser nos « partenaires », même lorsqu'ils ne pèsent rien comparativement à nos intérêts en Russie, qu'il ne nous reste, en définitive, que les mots pour donner l'illusion que la France conserve sa liberté d'action. Nos atermoiements n'ont rien d'innocent. Ils correspondent à notre statut réel. Celui d'une puissance régionale de second ordre qui, arguant de sa maîtrise de l'arme nucléaire et de son siège au conseil de sécurité, tente de persuader ses habitants qu'elle conserve un rôle mondial, mais qui, dans les faits, connaît ses moyens et assume son impuissance en catimini. Parce qu'il est hors de question, pour ses élites, de rêver encore de grandeur ou d'indépendance.

    Philippe Migault (Sputnik, 23 décembre 2015)

     
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  • Réflexion sur le temps présent, c’est à dire du temps qui presse...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son site Rochedy.fr et consacré à la question de la politique dans une période qui ressemble fort à la fin d'un monde...

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    A quoi peut servir la politique dans le monde nouveau ?

    Réflexion sur le temps présent, c’est à dire du temps qui presse

    Dans la période que nous vivons, je tiens que la politique, entendu au sens d’une force qui réglementerait nos vies individuelles, n’a non seulement plus de pertinence, mais surtout plus d’objet.

    D’abord, d’un point de vue historique, les formes politiques que nous connaissions sont au stade de l’agonie. Il est possible de se battre pour maintenir en état les choses, mais ce faisant, nous ne faisons que gagner du temps ; nous ne pouvons inverser le processus.

    L’Etat pourrait contraindre les hommes à « vivre-ensemble », les enfermer de force dans la circonscription nationale,  mettre le paquet dans l’Education pour former des Français pensant, sentant, s’exprimant tel un Gaulliste des années 60 ou un hussard noir des années 1900, que tout cela serait vain, nécessairement emporté par les flots des évolutions historiques, du monde en marche, du temps qui coule et qui bouleverse.

    Pour s’en convaincre, il faudrait un livre entier d’arguments, et celui-ci arrivera, mais en attendant, il suffit aussi de regarder autour de soi, et, peut-être, de connaître un peu l’Histoire. Dans celle-ci, il n’y a point de schéma idéal et figé comme tel. Tout se transforme en permanence, selon des logiques connues. La vérité d’hier n’est plus celle d’aujourd’hui. Il faut agir et penser selon les forces en présence et les potentiels possibles ; il faut, en un mot, se contextualiser, seul droit, finalement, à la pertinence.

    J’aime l’exemple des Empereurs romains du bas-Empire. Contrairement aux idées reçues, ils ne furent point des décadents. Au contraire, la valeur d’un Marc-Aurèle, d’un Julien, d’un Septime Sévère, Claude II, Probus, Aurélien, Valentinien, Théodose, Dioclétien ou d’un Constantin, est d’un rare mérite. Ce sont des hommes d’Etat et des soldats hors pairs, peut-être supérieurs à des Auguste ou des Césars. Pourtant, ils combattaient et régentaient dans le vent. Par leur puissance et leur énergie, ils parvinrent à ralentir la mort d’un corps politique qui pourtant l’était déjà, l’Empire.

    De Gaulle, le dernier des grands Français, avait tout compris. Dans les Chênes qu’on abat, dialogues avec Malraux, il reconnaît qu’il aura écrit la dernière page de l’Histoire de France, et il sait que ce qui n’est qu’une morphologie politique parmi tant d’autres, la France, était vouée à se transformer considérablement, comme l’Empire Romain du Ve siècle commença lui-même  à se transformer pour voir apparaître de nouvelles formes politiques, et, en quelque sorte, une nouvelle Histoire.

    Désormais, à quoi sert donc la politique, si elle n’est plus qu’un théâtre d’ombres jouant au  pouvoir et rêvant à des restaurations impossibles ? Plus grand-chose, assurément. Toutefois, la politique a encore un rôle à jouer.

    Si elle ne cherche qu’à retarder, qu’à restaurer, alors elle échouera, et le temps qu’elle fera perdre aux hommes sera catastrophique.  Mais elle peut envisager un autre objet : permettre l’accouchement du monde en germes en protégeant dans le chérubin ce qu’il y a de plus utile. Pour y parvenir, sa dignité sera de se retirer au maximum.

    Les Européens, et parmi eux les Français, crèvent de déresponsabilisation. Quand leur corps politique était encore vivant et vivace, ils jetaient leurs yeux au Ciel et voyait l’Etat, qui les embrassait dans une puissance commune ; il les protégeait, et les projetait. Aujourd’hui, quand leur corps politique n’est plus qu’une fiction, et qu’ils n’ont plus par conséquent qu’une fiction d’Etat, ils persistent à jeter leur yeux au Ciel mais ne voient plus rien. Le Salut par la politique n’est plus ; mais, misérables qu’ils sont, il attendent, à cause d’une trop longue habitude, les genoux à terre et les mains suppliantes. D’où les angoisses actuelles, la turbidité, la nervosité qu’aucune force ne semble pouvoir épancher.

    C’est que la politique s’occupe encore trop d’eux. Elle n’a plus la force du père, mais elle a gardé celle de la mère. Elle n’est plus qu’une assistante sociale qui doit « s’occuper de leurs problèmes », « écouter leurs préoccupations », « leur trouver du travail », « bien les soigner », et au final, bien les dorloter. Les hommes et les femmes de notre personnel politique ont pris le pli de cet état de fait ; celui qui gagnera l’élection sera celui qui rassurera le plus, comme s’il s’agissait d’un concours de la meilleure maman.

    Le véritable intérêt de la politique serait de réparer cette situation, et non pas d’y souscrire. Il faudrait que la politique reflue d’elle-même, qu’elle arrête de s’occuper des hommes.  Que la politique cesse de se préoccuper de l’éducation des enfants, qu’elle arrête de maintenir des foules entières dans l’assistanat,  qu’elle ne se mêle plus de morale (démocratisme, droits-de-l-hommisme, vivre-ensemble etc.), qu’elle oblige même les individus à s’intéresser eux-mêmes à leur sécurité, et en quelques décennies seulement, les hommes, les citoyens, accoucheraient du monde nouveau, avec ses nouvelles formes d’organisation, ses nouvelles élites, ses sanctuaires, sa nouvelle morale et ses nouveaux desseins.

    Laissez une province tranquille. Ne lui faites plus la morale. Ne l’assistez plus. Obligez là à se prendre en main. En somme, mettez Paris sous cloche de verre. Revenez quelques années plus tard : vous trouverez là des hommes qui s’en seront sortis, qui auront renouvelé leurs élites,  qui se seront organisés de telles façons qu’ils auront d’eux-mêmes chassés les perturbateurs ou les inutiles, qui auront trouvé comment avoir un intérêt économique dans la mondialisation et auront revivifié leur culture populaire et traditionnelle, etc. Ou alors, cette province sera morte, vidée de ses meilleurs habitants, et dans ce cas, c’est qu’elle vivait sous perfusion et qu’elle devait, historiquement, crever. Et à ce compte là tout est bien.

    Revenez ensuite encore quelques décennies plus tard, et observez un nouvel Etat régénéré qui  se fera fort de concentrer ces provinces et leurs nouvelles organisations dans une volonté commune. De là, il pourra s'appuyer sur des forces renouvelées et donc briller. Puis, quelques siècles plus tard, il dégénérera, et ainsi de suite. l'Histoire est fabuleuse. 

    De toutes façons, c’est exactement ce qu’il se passe actuellement. La politique n’a plus de volonté, car elle n’a plus de force ; elle n’est que velléitaire. Sa nature de père est morte avec De Gaulle, sa nature de mère n’en a plus pour très longtemps. Le seul souci, c’est qu’en ne le voyant pas, cette transition risque de se faire dans l’anarchie la plus complète, tandis qu’un homme politique avisé pourrait accompagner cette transition en sauvant au maximum ce qui pourrait l’être.

    Les hommes ont besoin de liberté et de responsabilité. Par là, ils arrêteraient de courir après de chimères, et, se prenant en mains, ils s’organiseraient comme ils doivent s’organiser naturellement, car telle est leur nature. Il ne faut pas brider la nature et ce qu’elle porte en elle, il faut, au contraire, lui permettre d’accoucher en douceur.  Voici ce que serait encore, en ce début de millénaire, l’honneur de la politique.  

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 22 décembre 2015)

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