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Géopolitique

  • L’Europe sans bouclier : comment les États-Unis exploitent sa faiblesse géopolitique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Diego Marenaci, cueilli sur Euro-Synergies et consacré à la faiblesse géopolitique de l'Europe. Journaliste indépendant, Diego Marenaci est diplômé en Sciences Politiques et Relations Internationales.

     

    Bouclier brisé - Matériaux - Throne: Kingdom at War - Guide, la  description, l'aide pour le jeu / Version française

     

    L’Europe sans bouclier : comment les États-Unis exploitent sa faiblesse géopolitique

    Les négociations commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis sous l’administration Trump représentent un cas emblématique du déficit de projection stratégique de l’UE sur le plan géopolitique. Face à la menace de droits de douane américains, Bruxelles a opté pour une approche défensive, marquée par la volonté de contenir l’affrontement plutôt que de l’orienter. Cette attitude a mis en évidence trois limites structurelles: le manque d’unité politique entre les États membres, l’incapacité à exercer une pression symétrique sur Washington, et une dépendance générale au marché américain dans des secteurs clés.

    Plutôt que de répondre avec un plan d'action autonome, l’UE a fini par accepter des conditions imposées, sacrifiant une partie de sa crédibilité internationale en tant qu’acteur systémique. Cet épisode remet en question la cohérence entre son poids économique et son influence géopolitique effective, relançant le débat sur la capacité réelle de l’Union à s’affirmer comme puissance régulatrice et non seulement normative.

    Fragmentation européenne: une limite systémique

    La réaction des États membres à l’imposition des droits de douane américains a révélé le manque de cohésion interne. L’Allemagne, principal exportateur d'automobiles vers les États-Unis, a adopté une ligne souple pour protéger sa base manufacturière. La France, au contraire, a prôné une approche plus assertive, mettant en garde contre le risque d’un précédent déstabilisant pour l’ensemble du système commercial multilatéral. L’Italie a alterné déclarations ambiguës et positions tactiques. Ces divergences ont miné la crédibilité de négociation de la Commission européenne, entravant l’élaboration d’une ligne commune.

    Comme l’a souligné le Financial Times, ce désalignement a contraint Bruxelles à agir avec prudence, sacrifiant la force et la clarté de la négociation au nom d’une unité politique fragile. L’accord qui en a résulté est apparu davantage comme une synthèse des compromis internes à l’Union que comme une stratégie tournée vers l’extérieur.

    Ces fractures politiques et stratégiques ont été habilement exploitées par Washington, qui a su jouer sur les intérêts divergents pour obtenir des concessions significatives. L’absence de leadership partagé, conjuguée à l’absence d’un mécanisme décisionnel rapide et efficace en matière de politique étrangère et commerciale, a empêché l’Union de transformer sa puissance économique en influence géopolitique concrète.

    L’asymétrie structurelle des relations transatlantiques

    La négociation a également mis en lumière l’asymétrie structurelle qui caractérise les relations transatlantiques. Les États-Unis continuent à exercer une supériorité stratégique multidimensionnelle, fondée sur la primauté militaire, la domination de leurs chaînes de valeur mondiales et une grande capacité de pression diplomatique. L’UE, au contraire, demeure un acteur fonctionnellement dépendant : sur le plan énergétique, industriel et sécuritaire. La négociation ne s’est pas réduite à une simple question commerciale: l’Europe s’est vue imposer une série d’engagements géostratégiques, parmi lesquels l’achat de gaz, de pétrole et de puces pour l’IA pour une valeur d’environ 750 milliards de dollars, en plus de 600 milliards de dollars d’investissements européens aux États-Unis, et l’achat potentiel d’équipements militaires américains.

    L’UE apparaît ainsi dépourvue de « bouclier stratégique » autonome: comme l’a observé le commissaire européen au commerce Maroš Šefčovič, l’accord a relancé l’idée selon laquelle « il ne s’agit pas seulement de commerce, mais aussi de sécurité, de l’Ukraine, de l’actuelle volatilité géopolitique ». Cette réflexion suggère que l’Union aurait pu négocier différemment si elle n’avait pas ressenti le besoin du soutien américain pour la défense de Kiev.

    Ces clauses extra-commerciales renforcent une position subordonnée de l’UE, désamorçant les leviers traditionnellement disponibles et confirmant son éloignement d’une véritable autonomie stratégique. L’Europe reste donc plus réactive que proactive, incapable de se tailler un rôle central dans les transformations de l’ordre mondial.

    Un accord instable et désavantageux

    L’accord commercial signé il y a quelques semaines repose sur une réduction partielle des droits de douane américains sur certains produits européens, en contrepartie de concessions structurelles de l’UE dans les domaines énergétique, industriel et réglementaire. Il s’agit d’un compromis déséquilibré et voué à l’échec, construit sur un équilibre précaire et dépourvu de garanties contraignantes.

    Les droits de douane américains restent en vigueur sur des secteurs stratégiques comme l’acier et l’automobile, tandis que l’UE s’est engagée à accroître l’importation de GNL en provenance des États-Unis et à adapter certaines normes environnementales afin de faciliter les exportations américaines vers le Vieux Continent. Tout cela se fait sans mécanisme efficace de vérification ou de révision éventuelle de l’accord. L’accord ressemble plus à une trêve temporaire qu’à un partenariat stable: un choix tactique qui permet de gagner du temps politique, mais qui ne résout pas les problèmes structurels de la relation. Le risque est que l’accord soit renégocié unilatéralement par Washington dès que les équilibres internes et externes le permettront.

    L’autonomie stratégique européenne : une promesse non tenue

    Ces dernières années, Bruxelles a fait de l’autonomie stratégique l’un des piliers rhétoriques de sa politique étrangère, commerciale et de défense. Pourtant, la crise des droits de douane a mis en évidence l’écart profond entre la dimension symbolique de cette ambition et la réalité des rapports de force. En l’absence de politique industrielle commune, de capacité militaire autonome et d’instruments économiques de dissuasion, l’Union a adopté une posture attentiste et conciliante.

    L’accord commercial a confirmé la centralité géopolitique des États-Unis dans le système européen, rendant manifeste la difficulté de l’UE à concevoir et mettre en œuvre une stratégie de long terme qui ne dépende pas d’un soutien extérieur. La promesse d’autonomie reste donc un horizon théorique, plus qu’une réalité opérationnelle.

    À la lumière de ces dynamiques, l’épisode représente plus qu’un simple revers diplomatique : il est le symptôme d’une crise d’efficacité stratégique. Si l’Union européenne entend se positionner comme un acteur géopolitique autonome, elle devra se doter non seulement d’une vision partagée, mais aussi des outils matériels, institutionnels et politiques nécessaires pour la traduire en réalité. Sinon, elle continuera à osciller entre des ambitions affichées et une subordination systémique.

    Diego Marenaci (Euro-Synergies, 9 septembre 2025)

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  • L'école géopolitique allemande...

    Dans cet vidéo diffusée par la revue Conflits, Jean-Baptiste Noé nous présente les fondements de la géopolitique allemande, une pensée stratégique née à la croisée de la géographie et de la politique. De la naissance du mot « géopolitique » à son utilisation idéologique, il revient sur les grands noms de cette école – Friedrich Ratzel, Karl Haushofer – et sur des concepts clés comme le Lebensraum ou les Pan-Ideen. Une réflexion essentielle pour comprendre comment la géographie a pu façonner les ambitions politiques de l’Allemagne et influencer l’histoire du XXe siècle.

     

                                              

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  • La géopolitique anglo-saxonne...

    Dans cet vidéo diffusée par la revue Conflits, Jean-Baptiste Noé nous éclaire sur les fondements de la géopolitique anglo-saxonne, une pensée stratégique centrée sur la maîtrise des mers, le contrôle des espaces et la projection de puissance globale. De Halford Mackinder à Nicholas Spykman en passant par Alfred Thayer Mahan, il revient sur les grands théoriciens anglo-américains qui ont structuré la vision anglo-saxonne du monde. Des concepts majeurs comme le Heartland, le Rimland ou encore la puissance maritime sont au cœur de cette réflexion, toujours d’actualité dans les grandes rivalités géopolitiques du XXIe siècle.

     

                                             

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  • Ces enclaves qui concentrent les tensions mémorielles...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Ulysse Manhes cueilli sur Figaro Vox et consacré aux enclaves.

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    « L’enclavologie, cette géographie des lieux qui résistent à toute définition »

    Prenons une carte du monde. Pas celle des atlas étatiques rigoureusement découpés. Plutôt une carte artisanale, qu’on pourrait déplier dans un train ou gribouiller sur une serviette. Traçons-y quelques cercles au hasard : Kaliningrad, Nakhitchevan, Abkhazie, Sahara occidental, Transnistrie…

    Que voit-on ? Que des enclaves condensent, à elles seules, les tensions que les empires dispersent. Kaliningrad en est peut-être l’illustration la plus claire. Ancienne Königsberg, joyau prussien et patrie d’Emmanuel Kant, elle fut rattachée à l’Union soviétique à la faveur des conférences de 1945. Churchill, d’abord réticent, céda finalement sous la pression de Staline ; Truman confirma l’accord dans le silence stratégique de Potsdam. Rebaptisée du nom de Mikhaïl Kalinine (cacique discret du régime mais signataire de l’accord qui permit le massacre de Katyn), la ville devient une excroissance soviétique enchâssée dans l’Europe.

    Aujourd’hui, Kaliningrad est une enclave militaire russe, verrouillée entre la Pologne et la Lituanie, bardée de missiles, tournée comme une tourelle vers l’Europe tout entière. Le moindre navire quittant les ports baltes doit négocier son passage dans des eaux « russes », et la simple existence de l’enclave rend vitale la défense du corridor de Suwałki, 65 kilomètres de territoire que les pays baltes considèrent comme une voie décisive. 
    À elle seule, Kaliningrad conjugue le souvenir des empires déchus, la fiction étonnante des accords de guerre et la hantise balte d’un retour de l’Histoire.

    Mais Kaliningrad n’est qu’un point sur la carte. D’autres poches, ailleurs, racontent les mêmes contradictions géopolitiques, les mêmes cicatrices non refermées. Elles ne sont pas des pays, pas même des régions : elles sont des îlots historiques, des zones où la carte officielle ne mentionne rien… Par exemple Daugavpils, en Lettonie – mi-russe, mi-européenne, comme en apnée. Ce qui saute aux yeux du visiteur à chaque fois, c’est un excès de mémoire. Chaque coin de ces poches semble saturé de récits non soldés, formant des trop-pleins qui fermentent.

    Certaines poches sommeillent, d’autres font surface. Aucune ne s’efface : elles restent en latence, peuvent changer de nom ou de protecteur mais ne quittent jamais la carte. La République serbe de Bosnie ? Un fragment figé dans l’État bosnien mais qui continue à parler une langue d’ailleurs. Le Syunik arménien ? Une gorge étroite que Bakou rêve d’ouvrir au scalpel. Le Donbass ? Une saignée permanente, stabilisée par les compromis, non par la paix. Il faudrait une science pour désigner tout cela. Une géographie secondaire, une cartologie mineure. Appelons-la enclavologie, faute de mieux : l’art d’observer les histoires non résolues, les accrocs de la carte et les lieux qui résistent à toute définition stable.

    Observons maintenant le Caucase. On croit que le conflit se joue entre États (Russie, Turquie, Azerbaïdjan, Iran) quand l’essentiel se décide en réalité dans les interstices. Le Nakhitchevan, ce bras géographique sans épaule, coupe l’Arménie comme un trait de hache et rêve d’un corridor vers l’Azerbaïdjan comme un retour au pays. À l’est, l’Artsakh (Haut-Karabakh) a été rayé d’un trait de plume mais persiste à flotter dans les esprits arméniens, comme une île perdue qu’on continue de voir après la marée. Plus au nord, l’Abkhazie géorgienne est une station balnéaire transformée en État russo-spectral aux intentions hautement impérialistes. L’Ossétie du Sud, quant à elle, n’est plus qu’un sas russe dans une république caucasienne qui n’a jamais choisi son camp.

    Dans les Balkans, l’Europe se lézarde à bas bruit. La Republika Srpska (enclave pro-serbe au sein de la Bosnie-Herzégovine) ne clame rien mais avance à pas lents vers ses deux grands frères orthodoxes : la Serbie et la Russie. Le Kosovo, reconnu ici, nié là, se maintient dans une position d’équilibre précaire, un pied dans la souveraineté, l’autre dans l’angoisse d’un effondrement. En Serbie même, le Sandjak musulman, entre Novi Pazar et la frontière monténégrine, reste une tache sans légende, invisible dans son voisinage orthodoxe. Quant à la Moldavie, elle plane, à moitié roumaine, à moitié russe, tout entière promise à une fusion qui paraît impossible.

    Autour, entre les poches et les enclaves, vivent bien des mondes sans capitale ni ministère. La Gagaouzie, dans le Sud moldave, peuplée de chrétiens turcophones qui ne ressemblent à aucun de leurs voisins. Les Tziganes, dont les capitales innommées migrent en silence entre les Carpates, les bords du Danube et les rives de la mer Noire. Les Souabes du Banat, les Arméniens de Djoug (Jugha en arménien classique), les Ruthènes de Slovaquie orientale, les Aroumains, les Pontiques, les Karakalpaks, les Kurdes, communautés interstitielles, transfrontalières, transculturelles, translinguistiques, survivances nomades ou sédentaires à flou politique constant. Ils ne revendiquent pas tous un État mais ils occupent les creux. Et c’est dans ces creux que s’agrègent les conflits futurs.

    Dans les médias, on parle d’équilibres régionaux. Il faudrait plutôt évoquer les déséquilibres localisés et, disons-le ainsi, enclavologiques. Ce sont ces enclaves visibles ou latentes qui fonctionnent comme des sismographes. Elles signalent les failles, les dénis, les chagrins, les rancœurs, les promesses non tenues. Elles condensent les haines frontalières, les malentendus culturels, les résidus de traités anciens. Et parfois elles explosent, non parce qu’elles veulent exister, mais parce qu’on les ignore ou qu’on refuse de les penser.

    Une enclave n’est pas un détail historico-géographique. Une poche territoriale, si petite soit-elle, porte avec elle des couches de mémoire, de frustration, de dignités bafouées et de fantasmes d’unité. C’est là, dans ces formations exiguës, que les conflits latents deviennent palpables. Là que se forment les appétits de revanche, les logiques de corridor, d’allégeance et de survie. Le monde se joue, de plus en plus, à l’échelle des zones non résolues.

    Dans un verrou caucasien comme le Syunik, qui détermine l’accès iranien à la mer ; dans le corridor de Suwałki, fragile jointure entre l’Europe balte et le reste de l’OTAN ; ou dans la poche ibérique de Ceuta, promontoire espagnol sur le sol africain, où se télescopent héritage colonial, pression migratoire et dépressions des sociétés occidentales. Il n’est pas exclu que le destin des puissances se dessine dans ces interstices qu’elles feignent d’ignorer. Une enclave n’est ainsi pas un « symptôme » mais un territoire témoin dont les diplomaties diffèrent le traitement, mais qui se révéleront peut-être autant d’épines dans le pied dans la construction d’un monde pacifié.

    Ulysse Manhes (Figaro Vox, 4 juillet 2025)

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  • Les dessous du conflit israélo-iranien...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré  à la guerre ouverte déclenchée par Israël contre l'Iran...

     

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    Benyamin Netanyahou et les dessous du conflit israélo-iranien

    En attaquant l’Ukraine, le 22 février 2022, Vladimir Poutine ne savait peut-être pas à quelle point cette équipée brouillonne, qui devait alors se conclure en quelques semaines, allait bouleverser la géopolitique mondiale. Les attaques israéliennes contre l’Iran, déclenchées ce 13 juin, en sont aujourd’hui la conséquence logique.

    Ainsi, en se concentrant tous ses efforts sur Kiev, Moscou laisse le champ libre à d’autres initiatives, toutes aussi hasardeuses, dont celle du Hamas, le 7 octobre 2023, ayant entraîné les massacres qu’on sait. Dès lors, l’enchaînement est inéluctable et la réponse de l’État hébreu aussi prévisible qu’impitoyable : Tel-Aviv peut alors se déchaîner sur le Hezbollah libanais tout en commençant, déjà, à menacer l’Iran. Principe d’opportunité oblige, ce qui demeure de Daech en Syrie en profite pour mettre à bas le régime de Bachar el-Assad. Là, ce n’est pas en deux semaines, mais seulement en quelques jours. En effet, le Hezbollah n’est plus en mesure de lui venir en aide ; pas plus que le Kremlin, bien trop occupé en Ukraine.

    Résultat ? L’arc chiite qui allait de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas n’est plus ; privant ainsi la République islamique d’Iran de toute profondeur stratégique. Pour tout arranger, Donald Trump négocie en direct avec les Houthis yéménites, l’ultime allié de l’ayatollah Khamenei. Ce principe d’opportunité, qui a profité aux Syriens de Daech, Israël le fait sien à son tour, en attaquant l’Iran à un moment d’autant plus idoine que le revenant de la Maison-Blanche n’a, malgré ses dénégations, rien à refuser à Benyamin Netanyahou.

    Trump et Netanyahou : qui donne les ordres, qui les reçoit ?

    La preuve en sont ces révélations d’Adrien Jaulmes, correspondant du Figaro à Washington, ce 14 juin : « Les négociations entre les États-Unis et l’Iran, rouvertes par Trump à la surprise générale en avril dernier, avaient d’abord semblé déjouer les plans de Netanyahou, depuis longtemps favorable à une action militaire contre le programme nucléaire iranien. » Mais, toujours selon la même source : « Donald Trump et ses conseillers auraient fait semblant de s’opposer publiquement à des frappes israéliennes. L’objectif était de convaincre l’Iran qu’aucune attaque n’était imminente et de s’assurer que les militaires et les scientifiques iraniens figurant sur les liste des cibles d’Israël ne prendraient pas de précautions particulières. Pour parfaire la couverture, des collaborateurs de Netanyahou avaient même déclaré aux journalistes israéliens que Trump avait tenté de retarder une frappe israélienne, lors d’un appel téléphonique, le lundi 10 juin. » Citant l’International Crisis Group, think thank américain, Adrien Jaulmes note néanmoins : « Cela n’était pas conforme à la stratégie du président américain. Netanyahou a clairement forcé la main à Trump. » Bref, de l’attelage américano-israélien, on ne saura jamais vraiment qui tient la laisse ; qui est le maître et qui est le chien.

    L’incontestable supériorité technologique d’Israël

    D’un strict point de vue militaire, l’opération israélienne est un indéniable succès. Pourtant, il y a une dizaine d’années, un diplomate iranien assurait à l’auteur de ces lignes : « Avec les missiles S-300 fournis par les Russes, l’Iran est sanctuarisé. Si cent avions israéliens viennent nous attaquer, seule une vingtaine en réchapperont. » C’est en 2010. Un an avant, Gérard de Villiers, dans La Bataille des S-300, un SAS redoutablement bien documenté, écrit strictement la même chose. Seulement voilà, c’était il y a quinze ans et la technologie a fait des progrès depuis et, en la matière, l’écrasante supériorité israélienne est indubitable. Ainsi, les deux cents chasseurs partis bombarder l’ancienne Perse, ce vendredi 13 juin, sont tous rentrés intacts à leurs bases respectives. Certes, la riposte iranienne n’est pas mince, mais demeure strictement anecdotique, comparée aux dégâts causés par la partie adverse.

    Par certains aspects, cette guerre n’est pas comparable aux autres conflits ayant ensanglanté le Proche et le Moyen-Orient, les deux belligérants n’ayant aucune frontière en commun. L’avantage revient donc plus à celui qui maîtrise au mieux les avancées scientifiques permettant de frapper de loin qu’à celui capable d’aligner le plus de soldats pour aller se battre de près. Pour tout arranger, ce qui demeure d’aviation à Téhéran relève du domaine du dérisoire. Dans celui de la guerre du futur, l’État hébreu a déjà marqué des points décisifs. L’opération des téléphones portables piégés, fomentée dix longues années durant par les maîtres espions du Mossad et ayant décapité nombre de cadres du Hezbollah, a durablement marqué les esprits. Celle ayant intoxiqué le gratin militaire de l’armée iranienne, pour le pousser à se rassembler en un lieu et à une date évidemment connue du Mossad, afin de mieux pouvoir les atomiser, ce même vendredi 13 juin, demeure une autre remarquable manipulation.

    La « menace existentielle » d’Israël fondée sur une manipulation médiatique ?

    Après, quels sont les motifs de cette guerre ? Israël excipe évidemment de sa « survie », faisant de la République islamique d’Iran une « menace existentielle », surtout quand au bord d’acquérir l’arme nucléaire. À l’époque des missiles S-300 plus haut cités, il ne s’agit pourtant pas d’une priorité pour l’ayatollah Khamenei, pas plus que le président d’alors, Mahmoud Ahmadinejad n’entend « rayer Israël de la carte », tel que soi-disant prétendu lors d’une conférence prononcée le 25 octobre 2005. À croire que tout cela puisse participer d’une autre manipulation, médiatique, celle-là ; ce que semblait croire Le Point, à l’époque et qui, pourtant, n’est pas connu pour être un hebdomadaire furieusement antisioniste.

    Quand Tel-Aviv écoutait Téhéran…

    Ainsi, le 26 avril 2012, peut-on lire, sous la signature du journaliste Armin Arefi : « Le vent est-il en train de tourner sur l’Iran ? Présentée comme inévitable il y a encore quelques semaines, le risque de frappes israéliennes – et même d’une guerre régionale – semble inexorablement s’éloigner. Le revirement date du jour qui a vu deux responsables israéliens en exercice – le ministre de la Défense Ehud Barak et le chef d’état-major Benny Gantz – annoncer publiquement que la République islamique n’a pas décidé de se doter de la bombe atomique. Une information en réalité connue depuis plusieurs années des divers services de renseignement américains, mais aussi israéliens. » Bigre. Cela qui signifie que si les accords irano-américains sur le nucléaire iranien avaient suivi leur cours, peut-être que cette République islamique n’essaierait pas, aujourd’hui, de véritablement se doter de l’arme fatale en question…

    D’ailleurs, cela aurait-il été aussi grave pour la paix dans le monde ? Après tout, au siècle dernier, l’État hébreu s’est lui aussi équipé de l’arme nucléaire, en toute illégalité et ce dans le plus grand secret. Que l’Iran rétablisse ce déséquilibre n’aurait peut-être pas été non plus un péril pour la région. C’est en tout cas ce qu’estimait Jacques Chirac, le 29 janvier 2007, cité par Le Monde : « Je dirais que ce n’est pas spécialement dangereux. (…) Ça veut dire que si l’Iran poursuit son chemin et maîtrise totalement la technique électronucléaire, le danger n’est pas dans la bombe qu’il va avoir et qui ne lui servira à rien. Il va l’envoyer où, cette bombe ? Sur Israël ? Elle n’aura pas fait deux cents mères dans l’atmosphère que Téhéran sera rasé de la carte. »

    Ce que Tel-Aviv n’avait pas à craindre, Le Point officialisant, le 26 avril 2012 toujours, ce qui s’écrivait dans des rédactions moins en vue : Mahmoud Ahmadinejad, par une erreur de traduction en anglais, dont on ne sait si elle fut ou non volontaire, a vu ses propos déformés. D’où la tardive mise au point de cet hebdomadaire : « Dans une interview à Al Jazeera, reprise par le New York Times, Dan Meridor, ministre israélien du Renseignement et de l’Énergie atomique, a admis que le président iranien n’avait jamais prononcer la phrase “Israël doit être rayé de la carte”. Il a tout de fois ajouté : “Mahmoud Ahmadinejad et l’ayatollah Khamenei ont répété à plusieurs reprises qu’Israël était une créature artificielle et qu’elle ne survivrait pas.” » Dans le registre de ces « créatures artificielles », le président iranien incluait par ailleurs l’URSS, dont il disait : « Qui pensait qu’un jour, nous pourrions être témoins de son effondrement ? » Et Le Point de rappeler : « Pourtant, c’est bien cette première citation erronée qui a été reprise en boucle par les médias du monde entier, attisant d’autant plus les soupçons autour du programme nucléaire iranien. »

    L’actuelle rhétorique eschatologique de Benyamin Netanyahou ne reposerait donc que sur du vent, au même titre que les sempiternels appels à un « droit international » tout aussi fumeux que paradoxalement des plus solides, depuis le temps que tant de nations s’assoient régulièrement dessus. Et la suite des événements ? Quid d’une éventuelle solution politique ? Le Premier ministre israélien parait n’en avoir guère plus à Téhéran qu’à Gaza. Certes, il compte sur l’apathie des États sunnites voisins, finalement pas mécontents de voir leur concurrent chiite dans la tourmente. Malgré ses protestations, la Russie devrait se cantonner dans la posture verbale, même si la Chine pourrait éventuellement hausser le ton, étant dépendante en grande partie du pétrole importé d’Iran.

    Renverser le régime iranien de l’intérieur : une chimère ?

    Et puis, il y a ce rêve de moins en moins inavoué consistant à renverser, de l’intérieur, le régime des mollahs. Là, il y a peut-être loin de la coupe aux lèvres, tel que souligné par Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne et spécialiste incontestée de son pays natal, dans Le Figaro de ce 16 juin : « La société est divisée en trois groupes. Le premier, minoritaire, applaudit les frappes israéliennes. Le deuxième reste fidèle au régime, pour des raisons idéologiques ou d’intérêt économique. Le troisième, majoritaire, ne soutient ni la République islamique ni les frappes israéliennes. Il se réjouit de la mort des commandants corrompus des gardiens de la révolution, mais rejette toute forme d’agression contre le territoire et toute tentative d’imposer un système politique venu de l’extérieur. » Voilà qui est bien court pour subvertir le régime de l’intérieur…

    De son côté, notre confrère Régis Le Sommier, dans Le Journal du dimanche, n’écrit pas fondamentalement autre chose : « L’ère du carpet-bombing est révolue, mais Netanyahou y croit toujours, pour satisfaire une partie de son opinion publique. » Et surtout jouer la montre, histoire de repousser son inévitable comparution devant la commission d’enquête qui l’attend, négligeant qu’il a été devant le massacre commis par un Hamas ayant réussi à bousculer Tsahal, armée pourtant donnée pour toute puissante, le 7 octobre 2023.

    Posséder l’hégémonie technologique sur le temps court est une chose. Avoir une vision politique sur le temps long en est une autre. Tôt ou tard, Benyamin Netanyahou pourrait l’apprendre, fut-ce à ses dépens.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 17 juin 2025)

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  • UE : Orban veut relancer la fronde...

    Le 10 juin 2025, dans son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot recevait Thibaud Gibelin, chercheur au Mathias Corvinus Collegium de Budapest, pour évoquer la volonté de Viktor Orban d'organiser une union des États souverains pour renverser l’ordre établi au sein de l’UE...

     

                                              

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