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Entretiens - Page 225

  • Préparer le réveil des fils d'Homère, d'Ulysse et de Pénélope !...

    A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Le Choc de l'histoire, publié aux éditions Via Romana, Dominique Venner a répondu aux questions de Laure Destrée, pour la Nouvelle Revue d'Histoire.

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    Dans un nouveau livre, Dominique Venner affirme que le monde, la France et l’Europe sont entrés dans une époque inédite. Le moment, dit-il, va venir pour les Européens de répondre à de mortels défis. À quelles conditions ?

    Propos recueillis par Laure Destrée.


    Laure Destrée : Le 15 septembre, on trouvera en librairie votre nouveau livre, Le Choc de l’Histoire, publié aux éditions Via Romana (1). Pourquoi avez-vous choisi ce titre et qu’annonce-t-il ?

    Dominique Venner : Le choc de l’histoire, nous le vivons sans le comprendre. Cela se passe souvent ainsi. C’est plus tard que l’on mesure la portée des changements. Bien d’autres époques avant la nôtre ont subi des chocs historiques et affronté d’immenses défis, telles les guerres médiques pour les Hellènes.

    Au cours des siècles « modernes » et contemporains, des chocs de grande ampleur ont été à l’origine de réactions qui ont marqué l’évolution des idées. Machiavel, par exemple, est né, si l’on peut dire, des troubles de Florence et de l’Italie à la fin du XVe siècle, Montaigne des guerres de Religion, Hobbes de la première révolution anglaise, Carl Schmitt du désastre européen et allemand consécutif au traité de Versailles (2), Samuel Huntington du monde nouveau postérieur à la guerre froide.

    LD : Comment se manifeste de nos jours ce nouveau choc de l’histoire ?

    DV : Quand d’anciennes croyances s’effondrent, c’est le signe d’un basculement historique. Je vais donner un exemple, offert par Jean Raspail. Avec sa prescience prophétique, l’écrivain a parfaitement exprimé l’une des ruptures en cours. Répondant aux questions d’un journaliste sur le succès de la réédition du Camp des Saints, il dit que, pour refouler les invasions d’immigrés, il faudrait se montrer ferme. Mais, ajoute-t-il, c’est impossible. Pourquoi ? «Parce que la charité chrétienne le défend. En quelque sorte, la charité chrétienne nous conduit au désastre !(3) » Et celui qui dit cela est un catholique. Il comprend soudain que, pour survivre, il faudrait mettre à l’écart un pan important de la culture chrétienne qui imprègne notre inconscient et nos comportements. C’est à ce genre de novations que l’on mesure un basculement historique.

    LD : Pouvez-vous détailler ce basculement ?

    DV : Depuis l’effrayant recul européen qui a suivi la Seconde Guerre mondiale – je dis bien effrayant -, depuis la disparition des souverainetés nationales, les Européens sont confrontés à un choc de l’histoire qui appelle des réponses neuves. On sait par exemple que l’hégémonie américaine a entrainé la mondialisation de l’économie au profit des requins de la finance et au détriment des peuples. À ce fléau, il faut ajouter les effets incalculables de l’immigration-invasion de l’Europe. On doit compter aussi avec la renaissance d’anciennes civilisations et d’anciennes puissances que l’on croyait mortes, ce qui transforme la physionomie du monde et pas seulement d’un point de vue géostratégique.

    LD : Quand vous parlez de l’Europe et des Européens, à quoi pensez-vous ? À l’Union européenne ?

    DV : Certainement pas. Je ne pense à aucune structure politique mais à notre civilisation multimillénaire, à notre identité, une certaine façon « européenne » de penser, de sentir et de vivre qui traverse le temps.

    LD : Jadis, on parlait de « la » civilisation par opposition à l’état primitif ou barbare. Mais vous utilisez le mot dans un autre sens ?

    DV : Aujourd’hui, « civilisation » est synonyme d’identité, de permanence. L’historien Fernand Braudel a donné de ce concept une définition que l’on peut citer : « Une civilisation est une continuité qui, lorsqu’elle change, même aussi profondément que peut l’impliquer une nouvelle religion, s’incorpore des valeurs anciennes qui survivent à travers elle et restent sa substance (4) ». Chaque mot est important dans cette définition. À la continuité des valeurs très anciennes qu’ils ont en propre, les hommes doivent d’être ce qu’ils sont.

    LD : L’islamologue René Marchand a écrit que les grandes civilisations ne sont pas des régions sur une planète, mais des planètes différentes. Cette image vous convient-elle ?

    DV : Elle me semble très pertinente. Tout comme la civilisation des Européens, celles de la Chine, de l’Inde, de l’Orient sémite et musulman, de l’Amérique indienne, sont d’origine immémoriale. Elles plongent souvent loin dans la Préhistoire. Elles reposent sur des traditions spécifiques qui traversent le temps sous des apparences changeantes. Elles sont faites de valeurs spirituelles qui structurent les comportements et nourrissent les représentations. Si, par exemple, la simple sexualité est universelle comme l’action de se nourrir, l’amour, lui, est différent dans chaque civilisation, comme est différente la représentation de la féminité, la gastronomie, l’architecture ou la musique. Ces traits sont les reflets d’une certaine morphologie de l’âme, transmise par atavisme autant que par acquis. On sait que l’influence de nouvelles religions peut modifier les représentations et les comportements. Mais l’atavisme d’un peuple transforme aussi les religions importées. Au Japon, par exemple, le bouddhisme a reçu un contenu martial qu’il n’a pas en Chine. On pourrait dire que chaque peuple a ses propres dieux qui viennent de lui-même et se survivent même quand ils semblent oubliés. Ce sont eux qui nous font ce que nous sommes, à nuls autres pareils. Ils sont la source de notre tradition pérenne, une façon unique d’être des femmes et des hommes devant la vie, la mort, l’amour, l’histoire, le destin. Sans la conscience de cette tradition, nous serions voués à n’être rien, à disparaître dans le chaos intérieur et dans celui d’un univers dominé par d’autres.

    LD : Vous avez parlé d’une « morphologie de l’âme transmise par atavisme autant que pas acquis ». Comment expliquez-vous que les Américains d’origine européenne aient rompu à ce point avec la tradition européenne pour édifier un nouveau monde qui lui est opposé ?

    DV : Je pense à une observation importante du géopoliticien autrichien Jordis von Lohausen (5). Il notait que des Allemands transplantés quelque part sur le continent européen, par exemple en Russie, restent toujours allemands, plusieurs siècles après avoir émigré. En revanche, une génération suffit pour que les Allemands émigrés aux Etats-Unis cessent de se sentir allemands et deviennent des Américains conformes aux autres. Cela soulève une rude question à laquelle on ne peut répondre en deux phrases. Cette question prouve en tout cas que tout ne dépend pas de la « race », comme on disait jadis. Les Américains venus d’Europe ont pourtant conservé les qualités « animales » de leurs origines : énergie, fougue entreprenante ou combattive, esprit inventif… Mais leurs « représentations » ont été transformées par leur transplantation dans le Nouveau Monde. C’est dû sans aucun doute au conformisme écrasant de la société américaine si bien décrit par Tocqueville. Le formatage des esprits est dû certainement aussi à l’imprégnation du rêve biblique des fondateurs qui ont transmis leur certitude d’être le nouveau « peuple « élu » chargé d’apporter au monde entier « l’esprit du capitalisme », pour reprendre la formulation de Max Weber (6). N’oublions pas que le commentaire quotidien de la Bible est obligatoire dans les écoles américaines, comme le serment au drapeau étoilé. Tout en évoluant, la « représentation » religieuse des fondateurs est devenue celle de la plupart des immigrants. Et cette religion politique implique de rompre avec toute la tradition européenne aristocratique et tragique.

    LD : Qu’en est-il ailleurs dans le monde ?

    DV : Ailleurs, les choses sont perçues de façon qu’imaginent rarement les Américains, pas plus d’ailleurs que les Européens. Pour faire comprendre cette réalité, je cite dans mon livre des témoignages tirés de l’expérience française. Par exemple celui de Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris, ancien président du Conseil français du Culte musulman. L’islam, explique-t-il, est « à la fois une religion, une communauté, une loi et une civilisation. […] Ne sont pas seulement musulmans ceux qui pratiquent les cinq piliers de l’islam, mais tous ceux qui appartiennent à cet ensemble identitaire » (4). Le mot important est identitaire. Ainsi l’islam n’est-il pas seulement une religion. Il est même autre chose qu’une religion : « une communauté, une loi, une civilisation. » Quand on est imprégné de culture chrétienne, universaliste et individualiste, cela surprend. Pourtant, bien d’autres religions, même l’islam, comme je viens de le rappeler, ou le judaïsme, mais aussi l’hindouisme, le shintoïsme ou le confucianisme, ne sont pas seulement des religions au sens chrétien ou laïque du mot, c’est-à-dire une relation personnelle à Dieu, mais des identités, des lois, des communautés.

    LD : Cette perception nouvelle de l’identité pourrait-elle aider les Européens à se reconstruire ?

    DV : Oui, je pense qu’elle peut les aider à retrouver leurs liens identitaires forts, par-delà une religion personnelle ou son absence.

    LD : Quels liens ?

    DV : D’abord ceux d’une mémoire identitaire à réveiller. Des liens capables de les  armer moralement pour affronter la menace assez clairement dessinée de leur disparition dans le néant du grand brassage universel et de la « brasilisation ». De même que d’autres se reconnaissent fils de Shiva, de Mahomet, d’Abraham ou de Bouddha, ce n’est pas rien de se savoir fils et filles d’Homère, d’Ulysse et de Pénélope.

    LD : Dans un éditorial de La Nouvelle Revue d’Histoire, en janvier 2008, parodiant la formule célèbre de Maurras, «Politique d’abord», vous écriviez que, devant les  immenses changements de perspectives imposés par le choc de l’histoire, il faudrait plutôt dire désormais : « Mystique d’abord, politique ensuite ». Qu’est-ce que cela signifie ?

    DV : Cela signifie que les anciens critères de l’action politique telle qu’elle fut conduite en Europe jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ont été ruinés par la faute des Européens eux-mêmes, par leur démesure, sans compter les entreprises toxiques des nouvelles puissances hégémoniques, à commencer par les Etats-Unis d’Amérique. Quels que soient les mérites de l’action politique, ce n’est pas elle qui peut rendre aux Européens la conscience forte de ce qu’ils sont. Cette conscience de l’identité en tout, y compris en politique, appartient à l’ordre de la mystique ou de la croyance. Autrement dit, aucune action politique de haut niveau n’est concevable sans le préalable d’une mystique identitaire capable de la diriger. Ces réflexions sont au centre de ma pensée depuis très longtemps. J’en trace les lignes directrices dans le livre dont nous parlons.

    LD : Le choc de l’histoire se rapporte à des questions que vous étudiez depuis longtemps. Qu’est-ce qu’apporte votre nouveau livre ?

    DV : Ce livre constitue une synthèse, sous la forme originale et dynamique d’entretiens conduits par Pauline Lecomte (7). La perception des bouleversements historiques est au cœur de mes travaux et réflexions d’historien depuis longtemps. Elle inclut les relations entre religion et identité, continuité et renaissance des civilisations, conçues elles-mêmes comme l’expression spécifique de l’identité des peuples sur la longue durée. C’est ainsi que l’Europe, dans sa très longue histoire, avant même de porter son nom, a trouvé des réponses multiples, irriguées par une tradition qui a sa source dans les poèmes homériques, expression eux-mêmes d’un héritage indo-européen multimillénaire. 

     

    Notes :

    1. Dominique Venner, Le Choc de l’histoire, Editions Via Romana (www.via-romana.fr). Edition de luxe numérotée de 1 à 100 sur papier vergé de luxe, dédicacée par l’auteur : 39 €. Edition normale : 19,50 €.

    2. Carl Schmitt a perçu très tôt la réalité nouvelle de la disparition des souverainetés nationales et de la fin de l’ancien jus publicum europaeum en tant que limitation de la guerre entre les États, remplacé par le droit américain de la guerre illimitée et la criminalisation de l’ennemi. Il a conceptualisé cette nouveauté dès 1932 dans son étude La Notion de politique (Der Begriff des Politischen), traduction française préfacée par Julien Freund, avec en complément Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.

    3. Propos publiés par L’Action française 2000 du 19 mai 2011, p. 16.

    4. Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, 1969.

    5. Jordis von Lohausen, Les empires et la puissance. La géopolitique aujourd’hui, Paris, Livre club du Labyrinthe, 1985.

    6. Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, (1920), traduction Paris, Plon, 1964.

    7. Propos rapportés par Le Figaro Magazine du samedi 29 juin 2002.

    8. Pauline Lecomte est l’auteur d’un essai, Le paradoxe vendéen, Paris, Albin Michel, 2004.

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  • Dominique Venner et le choc de l'histoire...

    A l'occasion de la sortie prochaine de son nouveau livre Le choc de l'histoire  chez Via Romana, Dominique Venner répond à Novopress et présente son oeuvre d'historien et de praticien de l'histoire.

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  • Théories de la mondialité...

    Nous vous ignalons la parution récente aux éditions L'Harmattan d'un ouvrage de Gérard Dussouy intitulé Théories de la mondialité. L'auteur est professeur de géopolitique à l'université Montesquieu de Bordeaux.

    Il est possible d'écouter ci-dessous une interview récente de Gérard Dussouy donné à Novopress.

     

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    La mondialité est un fait social total.
    Cela est le résultat du progrès des communications et de la mondialisation du capitalisme. Un système mondial s'est mis en place, mais dont on a du mal à dessiner les contours et à en préciser le fonctionnement. C'est pourquoi dans ce livre, et dans la continuité épistémologique des deux premiers tomes de son traité, Gérard Dussouy, dissèque les théories que la mondialité engendre. En premier lieu, celles qui traitent du pouvoir de l'économie de fixer un ordre marchand mondial qui dépasse les Etats.
    En second lieu, celles qui postulent une société mondiale cosmopolite, bâtie sur les réseaux d'acteurs et soumise à des régulations transnationales. A cette occasion, il mène une analyse théorique des réseaux de pouvoir qui faisait défaut jusqu'à aujourd'hui. Dans les deux cas, l'auteur n'a pas de difficulté à mettre en évidence divers enjeux rédhibitoires qui renvoient au concept de puissance : le changement hiérarchique au sein d'une globalisation économique chaotique : les défis de la démographie, de la culture et de l'écologie dans l'hypothèse de la société mondiale.
    Face à ces théories impuissantes à rendre la complexité du monde, Gérard Dussouy insiste sur la nécessité de penser une herméneutique de la mondialité dont il précise ici certains fondements. Au final, les analyses de l'auteur s'avèrent très préoccupantes pour les Européens. La récession née du krach de l'été 2008 pourrait être le début d'une crise structurelle et existentielle profonde.
    • L'ORDRE MARCHAND
    •  
    • La théorie des régimes internationaux et son contexte
    • Le pouvoir économique dans la globalisation, objet central de l'Epi
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    • L'HYPOTHESE HASARDEUSE DE LA " SOCIETE MONDIALE "
    •  
    • Transnationalisme et vision réticulaire du monde
    • Une société globale de bientôt neuf milliards d'individus ? les défis de la démographie, de la culture, de l'écologie
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    • CONCLUSION DU TRAITE : UNE HERMENEUTIQUE DE LA MONDIALITE
    •  
    • Complexité et pragmatisme méthodologique
    • La géopolitique systémique en tant qu'herméneutique
    • Les conséquences géopolitiques de la globalisation
     
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  • "Maurras : une victime de l'inculture contemporaine..."

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien paru dans Flash magazine et reproduit sur le site Voxnr, dans lequel Alain de Benoist répond aux questions de Christian Bouchet sur Charles Maurras.

     

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    Christian Bouchet : Vous avez écrit sur Charles Maurras, vous êtes connu comme possédant dans votre bibliothèque un rayon de Maurassiana que nombre d’Universités vous envieraient, vous êtes-vous jamais considéré comme maurrassien ou, a minima, comme influencé par sa pensée ?

    Alain de Benoist : Non, jamais. À l’âge de seize ans, j’ai fréquenté pendant quelques mois un cercle d’Action française. Ce que j’y ai entendu ne m’a pas convaincu. Par la suite, j’ai du lire cinq ou six cents livres de et sur Maurras – j’ai même publié une bibliographie maurrassienne de près de deux cent cinquante pages –, sans que cela fasse de moi un disciple du maître de Martigues. La pensée de Maurras est à la fois l’héritière de l’école contre-révolutionnaire et du positivisme d’Auguste Comte ; or, je ne suis ni un positiviste ni un contre-révolutionnaire. Maurras était convaincu qu’aucune forme de souveraineté politique ne pouvait s’étendre au-delà de la nation ; je suis un Européen convaincu. Maurras pensait que la solution des problèmes de la France impliquait un retour à la monarchie. Qui peut encore croire cela aujourd’hui dans notre pays – exception faite peut-être des immigrés marocains qui sont généralement de grands admirateurs de leur roi ? Que l’état général de la société soit aujourd’hui le même dans tous les pays occidentaux, qu’ils soient des républiques ou des monarchies, montre que Maurras surestimait nettement les mérites de l’institution.

    Idéalisant l’Ancien Régime, Maurras n’a pas vu comment la monarchie française, désireuse de liquider l’ancien ordre féodal, a constamment promu la bourgeoise au détriment de l’aristocratie, ni comment elle s’est employée à mettre en œuvre un processus de centralisation politique et de rationalisation administrative que la Révolution, comment l’avaient bien vu Tocqueville, Renan ou Sorel, a seulement accélérée et aggravée. Hostile à la Révolution, il se réclamait du nationalisme, sans réaliser que c’est seulement à partir de 1789 que le mot « nation » prend un sens politique : « Vive la nation ! » est à l’origine un cri de guerre contre le roi.

    Je suis tout aussi en désaccord avec le classicisme de Maurras (probable compensation de son romantisme intérieur), qui débouche souvent sur une apologie implicite du rationalisme, avec sa critique de la démocratie, que je trouve bien conventionnelle, et bien sûr avec sa germanophobie (les Allemands n’étaient pour lui que des « candidats à l’humanité » !). Lui qui admirait tant les « quarante rois qui ont fait la France » aurait dû se souvenir que les dynasties mérovingienne, carolingienne et capétienne étaient toutes d’origine germanique, et que le nom même de la France lui vient d’un conquérant germain.

    Cela dit, n’ayant jamais été maurrassien, je ne m’en sens que plus libre pour affirmer l’importance de Charles Maurras dans l’histoire des idées. Maurras est certes resté aveugle sur bien des choses – il n’a aucun regard sociologique, ignore tout des doctrines économiques et, de façon générale, ne sait analyser aucun des facteurs à l’œuvre dans les dynamiques sociales –, mais son œuvre n’en est pas moins imposante, et même incontournable. Il représente en outre l’exemple rare d’un homme qui sut être à la fois un théoricien politique et un journaliste de haut niveau, tout en ayant aussi une production poétique et littéraire considérable, et en animant un mouvement politique qui a perduré pendant plus d’un siècle. Il y a enfin chez lui un héroïsme intellectuel auquel je suis sensible. Le problème, c’est que les gens de gauche se sentiraient déshonorés de lire Maurras, et que les gens de droite préfèrent regarder la télévision. Condamné par l’Église de 1926 à 1939, désavoué par son Prince, prisonnier de son public, victime de lui-même, Maurras est aujourd’hui l’un de ceux, innombrables, qui font les frais de l’inculture contemporaine. Moi qui n’ai jamais partagé ses idées, je trouve que c’est un scandale.

    Christian Bouchet : Les héritiers politiques de Maurras relèvent, en quasi-totalité, de la butte-témoin idéologique et de l’engagement muséal. Comment se fait-il, alors que Maurras a eu quelques continuateurs brillants, que ceux-ci n’aient pas su actualiser sa pensée pour le XXIème siècle ?

    Alain de Benoist : Il est difficile d’actualiser au XXIème siècle la pensée d’un homme qui, à bien des égards, était déjà dépassé au XXème. Maurras est avant tout un homme de la fin du XIXème siècle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des meilleurs analystes du maurrassisme estiment que la période de l’Action française la plus intéressante est celle de ses débuts. À l’époque où L’Action française n’était encore qu’une petite « revue grise », l’AF n’hésitait pas à professer des idées fédéralistes et socialisantes, ainsi que le faisait au même moment le jeune Barrès dans La Cocarde, et même à lancer des appels à la classe ouvrière. Maurras allait jusqu’à écrire : « Otez la démocratie, un communisme non égalitaire peut prendre des développements utiles » ! Mais l’AF s’est condamnée elle-même en 1914, en se ralliant au système au nom de l’« union sacrée » – erreur que Georges Sorel n’a pas commise. Après la Première Guerre mondiale, où elle paya d’ailleurs un lourd tribut, elle devient une ligue qui va devenir de plus en plus captive d’un public conservateur et réactionnaire.

    Il est arrivé aux maurrassiens ce qui arrive à tous ceux qui se réfèrent à un seul maître, surtout quand celui-ci est l’homme d’un système (en l’occurrence le royalisme, dont il prétendait démontrer la nécessité à la façon d’un théorème). Victimes de leur dévotion pour le vieux Maurras qui-avait-tout-prévu et qui-ne-s’est-jamais trompé, ils ont été incapables de mesurer les limites de sa pensée, condition indispensable pour la renouveler. L’Action française, qui a été affectée durant toute son existence par d’innombrables scissions, est aujourd’hui en phase terminale. L’historiographie dont elle fait l’objet – et ce n’est sans doute pas une coïncidence – se porte au contraire plutôt bien. Je pense ici surtout à la série de colloques internationaux sur Maurras et l’Action française organisés à l’initiative d’Olivier Dard, de l’Université de Metz. La lecture des actes de ces colloques est absolument passionnante parce qu’elle nous apprend beaucoup de choses que l’on ignorait encore hier.

    Christian Bouchet : Pensez-vous qu’un maurrassisme républicain soit possible et puisse être d’actualité ? Et tout particulièrement dans le champ des relations internationales ?

    Alain de Benoist : Un « maurrassisme républicain » ? Un dévot d’Action française parlerait d’oxymore ! je n’y crois guère moi non plus, à moins de faire de cette formule un synonyme de ce qu’on appelle aujourd’hui le souverainisme – le thème de « la France seule » pouvant éventuellement servir de point de passage. Mais alors, ce sont les limites de ce souverainisme qu’il faudrait souligner. Les critiques des souverainistes sont souvent justes, mais ce qu’ils proposent relève du restaurationnisme. Un seul exemple : c’est très bien de dénoncer la « mondialisation libérale », mais si c’est pour en revenir au bon vieux capitalisme patrimonial, en s’imaginant qu’il cesse d’être un système d’exploitation dès lors que son action s’inscrit dans le cadre national, à mon avis, cela ne vaut pas la peine. Et puis, n’oublions quand même pas ce que Maurras écrivait dans L’Action française du 10 juin 1912 : « Ni implicitement ni explicitement, nous n’acceptons le principe de la souveraineté nationale, puisque c’est au contraire à ce principe-là que nous avons opposé le principe de la souveraineté du salut public, ou du bien public, ou du bien général » !

    (Entretien paru dans Flash magazine n°71)

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  • Les débuts de la démondialisation...

    Vous pouvez visionner ci-dessous un entretien avec l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir dans lequel il développe les idées exposées dans son dernier livre intitulé La démondialisation (Seuil, 2011).

     


    XERFI Canal : La démondialisation, avec Jacques... par GroupeXerfi

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  • Libye : vers une défaite politique du couple anglo-français ?...

    Vous pouvez écoutez ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à la Radio iranienne de langue française à propos de la guerre en Libye et des tentatives de marche arrière de notre pays pour sortir rapidement du conflit.

     

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