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  • Le feu aux poudres...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros cueilli sur Geopragma et consacré à l'offensive déclenchée par Israël contre l'Iran et à ses suites potentielles.

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    Le feu aux poudres

    Il est difficile de comprendre l‘attaque « préventive » (une notion non reconnue par le droit international) d’Israël sur les infrastructures militaires, nucléaires, énergétiques et politiques (avec une série d’assassinats de personnalités militaires et scientifiques iraniennes) de l’Iran dans la nuit de jeudi à vendredi dernier autrement que comme le clou mis avec jubilation dans le cercueil d’un monde qui semblait enfin en passe de pouvoir retrouver un équilibre adapté à la nouvelle configuration des forces planétaires.

    Pur sabotage. « La multipolarité ne passera pas » dit Washington au monde via Tel-Aviv.

    Après l’impasse des pourparlers entre les Etats-Unis et la Russie sur l’Ukraine, orchestrée depuis l’entourage même du président Trump, voilà donc le Moyen-Orient qui s’embrase, mettant opportunément en péril la perspective d’un accord réaliste sur le nucléaire iranien qui aurait permis à ce pays de sortir enfin du marasme économique dans lequel les sanctions occidentales l’ont plongé depuis près de 20 ans. Cette attaque repousse aussi aux calendes grecques la perspective de reconnaissance d’un État palestinien qui semblait s’imposer de nouveau du fait de l’opprobre général suscité par la politique de terreur du gouvernement israélien sur le Hamas mais surtout sur les populations palestiniennes de la bande de Gaza depuis octobre 2023. Le sixième round à Oman des négociations indirectes USA-Iran est en panne, comme le sommet sur le règlement de la question palestinienne qui devait se tenir mardi à l’invitation de la France et avec la participation de l’Arabie Saoudite.

    Les questions fusent de toutes part sur l’ampleur de l’escalade choisie par Tel Aviv, la durée et l’extension prévue de la campagne de décapitation, la capacité réelle de représailles de l’Iran – que Trump pousse sans rire à négocier sous peine d’annihilation -, sur le niveau d’infiltration de l’Iran par le Mossad, l’entrée officielle de Washington dans le conflit, les réactions de Moscou et de Pékin…

    Bref, nous voici de nouveau en plein Far West. Face à un tel niveau de double standard et d’impunité, on se demande si les « Indiens » – ici les Iraniens, comme les Russes dans le cas de l’Ukraine – ne devraient pas cesser d’être crédules ou légalistes pour se faire respecter. Être les plus intelligents ou patients ne suffit pas toujours quand on veut vous faire la peau.

    Au-delà de l’illégalité totale de l’action israélienne, et si l’on veut bien se donner la peine de raisonner avec un minimum de bon sens, chacun reconnaitra qu’il y a un vice de forme et de fond dans le narratif israélien entonné en chœur en Europe et à Washington. Au-delà du risque évident de prolifération régionale, que personne ne souhaite (notamment pas la Russie ou la Chine), un Iran accédant au rang de puissance nucléaire militaire, ce qu’il ne revendique d’ailleurs pas, n’est pas une menace existentielle pour Israël qui est à ce jour la seule puissance nucléaire de la région. C’est Téhéran qui dans les faits, est menacé existentiellement par Israël, non l’inverse. Or, la puissance nucléaire est une arme de non-emploi qui permet d’éviter la montée aux extrêmes, précisément par l’équilibre dissuasif de la terreur face au risque d’annihilation mutuelle que son acquisition instaure automatiquement. Le régime de Téhéran n’est pas plus irrationnel ou suicidaire que celui d’Israël. En conséquence, l’acquisition du statut de puissance nucléaire militaire aurait pour effet de sanctuariser ipso facto le territoire de la République islamique et d’empêcher Israël de pouvoir désormais surclasser l’Iran et se risquer de nouveau à toute offensive d’ampleur. C’est précisément cet équilibre que B Netanyahu veut empêcher. Car il faut bien reconnaitre que ce que l’on appelle depuis des décennies « l’équilibre stratégique au Moyen-Orient » est de fait un déséquilibre flagrant au profit exclusif d’Israël, puisque l’État hébreu est, dans la région, l’unique puissance nucléaire non avouée, non inspectée, non signataire – contrairement à l’Iran – du TNP donc non soumise aux inspections de l’AIEA. L’objectif israélien est donc d’empêcher ce rééquilibrage mais aussi tout accord sur le nucléaire civil, toute normalisation des relations économiques et politiques de l’Iran avec les États-Unis ou l’Europe et de forcer un changement de régime en Iran pendant qu’il le peut encore, pour y installer un pouvoir sous contrôle occidental permettant son accès au marché iranien et l’accaparement des richesses énergétiques, industrielles et technologiques de ce grand pays.

    Le gouvernement de B. Netanyahu depuis des décennies nourrit donc un lobbying intense en ce sens et la focalisation sur la menace militaire iranienne vis-à-vis de l’État hébreu vise à finir par légitimer officieusement des frappes présentées comme « vitales » pour la sécurité d’Israël, frappes devant être appuyées indirectement puis directement par Washington. Au risque d’entrainer le monde dans une escalade gravissime. Depuis la destruction en avril dernier du consulat iranien à Damas, cette campagne de provocations s’est très largement intensifiée et vient d’arriver à ses fins.

    D. Trump cautionne-t-il pleinement cette stratégie portée par le Deep State américain et les néo-conservateurs qui fourmillent toujours autour de lui et ne rêvent que d’une guerre perpétuelle pouvant permettre selon eux la survie de l’hégémonisme américain ?

    Si oui, les pourparlers en cours depuis deux mois n’auront été qu’une mascarade, et toutes les contorsions présidentielles actuelles (j’ai essayé de dissuader Bibi, j’ai été prévenu mais je n’ai rien fait, les Iraniens peuvent encore négocier et renoncer à tout programme nucléaire et puissance balistique ou mourir sous les bombes, etc..) visent à prétendre rechigner à une implication militaire directe pour rapidement se déclarer « obligé » de voler au secours d’Israël face aux représailles destructrices de Téhéran. En ce cas, Donald Trump aura peut-être sauvé ses élections de mi- mandat, mais aussi ruiné toute sa crédibilité extérieure pour la fin de son second mandat. Si non, il est très urgent pour lui de reprendre la main, d’exprimer son refus total et définitif d’obéir à Israël, ce qui calmera militairement la situation très rapidement et permettrait la reprise d’un dialogue tripartite avec Pékin et Moscou.

    Le premier cas de figure semble le plus probable malheureusement, tant on sait que l’attaque initiale et l’encaissement des représailles par Tel Aviv n’a pu être possible que grâce au soutien militaire et en renseignement de Washington, comme en témoigne notamment la livraison en amont de plusieurs centaines de missiles Hellfire à guidage laser livres le 10 juin à Israël mardi dernier, juste avant les premières frappes de la nuit de jeudi.

    Enfin, si l’on regarde de plus haut encore, l’attaque contre l’Iran est aussi une attaque contre le cœur énergétique et commercial des BRICS. Le Corridor international de transport nord-sud (INSTC) reliant l’Inde et la Russie via l’Iran doit, avec d’autres infrastructures, renforcer la connectivité eurasiatique des BRICS. L’effondrement de l’Iran et sa mise sous contrôle politique américain mettraient sérieusement en péril l’intégration eurasiatique, donc les intérêts de Pékin et Moscou, les trois pays étant liés par des accords très importants et multidimensionnels.

    A minima, ne soyons pas dupes des énormités servies par des « grands » médias qui ont clairement perdu toute boussole : pas plus qu’Israël ne « rend service », comme il le prétend, au monde entier en mettant à feu et à sang l’Iran, le sort des femmes ou du peuple iranien n’est une quelconque préoccupation, tandis que celui des civils israéliens qui paient aussi de leur vie cette attaque folle est manifestement aussi passé par « pertes et profits » dans ces calculs sinistres et dangereux.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 16 juin 2025)

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