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Entretiens - Page 199

  • France - Arabie saoudite : une dangereuse alliance...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une analyse par Aymeric Chauprade, cueillie sur Realpolitik, de la curieuse alliance de la France avec la monarchie saoudienne et des dangers qu'elle recèle...

     


    France / Arabie Saoudite : une dangereuse alliance par realpolitiktv

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  • Le pape François, vu d'ailleurs...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au pape François, qui achève bientôt la première année de son pontificat...

     

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    Le pape François veut une Église plus sobre, plus pastorale que doctrinaire

    Polémique sur notre nouveau pape, qui serait « marxiste » parce que fustigeant ce « libéralisme qui tue »… Retour à la doctrine sociale de l’Église catholique ?

    Dans son exhortation apostolique du 24 novembre dernier, Evangelii Gaudium, le pape François s’en est pris au système du marché en des termes absolument dénués d’équivoque. « Certains défendent encore, écrit-il, les théories qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. » Notant que, « pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence », il jette l’anathème sur le « fétichisme de l’argent » et la « dictature de l’économie sans visage ». Il dénonce les « idéologies qui défendent l’autonomie des marchés et la spéculation financière ». Il ajoute qu’on « ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus ». « Une telle économie tue », conclut-il. Il n’en fallait évidemment pas plus pour que les Américains le traitent de « socialiste »…

    Il s’agit en fait d’une claire condamnation du libéralisme. Le libéralisme met au centre de sa doctrine un individu fictif, détenteur de droits inhérents à sa propre nature qui le rendraient propriétaire de lui-même. Le mythe du marché autorégulateur et autorégulé n’est que la projection économique de cette conception d’un individu autosuffisant. Le capitalisme financier, qui a pris le relais du vieux capitalisme industriel et marchand, repose tout entier sur la spéculation et le crédit (c’est-à-dire le principe usuraire du prêt à intérêt, que l’Église a longtemps sanctionné). La condamnation qu’en fait le pape François contraste avec l’indulgence pour le « bon capitalisme » (le principe du « marché libre », la capacité des marchés à réguler la vie économique, etc.) que l’on a fréquemment constatée dans les milieux catholiques. Elle va très au-delà de la « doctrine sociale » de l’Église, qui a trop souvent versé dans le paternalisme. Dans son entretien avec le Kölner Stadt-Anzeiger du 20 janvier, le cardinal du Honduras Óscar Andrés Rodríguez Maradiaga, l’un de ses plus proches collaborateurs, n’a pas eu tort de parler d’une « nouvelle ère » inaugurée par le pape François.

    Le passé péroniste du pape François n’est plus un secret pour personne. Certains s’en inquiètent et d’autres s’en félicitent. Et vous ?

    Pourquoi m’en inquiéterais-je ? À partir de la fin des années 1960, le futur pape François a été en contact étroit avec la mouvance péroniste. Il fut en particulier l’un des compagnons de route de l’Organisation unique du transfert générationnel (OUTG), mouvement péroniste plus connu sous le nom de Garde de Fer argentine, une organisation restée célèbre pour sa rhétorique anticapitaliste fondée par Alejandro Álvarez, dit « el Gallego » (le « Galicien »). En 1975, c’est même l’intervention de Jorge Bergoglio, alors provincial des jésuites, qui permit à Álvarez et ses amis de prendre le contrôle de l’Université jésuite del Salvador. Ce qui le distinguait à cette époque des théologiens de la libération, ce n’était pas l’« option préférentielle en faveur des pauvres », mais son refus d’encourager la lutte armée. Cela dit, sa critique du libéralisme trahit aussi l’influence des écrits du théoricien nationaliste argentin Leonardo Castellani (1899-1981), surnommé le « Chesterton latino-américain », qu’il a également connu.

    Ce pape, de droite ou de gauche ? Progressiste ou traditionaliste ? En matière sociétale, il a fait des ouvertures. En matière de dialogue interreligieux, également. Jésuite un jour, jésuite toujours ?

    Benoît XVI était un professeur, le pape François se veut proche du peuple. Apprécié pour sa simplicité, son style direct, voire son humour, il souhaite de toute évidence une Église plus sobre, dont les représentants donneraient l’exemple d’une vie plus frugale, une Église plus pastorale que doctrinaire, plus en prise avec les « périphéries existentielles », c’est-à-dire les « vrais gens ». Il s’agit, dit-il, d’en revenir à l’« esprit évangélique de sobriété et de pauvreté », ce qui est plutôt sympathique. Beaucoup de catholiques ont oublié que les premiers disciples de Jésus le « Nazôréen » devaient renoncer à toute propriété privée et mettre leurs biens en commun (Actes 2,44). Et l’Église, dans son histoire, n’a pas été la dernière à ignorer l’avertissement évangélique selon lequel « on ne peut servir à la fois Dieu et l’argent » (Matt. 6,24).

    Cela dit, si la popularité débridée dont jouit le pape ne se réduit pas à un phénomène médiatique, elle ne doit pas non plus faire illusion. Les intégristes l’attaquent déjà pour son manque d’intérêt manifeste pour les questions liturgiques, sa volonté de canoniser Jean XXIII ou son « entêtement » à se présenter, non comme pape, mais comme simple « évêque de Rome », au risque de « désacraliser » sa fonction. Mais il décevra aussi les progressistes, qui s’imaginent naïvement qu’il va changer la doctrine catholique. Le pape François se montrera plus bienveillant, plus compréhensif (à propos des divorcés-remariés, par exemple), mais il ne changera rien à la condamnation dogmatique du mariage homosexuel ou de l’avortement. Significative est, en revanche, son intention de convoquer un nouveau Synode sur la famille, alors qu’il s’en était tenu déjà un en 1980, au motif que la famille de cette époque « n’existe plus aujourd’hui ». L’immense travail de réforme qu’il a entrepris pour assainir la Curie et les finances du Vatican va en outre radicaliser une opposition interne qui ne s’exprime pour l’instant que de façon feutrée, mais qui ne manquera pas de lui savonner la planche.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 février 2014)

     

     

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  • Surveillance et manipulation des masse...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien de Lucien Cerise avec Novopress à propos des questions de surveillance et de manipulation des masse. Lucien Cerise est l'auteur d'un essai intitulé Gouverner par le chaos (Max Milo, 2010 ) ainsi que du roman Oliganarchy (Le Retour aux sources, 2013).

     

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  • Hollande ou la soumission à la finance de marché...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux choix affiché par François Hollande d'une politique ouvertement libérale ...

     

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    François Hollande : entre Feydeau et Klapisch…

    Depuis quelques semaines, la France vit au rythme du vaudeville élyséen. Ce qui fait beaucoup rire Laurent Gerra, logique. Et vous ?

    Je ne m’intéresse pas un instant à la vie sexuelle de François Hollande, qui me paraît d’une grande banalité (normalité ?). Que sa libido monte avec le chômage ou baisse avec le pouvoir d’achat m’est parfaitement indifférent, et je me fiche éperdument de savoir s’il ambitionne d’épouser demain Leonarda, tandis que sa Valérie se mettrait en ménage avec Dieudonné. Nous ne sommes pas aux États-Unis où, puritanisme oblige, un candidat à l’élection présidentielle vivant en concubinage notoire n’aurait pas la moindre chance d’être élu. Je ne ferai que deux observations. L’une pour rappeler que le style, c’est l’homme. De ce point de vue, avec le scooteriste de l’Élysée, on navigue vraiment entre Feydeau et Cédric Klapisch, assez loin de l’élégance toute italienne avec laquelle Berlusconi assumait au moins ses soirées libertines. L’autre, plus fondamentale. Valérie Trierweiler est une journaliste, Julie Gayet une comédienne, Carla Bruni une chanteuse. On pourrait aussi citer Montebourg et Audrey Pulvar, Strauss-Kahn et Anne Sinclair, Bernard Kouchner et Christine Ockrent, et tant d’autres. Que les hommes politiques manifestent une invincible tendance à choisir leurs partenaires de sexe dans le monde de la communication, du show-business ou de la paillette médiatique confirme d’une manière extraordinairement révélatrice qu’ils appartiennent eux-mêmes désormais à la société du spectacle. Closer, complément du Journal officiel !

    Virage social-libéral ou social-démocrate ? Durant sa campagne, François Hollande a tenté de nous faire croire qu’il était « de gauche », avec la finance sans visage pour ennemi principal. Voudrait-il désormais se faire passer pour un homme « de droite » ?

    Les annonces économiques faites par François Hollande dans sa conférence de presse constituent le premier événement véritablement historique de son quinquennat. Les réactions ont été significatives. « Enfin ! », s’est écriée Laurence Parisot, dont le successeur, Pierre Gattaz, n’a pas hésité à présenter le MEDEF comme le véritable inspirateur de ce qu’il a décrit comme le « plus grand compromis social depuis des décennies », tandis que Jean-François Copé reconnaissait que ces mesures étaient « des propositions portées depuis des années par l’UMP ». Il y a longtemps, en effet, que le patronat demandait, en échange de promesses d’embauche illusoires, à être exonéré des cotisations familiales. Le « pacte de responsabilité », c’est en réalité d’abord 30 milliards d’euros de cadeaux aux actionnaires et aux grands patrons. C’est ensuite l’aveu du grand retournement de la politique économique du PS, son ralliement à la politique de l’offre et à l’ordre libéral, c’est-à-dire sa soumission à la finance de marché.

    Quand le PS se disait « socialiste », il était déjà social-démocrate. Aujourd’hui qu’il s’affirme « social-démocrate », il est en fait devenu libéral de gauche, voire libéral tout court (« ultralibéral », dit même Marine Le Pen). En satisfaisant aux revendications de classe du MEDEF, il donne à voir son vrai visage. « Mon ennemi, c’est la finance », disait en effet Hollande quand il était en campagne pour l’élection présidentielle. Avec des « ennemis » comme celui-là, on n’a plus besoin d’amis ! Le chef de l’État n’a pas seulement cocufié Valérie Trierweiler mais aussi, ce qui est plus grave, tous ceux qui ont voté pour lui. Permettez-moi d’être plus sensible à son virage libéral qu’à son tournant libidinal.

    Si la gauche semble aujourd’hui s’égarer, grande est l’impression que la droite se perd aussi, paraissant maudire les effets dont elle chérit les causes. Soit tout le paradoxe de journaux tels que « Valeurs actuelles » ou « Le Figaro Magazine », dans lesquels l’immigration est à juste titre dénoncée, mais qui continuent de prôner un capitalisme financiarisé et transnational. Peut-on être capitaliste et de droite ?

    Il existe une tradition anticapitaliste de droite, qu’on a trop oubliée. Elle a malheureusement souvent versé dans l’exaltation du corporatisme ou la dénonciation conspirationniste des « Rothschild », des « 200 familles » ou des méchants banquiers. Par myopie ou paresse intellectuelle, il lui a manqué une analyse en profondeur de l’essence même du capital. Il est évidemment plus facile de bavarder sur les dernières péripéties politiciennes que de s’interroger sérieusement sur la théorie de la valeur, la crise de valorisation du capital, le fétichisme de la marchandise et la réification des rapports sociaux.

    À une époque où la mondialisation capitaliste ne cesse d’aggraver les inégalités, non seulement entre les pays, mais à l’intérieur de chaque pays, il serait temps pour les gens « de droite » de réaliser que le capitalisme s’est aujourd’hui pleinement révélé comme un système beaucoup plus foncièrement « cosmopolite » et plus destructeur d’identités collectives que ne l’a même jamais été le communisme. Et qu’il l’est depuis ses origines : le marchand, expliquait déjà Adam Smith, n’a d’autre patrie que l’endroit où il réalise son meilleur bénéfice.

    L’essence même du capitalisme mondialisé veut qu’il détruise tout ce qui peut faire obstacle à l’expansion planétaire du marché, à commencer par toute forme de société traditionnelle, et en même temps que s’impose un type anthropologique d’individu malléable, acquis aux seules valeurs marchandes, consommateur d’autant plus docile qu’il sera coupé de tous ses repères. Le principe même de suraccumulation du capital, la logique de l’illimitation (le « toujours plus ») font que le capitalisme déstabilise tout ce qu’il touche, qu’il étend partout le désordre, l’entropie et le chaos, le mélangisme et l’indistinction. Il y a de ce point de vue une parfaite complémentarité entre le libéralisme économique « de droite » et le libéralisme sociétal « de gauche », complémentarité dont le gouvernement Hollande, qui est vraiment tout sauf un gouvernement « socialiste », donne aujourd’hui un exemple achevé.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier, (Boulevard Voltaire, 28 janvier 2014)

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  • Les élites françaises ont-elles honte de la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Marie-Françoise Bechtel, cueilli sur le site de l'hebdomadaire Marianne et consacré au mépris d'une grande majorité des "élites" françaises pour leur pays. Conseiller d'état, Marie-Françoise Bechtel a dirigé l’École Nationale d'Administration et est actuellement député du Mouvement républicain et citoyen (chevènementistes).

     

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    Les élites françaises ont honte de la France

    Marianne : Vous venez d'affirmer dans un entretien publié dans l'Expansion que «la spécificité française tient surtout à la détestation des élites envers la nation». Pouvez-vous préciser cette pensée et la justifier par quelques exemples ?

    Marie-Françoise Bechtel : C'est une idée qui me poursuit depuis assez longtemps. Je me souviens l'avoir soutenue pour la première fois dans un entretien accordé à Joseph Macé-Scaron dans le Figaro fin 2000. Je lui avais dit que j'étais très frappée de voir à quel point les élites britanniques étaient fières de leur nation. Aujourd'hui, pour moi, c'est plus que jamais un constat absolu et évident. Les élites françaises ont honte de la France, ce qui n'empêche qu'elles peuvent avoir un comportement extrêmement arrogant, même si cela peut paraître paradoxal. Je cite souvent l'exemple de Jean-Marie Messier. Ce pur produit des élites françaises avait qualifié les Etats-Unis de «vraie patrie des hommes d'affaires», et ce, juste avant de s'y installer. Ici, le propos est chimiquement pur. Toutes les élites ne sont pas aussi claires, mais beaucoup n'en pensent pas moins.

    Ça ne fait qu'un exemple !

    M.-F.B. : Je peux vous en trouver des dizaines. Prenons celui des grands patrons dont les groupes investissent à l'étranger et qui se soustraient au versement de leurs impôts en France. Vous ne pouvez pas dire que ce sont des comportements patriotiques... Total ne paie quasiment pas d'impôts en France. Bien sûr, à l'étranger, nombreux sont les groupes qui ont les mêmes comportements, mais ils savent être présents quand leur pays a besoin d'eux. Regardez aussi la façon dont on traite les commémorations de la guerre de 1914-1918 : les élites, dont le PS, incriminent les nations. On oublie que les peuples ne voulaient pas la guerre, et que c'est le déni de la nation qui nous entraîne aujourd'hui dans une Europe qui ne cesse de faire monter l'extrême droite. Autre exemple qui m'a été raconté de première main et qui illustre ce mélange de déni et d'arrogance. Dans les négociations européennes de 1997 à 1999, en vue de la conclusion du traité de Nice, Pierre Moscovici, alors ministre délégué aux Affaires européennes, avait traité les petits pays avec une morgue incroyable, coupant la parole aux uns, leur demandant d'abréger leur discours, exigeant que le représentant de la Belgique se taise. C'est ce même Pierre Moscovici, toute son action le démontre, qui est persuadé que la nation française a disparu, que nous sommes devenus une région de la grande nébuleuse libérale et atlantisée.

    Face à ça, dans cette période de crise, en France, le peuple se replie sur la nation, et comme on lui interdit d'être fier de son pays, qu'à longueur d'émission de télévision on lui explique que la France est une nation rance et sur le déclin, il prend le mauvais chemin, une mauvaise direction. Tous ces petits messieurs font le jeu du Front national.

    Mais il est intéressant aussi de se demander quand ce mépris de la nation a commencé à se développer chez nos élites. Je pense qu'une réponse se trouve dans les écrits de Jean-Pierre Chevènement. Il a pour la première fois, me semble-t-il, abordé cette question dans la République contre les bien-pensants, dans les années 90, il l'a ensuite développée dans La France est-elle finie ? En substance, il démontre que cette haine de la France et du peuple date de l'immédiat après-guerre, et je partage cette idée. Je pense que les élites ont trahi le peuple, qu'elles se sont compromises avec le régime de Vichy et qu'elles portent sur leur dos la défaite de 1939, «l'étrange défaite». C'est à ce moment-là que tout se joue. J'ai recueilli à travers des entretiens qui vont d'ailleurs être prochainement publiés les souvenirs du dernier membre vivant du CNR, Robert Chambeiron. Il explique avec beaucoup de précision l'état des partis politiques en 1940. La situation était catastrophique ! Ils n'ont plus aucune légitimité. Robert Chambeiron raconte ce discrédit et la façon dont peu à peu les principaux partis se sont reconstitués en admettant la nécessité d'une union nationale. Il raconte le premier entretien dans une pissotière entre Daniel Mayer, qui représente la SFIO, et l'envoyé du PC. L'entrée en matière est violente. Le premier envoie à l'autre les accords Molotov-Ribbentrop, l'alliance entre Staline et Hitler. Le communiste s'offusque et lui répond : «Comment pouvez-vous nous faire la morale après Munich ?» Tout le monde s'était déballonné devant Hitler. La chance des partis, il faut bien le dire, ça a été les Etats-Unis. Les Américains se méfiaient de De Gaulle, ils voulaient s'assurer du soutien des partis et des syndicats. C'est Washington qui les a réellement remis en selle.

    Après la guerre, la droite a eu une chance, c'est ce même de Gaulle. De Gaulle a racheté la droite. C'est pour cela que toute la droite s'est retrouvée gaulliste pendant de longues années. Mais cela n'a pas duré...

    Si de Gaulle a racheté la droite, qui pourrait racheter la gauche ?

    M.-F.B. : C'est une bonne question, celle de savoir si la gauche est rachetable. Je ne vois qu'une seule personne pour la racheter, c'est Jean-Pierre Chevènement. Pierre Mendès France y a participé à sa manière et je ne pense pas que François Mitterrand mérite tout le mal que de nombreuses personnes disent de lui. Mais je ne dirais pas qu'il a racheté la gauche parce qu'il a fait l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui.

    Aucune partie de nos élites ne trouve grâce à vos yeux ?

    M.-F.B. : Je n'ai aucune admiration pour la grande majorité des élites économiques, mais je pense qu'il y a des exceptions. Ainsi, par exemple, Jean-Louis Beffa, l'ancien patron de Saint-Gobain, me semble avoir encore une conscience nationale. En revanche, ce n'est pas du côté des banques qu'il faut chercher. L'épargne française est énorme, 17 % du revenu... Qu'en font-elles ? Rien, ou plutôt rien d'utile à notre pays. Quant aux élites politiques, je les fréquente au quotidien, ils sont atteints d'un double syndrome : d'une part, ce que mon ami Sami Naïr appelle le «bonisme», c'est-à-dire la bien-pensance vertueuse. D'autre part, elles sont obsédées par l'idée que la gauche manque de légitimité. Celle-ci doit donc être convenable et le montrer. A chaque fois que des ministres se font agresser par la droite, ils se défendent en disant qu'ils respectent les codes du monde libéral. Aujourd'hui, je ne vois guère qu'Arnaud Montebourg qui sorte du lot, même s'il y a quand même des ministres qui travaillent utilement, Michel Sapin par exemple.

    Dans les médias aussi, c'est un peu la Berezina. Le mot «nation» hérisse. Libération reste le journal du courant «libéral-libertaire», même si on y trouve encore quelques pépites ici et là. Le Monde ne cesse de me décevoir, cela remonte déjà à assez loin et c'est encore plus vrai ces derniers temps, il ne reste plus grand-chose de ce grand journal. Le Figaro ? Il est devenu l'organe officiel de la mise en accusation de la gauche au pouvoir et à peu près rien de plus.

    Et les hauts fonctionnaires ? En tant qu'ancienne directrice de l'ENA et en tant que conseillère d'Etat, vous en avez beaucoup côtoyé...

    M.-F.B. : Généralement, ils partagent l'idéal européiste angélique et vertueux. Ils ont tous appris que «l'Europe est notre avenir». Sur ce sujet, leur esprit critique est assez peu développé. Ils pensent tous que la France est une affaire dépassée.

    Mais il faut se méfier des amalgames. Dans cet univers, il y a d'abord et surtout Bercy. Le gros morceau, c'est le couple Trésor-Budget. C'est là où tout se joue, tout se décide. C'est impressionnant, le pouvoir qu'ils ont, et je pèse mes mots. Laisser faire Bercy, c'est une grave erreur. D'abord, ces messieurs se méfient des politiques. Ils font bloc. J'ai été membre de la mission d'enquête sur l'affaire Cahuzac, eh bien, nous n'avons rien obtenu des directeurs ou responsables de ces deux administrations. Rien. Aucune réponse ! Blanc ! C'était impressionnant. Mais il y a en même temps des différences entre les deux. Les gens du Trésor sont toute la journée dans l'avion, un jour à Singapour, le lendemain à New York, pour placer l'argent public. Ils pensent en anglais. Au bout d'un certain temps, ils ne connaissent plus la France, c'est juste leur employeur. L'autre administration de Bercy qui compte, c'est le Budget, et cette direction serait plutôt gangrenée par l'idéologie allemande, si j'ose dire. Elle est devenue obsédée par l'équilibre budgétaire.

    En dehors de ces deux administrations, certaines se tiennent encore bien. Je pense d'abord à mon corps d'origine, le Conseil d'Etat. La plus haute juridiction administrative française a longtemps résisté aux dérives européennes.

    Même si c'est fini aujourd'hui, et je le déplore, elle reste une instance irremplaçable de conseil. Je pense ensuite à la préfectorale. Le corps des préfets me semble être une institution qui résiste. Elle le fait d'abord parce qu'elle est un corps qui représente l'Etat et non les féodalités régionales. Ces hauts fonctionnaires sont en contact avec la diversité des problèmes, ils vivent en province, rencontrent quotidiennement les Français. Il y a aussi l'armée. Lorsque j'étais directrice de l'ENA, j'ai rencontré régulièrement les dirigeants de Polytechnique ou de Saint-Cyr. L'armée a fait un très gros effort pour s'ouvrir à la nation, après la malheureuse suspension du service national par Jacques Chirac.

    Mais vous avez une responsabilité dans cette histoire puisque vous avez sélectionné les élites et vous les avez formées lorsque vous étiez à l'ENA !

    M.-F.B. : Il y a deux choses que je dois d'abord préciser. En tant que directeur de l'ENA, vous ne formez personne, ce sont les grandes administrations qui désignent les enseignants dans l'école. En revanche, c'est moi qui proposais au ministre les membres du jury, et j'avais d'ailleurs à l'époque choisi un journaliste de Marianne. Notre regretté Philippe Cohen avait ainsi participé à la sélection des futurs hauts fonctionnaires. Le deuxième élément que le grand public ignore souvent, c'est que l'ENA fonctionne comme une école d'application de Sciences-Po. Car, ne nous trompons pas, c'est Sciences-Po, la grande école. C'est là que les étudiants sont formés, voire déformés. Or Sciences-Po est devenue «l'école du marché», selon les termes mêmes de Richard Descoings, qui a reformaté cette école. Cet homme, à la fois très intelligent et très dangereux, était persuadé que le marché était la loi et que la loi était le marché. Il n'avait d'ailleurs pas vu venir la crise. Mais il a légué à cette école un formatage sans précédent. La victoire du marché se mesure aussi parce qu'il y a de plus en plus d'élèves d'écoles de commerce, notamment de HEC, qui entrent à l'ENA, tout ce petit monde jurant, la main sur la poitrine, que depuis sa plus tendre enfance il rêve de servir l'Etat. La conséquence est dramatique, ils récitent des discours appris. Je me souviens que de nombreux membres du jury m'ont dit que ces étudiants étaient tellement formatés que c'était difficile, voire impossible de les choisir, et encore moins de les classer. Et quand ils sont choisis, je me suis aperçue que je ne pouvais plus grand-chose pour des gens aussi - comment dire ? - fermés sur des certitudes, aggravées par le manque de culture.

    D'où peut venir l'espoir ?

    M.-F.B. : Je suis d'un tempérament optimiste. Regardez les Allemands. Il y a un renouveau de la langue et, au-delà, de la fierté allemande. Il y a dix ans, douze ans, j'avais été invitée à un colloque sur un thème tout particulièrement intéressant aujourd'hui : l'Allemagne a-t-elle le droit d'avoir sa propre élite ? L'Allemagne était à ce moment-là dans un trou, elle n'allait pas très bien. Il y avait là un conseiller de Gerhard Schröder qui était un peu sa tête pensante, un homme très connu à l'époque, je lui ai fait remarquer ma surprise de voir des Allemands qui parlaient en anglais de l'avenir des élites allemandes. Cela me paraissait très paradoxal. Eh bien, ce jour-là, nos hôtes me faisaient part de leur envie : «Vous vous rendez compte, dès que vous avez une réunion publique, politique, vous avez la Révolution française derrière vous, cela vous porte, et nous n'avons pas d'équivalent. Pis, se référer au passé est difficile.»

    Je pense aussi que nous avons des bases solides. Nous sommes un très grand pays. Nous sommes encore la sixième puissance mondiale. Nous sommes encore une grande puissance économique, une grande puissance exportatrice, malgré notre déficit commercial. Je pense que tout cela est très mal enseigné. On devrait apprendre à nos élites le respect de cette histoire, de cette nation, et on leur apprend l'arrogance et la morgue.

    Troisième élément, et non des moindres : je ne sais pas si c'est la nation ou l'Etat qui résiste, mais quelque chose en nous résiste. Nos bases, jusqu'à un certain point, restent solides.

    Pour conclure, avec de tels propos, ne craignez-vous pas de rejoindre les intellectuels et politiques qui ont été qualifiés de «néocons» par l'hebdomadaire le Point ? Méfiez-vous, vous vous retrouvez en compagnie de Marine Le Pen...

    M.-F.B. : Oublions le ridicule inventaire du Point. Je pense que, si l'on avait davantage écouté Jean-Pierre Chevènement, mieux, si on l'avait élu en 2002, on verrait aujourd'hui ce qu'est la différence entre une conception ouverte, généreuse et patriotique de la nation et le repli frileux, pour ne pas dire infantile, sur des valeurs régressives. Le problème aujourd'hui est de faire comprendre aux Français que la nation bien comprise est source de modernité, non de repliement : mais comment le leur faire comprendre alors que, à gauche comme à droite, l'Europe telle qu'elle dérive est devenue «la grande illusion» ?

    Marie-Françoise Bechtel, propos recueillis par Bertrand rothé (Marianne, 19 janvier 2014)

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  • Logique hygiéniste et État maternel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque l'empire du Bien et son idéologie...

     

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    Gare à la logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique !

    Vous venez de publier aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux « Les démons du bien » , essai dont la première partie se veut une critique radicale de la tyrannie des bons sentiments. A quoi attribuez-vous l’émergence de ce néo-cléricalisme ?

    À l’esprit du temps. Mais l’esprit du temps n’est jamais que la résultante d’une tendance de fond. À partir du XVIIIe siècle, la montée sociale de la classe bourgeoise a simultanément marginalisé les valeurs aristocratiques et les valeurs populaires, en les remplaçant par ce que Tocqueville appelait les passions « débilitantes » : utilitarisme, narcissisme et triomphe de l’esprit de calcul. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme a, de son côté, permis à l’égoïsme de se draper dans un discours « humanitaire » dont la niaiserie est le trait dominant. L’accélération sociale et la montée de l’insignifiance ont fait le reste.

    L’un des traits caractéristiques de « l’empire du bien » est cet envahissement du champ politique par le lacrymal et le compassionnel qui fait qu’à la moindre catastrophe ayant une portée médiatique, les ministres se précipitent désormais pour exprimer leur « émotion ». C’est également révélateur de la submersion de la sphère publique par le privé. La vie politique bascule du côté d’une « société civile » appelée à participer à la « gouvernance » par des « demandes citoyennes » qui n’ont plus le moindre rapport avec l’exercice politique de la citoyenneté. Il est désormais beaucoup mieux vu (et aussi plus rentable) d’être une victime qu’un héros.

    Parallèlement, la marchandisation de la santé va de pair avec la médicalisation de l’existence, c’est-à-dire avec un hygiénisme dogmatique qui se traduit par une surveillance toujours plus grande des modes de vie. Elle prescrit socialement des conduites normalisées, cherchant ainsi à domestiquer toutes les façons d’être qui se dérobent aux impératifs de surveillance, de transparence et de rationalité. On assiste à l’instrumentalisation de la vie humaine au travers d’une logique hygiéniste imposée par l’État maternel thérapeutique.

    L’évolution du langage est également significative. On préfère parler désormais de « fractures sociales » – aussi accidentelles en somme que les fractures du tibia – que de véritables conflits sociaux. Il n’y a plus d’exploités, dont l’aliénation renvoie directement au système capitaliste, mais des « déshérités », des « exclus », des « défavorisés », des « plus démunis », tous également victimes de « handicaps » ou de « discriminations ». La notion de « lutte contre-toutes-les-discriminations » a d’ailleurs elle-même remplacé celle de « lutte contre les inégalités », qui évoquait encore la lutte des classes. Dans 1984, George Orwell expliquait très bien que le but de la « novlangue » est « de restreindre les limites de la pensée » : « À la fin, nous rendrons impossible le crime par la pensée, car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer. » Le politiquement correct fonctionne comme la « novlangue » orwellienne. L’usage de mots détournés de leur sens, de termes dévoyés, de néologismes biaisés ressortit de la plus classique des techniques d’ahurissement. Pour désarmer la pensée critique, il faut sidérer les consciences et ahurir les esprits.

    Les médias ne cessent de dénoncer la menace de l’« ordre moral », tout en nous faisant en permanence la morale. Paradoxe ?

    C’est tout simplement qu’une morale en a remplacé une autre. L’ancienne morale prescrivait des règles individuelles de comportement : la société était censée se porter mieux si les individus qui la composaient agissaient bien. La nouvelle morale veut moraliser la société elle-même. L’ancienne morale disait aux gens ce qu’ils devaient faire, la nouvelle morale décrit ce que la société doit devenir. Ce ne sont plus les individus qui doivent se conduire de façon droite, mais la société qui doit être rendue plus « juste ». L’ancienne morale était ordonnée au bien, tandis que la nouvelle est ordonnée au juste. Alors même qu’elles prétendent rester « neutres » quant au choix des valeurs, c’est à cette nouvelle morale, fondée sur le devoir-être (le monde doit devenir autre chose que ce qu’il a été jusqu’ici), qu’adhèrent les sociétés modernes. Nietzsche aurait parlé de « moraline ».

    L’essentiel de votre livre porte sur la théorie du genre, dont tout le monde parle en ce moment. Vous avez été l’un des premiers intellectuels à en faire une critique argumentée. Une fois de plus, à quoi attribuer ce phénomène venu des USA ? Et d’abord, de quoi s’agit-il exactement ?

    La théorie du genre est une théorie qui prétend déconnecter radicalement l’identité sexuelle du sexe biologique. Le sexe, remplacé par le « genre » (gender), serait une pure construction sociale. Cette théorie repose sur un postulat de « neutralité » de l’appartenance sexuelle à la naissance : il suffirait d’élever un garçon comme une fille pour en faire une femme, ou d’élever une fille comme un garçon pour en faire un homme. Ceux qui sont d’un avis différent sont accusés de propager des « stéréotypes » (on oublie qu’un stéréotype n’est jamais qu’une vérité empirique abusivement généralisée). Cette théorie a pour effet de confondre les deux sexes et de rendre plus difficile à chacun d’eux d’assumer son identité.

    La théorie du genre est en fait insoutenable. Non seulement son postulat d’une « neutralité sexuelle » originelle ne correspond pas à la réalité, mais on constate que l’appartenance sexuée favorise dès la plus petite enfance, avant tout conditionnement, des comportements spécifiques à chaque sexe. Cela ne signifie pas que les constructions sociales ne jouent aucun rôle dans la définition de l’identité sexuelle, mais que ces constructions sociales se développent toujours à partir d’une base anatomique et physiologique. La théorie du genre confond par ailleurs le sexe biologique, le genre (masculin ou féminin), l’orientation sexuelle et ce qu’on pourrait appeler le sexe psychologique (le fait qu’un certain nombre de femmes ont des traits de caractère masculins, et un certain nombre d’hommes des traits de caractère féminins). Reposant sur l’idée qu’on peut se créer soi-même à partir de rien, elle relève en fin de compte d’un simple fantasme d’auto-engendrement. Il faut pourtant la prendre très au sérieux. Dans les années qui viennent, c’est en référence à elle que l’on va voir se multiplier à l’infini les accusations de « sexisme ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 janvier 2014)

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