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Entretiens - Page 200

  • Entretien avec Guillaume Faye...

    Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits de l'entretien donné par Guillaume Faye au Blog de Thomas Ferrier. Guillaume Faye y aborde la situation politique actuelle, la mort de Dominique Venner, la question de l'Europe et celle du paganisme...

     

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    Entretien avec Guillaume Faye

    LBTF: Juste quelques mots sur ce que vous inspire l’actualité politique du moment : affaire Cahuzac, bilan de François Hollande, « mariage pour tous », baisse programmée des allocations familiales, taxation future et probable des Smartphones et plus généralement de tout appareil connecté, laxisme judiciaire, affaire du « mur des cons », affaire du RER de Grigny, émeutes à Trappes, Colombes, Stockholm, agression islamique d’un militaire à Londres, Paris, situation de guerre civile à Marseille, affaire Méric, affaire Vikernes, affaire syrienne (faut-il intervenir ou pas ? Intérêt ou pas pour l’Europe ?)…

    Guillaume FAYE: Pour tous ces commentaires politiques, vous voyez mon blog, J’ai Tout Compris ou gfaye.com Le gouvernement socialiste mène sa politique catastrophique dans la plus parfaite inconscience. C’est l’idéologie qui dirige, mêlée aux calculs politiciens classiques, à l’improvisation, etc. L’affaire Cahuzac est très amusante et reflète les terrifiantes contradictions de la gauche et de ce pays : voilà donc un ministre chargé de taxer et d’assommer fiscalement ses concitoyens qui, lui-même, fraude le fisc qu’il estime (d’ailleurs à juste titre) confiscatoire et racketteur. C’est l’arroseur arrosé, le gendarme-voleur. L’État le savait et l’a protégé en vain. La commission parlementaire d’enquête, entièrement truquée par le PS, a essayé de limiter les dégâts.

    Mariage pour tous ? Ça fait plus de dix ans que j’avais dit que ça arriverait inéluctablement. C’est un symptôme, il faut s’attaquer aux causes. Sur l’insécurité et la criminalité (dues au mélange détonnant d’immigration incontrôlée et de laxisme judiciaire) nous allons monter vers des niveaux stratosphériques. Comme je l’ai souvent dit, nous nous dirigeons (pas seulement en France) vers soit une rupture, aux conséquences révolutionnaires, soit une mort tiède (Warmtod, concept éthologique lorenzien) , un effondrement mou. Il ne faut pas exclure , sous des formes imprévisibles, la révolte populaire massive des Européens de souche. Un phénomène viral, épidémique, transpolitique, qui ne toucherait pas que la France mais pourra se répandre comme une nuée ardente, au ras du sol, dans l’Union européenne. L’Histoire est ouverte, l’avenir est détectable mais non pas prévisible, l’impensable peut se produire. Mais l’Histoire, quand elle déchaine ses vagues, « n’épargne pas le sang », comme disait Jules César.

    LBTF: En règle générale, comment voyez-vous le fonctionnement de l’actuelle présidence ?

    Guillaume FAYE: François Hollande n’est pas à la hauteur d’un chef d’État, encore moins que ses prédécesseurs. Le dernier homme à la hauteur fut Pompidou. Pourquoi cette situation ? La cause est sociologique. Les élites, les vraies, se détournent de la carrière politique. Elles se destinent à la carrière économique (y compris à l’étranger). Les élus, le personnel des cabinets ministériels, les ministres sont d’un niveau plutôt en dessous de la moyenne requise par la fonction. Le plus étonnant, c’est au gouvernement, dont les membres (surtout les femmes) sont nommées au regard de critères (y compris la ”diversité”) qui n’ont rien à voir avec la compétence. Mme Duflot, Mme Taubira, Mme Touraine, Mme Filipetti, Mme Belkacem etc. sont des militantes, des idéologues, mais toutes atteintes par le principe de Peter : dépassement du niveau de compétence (c’était la même chose avec Rama Yade, un vrai gag ambulant). Ce n’est pas nouveau : un Kouchner aux Affaires étrangères était aussi inapte qu’un Douste-Blazy ou aujourd’hui que le prétentieux Fabius (rien à voir avec Hubert Védrine). Bref, pas de pros ou trop peu. La sphère politicienne souffre globalement d’un manque de niveau. Autant que d’une absence de vision, d’intuition et de bon sens.

    Second élément, très grave aussi : la pollution de la classe politique, droite et gauche, par les briques idéologiques de la vulgate mortifère que nous connaissons bien., notamment sur la question de la préservation de l’identité ethnique européenne. En rupture avec les sentiments intuitifs d’un peuple de souche, invisible et sans droit à la parole.

    LBTF: Par son côté « inamovible », par l’autisme dont semble faire preuve le Président de la République vis-à-vis d’un mécontentement croissant, illustré par une côte de popularité au plus bas, ne peut-on pas y voir là une certaine dérive monarchique, spécifique à la France, a contrario par exemple des Etats-Unis, où il existe, gravé dans le marbre constitutionnel et juridique, une procédure pouvant destituer le Président de ses fonctions (impeachment).

    Guillaume FAYE: Le problème n’est pas tant constitutionnel que relevant du ”peuple français” lui-même, qui est très pusillanime. On mérite ceux qu’on élit. La France est une république monarchique, la Grande Bretagne, une monarchie républicaine. Cela dit, deux rois de France sur trois n’étaient pas à la hauteur, pas plus qu’un Princeps Augustus romain ( on traduit faussement pas ”Empereur”) sur deux. Le problème réside plus dans la solidité de la société civile et de la congruence du corps social autour de la Nation. Aux USA, la destitution est exceptionnelle. En France, elle est remplacée par la cohabitation : le Chef de l’État, le PR, rendu impuissant par une majorité parlementaire hostile. Si, après l’élection de M. Hollande, l’électorat avait élu une majorité non-socialiste au Palais Bourbon, M. Hollande n’aurait pas pu appliquer son programme. Il aurait passé ses journées à l’Élysée, à tourner en rond.

    LBTF: Enfin plus généralement que vous inspire l’observation de l’actuelle classe politique, de l’extrême-gauche, au FN inclus, quand bien même ce dernier semble bénéficier d’une certaine notoriété médiatique plus importante qu’auparavant, notamment sous l’impulsion de Marine Le Pen et de l’énarque techno-souverainiste et ancien chevènementiste Florian Phillippot ? Que vous inspire le ralliement officiel du géopoliticien Aymeric Chauprade au FN, lui qui dans la Nouvelle Revue d'Histoire n°22 proposait comme solution au problème migratoire, le fait de « repasser le film à l’envers » ?

    Guillaume FAYE: Les réponses à ces questions sont largement exprimées dans mon blog J’ai Tout Compris. Le FN recueille des voix non-politiques, protestataires. Sa critique des actuelles institutions européennes est exacte, mais la vision de l’Europe qu’il en tire est erronée. D’ailleurs, (contradiction) le FN a prospéré sur les élections européennes tout en étant anti-européiste. Passons. Le vote FN est essentiellement motivé par les problèmes d’immigration massive, d’islamisation et d’insécurité, toutes choses liées. Les positions du FN sur l’économie et le social sont erratiques et irréalistes. Le FN occupe une position symbolique dans la dramaturgie politique française mais pas encore gouvernementale. Il y a une forme de jacquerie dans le vote FN.

    Concernant la question européenne, le FN rejette en bloc l’UE et l’Euro, parfois pour de bonnes raisons critiques. Cependant, les solutions du FN sont techniquement inappropriées. Sortir de l’€uro, c’est 40% d’inflation pour le Franc de retour et la fonte des neiges pour toutes les épargnes. La cata. Il vaut mieux modifier la structure du navire Europe en construction que de le couler. Encore une fois, l’idée européenne est la bonne mais les institutions européennes doivent être corrigées, comme l’idéologie qui les anime. La question centrale est d’ailleurs l’idéologie : une France souverainiste sans UE avec l’idéologie actuelle, il n’y aurait aucune différence. Le poison, ce n’est pas l’UE ou Bruxelles, c’est la mentalité générale qui nous corrompt. Elle est présente au cœur de toutes les élites de chacun de nos pays. Le problème, ce n’est pas l’UE, pas Bruxelles, pas le souverainisme, c’est l’idéologie dominante : le renoncement à l’identité ethnique et culturelle. L’ennemi, ce n’est pas l’ « Europe », c’est une pathologie mentale. Et, si une révolution surgit, une révolte, elle ne pourra être qu’européenne, c’est à dire épidémique – avec la Russie en arrière cour, derrière le décor.

    Concernant Aymeric Chauprade et sa remarque que vous citez, je dirais que le problème migratoire a atteint un point de non-retour en Europe. Exactement comme un processus thérapeutique qui doit passer des médicaments à l’intervention chirurgicale. Pour résoudre ce problème, il faudra instaurer des protocoles douloureux. Inverser la tendance, repasser le film à l’envers, effectivement, C’est un processus révolutionnaire, qui relèvera d’une polémologie lourde. Je n’en dirai pas plus.
     
    LBTF: Le mardi 21 mai dernier vers 14h40, sur l’autel même de la cathédrale Notre-Dame de Paris, l’historien Dominique Venner, auteur notamment du Cœur Rebelle (autobiographie), d’une biographie d’Ernst Jünger, de "Histoire des Européens. 35.000 ans d’identité", "le Siècle de 1914", "Le choc de l’Histoire", liste non exhaustive… et aussi directeur de la revue la Nouvelle revue d’Histoire, a mis fin à ses jours.

    Guillaume FAYE: Cette nouvelle fut pour moi un choc. Immédiatement, la comparaison avec la mort volontaire de Mishima, nationaliste japonais, m’est venue à l’esprit. Tout d’abord, en s’immolant à Notre-Dame, Venner a signifié que ce sanctuaire chrétien, il se le réappropriait comme païen. S’immoler sur un autel chrétien comme s’il était un réceptacle de sang à la mode capitoline ou delphique, c’est une première dans l’ Histoire. Venner a voulu frapper de stupeur ses contemporains par son geste. Dans un premier temps, je me suis dit : « quel dommage ! » Venner a décidé de conclure sa vie par sa propre volonté, d’organiser la ”chute”, comme disent les scénaristes et les dramaturges. Ne pas laisser sa mort entre les mains du destin, mais la vouloir. Choisir sa fin et lui donner un sens. L’éthique romaine de Regulus dans sa sombre splendeur. Fiat mors tibi. Ta mort n’appartient qu’à toi, même les dieux n’en décident pas, car le païen est un homme libre. L’inverse absolu du païen étant l’adepte de l’islam, c’est-à-dire de la soumission.

    LBTF: Que vous inspire l’homme, son œuvre, ses idées, et quel est selon vous le meilleur enseignement qu’il faut en tirer ?
     
    Guillaume FAYE: J’ai écrit un long texte sur cette question ainsi qu’un hommage funèbre à Venner, « La mort d’un Romain » que j’ai envoyé à Roland Hélie qui l’a diffusé sur Internet. Je vous y renvoie. Venner est celui qui m’a fait entrer en 1970 dans le milieu identitaire de la résistance européenne, pour employer une appellation peu courante. Je n’en dirai pas plus. Sur son œuvre et ses idées, il semble qu’il avait décidé d'aborder les choses sous un angle historique et détourné et non pas polémique et politiquement direct, contrairement à sa stratégie de jeunesse. Néanmoins son message testamentaire et funéraire est très clair quand on le lit honnêtement : Venner s’insurgeait d’abord contre la destruction de l’identité ethnique des Européens. Et il essayait aussi de résoudre ses propres contradictions.

    LBTF: Considérez-vous que son geste, doit être perçu comme étant un acte désespéré, ou un acte politique ? Ou les deux ?

    Guillaume FAYE: Il est très difficile de se mettre dans la peau d’un homme qui se donne la mort. Il y a forcément un mélange de motivations intimes et de raisons ”extérieures”. Néanmoins, on peut donner à son désespoir (dont les causes sont complexes) un sens politique. Par là, Venner a très exactement suivi Mishima. Mais il est impudique et ignoble d’interpréter ou pis, de salir un tel geste, comme l’ont fait les Femen. Le suicide est un mystère. Dans les religions du Salut (où le suicide est peccamineux) le martyre remplace le suicide. Mais c’est un autre débat. Dans l’islam, le martyre, sous forme d’une immolation qui tue les ennemis (p.ex. attentats terroristes) trahit une mentalité de paranoïa perverse, liée à une pathologie mentale.

    LBTF: Pensez-vous qu’il puisse réellement servir à « réveiller les consciences », vœu qu’il avait formulé dans le dernier éditorial de son blog ? Qu’il peut réellement avoir un impact, et disons-le « changer les choses » ? Croyez-vous réellement qu’il peut déboucher sur une refondation politique concrète, à l’instar par exemple de l’immolation de Ian Palach en 1968 ?
     
    Guillaume FAYE: C’est une possibilité. La mort sacrificielle a, depuis le néolithique, chez presque tous les peuples, une signification lourde. Même si notre époque tente, en vain, d’évacuer cette dimension. Le suicide de Dominique Venner au chœur de Notre-Dame fera date et n’est pas destiné à être un ”événement” englouti par l’actualité comme une défaite du PSG face à l’OM. Un mythe va se créer, en forme d’exemple, autour de cette mort volontaire. Mais il faudra un certain temps. Venner n’a tué personne en se tuant, il ne s’est pas fait exploser avec une ceinture de dynamite. Il a interrompu sa vie, et il a mis son plongeon dans la mort au service d’un message. Il a suivi très exactement les traces de Yukio Mishima. Maintenant, ce que je viens de vous dire n’est pas une certitude. Chacun suit sa voie. Personnellement, l’idée du suicide ne m’a jamais effleuré comme moyen de faire passer un message. Tout simplement parce que la mort interrompt la délivrance du message. À moins de penser qu’on ait tout dit...

    LBTF: Ou bien en regardant tout ce qui s’est passé (ou plutôt rien passé) depuis dans « la mouvance nationale » au sens large, ne partagez-vous pas le constat formulé par certains, où il ressort un certain cynisme désabusé (Pensons à un récent éditorial de Philippe Randa, reprenant les constats de Nicolas Gauthier et Alain Soral), pour ne pas dire le nihilisme que dénonçait Nietzsche ? En d’autres termes, ce suicide maintenant oublié des media une semaine après alors qu’on est à quasiment J+ 4 mois, a-t-il réellement « servi à quelque chose » ?
     
    Guillaume FAYE: Encore une fois, les commentaires de Randa, de Gauthier et de Soral sont hors-sujet, trop liés à l’actualisme. Les médias importent peu. La mort volontaire de Venner est un fait transmédiatique, qui restera dans les mémoires. La « mouvance nationale » actuelle n’est pas le réceptacle adéquat. Venner a voulu donner à son geste tragique une dimension historique et non pas médiatique et immédiate. Il ne s’adressait pas à ses amis, à ses proches, à la ”mouvance”, dite d’extrême-droite. Il s’adressait à son peuple, c’est-à-dire aux Européens, et son message portait essentiellement sur la préservation de l’identité ethnique actuellement menacée.
     

    LBTF: En 1999, vous ressortiez votre « Nouveau discours à la nation européenne », et en 2012 « Mon programme ». En 1999, vous affirmiez que « l’Union Européenne (…) est la mise en œuvre du projet d’union des cités grecques ». En 2012, dans le cadre de la campagne électorale, en revanche, vous déclarez ne plus défendre « la thèse des Etats-Unis d’Europe ». Qu’est-ce qui a changé, selon vous ?

    Guillaume FAYE: Ce qui a changé, c'est l'histoire. L'idée d'union européenne a été dévoyée de l'intérieur. Mais ce n'est pas une raison pour l'abandonner. Quand vous aimez une femme et qu'elle vous trompe, ce n'est pas forcément une bonne raison pour cesser de l'aimer et de la détester. Pour l'instant, les États–Unis d'Europe doivent être mis entre parenthèses provisoires. Ce n'est pas néanmoins un argument pertinent pour être souverainiste. J'ai conscience qu'étant profondément machiavélien (au vrai sens du terme et non pas vulgaire), ma position peut poser problème.

    LBTF: Dans « Mon programme », au chapitre sur la France et l’Europe, vous émettez des propositions que pourraient soutenir les souverainistes, avec un « conseil des gouvernements de l’Union », l’abolition du parlement européen, l’abrogation des accords de Schengen, même si vous prônez le maintien de l’€uro, avec exclusion des Etats surendettés, ce qui les amènerait objectivement à la ruine. Vous-êtes-vous converti au souverainisme ou est-ce simplement que, le cadre choisi par l’ouvrage, se plaçant dans une logique nationale, en lien avec les élections présidentielles, amène nécessairement à restaurer la « souveraineté nationale », en attendant une (éventuelle) souveraineté européenne ?

    Guillaume FAYE: La véritable Union européenne, de puissance, ne pourra se construire qu'autour d'institutions lisibles et simples. Nous sommes actuellement dans une situation ingérable, bureaucratique. Sans vrai fédérateur. L'essentiel est l'Idée Européenne qui, comme je l'ai répété est d'abord ethnique avant d'être économique, institutionnelle ou administrative. On a mis la charrue avant les boeufs. Le sentiment détermine les institutions et non l'inverse. Les Cités grecques ne se sont unies que face à un ennemi commun. En réalité, il faudrait la naissance d'un souverainisme européen. Mais il y a loin de la coupe à la bouche. L'idée européenne ne fonctionnera jamais tant qu'elle ne sera pas affectivement présente chez nos peuples. Ou alors, c'est du calcul de technocrates, sans aucune chance de réalisation. L'histoire a pour matière une certaine exaltation. L'Union européenne ne propose aucun idéal mobilisateur, pas plus – voire beaucoup moins, hélas – que les États qui la composent. Ce qui ne veut pas dire que j'abandonne mon idéal central de Nation Européenne (souveraine).

    L'idée officielle actuelle d'Union européenne est l'inverse même de celle de Nation européenne. C'est contradictoire, mais c'est le jeu de la dialectique historique. Compliqué, n'est-ce pas ? Les institutions nouvelles que j'ai proposées dans ce livre procèdent du réalisme. Je me méfie de ce paradoxe qu'est le romantisme technocratique. Maintenant, je ne suis pas un gourou, j'ai une analyse variable. Qui peut prétendre avoir raison alors même que nous ne connaissons pas l'avenir et que nous voyons assez mal le présent ? La détermination de Thomas Ferrier pour des États-Unis d'Europe est une position qui doit être poursuivie, tentée. L'essentiel est l'unité de l'Europe, ethniquement, quelle que soit sa forme. Machiavel, suivant Aristote son maître, disait que seul compte le but. Les formes sont toujours assez secondaires.

    LBTF: Même si le parlement européen n’a aucun pouvoir, il dispose d’une relative légitimité démocratique, en ce sens où des formations politiques marginales au sein de l’assemblée nationale, en raison d’un mode de scrutin majoritaire, peuvent y être représentées. En ce sens, à l’instar des Etats généraux en 1789, le parlement européen ne peut-il être l’antichambre d’une assemblée européenne constituante par auto-proclamation pour peu que des européistes authentiques y soient majoritaires ou en tout cas une forte minorité mobilisatrice (30% des députés par exemple) ? Une institution n’est-elle pas en mesure de s’émanciper et de prendre le pouvoir, malgré ses traités fondateurs ?

    Guillaume FAYE: Cette remarque est théoriquement vraie mais pratiquement problématique. Les institutions européennes ne sont pas démocratiques puisque la Commission viole en permanence les traités en passant du rôle d'exécution à celui d'ordonnancement. Le Parlement européen ressemble à une chambre d'enregistrement napoléonide. Bien sûr, une révolution serait possible. Le problème est que le Parlement européen n'est qu'une coquille vide. L'idée d'une assemblée européenne constituante et révolutionnaire ? Pourquoi pas ? Piste à suivre. Mais ce genre de situation ne sera possible que dans un contexte de crise très grave.

    Il faudrait étudier sérieusement la possibilité juridique d'une révolte parlementaire européenne. L'idée est intéressante, on ne peut que la souhaiter même si l'on en doute. L'idée est brillante mais elle se heurte à la pesanteur d'une opinion publique matraquée et d'élites médiocres. Cela dit, en cas de crise très grave, une prise de conscience européenne globale est possible. Le recours au Parlement européen serait intéressant. Qui sait ? Dans les situations tragiques, l'ordre juridique et institutionnel connaît une distorsion bien connue des historiens. Voir à ce propos la remarquable biographie de Pompée par Éric Thessier (Perrin). Le Parlement européen pourrait-il devenir une instance révolutionnaire ? Dans l'histoire romaine (où le Sénat fut nul) comme dans d'autres, c'est un Princeps qui rétablit l'ordre de marche.

    LBTF: En 1999, vous prôniez la subversion de l’Union Européenne et non la confrontation avec elle, « montons dans l’avion européen et jouons aux pirates de l’air, en montant en douce, puis braquons le pilote ». En 2012, vous évoquez l’idée que la France « fasse chanter » l’Union Européenne pour exiger d’elle une refonte totale.

    Guillaume FAYE: C'est vrai. Mais le problème, c'est que, tragiquement, l'avion européen n'a pas de réacteurs (contrairement à ce que j'avais cru) et ne peut même pas décoller. On ne s'amuse pas à braquer un avion au sol. En réalité, l'Union européenne est un être politique virtuel. Contrairement aux souverainistes français, je ne ne me réjouis pas de l'impuissance de l'UE. Celle de l'État français est la même. Le mal est global. Bien sûr, j'ai prôné une refonte totale de l'UE. Dans un sens machiavélien : reculer en apparence pour avancer en réalité. Il faut refonder complètement les institutions de l'UE, selon mes principes. Pour renforcer l'Europe.

    LBTF: Demeurez-vous un européiste qui attend que la flamme de la foi en l’Europe se réveille ? Ou avez-vous abandonné l’espoir d’une révolution européenne, d’une république européenne ?

    Guillaume FAYE: Mon espoir est évidemment celui d'une nation européenne globale. Tout mon courant de pensée a toujours été celui du nationalisme européen, respectueux de tous les autres.

    LBTF: L’Homo Indo-Europaeus : plutôt un vieux romain du temps de la République ou plutôt un guerrier germanique ?

    Guillaume FAYE: Du côté de Varus et de Caton contre Arminius, donc ? Le vieux romain et le guerrier tribal germain appartenaient au même peuple, sans le savoir. Mêmes valeurs. Les Germains rêvaient, selon Tacite, des « maisons chauffées » des Romains. Le vieux Romain et le guerrier germanique (ou celtique) appartenaient au même ensemble ethnique (à la différence des peuples orientaux soumis par l’Empire). L’historien allemand Theodor Mommsen l’a parfaitement démontré. Lorsque le Gaulois cisalpin Brennus (Ar Vrenn de son vrai nom celtique, Le Brenn en français) fait le siège du Capitole, il parle le même langage d’honneur et de courage que ses ennemis romains assaillis. En revanche, les codes ne seront plus du tout les mêmes quand Rome affrontera les peuples orientaux.

    Néanmoins, si la machine à remonter le temps existait, je m’engagerais dans la glorieuse Xème (le sanglier sur les enseignes, sous l’aigle) pour défendre le limes du Rhin. Mais, au delà de ces propos superficiels, ce qui est étonnant, c’est que sont les descendants des Germains tribaux décrits par Tacite, désordonnés, c’est-à-dire les Allemands, qui ont, aux XIXe et XXe siècle, repris les normes rigoureuses d’organisation militaire des Romains. Tandis que les Italiens, descendants des Romains, manifestaient des dispositions bien peu ”romaines”. À mon avis, moi qui raisonne de manière sociobiologique, c’est parce que les Italiens ont subi, dès le IVe siècle, un choc génétique, dû au brassage avec des populations exogènes non- indoeuropéennes. Ce qui a modifié la psychologie collective.

    LBTF: Le christianisme a-t ‘il joué selon vous un rôle majeur dans l’effondrement de l’empire romain ?

    Guillaume FAYE:  D’après feu Lucien Jerphagnon, grand historien catholique mais touché par la saga de Julien dit l’Apostat dont il écrivit une biographie émouvante, le responsable de l’effondrement fut le Germain – Goth du Rhin et de l’Elbe ou Goth transdanubien. Constantin (306-337) ne fit qu’autoriser le christianisme. C’est Théodose Ier qui l’instaura comme religion officielle. Mais le déclin de l’Empire était antérieur, ce qui disculpe le christianisme naissant. La cause de la chute de l’Empire romain – qui, ne l’oublions pas, a été un véritable orage historique (1) – reste un mystère, sur lequel les historiens s’empoignent. À mon humble avis, la trop grande taille –indéfendable– de l’Empire (de la Grande Bretagne à l’Irak actuels), l’hétérogénéité ethnique, l’édit de nationalité universelle de Caracalla (212) sont à mettre au rang des suspects, de même qu’un système de gouvernement impérial totalement chaotique, sans droit constitutionnel – contrairement à l’ancienne République.

    Mais le christianisme, avec sa mentalité dogmatique et antiscientifique, en rupture avec la pensée gréco-païenne libre, avec ses incessantes luttes entre orthodoxes et hérétiques, a certainement joué un rôle accélérateur. D’après André Lama , historien autodidacte et politiquement incorrect, le déclin de l’Empire romain provient du mélange des populations, qui a tué la source créatrice romaine de souche. Mais il est vrai que, d’après plusieurs auteurs des IVe, Ve et VIe siècles, qui ressentaient le déclin de l’Empire, le recul de la civilisation (transports, économie, culture, éducation...) et vivaient les incursions barbares, les populations restées païennes estimaient que la cause de la chute était la fin de la protection de Rome par ses dieux, abandonnés au profit du christianisme devenu religion d’État.

    Osons une comparaison ”archéofuturiste” : l’introduction du christianisme dans le Bas-Empire a fait régresser les mentalités par rapport à la période païenne vers l’archaïsme d’une pensée magique. Tout comme l’évolution de l’islam aujourd’hui...

    (1) D’un simple point de vue technique, il a fallu attendre 1.000 ans pour que les Florentins redécouvrent les techniques de sculpture sur marbre et de fonte du bronze des Romains. Louis XIV à Versailles vivait dans une situation de confort bien inférieure à celle de son homologue Trajan au Palatin, dix-sept siècles plus tôt. On allait plus rapidement de Trèves à Rome au IIe siècle qu’au XVIIIe siècle. Etc.

    LBTF: En matière de religion, vous avez toujours mis en avant votre sensibilité païenne, en particulier hellénique. Croyez-vous à la « résurrection » des « anciens » dieux ou à la renaissance de leur culte, même sous une forme très modernisée ?

    Guillaume FAYE: Le paganisme est un mot qui dissimule plusieurs réalités: le paganisme superstitieux (où l’on croit réellement à l’existence de forces et de divinités cachées) et le paganisme intellectuel des élites helléno-romaines , par exemple, qui étaient parfaitement agnostisques. La force du christianisme fut de camper une religion spiritualiste avec un abondement narratif nettement plus fort que celui des mythologies païennes, handicapées par le grand écart entre les dieux souverains, les divinités locales, familiales, et l’absence de sotériologie personnelle, à une époque de troubles et de dérélictions.

    Mon rejet du christianisme (mais non pas du catholicisme traditionnel, qui est du paganisme dissimulé, comme l’orthodoxie) tient à sa substance universaliste, à son humanisme doctrinaire. J’admire le paganisme grec pour sa liberté de pensée et son agnosticisme. Les divinités n’étaient que des allégories, pas des idoles. Je suis voltairien, je défends les chrétiens d’Orient persécutés par l’islam, mais c’est une attitude politique et culturelle, non pas religieuse. En revanche, l’attitude ethnomasochiste de l’Église actuelle face à l’immigration de peuplement et à l’islamisation (confortée par le Pape François) me renforce dans ma vision païenne du monde, tendance aristotélicienne : non, nous ne nous ne sommes pas tous frères, oui, il faut vivre chacun dans sa Cité.

    Concernant le retour des anciens dieux païens (au sens d’une croyance spiritualiste et d’un culte) ou même de la création de nouvelles divinités, thème d’ailleurs déjà abordé chez les poètes romantiques du XIXe siècle, je suis assez réticent. Ce serait du folklore et d’ailleurs ça existe déjà aux USA, c’est un business comme un autre. Pierre Vial, dans nombre de ses textes sur la question, a d’ailleurs très bien défini le néo-paganisme comme une conception du monde et non pas comme un néo-culte spiritualiste.

    L’essence du paganisme grec, auquel je me réfère, c’est de placer la philosophie, c’est-à-dire la liberté examinatrice de l’entendement , le logos, au dessus des vérités révélées, l‘examen au dessus de la croyance, le souci de son propre peuple (symbolisé par un panthéon « national » et civique) avant celui des autres. Le paganisme, comme vision du monde, ne méprise pas la notion d’humanité, mais, avec réalisme, ne la considère pas comme une divinité. Le paganisme est un anti-fanatisme, y compris contre le fanatisme de la tolérance.

    (Sur le paganisme, j’avais écrit un article, jadis, pour la revue de Christopher Gérard, Antaïos, qui avait été fondée par Ernst Junger. Sur les rapports paganisme/christianisme/ judaïsme, voir mon essai La Nouvelle question juive, ED. du Lore., qui a déplu aux ignorants.)

    LBTF: Quel est le dieu (ou la déesse) grec dont vous vous sentez le plus proche, et pourquoi ?

    Guillaume FAYE: Cette question n’est pas ”païenne”. Un vrai païen se sent pas plus proche d’une divinité que d’une autre. Il les aime toutes, en fonction des aléas de la vie. Cela dit, je vais vous révéler une chose étonnante : j’ai fait une grande partie de mes études chez les Pères Jésuites. Ils ne m’ont jamais appris l’Histoire sainte, l’Ancien ni le Nouveau Testament mais en revanche, ils étaient imbattables sur la mythologie gréco-latine (ainsi d’ailleurs que germano-scandinave, et celtique ou slave, très proches). L’Illiade, on en apprenait par cœur les vers (en grec ancien) alors que les écrits de St Augustin ou de St Thomas nous étaient parfaitement inconnus. Cela en dit long sur la prégnance du paganisme, au sein même de l’Église.

    Néanmoins, je vous répondrai que les deux divinités païennes helléniques les plus fascinantes sont le couple Apollon-Dionysos : la raison solaire et la turbulence créatrice. De même, le paganisme gréco-romain donne une image de la féminité complexe et complète à travers ses déesses. Historiquement, c’est la Renaissance italienne du quattrocento florentin qui a fait redécouvrir l’esprit païen et l’esthétique qu’il porte.

    Quant aux manifestations de survie et de renaissance des paganismes germano-scandinaves, celtiques et slaves, il ne faut pas les ignorer. Ils font partie d’une mystérieuse quête des racines dont nous ne connaissons pas l’aboutissement. C’est cela aussi, l’archéofuturisme.

    LBTF: le « Serment de Delphes » a-t-il une réalité historique ou est-ce un mythe ? Et s’il est véridique, en quoi consistait-il ?

    Guillaume FAYE: C’est une réalité absolue, qui a été mythifiée par la suite, et tant mieux. Pour en connaître l’histoire, je vous renvoie à l’article que j’ai écrit dans la revue des amis de Jean Mabire ainsi qu’à la collection de la revue Éléments. Au cours d’un voyage en Grèce, en 1979, Pierre Vial, alors Secrétaire général du GRECE, avait eu l’idée de faire prononcer un serment de fidélité au cœur même de l’Europe : le sanctuaire d’Apollon.

    Il y avait là des Français, des Belges, des Grecs et des Italiens. Mais tous les autres Européens étaient présents en esprit.
     
    Le texte du serment a été rédigé par Vial. Nous l’avons prêté au soleil levant, sur le site du sanctuaire de Delphes, devant la Stoa, après avoir couru sur l’antique stade et avoir fait des ablutions dans la fontaine sacrée. Nous avons juré que nous combattrions jusqu’à la mort pour l’identité européenne. Aucun des participants n’a trahi le serment. C’est pourquoi ceux qui n’étaient pas présents ne peuvent être accusés de trahison.

    Guillaume FAYE, propos recueillis par Thomas Ferrier, (Le Blog de Thomas Ferrier, du 27 octobre au 10 novembre 2013)
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  • Jean-Yves Le Gallou chez les Non Alignés...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Jean-Yves Le Gallou, réalisé par les Non Alignés à l'occasion de l'université d'été de Casapound. Le président de Polémia s'exprime sur Dominique Venner, la métapolitique, le grand remplacement et la politique...

     

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  • A propos de Nietzsche... (2)

    Nous reproduisons ci-dessous les réponses d'Alain de Benoist aux questions posées par le site Nietzsche Académie.Directeur des revues Krisis et Nouvelle Ecole et éditorialiste de la revue Eléments, Alain de Benoist doit prochainement publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux un essai intitulé Les démons du Bien...

     

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    Alain de Benoist répond aux questions du site Nietzsche Académie

    Nietzsche Académie – Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

    Alain de Benoist – Je l’ai découvert assez jeune, lorsque j’étais en classe de philosophie, soit vers l’âge de seize ans. Ce fut un éblouissement. Une révélation. C’est ce qui explique que, sur le plan philosophique, Nietzsche soit resté pour moi une référence indépassable pendant près de vingt ans. Autour des années 1980, cependant, c’est à Heidegger que j’ai fini par donner la première place. J’ai en effet été sensible à la critique faite par ce dernier de la philosophie de Nietzsche. Heidegger opère une distinction rigoureuse, qui a pour moi été décisive, entre ontologie et métaphysique. Il montre que, chez Nietzsche, la Volonté de Puissance – en réalité, Volonté vers (zur) la Puissance – est en péril de devenir simple volonté de volonté. Comme Nietzsche, Heidegger accorde une importance considérable à la question du nihilisme, mais il montre aussi que, face au nihilisme, la tâche la plus urgente n’est pas tant de substituer des valeurs à d’autres valeurs, fussent-elles opposées, mais de sortir de l’univers de la valeur, qui est une mutilation de l’Etre. Sa conclusion est que Nietzsche, dans la mesure où il demeure prisonnier de l’univers de la valeur, reste encore dans la métaphysique. Enfin, sur la question de la vérité, question nietzschéenne par excellence, ce que déduit Heidegger d’une méditation sur la notion grecque d’aléthéia, me paraît d’une profondeur inégalée.

    Cela dit, Heidegger n’est pas à ranger parmi les adversaires de Nietzsche. Il le critique, certes, mais il le prolonge aussi. On peut penser qu’il va plus loin que lui. La mise en perspective de la pensée nietzschéenne ne m’a donc pas conduit à l’abandonner, tant s’en faut. Il reste à mes yeux un tournant majeur de l’histoire de la pensée, un immense démystificateur, en même temps qu’un incontestable professeur d’existence. 

    NA – Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

    AdB – Tous, bien entendu. Et l’on est d’autant moins excusable de s’en tenir à la lecture des œuvres les plus connues que l’on dispose aujourd’hui en France d’une excellente traduction de l’édition Colli-Montinari, qui a notamment l’immense mérite de proposer l’intégralité des fragments posthumes. Mais pour aborder Nietzsche, je conseillerais en priorité Le crépuscule des idoles (surtout pour son chapitre « Comment le “monde vrai” devient enfin une fable »), et plus encore La généalogie de la morale. A moins qu’on ne préfère commencer par son premier livre, L’origine de la tragédie (1872), dont il disait lui-même qu’il fut sa « première transmutation de toutes les valeurs ». Il faut en revanche éviter Ainsi parlait Zarathoustra, qui attire toujours le lecteur peu familier de Nietzsche parce qu’il paraît facile à lire, alors que, s’il est en effet « facile à lire », il est aussi très difficile à comprendre pour qui n’a pas déjà pénétré dans les arcanes de la pensée nietzschéenne.

    Enfin, on ne saurait aborder Nietzsche sans avoir un minimum de connaissance de la philosophie en général. Certes, Nietzsche n’est pas qu’un philosophe, au sens usuel du terme, mais il est aussi et d’abord cela. Qui n’est pas familiarisé avec l’histoire de la philosophie passera, en le lisant, à côté de bien des choses ou, pis encore, en tirera des conclusions erronées. Le fait que les œuvres de Nietzsche paraissent d’un accès « facile » – elles le sont en effet, comparées à celles de Kant ou de Hegel – explique qu’aucun philosophe, peut-être, n’a été autant que lui victime de contresens nés d’une information fragmentaire ou de lectures trop superficielles. C’est ce genre de contresens, par exemple, que commettent ceux qui voient dans la Volonté de Puissance une exaltation de la force physique, voire de la force brutale, alors qu’elle trouve avant tout chez Nietzsche sa source dans le détachement moral.

    NA – Etre nietzschéen, qu’est-ce que cela veut dire ?

    AdB - Je me le demande parfois, tant il y a chez certains de prétention à se déclarer tels. Henri Birault voyait juste, à mon avis, quand il disait qu’un « nietzschéen » est quelqu’un qui pense avec Nietzsche, et non pas comme lui. Nietzsche nous apprend un certain nombre de choses ; encore faut-il comprendre ce qu’il nous apprend. Etre nietzschéen, par exemple, c’est comprendre ce que signifie l’Eternel Retour, et se conformer soi-même à cette compréhension. C’est comprendre que le non-être n’a aucune teneur ontologique, et que la Vérité à majuscule n’est qu’un moyen de nier la vérité tout court, c’est-à-dire le réel. Avec Nietzsche, nous apprenons en effet à distinguer le « monde vrai » du réel, à faire appel au certum contre le verum. Le « monde vrai » est une fable. Le monde réel échappe à la Vérité dès l’instant que l’on a radicalement récusé l’au-delà : plus de « monde des apparences » s’il n’y a pas de monde des essences. Nietzsche ne récuse pas l’idée qu’il y a des choses véridiques et d’autres qui sont fausses, inexactes ou illusoires. Il dit que la Vérité est mensonge, mais mentir implique encore d’admettre qu’il y ait quelque chose qui soit non mensonger. La « vraie vérité » – la vérité de l’Etre – se moque de la vérité, comme la vraie raison se moque de la raison et la vraie morale de la morale.

    Etre nietzschéen, c’est comprendre ce que veut dire Nietzsche lorsqu’il dénonce ceux qui se veulent porteurs de « la plus longue mémoire », c’est-à-dire les « derniers hommes » (ceux qui « clignent de l’œil »), ces hommes auxquels appartient l’avenir immédiat et auxquels il oppose, dans La généalogie de la morale, la nécessité bienfaisante de l’oubli. La mémoire est le fondement de la morale, l’oubli la condition de l’innocence et de la création. Si Nietzsche se tourne vers les Grecs, ce n’est pas seulement, comme le dira Heidegger, parce que se mettre à leur écoute c’est se donner la possibilité d’un nouveau commencement, mais aussi parce que, pour lui, les Grecs sont ceux qui ont le plus aimé la vie : ils l’ont aimée au point de n’avoir pas eu besoin qu’elle ait un sens.     

    NA – Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

    AdB –  La Vénus de Milo est-elle de droite ou de gauche ? Et la philosophie de Parménide ? Indépendamment du fait que les termes de « droite » et de « gauche » n’ont jusqu’à présent jamais reçu de définition satisfaisante (et qu’ils tendent à perdre aujourd’hui toute signification), il est évident que Nietzsche n’est pas un doctrinaire politique, même s’il s’est exprimé, en diverses occasions, sur un certain nombre de questions politiques (il critique l’idée de progrès, le socialisme égalitaire, le nationalisme allemand, l’antisémitisme, etc.). Nietzsche s’est engagé plutôt sur le terrain de l’anthropologie politique, dans l’intention d’apprendre à agir et penser autrement en politique. Il ne trace pas les contours d’une théorie politique, mais s’interroge sur le fondement de l’ordre politique.

    L’une de ses caractéristiques, par ailleurs, est qu’il n’a pas seulement influencé des penseurs, mais aussi des écrivains, des artistes, des hommes d’action. La raison tient à sa philosophie, au fait que les concepts à partir desquels il argumente diffèrent complètement, par exemple, du cogito cartésien, de l’impératif catégorique kantien, de l’Aufhebung hégélienne, de la durée bergsonienne, etc. Ce ne sont pas des concepts qui font système, mais des « ferments » qui engendrent avant tout des images. C’est ce qui explique que sa pensée ait pu marquer Thierry Maulnier, Paul Valéry, Roger Caillois, David Herbert Lawrence, Cioran ou Michel Tournier, sans oublier la vaste majorité des auteurs de la Révolution Conservatrice allemande (à la notable exception de Carl Schmitt), tout autant que des hommes « de gauche » comme Georges Bataille, Pierre Klossowski, Jack London, Georges Palante, George Bernard Shaw, Michel Foucault ou Gilles Deleuze (qui, comme Nietzsche, assignait à la philosophie la tâche de lutter contre la bêtise, celle-ci se définissant chez lui comme ce qui réduit les différences au semblable et le singulier au catégorisable). On peut donc très bien être un « nietzschéen de droite » ou « de gauche ». Inversement, la vulgate d’extrême droite sur la « volonté de puissance » et la « grande santé », qui se réclame de Nietzsche (généralement sans l’avoir beaucoup lu) pour légitimer le darwinisme social, la loi de la jungle, la haine de l’Autre et le déchaînement des instincts, n’a d’égale en bêtise que les condamnations haineuses d’une gauche qui confond immoralisme et amoralisme. Les uns et les autres se font d’ailleurs de Nietzsche la même idée fausse, les uns pour l’encenser ou l’embrigader, les autres pour le dénoncer comme un auteur répulsif.

    NA – Quels auteurs sont nietzschéens ?

    AdB - Vaste question. Si l’on s’en tient au champ de la pensée contemporaine, je dirais que, plus que Michel Maffesoli, qui tend à tirer le dionysiaque vers l’orgiaque collectif et l’exubérance sociale, le philosophe français le plus « nietzschéen » est à mes yeux Clément Rosset. Démystificateur tout comme le fut Nietzsche, Rosset a passé sa vie à critiquer la « duplication » du réel, à affirmer le caractère tragique de l’existence et la nécessité de l’éprouver avec allégresse et reconnaissance. Nietzsche dénonçait les « arrière-mondes » d’où proviennent la métaphysique, la religion et la morale. Pour Rosset, le réel est « idiot » au sens étymologique, c’est-à-dire singulier, absolument dépourvu de double ou de miroir. Le monde n’est porteur d’aucun sens global, il n’est redevable d’aucune interprétation morale, il n’est justifiable d’aucun devoir-être, et c’est en le reconnaissant comme tel qu’on accède à la joie. Gai savoir, amor fati : comme chez Nietzsche, pour qui la gaieté était de toute évidence d’essence musicale, le thème central de la pensée de Clément Rosset est la joie, l’allégresse, la jubilation. 

    NA – Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

    AdB - Deux réponses doivent d’emblée être écartées : celle qui interprète la thématique du Surhomme comme une incitation faite à l’homme de se dépasser lui-même, et celle qui voit dans le Surhomme une sorte de superman, doté de pouvoirs surmultipliées. La première est banale : déjà chez Aristote, l’homme se dépasse lorsqu’il atteint son telos. La seconde est absurde. Nietzsche a d’ailleurs lui-même démenti, non sans rudesse (« d’autres ânes savants m’ont soupçonné de darwinisme »), l’idée que le Surhomme représenterait une race supérieure appelée à supplanter l’espèce humaine, à la suite d’un processus d’évolution ou de mutation ayant un rapport avec les biotechnologies ou la sélection naturelle : « Je ne pose pas ici ce problème : qu’est-ce qui doit remplacer l’humanité dans l’échelle des êtres ? […] mais : quel type d’homme doit-on élever, doit-on vouloir » (L’Antéchrist). On déraille, par conséquent, dès que l’on imagine le Surhomme à l’enseigne d’un quelconque superlatif, d’un simple « plus ». Le Surhomme est Über-Mensch, c’est-à-dire cet homme qui se tient au-dessus de l’homme tel qu’il a été jusqu’à présent, mais qui en même temps accomplit sa vérité destinale. Lorsque Nietzsche dit que l’homme est « quelque chose qui doit être surmonté » (et non pas « dépassé »), il faut mettre ce propos en rapport avec ce qu’il écrit par ailleurs sur la façon dont l’homme s’est institué comme un sur-animal, en surmontant la bête qui était en lui, puis en s’égarant dans l’au-delà (Humain, trop humain, I, 40). La vie elle-même se définit comme « ce qui doit toujours se surmonter soi-même » (Zarathoustra, II).

    Personnellement, je ne donne pas au Surhomme une place centrale dans la pensée de Nietzsche, dans la mesure où il ne m’apparaît que comme un prolongement, si l’on peut dire, de ce que le philosophe écrit à propos de l’Eternel Retour. C’est ce dernier thème qui est véritablement central, car il constitue la toile de fond sur laquelle s’inscrivent toutes les autres interrogations nietzschéennes. Selon la position que l’on adopte à son endroit, l’Eternel Retour est en effet révélateur de capacité d’affirmation ou de nihilisme. En outre, le Retour du Même est en même temps Retour de ce qui diffère, car « il n’y a que la différence qui se répète » (Deleuze). Avec le thème du Retour, Nietzsche critique bien entendu toute conceptualisation d’un temps linéaire, toute forme de conception linéaire de l’histoire, depuis le monothéisme biblique jusqu’à la philosophie historiciste de Hegel et de ses épigones. Mais il n’en revient pas non plus au temps cyclique des cultures archaïques. A la ligne, il n’oppose pas le cercle, mais la sphère. L’Eternel Retour est éternellement retour, il est éternel commencement. « A chaque instant l’Etre commence », dit Zarathoustra.

    Le Surhomme est d’abord celui qui a acquis la capacité de vouloir l’Eternel Retour, celui qui a réalisé en lui-même une métamorphose de la relation « trop humaine » à la temporalité, une métamorphose de son « voir » qui est aussi une métamorphose de son désir, en ce qu’étant devenu capable de penser, par-delà bien et mal, mais avec un amour joyeux, l’innocence du devenir et la tragédie de l’existence, il s’est aussi délivré du ressentiment. Le Surhomme porte remède au nihilisme en le surmontant (überwinden). Il s’affronte au nihil en mettant en langage le monde de la physis. Ce que Nietzsche définit comme aristocratique par excellence, c’est le « pathos de la distance » (La généalogie de la morale). Le Surhomme est capable de cette distance. Il n’est plus un esclave de l’immédiateté, au sens de la Vorbandenheit (l’être-là-devant) heideggérienne, mais il n’est pas non plus un solitaire. Nietzsche dit très clairement l’importance qu’il attache à la constitution du corps social, et même à l’« ek-stase » du vivre ensemble. Le Surhomme n’est pas un individu, mais un Type, une Forme, et à ce titre il a besoin de la communauté de ses pairs. C’est par là qu’il peut être aussi un pont, un projet, avant de devenir le « sens de la Terre ». 

    NA – Votre citation favorite de Nietzsche ?

    AdB - « Il n’y a pas de phénomènes moraux, il n’y a que des interprétations morales des phénomènes ». Mais j’aime aussi celle-ci : «Veux-tu avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui ».


    Alain de Benoist, propos recueillis par Olivier Meyer (Nietzsche Académie, 14 octobre 2013)

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  • L’école fabrique à la chaîne des narcissiques immatures...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la question de l'éducation et de l'école...

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    L’école fabrique à la chaîne des narcissiques immatures

    La réforme scolaire, c’est le mistigri que se refilent tous les ministres de l’Éducation nationale depuis des décennies, sachant que la dernière à peu près aboutie fut celle de René Haby, en 1974. Faut-il donc réformer notre système éducatif ? Et si oui, en quel sens ?

    Je crois malheureusement que ce système est devenu irréformable. L’homme est, à la naissance, un être inachevé. Pour se parfaire, il a besoin d’acquérir des connaissances et un savoir-faire. Il y avait autrefois diverses manières d’acquérir connaissances et savoir-faire. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une : l’école. Or, l’école est désormais plongée dans une crise généralisée. Beaucoup se bornent à constater des pathologies quotidiennes (violences, drogue, « incivilités », baisse de niveau, etc.) qui ne sont que des épiphénomènes. D’autres, non sans raison, dénoncent le centralisme étatique, l’inefficacité bureaucratique du « mammouth » de l’Éducation nationale, les aberrations du « pédagogisme » ou la croyance selon laquelle tout le monde peut suivre une scolarité poussée jusqu’au niveau universitaire. Mais c’est encore s’en tenir à la surface des choses. L’école est toujours le reflet de la société, en même temps qu’elle la renforce en reproduisant ses traits essentiels. La réforme du système éducatif est en ce sens indissociable d’un changement radical de société.

    À quoi sert ou devrait servir l’école ? Apprendre à lire, écrire et compter ? À réfléchir ? Ou à éduquer les citoyens, charge naguère dévolue à la famille ? Sachant que si l’on parle désormais d’ « Éducation », on se contentait naguère de simple « Instruction »

    L’idéal qui visait à « transformer l’homme » par l’éducation (à « régénérer l’humanité » par le « perfectionnement général de l’espèce », comme disait Condorcet) a de toute évidence fait faillite. Celui, plus modeste, qui visait à transformer les individus en citoyens (« c’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale », assurait Rousseau) a pareillement échoué. Au moins ces deux idéaux reconnaissaient-ils la nécessité d’apprendre et de transmettre. C’est cette nécessité qui est aujourd’hui en question. L’école peut-elle transmettre (des noms, des récits, des symboles, des obligations, une histoire) dans un monde qui ne veut plus transmettre, mais seulement communiquer ? Ce sont bien les finalités de l’acte d’apprendre qui ont changé.

    Mais il faut aller plus loin. L’enseignement privé a toujours été, en grande partie, un enseignement confessionnel. Il le demeure, sauf que la religion de l’économie a remplacé les autres – et que, sous son influence, l’école publique se privatise à son tour. Au fur et à mesure que la logique du capital étend son emprise, l’école devient de plus en plus l’antichambre du cabinet d’embauche. Les parents sont les premiers à croire qu’on va à l’école pour apprendre ou trouver un métier, ce qui n’a jamais été le but de l’école. La conséquence oui, mais pas le but. L’éducation est alors perçue comme processus d’entrée sur le marché, perspective purement utilitaire selon laquelle la formation dispensée aux élèves doit être considérée avant tout comme un investissement économique.

    L’école, dans le meilleur des cas, n’est plus alors que le moyen d’inculquer des recettes – le savoir en étant une parmi d’autres – permettant d’être le plus performant possible. On cherche donc à accumuler des connaissances « utiles », plutôt qu’à acquérir une formation ou une culture. Ne parlons même pas de réflexion ou de pensée critique. L’école ne remplit plus son rôle ? Du point de vue de l’idéologie dominante, elle le remplit au contraire parfaitement. La réflexion constitue une entrave à la consommation, qui exige des individus sans repères. Il est donc nécessaire que les individus soient dissuadés de réfléchir, tout comme il est nécessaire que l’enseignement de l’histoire ne les pousse plus à s’identifier au passé national. L’école s’y emploie à merveille en fabriquant à la chaîne des enfants à la fois informes et prodigieusement conformes, c’est-à-dire des narcissiques immatures.

    Quant à la famille, il y a longtemps qu’elle n’est plus le lieu où l’on naît, où l’on apprend, où l’on travaille et où l’on meurt. Depuis le XIXe siècle, l’État est venu la concurrencer sur tous les plans. Dès l’instant que l’on a placé les bébés à la crèche, les enfants à l’école, les malades dans les hôpitaux, les parents sur leurs lieux de travail et les personnes âgées dans des résidences spécialisées, elle a perdu ses fonctions essentielles. En devenant une structure privée, elle s’est dissoute comme réalité sociale pour devenir un simple lieu de convivialité affective, qui n’aide plus les individus à se construire de façon autonome ni à jouer leur rôle dans la société. On ne la fera pas renaître avec des incantations ou des slogans. La seule façon de lui redonner un sens est de la réinsérer dans un milieu social lui-même signifiant. L’avenir de la famille passe par la réanimation du social.

    L’un des débats de la rentrée, c’est la réforme des rythmes scolaires. Quatre jours pleins ou quatre et demi en semaine ? Week-end laissé au repos familial ? Ou attendre la semaine des quatre jeudis ?

    La réforme des rythmes scolaires à l’école primaire, avec une semaine de quatre jours et demi, n’est pas en soi une mauvaise chose. Vincent Peillon semble avoir voulu s’aligner sur le « modèle allemand » (qui a cependant aussi révélé ses limites) : disciplines scolaires le matin et activités culturelles et sportives l’après-midi. C’est ce que réclamaient depuis longtemps la plupart des spécialistes des rythmes biopsychologiques chez les enfants. Le problème, c’est que cette réforme n’a pas été suffisamment pensée et qu’on peut à bon droit s’interroger sur les activités dites « périscolaires ». Elles risquent en effet de recouvrir tout et n’importe quoi, du plus valable au plus farfelu, et d’être mises en œuvre par des « animateurs » formés on ne sait où et par on ne sait qui, qui seront en outre majoritairement issus des « quartiers » pour les raisons que l’on sait…

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier, (Boulevard Voltaire, 29 octobre 2013)

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  • « J'entends l'alouette chanter... »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Bernard Lugan, qui a été réalisé par Le Rouge et le Noir, gazette-en-ligne catholique d’information, d’analyse et de réflexion. Ce site, le lendemain de la publication du texte de cet entretien, a fait l'objet d'une attaque destructrice qui l'a rendu indisponible. Certaines analyses dérangeraient-elles ?...

     

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    « J'entends l'alouette chanter... »

    Corsaire : Bernard Lugan, bonjour, et merci beaucoup de prendre le temps de répondre à nos questions. Commençons notre entretien par un fait brulant d’actualité.
    Quelle analyse faites-vous de l’actualité migratoire à Lampedusa ? Quelles en sont les causes profondes ?
    Plus largement, de quelles options disposent les nations européennes – et notamment la France – pour éviter le scénario catastrophique du Camp des Saints ?

    Bernard Lugan : Le drame de Lampedusa est une conséquence directe du renversement du colonel Kadhafi devenu un partenaire, pour ne pas dire un allié, dans deux combats essentiels : la lutte contre le fondamentalisme islamiste qu’il avait entrepris d’éradiquer en Libye et la lutte contre l’immigration clandestine transitant par la Libye. Aujourd’hui, les islamistes ont pris le contrôle du trafic transsaharien, dont celui des migrants.
    Le drame de Lampedusa nous plonge directement dans le « Camp des Saints » de Jean Raspail. Ce livre prophétique, puisqu’il date de 1973, décrit l’implosion des sociétés occidentales sous le débarquement de milliers de clandestins arrivés sur des navires-poubelle. Clandestins devant lesquels toutes les institutions s’effondrent en raison de l’ethno-masochisme des « élites » européennes déboussolées par un sentimentalisme qui a pris le pas sur la raison et même sur les instincts vitaux. Relisez le « Camp des Saints », tous les personnages du livre revivent actuellement devant nous dans les médias, à commencer par ces clercs pour lesquels, plus le prochain est lointain et plus il semble devoir être aimé… aux dépens des siens.

    Corsaire : Les révolutions arabes ne sont pas la victoire démocratique que les media européens espéraient. Les pays du Maghreb ou l’Egypte sont-ils faits pour le modèle démocratique que l’Occident rêve de leur imposer ? Quelle est l’alternative réaliste, dans ces pays, à la politique islamiste ?

    Bernard Lugan : De l’Egypte au Mali et à la Libye, nous assistons actuellement à la fin du règne des principes philosophiques occidentaux qui, depuis plusieurs décennies, tuent l’Afrique à petit feu. En Libye, au nom des « droits de l’homme », nous avons chassé un dictateur, avec pour résultat l’anarchie et comme solution nous proposons la démocratie alors que le pays est construit sur une base tribale… Au sud du Sahara, nos « élites » ne veulent toujours pas admettre que le nœud du problème est ethnique comme je l’ai montré dans mes livres et là encore ils n’ont qu’un remède à proposer : la démocratie individuelle alors que toutes les définitions sociologiques sont communautaires.

    Corsaire : Vous mettez toujours en avant la notion de différence que vous opposez à l’universalisme. Pouvez-vous expliquer ?

    Bernard Lugan : Deux remarques : primo je raisonne en anthropologue, secundo, pour l’ethno-différentialiste que je suis, « différent » n’implique pas de notion de hiérarchie.
    Cessons de nous voiler la face en feignant de croire que les Africains sont des Européens pauvres à la peau noire et qu’il suffirait de noyer l’Afrique sud saharienne sous les aides, pour qu’elle finisse, un jour, par ressembler à l’Europe.
    Pour les élites dirigeantes françaises nourries à la mamelle des révolutions du XVIII° siècle, l’homme est le même partout sous des cieux différents, d’où l’idée française d’assimilation par la culture et par l’adhésion aux principes hérités de la révolution de 1789. Bien différente fut l’approche britannique. Jamais, en effet on ne vit les instituteurs de Sa Gracieuse Majesté tenter d’apprendre aux petits Haoussa qu’ils descendaient de « Guillaume Le Conquérant », alors que leurs homologues français faisaient sérieusement et avec devoir, réciter aux enfants algériens le célèbre « Nos ancêtres les Gaulois ».
    Qu’on le veuille ou non, les Africains sont « autres » comme l’écrivait le Maréchal Hubert Lyautey. Sa phrase exacte était même plus forte. Dite dans le contexte d’impérialisme triomphant et de supériorité coloniale des « années 1920 », elle n’en a que plus de portée :
    « Les Africains ne sont pas inférieurs, ils sont autres. »
    Léon Blum, secrétaire général de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière), autrement dit, le Parti socialiste français et Président du Conseil du gouvernement de « Front populaire » en 1936, déclarait quant à lui le 9 juillet 1925 à la Chambre des Députés :
    « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture. »
    Tout est dit dans ces deux phrases. D’un côté, Léon Blum, grand homme politique de gauche, socialiste « humaniste », universaliste, imprégné de la culture révolutionnaire française, pétri des idéaux de « 1789 », se croit investi de la mission de les imposer aux autres dans la totale ignorance de ce qu’ils sont et le plus profond mépris de ce qu’ils pensent.
    De l’autre, un officier monarchiste servant la France et non la République- la différence est de taille-, et qui, de par son éducation et ses expériences de terrain, refuse l’universalisme niveleur et se fait le défenseur des cultures et des civilisations de ceux qu’il colonise. Son œuvre marocaine est là pour l’attester.

    Corsaire : Compte tenu de l’identité spécifique de notre Patrie, est-il possible d’assimiler un grand nombre de populations d’origine extra-européenne sur notre territoire ?

    Bernard Lugan : L’unité de la nation française se délite chaque jour un peu plus, l’accélération des phénomènes communautaires démontrant que la France est devenue une juxtaposition de groupes différents du point de vue racial, ethnique, linguistique, religieux, philosophique, politique etc. Ce n’est pas l’Afrique qui suit notre « modèle » mais la France qui se tribalise. Ce qui avait été réalisé quand les immigrants étaient des Européens issus de la même matrice ethno-civilisationnelle, est impossible aujourd’hui, d’où l’utopie de l’assimilation et de l’intégration. Tout cela finira forcément très mal car l’évolution actuelle va contre le principe existentiel de base qui est « un peuple, une terre ».

    Corsaire : Outre vos activités professionnelles et universitaires, vous avez, dans votre jeunesse, milité dans les rangs d’Action française. Le combat monarchiste a-t-il encore une place aujourd’hui ? Ou faut-il que les patriotes se battent en priorité pour la sauvegarde de notre souveraineté, de notre identité et de nos traditions, plutôt que de lutter pour une idée royale que d’aucuns jugent idéaliste ?

    Bernard Lugan : La « République » est à bout de souffle et elle meurt sous nos yeux. Je n’en porterai pas le deuil… mais le problème est qu’elle entraîne la France avec elle.
    Nous vivons une révolution dont nous n’avons pas fini de mesurer les effets et dont le résultat est que, dans les années à venir, l’expression politique va devenir ethnique, comme en Afrique. Les « primaires socialistes » de Marseille l’ont d’ailleurs préfiguré. De grands bouleversements s’annoncent et les vieilles idéologies révolutionnaires triomphantes depuis les deux conflits mondiaux comme l’a magnifiquement expliqué Dominique Venner dans son livre intitulé « Le siècle de 1914 » vont être balayées. Les temps ne sont donc plus aux discussions byzantines sur le « sexe des anges », sur le « drapeau blanc » ou sur tout autre sujet pouvant nous diviser, mais au nécessaire rassemblement avant le combat de survie qui nous attend. Chez les Gaulois, quand un danger mortel menaçait et qu’il fallait oublier les querelles subalternes pour réaliser l’union, des envoyés allaient de village en village arborant la représentation d’une alouette, ce qui signifiait que la mobilisation générale était demandée. Or, en ce moment, j’entends l’alouette chanter…

    Bernard Lugan, propos recueillis par Corsaire (Le Rouge et le Noir, 18 octobre 2013)

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  • Immigration : le MEDEF parle la même langue que l'extrême gauche...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la question de l'immigration...


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    Immigration : le MEDEF parle la même langue que l'extrême gauche

    De tout temps, les peuples se sont déplacés, les uns envahissant les autres, certains s’assimilant aux terres conquises, d’autres s’en faisant chasser. Les actuelles immigrations massives paraissent obéir à une autre logique…

    Ces migrations relèvent en effet d’une logique purement économique : intériorisation des seules valeurs marchandes et mise en place d’un système globalisé. Elles sont en outre parfaitement conformes à l’esprit du capitalisme. Au XIXe siècle, Adam Smith expliquait déjà qu’un marchand n’a d’autre patrie que l’endroit où il peut faire son plus gros bénéfice. Son principe relevant de l’illimitation, c’est-à-dire du « toujours plus », le capitalisme porte en lui l’impossibilité de demeurer dans l’en-deçà d’une frontière. Il aspire à supprimer les frontières. C’est le principe même du libre-échange : « laisser faire, laisser passer ». La libre circulation des marchandises et des capitaux implique évidemment aussi celle des hommes.

    Vu de « droite », les responsables de ces flux migratoires exponentiels seraient des gens de gauche ou d’extrême gauche. Ce raisonnement ne serait-il pas un peu hâtif ? Et notre grand patronat n’y serait-il pas un peu pour quelque chose ?

    Ce raisonnement n’est pas seulement hâtif, il est aussi remarquablement stupide. Lorsqu’en 1846 Auguste Mimerel, filateur à Roubaix, crée la première organisation patronale française, les deux grands principes dont il se réclame sont les suivants : « 1) Il faut qu’une permanente menace de chômage pèse sur l’ouvrier pour contenir ses revendications. 2) Il faut laisser entrer en France la main-d’œuvre étrangère pour contenir le niveau des salaires. » En 1924, une Société générale d’immigration (SGI) fut même créée à l’initiative du Comité des houillères et des gros exploitants agricoles du Nord-Est. Elle ouvrit des bureaux de placement en Europe, qui fonctionnèrent comme une pompe aspirante. Dans les années 1950, le même système fut mis en place dans les pays du Maghreb. En 1973, peu de temps avant sa mort, le président Pompidou reconnaissait avoir ouvert les vannes de l’immigration à la demande d’un certain nombre de grands patrons, tel Francis Bouygues, désireux de bénéficier d’une main-d’œuvre docile, bon marché, dépourvue de conscience de classe et de toute tradition de luttes sociales. Ces grands patrons, soulignait-il, en « veulent toujours plus ».

    Quarante ans plus tard, rien n’a changé. Quand il s’agit d’évoquer les « bienfaits » de la mondialisation et de l’immigration, le MEDEF et la Commission européenne parlent la même langue que l’extrême gauche. Tous voient dans le marché mondial le cadre naturel d’une « citoyenneté mondiale » conçue comme condition première d’un « nomadisme » libérateur. Réseaux mafieux, passeurs d’hommes et de marchandises, grands patrons, militants « humanitaires », employeurs « au noir » : tous militent pour l’abolition des frontières. Olivier Besancenot, Laurence Parisot : même combat ! Par conséquent, qui critique l’immigration mais ne dit rien du capitalisme ferait mieux de se taire.

    Entre théorie du « Grand Remplacement » (Renaud Camus) et « nomadisation du monde » (Jacques Attali), quel constat dresser de ce phénomène ? On devine la logique des esclaves (aller trouver la chimère d’un monde meilleur) ; mais quelle peut être celle de nos nouveaux esclavagistes ?

    Elle est assez simple. Une immigration peu qualifiée et faiblement syndiquée permet aux employeurs de se soustraire aux contraintes croissantes du droit du travail afin d’exercer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs français. C’est bien pourquoi le capitalisme cherche à mettre en concurrence la force de travail autochtone, non seulement avec les mains-d’œuvre misérables du tiers-monde, mais avec ces armées de réserve salariales que sont les populations issues de l’immigration. Historiquement parlant, quand il y a pénurie de main-d’œuvre dans un secteur, soit on augmente les salaires, soit on fait appel à la main-d’œuvre étrangère. C’est cette dernière option qui a constamment été privilégiée par le CNPF, puis par le MEDEF. Choix témoignant d’une volonté de profits à court terme, qui a retardé d’autant l’amélioration des outils de production et l’innovation en matière industrielle. Le patronat veut de l’immigration continue pour alimenter des reculs sociaux continus. Le résultat est que l’immigration rapporte au secteur privé beaucoup plus qu’elle ne lui coûte, alors qu’elle coûte au secteur public beaucoup plus qu’elle ne lui rapporte. Les immigrés, aujourd’hui, constituent plus que jamais l’armée de réserve du capital.

    À ce propos, que vous inspire l’actuelle polémique sur le travail dominical ? Avancée en termes de compétitivité ou régression sociale ? Faut-il vivre pour travailler ou travailler pour vivre ?

    Il y a déjà beaucoup de gens qui travaillent le dimanche. Je suis tout à fait hostile à ce que l’on ajoute des dérogations supplémentaires à celles qui existent déjà. Et cela pour deux raisons. La première est que le « mieux-disant » économique associé à la déréglementation du travail le dimanche sera à terme synonyme de « moins-disant » social. Cette déréglementation accentuera encore la tendance à la flexibilité et à la précarité du travail. Les grands magasins qui réclament l’ouverture dominicale de leurs enseignes savent évidemment qu’ils y trouveront leur intérêt. Ils s’appliquent à faire croire aux travailleurs que c’est aussi le leur. On connaît le slogan : « Travailler plus pour gagner plus ». En réalité, au lieu de revendiquer des augmentations de salaire, le refus des contrats précaires et l’amélioration des conditions de travail, on travaillera plus pour se faire plus exploiter. Quand on entend Christophe Barbier, de L’Express, dénoncer le « respect stupide du droit », on comprend qu’à plus long terme, l’objectif est le démantèlement du Code du travail et la suppression des acquis sociaux.

    La seconde raison est d’un ordre tout à fait différent. Ceux qui veulent nous faire croire que le dimanche est une sinistre invention qui entrave la maximisation de leurs profits rêvent d’une semaine où il n’y aurait que des jours comme les autres. Je crois au contraire que notre rapport à la temporalité exige qu’il y ait des jours différents, c’est-à-dire qu’il y ait dans l’existence des césures correspondant à des rythmes dans la succession des semaines et des mois. La suppression de la différence entre le dimanche et les autres jours de la semaine relève de la même volonté de supprimer partout les frontières et les limites faisant obstacle à la mise en place d’un grand marché planétaire homogène. Toujours l’idéologie du Même !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 octobre 2013)

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