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Entretiens - Page 109

  • Tirs à balles réelles des policiers: Zemmour a-t-il raison?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné à Sputnik par Guillaume Jeanson, avocat et porte-parole de l'Institut pour la Justice, et consacré à l'action de la police dans des banlieues transformées en zones de non-droit...

     

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    Tirs à balles réelles des policiers: Zemmour a-t-il raison?

    Pour ne pas être débordée «par les caïds et les voyous», la police doit riposter proportionnellement et à balles réelles si nécessaire, affirme Éric Zemmour. Doit-on craindre une escalade des bavures policières et de la violence en France? Dans les quartiers sensibles, comment la police peut-elle agir quand elle est prise à partie? Alors que la tension monte en France et que n’importe quelle étincelle semble pouvoir mettre le feu aux poudres, le débat est crucial. Alors où placer le curseur entre violence illégitime et violence légitime? L’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut Pour la Justice, nous répond.

    Sputnik France : Y-a-t-il vraiment une spécificité française en matière d’usage des armes, qui rend les forces de l'ordre de notre pays moins violentes que d'autres, comme l’a affirmé Éric Zemmour?

    Guillaume Jeanson: «Il est difficile de répondre précisément à cette question, tant les comparaisons raisonnables apparaissent ici délicates. Une comparaison avec les États-Unis paraît même presque dépourvue de sens, étant donné que les armes à feu sont beaucoup plus répandues là-bas, et que par conséquent les criminels sont beaucoup plus souvent armés. Dans ces circonstances, il est évident que les policiers américains doivent faire beaucoup plus souvent usage de leurs armes que chez nous. Qui plus est, il y a forcément des différences importantes selon les États.»

    Sputnik France: Alors, restons en Europe: qu'en est-il par exemple en Grande-Bretagne, pays dont les forces de l’ordre ont pendant longtemps patrouillé sans armes à feu?

    Guillaume Jeanson: «En ce qui concerne la Grande Bretagne, la très grande majorité des policiers continuent à ne pas porter d’arme à feu, même si leur nombre a augmenté suite aux attentats islamiques. Seulement 10 % environ des forces de police seraient entraînées à l'utilisation d'armes à feu. Ceux qui sont armés demeurent donc très largement minoritaires. En revanche, en Irlande du Nord, ils sont à l’inverse tous armés. Font-ils alors plus souvent usage de leurs armes que les policiers français dans des situations comparables ? Outre le fait qu’on peine à trouver des situations vraiment comparables, cela parait très difficile à établir d’un point de vue statistique sur le principe, et je ne dispose en tout cas pas pour ma part de chiffres sur ce point.» 

    Sputnik France: En France, l'usage des armes à feu est encadré strictement, même s'il a été assoupli à la suite de l'attaque de Viry-Châtillon en 2016. Il doit répondre à une absolue nécessité et à une stricte proportionnalité. Le cadre légal est il aujourd’hui adapté? Les policiers sont armés, mais la loi les désarme-t-elle?

     

    Mais vous avez raison, en 2017, c’est-à-dire quelques mois après cette terrible attaque au cocktail molotov de Viry-Châtillon sur des policiers, le parlement a voté un nouveau texte pour aligner les régimes juridiques applicables aux policiers et aux gendarmes. Il existait en effet une différence de taille entre ces derniers, puisque seuls les gendarmes pouvaient par exemple faire feu lorsqu'ils étaient agressés ou menacés par des individus armés, pour "défendre" une zone qu'ils occupaient, si des sommations répétées restaient sans effet, ou pour immobiliser des véhicules.

    Le nouveau texte inséré dans le code de la sécurité intérieure offre désormais aux policiers un cadre commun à celui des gendarmes et des douaniers. Sous condition qu'ils agissent en cas d'absolue nécessité et de manière proportionnée dans l'exercice de leurs fonctions, qu'ils portent un uniforme ou un brassard, les policiers sont autorisés à utiliser leurs armes dans cinq situations. Afin de s’assurer du bon déroulement et de la bonne compréhension par les policiers de l’entrée en vigueur de ces nouvelles règles d’usage des armes, 124.000 agents, relevant tant de la sécurité publique, de la police aux frontières que des CRS, ont pu bénéficier de quatorze «simulations chocs et pédagogiques.»

    Sputnik France: Les contrôles de l’usage des armes à feu et des bavures potentielles par les autorités sont-ils suffisants, ou au contraire trop sévères?

    Guillaume Jeanson: «L’usage de l’arme par la police fait systématiquement l’objet d’un examen rigoureux en France suivant l’ensemble de ces critères juridiques en vigueur. A chaque fois qu’un policier utilise son arme, cela donne lieu automatiquement à une ouverture d’enquête par l’IGPN. La lourdeur des contrôles de l’institution et la rigueur, parfois extrême, de l’interprétation des critères de légitime défense conduisent de nombreux professionnels à dénoncer le sentiment d’inhibition qui entrave aujourd’hui bon nombre de fonctionnaires de police quant à l’utilisation de leurs armes. L’ancien préfet Michel Auboin met en cause «une question de doctrine» : «les policiers de la BAC, qui y risquent leur vie chaque soir, craignent la sanction plus que la blessure, à cause d’une interpellation qui aurait mal tournée. La peur de la bavure les accompagne en permanence

    C’est donc sans doute moins les textes qui désarment que la manière de les appliquer. Ce qui invite alors, en miroir, à vouloir corriger certains de ces textes pour inciter à faire évoluer la manière de les interpréter. Ainsi en va-t-il par exemple de cette revendication portée depuis longtemps par l’IPJ, et récemment aussi par le député Joachim Son Forget de prendre en considération, à l’instar du droit pénal suisse, l’état émotionnel de la personne agressée dès lors qu’on apprécie la proportionnalité de sa riposte.»

    Sputnik France: Donc légalement, la police serait dans son droit. Mais que dire en pratique? Doit-on, comme Zemmour, craindre la création d’enclaves et exiger la riposte des forces de l’ordre, ou craindre au contraire qu’un tir ne mette le feu aux poudres, ce qu'il manque pour une escalade définitive de la violence?

    Guillaume Jeanson: «Zemmour n’est pas le seul à craindre la création d’enclaves. Les pouvoirs publics n’ont-ils pas évoqués eux-mêmes ces «quartiers de reconquêtes républicaine» comme pièce du dispositif de leur fameuse «police de sécurité du quotidien» ? Sauf à ce que les mots soient dépourvus de sens, le constat du phénomène inquiétant de sécession, d’abord dénoncé par une poignée d’enseignants courageux, puis, ces toutes dernières années, par un président de la république «qui ne devrait pas dire ça», et un ministre de l’intérieur du présent quinquennat, transcende enfin à peu près désormais les clivages politiques. Si l’on s’accorde sur le constat, les modes d’actions à entreprendre divisent en revanche toujours autant. La situation s’est en outre tellement dégradée en certains endroits que la crainte qu’un tir mette, comme vous le dites, «le feu aux poudres» n’a plus rien de théorique.

    Cette crainte est donc double. Elle est d’abord que la situation devienne véritablement en elle-même incontrôlable et génère de nombreuses victimes. Elle est ensuite, que la situation se révèle coûteuse pour la carrière du responsable politique qui servira de fusible. Nul besoin de s’étendre sur ce fameux «syndrome Malik Oussekine», qui conduit le politique à exercer des pressions sur la hiérarchie policière pour donner des ordres officieux aux hommes du rang de bien souvent laisser faire. Ce qui aggrave la perte de crédibilité des forces de l’ordre, renforce le sentiment d’impunité des délinquants et accélère d’autant la dégradation de la situation. Parmi de nombreux ouvrages ayant dénoncé ces dernières années ce phénomène, celui de votre confrère Frédéric Ploquin La peur a changé de camp (Albin Michel, 2018) est à cet égard sans doute l’un des plus édifiants. Le journaliste y évoque en effet «une impunité nourrie par les lendemains d’émeutes, de poubelles brûlées ou de guet-apens, quand les chefs freinent des quatre fers et retiennent les troupes avec l’espoir que le feu s’éteigne tout seul.»

    Sputnik France: dans les quartiers criminogènes, les policiers subissent des lancers de cocktails molotov et des tirs de mortiers d'artifice. Une gendarmerie a été attaquée il y a quelques jours. Doit-on craindre un usage d'armes lourdes à court ou moyen-terme? 

    Guillaume Jeanson: «Depuis la chute du mur et les conflits des Balkans, il n’est un mystère pour personne que les armes de guerre prolifèrent dans certaines zones. La hausse des homicides, elle-même souvent liée à la montée des règlements de compte sanglants sur fond de guerre de « points deal » ces derniers mois, devrait assez logiquement entrainer une course à l’armement qui pourrait encore accroître la disponibilité d’armes de plus en plus lourdes dans ces enclaves. On le voit, plus les autorités tardent à agir efficacement, plus le problème sera difficile à résoudre.

    Il faut évidemment que la police parvienne dans ces zones à rétablir l’ordre de la loi. Or, plus elle perd du terrain, plus cette entreprise est difficile. Aujourd’hui, la tâche est déjà ardue et le politique et la hiérarchie policière feraient bien d’épauler les hommes de terrain pour y parvenir. On a pourtant le sentiment qu’ils font tout l’inverse, qu’ils donnent des ordres de ne pas agir quand il le faudrait et qu’à la première orchestration médiatique – tout le monde se souvient de l’affaire Théo – ils n’hésitent pas à abandonner ces hommes à la vindicte publique. Bien sûr, comme toute appréciation générale, ce tableau manque certainement de nuances, mais il est inquiétant de mesurer combien cette perception est aujourd’hui répandue.

    Le problème ici tient donc à la fois à une question de courage du politique et des institutions et à une question de discernement. Non, la riposte systématique à balles réelles n’est sans doute pas à privilégier, mais – compte tenu de la dangerosité à laquelle sont aujourd’hui parfois exposés les forces de l’ordre,– il existe bien des situations où, dans le respect des critères fixés par la loi, une telle riposte devrait s’imposer et faire l’objet d’un soutien de la part de la hiérarchie policière et du politique. A défaut, la situation continuera de dégénérer.»

    Sputnik France: Sujet connexe: les tensions dans les quartiers dits «sensibles» ne sont pas les seules. Les bavures semblent se multiplier face aux gilets jaunes, avec ou sans flashball. Les non lieux doivent-ils nous inquiéter ? 

    Guillaume Jeanson: «Ce sujet n’est au contraire pas si connexe que cela. Non seulement parce que la police perd autant en crédit en désertant qu’en agissant illégalement, mais aussi parce que les bavures éloignent la population de sa police. Or, une police sans contact avec sa population perd considérablement son efficacité et ses moyens d’actions. Sans parler du fait même qu’elle manque à l’une de ses missions prévues par l’article R. 434-2 Code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale: celle d’être justement «au service de la population». La justice doit donc se montrer aussi inflexible envers ceux qui défient la police qu’envers la police elle-même dès lors qu’elle n’agit plus dans le cadre de la loi. A cet égard, si en 2018 l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a enregistré une hausse de 8,8% des saisines judiciaires et de 5,1% des saisines administratives, la justice a pour sa part saisi l’IGPN de 1.180 enquêtes.

    Vous évoquez les flashballs et les gilets jaunes. Cet exemple me paraît significatif de ce que j’exprimais au sujet de la responsabilité du politique dans cette fracture qui pointe entre police et population. Il a en effet été mis en exergue ces derniers mois que de nombreux cas de bavures aux flashballs étaient principalement imputables à des unités de police chargées par les autorités d’exercer des missions pour lesquelles elles n’avaient été ni formées ni entrainées. Quand on connaît les conséquences dramatiques que cela a eu pour certains manifestants, on ne peut faire l’impasse sur la responsabilité de ceux qui ont décidé d’employer ces unités-là à de telles missions. Ont-ils seulement été inquiétés?»

    Guillaume Jeanson, propos recueillis par Edouard Chanot (Sputnik, 11 janvier 2020)

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  • Du politiquement correct à l'idéologie totalitaire...

    Le 6 janvier 2020, Pierre Bergerot recevait, sur TV libertés, André Perrin à l'occasion de la récente publication de son ouvrage intitulé Journal d'un indigné (Toucan, 2019) Professeur de philosophie, André Perrin, est déjà l'auteur d'un essai décapant intitulé Scènes de la vie intellectuelle en France (Toucan, 2017).

     

                                           

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  • Vincent Desportes : «L’OTAN est devenue un protectorat américain dirigé par un allié brutal»...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par le général Vincent Desportes le 18 décembre 2019 à RT France et dans lequel il développe son analyse de l'OTAN et des ambitions de l'Europe de la défense. Spécialiste de la stratégie, le général Desportes est notamment l'auteur de Comprendre la stratégie (Economica, 2001), de Décider dans l'incertitude (Economica, 2004) et, dernièrement, de Entrer en stratégie (Robert Laffont, 2019).

    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal
    analyse de l'OTAN qui célèbre ses 70 ans cette année, avant de décrypter les ambitions de l'Europe de la défense.

    En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/69181-vincent-desportes-otan-est-devenue-protectorat-americain-dirige-allie-brutal

     

                                       

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  • Olivier Dard et le dictionnaire des populismes...

    Le 5 novembre 2019, dans son émission « Interdit d'interdire », sur RT France, Frédéric Taddeï recevait, notamment, Olivier Dard pour évoquer le Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019) dont il a dirigé la publication, après celle du Dictionnaire du conservatisme (Cerf, 2017), avec Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois. Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paul Verlaine de Metz, Olivier Dard est, en particulier, l'auteur d'une étude sur l'OAS, Voyage au coeur de l'OAS (Perrin, 2005) et a également publié Charles Maurras - Le maître et l'action (Armand Colin, 2013).

     

                                       

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  • Progressisme, libéralisme, macronisme... Quelles sont les idéologies qui nous gouvernent ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François-Bernard Huyghe à Marianne, à propos consacré aux idéologies qui nous gouvernent. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont,  La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018) et, dernièrement, L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Progressisme, libéralisme, macronisme... Quelles sont les idéologies qui nous gouvernent ?...

    Marianne : Pourquoi vous intéresser aux idéologies ? Ces dernières ont-elles un vrai impact sur notre société ?

    François-Bernard Huyghe : Ceux qui ont prédit la « fin des idéologies » - elles seraient balayées par le progrès matériel et intellectuel ou par le triomphe d’un modèle - se sont trompés, de Marx ou Comte à Fukyama. En tant que systèmes d’idées structurées fournissant des objectifs politiques et s’affrontant au nom de valeurs, les idéologies comptent autant qu’hier. Mais différemment. Populisme et progressisme, mondialisme et nationalisme, écologisme, luttes contre une « domination » particulière sont moins doctrinales qu’à l’époque du grand duel communisme contre démocraties. Leur imaginaire se réduit souvent à la désignation d’oppressions ou dangers à éliminer. Et ceux qui prétendent ne pas être dans l’idéologie, donc parler au nom d’un principe de réalité ou de valeurs universelles, en sont souvent les meilleurs exemples.

    Quel rôle jouent les médias dans cette guerre idéologie ? Existe-t-il un « Parti médiatique » qui diffuse une même idéologie ?

    Une idéologie cherche par définition à gagner de nouveaux partisans, ou à imposer ses visions et ses catégories pour vaincre les mauvaises pensées opposées. Cela suppose des médias, des relais, des interprètes, des milieux réceptifs, etc. Sans faire de complotisme (du style : les journalistes « vendus au pouvoir » par leurs propriétaire), et sans revenir sur des évidences (s’il y a deux idéologies, une doit tendre à être dominante, donc tendre à dominer les moyens d’information).... Il ne me semble pas étonnant que les médias « classiques » soient prédisposés sinon à la pensée unique, du moins à la sélection de thèmes, analyses, mots, jugements, gens autorisés à s’exprimer.., compatibles avec les convictions des élites, libérales, européennes, pour une société « ouverte », etc. Pour s’en convaincre a contrario, comparez avec le contenu des réseaux sociaux, polarisés, souvent extrémistes ou délirants. Il reflète une crise de croyance : la rupture entre bloc populaire accusant les mas médias de conformisme pro-système ou de déni la réalité et bloc élitaire horrifié, lui, par ces délires d’en bas.

    Vous soulignez dans votre ouvrage l’émergence dès la fin des années 1980 d’une soft idéologie, synthétisant « des thèmes connotés à droite, libéralisme économique, pro-américanisme et à gauche, appel perpétuel à la rupture et à la modernité, programme de « libération »… » Elle symbolise la victoire des quatre « M » : Marché, Mondialisation, Morale, Média. Macron, qui se veut « et de gauche et de droite », progressiste, libéral et « révolutionnaire », en est-il l’incarnation ?

    Son progressisme se réclame d’une sorte de sens de l’Histoire allant vers plus de libéralisme économique et politique, de technologies douces, de multilatéralisme, de gouvernance, de performance et d’Europe. Mais, il entend aussi réaliser des « valeurs » sociétales, libertaires : ouverture, innovation, réalisation de soi, diversité, tolérance... Il est bien l’héritier des idées lib-lib qui se sont répandues peu avant ou après la chute de l’URSS et il pourrait être le symptôme d’une fin de cycle intellectuel. Pour le moment, de telles représentations convient plutôt à ceux, disons d’en haut. Elles leur garantissent à la fois la défense de leurs intérêts matériels et la satisfaction ostentatoire de se sentir supérieurs. Moralement face aux obsédés de l’identité et autres autoritaires ou intellectuellement face à ceux qui n’ont « pas compris que le monde a changé » .

    Vous notez que le progressisme dominant dénonce régulièrement le populisme et le complotisme. Cette idéologie a-t-elle besoin d’épouvantail, comme l’est le RN, pour s’imposer ?

    Toute idéologie a besoin d’un ennemi à combattre et d’un péril à dénoncer. En l’occurrence la peste illibérale et nationaliste, nourrie de fausses nouvelles, nostalgies et fantasmes, a tout pour faire peur. Guy Debord annonçait il y a plus de trente ans une « société qui veut être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats ». Depuis...

    La montée du populisme est-il le signe que le progressisme est encore dominant, mais n’est plus majoritaire ?

    Cette montée du populisme a une base sociologique bien repérée : des catégories « périphériques », perdantes de la mondialisation, sans guère d’espoir d’amélioration, en demande de protection de l’État, à faible capital culturel. Elles se réfugient dans le vote RN ou LFI, dans l’abstention, dans le mouvement Gilet jaune. Cela fait du monde et correspond à un mouvement général européen ou occidental. S’ajoute, la conviction subjective d’être le peuple légitime et de subir le pouvoir et les idées de ceux d’en haut : d’être mal représentés que ce soit politiquement, socialement ou médiatiquement.
    De là à voir un populisme aussi divisé, comme sur la question identitaire (immigration et islam, souverainisme...) l’emporter électoralement, mais aussi culturellement et intellectuellement, il y a un gouffre. Déficit de leaders et d’intellectuels organiques, manque de cohérence, carence d’objectifs susceptibles de convaincre des couches sociales entre élites et peuple, absence de médiations idéologique (outre les médias, l’université, l’école, l’entreprise, les ONG, etc.) : ce sont de gros handicaps.

    Vous relevez que les idéologies actuelles sont « anti » : antilibéralisme, anti-mondialisme, etc. Notre époque éprouve-t-elle des difficultés à créer de vraies idéologies, comme ont pu l’être le marxisme, le positivisme, le libéralisme ou le structuralisme ?

    Ni l’utopie d’un monde parfait, ni les théories traçant le chemin jusqu’à cet achèvement ne font plus recette. Il y a surtout l’affrontement polarisant -libéraux-libertaires, parti de la peur voire du mépris, versus populistes, parti de la colère-. S’ajoutent des engagements idéologiques à la carte, où des groupes se choisissent un coupable ou une oppression (raciale, coloniale, de genre, spéciste, machiste, du péril fasciste, de l’ultra-libéralisme) ; ils en réclament l’élimination ou la répression par la loi et le politiquement correct.

    L’écologisme, qui prend de plus en plus de place, peut-elle devenir l’idéologie dominante ? Exige-t-elle une remise en question du système actuelle ?

    Le discours écologique actuel se réclame du principe de la vie, et pose une alternative terrifiante : la disparition annoncée par la science ou l’abandon de la logique productiviste mortifère. La radicalité de ce choix, qui se place au-delà du politique au sens traditionnel, peine à se traduire en termes de pouvoir. Ou bien le bricolage d’idées (transition douce, prise de conscience et gestes du quotidien pour sauver la planète) avec une délicieuse redécouverte du sens du péché (as-tu émis du carbone aujourd’hui ?). Ou bien la radicalité toute théorique : en finir avec le capitalisme et le système pour survivre. Mais dans ce dernier cas qui imposera la contrainte indispensable au salut ? L’écologie a encore à penser ses moyens et sa stratégie.

    François-Bernard Huyghe, propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire (Marianne, 10 décembre 2019)

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  • Sans courage, nous sommes morts !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la présentation par François Bousquet de son ouvrage Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2019). Journaliste, essayiste et polémiste talentueux, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a notamment publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015) et La droite buissonnière (Rocher, 2017).

     

                                      

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