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Entretiens - Page 111

  • Sans révolution européenne, notre civilisation va s'éteindre...

    Le 6 mai 2019, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Thomas Ferrier, pour évoquer son projet européen. Fondateur du Parti des Européens, qui se définit comme identitaire, Thomas Ferrier propose une révolution pour construire une nouvelle Europe politique unie, une Europe supprimant la Commission, toutes les souverainetés nationales mais refondée sur le Parlement, la monnaie unique, une nationalité européenne et intégrant la Russie…

     

                                        

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  • Le droit, arme de guerre des Etats-Unis...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Ali Laïdi au Figaro Vox à l'occasion de la sortie de son essai Le droit, nouvelle arme de guerre économique (Acte Sud, 2019). Docteur en science politique, Ali Laïdi est chroniqueur à France24, où il est responsable du "Journal de l'Intelligence économique". Il est également chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). et enseigne à Sciences Po Paris. Il a déjà publié une Histoire mondiale de la guerre économique (Perrin, 2016).

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    Comment le droit est devenu l’arme favorite des États-Unis pour s’accaparer nos entreprises

    FIGAROVOX.- Comment résumer en quelques lignes l’usage du droit en tant qu’arme de guerre économique? Comment définir l’extra-territorialité du droit américain?

    Ali LAIDI.- Les juristes distinguent deux types d’extraterritorialité, notamment à travers la question des sanctions. Il y a d’abord les sanctions primaires, appliquées lorsque l’État américain décide d’interdire à ses sociétés et à tout ce qu’il considère comme étant des «US persons» d’avoir des relations commerciales avec certaines entités, généralement un État. Or dans ce cas précis, selon les juristes, nous ne serions pas dans un cas d’extraterritorialité puisque cette sanction primaire ne s’applique qu’aux US persons. Cependant, la définition de l’US persons aux États-Unis est tellement large qu’une filiale d’entreprise étrangère peut être comprise comme US person et donc tomber sous le coup des sanctions primaires.

    Il y a ensuite les sanctions secondaires, qui s’appliquent à tout le monde, toutes les entreprises, qu’elles soient américaines ou étrangères. Dans ce cas-là, certains juristes acceptent de reconnaître qu’il y a une forme d’extraterritorialité.

    Mais, pour les géopolitologues, il est évident que l’extraterritorialité se situe à la fois dans les sanctions primaires et secondaires et il est très intéressant d’en étudier les effets, notamment en ce qui concerne les affaires d’embargos ou de lutte contre la corruption, car dans ces domaines-là, le lien avec le territoire américain est beaucoup plus ténu. En effet, dans la plupart des cas recensés depuis un certain nombre d’années, les cas de corruption ont lieu en dehors du territoire américain. Mais un lien peut être établi dès lors que vous allez utiliser le dollar, ou par exemple si vous avez utilisé un compte Gmail dont le serveur se situe en partie aux États-Unis. La définition de la compétence du droit américain sur les faits de corruption à l’étranger est donc extrêmement large, même si elle ne touche pas directement le territoire américain.

    Pouvez-vous revenir sur l’affaire Alstom?

    C’est en 2010 que les Américains sonnent l’alerte et que le Département de la Justice des États-Unis ouvre une procédure contre le Français Alstom. Des années que la société pratique la corruption, enchaîne les condamnations, pourtant rien ne change. En 2004 et 2008, les justices mexicaine et italienne condamnent Alstom à plusieurs milliers de dollars et à une exclusion pour quelques années des marchés publics pour corruption de fonctionnaires. En 2011, la justice suisse épingle le Français pour corruption et trafic d’influence en Tunisie, Lettonie et Malaisie et condamne Alstom à une amende de plus de 40 millions d’euros. Prévenants, les Suisses qui savent que la justice américaine s’intéresse également à Alstom, lui envoient l’ensemble des pièces de cette affaire. Lesquelles alourdissent le dossier ouvert par Washington.

    Autant dire que les Américains ne manquent pas d’éléments pour aller chercher querelle à Alstom et exiger que l’entreprise lance une enquête interne. Ils passent à l’attaque en 2013 et interpellent un cadre d’Alstom, Frédéric Pierucci, vice-président d’Alstom Chaudière. La rumeur dit même que Patrick Kron est menacé d’un emprisonnement s’il met les pieds aux États-Unis. Pendant que Frédéric Pierucci croupit sous les verrous, Patrick Kron négocie dans le plus grand secret la vente de la branche énergie (Alstom Power) de son entreprise à l’américain General Electric. Malgré la résistance d’Arnaud Montebourg, alors ministre de l’économie, au plus haut niveau de l’État, la messe est déjà dite. On a lâché Alstom.

    Le 19 décembre, lors de l’Assemblée générale d’Alstom, le dépeçage d’Alstom est acté. Dans les trois co-entreprises Energie créé dans le plan, General Electric est majoritaire. Les Américains y pilotent les deux directions les plus stratégiques: les directions financières et opérationnelles. Les Français sont cantonnés à la technologie. C’en est fini de l’indépendance atomique française chère au Général De Gaulle. La fabrication des turbines, élément indispensable au fonctionnement de nos centrales nucléaires, passe sous pavillon américain.

    Quelles sont les réactions des États visés par ce genre de pratiques? Comment a réagi la France, par exemple, à l’affaire Alstom?

    Les Européens ne bougent pas. Angela Merkel reconnaît la légitimité des États-Unis à épingler les entreprises étrangères soupçonnées de corruption. En 2015, des députés français enquêtent sur l’extraterritorialité de la législation américaine mais le rapport n’aboutit à aucune décision politique forte. J’ai beaucoup travaillé sur la réponse de la France en particulier et de l’Europe en général, et le bilan c’est qu’il n’y en a pas. Les Européens sont tétanisés par rapport à ce problème-là, et ils ne savent pas quoi faire. Le plus extraordinaire, c’est qu’ils se plaignent même de ne pas avoir été préparés, alors même que l’une des premières manifestations de l’extraterritorialité date de 1982, lorsque le président Reagan a voulu interdire aux filiales des entreprises américaines de participer à la construction d’un gazoduc entre l’URSS et l’Europe. À cette époque, Margaret Thatcher s’était fermement opposée à la position américaine de vouloir imposer des sanctions aux filiales américaines, ce qui avait fait reculer Ronald Reagan.

    C’était donc déjà un signe de la volonté des Américains de s’immiscer dans les relations commerciales et l’autonomie économique de l’Europe. En 1996, il y a eu un second signal avec la loi fédérale Helms-Burton, qui renforçait l’embargo contre Cuba, et la loi d’Amato-Kennedy, qui visait à sanctionner les États soutenant le terrorisme international et qui donnait la possibilité à Washington de punir les investissements - américains ou non - dans le secteur énergétique en Iran ou en Libye. Toute cette expérience n’a donc servi à rien, comme l’illustre tout ce qui se passe aujourd’hui avec le cas iranien. On a l’impression que l’Union européenne repart à zéro, qu’elle n’a pas enrichie sa réflexion sur le sujet.

    J’explique cela par le fait que tant qu’il n’y aura pas un cadre général de pensée stratégique économique en Europe, à chaque fois les fonctionnaires de Bruxelles se trouveront dépouillés, car ils ne savent pas comment réagir. En effet, le concept de guerre économique est un concept complètement balayé à Bruxelles où l’on n’a jamais accepté de réfléchir sur la question. L’Europe, c’est la paix, et la puissance est un gros mot à Bruxelles.

    L’Union européenne n’est donc pas en mesure de répondre à ces menaces?

    En 1996, il y a eu une occasion formidable de réagir face aux lois Helms-Burton et Amato-Kennedy, lorsque les Européens ont décidé d’établir un règlement pour protéger les entreprises européennes. L’Union européenne avait déposé plainte à l’OMC, mais malheureusement elle l’a retiré. Les Européens ont trouvé un accord avec les Américains, et ce fut là l’erreur stratégique. Cet accord reposait alors essentiellement sur la bonne volonté du président Clinton, et sur celle du Congrès qui, éventuellement, n’appliquerait pas forcément les dispositions des lois qui posaient problème. Selon moi, à l’époque il aurait vraiment fallu traiter le problème à la racine et laisser la plainte déposée à l’OMC aller jusqu’au bout. Cela aurait permis de montrer que les Européens n’accepteraient pas ce type de diktat économique.

    On mesure aujourd’hui le prix de cette erreur politique des Européens. Le président Trump n’étant pas tenu par la promesse de ses prédécesseurs a décidé très récemment d’appliquer le titre III de la loi Helms-Burton qui autorise les poursuites des entreprises étrangères devant les tribunaux américains. Faut-il déposer une nouvelle plainte à l’OMC? Aujourd’hui, une telle action semble inenvisageable tant les Européens craignent de donner une occasion à Donald Trump de quitter l’OMC. Bruxelles et Paris sont donc systématiquement sur la défensive, ne trouve pas de solutions, et toutes les entreprises européennes ont aujourd’hui quitté l’Iran et peut-être Cuba dans les prochains mois. Et ce n’est pas la plateforme financière de troc promise par Paris, Londres et Berlin pour assurer des relations commerciales avec Téhéran qui va radicalement modifier le rapport de force avec les Américains. L’ambition européenne se limite aux échanges dans les secteurs de l’alimentation et des médicaments. Ce n’est pas cela qui fera revenir Total, Peugeot ou Renault…De plus, les Américains comptent tout faire pour l’empêcher de fonctionner.

    Vous expliquez qu’Airbus sera la prochaine cible de l’extraterritorialité du droit américain...

    Depuis le printemps 2016, Airbus Group traverse une zone de turbulence juridique. Thomas Enders, alors PDG de l’avionneur européen (remplacé par Guillaume Fleury) a décidé d’ouvrir le parapluie en se confessant de son propre chef à l’agence britannique de crédit à l’exportation (UK Export Finance, UKEF): son entreprise a oublié de mentionner certains intermédiaires dans plusieurs contrats à l’export. Depuis, les Britanniques et les Français via le Parquet national financier, enquêtent. Thomas Enders pensait couper l’herbe sous le pied des Américains. Mais en décembre dernier, on a appris que Washington avait placé Airbus sous enquête. Il est clair qu’une épée de Damoclès est placée au-dessus de l’avionneur européen. Avec la présence des Américains dans la procédure, la facture risque d’être salée, forcément de plusieurs milliards d’euros.

    Les États-Unis sont-ils le seul pays à mettre en œuvre l’extra-territorialité de leur droit? Vous expliquez que c’est beaucoup grâce à leurs services secrets…

    Les Américains sont en effet le seul pays à manier leurs lois extraterritoriales de manière aussi intrusive et agressive. Et visiblement cela marche quand vous constatez qu’ils peuvent frapper des entreprises russes et même chinoises (ZTE et Huawai). Les Européens répondent qu’ils possèdent aussi une législation extraterritoriale à travers le Règlement général de protection des données (RGPD) censé contraindre les entreprises du monde entier à protéger nos données personnelles. Mais la loi américaine qu’on appelle le Cloud Act voté en août dernier permet à n’importe quelle autorité de poursuite américaine d’exiger l’accès à nos données quand bien celles-ci sont hébergées en Europe par un Gafa. Les États-Unis sont extrêmement agressifs car, vous avez raison de le noter, ces lois leur permettent de récupérer des millions d’informations économiques qui vont nourrir les bases de données de leurs services de renseignement. Et servir à la protection de leurs intérêts économiques et commerciaux. Il va falloir surveiller la réponse chinoise. Souvent Pékin applique la réciprocité. Il faudra voir comment les Chinois se comportent notamment sur les marchés de la route de la Soie. Ce n’est pas un hasard si les Chinois ont été les premiers à traduire mon livre.

    Ces pratiques deviendront-elles systématiques? Ou bien les États-Unis seront-ils contraints de les abandonner?

    Elles commencent à poser des problèmes aux Américains. Diplomatiques d’abord. Les relations avec leurs alliés se tendent de plus en plus. Vont-ils finir par se révolter ou accepter un statut plus proche de vassal que d’allié? Vont-ils utiliser les mêmes armes, et dans ce cas, cette affaire pourrait très mal finir... Ou alors se détacher du dollar au profit de l’euro et du yuan? Problèmes sécuritaires ensuite. Les organisations criminelles et terroristes ainsi que les États qualifiés de «voyous» par Washington s’adaptent à la nouvelle situation. Ils trouvent les parades pour parer aux coups de l’Amérique. Le problème, c’est que les lois extraterritoriales américaines sont trop efficaces. Résultat: les entreprises occidentales n’osent plus bouger le moindre petit doigt et désertent certains marchés risqués. Ce qui affaiblit la surveillance américaine, les autorités manquant de sources pour faire remonter les bonnes informations. Du coup, remarquent les spécialistes américains de la sécurité, les outils de surveillance et de contrôle commencent à diminuer. Les entreprises et les acteurs moins dociles, plus opaques, s’en réjouissent.

    Ali Laïdi, propos recueillis par Etienne Campion (Figaro Vox, 3 mai 2019)

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  • Comprendre le marxisme culturel...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Pierre-Antoine Plaquevent à Xavier Moreau pour Stratpol et consacré au marxisme culturel. Pierre-Antoine Plaquevent est journaliste indépendant. Il anime le site métapolitique Les Non-Alignés et vient de publier Soros et la société ouverte (Le Retour aux Sources, 2018).

     

                                 

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  • Ces élites qui ont trahi...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Olivier Maulin, réalisé par Edouard Chanot pour son émission Parade - Riposte, et diffusé le 24 avril 2019 sur Sputnik, dans lequel il évoque en particulier la révolte des Gilets jaunes à l'occasion de la sortie de son recueil de chronique Le populisme ou la mort (Via Romana, 2019). Romancier truculent, Olivier Maulin est également critique littéraire à Valeurs actuelles.

     

                                   

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  • Spengler et la fin de la civilisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par David Engels à la revue Philitt et consacré à Oswald Spengler, l'auteur du Déclin de l'Occident. Historien, titulaire de la chaire d’Histoire romaine à l’Université libre de Bruxelles, David Engels a publié Le déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013). Il préside également The Oswald Spengler Society.

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    David Engels : « Pour Spengler, il n’y a aucune connotation négative à parler de la fin d’une civilisation »

    PHILITT : Chez Spengler la culture s’éteint dans la civilisation crépusculaire. Pourriez-vous, dans un premier temps, revenir sur cette distinction capitale entre culture et civilisation chez Spengler ? Possède-t-elle une réelle singularité ou s’agit-il d’un lieu commun de son époque sans grandes variations ?

    David Engels : En effet, Spengler reprend ici un concept qui, dans la philosophie de l’Occident, remonte au moins jusqu’au XVIIIe siècle, quand Schiller mit en avant la distinction fondamentale entre ce qu’il appela la poésie « naïve » et la poésie « sentimentaliste », dont la première serait spontanée, originale, véritable, et la seconde, artificielle, épigonale, imitative. Cette distinction stylistique fut également appliquée, surtout dans la pensée allemande – pensons ici particulièrement à Thomas Mann –, à la distinction entre deux types de sociétés : la première, appelée « Kultur », équivalait aux grandes périodes classiques de l’histoire (l’Athènes de Périclès, l’Italie de la Renaissance, etc.) et se caractérisa par un foisonnement de créations originales dans tous les domaines, combinées avec un certain vitalisme (peut-être même barbarisme) dans l’exubérance à la fois politique, artistique et spirituelle. La seconde, appelée « Zivilisation », était vue comme artistiquement stérile ou du moins confinée à l’imitation des grandes époques précédentes, mais se caractérisait par son haut degré de technicité, sa volonté impérialiste, son idéologie rationaliste et sa poursuite de l’individualisme et du profit.

    Spengler hérita de cette tradition et l’appliqua à l’entièreté des sociétés humaines, distinguant donc respectivement aussi dans l’Antiquité gréco-romaine, l’Égypte pharaonique, la Mésopotamie ancienne, l’Inde védique, la Chine classique, le monde byzantino-musulman et le Mexique, une phase « culturelle » et une phase « civilisatoire ». Mais sa grande originalité ne réside pas seulement dans le systématisme avec lequel il tenta de prouver l’existence de ces phases dans chaque culture, mais aussi le déterminisme avec lequel il combina ce dualisme avec sa vision biologiste de l’histoire : pour Spengler, la « civilisation » apparaît comme l’annexe stérile et pétrifié à la « culture » et ne peut mener, tôt ou tard, qu’à la fossilisation et l’extinction d’une société, alors qu’auparavant, ces phases étaient plutôt perçues comme des mouvements oscillatoires. Et selon Spengler, l’occident a commencé à rentrer dans sa phase « civilisatoire » depuis le début du XIXe siècle (en analogie avec l’époque hellénistique dans l’Antiquité), ce qui met notre XXIe siècle en parallèle avec le Ier siècle av. J.C. et donc avec la période des guerres civiles à Rome – un parallèle audacieux, mais visionnaire, comme j’ai tenté de le démontrer moi-même dans mon livre Le déclin.

    Peut-on dire que Spengler est un théoricien de la décadence ? En effet, la décadence ne suppose-t-elle pas une dégénérescence continuelle, un éloignement irrémédiable d’un âge d’or originel, incompatible avec une vision cyclique de l’histoire ? Peut-on parler d’une théorie de la décadence non linéaire ?

    Il est vrai que la décadence joue un grand rôle dans les passages consacrés à l’époque contemporaine de la vie de Spengler. Néanmoins, il faut se méfier de trop simplifier, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, Spengler se veut (sans toujours y arriver) un théoricien objectif de l’évolution des grandes sociétés humaines. Certes, c’est pour les phases de « Kultur » qu’il éprouve la plus grande sympathie, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il apporterait un regard « moralisateur » à la « Zivilisation ». Tout au contraire, Spengler s’est même plaint que les lecteurs aient tendance à confondre le « Déclin de l’Occident », le « Untergang des Abendlandes » (« Untergang » signifiant, en allemand, à la fois naufrage et crépuscule) avec le naufrage d’un paquebot, alors qu’il aurait pu intituler son ouvrage « Le parachèvement de l’Occident » sans pour autant changer le sens qu’il voulait donner à ce stade final d’une civilisation.

    En effet, pour Spengler, qui se réclame de l’école philosophique du vitalisme, si influent par le biais de Schopenhauer et de Nietzsche, le vieillissement d’une société tient la même place métaphysique que son adolescence ou sa maturité ; il n’y a donc, a priori, aucune connotation moralisante négative à parler de la fin d’une civilisation, bien que l’appel répété à embrasser courageusement cette fin imminente et à remplir son devoir sans espoir de victoire sonne, à certains moments, un peu creux et cache mal la grande sensibilité et nostalgie de Spengler qui, à choisir, aurait préféré de loin vivre au XVIIIe siècle qu’au XXe siècle, comme il le déclara un jour.

    Trouve-t-on chez Spengler, comme dans l’œuvre de José Ortega y Gasset, l’idée d’une décadence effective sur le seul plan historique, c’est-à-dire une décadence qui, dans ses diverses manifestations, se limiterait au déclin d’un substrat culturel abstrait sans générer pour autant une perte de vitalité, un abattement moral ou une souffrance psychique – autrement dit, la décadence historique s’accompagne-t-elle d’une décadence psychologique ou, au contraire, d’un « amor fati » ?

    La réponse qu’apporte Spengler à cette question est ambivalente. Certes, d’un côté, la phase civilisationelle d’une société mène tôt ou tard, par le biais de la croissance des grandes mégapoles et de leur individualisme extrême, leur polarisation sociale, leur culture des « pains et des jeux », leur rationalisme inhumain et leur détachement de la plupart des conditions de la vie physique et biologique « réelles », à un déclin démographique monstrueux, à peine comblé par la vampirisation de la campagne et l’importation d’étrangers et d’immigrés. Ceci implique que le nombre des personnes véritablement « porteuses » de la culture se réduit de plus en plus à une infime élite, alors que les grandes masses sombrent peu à peu dans un primitivisme à peine caché par le haut degré de technicité atteint à cette époque-là. De ce point de vue, l’on pourrait dire, en effet, que la fin d’une civilisation mène, comme chez Ortega y Gasset, à une certaine « décadence » psychologique suite à l’émergence de ce que l’on a appelé la culture de masse (terme qui est d’ailleurs une véritable « contradicio in adiecto »).

    Néanmoins, Spengler était persuadé qu’en parallèle à ce mouvement, l’on allait assister au retour des « grands individus », à ces « Césars », qui, par la force de leur volonté, arriveraient à se hisser aux sommets des foules et à construire, dans une lutte apocalyptique entre les forces ploutocratiques de la « monnaie » et celles, plébiscitaires, du « sang », cet empire final qui représente la fin de chaque grande civilisation. Selon Spengler, il est du devoir de l’historien de préparer les dernières forces vitales de la société à cette réalité et à leur enseigner un certain « amor fati » les poussant à embrasser ces nécessités de leur plein gré. En vue de la constellation politique actuelle, où la confrontation entre les élites libérales et les forces populistes a mis de côté toutes les distinctions idéologiques préalables, force est de constater que Spengler avait, là aussi, une bonne intuition…

    Les signes du déclin évoqués par Spengler – irréligion, recul de la forme traditionnelle, rationalisation du droit (remplacement des droits acquis par les droit naturels), prévalence de l’utilité technique et de « l’intelligence froide et perspicace » sur « la haute production artistique et métaphysique », exode rural, etc. – révèlent une dilatation du champ politico-social portée par un mouvement expansionniste de facture impérialiste ou cosmopolite. Cette dilatation maximale, ultime étape avant un éventuel nouveau départ, ne pourrait-elle pas représenter une sortie radicale (mais non belliqueuse) du politique et de la politique, une fin de l’histoire qui serait en même temps une fin de l’Homme, une fin du progrès et du perfectionnement, un retour à l’animalité selon des perspectives déjà entrevues par Alexandre Kojève ?

    D’abord, insistons bien sur le fait que la phase finale d’une civilisation, représentée par ces grands « empires universels » tels que l’empire romain, mais aussi celui des Ramessides en Égypte, des Han en Chine ou des Fatimides dans l’islam, ne furent jamais le véritable point de départ pour un renouveau, mais plutôt un point final. Certes, tant qu’il y aura des êtres humains, l’Histoire, dans un certain sens, continue ; mais selon Spengler, elle n’aura aucun sens morphologique proprement dit : ce sera juste un va et vient de diverses dynasties allant en général de pair avec un recul graduel du niveau civilisationnel général. Jamais, comme Spengler le précise bien, le cœur géographique d’une civilisation éteinte ne pourra devenir le point de départ d’une nouvelle culture : celle-ci sera toujours centrée dans un autre « paysage », et même si, après un certain temps, il y avait un recoupement géographique (ou un phénomène de réception culturelle), celui-ci sera toujours basé sur une reprise purement subjective du matériel historique, à l’image de l’utilisation secondaire et souvent à contre-sens du but initial de spolies architecturales.

    Se pose ici évidemment la question du futur de cette terre quand la civilisation occidentale sera éteinte, car elle embrasse, par le phénomène très mal-compris de la « mondialisation », le monde entier. C’est d’ailleurs le sujet d’un petit essai extrêmement intéressant, intitulé L’homme et la technique, dans lequel Spengler prédit de manière assez époustouflante, cent ans à l’avance, toute une série d’événements se passant aujourd’hui sous nos yeux, et annonce aussi que la fin de la civilisation occidentale impliquera celle du « progrès technique » et amorcera un long recul civilisatoire, peut-être accéléré par des incidents spectaculaires tels que des guerres mondiales et des cataclysmes écologiques. Selon Spengler, au cas où une nouvelle culture devait se construire quelque part, dans quelques centaines d’années, se serait en tout cas autre part qu’en Europe, et sans grand lien organique avec celle-ci.

    Dacid Engels (Philitt, 7 avril 2019)

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  • Abattre la dictature de l'égalitarisme...

    Le 4 mars 2019, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Thibault Mercier, pour évoquer son essai, Athéna à la borne - Discriminer ou disparaître ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2019). Avocat au barreau de Paris, Thibault Mercier est le cofondateur du Cercle Droit et Liberté.

     

                                       

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