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  • Le retour de Jean Lafargue...

    Les éditions Terres de l'Ouest viennent de publier un roman de Bruno Lafourcade intitulé Saint-Marsan, dans lequel on retrouve le héros de L'ivraie (Léo Scheer, 2018). Ayant enchainé des expériences professionnelles variées, dont celle de l'enseignement, Bruno Lafourcade est l'auteur de plusieurs romans, et dernièrement, d'un pamphlet, Les Nouveaux Vertueux (Jean-Dézert éditeur, 2018).

     

    " Jean Lafargue, quinquagénaire désabusé et écrivain sans succès, revient à Saint-Marsan, en Chalosse. Ce village natal, que Jean a fui très tôt, avec l'existence médiocre qui lui était promise, il le trouvait mort, désert. Aujourd'hui, il comprend que c'est à sa désertification, à l'absence de supermarchés, de lotissements, d'usines, que le village doit d'avoir survécu, de ne pas avoir été défiguré, dénaturé. Or voilà que les autorités se sont mis en tête de le repeupler, de « redynamiser le tissu économique » en y accueillant plusieurs dizaines de migrants. Du curé à l'instituteur, tout le Marsanais s'enthousiasme pour ce projet. Seul Jean s'en inquiète, car « c'est une chose, pense-t-il, que de recevoir, dans une France prospère et conquérante, quelques milliers d étrangers, conscients de leur chance ; c'en est une autre que d'en accueillir, dans un pays appauvri et déclinant, des centaines de milliers, d'une culture et d'une religion différentes, et qui n'éprouvent pas de reconnaissance particulière pour leurs hôtes. » "

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  • Comment expliquer ses échecs idéologiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et dans lequel il montre que le progressisme dénie toute légitimité à sa contestation. Spécialiste de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

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    Les ratés du faire croire

    L’idéologie, trop vite congédiée par les partisans du « il n’y a pas d’alternative » ou de la « fin de l’Histoire » à la Fukuyama, revient et au galop. Son spectre hante l’Europe, ou, du moins, les européistes : populisme, illibéralisme, nationalisme, conspirationnisme, et autres vilains mots en isme...

    Ainsi, pour le « progressiste » (libéral, social et européen) de type macronien, tout s’explique par les fantasmes identitaires des oubliés de la mondialisation, par la puissance corruptrice des discours de haine, par les ratés de notre système d’éducation et d’intégration au nom de nos « valeurs », ... Quand il ne recourt pas tout simplement aux vieux clichés de classe, notamment à propos des Gilets jaunes : des abrutis, nourris de stéréotypes (antisémites, homophobes, anti-élites, contre la presse, les riches, les bobos, etc.) donc poussés uniquement par le ressentiment, incapables de s’organiser. Leur infériorité congénitale explique comment ils ne pensent pas bien. Voire ne pensent pas du tout.

    L’idéologique est d’abord réduit au psychologique (voire, plus ou moins consciemment, au biologique : ces gens sont tarés ou, comme le disait sans gêne Gaspard Gantzer, ils ont un petit QI). La thématique de réduction aux catégories mentales (haine, stéréotypes persistants, troubles identitaires...) s’inscrit dans la logique du mépris que nous avons évoquée (voir la série d’articles).

    On notera au passage que cette thématique du mépris (y compris face à la haine supposée des classes dangereuses) est nettement passée à gauche, alors qu’il était longtemps une marque de la droite réactionnaire la plus décomplexée. Il est mon adversaire parce qu’il est mon inférieur.

    Mais le second grand type d’explication recourt au principe de causalité diabolique. Nous l’avons exploré dans notre livre Fake news (depuis quelques jours en version « la manipulation en 2019 » actualisée et augmentée).

    Globalement une partie des élites attribue tous les événement fâcheux des deux dernière années Brexit, élection de Trump, référendum catalan, élections italiennes, demain résultat des élections au Parlement européen à une action délibérée des désinformateurs (notamment russes). Plus récemment l’affaire Benalla, la montée des Gilet jaunes ou même la mise en cause de notre pays par l’Onu pour brutalités policières : tout cela a été présenté comme le résultat d’influences étrangères. Lesquelles au fait ?
    Les Russes font figure de suspect habituels (rôle longtemps tenu par les Chinois). Mais les méchantes « sphères » sont aussi suspectes de saboter la démocratie à grands coups de mensonges numériques.

    Récemment, le Monde (8 mars 2019) a trouvé de nouveaux suspects. Comme le milliardaire américain Robert Mercer, qui, avec sa fille, et à travers le fond d’investissement Renaissance Technologies, financerait des campagnes pro Trump via les « alt-right », plus un think tank néoconservateur (Gatestone), et un journal canadien the Rebel (dont un salarié avait contribué à diffuser les Macronleaks) tout cela s’intéressant beaucoup à l’Europe et offrant parfois des contenus en français. Le journal rapproche aussi des activités du centre Horowitz connu pour ses opinions anti-islam ou du think tank Middle East Forum à la fois ultraconservateur et très pro-sioniste. Il y aurait des bourses, des financements, des vidéos en ligne, des soutiens à des activistes de droite comme Tommy Robinson aux États-Unis.
    Tout cela est sans doute vrai et, pour notre part, nous n’avons jamais douté qu’il y ait aux États-Unis de riches partisans de Trump et d’Israël qui financent des fondations, des messages en ligne ou des médias internationaux.

    De même que nous n’avons jamais douté qu’il y ait eu des milliardaires US qui aient milité contre le communisme ou pour l’Europe libérale. Nous n’avons jamais douté que George Soros ne donne des sommes considérables à des mouvements ou médias libéraux anti-Orban, anti-Trump, pro révolutions de couleur pro-UE, ou pro société ouverte. Et cela pour l’excellente raison qu’il le dit lui même et s’en vante. Pas davantage, nous ne doutons que les médias français soient pour une bonne entre les mains de 9 milliardaires qui ne sont pas trop favorables aux populistes ou aux Gilets jaunes. Ou qu’il existe des réseaux d’influence libéraux à travers la planète.

    La vraie question est : en quoi une ingérence anti-UE, anti-libérale, qu’elle soit menée par des États ou par des milliardaires pervertis, serait-elle en mesure de fausser la démocratie ? Pourquoi les « bonnes » influences laisseraient-elles de marbre les électorats populistes d’Europe et pas le contraire ? Quelle est la recette magique des méchants ? Et pourquoi la vérité serait-elle impuissante à triompher du mensonge, elle qui a à son service tant de gouvernements vertueux, de médias mainstream, d’ONG de bonne volonté et d’internautes profondément vertueux ?
    Nous développerons dans d’autres billets la critique de ces deux arguments majeurs de l’idéologie dominante (en disant « idéologie dominante », nous voulons simplement dire que dans toute société, s’il y a au moins deux idéologies, il y en a forcément une qui prédomine). Mais il faut aussi se poser la question complémentaire : qu’est-ce qui pousse les tenants des conceptions prédominantes à attribuer leurs échecs (leur incapacité à faire croire les masses) à des facteurs aussi triviaux que les mauvais instincts desdites masses ou les manœuvres vicieuses d’une poignée de manipulateurs ?

    L’explication est probablement que ce type d’explication satisfait les dominants. Pour eux, l’idéologie est le mal psychique par excellence : l’ignorance de la réalité (fake news, fantasmes et compagnie) constitue son terrain favorable car elle nourrit les passions tristes (obsession identitaire, haine de l’autre). À moins que les discours idéologiques anti-systèmes (donc anti-démocratie puisque nous avons été élus), ne soient que les indices d’une gigantesque opération de désinformation, surtout en ligne : haine envers le Vrai, le Beau, le Juste plus falsification de la réalité . Opération menée par les Russes, les Chinois, les islamistes, les extrémistes : le succès des idées non conformes ne peut ressortir qu’au ressentiment ou à la conspiration. La solution serait de rééduquer ou d’inclure, non de confronter des intérêts ou des projets. Éventuellement, il faudrait contrôler les réseaux sociaux...

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 9 mars 2019)

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  • Benoist-Méchin, à l'épreuve du temps...

    Les éditions Perrin viennent de rééditer, dans la collection de poche Tempus, les souvenirs de Jacques Benoist-Méchin, intitulés A l'épreuve du temps. Écrivain, homme politique, historien et grand voyageur, réputé pour sa connaissance du monde arabe, Jacques Benoist-Méchin est l'auteur de vastes fresques comme son  Histoire de l'armée allemande et Soixante jours qui ébranlèrent l'Occident, de portraits inspirés de grands personnages, comme Mustapha Kémal, Ibn Séoud, Lawrence d'Arabie ou l'inoubliable Frédéric de Hohenstaufen ("Jamais plus l'Aigle de Souabe ne tracerait ses orbes dans le ciel."...), qu'on retrouve, pour certains, dans sa série Le rêve le plus long de l'histoire, et aussi de mémoires politiques, écrites à chaud, De la défaite au désastre, dont la lecture reste essentielle à qui s'intéresse à la période de Vichy.

     

    " Jeune écrivain, ivre de musique, admirateur de Marcel Proust, Jacques Benoist-Méchin (1901-1983) cède au vertige de son époque. En 1936, les jeux Olympiques de Berlin marqueront le début de sa fascination pour le national-socialisme, à tel point que, cinq ans plus tard, il prendra part au gouvernement de Vichy en tant que secrétaire d’État chargé des rapports franco-allemands. Il relate ensuite sa descente aux enfers durant les années 1943-1947, au terme desquelles il sera condamné à mort par la Haute Cour de justice. Gracié et libéré en 1954, il ne cessera, dès lors, de parcourir le monde arabe, dont le premier il devina l’éveil.
    Benoist-Méchin est l’un de ces personnages de l’Histoire qui suscitent les controverses les plus passionnées. Mais la valeur de cette confession, d’une écriture magistrale et plus captivante que maints romans, est incontestable et capitale notamment pour comprendre le phénomène totalitaire. "

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  • Et si l'Europe changeait de cap ?...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Hervé Juvin, réalisé par Edouard Chanot pour son émission Parade - Riposte, et diffusé le 6 mars 2019 sur Sputnik, dans lequel il évoque la nécessité de changer les objectifs et le fonctionnement de l'Union européenne. Économiste de formation, vice-président de Géopragma, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

     

                                   

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  • Géopolitique de l'énergie...

    La revue Conflits, dirigée par Pascal Gauchon, vient de sortir en kiosque son neuvième numéro hors-série qui est consacré à la géopolitique de l'énergie. Le dossier est réalisé par Cédric Telenne et Jean-Baptiste Noé.

     

     

    Au sommaire

    La géographie de l'énergie est celle de la puissance, par Pascal Gauchon

    Le sang de la géopolitique, par Cédric Telenne

    Entretien avec Henri Proglio : Entre la pression écologique et les solutions technologiques

    Le "siècle des hydrocarbures"

    L'avènement du pétrole

    A la recherche d'un "après-pétrole"

    L'électricité au XXe siècle

    Énergie et écologie au XXe siècle

    Où en est la transition énergétique ?

    La domination persistante des hydrocarbures

    L'éternel retour du charbon

    L'essor irrésistible de l'énergie nucléaire

    Premiers pas du renouvelable

    Rivalités et tensions sur le marché des énergies

    Les grands marchés de l'énergie aujourd'hui et demain, par Jean-Baptiste Noé

    La concurrence des producteurs

    Entreprises en concurrence

    Des routes stratégiques

    L'approvisionnement en gaz de l'Union européenne

    Le "Grand Jeu" énergétique mondial

    États-Unis : à la reconquête du leadership énergétique

    Russie : la géopolitique de l'énergie

    Arabie saoudite et Golfe : or noir et billets verts

    Des outsiders ambitieux

    Géants de la production et de l'importation

    Les incertitudes énergétiques de l'Union européenne

    Lexique

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  • L'Europe, usine à gaz...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à l'absence de politique énergétique de l'Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

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    L'Europe, usine à gaz

    La toute récente révision, permise par le revirement français, de la « Directive gaz » de 2009 étendant l’applicabilité des normes communautaires à l’extérieur du territoire de l’Union européenne (UE) est un nouveau coup (auto)porté par le Conseil européen à l’indépendance énergétique de l’UE. Les motifs invoqués sont, comme toujours, au cœur des « valeurs » européennes : concurrence loyale et accès équitable au marché européen. C’est beau comme l’Antique ! Exactement le corpus idéologique idéal qui a motivé, quelques jours auparavant, l’avis négatif de la Commission sur la fusion Siemens-Alstom… Sur deux chantiers d’importance stratégique évidente, Bruxelles s’est donc une fois encore trompée de cible, d’ennemi, d’enjeu et d’alliés…

    L’Europe est décidément hors sol, et surtout, se croit seule au monde ! Nous agissons comme si notre marché était strictement européen, comme si nous avions la vie devant nous et nul besoin de nous mettre en ordre de bataille pour projeter notre puissance de frappe commerciale collective vers le reste de la planète, afin de ne pas nous faire dévorer tout crus par Pékin et Washington. Bref, on a tout faux, mais on fonce dans le mur avec l’assurance d’un taureau au front court se précipitant sur une muleta rouge pour finir lardé de banderilles meurtrières. Aucune vision stratégique, plutôt une myopie suicidaire angoissante de la technocratie communautaire, paralysée par ses propres règlementations anachroniques. L’Europe, une nouvelle fois, consent à son effacement de la carte des grands ensembles.

    Cette révision vise évidemment le projet North Stream 2, affligé, aux yeux de Washington, donc de Paris, d’une tare insupportable : il permet à Moscou de contourner l’Ukraine…qui vient d’inscrire dans sa Constitution, cinq ans après « la révolution-coup d’État » de Maïdan, son intégration dans l’UE et l’OTAN comme objectifs prioritaires de sa politique étrangère…. La « guerre froide » n’a jamais été aussi brûlante et stupide.

    La volte-face française est un « coup de pied de l’âne » de Paris à Berlin, sous prétexte de « ne pas accroître la dépendance vis-à-vis de la Russie et nuire ainsi aux intérêts de pays de l’Union européenne tels que la Pologne et la Slovaquie ». Comme si Paris était en charge de la défense des intérêts de ces deux pays… Pour l’Allemagne, cette révision est dramatique. Avec North Stream 2, Berlin doublait la quantité de gaz déjà acheminée. Gerhard Schröder, à la tête du projet, témoigne de l’importance stratégique pour l’Allemagne de la construction d’une seconde ligne de pipelines. Le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmeier, a d’ailleurs rapidement réagi en rappelant que « chaque pays de l’Union européenne a le droit de maintenir les relations économiques et commerciales qu’il estime de son intérêt. »

    Ainsi, pourquoi cette agression française ? Alors que le couple franco-allemand est déjà au bord du divorce, Paris cherche-t-elle à nuire à son ancienne dulcinée, quelques jours seulement après la signature laborieuse du Traité d’Aix-la-Chapelle, dont l’article 1 stipule que « Les deux États approfondissent leur coopération en matière de politique européenne » ?

    Sur le plan diplomatique, soutenir les Allemands dans un projet qui leur tient à cœur revenait à accompagner d’actes concrets nos grandes envolées lyriques sur « le couple franco-allemand » et nous permettait également d’entretenir des relations, certes vigilantes mais des relations tout de même, avec la Russie. Même sur les plans strictement énergétique et économique, cette renégociation de dernière minute n’est pas dans notre intérêt. North Stream 2 nous sert objectivement. Nous en attendons une baisse du prix du gaz, nous anticipons l’épuisement des réserves norvégiennes dans deux décennies (la Norvège est notre premier fournisseur de gaz naturel, à hauteur de 40 %), nous nous positionnons pour bénéficier de la production du deuxième exploitant de gaz au monde, la Russie, et de pouvoir pallier une éventuelle coupure des exportations de gaz algérien.

    Qu’a-t-on cru pouvoir gagner, à Paris, en tombant dans le piège grossier de Washington, qui nourrit la division européenne pour asseoir son influence et empêcher tout rapprochement de l’UE avec Moscou ? Quid de nos motivations ? Un besoin de nous faire « pardonner » notre refus de participer au récent sommet de Varsovie, voulu par Washington pour réunir une coalition ouvertement anti-iranienne, prélude à une agression de la République islamique dont le projet gagne du terrain dans les esprits et les États-majors ? Un entêtement suicidaire dans une politique étrangère frappée d’inconséquence chronique ? Une tentative maladroite de prise d’ascendant dans le cœur de Washington- (évidemment vouée à l’échec) ? Un peu de tout cela sans doute. Mais il semblerait que ce changement radical de position soit surtout le fruit de la peur. D’une part, celle de l’augmentation de la dépendance par rapport à la Russie, entretenue par la diabolisation lancinante et interminable de ce pays ; d’autre part, la peur des pressions américaines considérables qui se manifestent depuis le début du projet.

    Tout récemment encore, Richard Grenell, ambassadeur des États-Unis à Berlin, mettait en garde les entreprises allemandes contre toute participation au financement du North Stream 2. Elles prenaient le « risque de sanctions importantes », avertissait-il. L’extraterritorialité dans toute sa splendeur ! Puis il déclarait que le Parlement européen, la Commission et seize pays d’Europe « partageaient le point de vue des États-Unis ». Enfin, le 7 février, les ambassadeurs américains auprès du Danemark, de l’Union européenne et de l’Allemagne s’exprimaient dans la Deutsche Welle en ces termes : « Nord Stream 2 augmentera la sensibilité de l’Europe aux tactiques de chantage énergétique de la Russie. » Nouveau rappel à l’ordre pour une Allemagne jugée décidément un peu trop « autonome ». Paris crut-il déceler là une chance à saisir de plaire au « maitre » ? On voit ici combien l’Europe est l’outil direct (et la victime) de la manœuvre américaine contre Moscou, et combien la desservir sert la convergence objective des intérêts américains et chinois. Rappelons que les États-Unis sont les premiers producteurs de gaz au monde, les troisièmes exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL), mais que ce produit n’est pas encore suffisamment compétitif sur les marchés européen et asiatique pour rivaliser avec le gaz russe. Les États-Unis cherchent donc à se positionner pour s’insérer prochainement sur le marché européen…et chinois.

    Tout en portant le fer dans la plaie, les diplomates français ont cherché à s’entendre avec leurs homologues allemands sur une directive qui réunirait leurs deux votes. Le cœur du compromis finalement adopté par le Conseil européen est le suivant : « l’application des règles européennes pour les gazoducs avec des pays tiers comme la Russie incombe aux pays de l’Union européenne où ils sont reliés pour la première fois au réseau européen ». En d’autres termes, l’Allemagne peut, par exception, décider de ne pas appliquer la directive révisée au projet North Stream 2 sans que la Commission soit en mesure de s’y opposer. Si ces pourparlers ultimes n’avaient pas abouti, il aurait fallu revoir la distribution du contrôle sur les pipelines avec les Russes, ce qui aurait entraîné un retard important dans la réalisation du projet, des coûts et une renégociation ardue des termes du contrat pour toutes les parties. Ces risques ne seront pas écartés tant que la directive ne sera pas entérinée par le Parlement européen. Certains acteurs intéressés pourraient en profiter pour jouer la montre et utiliser ce répit pour mieux se positionner sur le marché européen.

    On en comprend moins encore l’attitude de la France. Pourquoi avoir pris un tel risque vis-à-vis de l’Allemagne en cherchant à empêcher ou limiter l’expansion du North Stream 2, lorsque, in fine, on signe un accord en demi-teinte et que l’on n’atteint pas la moitié de son objectif initial tout en en recueillant l’opprobre ?

    L’Allemagne, en effet, garde la main sur le projet et les Russes ne semblent pas traumatisés par cette péripétie, comme en témoignent les déclarations du porte-parole de la présidence russe, Dimitri Peskov : « Nous sommes catégoriquement en désaccord avec l’affirmation selon laquelle cela entraînerait une augmentation de la dépendance de l’Europe vis-à-vis du gaz russe, car de tels projets n’engendreraient pas la dépendance (…) mais assureraient principalement une interdépendance. Les Européens dépendent du gaz russe, et la Russie, en tant que fournisseur, dépend de la demande européenne ». Et Igor Chatrov, directeur adjoint de l’Institut national pour le développement de l’idéologie moderne, de dire : « En fait, le tout début de la mise en œuvre du projet Nord Stream 2 a montré à lui seul que l’Allemagne définissait elle-même sa politique énergétique. Et, plus encore, que cela ne dépendrait pas des États-Unis. » Sublime coïncidence ‒ et ultime affront pour Paris ‒, le 12 février, Peter Altmaier recevait à Berlin le Secrétaire américain adjoint à l’Énergie, Dan Brouillette. Les deux intéressés juraient n’avoir conclu aucun deal quant à une prochaine exportation de GNL en Allemagne, mais Peter Altmaier insistait sur la nécessité pour l’Europe de « se protéger, d’être moins vulnérable et, par conséquent, de se diversifier », citant, outre les États-Unis, l’Égypte, le Qatar et Israël.

    L’Allemagne se sort donc de ce traquenard par une belle pirouette concernant ses relations diplomatiques avec les États-Unis, tandis que nous pâtissons d’avoir joué le proxy américain pour ne recueillir, in fine, que le mépris de notre Grand Allié et la défiance de notre indispensable comparse européen. La France s’est démarquée… mais à son détriment. Elle a fait affront à l’Allemagne mais n’a plus un atout en main. Après cet impair, il lui faudra tabler sur la seule patience du grand frère allemand. Qui est à bout.

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes

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