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transhumanisme

  • L'homme inutile et l'arche de l'oligarchie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Roberto Pecchioli, cueilli sur Euro-synergies et consacré au projet transhumaniste. Spécialiste de la géopolitique, de l'économie et de l'histoire, Roberto Pecchioli poursuit depuis des années une intense activité éditoriale, collaborant avec des revues, des sites culturels et des blogs.

     

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    L'homme inutile et l'arche de l'oligarchie

    Le mensonge le plus stupide répandu par le système est que ses opposants sont des comploteurs, des paranoïaques qui inventent des intrigues et des conspirations, convaincus par faiblesse mentale que la main invisible d'un Spectre planétaire est à l'origine de chaque événement. Ce ne sont pas les sujets qui manquent, mais la vérité est qu'il n'y a ni complot ni machination. Les actions, les cibles, les instruments, les agents du pouvoir sont là, au vu et au su de tous. Ils ressemblent à un jeu de la Settimana Enigmistica, la page blanche avec des points qu'il appartient au lecteur d'assembler pour composer l'image. Nos "supérieurs" nous disent tout : à nous d'assembler les faits et les mots.

    Dès les années 1950, à l'aube de la révolution technologique, Günther Anders écrivait que l'homme était dépassé. Son intelligence n'est plus à la hauteur des innovations technologiques, des découvertes qui révèlent l'insuffisance de l'homo sapiens. Anders appelait le fossé grandissant entre l'homme et la machine le "fossé prométhéen". Des décennies plus tard, la volonté de transcender l'homme au point de le remplacer par un appareil artificiel est évidente. Les robots, les nanotechnologies, l'essor de l'intelligence artificielle, le cyberhomme hybridé avec la machine sont des réalités. Difficile, pour beaucoup, de saisir le sens d'une reconfiguration aussi gigantesque, la plus grande, la plus définitive des remises à zéro.

    L'idéologie des élites n'est pas seulement le libéralisme mondialiste tendant à la privatisation du monde et à l'unification planétaire sous la domination d'une oligarchie maîtresse de tous les moyens. Le véritable objectif est le transhumanisme, c'est-à-dire la volonté de dépasser l'homme créature en changeant irrémédiablement sa nature biologique. L'écrivain a analysé tout cela dans un livre, L'uomo transumano - récemment publié par Arianna Editrice - dont le sous-titre, La fine dell'uomo (La fin de l'homme), a fait l'objet d'un désaccord avec l'éditeur. Nous aurions préféré que le point d'interrogation donne de l'espoir, qu'il indique une possibilité, qu'il laisse la porte ouverte à la réfutation. Il faut se ranger à l'avis du marketing : en effet, la fin de l'homme - homo sapiens sapiens, l'espèce à laquelle nous appartenons - est proche. Les porte-parole des maîtres universels nous le disent clairement. L'homme archaïque d'Anders est désormais "inutile", selon les termes de Yuval Harari, intellectuel majeur et porte-parole du Forum de Davos, transhumaniste, auteur du best-seller Homo Deus, dont le titre est un programme idéologique précis.

    Harari est lui-même un produit transhumain: homme de confiance des seigneurs du monde, israélo-américain, athée, homosexuel (humanité inversée, stérile...). Il fait partie de ceux que la coupole désigne pour élaborer des idées et diffuser la parole des supérieurs à l'homme d'autrefois, à petites doses ciblées. Il faut s'y faire. Tant pis pour nous si nous ne comprenons pas : ils nous ont mis au parfum. L'homo deus, qui refait la création imparfaite et se met à la place de Dieu, de la nature ou de l'évolution - vieille utopie gnostique résurgente - ce n'est pas nous. C'est "eux", les illuminati, qui s'arrogent non seulement la direction de l'humanité, mais même la propriété des humains.

    Dans une récente interview accordée au média suisse Uncut-news.ch, Harari a lâché l'ultime bombe, pour autant que nous ayons encore les outils cognitifs pour la reconnaître : l'homme ordinaire - une grande partie de l'humanité - est "inutile". Il faut donc s'en débarrasser. L'image qu'il utilise est biblique : "lorsque le déluge viendra, l'élite construira l'arche de Noé et la classe des inutiles (moi, vous, amis, enfants et petits-enfants) se noiera". Paranoïa, indication de problèmes psychiatriques ? Pas si la voix est celle des grillons parlants de Davos, traduits dans toutes les langues pour éduquer la future transhumanité.

    Ainsi parle Harari, le techno-Zarathoustra. "Le monde connaît une profonde mutation : l'intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus important. Quel en est l'impact ? L'idée que les êtres humains ont une âme ou un esprit et un libre arbitre est révolue". On ne connaît pas de matérialisme plus absolu, glacial et inhumain que celui distillé par les ventriloques de lorsignori. Ils prédisent (ou savent...) que l'humanité sera divisée en castes biologiques. Au lieu d'une humanité, il y en aura plusieurs. Le résultat est que la plupart des gens deviennent "économiquement inutiles" et "politiquement impuissants".

    Nos maîtres nous qualifient d'"inutiles", c'est-à-dire de non utiles ; nous ne servons pas leurs objectifs, les seuls qui vaillent la peine d'être poursuivis. L'utilité a été déclinée dans un sens purement économique : des bras à exploiter, des cerveaux à presser. Fin : ils ont des robots, des Chatbox d'Intelligence Artificielle. À quoi sert l'être humain obsolète, malade, pleurnichard, détenteur des "droits" qu'ils proclament ? À polluer Gaïa, une planète qui leur appartient. "Nous voyons déjà les premiers signes d'une nouvelle classe de personnes, la classe des inutiles, ceux qui n'ont aucune compétence à utiliser dans la nouvelle économie". Il ne reste plus qu'à s'en débarrasser en les supprimant. "La révolution de l'intelligence artificielle est en marche, créant une classe sans utilité militaire ou économique et donc sans pouvoir politique. Puisque nos bras et nos cerveaux - les miens, les vôtres - n'ont plus de raison d'être, il faut, selon Harari, se contenter de drogues et de jeux vidéo. Non, merci, à l'inculture du gaspillage.

    La prophétie est précise. Lorsque le déluge arrivera, les scientifiques construiront une arche de Noé pour l'élite et les autres se noieront. Le déluge pourrait être une guerre nucléaire - les prémisses sont là - ou une nouvelle pandémie. Les tests ont très bien fonctionné et l'Organisation mondiale de la santé aura bientôt des pouvoirs directs sur les États-nations archaïques. Ou une famine, que l'Occident suicidaire prépare en interdisant les cultures et l'élevage sous l'alibi du changement climatique. La région d'Émilie-Romagne paie les agriculteurs pour qu'ils ne travaillent pas leurs terres. Le déluge prend la forme d'une bruine constante: l'appel à une sexualité compulsive mais stérile (homosexualité, idéologie du genre), la diffusion de modèles de vie dont les enfants sont exclus, c'est-à-dire la transmission de la vie. Ces jours-ci, la secrétaire "fluide" du DP, porte-parole des destins magnifiques et des progressistes, s'est élevée contre le désir de maternité.

    Avec beaucoup d'emphase, on célèbre un avenir dans lequel les êtres humains (survivants) ne seront plus conçus et mis au monde naturellement. Le dépassement de l'humain est présenté comme une libération pour les femmes. Pour l'homme, plus inutile que désuet, vient la pilule qui stérilise. Plus de progrès : voici un moyen de vivre autrement les relations sexuelles et sentimentales. La pluie devient un déluge dans les régions les plus avancées du monde. Avancée vers la fin...

    Un nouveau droit inversé s'impose : non plus le droit à la vie, mais à la mort déclarée, pour les malades, les vieillards, les dépressifs, les pauvres. L'armée des inutiles doit avancer sereinement vers son anéantissement, calme, posée : c'est son "intérêt supérieur", comme l'interdiction de soigner le petit Indy. Si notre intérêt est déterminé par quelqu'un d'autre, nous ne sommes pas libres et nous avons perdu la propriété de nous-mêmes, corps et âme.

    C'est ce que veulent les danseurs de Harari. Réfléchissons-y. Et surtout, débarrassons-nous des schémas mentaux qui rendent hégémoniques l'acceptation préjudiciable de tout changement, le déterminisme positiviste-idéaliste selon lequel l'histoire serait inévitablement tournée vers le progrès et toute transformation serait une évolution positive. Comment concilier tout cela avec l'inutilité de la majorité de l'humanité, appelée à disparaître parce qu'inutile dans le système trans et inhumain voulu d'en haut, dépasse notre entendement. La pensée magique croit à la répétition et à l'abolition du jugement critique.

    Pour Harari et le Dominion, l'humanité est un "algorithme obsolète". Après tout, quelle est la supériorité des humains sur les poules, dit le théoricien de l'humain inutile, si ce n'est que l'information circule en nous selon des schémas plus complexes ? Les poules traitent plus d'informations visuelles que nous, les humains, mais elles ne peindront jamais la Chapelle Sixtine. La dérive anti-humaine des tendances et des croyances, dont les conséquences sont le nihilisme et le mécanisme, est inquiétante. Tout ordre, toute vérité, toute beauté, est une construction sociale, la personne humaine n'est qu'une série d'algorithmes contenus dans une masse biochimique.

    Ainsi, la vie devient disponible, modifiable. De manipulation en manipulation, de bidouillage en bidouillage, l'homme devient autre que lui-même dans un parcours toujours en cours : le transhumain se coule dans le posthumain et l'antihumain. Selon la vulgate transhumaniste, dans cinquante ans, les humains "feront tous partie d'un réseau doté d'un système immunitaire central". Suit la menace : "Vous ne pourrez pas survivre si vous n'êtes pas connecté". L'oligarchie sera une sorte de Dieu et l'homo sapiens perdra le contrôle de sa vie.

    La suite est la répétition du mantra élitiste de la "surpopulation à combattre". Ils préparent le déluge et nous préviennent. Entre-temps, ils doivent nous convaincre que c'est pour notre bien. Harari affirme dans From Animals to Gods qu'"il ne semble pas y avoir d'obstacle technique insurmontable à la production de surhommes. Les principaux obstacles sont les objections éthiques et politiques qui ont ralenti le rythme de la recherche humaine. Et aussi convaincants que soient les arguments éthiques, on voit mal comment ils pourraient résister longtemps à l'étape suivante, surtout lorsque l'enjeu est la possibilité de prolonger indéfiniment la vie humaine, de vaincre des maladies incurables et d'améliorer nos capacités cognitives et mentales". L'appât est la santé, mais le but est la mort.

    À Davos, la montagne enchantée de l'Agenda 2030 transhumain, Harari l'a exprimé en ces termes : "La science remplace l'évolution par la sélection naturelle par l'évolution par le dessein intelligent. Il ne s'agit pas du dessein intelligent d'un Dieu au-delà des nuages, mais de NOTRE dessein intelligent, celui de nos nuages (les nuages informatiques, ndlr), les nuages d'IBM et de Microsoft. Ce sont ces nuages qui conduiront notre évolution". Les applaudissements nourris des présents - tous membres éminents des oligarchies économiques, financières, technologiques et politiques - montrent ce qu'est la pensée dominante, le matérialisme grossier qui l'anime, le délire de la toute-puissance convaincue d'avoir détrôné et remplacé Dieu.

    Pour le dôme du pouvoir, ivre d'hybris, l'humanité future transhumaine, anthropologiquement et ontologiquement différente de l'ancienne, a besoin d'une éclaircie drastique. Harari a la vertu de la franchise. La plupart des gens sont "inutiles", ne sont plus "nécessaires". Nous sommes obsolètes, excédentaires, un obstacle à résoudre. Un frisson me parcourt l'échine. "Nous n'aurons tout simplement plus besoin de la grande majorité de la population, car l'avenir prévoit le développement de technologies toujours plus sophistiquées, telles que l'intelligence artificielle [et] la bio-ingénierie."

    Ceux qui ne peuvent plus trouver de travail en raison de l'automatisation croissante n'apportent rien à la société, ils ne sont plus nécessaires, ils ne font pas partie de l'avenir. Pour l'élite transhumaniste, la valeur de la personne humaine réside uniquement dans son utilité économique. L'homme est un animal à l'intelligence plus raffinée, un être purement biologique et corporel que l'on peut manipuler, sélectionner, modifier génétiquement, hybrider et finalement abattre pour les "têtes de l'humanité" en surnombre.

    Même la fierté des "droits de l'homme" de l'homme occidental est battue en brèche. Pour les transhumanistes, il s'agit de mythes dénués de sens au niveau biologique, d'une histoire inventée, d'un récit, comme Dieu, le droit à la vie, la liberté, etc. Bien qu'importants dans certains contextes historiques, ils deviendront totalement insignifiants. L'agenda de la Grande Réinitialisation (grand effacement...) n'est rien d'autre que la mise en place progressive d'un gouvernement mondial technocratique basé sur le dépassement de l'humain (solve) et la création d'un monde entièrement nouveau (coagula), dans lequel c'est la machine qui domine l'humanité.

    Les propos de Yuval Harari dans Homo Deus sont exemplaires. "Aujourd'hui, l'humanité est prête à substituer la sélection naturelle à la conception intelligente et à étendre la vie au-delà de l'organique, dans le domaine de l'inorganique. Au lieu que l'homme crée une nouvelle technologie, la technologie crée une nouvelle humanité". Et elle la détruit en la rendant inutile pour les desseins de quelques maîtres fous de tout. Si cela nous plaît, nous nous taisons ou nous pensons que cela ne nous concerne pas. Si cela nous fait peur, ce qui est normal, ne soyons pas des autruches en enfouissant notre tête dans le sol. Construisons l'arche des hommes, chassons ceux qui veulent notre mort et nous le disent sans honte. Sinon, ils auront raison : l'homo sapiens ne méritera pas de survivre.

    Roberto Pecchioli (Euro-synergies, 13 janvier 2024)

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  • Démographie, immigration, totalitarisme... : un tour d’horizon avec Alain de Benoist

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Paul-Marie Coûteaux, pour la revue Le nouveau Conservateur, cueilli sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021) et, dernièrement, L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    « Tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire »

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Alain de Benoist, n’êtes-vous pas alarmé par ce chiffre que donne le démographe Illyès Zouari : le nombre des décès, au sein de l’UE, a dépassé celui des naissances de 1,231 million en 2021 ? Reprendriez l’expression qu’il emploie d’« autogénocide » de l’Europe ?

    ALAIN DE BENOIST. Non, je ne reprendrais pas ce terme, parce que je le trouve à la fois excessif et inutilement polémique. Le mot « suicide » aurait sans été plus raisonnable, même si je crois qu’il ne correspond pas non plus exactement à la réalité. D’une façon plus générale, je ne pense pas qu’il faille raisonner sous l’horizon de l’apocalyptisme, que ce soit en matière écologique ou démographique. La démographie est une discipline dans laquelle il est notoirement impossible de faire des prédictions à long terme : dire qu’au rythme actuel nous allons bientôt disparaître n’a guère de sens puisque nous ignorons si ce rythme va se maintenir (et jusqu’à quand).

    Je suis par ailleurs, comme Renaud Camus, de ceux qui estiment qu’un espace fini comme notre planète ne peut pas accueillir une masse infinie de population. Olivier Rey a bien montré dans ses ouvrages, d’inspiration profondément conservatrice, que toute augmentation de quantité entraîne, une fois passé un certain seuil, un sauf qualitatif qui transforme la nature des phénomènes. C’est la raison pour laquelle la surpopulation a pour effet d’aggraver tous les problèmes que nous connaissons. Il nous a fallu 200 000 ans pour arriver à 1 milliard de bipèdes sur la planète, puis 200 ans seulement pour arriver à 7 milliards. Nous venons maintenant de passer le cap des huit milliards, et nous pourrions être à 11 milliards à la fin de ce siècle, ce qui veut dire que la population mondiale augmente en moyenne d’un milliard de personnes tous les 12 ans Je n’ai personnellement pas envie de vivre dans des villes de 50 ou 60 millions d’habitants…

    Quand une population moins nombreuse succède à une population plus nombreuse, il est inévitable que le nombre des décès l’emporte à un moment ou à un autre sur le nombre des naissances. Cette détérioration de la pyramide des âges est par définition transitoire. La France de 1780, avec ses 27 millions d’habitants (dont la majorité ne parlaient pas le français) se portait beaucoup mieux que la France actuelle avec ses 65 millions d’habitants. J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, la baisse de la fécondité ne s’explique pas fondamentalement par la contraception ni même par l’avortement, mais par deux phénomènes essentiels dont on parle trop peu, à savoir la fin du monde paysan (dans lequel une forte descendance était indispensable au maintien des lignées sur leurs terres) et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail (qui a considérablement retardé l’âge de la femme à la naissance du premier enfant). S’y ajoutent d’autres facteurs : les effets d’une mentalité hédoniste portée à juger que les enfants coûtent trop cher, les problèmes de logement en milieu urbain (plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans les grandes métropoles, et d’ici 2050 ce sera le cas des deux tiers).

    Il reste, cela dit, deux sujets réels de préoccupation : d’abord le fait que la part des naissances extra-européennes en Europe augmente régulièrement au détriment des naissances « de souche », ce qui induit une transformation du stock génétique de la population, ensuite le différentiel de croissance démographique entre les différences parties du monde : la population de l’Afrique subsaharienne devrait bondir à elle seule de 100 millions d’habitants à 1900 à 3 ou 4 milliards à la fin du siècle, ce qui ne manquera évidemment pas d’avoir des conséquences auxquelles nous sommes très mal armés pour faire face.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Voici un siècle paraissait le livre d’Oswald Spengler « Le déclin de l’Occident ». Dans « Mémoire vive », série d’entretiens avec François Bousquet où vous retracez votre itinéraire intellectuel, on comprend que Spengler a exercé sur vous une grande influence. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ? Et pour commencer, avalisez-vous le terme d’« Occident » ? Ne pensez-vous pas que parler du déclin de l’Europe serait plus approprié ?

    ALAIN DE BENOIST. Dans son livre, qui lui a valu une renommée mondiale, Spengler proposait une conception de l’histoire allant exactement à rebours d’une idéologie du progrès pour laquelle l’avenir ne peut être que meilleur que le présent et le passé (ce dont il se déduit que le passé n’a rien à nous dire). Pour Spengler, les cultures sont des organismes collectifs qui, comme tous les organismes, naissent, se développent, atteignent leur apogée, vieillissent et disparaissent. Après quoi Spengler établissait un parallèle morphologique entre les dix ou douze grandes cultures de l’humanité, pour démontrer qu’elles ont toutes illustré ce schéma. Ce travail a évidemment été très mal accueilli dans les milieux progressistes, mais aussi dans les milieux libéraux qui, ignorant la mise en garde de Paul Valéry, s’imaginent que certaines civilisations peuvent être éternelles.

    Le terme d’« Occident » était en effet équivoque. Vous le savez, le mot a une longue histoire. Aujourd’hui, il tend à désigner un bloc qui, pour l’essentiel, associerait les États-Unis d’Amérique et les Européens. Cette façon de voir me paraît un non-sens géopolitique. L’Amérique, comme l’Angleterre avant elle, est une puissance de la Mer, tandis que l’Europe, avec ses prolongements eurasiatiques, représente la puissance de la Terre. Carl Schmitt résumait l’histoire à une lutte séculaire entre les puissances maritimes et les puissances telluriques et continentales. Que les intérêts américains et les intérêts européens (et, au-delà, leurs idéologies fondatrices respectives) soient fondamentalement les mêmes est une absurdité dont le spectacle des dernières décennies devrait nous convaincre. On en a encore eu un bon exemple avec la façon dont, dans l’affaire ukrainienne, l’Union européenne a adopté sur pression des États-Unis des sanctions contre la Russie dont les Européens seront les premières victimes.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : En Allemagne, la vie intellectuelle, voici un siècle, a été marquée par ce qu’on a appelé la « Révolution Conservatrice ». Pensez-vous qu’elle pourrait inspirer aujourd’hui une nouvelle conception du réflexe conservateur qui est avant tout une protestation du monde ancien, de nature humaniste, comme vous l’avez dit sur Radio Courtoisie, face au totalitarisme ?

    ALAIN DE BENOIST. Pourquoi pas, mais à condition d’en faire un examen attentif. Ce qu’on a appelé « Révolution Conservatrice » (l’expression est d’Armin Mohler et date du tout début des années 1950) désigne une vaste mouvance comprenant plusieurs centaines d’auteurs, de groupements politiques et de revues théoriques, qui ont joué en Allemagne un rôle très important entre 1918 et 1932. Cette tendance comprenait des tendances différentes, les quatre principales étant les jeunes-conservateurs, les nationaux-révolutionnaires, les Völkische et les Bündische. Tous ne présentent évidemment pas le même intérêt. En outre, dans le syntagme « Révolution Conservatrice », il ne faut pas oublier que le mot « Révolution » et tout aussi important que l’adjectif « Conservatrice ». Les révolutionnaires conservateurs sont des penseurs ou des acteurs politiques (Spengler, Carl Schmitt, Arthur Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Albrecht Erich Günther, Ernst Jünger, Arthur Mahraun, etc.) qui considèrent, à l’encontre du conservatisme du XIXe siècle, que dans les conditions présentes, seule une révolution peut permettre de conserver ce qui mérite de l’être. Leur idée fondamentale est que le conservatisme ne doit pas chercher à préserver le passé, mais à maintenir ce qui est éternel. On pourrait dire aussi : entretenir la flamme et non conserver les cendres.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Dans « Communisme et nazisme », ouvrage que vous avez publié en 1998 et qui était sous-titré « 25 réflexions sur le totalitarisme au XXe siècle, de 1917 à 1989 », vous dressiez une liste impressionnante de similitudes entre les deux totalitarismes qui ont pour ainsi dire cohabité au XXe siècle, en comparant notamment ce qu’était la classe pour le communisme à ce que fut la race pour le nazisme : deux catégories à éliminer physiquement (Staline : « Les koulaks ne sont pas des êtres humains, la haine de classe doit être cultivée par les répulsions organiques à l’égard des êtres inférieurs. ») Dans les deux cas, ces totalitarismes du siècle dernier n’ont-ils pas cédé à l’illusion progressiste selon laquelle il était possible, en éliminant les êtres inférieurs, de créer un homme nouveau ? N’est-ce pas aujourd’hui encore le même délire visant à créer par la technique une nouvelle race d’hommes ?

    ALAIN DE BENOIST. La thématique rupturaliste de l’« homme nouveau » remonte à saint Paul, mais celui-ci ne lui donnait évidemment pas le même sens que les grands totalitarismes modernes, ni non plus celui des tenants du « transhumanisme » contemporain. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans tous les cas cette thématique tend à justifier des mesures d’élimination de ceux que l’on regarde, soit comme inférieurs, soit tout simplement comme « des hommes en trop » (Claude Lefort), à l’exception de ceux qui acceptent de se convertir à la nouvelle doxa dominante. Aujourd’hui, l’homme nouveau dont on nous annonce l’avènement est avant tout un homme « augmenté » par le moyen des technologies nouvelles – mais dont on a toute raison de penser (je renvoie à nouveau aux écrits d’Olivier Rey) qu’il s’agira en réalité d’un homme diminué. La cancel culture, le « wokisme », la théorie du genre contribuent à cette poussée qui semble annoncer une véritable mutation anthropologique, face à laquelle l’action politique sera, je le crains, parfaitement impuissante.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Vous introduisiez le même ouvrage (« Communisme et nazisme ») par une citation d’Alain Finkielkraut : « Naguère aveugle au totalitarisme, la pensée est maintenant aveuglée par lui. » Ne sommes-nous pas entrés, sans toujours nous en apercevoir, dans une nouvelle ère totalitaire ?

    ALAIN DE BENOIST. Sans doute, mais encore faut-il ne pas céder à une certaine tendance actuelle, que l’on rencontre surtout à droite, qui consiste à voir de façon polémique du « totalitarisme » partout. Il faut de la rigueur pour manier les mots qui ont trop servi. Je m’en tiendrai pour ma part à une observation simple. On a trop fait l’erreur de définir le totalitarisme par les moyens auxquels ont eu recours les grands totalitarismes historiques (censure, parti unique, arrestations arbitraires, déportations, Goulag, camps de concentration, etc.), sans s’interroger outre-mesure sur les fins. Or les moyens totalitaires n’usaient de ces moyens qu’en vue d’une fin bien précise : l’alignement (la Gleichschaltung), la suppression des façons de penser dissidentes, l’éradication de toute pensée qui s’écartait de l’idéologie dominante. Le totalitarisme, en d’autres termes, était dans la fin beaucoup plus encore que dans les moyens Une fois qu’on a compris cela, on ne peut que constater que les sociétés libérales contemporaines visent exactement le même but, mais avec des moyens différents – des moyens moins brutaux, voire de nature à plaire et à séduire, qui vont de pair avec la mise en place d’une surveillance de contrôle et de surveillance d’une ampleur (et d’une efficacité) jamais vue. Cela s’appelle la pensée unique, et tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire. D’où ma méfiance vis-à-vis de l’Unique, auquel j’ai coutume d’opposer ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Paul-Marie Coûteaux (Site de la revue Éléments, 17 janvier 2023)

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  • Le transhumanisme n’est pas un humanisme...

    Le 30 décembre 2022, Rémi Soulié recevait, sur TV libertés, Jacques Carbou à l'occasion de la publication de son essai, La mécanisation de l'esprit - Cybernétique, Intelligence Artificielle, Transhumanisme (Le Verbe Haut, 2022).

    Docteur en philosophie politique, ancien élève de Raymond Ruyer, Jacques Carbou, qui a enseigné la philosophie à l'université de Caracas et à celle de Bogota, est déjà l'auteur de La critique sociale de Raymond Ruyer (Le Verbe Haut, 2021).      

                                

                                               

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  • La mécanisation de l'esprit...

    Les éditions Le Verbe haut viennent de publier un essai de Jacques Carbou intitulé La mécanisation de l'esprit - Cybernétique, Intelligence Artificielle, Transhumanisme, avec une préface de Guillaume Travers. Docteur en philosophie politique, ancien élève de Raymond Ruyer, Jacques Carbou, qui a enseigné la philosophie à l'université de Caracas et à celle de Bogota, est déjà l'auteur de La critique sociale de Raymond Ruyer (Le Verbe Haut, 2021).

     

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    " Dans cet essai, Jacques Carbou date la naissance de la cybernétique en 1948, avec le livre de Norbert Wiener. Cette discipline nouvelle a suscité beaucoup d’intérêt chez les scientifiques. Raymond Ruyer publie en 1954 un livre sur la cybernétique dont il critique les postulats et présupposés tout en reconnaissant les avancées intéressantes. Il met l’accent sur l’origine de l’information qui semble oubliée par la cybernétique. A la fin des années 1960, l’engouement pour la cybernétique est retombé, remplacé par l’informatique. L’apparition de l’ordinateur explique le développement de l’intelligence artificielle par les ingénieurs. L’auteur montre, à travers cet ouvrage synthétique, que les analyses de Ruyer restent pertinentes pour critiquer certains postulats de l’IA. En outre, les différentes formes de transhumanismes qui s’appuient sur certaines données de l’IA peuvent être critiquées par les mêmes arguments utilisés par Ruyer. Il existe, en effet, un fil directeur de la cybernétique au transhumanisme en passant par l’intelligence artificielle qui consiste en la mécanisation de l’esprit. C’est ce fil que tire l’auteur pour donner au lecteur une vision concise mais précise des idéologies de ce mouvement, et des acteurs qui les portent. Ces derniers considèrent le cerveau et le corps humain comme des machines sur lesquelles nous nous accordons tous les droits d’agir pour de supposées bonnes raisons. En décrivant, puis en poursuivant, la pensée de Ruyer, Jacques Carbou réfute cette mécanisation de l’esprit qui simplifie à l’excès le fonctionnement complexe du cerveau et du corps humain.

    Un ouvrage pertinent et efficace qui donne les clefs de compréhension et les bases pour de futurs développements philosophiques sur les questions épineuses de l’avenir de l’homme dans les cent prochains siècles. "

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  • Futurologie ou fumisterie ?...

    Dans cette émission du Plus d’Éléments, diffusée par TV Libertés, une partie de l'équipe de la revue, autour d'Olivier François, évoque, à l'occasion de la sortie du nouveau numéro, la question du transhumanisme, ainsi que la sortie récente du pamphlet de Bruno Lafourcade, Une jeunesse les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019).... On trouvera sur le plateau Pascal Esseyric, directeur de la rédaction, David L’Épée, Christophe A. Maxime, et Bruno Lafourcade.

                                          

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  • Le projet transhumaniste...

    Le nouveau numéro de la revue Réfléchir & agir (n°61 - Hiver 2019) est disponible en kiosque. Le dossier est consacré au transhumanisme... On notera la présence d'une nouvelle rubrique consacrée aux jeux de société.

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    Au sommaire :

    Tour d'horizon

    Antipasti

    Le péril jaune, par Eric Lerouge

    DOSSIER : Surmonter le transhumanisme

    A la recherche de l'immortalité en URSS , par Christian Bouchet

    Transhumanisme et eugénisme, par Klaas Malan

    Entretien avec Julien Rochedy
    Les démiurges de la Silicon Valley, par Eugène Krampon

    L'éternel fantasme de l'éternité, par Aristide Leucate

    Google, arme de déconstruction massive, par Thierry Thodinor

    Le retour des dieux, par Klaas Malan

    Grand entretien

    Michel Marmin

    Réflexion

    La figure de l'Anarque, par Edouard Rix

    Histoire

    Americana, par Christian Bouchet

    Héros

    Julien, sous les feux d'Hélios-roi, par Bruno Favrit

    Littérature

    La lucidité amère de Flaubert, par Pierre Gillieth

    Un livre est un fusil

    Papacito, Carnets de guerre, par Jean Kervoyal

    Notes de lecture

    Musique

    Il était une fois Ennio Morricone, par Pierre Gillieth

    Disques

     

     

     

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 0 commentaire Pin it!