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  • L'enfer numérique...

    Les éditions Les Liens qui Libèrent viennent de publier une enquête de Guillaume Pitron intitulée L'enfer numérique - Voyage au bout d'un like. Journaliste et réalisateur de documentaires, Guillaume Pitron, qui s'intéresse aux enjeux économiques, politiques et environnementaux de l'exploitation des matières premières, est déjà l'auteur de La Guerre des métaux rares - La face cachée de la transition énergétique et numérique (Les Liens qui libèrent, 2018).

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    " Quelles sont les conséquences physiques de la dématérialisation ? Comment les données impalpables pèsent elles sur l’environnement ? Quel est le bilan carbone du numérique ? Autant de questions que les utilisateurs d’outils connectés en tout genre ne se posent pas. Et pourtant, la légèreté du net pourrait bien s’avérer insoutenable. Trois ans après sa formidable enquête sur les dessous des énergies vertes, "La guerre des métaux rares", Guillaume Pitron nous propose une enquête fascinante qui interroge le coût matériel du virtuel. "

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  • L'utopie déchue...

    Les éditions Fayard ont publié récemment un essai de Félix Tréguer intitulé L'utopie déchue - Une contre-histoire d'Internet. Chercheur associé au CNRS, Félix Tréguer est également membre fondateur de La Quadrature du Net, une association dédiée à la défense des libertés à l'ère numérique.

     

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    " Ce livre est écrit comme un droit d’inventaire.
    Alors qu’Internet a été à ses débuts perçu comme une technologie qui pourrait servir au développement de pratiques émancipatrices, il semble aujourd’hui être devenu un redoutable instrument des pouvoirs étatiques et économiques. Pour comprendre pourquoi le projet émancipateur longtemps associé à cette technologie a été tenu en échec, il faut replacer cette séquence dans une histoire longue : celle des conflits qui ont émergé chaque fois que de nouveaux moyens de communication ont été inventés.
    Depuis la naissance de l’imprimerie, les stratégies étatiques de censure, de surveillance, de propagande se sont sans cesse transformées et sont parvenues à domestiquer ce qui semblait les contester. Menacé par l’apparition d’Internet et ses appropriations subversives, l’État a su restaurer son emprise sous des formes inédites au gré d’alliances avec les seigneurs du capitalisme numérique tandis que les usages militants d’Internet faisaient l’objet d’une violente répression.
    Après dix années d’engagement en faveur des libertés sur Internet, Félix Tréguer analyse avec lucidité les fondements antidémocratiques de nos régimes politiques et la formidable capacité de l’État à façonner la technologie dans un but de contrôle social.
    Au-delà d’Internet, cet ouvrage peut se lire comme une méditation sur l’utopie, les raisons de nos échecs passés et les conditions de l’invention de pratiques subversives. Il interpelle ainsi l’ensemble des acteurs qui luttent pour la transformation sociale. "

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  • Une disparition d'Internet est-elle possible ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog Huyghe.fr et consacré à l'hypothèse d'une disparition d'Internet. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018). Avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, François-Bernard Huyghe vient de publier Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

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    La fin d’Internet

    Internet pourrait-il disparaître ? L’hypothèse semble paradoxale, puisque, par définition, il a été conçu (du moins ses ébauches par la Darpa), pour résister à une guerre atomique. Le principe du réseau (x peut passer par A ou par B pour atteindre C) était précisément pensé dans cette perspective : décentralisation contre interruption ; jamais la communication ne serait empêchée puisqu’elle transiterait par d’innombrables canaux. Mais, bien qu’Internet soit supposé ultra résilient - et on le disait aussi dans les années 90 impossible à censurer ou à limiter et nous savons maintenant que ce n’est pas vrai- une thèse s’est répandue très tôt : celle du « big one », la grande catastrophe, le Pearl Harbour informatique » : puisque sur Internet, chaque point du réseau peut joindre tout autre, tout peut être contaminé par tout. Des think tanks comme la Rand imaginent donc qu’une puissance hostile paralyse l’ensemble du système. Une autre variante, beaucoup plus vraisemblable, serait qu’une opération contre certains systèmes informatiques détraque non pas Internet ou tous les pays, mais certaines fonctions indispensables à la vie d’une nation : plus d’électricité, de banques ou de transports, au moins pendant quelques heures, cela permettrait-il à un adversaire de nous imposer sa volonté ou de produire une effet de chaos irréversible ?

    Toute utopie suscite ses dystopies, toute description d’un monde idéal enfin libéré des contraintes du présent appelle des avertissements en retour : si nous n’y prenons garde, des forces mauvaises détourneront les possibilités de la technologie ou les aspirations des hommes pour construire le pire des mondes : toute la rhétorique de la cyberguerre et de la cybersécurité est basée sur l’hypothèse la plus pessimiste.
    Elle n’est pas absurde sur le plan des principes : tout finira un jour, y compris la planète terre ou l’auteur de ces lignes. Mais comment et pourquoi ?
    On peut, et la thèse à déjà circulé, imaginer une fin d’Internet, soit indirectement par suite d’une catastrophe générale ou d’une crise énergétique grave interdisant de l’alimenter en électricité, soit par insuffisance de bande passante (une thèse à la mode vers 2005), soit délibérément.
    Une première idée serait d’interrompre l’infrastructure physique d’Internet : le système repose sur une couche matérielle (à côté des couches dites logicielles et sémantiques, les règles qui font fonctionner le tout et les messages qui s’adressent aux utilisateurs finaux : des êtres humains). Et tout ce qui est matériel peut être saboté. Peut-on couper les câbles sous-marins par lesquels circulent les échanges ? Intervenir de vive force dans les data centers, sur les routeurs, chez les grande plateformes et en tous lieux - après tout situés dans des immeubles, donc susceptibles d’être attaqués ou ravagés ? Pour le dire autrement : tout ce qui passe sur Internet passe quelque part sur des ordinateurs ou les données sont physiquement stockées quelques part, donc, il y a des lieux que pourraient attaquer des terroristes, par exemple.
    On peut imaginer une cause involontaire de destruction des infrastructures - électriques, par exemple - indispensables pour faire fonctionner le tout. Météorites, ondes, tempête solaire, incendies gigantesques ? Cela devient une question d’échelle pour les désastres naturels. D’une panne d’électricité d’une province à la disparition de la Silicon Valley dans une faille, et à une interruption durable à l’échelle de la planète? - Et pour une action menée par l’homme, sauf à imaginer une secte millénariste qui veuille nous ramener à un stade technologique antérieur, quelle serait leur motivation, si l’on part de l’hypothèse qu’une panne générale frapperait aussi tout pays susceptible de les commanditer ?
    De la même façon, il est permis de fantasmer sur un logiciel malicieux qui infecterait l’ensemble du Net, aurait le temps de s’installe et ne rencontrerait pas de contrepoison à sa mesure ? C’est un scénario sur lequel travaillent des gens très sérieux. Mais à supposer même que l’épée transperce le bouclier - et que des centaines de sociétés high tech avec des milliers de chercheurs qui vivent précisément du repérage et de l’élimination des dangers numériques contagieux n’y puissent rien - quel intérêt stratégique autre que nihiliste ? Nous sommes là typiquement devant le « cygne noir » absolu : un événement d’une probabilité presque inenvisageable (et par définition s’en préserver demanderait des efforts immenses destinés à être renouvelés constamment face à l’ingéniosité de l’attaquant présumé, forcément innovant) mais aux conséquences immenses.
    Ce type de terreurs est nourri par le fait qu’il y a eu des coupures partielles d’Internet, soit du fait d’une décision politique comme en Égypte en 2011, soit de manière accidentelle, comme lorsqu’une paysanne géorgienne de 75 ans, la « hackeuse à la bêche » qui préparait son jardin coupa un fil en cuivre et priva d’Internet une partie de l’Arménie en 2011. Il y aussi eu des projets bizarres. Pour mémoire, rappelons qu’en 2010 des sénateurs américains avaient proposé de créer un kill switch, un bouton d’urgence qui aurait permis au Président américain de couper Internet, comme on coupe le courant, en cas d’urgence.
    En toute hypothèse, définitive ou temporaire, partielle ou planétaire, la coupure d’Internet, s’inscrit dans la logique selon laquelle tout ce qui fonctionne est susceptible d’être détraqué ; elle nous obligerait surtout à penser à nos réactions, aux fonctions et aux soutiens, y compris psychologiques, dont nous serions privés et à nos réactions. Dans un livre digne des modernes collapsologues, mais datant de 1971, Il Medioevo prossimo venturo (le Moyen-âge qui vient), Roberto Vacca, un scientifique italien, imaginait une sorte de panne par contagion (électricité, routes encombrées, paniques dans les villes) qui finissait par balayer notre civilisation. Et c’était avant Internet.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 20 juillet 2019)

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  • Géographie du continent virtuel...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Laurent Gayard au mensuel L'Incorrect pour évoquer l'univers d'Internet et ses impensés. Enseignant en classes préparatoires, Laurent Gayard est également chroniqueur dans de nombreux magazines, comme Causeur ou Conflits. Il est déjà l'auteur de Géopolotique du Darknet : Nouvelles frontières et nouveaux usages du numérique (ISTE, 2017) et de Darknet, GAFA, Bitcoins - L'anonymat est un choix (Slatkine, 2018) ... 

     

                                        

                           Laurent Gayard : géographie du continent virtuel from L'Incorrect on Vimeo.

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  • Les enfants de Big Brother

    Les éditions Slatkine & Cie viennent de publier un essai de Laurent Gayard intitulé Darknet, GAFA, Bitcoins - L'anonymat est un choix (Slatkine, 2018). Enseignant en classes préparatoires, Laurent Gayard est également chroniqueur dans de nombreux magazines, comme Causeur, Conflits ou L’Incorrect. Il est déjà l'auteur de Géopolotique du Darknet : Nouvelles frontières et nouveaux usages du numérique (ISTE, 2017) ...

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    " Les enfants de Big Brother.

    Si c'est gratuit, c'est que c'est vous le produit.
    Les données de chaque habitant de la planète constituent un inquiétant trésor. Stockées, valorisées, capitalisées par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ces Big Data d'une valeur inestimable appartiennent à des sociétés américaines, jamais européennes.
    A travers différents exemples, comme celui du Bitcoin, qui promet l'avènement d'une monnaie sans État et sans banque, et redonne à l'individu le contrôle de ses transactions, Laurent Gayard explore les alternatives à ce hold-up numérique : darkweb, blockchain etc.
    Une visite guidée dans le maquis de la guerre des données. Savoir pour agir. L'anonymat est un choix. "

     

     

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  • Quand chacun devient le surveillant de l'autre...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Laurent Gayard au Figaro Vox dans lequel il évoque les enjeux d'internet en matière de vie privée et d'anonymat... Enseignant en classes préparatoires, Laurent Gayard est également chroniqueur dans de nombreux magazines, comme Causeur, Conflits ou L’Incorrect. Il est auteur de Géopolotique du Darknet : Nouvelles frontières et nouveaux usages du numérique (ISTE, 2017) et de Darknet, GAFA, Bitcoin - L'anonymat est un choix (Slaktine et Cie, 2018)...

     

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    «Avec les réseaux sociaux, chacun est devenu le surveillant de l'autre»

    FIGAROVOX.- Vous décrivez dans votre livre l'omnipotence d'Internet dans le monde contemporain et l'accroissement démesuré de la masse de données stockées en ligne (44 zettabytes en 2020, soit l'équivalent de plusieurs milliers de millions d'années de visionnage vidéo quand les seuls utilisateurs de Facebook s'échangent plus de trente millions de messages et regardent près de trois millions de vidéos par seconde...). Est-il possible aujourd'hui de faire le choix de l'anonymat sur Internet, comme le titre de votre livre le suggère, ou bien est-ce devenu un pur fantasme?

    Laurent GAYARD.- Il serait envisageable de retrouver l'anonymat complet en allant s'isoler dans une ferme au fin fond de l'Ardèche, sans compte en banque ni connexion Internet. Mais le réseau conserverait encore beaucoup de traces de votre vie numérique passée. Cela paraît donc très difficile de conserver l'anonymat complet... tout en gardant un semblant de vie sociale. Disons qu'il est possible d'utiliser des outils permettant de laisser un minimum de traces et de métadonnées sur Internet. Il existe par exemple des moteurs de recherche garantissant la confidentialité de la navigation Internet comme Qwant, qu'Emmanuel Macron n'avait pas craint de baptiser le «Google français», sauf qu'il est encore beaucoup moins performant que Google. De manière générale, les moteurs de recherche dits «alternatifs», comme DuckDuckGo, Qwant ou IxQuick ont bien du mal à faire face à la concurrence de l'algorithme de Google. DuckDuckGo a annoncé en 2017 avoir dépassé les dix milliards de requêtes. Google en affiche plus de cinq milliards... par jour. Concernant les échanges par email, il faut noter le succès des plateformes comme ProtonMail ou du célèbre Telegram. On peut aussi utiliser un VPN (Virtual Private Network - Réseau Privé Virtuel) ou un outil comme Tor qui masque votre adresse électronique et votre localisation géographique, mais l'anonymat complet reste très théorique et illusoire.

    Vous reprenez la formule du «panoptisme numérique» pour renvoyer au modèle de prison panoptique pensé par Jeremy Bentham (The Panopticon, 1780) dans laquelle la position centrale du gardien lui permet d'observer l'intérieur de toutes les cellules en même temps. À l'heure où, chaque jour, 60 millions de photos sont mises en lignes sur Instagram et plusieurs milliards de personnes publient sur Facebook, sommes-nous devenus les gardiens de prison de notre entourage?

    J'aurais tendance à répondre par l'affirmative. La formule du «panoptisme horizontal» a été reprise par le sociologue Simon Borel («Le panoptisme horizontal ou le panoptique inversé», 2016). Il avance la thèse selon laquelle les réseaux sociaux instaurent un «panoptisme horizontal» qui permet à chacun de surveiller tout le monde à tout instant. D'où l'idée d'un «panoptisme numérique»: au lieu de nous libérer comme il était usage de le penser aux débuts d'Internet, les réseaux sociaux nous ont enfermé dans une prison de verre virtuelle où chacun observe tout le monde et où notre vie privée semble nous appartenir de moins en moins. Chacun est devenu le surveillant de l'autre, en vertu de l'interconnexion que permettent les réseaux sociaux. En vertu, aussi, de la demande de reconnaissance et de visibilité qui caractérise une partie des utilisateurs des réseaux sociaux, ce qui les amène eux-mêmes à faire étalage de leur vie privée pour maintenir une connexion constante avec les autres utilisateurs. Les utilisateurs de ces réseaux sont plus prudents de nos jours mais la simple interconnexion professionnelle nous enserre dans une multiplicité de liens qui garantit une connexion permanente comparable à une forme d'addiction. Reed Hastings, le PDG de Netflix, faisait en 2016 une observation qui s'applique parfaitement aux réseaux sociaux en remarquant que le principal concurrent de son entreprise était... le sommeil.

    À ce titre, on pense au phénomène de servitude volontaire: par cette logique de demande de reconnaissance narcissique que vous décrivez, il semble que certains dévoilent de plein gré leur vie privée et deviennent eux-mêmes les proies des GAFA et d'un système qui a besoin d'en connaître un maximum sur nous…

    Ce phénomène de servitude volontaire existe en effet. Les utilisateurs des réseaux comme Facebook étaient plus ignorants de cet aspect des choses quand le réseau s'est lancé en 2005 et popularisé au tournant des années 2010. Les gens sont devenus un peu plus conscients du problème avec les derniers scandales ayant explosé, avec la captation des données personnelles et avec l'assujettissement numérique que cela induit. Ces réseaux sont utilisés à des fins privées mais aussi professionnelles et il y a une conscience beaucoup plus nette qu'elle ne l'était auparavant de la captation des données qui existe.

    Néanmoins les gens continuent malgré tout de souscrire à ce processus: ils savent qu'ils contribuent à ce que leurs données de navigation et même leur vie privée soient monétisées et aussi menacées mais ils s'y font. Je pense ainsi qu'il est légitime de parler de servitude volontaire. L'essor des réseaux sociaux a modifié la notion et la perception collective de vie privée et de vie publique. On la conçoit aujourd'hui différemment de la manière dont on la concevait il y a encore quinze ans. Ce rapport est complètement bouleversé par notre dépendance au numérique et à la connectivité. Chaque année, les rapports diligentés par Mary Meeker présentent un très bon état des lieux de notre rapport au numérique. L'étude de 2013 établissait que le consommateur moyen consulte son téléphone 150 fois au cours d'une même journée. Le rapport de 2017 jugeait qu'en moyenne un utilisateur adulte consacrait 5,6 heures par jour à un outil connecté, ordinateur ou téléphone mobile, une dépendance qui entraîne même quelques pathologies nouvelles comme celle de la «vibration fantôme», relevée par des chercheurs de l'université d'Austin, au Texas, c'est-à-dire la sensation, plus ou moins chronique, que notre téléphone vibre pour nous indiquer des messages alors que ce n'est pas le cas.

    Pensez-vous alors que les grands groupes (GAFA) ont conscience de ce bouleversement qu'induit la nouvelle séparation entre sphère privée et sphère publique liée aux réseaux sociaux et qu'ils s'en servent dans leur intérêt?

    Oui! On utilise parfois le qualificatif de «pétrole de la donnée» pour faire référence à la manne financière de plus en plus grande que représente la collecte des informations personnelles. Ce marché est en pleine expansion, sa valeur économique augmente de 15 à 20 pourcents par an (ce marché pèse près de trente milliards de dollars de nos jours et il devrait en représenter près de soixante-dix en 2021 selon une étude récente), donc la vente des données personnelles liées aux partenaires commerciaux des sociétés telles que Google et Facebook augmente sans cesse. Ces données sont également utilisées pour permettre à Facebook et Google d'améliorer leurs algorithmes en affinant leur connaissance des profils d'utilisateurs. Je donnais l'exemple de Qwant, mais si Google reste encore plus performant que Qwant c'est justement parce qu'il utilise la captation des données personnelles pour s'améliorer et améliorer les résultats de recherche proposés. Dans le même temps, les données et métadonnées (temps de connexion, origine, durée de consultation et objet de la recherche...) sont revendues, aussi bien par les GAFA que par les entreprises qui développent des applications pour téléphone mobile par exemple.

    C'est un marché énorme, qui place des sociétés comme Google dans une situation de domination économique totale. Phénomène qui n'est absolument pas remis en cause et s'accroît avec le consentement de la population mondiale, car Google est devenu une forme de grand confesseur mondial: tout le monde se confie quotidiennement à lui et lui adresse ses «prières», sous forme de requêtes, ce qui enrichit le marché des informations personnelles. L'emprise de Google sur le quotidien d'une partie de la population mondiale est devenue tellement importante qu'un collectif a créé une très parodique «Église de Google» démontrant en neuf points que nous avons fait de Google une divinité. Notre servitude volontaire provient aussi du fait que nous sommes incapables de comprendre les interfaces que nous utilisons. À ce titre, les fameux «Millennials» ne s'en sortent pas vraiment mieux que leurs aînés. Cette génération n'est pas spécialement mieux lotie que les précédentes. Se servir intuitivement des outils informatiques ne garantit pas que vous les maîtrisiez. Et toutes ces interfaces développées par Apple ou Microsoft sont certes très intuitives, mais aussi extrêmement intrusives. Elles orientent les choix des utilisateurs en fonction des intérêts commerciaux des entreprises qui les ont développées et elles influent même sur leurs opinions et leurs comportements de consommation.

    Il s'agit donc d'un marché dont, comme vous le dites en exergue de votre livre, nous sommes les produits («Si Internet est gratuit, c'est que c'est vous le produit.»). N'est-ce pas là la caractéristique principale de la période que nous vivons actuellement?

    Nous sommes en effet devenus des produits: l'utilisateur de Google ou Facebook fait figure de «produit test» pour ces sociétés. Les métadonnées fournies vont être revendues à d'autres partenaires commerciaux qui les utiliseront pour produire des publicités ciblées, mais les choses peuvent aller bien plus

    loin. Par exemple, le récent scandale de Cambridge Analytica a fait oublier que la firme de Mark Zuckerberg avait déjà fait l'objet d'une réprobation générale quand le journal britannique The Guardian avait révélé en 2014 l'étude comportementale menée par les équipes de Facebook en 2012, visant à étudier la manière dont les modifications apportées au fil d'actualité pouvaient faire changer l'état émotionnel des utilisateurs. En réalité, Facebook a mené régulièrement ce type d'études à différentes échelles et définit des «utilisateurs cibles» utilisés à leur tour pour tester des produits commerciaux ou en faire la promotion auprès de leurs «amis», quand ce ne sont pas des «bots» (des comptes gérés par des «logiciels intelligents») qui le font.

    Vous proposez des solutions alternatives pour contrebalancer l'essor des GAFA, leur «prison dorée numérique» et leur «despotisme doux», notamment par une appropriation citoyenne du darknet, puisque vous parlez d'un «darknet pour tous», mais aussi par l'usage de la blockchain et du bitcoin. Pouvez-vous nous en dire plus?

    Commençons par distinguer ces différents termes. Les «darknets» sont des réseaux parallèles, ou superposés, au web (à la toile), c'est-à-dire à l'Internet que nous utilisons tous les jours. On peut citer les exemples des réseaux Tor, le plus connu, de Freenet ou d'I2P. Ces «réseaux cachés» garantissent, par le chiffrement (le cryptage) des échanges, l'anonymat des utilisateurs aussi bien que des propriétaires de sites hébergés sur ces réseaux. Cela incite évidemment les activités illégales à se développer sur ces réseaux mais on peut remarquer aussi que nombre d'activités tout à fait légales, et que l'on retrouve sur le web classique, se retrouvent aussi sur les darknets: blogs, sites commerciaux, supports vidéo, audios, forums...Nombre d'utilisateurs de ces services estiment tout simplement que l'anonymat garanti sur ces réseaux leur redonne accès à un internet «non-surveillé», échappant à l'omniprésence de la publicité et plus respectueux de la confidentialité de la navigation. Évidemment, ces réseaux ne sont pas aussi intuitifs que les outils utilisés chaque jour par des milliards d'utilisateurs et leur fréquentation est encore très modeste. Tor, le réseau «darknet» le plus populaire, revendique trois millions d'utilisateurs quotidiens, une goutte d'eau dans l'océan des trois milliards cinq cents millions d'utilisateurs quotidiens d'Internet. Le journaliste anglais Jamie Bartlett, auteur en 2014 de Darknet, inside the digital underworld, estime même que ces «réseaux cachés» ont un véritable avenir commercial, en dehors des activités illégales ou des forums de hackeurs, en raison de l'inquiétude croissante du grand public vis-à-vis de la question de la préservation de l'anonymat.

    La «blockchain», quant à elle, est un livre de compte virtuel qui enregistre les différentes transactions réalisées avec des cryptomonnaies telles que le bitcoin. Ce livre de compte fonctionne grâce à un réseau d'utilisateurs qui alloue une partie de la capacité de calcul de leur machine pour permettre à l'ensemble du système de fonctionner. Pour expliquer les choses simplement, il s'agit d'un système de calcul distribué qui permet, dans le cas des cryptomonnaies comme le Bitcoin, de réaliser des transactions sans l'intervention d'une tierce-institution, c'est-à-dire sans banque. Mais le système de la blockchain est applicable à un grand nombre d'autres domaines, allant de l'édition à la gestion des données personnelles. C‘est un réseau numérique pensé par et pour les utilisateurs, qui permet d'envisager de développer des applications offrant aux utilisateurs la capacité d'enregistrer et de relayer eux-mêmes les données qu'ils produisent. Le principe de la blockchain a été développé par Satoshi Nakamoto (l'inventeur du bitcoin) et il est au cœur du système du bitcoin. Il est très difficile, en revanche, de savoir quand les différentes applications de la chaîne de blocs pourront vraiment se démocratiser. Il faudra peut-être attendre encore 5 ou 10 ans pour voir paraître les premières applications liées à cet outil pouvant être abordables pour contrebalancer le système des GAFA (je renvoie d'ailleurs aussi à l'ouvrage d'Adli Takkal Bataille, Bitcoin, la monnaie acéphale, sur ce sujet). Le bitcoin est l'exemple le plus célèbre de monnaie sans État qui permette l'utilisation d'un système de transaction de pair à pair. Il y a, par ailleurs, des milliers de cryptomonnaies et un roulement continu de nouvelles cryptomonnaies qui apparaissent et disparaissent. Certaines sont complètement anonymes, comme Monero, ce n'est pas le cas du bitcoin qui ne garantit pas l'anonymat. Il propose plutôt une forme d'alternative aux transactions financières classiques. Certaines bourses ont déjà fait savoir qu'elles acceptaient les contrats en Bitcoin, notamment celle de Chicago.

    Internet renvoyait une certaine image de liberté et d'insouciance à ses débuts, notamment dans les années 2000, tandis qu'aujourd'hui cet esprit semble dépassé. Allons-nous vers un usage d'Internet de plus en plus contrôlé et néfaste?

    Il y a une nette différence entre l'Internet encore un peu utopique des débuts et celui qui est utilisé aujourd'hui par les deux tiers de la planète. On ne peut nier les situations de monopoles et de concentration capitalistiques qui affectent aujourd'hui l'économie numérique mais au-delà de cela c'est notre rapport à l'outil numérique qui est en question. Dans les années 90 et jusqu'au début des années 2000, la «fièvre Internet» montante pouvait se comparer à la fièvre du bitcoin qui a marqué l'année 2017 et avait donné lieu à l'éclatement de la bulle Internet au début du XXIe siècle.

    Mais l'utilisation des différents services offerts par le réseau à cette époque donnait encore une impression de chasse au trésor et nécessitait de comprendre les outils que l'on utilisait pour en tirer le meilleur parti. L'essor du téléchargement a forcé l'industrie culturelle à revoir son modèle économique en même temps qu'elle a amené de nombreux utilisateurs d'Internet à mieux connaître et appréhender les technologies qu'ils utilisaient. Cette période a aussi été marquée par l'essor des communautés groupées autour des logiciels libres, défendant une conception ouverte de l'usage et de la consommation des outils informatiques. L'environnement numérique d'aujourd'hui donne l'impression d'un verrouillage et d'un contrôle plus strict, par les autorités gouvernementales, mais surtout par des entreprises que l'on ne présente plus, notamment les fameux GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Dans le même temps, une partie des utilisateurs semblent s'en remettre à une utilisation plus confortable, mais aussi plus subtilement encadrée d'Internet. Le prix à payer est la captation et le commerce de leurs données personnelles. La question que l'on peut se poser aujourd'hui consiste à savoir si l'inquiétude plus grande de l'opinion vis-à-vis de la question de la confidentialité et le développement parallèle d'outils d'anonymisation partiels ou très complets (comme le système d'exploitation TAILS), ou encore l'essor des cryptomonnaies ou du principe de la blockchain, peut amener à repenser le modèle de l'économie numérique, comme le téléchargement y avait poussé dans les années 2000. C'est encore un peu tôt pour le dire, bien sûr.

    Laurent Gayard, propos recueillis par Etienne Campion (Figaro Vox, 9 juillet 2018)

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