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civilisation

  • Après la défaite de la pensée, la défaite de la parole...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré à l'appauvrissement de la parole publique...

    Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011),  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015) et Les convergences liberticides - Essai sur les totalitarismes bienveillants (L'Harmattan, 2022).

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    Après la défaite de la pensée, la défaite de la parole

    Nul besoin d’être décliniste pour constater l’appauvrissement de la parole, et particulièrement dans le domaine public, dans les médias, la culture et la sphère politique. À la défaite de la pensée annoncée par le philosophe Alain Finkielkraut, succéderait par voie de causalité une défaite de la parole, dans le sens d’une déliaison à la fois sémantique mais aussi épistémique. Les logos incarnant en quelque sorte l’esprit contemporain, le Zeitgeist du moment, il va de soi que cette parole serait l’expression d’une culture du loisir abêtissante et standardisée, d’un jeunisme qui prêche par excès de confusionnisme et relativisme culturel. Bien sûr, bien avant Finkielkraut, d’autres penseurs avaient réfléchi sur les causes et les formes du déclin des civilisations. En effet, alors que Paul Valéry avait affirmé que « [nous] autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », Spengler, Toynbee avaient démontré que les principales causes du déclin des civilisations étaient endogènes, parmi lesquelles la perte d’identité, de sens, et l’appauvrissement de la langue en tant que symptômes de ce long processus de déclin – « Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre » (Toynbee).

    La parole « émancipée » et la crise de l’esprit

    Il est vrai que le statut de la parole d’une société, voire d’une civilisation, est en relation étroite avec le choix d’une ontologie de la pensée, de l’être. Alors que dans l’Antiquité la parole était un moyen de cheminement vers la vérité (alètheia), aujourd’hui, le cynisme et la démagogie de la parole politique qui ne représente plus rien à l’échelle de la vérité et de la morale en tant que respect de la parole donnée rendent compte de l’affaiblissement général du politique en tant que discours d’adhésion. En effet, la parole autoréférentielle, dénuée d’engagement pratique et téléologique, prend le pas sur l’action, le dire sur le faire, l’impression sur la réalité, le semblant sur l’être, la conservation du pouvoir sur son exercice ; alors qu’à l’époque classique la parole préparait l’action véritable en formulant la prise de décision. La sidérante capacité des gouvernants de certaines époques à changer d’idées, comme si celles-ci n’avaient réellement aucune importance par rapport aux nécessités de la conquête et de la conservation du pouvoir, ne laisse rien augurer de bon. Et pourtant, ce n’est pas la pensée révolutionnaire, progressiste, des Lumières qu’il convient de regretter, comme le fait Finkielkraut, car c’est bien leurs hybris, leur exacerbation, leurs métastases épistémologiques qui ont engendré ce double désordre à la fois ontologique et langagier conduisant à cette « crise de l’esprit » évoquée par Valéry lui-même. Par une sorte de ruse de l’histoire, on pourrait presque dire que la défaite de la pensée issue des Lumières aura, par excès d’universalisation, réhabilité les valeurs organiques d’un J.G Herder, de J. de Maistre et L. de Bonald opposant « l’inconscient » national, « enraciné » dans l’histoire, la géographie, les coutumes, les préjugés nationaux, qui pourtant, à force d’être ignorés durant des décennies, reviennent comme un boomerang dans le réel.

    La parole performative : parole magique ?

    Tout se passe comme si la parole performative agit seule en tant que prophétie autoréalisatrice. La parole libérée de l’esprit, de l’engagement, de la morale et de la responsabilité, qui peut dire le tout et son contraire, se transforme en signe interchangeable qui réalise lui-même ce qu’il énonce. Dans cette incantation permanente d’un lyrisme de pacotille, d’un tragique d’opérette et de la simulation sophiste, la parole devient une sorte de parole magique aux mille et une vertus prophylactiques, alors que nos politiciens revêtent les habits d’alchimiste du verbe ou de chaman du storytelling quotidien. Malgré la dégradation de la langue via la culture visuelle, la toxicité des réseaux sociaux et la dégradation de l’enseignement, la défaite de la parole est toujours une faillite de l’esprit, qui elle-même renvoie à une crise de sens. C’est aussi une faillite de notre imaginaire collectif colonisé par des signes consommatiques, symptôme de notre époque postlittéraire. Ainsi, la parole publique est bien le reflet de cette post-vérité contemporaine, qui n’est pas le mensonge, mais bien l’indifférence à la distinction entre mensonge et vérité, ce qui est le propre du totalitarisme, comme l’avaient si bien démontré H. Arendt et G. Orwell. On se souvient que E. Cassirer, dans Le Mythe de l’État, procédait à une distinction entre l’usage magique et l’usage sémantique du mot, l’usage sémantique servant à décrire les choses, alors que l’usage magique, chargé d’affects du mot, visait plus à produire des effets et à changer le cours de la nature. Libérée de toute morale et d’impératif de vérité, la parole devient le vecteur des « fausses promesses et des vraies menaces » évoquées par Paul Ricœur, qui lui-même faisait le lien entre la sophistique et la tyrannie, entre un usage pervers du langage et la tyrannie (perversion du régime).

    Vers une ère techno-vocifère

    La langue française serait en passe de devenir, dans la plus grande indifférence, une langue morte sous la pression conjuguée de l’abandon de l’emploi de certaines temporalités comme le passé simple et le subjonctif (reflets de la nuance), des niaiseries franglaises et des emprunts anglicistes tels que hosting, trip, etc.. Cette dégradation ne s’est pas faite de façon évolutive et elle est le résultat d d’une longue déconstruction programmée et mise en œuvre par l’idéologie progressiste de la novlangue inclusive, du genre et des lubies wokistes. Non, la langue et la parole ne sont pas une simple construction de la réalité sociale sujette au remodelage mutilant et constant au service de la mondialisation et du marché, comme l’affirment les déconstructeurs. Nous vivons bien à une époque postlittéraire, alors que nous ne sommes pas loin d’être aussi à l’aube d’une ère techno-vocifère ou phono-tactile, qui coïnciderait avec un retour de l’animalité où la communication se réduirait à des onomatopées et des phonèmes ponctués de tapotages numériques. La langue ne constitue pas un simple critère de reconnaissance et d’identification. Elle est au contraire l’émanation de l’essence d’un peuple, son « âme » – c’est-à-dire le lieu où il lui donne une forme concrète. En effet, cette dénaturation de la langue est concomitante au déclin de la poésie, des belles lettres, de la sensibilité et de l’art de la nuance face à la polarisation des points de vue, la prolifération de la bêtise idéologique et de la surenchère débile sur les réseaux sociaux. On se souvient que, pour l’historien et anthropologue des « mœurs » Norbert Elias, la prise de parole constituait un élément fondamental du processus de civilisation et de la mise en place de la « civilité », qui servira bientôt à la société européenne de notion centrale pour se définir elle-même, et conduira au recul systématique et général de la violence sociale. Or, de nos jours, la parole libérée de toute retenue morale s’inscrit, surtout avec les nouveaux moyens de communication des réseaux sociaux, dans une économie globale des pulsions et des émotions, qui lui procurent une extraordinaire amplitude et accélération. C’est bien cette démesure et cet affranchissement de la parole de la civilité qui constituent le premier degré de violence sociale à travers l’ensauvagement du langage et des comportements sociaux.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 1er octobre 2024)

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  • Introduction au Déclin de l'Occident...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie, associées à l'Institut Iliade, viennent de publier dans leur collection Longue mémoire un court essai de David Engels intitulé Oswald Spengler - Introduction au Déclin de l'Occident.

    Historien, essayiste, enseignant chercheur à l'Instytut Zachodni à Poznan, à l'Institut Catholique de Vendée ainsi qu'au Mathias Corvinus Collegium de Bruxelles, David Engels est l'auteur de trois essais traduits en français, Le Déclin - La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013), Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019) et, dernièrement, Défendre l'Europe civilisationnelle - Petit traité d'hespérialisme (Salvator, 2024). Il a  également dirigé deux ouvrages collectifs, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020) et Aurë entuluva! (Renovamen-Verlag, 2023), en allemand, consacré à l’œuvre de Tolkien.

     

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    " Oswald Spengler est avant tout connu comme le prophète du Déclin de l’Occident. Mais que faut-il entendre réellement derrière ce titre retentissant ? A-t-on suffisamment pris la mesure de son importance et de son caractère innovant ? Loin d’en rester aux caricatures et aux images convenues, David Engels fait ressortir dans cet essai les traits les plus importants du système spenglérien et ses apports à la recherche historique. À ses yeux, la morphologie culturelle dessinée par Spengler reste une méthode essentielle afin de comprendre ce phénomène historique qu’est la « civilisation », et ce non seulement en vue d’une prédiction des événements à venir pour la civilisation occidentale, mais aussi et peut-être même surtout pour notre compréhension des autres civilisations. "

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  • La civilisation en péril...

    Surpeuplement, dévastation de l’environnement, course contre soi-même, tiédeur mortelle, dégradation génétique, rupture de la tradition, contagion de l’endoctrinement et armes nucléaires...

    En 1973, Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine, publiait un ouvrage intitulé Les huit pêchés capitaux de la civilisation un ouvrage dans lequel il alertait sur les menaces qui pesaient sur l'occident.

    Dans sa nouvelle vidéo, Ego Non évoque cet ouvrage du célèbre biologiste et éthologue.

     

                                              

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  • Un biologiste au chevet de la civilisation...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie et l'Institut Iliade viennent de publier un court essai d'Yves Christen intitulé Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation.

    Biologiste et écrivain, Yves Christen est l’auteur de nombreux livres, notamment L´animal est-il un philosophe ? (Odile Jacob, 2013),  L’animal est-il une personne ? (Flammarion, 2009), Le peuple Léopard (Michalon, 2008), L’homme bioculturel (Rocher, 1986), Marx et Darwin (Albin Michel, 1981) et L’heure de la sociobiologie (Albin Michel, 1979).

     

     

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    " Biologiste et fondateur de l’éthologie, Konrad Lorenz a consacré sa vie à l’étude des poissons, des oies, des corneilles et de beaucoup d’autres animaux, sans jamais cesser pour autant de penser à l’homme en arrière-plan. Or, son regard sur la civilisation moderne était celui d’un homme inquiet, ce dont témoigne le titre de deux de ses ouvrages: Les Huit Péchés capitaux de notre civilisation et L’Homme en péril. Lorenz nous a quittés en 1989 mais, à l’évidence, ses préoccupations conservent toute leur actualité. A travers un examen attentif de l’œuvre de Lorenz et de ses apports à la connaissance scientifique, Yves Christen nous montre tout ce que nous avons à retenir d’un homme qui a passé sa vie dans l’amicale proximité des animaux. Il y a là de riches enseignements pour les hommes de notre siècle. "

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  • Vivre en Européens !...

    Le 3 avril 2023, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Georges Guiscard pour évoquer avec lui le prochain colloque de l'Institut Iliade qui se déroulera le 15 avril prochain à la Maison de la Chimie à Paris et qui sera consacré aux voies de résistance face au déclin anthropologique et civilisationnel de l'Europe.

    Porte-parole de l'Institut Iliade, Georges Guiscard a déjà publié un essai intitulé Le privilège blanc - Qui veut faire la peau aux Européens ? (La Nouvelle Librairie, 2021).

     

                                         

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  • Corrida : faut-il défendre une tradition en tant que tradition ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Rémi Carlu, cueilli sur le site de L'Incorrect et consacré à la corrida, à l'occasion de la relance du débat sur l'interdiction de cette tradition.

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    Corrida : défendre une tradition en tant que tradition

    « Le malheur de ce siècle est que chaque chose est mise en discussion », se désolait il y a deux siècles Edmund Burke dans ses Réflexions sur la Révolution de France. Et depuis lors, c’est peu dire que le cyclone infernal de la révision tourne à plein régime et renverse tout ce qu’il peut. Dernière cible dans son œil : la corrida, dont les chances de survie sont précaires.

    Du débat qui a débuté cette semaine, un élément est en droit de nous surprendre : tous les débatteurs répètent à l’envi que l’argument de la tradition ne vaut à peu près rien, opposants comme partisans – ceux-ci étant toujours heureux de prêter le flanc à l’adversaire en pensant que cette première concession leur permettra ensuite d’être admis dans le cercle du débat (scoop : ce n’est pas le cas). « L’argument de la tradition ne suffit pas et ne vaut rien, parce que toutes les traditions ne sont pas bonnes et légitimes, d’ailleurs les Aztèques pratiquaient l’anthropophagie donc c’est bien la preuve ».

    Penchons-nous sur cet argument un peu court, en ce qu’il rate complètement ce que signifie ontologiquement la tradition. Car celle-ci n’est pas la persistance d’un folklore, dont on aurait depuis découvert, grâce à la raison moderne et au progrès, qu’il était plus ou moins irrationnel, mais qu’il faudrait bon an mal an perpétuer par devoir mémoriel ou culturel. La tradition n’a jamais été un légalisme coutumier, ni ne réclame aucun aveuglément moral.

    Bien au contraire, la tradition est un principe actif, résolument actif : elle filtre sans relâche pour ne laisser passer que les pratiques conformes aux principes qui régissent notre civilisation, et qui toujours, quand c’est nécessaire, les polit, les amende, les réoriente, les actualise en fonction même de cette destination principielle. Car la tradition n’est rien d’autre que les volontés sédimentées de cent générations qui, les unes à la suite des autres, ont consenti et retravaillé, chéri et transmis. Ainsi, la tauromachie aurait peut-être des racines romaines, en tout cas des origines attestées dès le VIIIe siècle (les courses de taureaux) et surtout le XIIIe (le combat apparaît), pratique qui ensuite lentement, par le joli polissement de la civilisation, fut codifiée jusqu’à aboutir à sa forme moderne au XIXe siècle. Et à côté du polissement, quel tri ! Pour une seule et unique pratique qui se transmet dans le temps, combien d’autres retenues, purgées, fort heureusement détruites, qu’elles fussent polythéistes ou panthéistes, magiques ou sanguinaires. Pour la tauromachie, combien de sources miraculeuses renversées, de mariages forcés supprimés, de lynchages barbares abolis. En vérité, les traditions sont le chef-d’œuvre d’une civilisation, parce que la tradition est en le principe agissant.

    De là, une tradition ne peut être immorale puisque sa formation sédimentaire est précisément le chemin qui mène à cette moralité (entendu ici de manière relativiste, en fonction des principes qu’une civilisation se donnent) – et pour nous autres Occidentaux, parce que nourris au sein de la Vérité chrétienne, à la moralité même. Voilà pourquoi il n’est plus chez nous une seule tradition qui nous soit, en toute objectivité, moralement infâme et inacceptable – quoique certaines puissent restées questionnables. Voilà pourquoi toutes les questions de la corrida (utilité du combat, souffrance animale, ritualisation de la mort, etc) sont en fait contenues et traitées par la tradition. Depuis mille ans, celle-ci a répondu pour nous – sauf à croire que nous fûmes précédés par cent mille millions de salauds : la corrida n’est pas contraire à nos règles morales parce que si elle l’était, il est très probable qu’elle n’aurait pas survécu.

    Certes donc, cette dimension volontaire (mais diffuse !) de la tradition induit que rien n’est jamais acquis et qu’il nous faut toujours, en artisans de la civilisation, polir ; gardons à l’esprit toutefois que nombre de besogneux nous ont précédés à la tâche, de sorte que la prescription doit être notre régime principal, et la réforme notre exception, et l’abolition notre exception de l’exception. La réforme, s’il doit y en avoir une, doit se faire la main tremblante, et plus tremblante encore à mesure que la tradition en question est ancienne. En clair, l’argument de la tradition est presque suffisant – sauf à revendiquer un délai d’application ou une découverte morale du point de vue laïc, ou un « désenveloppement du dogme » du point de vue spirituel.

    Du crépuscule civilisationnel

    La remise en cause d’une tradition comme la corrida implique dès lors au moins trois choses. Primo, la rupture entre les générations. Ce qui agit derrière cette volonté d’interdire, c’est bien l’orgueil moderne d’un homme qui ne se considère plus comme un nain juché sur des épaules de géants, d’un homme qui a non seulement perdu confiance dans la sagesse de TOUS ses ancêtres mais qui par ailleurs les met en accusation pour immoralisme, ou barbarie, ou scélératesse. En clair, c’est bien l’ubris d’une génération qui ne se pense plus comme un minuscule chaînon d’une longue lignée, mais qui s’en fait le procureur. Cette génération ne croit plus en rien si ce n’est en elle-même, et en sa raison plus éclairée, et en sa dignité plus grande, et en sa moralité supérieure (ce qui est pour le moins cocasse puisque ladite génération n’a cessé de nier, ou de relativiser, ou de parcelliser la morale).

    Deuxio, la mise à mort des communautés particulières. S’il est de bon ton de parler régionalisme, de louer la France d’en bas, de faire l’éloge de la diversité, il n’est plus grand monde quand il s’agit de descendre des nuées pour les défendre in concreto. Or, ce à quoi l’on assiste avec la mise à morts des traditions, c’est bien à l’uniformisation insupportable de la France par l’arasement de ses coutumes, par l’effacement de ses couleurs, par la disparition de ces mille particularismes qui faisaient jadis notre richesse culturelle. Et avec elles, des communautés de vie, de pensée et de représentation qui se continuaient à travers le temps en s’enracinant dans un espace bien déterminé.

    Tercio, le basculement civilisationnel. Car ne nous trompons pas de débat : ce que l’on juge illégitime en pointant du doigt des traditions comme la corrida, ce ne sont pas tant ces traditions elles-mêmes que les principes civilisationnels qui les ont filtrées et polies. En questionnant la production finale, c’est bien le filet et la lime qu’on accuse, c’est l’artisan et l’atelier dont on espère changer. Qui ne voit derrière les arguments anti-corrida, qui tracent un signe d’égalité scandaleux entre l’homme et l’animal, la Créature et la Création, un nouveau paradigme antispéciste et panthéiste qui signerait, s’il l’emportait, le crépuscule de notre civilisation ? Et c’est pourquoi cette question n’est pas aussi apartisane qu’on veut bien le dire : quelques progressistes peuvent bien défendre la corrida par plaisir personnel ou libertarisme philosophique, le conservateur a le devoir de la défendre, quand bien même il ne l’aimerait pas.

    « Dans notre monde européen, les mœurs et la civilisation, et toutes les bonnes choses qui tiennent à elles dépendent depuis des siècles de deux principes et résultent de leur combinaison : je veux dire l’esprit de noblesse et l’esprit de religion », continuait Burke. Sous prétexte de sauver les taureaux, c’est bien ce monde-là que les anti veulent mettre à mort.

    Rémi Carlu (L'Incorrect, 17 novembre 2022)

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