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Métapo infos - Page 101

  • Yves Christen : « Konrad Lorenz reste un personnage iconique »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Yves Christen au site de la revue Éléments et consacré au grand biologiste et éthologue Konrad Lorenz.

    Biologiste, ancien chercheur dans le domaine de l'immunologie, Yves Christen, qui est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les animaux, dont Le peuple léopard (Michalon, 2000) et L'animal est-il une personne ? (Flammarion, 2009), a récemment publié un court essai intitulé Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

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    Yves Christen : « Konrad Lorenz reste un personnage iconique »

    Éléments : Quel héritage représentent les travaux scientifiques de Lorenz dans la biologie contemporaine ?

    Yves Christen. Konrad Lorenz reste un personnage iconique. Par l’importance de son apport à la recherche mais aussi à cause de ses réflexions sur l’homme, sur la civilisation et sur la société. Son look, son sens de l’anecdote, plus généralement sa personnalité donnaient à la richesse de son enseignement un style et une force remarquables. Il est clair que, de ce point de vue, comparé à son alter ego avec qui il a partagé le Prix Nobel, Niko Tinbergen, il laisse une trace beaucoup plus forte.

    Lorenz reste, aux yeux de tous, comme le fondateur de l’éthologie bien que lui-même n’ait pas revendiqué ce titre, mettant au contraire en avant ses propres précurseurs. Plus important selon moi : il a posé les bases d’une réflexion sur l’instinct chez l’animal et l’homme, sur l’importance des comportements innés mettant à mal la représentation d’un humain compris comme une page blanche sur laquelle l’environnement inscrirait sa marque. Cette vision des choses a démontré son efficacité en psychologie dans la mesure où aucun spécialiste ne peut aujourd’hui se représenter les facultés cognitives sans tenir compte du fait qu’elles reposent sur une forme de prédisposition elle-même matériellement constituée dans le cerveau qui n’a rien de la boîte noire imaginée par les behavioristes, mais qui produit un esprit selon une détermination neuronale précise. Lorenz a aussi eu le mérite de donner à l’évolution des comportements une interprétation darwinienne qui est aujourd’hui celle de la psychologie évolutionniste.

    Il est vrai que l’émergence et le développement de la sociobiologie ont désormais braqué les projecteurs sur la recherche anglo-saxonne. Ce mouvement a aussi conduit à préciser la vision darwinienne du monde, en particulier à travers le concept de gène égoïste, plus conforme à la science actuelle, mais sans éclipser le rôle de Konrad Lorenz.

    Éléments : Y voyez-vous autant d’outils face au déconstructivisme triomphant de l’époque postmoderne dont les déclinaisons sont entre autres la théorie du genre ?

    Yves Christen. Sans beaucoup s’avancer, on peut tenir pour acquis que Lorenz aurait dénoncé ce genre de dinguerie. Il est d’ailleurs affligeant que, des décennies après son enseignement et après tant de travaux de recherche en génétique, en éthologie, en physiologie, etc., puisse fleurir une idéologie à ce point contraire à la réalité, qui plus est dans un cadre universitaire. Une fois encore, Lorenz est le champion de la critique de la page blanche. C’est la raison de son opposition frontale au behaviorisme et il n’y a pas de doute qu’il a remporté la guerre avec cette école de pensée. Ironiquement, à cette dernière qui reposait sur des éléments scientifiques (certes fautivement interprétés), s’est substituée une forme de délire pur et simple dont l’arme principale est la dénonciation de ceux qui n’y adhèrent pas.

    Éléments : Vous êtes l’auteur de L’Animal est-il une personne ? Comment Konrad Lorenz aurait-il réagi face à un autre chapitre de la déconstruction : l’anti-spécisme ?

    Yves Christen. Difficile de faire parler les morts. Je me garderais bien de me prononcer sur la façon selon laquelle Lorenz aurait accueilli mes réflexions, y compris les critiques relatives à certains de ses propos, ce dont je ne fais pas mystère dans le petit ouvrage au sujet duquel vous m’interrogez. J’ose espérer qu’il les aurait considérées avec bienveillance. Concernant mes réflexions sur l’animal, notamment dans l’ouvrage que vous mentionnez (mais aussi dans L’animal est-il un philosophe ?, paru chez Odile Jacob), elles s’écartent de son discours au moins sur un point : Lorenz considère l’homme comme un animal mais pas seulement comme un animal, alors que je le vois comme un animal et strictement rien d’autre. Je ne comprends d’ailleurs même pas ce que, concrètement, pourrait être un animal qui ne soit pas seulement un animal (un robot ? un extra-terrestre ? un ectoplasme ?). J’effectue ce détour afin de mieux cerner ce que l’on entend par anti-spécisme. Il est clair que les sociétés humaines ont souvent (mais pas toujours) une fâcheuse tendance à mépriser les autres espèces et à leur nuire. C’est une pratique tout à fait semblable au racisme. Il n’en reste pas moins vrai que, dans une perspective darwinienne, l’univers du vivant est par nature compétitif et que l’on ne saurait faire du bien et uniquement du bien à tout le monde. Pour ma part, je pense que les sociétés ont le droit (mais est-ce le bon mot ?) de défendre leurs intérêts, y compris en nuisant à d’autres. Mais je ne vois aucun absolu dans un droit de l’homme à se rendre maître des autres animaux. Disons que je ne suis pas humaniste et même, pour reprendre votre terminologie, que, au risque de vous paraître trop proche de Derrida, je souhaite déconstruire l’interprétation humaniste consistant à placer notre espèce sur un piédestal d’autant plus qu’à mes yeux, s’il existe des hommes, il n’y a rien de tel que l’homme (si ce n’est bien sûr en tant qu’espèce zoologique, l’Homo sapiens). En outre, j’estime nécessaire l’empathie à l’égard des autres formes de vie et je considère qu’il existe un devoir de protection de la biodiversité. Comment Lorenz aurait-il réagi dans le cadre du débat actuel ? À coup sûr, il aurait partagé mon empathie pour le monde animal. Aurait-il adhéré à ma critique assez radicale de l’humanisme (je désigne ainsi la philosophie attribuant à l’homme des droits absolus sur les autres vivants) ? Je l’ignore. Se serait-il proclamé anti-spéciste ? Je ne le crois pas mais peut-être aurait-il adopté une autre forme d’anti-spécisme sans se vouloir lui-même déconstructeur…

    Éléments : Dans le chapitre VII (p. 61) de Konrad Lorenz.Un biologiste au chevet de la civilisation, vous revenez sur Les Huit péchés capitaux de votre civilisation, un ouvrage publié par le biologiste autrichien en 1973. Parmi ces péchés, « la dévastation de l’environnement » est dénoncée de manière prémonitoire. N’incarne-t-il pas une sensibilité écologiste de droite que nous gagnerons à réhabiliter ?

    Yves Christen. Ce n’est pas fondamentalement une affaire de positionnement à droite. Tous les gens de bon sens devraient être favorables à la protection de l’environnement. Et sans doute le sont-ils, en paroles en tout cas, puisque, dans les faits, beaucoup contribuent à sa dévastation. Ceci étant dit, il me semble évident que la sensibilité écologiste est, par nature, plutôt de le fait des conservateurs, de ceux qui entendent préserver.

    Peut-être devrais-je ici ne pas dissimuler ce qui, me concernant, peut apparaître comme une contradiction. Contrairement à la plupart des rédacteurs d’Éléments, je n’ai en effet pas renoncé à une vision prométhéenne du monde, ce qui ne m’empêche pas de dénoncer l’hubris de notre civilisation moderne. Je garde ma fidélité à Louis Rougier enseignant que le mythe de Prométhée est la préfiguration de la civilisation européenne (lui parlait de civilisation occidentale). C’est une pensée darwiniennement conforme, qui voit dans la marche de l’évolution la marque de la compétition. C’est de ce processus que découlent les désastres écologiques du monde moderne. La sélection naturelle est bien la source de l’hubris. Mais nous lui devons aussi notre existence. C’est tragique mais c’est ainsi. Cependant, rien ne nous oblige à consentir aux conséquences négatives du « progrès », de même que rien ne nous oblige à continuer à prendre un médicament dont les effets secondaires l’emportent sur les effets bénéfiques sans préconiser pour autant l’arrêt de tout recherche pharmacologique.

    Éléments : « La dégradation génétique » est dénoncée comme un autre péché capital. Comment Lorenz aurait qualifié notre déclin anthropologique actuel, à l’heure où les avancées de la génétique confirment pleinement ses intuitions ?

    Yves Christen. Le propos de Lorenz est clair. Il n’aurait sans doute rien eu à soustraire à ses écrits en la matière même s’il va sans dire que le déclin anthropologique dont vous parlez ne relève pas seulement de la génétique. Assurément nous vivons une époque risquée…

    Yves Christen, propos recueillis par Arnaud Varades (Site de la revue Éléments, 4 mars 2024)

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  • Sahel, le temps des transitions...

    Le nouveau numéro de la revue Conflits (n°50, mars - avril 2024), dirigée par Jean-Baptiste Noé, vient de sortir en kiosque. Le dossier central est consacré au Sahel.

     

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    Au sommaire de ce numéro :

    ÉDITORIAL

    Conflits, déjà dix ans, par Jean-Baptiste Noé

    CHRONIQUES

    LE GRAND ENTRETIEN

    "Nous sommes de nouveau en train de changer de monde". Entretien avec Pierre Lellouche

    IDÉES

    La faim et les moyens. l'aide à l'Afrique est-elle un échec ?, par Catherine van Offelen

    PORTRAIT

    Daniel Ortega. le dinosaure actif de la révolution, par Jean-Baptiste Noé

    ENJEUX

    Les Émirats arabes unis : simples fournisseurs d'énergies ou poumon économique mondial ? , par Ghislain de Castelbajac

    La revanche de l'Empire ottoman, par Louis-Vincent Gave

    IA souveraine et aide à la décision stratégique, par Jean-Baptiste Fantun

    Pouvoir, savoir, anticiper dans la société « de l'information », par Xavier Rauffer

    GRANDE STRATÉGIE

    Olivier Cromwell : la tentative républicaine de l'Angleterre, par Neil Kent

    HISTOIRE BATAILLE

    Lützen (16 novembre 1632). Le Lion est mort ce soir, par Pierre Royer

     

    DOSSIER

    Sahel

     

    GÉOPOLITIQUE ET ENTREPRISE

    RIEN QUE LA TERRE

    CHRONIQUES

    PROSPECTIVE

    ART ET GÉOPOLITIQUE

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  • Guerre en Ukraine : comprendre le "logiciel impérial russe" pour en finir ?...

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Jean-Robert Raviot pour évoquer avec lui la vision russe de la guerre en Ukraine.

    Docteur en science politique, Jean-Robert Raviot est professeur de civilisation russe et soviétique à l'Université Paris-Ouest Nanterre La Défense depuis 2000. Au cours des années 1990, il a effectué plusieurs séjours de longue durée en URSS puis en Russie. Il vient de publier Le logiciel impérial russe (L'Artilleur, 2024).

     

                                              

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  • Le clan Biden, l'Amérique et l'Etat profond...

    Les éditions Konfident viennent de publier une enquête de Gérald Olivier intitulée Cover up - Le clan Biden, l'Amérique et l'Etat profond. Journaliste, Gérald Olivier a été correspondant de Valeurs actuelles aux Etats-Unis puis rédacteur en chef du mensuel Le Spectacle du Monde. Il a notamment publié Le Temps de l'Amérique (Jean Picollec, 2013), une biographie de John et Jacky Kennedy.

     

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    " CHYPRE, MARS 2023. Le Dr Luft, un ex-militaire israélien reconverti dans le secteur de l'énergie, disparaît. Un peu avant de se volatiliser, cet homme, qui avait accusé le président des États-Unis de collusion avec des intérêts chinois, avait écrit : « Le Département de la justice essaie de m’enterrer pour protéger Joe, Jim et Hunter Biden ».

    En octobre 2020, déjà, un article du New York Post exploitant les documents trouvés dans l'ordinateur portable du fils de Joe Biden avait mis en évidence les liens troubles entre le Président et des firmes étrangères, dont une entreprise gazière ukrainienne. Ces révélations avaient été tues par l'immense majorité des médias ou présentées comme une opération de désinformation orchestrée par Moscou. Ceux qui parlaient de cette affaire avaient été bannis des réseaux sociaux, comme l'a exposé Elon Musk s'agissant de Twitter.

    Pourquoi s'est-on livré à la plus grande opération de « Cover up » de l'histoire des USA ? Pour protéger qui et pour cacher quoi ? Plongée au cœur d'une des familles les plus puissantes des USA et dans les méandres de son « État profond ». "

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  • De la déclaration des droits de l’homme à la décadence wokiste...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Delcroix, cueilli sur Polémia et consacré au démantèlement des libertés publiques par les sectateurs des droits de l'homme...

    Juriste et ancien avocat, Eric Delcroix a publié notamment Le Théâtre de Satan- Décadence du droit, partialité des juges (L'Æncre, 2002), Manifeste libertin - Essai révolutionnaire contre l'ordre moral antiraciste (L'Æncre, 2005) et Droit, conscience et sentiments (Akribéia, 2020).

     

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    De la déclaration des droits de l’homme à la décadence wokiste

    Sous l’empire chancelant de l’Occident décadent et sous l’hégémonie socialement et sociétalement délétère des États-Unis, l’individu (l’« homme ») est sempiternellement appelé à revendiquer les droits de l’homme, sous ses multiples déclinaisons telles que produites par l’ONU, le Conseil de l’Europe ou l’Union européenne. Pour flatter le narcissisme de l’individu, il n’y a jamais saturation… À la source réside la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, moins détaillée et donc moins pernicieuse que celles qui s’ensuivront, au-delà et en surplomb de notre cadre national. Il n’en demeure pas moins que la Déclaration apparaît comme une référence philosophique utilisée de façon captieuse de nos jours par l’individualisme que fonde l’ordre moral anti-discriminatoire.

    La déclaration des droits de l’homme : naïveté et transcendance

    La Déclaration avait ses raisons d’être spécifiques, dans une France où nobles, clercs et bourgeois vivaient de plus en plus mal un pouvoir encore très arbitraire issu de l’absolutisme ; aussi en ce siècle des Lumières aspiraient-ils à leur émancipation et à ne plus nourrir de craintes pour leur liberté individuelle. Les Anglais n’avaient-t-ils pas l’habeas corpus depuis 110 ans (1679) ? Tel fut l’aspect circonstanciel d’un texte élaboré de façon un peu brouillonne par l’Assemblée nationale. Cette crainte de l’arbitraire explique l’inscription au titre « des droits naturels et imprescriptibles de l’homme [de] la résistance à l’oppression. » Tâtez donc un peu de cette résistance-là … chiche ?
    Mais naïvement, ses rédacteurs, qui se sentaient inspirés, y voyaient également un aspect transcendantal, puisque plaçant leur texte solennellement « sous les auspices de l’Être suprême », ne doutant pas qu’ils préparaient des lendemains radieux « pour le bonheur de tous » (énoncé dans l’exposé des motifs en préambule) et bien loin d’une future laïcité.

    Le fait est que cet instrument, porté déjà par une philosophie individualiste, énonçant des droits sans mettre en balance de devoirs, n’a jamais rempli les fonctions qui prétendaient être les siennes. Et pour cause :  même si on tend aujourd’hui à le nier, l’individu ne peut vivre que dans le cadre d’obligations, cadres sociaux naturels ou formels, famille, nation, ethnie, culture etc.
    Au demeurant, la Déclaration n’a pas empêché les pires errements qui vont s’en suivre, jusqu’à la Terreur. Mais, au surplus, ses dispositions strictement juridiques n’ont jamais été respectées par ceux-là même qui ne cesseront pas de l’invoquer comme la nouvelle Révélation ! Derrière le texte rédigé en 1789, il demeure un esprit qui relève de la morale, qui est donc ouvert aux ratiocinations de la casuistique (ici l’esprit de la loi plutôt que la loi) aux dépens d’une rationalité juridique promue par les Lumières et la lettre de la Déclaration.
    Mais cela ne détourne pas les sectateurs des droits de l’homme d’y tenir mordicus jusqu’à la déraison. Là réside l’approche superstitieuse du document, appuyé sur une transcendance floue, puisque orpheline de son être suprême fondateur.

    Dispositions juridiques formelles et leur contournement

    Bien sûr, et spécialement en ces temps d’États de droit – création allemande du XIXe siècle (« Rechtsstaat ») aux antipodes de la pensée de nos rédacteurs de 1789 qui mettaient au centre de tout la loi formelle « expression de la volonté générale (art. 6) –, la loi est désacralisée. Avec cet État de droit, une institution comme le Conseil constitutionnel peut faire un usage arbitraire du texte, en rejet de la loi (contra legem) et donc au-dessus du législateur, interprète devenu caduc de « la volonté générale ».  Aussi l’État de droit est-il, historiquement et en France, le contraire, l’antonyme d’État républicain.

    Les articles 10 et 11 de la Déclaration sont censés protéger les libertés de pensée, d’opinion et d’expression, mais l’illusion ne saurait survivre (et n’a jamais survécu) compte tenu de la rédaction même de ces articles : après avoir proclamés ces droits, leurs dispositions proclament de façon captieuse :

    Art. 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions … pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi»
    Art. 11 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme … sauf à répondre de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (soulignés par moi).

    Bref, la loi seule détermine ces libertés essentielles, faisant ici de la Déclaration un texte déclamatoire, pompeux mais vide de garanties positives objectivables. Ces articles 10 et 11 n’auraient certainement pas déplu à Staline lui-même.

    Voyons maintenant l’article 8 : « … nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. » Là, pas d’échappatoire pourrait-on croire à la toute-puissance du législateur, si l’on s’en tient à la lettre, sur la non rétroactivité de la loi pénale. Mais moralement l’esprit l’emportera grossièrement contre la lettre… Par exemple, Paul Touvier (1915-1996), ancien milicien (Milice française), sera condamné pour des faits réputés crimes, remontant à 1944, mais novés postérieurement en « crimes contre l’humanité » créés par l’Accord de Londres du 8 août 1945, crimes prescrits dans les années 1950, mais opportunément dé-prescrits par une loi tardive de 1964. On voit dans cette chronologie la flagrante transgression des dispositions de l’article 8 de la Déclaration. Pour les parangons des droits de l’homme, l’esprit (le leur) l’emporte sur la lettre (inopportune). Le souverain Bien ne saurait se perdre dans le juridisme. Droit et raison ne cohabitent plus.

    Casuistique et révocation de la philosophie du droit des Lumières

    D’une proclamation des droits de l’homme à l’autre, les casuistes sectateurs des droits de l’homme peuvent quand même se rabattre opportunément sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, même si elle n’a pas la valeur constitutionnelle qu’a conféré, en 1971, le Conseil constitutionnel à notre déclaration de 1789. Et nos casuistes ont ainsi trouvé un secours extérieur, puisé dans la tradition juridique anglo-américaine, hors donc de l’héritage rationnel des Lumières, pour écarter la non-rétroactivité des lois, comme on l’a vu dans les procès français pour crimes contre l’humanité.

    La Convention stipule certes dans son article 7-1 : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction … », mais renie ce propos incontinent avec larticle 7-2 : « Le présent article ne portera pas atteinte au jugement … d’une personne coupable d’une action ou omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » (souligné par moi). Une concession opportuniste au droit coutumier américain et à ses procédés arbitraires puisés dans son héritage moyenâgeux (« dans les États despotiques, il n’y a point de lois : le juge est lui-même sa règle[i] » écrivait Montesquieu – ce qui définissait bien, avant la lettre, l’État de droit).

    En présence de magistrats rétifs, pour leur honneur, à cette violation grossière du principe de non rétroactivité de la loi pénale et donc de l’article 8 de la Déclaration, la Cour de cassation cassera l’arrêt de la chambre d’accusation de Paris, 27 octobre 1975 en faveur de Touvier, motif pris qu’elle aurait dû « examiner si [Touvier] … ne se trouvait pas exclu du bénéfice de la non-rétroactivité de la loi pénale, en vertu de l’article 7, alinéa 2 de la Convention européenne …[ii] » Un principe général, ici à rebours des Lumières, ça s’invente sans intervention du législateur, ravalé désormais à un rang subsidiaire. Ce point était (le sait-on ?) la doctrine juridique des nationaux socialistes allemands, indistinctement hostiles aux Lumières et à l’héritage du droit romain.

    L’individualisme des droits de l’homme conduit tout logiquement à l’anarchie, y compris (un comble) en matière de droit !

    Les libertés publiques contre les droits de l’homme

    La Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948) et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (Conseil de l’Europe, 1959) ont cherché à pallier ces distorsions entre le texte et l’esprit du texte supposé. Avec l’invention d’un seul et même procédé, que définissent respectivement les articles 30 et 17 de ces documents. Cet article 17 étant de droit positif en Europe, en voici le texte : « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant … un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés reconnus dans la présente Convention … » Bref, si votre propos n’est pas conforme à la philosophie individualiste et égalitariste de la Convention, on vous déniera les droits qu’elle énonce, même celui de vous exprimer. Comme avocat, j’ai connu l’application de ce principe qui n’est autre que celui proclamé par Saint-Just : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté. »

    Français, nous avions acquis historiquement un haut niveau de libertés publiques et tout le monde affecte chez nous d’y être attaché. Ce n’est pas une question de droits de l’homme, d’individualisme ou d’idéologie (comme dans les traités internationaux moralisateurs), mais d’un certain sens de l’esthétique de vie et de conscience.

    Avec le militantisme actif des sectateurs des droits de l’homme, la République a démantelé les garanties qu’offrait la loi sur la liberté de la presse de 1881, obtenant la restauration des délits d’opinion, la constitution de délits de sentiment, contre la « haine » et donc implicitement pour l’Amour que prétend porter la puissance publique, avec les lois Pleven de 1972 ou Perben II de 2004 ou encore de blasphème avec la loi Fabius-Gayssot de 1990. Orwell avait prédit l’instauration d’un ministère de l’Amour, « qui veillait au respect de la loi et de l’ordre[iii] ».

    La restauration des libertés publique françaises passe par l’abolition des prétentieuses et captieuses Déclaration, Convention et Charte des droits de l’homme, produit de l’idéologie et non pas d’une aspiration aux libertés, qui ne peuvent exister qu’au pluriel et vécues plutôt que déclamées.

    Quant aux libertés de pensée, de recherche et d’expression, rappelons-nous la leçon de Montesquieu pour qui : « Les paroles ne forment point un corps de délit ; elles ne restent que dans l’idée[iv]. »
    Il convient de remettre le droit à sa modeste place de lubrifiant des rapports sociaux voire internationaux, mais non un moyen d’imposer l’Idéologie, droit aujourd’hui infecté par les scories d’un marxisme diffus et d’un puritanisme américain (wokisme inclus) dégoulinant de moraline post chrétienne. Le totalitarisme c’est ici et maintenant.

    Eric Delcroix (Polémia, 1er mars 2024)

     

    Notes :

    [i] L’esprit des lois, 1745.
    [ii] Jurisclasseur périodique, 1976, II, 18 435.
    [iii] 1984, Gallimard, 1950, page 15.
    [iv] L’Esprit des lois. op. cit.

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  • Friedrich Ludwig Jahn, l'éveilleur...

    Les éditions des Amis de la Culture européenne viennent de rééditer le récit que Jean Mabire a consacré à la vie de Friedrich Ludwig Jahn, qui avait été publié initialement dans le premier tome de son ouvrage Les grands aventuriers de l'histoire (Fayard, 1982).

    Décédé en 2006, Jean Mabire, qui était un des grands écrivains de l'aventure, qu'elle soit historique, mythologique ou politique, a aussi été un combattant pour la cause de l'identité des peuples européens.

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    " La Révolution Conservatrice allemande des années 20 et 30 est bien connue. On connaît le tumulte d’idées provoquées par la défaite de 1918. On ignore que le pays avait connu semblable incandescence sous les coups de boutoir de Napoléon.

    Qui est ce colosse à la barbe rousse qui, juché sur l’Arc de Triomphe en 1815, abat à la masse les insignes de bronze de l’Empire français ? Pour faire le portrait de Ludwig Jahn, nous pourrions relire les Que lire ? de Jean Mabire. Comme Augieras, il fut un original qui vécut dans une caverne ; comme René Quinton, ses aphorismes mobilisèrent les énergies guerrières ; comme Jack London, il porta les souliers usés du « vagabond de l’idéal » ; comme Blanqui, il fut un conspirateur et un enfermé. Comme Georges Hebert, on a fait de lui un rénovateur des corps et un exalté du plein air.

    Aux dires de Jahn, la grande affaire de sa vie fut la défense de la germanité. On lui doit notamment des Recherches sur la nationalité, l’esprit des peuples allemands. Son Histoire de la guerre de trente ans, elle, est perdue à jamais. La postérité retiendra surtout qu’il fonda les Turnen, des sociétés de gymnastique qui encourageaient une pratique sportive joyeuse et collective, loin de tout esprit de compétition individualiste. "

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