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écologie - Page 16

  • Pourquoi la France est devenue moche ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le journaliste et critique gastronomique Périco Légasse, défenseur sincère de l'enracinement et des identités régionales, publié sur le site du Figaro.

    Périco Légasse est l'auteur d'un savoureux Dictionnaire impertinent de la gastronomie (François Bourin, 2013).

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    Pourquoi la France est devenue moche ?

    FigaroVox: Les paysages français ont-ils beaucoup changé ces 30 dernières années du fait de la multiplication des zones commerciales et industrielles à l'entrée des villes?

    Périco Légasse: C'est même l'un des phénomènes marquants, voire déchirants, de la morphologie contemporaine française. La France n'est pas qu'une entité culturelle de dimension internationale, c'est aussi un territoire culturel de réputation mondiale. Son visage participe de son image. Or nous assistons depuis trente années à un massacre organisé de ce tableau sur lequel s'est bâti, non seulement le renom touristique et pittoresque de ce pays, mais aussi sa légende de pays de l'art de vivre. Il y a une quarantaine d'années, le journaliste Michel Péricard, avant qu'il ne soit élu député-maire de Saint-Germain-en-Laye, animait sur «la deuxième chaine» de l'ORTF une émission intitulée «La France défigurée». Il dénonçait déjà les ravages -que l'on appelle aujourd'hui environnementaux- d'un urbanisme brutal, de la mercantilisation sauvage des faubourgs de grandes villes et de «L'expansion économique» telle qu'elle est croquée dans la Soupe au chou, de Claude Zidi (1976) où Louis de Funés et Jean Carmet, symboles de la «France fossile» étaient confinés dans leur ferme comme des primates pour s'être opposés à l'ouverture d'un centre d'attraction autour de chez eux. Caricature? Hélas non, prémonition, car la réalité est bien pire. Et de voir ces abords d'agglomérations ainsi transformés en boulevards de la surconsommation dans un concours de laideur fait mal au ventre. On a abîmé, souillé, détruit, violé des paysages magnifiques pour les remplacer par des enfers multicolores bétonnés ou métallisés afin que les citoyens viennent y accélérer la dynamique de défiguration de leur pays. Il faut bien vivre, certes, et donner du travail à tout le monde, mais quand le remède consiste à enclencher un processus qui ruine l'économie nationale par un abaissement systématique des prix via une mutilation organisée du cadre de vie et de l'esthétique des espaces urbains, on se demande si la facture n'est pas chère payée. Je me promène en Europe, et il est vrai que peu de pays échappent à cette dégradation environnementale, toutefois, j'ai l'impression qu'en France, certains élus locaux ont lancé un concours de mauvais goût pour rendre les choses encore plus moches. Il faut avouer que l'horreur dépasse parfois la fiction.

    Quelles sont les causes profondes de ces mutations?

    Le besoin de transformer le citoyen en consommateur puis, la mécanique du profit à grande vitesse aidant, de le transformer en sur-consommateur d'une surproduction générée à cet effet. Et comme il ne s'agit pas de le faire attendre ou se déplacer trop loin, on lui met tout, du rayon de surgelé à la salle de bain en passant par la voiture, le bricolage, la décoration, le sport et le jardinage, à portée de la main. En fait, les fameuses «zones» (d'activités commerciales, industrielles ou économiques), si bien nommées, ne sont que la reproduction à échelle «agglomérative» de la grande surface. L'urbanisation obéit aujourd'hui à la logique de la grande distribution: d'un côté la ville avec sa population, que l'on pourrait qualifier de «zone clientèle», en barres de HLM ou en zone pavillonnaire, et, à côté, l'étalage à grande échelle des produits que l'on pourrait qualifier de «zone consommation». La masse clientélisée à côté du supermarché. Comme dans les élevages industriels de poulet, on apporte son granulé à la volaille sur un tapis. Pour cela il faut aménager le cadre de vie en circuit.

    De Lille à Marseille, on trouve les mêmes restaurants, les mêmes ronds-points, le même urbanisme: pourquoi une telle uniformisation?

    Et si j'étais un brin provocateur, j'ajouterai: les mêmes goûts, les mêmes infos, les mêmes idées, les mêmes dogmes et les mêmes envies… Ce sont les joies de la mondialisation, que nos experts appellent pudiquement la globalisation. Quand vous avez une grosse usine qui produit de gros besoins avec de gros moyens il faut que ce bien de consommation là convienne au plus grand nombre possible de demandeurs. Donc les mêmes enseignes proposant les mêmes marques sur les mêmes critères de choix. Au cas où l'on tenterait d'y échapper, la publicité télévisée, plus colossal instrument de propagande de tous les temps, vous martèle le cerveau sans relâche en vous expliquant, à la façon de la Rolex de Jacques Séguéla: «si t'as pas ça à ton âge, tu as raté ta vie», en le déclinant à toutes les sauces. Et comme il faut reconnaître très vite le logo, la couleur, la forme, le design, le style, le slogan, on le reproduit à l'infini et à l'identique sur tous les espaces suburbains. Normal, car ce gigantesque besoin artificiel ne peut être assouvi et commercialisé que si un immense territoire marchand est mis à disposition du système. Les consommateurs étant rassemblés dans des villes on concentre tout ça autour de la ville. En d'autres termes ça s'appelle un marché de concentration. Je maintiens la formule et je l'assume.

     

     

    Comment expliquer que le remplacement progressif du patrimoine par des habitats fonctionnels se fasse dans la plus complète indifférence? Les Français auraient-ils perdu le sens de l'esthétique?

    Non, car, pour l'heure, ils ne l'on pas tous perdu, même si l'on assiste à un phénomène de masse. Mais si l'on explique que le summum du summum de l'épanouissement social, c'est d'avoir sa maison, et que l'on fait en sorte que l'on puisse acheter une maison d'usine à bas prix, ce qui est le cas de l'habitat préfabriqué, on donne à chacun le moyen d'être propriétaire. Tout cela est parfaitement louable car posséder son logement est une aspiration légitime. Et un droit inaliénable. Sauf que l'usine à maisons fabrique la même maison pour tous et que tout cela est concentré sur un territoire délimité. En fait on reproduit le phénomène de l'appartement, mais sur une base individuelle et séparée du voisin. La voirie devient une méga cage d'escalier. Les conséquences urbanistiques sont donc calamiteuses. A partir d'un certain seuil de concentration, je ne vois pas la différence avec le coron. Et comme la sociologie démographique va dans ce sens, les agglomérations françaises sont condamnées à répondre et à satisfaire cette attente là. Cela a t-il donné des cadres de vie où l'être humain s'améliore ou s'épanouit? C'est une autre affaire. Hélas, la «mochitude» est aujourd'hui la norme, pour ne pas dire la règle, pour n'être que le reflet d'une logique économique elle même très moche puisqu'elle ne met plus l'homme au centre de sa finalité mais le fric.

    Que pensez-vous du développement des éoliennes et des panneaux solaires dans les campagnes françaises? L'écologie ne mérite-elle pas qu'on lui sacrifie un peu de laideur?

    Question douloureuse, car l'écologie est la défense de l'environnement, et le premier environnement, c'est le paysage. Les éoliennes et les panneaux solaires sont des remèdes à un système excessif, avec les mêmes objectifs: produire. Ils ne sont donc que la bonne conscience de ce système, pas un progrès écologique en lui même. Certes, ce sont des moyens «idéaux» de production d'énergie durable, enjeu fondamental de notre civilisation. Mais à quel prix? Ai je vraiment envie de vivre «proprement» et «durablement» dans un tel univers visuel? Est ce si «propre» de défigurer un paysage légendaire, une vallée, ou un village, avec ces prouesses de l'éco-technologie? Ai-je envie de vivre dans un environnement transformé en base spatiale de film de science-fiction sous prétexte que je limite la casse d'une logique que je ne remets par ailleurs pas en cause puisque je continue à consommer de l'énergie. Le serpent se mord la queue, bien sûr, mais le problème est de savoir quel avenir je réserve à la planète. Je pars du principe un peu simpliste que se pourrir la vue c'est déjà se pourrir la vie.

    Un pays abimé, défiguré, mais vivant, ne vaut-il pas mieux qu'une France muséale et figée dans un bucolisme attirant les touristes? La France peut-elle échapper à l'un de ces deux destins: celui de la France des parkings et celui de la France des chambres d'hôtes?

    Et si les Aztèques et les Incas, pérennisés dans leur civilisation, n'avaient pas été éradiqués par l'Occident chrétien «au nom des Evangiles», le monde s'en porterait-il plus mal? Dirions nous aujourd'hui aux Indiens d'Amazonie qu'ils s'accrochent à un monde «muséal» figé dans son «bucolisme tropical» sous prétexte que leur archaïsme primitif s'oppose à la transformation de leur paradis en enfer industriel de progrès? Tristes tropiques que la France des parkings. A quel drôle de choix nous voici confrontés. Riches et pollués à mort ou pauvres mais en bonne santé? Il existe peut-être un juste milieu. De la tomate hors sol pleine de pesticides et sans goût toute l'année ou un peu de bonne tomate de juillet à septembre?

    «Notre bonne vieille mère la Terre» comme disait le général de Gaulle dans son discours de Bayeux en 1946 ne pourra pas supporter longtemps la forme de consommation qui régit l'humanité depuis trente ans. A ce train là, le parking c'est l'antichambre du cimetière. C'est un choix philosophique de civilisation. Je le redis, mourir riches et puissants en pleine croissance ou durer dans le bon sens décroissant? Vaste débat. Moi j'ai ma réponse.

    Périco Légasse (Figarovox, 14 juillet 2014)

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  • « Le malheur identitaire est plus grave que le malheur économique »...

    Nous reproduisons ci-dessous le deuxième partie de l'entretien avec Hervé Juvin, publiée sur le site du Figaro et consacrée à la question de l'identité.

    Première partie de l'entretien : La fin de la mondialisation

     

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    «Le malheur identitaire est plus grave que le malheur économique»

    Figarovox: Vous défendez une «écologie des civilisations». Il faudrait donc protéger la diversité des peuples comme on assure la protection des espèces menacées? N'est-ce pas artificiel?

    De plus en plus de voix s'élèvent pour défendre la biodiversité végétale et animale au nom d'un principe essentiel: quand on supprime des espèces, pour ne plus cultiver que la variété qui vous semble la plus performante, on s'expose au risque de la voire disparaitre. C'est la diversité qui fait la survie. Si on réduit cette diversité, on s'expose au risque de la disparition de l'espèce. Je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas la même réflexion au sujet de la diversité des espèces humaines.

    Peut-être parce que les humains ne sont pas des plantes, et que distinguer entre différentes espèces humaines conduit au biologisme le plus douteux…

    Je ne suis pas essentialiste ni racialiste. Je crois que les tribus, les sociétés, les civilisations, peuvent évoluer. Et elles évoluent, même celles que l'on disait «primitives» ; mais elles mettent le temps. Elles ont aussi parfaitement le droit de conserver leurs modes de vies. Mais ce qui est propre à notre époque, c'est qu'on oblige l'évolution de force, par le haut, au nom de l'irréductible marche en avant du «Progrès», et non pas par une évolution spontanée. J'ai eu la chance de pouvoir fréquenter des sociétés qui, tout en restant en marge de l'économie monétaire telle que nous la connaissons, vivent dans un parfait équilibre et une harmonie avec leur environnement. Au nom de quoi les ferait-on basculer brutalement dans un modèle qui ruine leurs structures sociales, leur insuffler des rêves de 4x4, d'air conditionné et de grands écrans?

    La culture met du temps. Est-ce un drame si tous les Français parlent anglais dans un siècle? Je ne sais pas. Ce qui est un drame en revanche, c'est d'obliger des salariés français à Paris aujourd'hui dans les grandes entreprises à parler anglais. C'est accepter la colonisation anglo-américaine. Ce qui est grave, c'est le rapport du conseiller d'Etat Tuotqui demande aux Français de s'adapter aux nouveaux venus. Partout dans le monde c'est à celui qui rentre dans une maison de s'adapter aux mœurs de cette maison! Je suis personnellement opposé au port du voile dans l'espace public français, mais pas une minute je n'imaginerais exiger d'une femme qu'elle circule non voilée en Iran! De la même manière je dénie tout droit à l'Arabie saoudite et à l'Iran de se mêler de la manière dont on s'habille en France!

    Le multiculturalisme est-il forcément une illusion dangereuse qui conduit à la violence?

    Pierre-André Taguieff a montré récemment que le multiculturalisme, présenté comme le modèle obligatoire de toute société -de manière assez agressive par les Américains - peut aussi engendrer la violence. Regardez les taux de criminalité au Brésil, société multiculturelle par excellence. Idem pour l'Afrique, première zone au monde pour l'immigration intérieure: 100 à 180 millions d'Africains vivent hors de leur pays natal, expulsés par la guerre, la misère, la nécessité de trouver un travail. Résultat: l'Afrique est un des continents les plus violents au monde. Regardez ce qui se passe au Liban! Les sociétés multiculturelles sont les plus violentes au monde.

    A l'occasion du Mondial de foot, on a pu assister en France à des manifestations d'appartenance de la part d'Algériens français, ce qui a été très mal vécu par les «indigènes»…Que vous inspire cette situation française?

    Que des gens défilent avec le drapeau algérien par fierté de la victoire, c'est parfaitement compréhensible, mais la casse et la délinquance sont inexcusables. Il y a eu des bâtiments publics où des drapeaux français ont été remplacés par des drapeaux algériens.

    La solution n'est pas de supprimer la double nationalité, question complexe dont toute solution brutale créerait des drames familiaux et des déchirements personnels terribles - et serait inapplicable. N'oublions pas que l'Algérie, c'était quatre départements français! Le problème est ailleurs ; comment rendre plus attractive «l'identité de la France», sinon en reparlant de puissance et d'indépendance? Depuis des décennies, aucun parti de gouvernement n'ose parler de l'identité de la France, des frontières de l'Europe, du fait que s'il y a des gens qui peuvent légitimement aspirer à devenir français ou européens, il y a aussi des gens qui n'ont pas leur place en Europe. Pour le général de Gaulle, Léon Blum et Jaurès, le mot «français» avait un sens. Aussi bien la gauche que la droite ont fait l'impasse sur ce sujet.

    Très clairement je comprends des affirmations identitaires choquantes comme celles des algériens français ou de l'islam: si on a un islam conquérant en France, que des jeunes français et de jeunes françaises se convertissent à l'islam radical, que des jeunes des cités sortent dans la rue avec des drapeaux algériens, c'est parce que ce sont les seuls vecteurs d'affirmation collective face à la faiblesse identitaire des affirmations chrétiennes et françaises. Je rapporte dans mon livre cette anecdote: une jeune fille de 12 ans, interpellée par les conversions de ses camarades d'école qui choisissent le voile, demande à sa mère «Et nous, nous sommes quoi?» La mère, cadre supérieure d'une entreprise bancaire lui répond, spontanément: «Nous, nous ne sommes rien», voulant dire par là qu'elles étaient laïques, ne dépendant d'aucune religion, libres. Mais ce rien est significatif. La nature a horreur du vide. Et l'Islam est une réponse forte à cette souffrance identitaire qui nous hante.

    Un nombre significatif de français se sentent «exilés de l'intérieur», ont le sentiment que leur identité même est en jeu. Or le malheur identitaire est plus grave que le malheur économique. Beaucoup de peuples vivent dans une relative pauvreté, mais à partir du moment où il existe une forte fierté nationale et une forte identité collective, ces peuples vivent bien.

    Par exemple?

    La Russie. On peut dire ce qu'on veut du président Poutine, reste qu'il a des taux de popularité à faire pâlir d'envie la plupart des dirigeants occidentaux: si il y avait une élection aujourd'hui il serait élu par 80 % des Russes! Il a su restaurer la fierté patriotique et les Russes lui en sont très reconnaissants! L'homme le plus détesté de Russie, c'est Gorbatchev, qui a bradé l'empire, et la personne la plus respectée, c'est Staline… De quoi réfléchir sur la permanence de l'aspiration à la puissance et la liberté des peuples!

    Certes, mais Poutine a surtout sorti la Russie de 10 années de désastre économique et su renouer avec la croissance… Ne sous-estimez-vous pas le facteur économique, et notamment l'impact de la crise économique en Europe?

    Je ne sous-estime pas le facteur économique, je crois au contraire que l'ultra-libéralisme économique est un facteur décisif de destruction des structures sociales. Depuis les années 90, on va vers une paupérisation de la classe moyenne, et le marché du travail internationalisé est en train de casser les situations protégées, la concurrence internationale se traduisant par une baisse des rémunérations. Nous ne sommes qu'au début de ce nivellement par le bas. Jusqu'où ira-t-il? Pas jusqu'à l'alignement des salaires de l'ouvrier français sur l'ouvrier indien: les peuples ne se laisseront pas faire. Nous sommes en train de vivre un retour de l'esclavage pensé et organisé par le grand capital (expression qui peut paraitre désuète mais qui est toujours appropriée). Le capitalisme financier aspire à faire des hommes des marchandises comme les autres, sans revenu minimum ni protection sociale.

    L'immigration de masse servirait donc les intérêts du capitalisme…

    L'ultra-libéralisme a besoin de l'immigration. Le capitalisme mondialisé est favorable à la libre circulation des capitaux, des biens et services et aussi des hommes, qui sont une marchandise comme une autre. L'Europe est la région du monde la plus ouverte, aux mouvements des capitaux, des biens et aussi des hommes: il est plus dur d'avoir un visa pour les Etats-Unis que de pénétrer l'espace Schengen! Parce qu'elle est incapable de définir son identité, l'Europe a renoncé à définir ses frontières.

    Outre le marché, vous dénoncez l'emprise hégémonique du droit dans nos sociétés, devenu l'unique moyen de la reconnaissance. En quoi le droit accompagne-t-il ce projet de grande séparation?

    Aujourd'hui l'individu se définit d'abord comme un détenteur de droits. C'est une évolution assez récente. C'est dans les années 70-80 qu'on a commencé à vouloir traduire en droit positif les droits de l'homme. Jusque-là, la déclaration des droits de l'homme et du citoyen était de nature purement symbolique, personne ne se souciait de leur donner une application concrète. La rupture, en France date de la décision du conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, qui fait du juge constitutionnel le garant des libertés fondamentales qui acquiert ainsi la capacité de se poser en censeur de loi votée par le parlement français. La représentation populaire peut vouloir une loi, la décider, que le Conseil constitutionnel peut censurer au nom des «droits de l'homme». C'est un recul de souveraineté et de démocratie considérable.

    Mais n'a-t-on pas besoin des droits de l'homme pour se garantir de la «tyrannie de la majorité»?

    Je suis tout à fait d'accord pour ne pas donner à une majorité le droit de persécuter les minorités. Il faut qu'il y ait des garde-fous. Mais de garde-fous en garde-fous, on est allé trop loin, jusqu'à accorder des droits à l'individu contre la société et contre toute communauté. On a déifié l'individu et affaibli l'Etat. Or, les droits de l'individu ne peuvent être respectés que si il existe une société politique pour les protéger. Il n'y a pas d'individus s'il n'y a pas de Léviathan pour garantir leurs droits. Si on détruit la société, l'Etat, il n'y aura plus de droits de l'homme parce qu'il n'y aura plus d'autorité pour les honorer. C'est le retour à la jungle, qui est le lot d'une partie du monde économique actuel. On a vu des ouvriers envoyer des messages d'appel à l'aide sur des étiquettes de jeans qu'ils fabriquent à des prix scandaleux. Le trafic d'organes, les mères porteuses, les millions de réfugiés prêts à travailler pour des salaires de misère: tout cela traduit un retour effectif de l'esclavage dans nos sociétés, où au nom des droits illimités de l'individu, l'Etat disparait au profit de la loi du plus fort. L'individualisme absolu aboutit à son contraire: un recul en arrière des libertés concrètes et un retour de l'esclavage. Je n'en doute pas, refaire la Nation, refaire le régalien, fait partie des tâches politiques les plus urgentes pour éviter la détresse identitaire et sociale, qui conduit toujours à la violence.

    Hervé Juvin (Figarovox, 4 juillet 2014)

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  • En attendant que les Verts deviennent écologistes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'écologie, une pensée de la nature qui n'a rien à voir avec l'idéologie libérale-libertaire des bobos verts...

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    En attendant que les Verts deviennent écologistes...

    À l’origine, l’écologie était plutôt de droite. Elle campe aujourd’hui à gauche, voire à la gauche de la gauche. Comment expliquer ce glissement de terrain ?

    Avant d’être une idéologie, l’écologie est d’abord une science, fondée en 1859 par le naturaliste allemand Ernst Haeckel pour étudier les relations entre les êtres vivants et leur milieu naturel. La notion d’« écosystème » a été créée en 1935 par l’Anglais Arthur Tansley. En tant que préoccupation politique, l’apparition de l’écologisme est beaucoup plus tardive. Il a d’abord fleuri à droite, car la droite n’a jamais été fâchée avec la notion de « nature ». Laquelle ne s’est développée à gauche qu’à partir d’une mise en cause de l’idéal productiviste héritée de la pensée des Lumières. Aujourd’hui, on peut dire que l’écologie est à la fois conservatrice et révolutionnaire : conservatrice parce qu’elle vise à préserver des équilibres naturels menacés, révolutionnaire parce que cette préservation implique une rupture radicale avec le modèle de « développement » dominant.

    L’ampleur du problème peut être difficilement contestée. Au-delà des polémiques stériles sur les causes, anthropiques ou non, du réchauffement climatique, la réalité est là : pollutions systématiques des paysages et des nappes phréatiques, fonte des banquises, déforestation de l’Amazonie, continents de déchets dérivant sur des océans de plus en plus acides, poissons nourris aux œstrogènes et aux matières plastiques, extinction des espèces, destruction de la chaîne alimentaire, etc. Il faut être d’une extraordinaire inconscience pour ne pas voir que la Terre devient une immense poubelle, et que c’est là une menace gravissime pour l’avenir.

    On a longtemps cru que les réserves naturelles étaient inépuisables et gratuites. Elles n’étaient ni l’un ni l’autre. Les combustibles fossiles représentent plus de 80 % de l’approvisionnement énergétique de l’humanité. Or, le pétrole est en passe d’atteindre le « pic » au-delà duquel il ne pourra plus être extrait qu’à rendement décroissant, tandis que la demande ne cesse d’augmenter (elle sera, en 2035, de cinq milliards de tonnes par jour). Autrement dit, il en faudra toujours plus et il y en aura toujours moins, ce qui se traduira par une explosion des prix. La moitié seulement du pétrole étant disponible à l’achat par les pays qui n’en ont pas, une baisse de 20 % de la production dans vingt ans, conjuguée avec l’augmentation de la consommation intérieure des pays producteurs, se traduira mécaniquement par une diminution de 50 % de la part disponible pour les pays non producteurs, à commencer par la France, dont la facture énergétique est déjà de l’ordre de grandeur du déficit de sa balance commerciale. Compte tenu de la relation étroite existant entre la consommation d’énergie fossile et l’activité économique, c’est là un redoutable défi. D’autant que le « développement durable » ne fait que reculer les échéances et que les énergies dites renouvelables (éolienne, photovoltaïque, etc.) sont absolument incapables de prendre le relais.

    La vérité est que, la Terre étant un espace fini, elle ne peut être le théâtre d’une croissance matérielle infinie : les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ! Et, n’en déplaise aux défenseurs de la « vie », il en va de même de la population, qui a déjà quadruplé au XXe siècle et augmente aujourd’hui d’un million d’habitants tous les quatre jours et demi, ce qui devrait nous faire passer de 7,2 milliards de bipèdes à plus de 11 milliards en 2100. Si l’on raisonne en termes d’« empreinte écologique », laquelle est égale au nombre d’habitants multiplié par la demande en ressources et en énergie, les États-Unis sont d’ailleurs actuellement le pays le plus peuplé de la planète…

    Vous avez consacré un livre à la décroissance. Pourquoi ce sujet fondamental n’est-il jamais évoqué par les Verts ? La politique d’immigration massive relève aussi de l’écologie humaine, mais là, encore, les Verts n’abordent jamais la question…

    Parce que les Verts, contrairement à ce qu’ils prétendent, n’ont que des préoccupations écologiques tout à fait cosmétiques. Ce sont plutôt des libéraux-libertaires, souvent de simples gauchistes ayant viré bobos. Il ne vous aura pas échappé que leurs prises de position en faveur du mariage homosexuel, de la légalisation des drogues douces, de la suppression des « stéréotypes de genre » et de toute barrière à l’immigration n’ont qu’un rapport pour le moins lointain avec l’écologie. Leur opportunisme contredit en outre leurs convictions affichées, puisqu’ils ont depuis longtemps choisi de devenir la roue de secours du Parti socialiste, qui est traditionnellement un parti productiviste. Ils apparaissent par là incapables de prendre leurs distances vis-à-vis de l’idéologie du progrès, qui est à l’origine même du saccage de l’environnement. Yves Cochet a toutefois eu le mérite de s’intéresser sérieusement à la décroissance. Et, tout récemment, José Bové a fait scandale chez ses amis en déclarant, à propos de la PMA, qu’il ne voyait pas de raison d’admettre en matière de procréation humaine des manipulations qu’il refuse pour le maïs transgénique. Soit on respecte la nature, soit on ne la respecte pas. Bové, il est vrai, est un disciple de ces deux grands précurseurs de l’écologisme que furent Jacques Ellul et Bernard Charbonneau. La plupart de ses amis, au contraire, n’ont aucune culture en matière de philosophie de l’écologie (qui s’est surtout développée en Allemagne et aux États-Unis). Mais il ne faut pas oublier non plus que les Verts sont loin de représenter la totalité de la scène écologiste française. Il y a aussi le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter et les membres des associations de protection de la nature fidèles à l’esprit de ce grand naturaliste que fut Robert Hainard.

    À en croire toutes les traditions, la nature est un legs divin dont l’homme est le jardinier. Mais pour certains écologistes, il y a parfois divinisation de la nature et diabolisation de l’homme. Cette proposition manichéenne peut également s’inverser. Qui dit vrai, qui dit faux ?

    Ce qu’il s’agit surtout de comprendre, c’est que la nature n’est pas le simple décor de notre existence, mais la condition systémique du maintien même de la vie. Elle a donc une valeur intrinsèque, indépendante de l’intérêt qu’elle peut présenter pour nous. Il est dit dans la Bible que l’homme doit « soumettre » la nature (Gen. 1, 26). Un pas supplémentaire est franchi avec Descartes, selon qui nous devons nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature » : la nature, rendue muette, devient une chose à exploiter, un objet à arraisonner. Chez les anciens Grecs, au contraire, le respect du cosmos allait de pair avec le refus de la démesure (hybris) ; le rapport de l’homme à la nature était un rapport de partenariat, ou plutôt de co-appartenance. C’est ce rapport qu’il faut retrouver.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 1er juin 2014)

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  • La politique de l'oxymore...

    Les éditions La Découverte viennent de rééditer en collection de poche un essai de Bertrand Méheust intitulé La politique de l'oxymore. Philosophe, Bertrand Méheust est l'auteur d'un essai consacré à la parapsychologie, Les miracles de l'esprit (La Découverte, 2011).

     

    Politique de l'oxymore.JPG

     

    " Les démocraties modernes possèdent-elles les ressorts nécessaires pour prévenir et affronter la catastrophe écologique due au réchauffement climatique ? Comme l'explique Bertrand Méheust, ce n'est pas de l'écologie libérale et du « développement durable » que viendra la réponse : ces discours consistent à graver dans l'esprit du public l'idée que l'écologie est compatible avec la croissance et même mieux, qu'elle la réclame, afin de masquer l'incompatibilité entre la société globalisée dirigée par le marché et la préservation de la biosphère.
    Un univers mental ne renonce jamais à lui-même si des forces extérieures ne l'y contraignent pas. Le système a saturé tout l'espace disponible et est à l'origine de tensions de plus en plus fortes. Pour les masquer ceux qui nous gouvernent pratiquent la politique de l'oxymore. Forgés artificiellement pour paralyser les oppositions potentielles, les oxymores font fusionner deux réalités contradictoires : « développement durable », « marché civilisationnel », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », etc. Ils favorisent la destruction des esprits, deviennent des facteurs de pathologie et des outils de mensonge. Plus l'on produit d'oxymores et plus les gens sont désorientés et inaptes à penser. Utilisés à doses massives, ils rendent fou. Plus la crise s'aggrave, plus le réchauffement climatique nous menace et plus nous assistons à la production et à l'usage cynique, sans précédent dans la démocratie française, d'oxymores à grande échelle."

     

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  • Un déçu de l'Union européenne...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Hervé Juvin diffusé le 22 mai 2014 dans Un monde d'idées, une émission de France infos. Économiste et grand voyageur, Hervé Juvin a publié Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation (Gallimard, 2013), deux essais essentiels.

     


    Un monde d'idées - Hervé Juvin par FranceInfo

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  • Changer d'agriculture ?...

    Les éditions Actes sud publient cette semaine un essai de Jacques Caplat intitulé Changeons d'agriculture - Réussir la transition. Agronome, Jacques Caplat a été conseiller technique au sein d'une chambre d'agriculture, chargé de l'accompagnement d'agriculteurs en conversion vers l'agriculture biologique, puis des politiques agricoles et environnementales au sein de la Fédération nationale de l'agriculture biologique (FNAB).

     

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    " Le “modèle” agricole qui s’est imposé depuis quelques décennies est de plus en plus critiqué en raison de ses conséquences néfastes sur l’environnement, l’emploi et la santé humaine et animale. Pourtant, sa remise en cause est souvent écartée au nom de l’urgence alimentaire : il serait “le seul capable de nourrir l’humanité”. Cette affirmation péremptoire interdit le débat et nous enferme dans une impasse dont il est urgent de sortir. L’objet de cet ouvrage est de lever certains malentendus et de détailler les alternatives qui nous permettront d’élaborer une autre agriculture, capable de réconcilier paysans, environnement et société.
    Pour ce faire, l’auteur explique quels ont été les choix scientifiques, économiques et politiques qui ont présidé à l’élaboration du modèle “conventionnel”, et démontre que d’autres choix tout aussi performants sont possibles. Il décrit alors les étapes d’une transition en s’appuyant sur la réalité de milliers de paysans passés de l’agriculture conventionnelle à l’agriculture biologique. C’est donc bien d’actes concrets et réalisables qu’il est question ici, où paysans et citoyens sont mis à contribution, chacun ayant son rôle à jouer dans une transition réussie vers l’agriculture de demain. "

     

    Lien permanent Catégories : Décroissance et résilience, Livres 0 commentaire Pin it!