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russie - Page 9

  • Une histoire de la russophobie...

    Les éditions des Syrtes viennent de rééditer au format de poche un essai de Guy Mettan intitulée Russie-Occident, une guerre de mille ans - Une histoire de la russophobie. Responsable du Club suisse de la presse et ancien directeur-rédacteur en chef de la Tribune de Genève, Guy Mettan a notamment publié Le continent perdu (Syrtes, 2019) et La tyrannie du bien - Dictionnaire de la pensée (in)correcte (Syrtes, 2022).

     

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    " Pourquoi l'Occident aime-t-il tant détester la Russie ? Pourquoi la présenter sans cesse comme une ennemie qui voudrait nous envahir ? Pourquoi tant de haine et d'inimitié depuis des siècles pour un pays pourtant si proche par sa géographie et sa culture ?

    Remontant aux sources de cette détestation, Guy Mettan retrace les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques de la russophobie occidentale. À contre-courant mais fondée sur des faits et des sources incontestables, sa thèse ne cherche ni à incriminer ni à exonérer. Son ambition est de convaincre qu'il n'est pas nécessaire de diaboliser la Russie pour en parler. Et pour lui parler. "

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  • Crise de l’énergie : deux heures moins le quart avant le désastre...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de François Bousquet, cueillie sur Boulevard Voltaire et consacrée au marché de l’énergie européen.

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020) et Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020).

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    Crise de l’énergie : deux heures moins le quart avant le désastre

    Ce qui préside à nos destinées, c’est le complot, mais un complot déconcertant : le complot de la médiocrité, la conjuration de l’incompétence, la conspiration de la nullité. On en a tous fait l’expérience dans nos vies professionnelles, quelles qu’elles soient. Souvent, les plus médiocres sont aux commandes. Quand ce n’est pas le cas, les meilleurs doivent se soumettre à l’étiage le plus bas. Les exceptions sont comme des anomalies. Combien de temps peut durer un système aussi structurellement défaillant ? Pas éternellement. L’Histoire est un cimetière d’aristocraties, enseignait le grand sociologue Vilfredo Pareto. La nôtre n’a pas encore été mise sous terre, mais ça ne saurait tarder. Aristocratie est du reste un bien grand mot. C’est plutôt un syndic de faillite, une collection de clones interchangeables, une « zéroligarchie » affectée d’un même défaut de fabrication et des mêmes vices cachés : prétention, arrogance, insuffisance.

    Jusqu’ici, la nullité de cette caste était à toute épreuve, comme le chiendent, les infections nosocomiales, les OQTF ou les déficits abyssaux. Elle a résisté à la crise de 2008, au covidisme, aux crises migratoires à répétition, à la guerre en Ukraine. Survivra-t-elle à la crise de l’énergie ? Il est permis d’en douter. Nul besoin d’être un prophète pour annoncer que l’Union européenne se fissurera sous peu. La crise de l’énergie est son chef-d’œuvre technocratique. Un travail d’orfèvre du désastre qui a été méthodiquement programmé, minutieusement planifié, idéologiquement organisé.

    L’État défaillant

    Inutile d’accabler Poutine. Certes, l’Europe a délibérément choisi de se priver de 40 % de ses approvisionnements en gaz. Une folie. Mais c’est prêter au mage du Kremlin des pouvoirs qu’il n’a pas. La Russie aura surtout été un révélateur et un accélérateur. La crise de l’énergie a des racines plus profondes, plus malignes, plus structurelles. Vingt-cinq ans d’égarements, un quart de siècle d’aberrations, deux décennies et demie de balivernes et de chimères.

    Sortons nos calculettes. Quand la facture d’un boulanger s’envole de 800 euros par mois à 10.000 euros, c’est une augmentation sèche de 1.150 % (jusqu’à 2.000 % pour certains). Comment expliquer cette hausse stratosphérique ? Tout indique qu’elle est artificielle, irrationnelle et factice. Pourquoi ? C’est qu’il est dans sa nature d’être d’abord spéculative. Tel est l’aboutissement, inscrit dans les archives des erreurs économiques, de la libéralisation du marché de l’énergie amorcée dans les années 1990. Ce devait être la panacée, suivant la croyance magico-religieuse dans les vertus immanentes de la concurrence libre et non faussée. Le marché de l’énergie européen devait être interconnecté, il est totalement déconnecté des coûts réels. Il devait être intégré, il est en train de nous désintégrer. Il devait tirer les prix vers le bas, il les tire vers le haut. Tout à l’avenant. Pas une décision qui ne se soit avérée pertinente. Partout l’imprévoyance, l’impréparation, le court-termisme. La politique funeste de la cigale, celle de la fourmi ayant été jugée par trop rétrograde.

    En France, on se flatte de ne pas avoir de pétrole, on découvre qu’on n’a pas non plus de gaz. Pour autant, on n’a toujours pas d’idées. Quand on en a, c’est qu’on les a achetées à l’étranger, à des cabinets de conseil américains. Résultat : on construit des usines à gaz sans gaz et des voitures électriques sans électricité. Cela fait longtemps qu’il n’y a plus d’État stratège. Il a disparu quelque part entre le traité de Maastricht et le traité de Lisbonne, aspiré par ce trou noir administratif qu’est l’Union européenne. L’État stratège, c’est aujourd’hui McKinsey plus Greta Thunberg. Du vent facturé au prix d’un cabinet new-yorkais et de l’éolien acheté au prix des cryptomonnaies – avant leur déroute. Rien d’étonnant à cela. C’est la génération climat qui fixe notre politique énergétique ; et son moteur auxiliaire est la génération startupper. La première veut sauver la planète, la seconde la privatiser. Mais la planète s’en fout. Elle est résiliente. Elle a survécu à quantité de crises, elle en traversera d’autres. Pas comme nous.

    Au choix : ubuesque ou kafkaïen

    L’écologie est une chose trop grave pour la confier aux écologistes. Dans leur esprit, la physique nucléaire, c’est de la pataphysique pour les clowns. Remercions la crise. Sans elle, la France était partie pour « tchernobyliser » son parc de réacteurs. Dénucléarisés, les Verts en auraient fait des ZAD et des centres d’art contemporain. Ubu roi repeint en vert.

    Mais si l’enfer écologique est pavé de bonnes intentions, l’enfer néolibéral l’est tout autant. La crise actuelle est à ce point de jonction. La Commission a même inventé la bureaucratie libérale, parfait oxymore (comme une prison ouverte ou la bêtise éclairée), en additionnant les tares du néolibéralisme et les vices du dirigisme. En Union soviétique, les apparatchiks organisaient la pénurie à partir d’une conception dévoyée de l’égalité. Dans l’UE, Bruxelles organise la pénurie au nom d’une conception dévoyée de la concurrence. Cela s’appelait le Gosplan, en URSS ; cela s’appelle, chez nous, le paquet climat. C’est la même chose. Les causes divergent, mais les effets convergent.

    Ce qu’a dit Emmanuel Todd des élites françaises s’applique au niveau de l’UE. Ce sont des aristocraties stato-financières hors-sol « en mode aztèque », c’est-à-dire qu’elles sacrifient leur propre population sur l’autel de leurs croyances. Elles vivent au crochet de l’État – qu’elles dépècent. Elles ne jurent que par le marché – dont elles ignorent les règles.

    Au demeurant, il ne s’agit pas d’être pour ou contre le marché. Le marché est une réalité. Il fonctionne quand il s’agit d’acheter une baguette, c’est du moins ce que proclamait le professeur Adam Smith, qui disait que ce n’est pas de la bienveillance du boulanger que nous attendons notre repas, mais plutôt du soin qu’il apporte à la recherche de son propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à son humanité, mais à son égoïsme, résumait-il. À voir. Demandez à votre boulanger ce qu’il en pense. La libéralisation des biens de première nécessité reste toujours aussi problématique, hier des grains, aujourd’hui de l’énergie. À la veille de la Révolution, elle a abouti à la guerre des farines. Aujourd’hui à la crise de l’énergie.

    Le mirage ravageur de la libéralisation

    La libéralisation est le cache-sexe de la financiarisation. Libéraliser, en bon sabir bruxellois, c’est ouvrir à la spéculation des domaines jusque-là sanctuarisés, ce qu’était naguère la souveraineté énergétique. Aucun acteur privé n’est susceptible de se lancer dans la construction de réacteurs, qui requièrent des investissements courant sur des décennies (plus de cinquante ans, pour l’hydraulique). Nous sommes ici au cœur du régalien, pas du reaganien, comme se plaisent à croire les eurocrates.

    Privatisé, le marché du gaz est devenu totalement opaque, volatil et incontrôlable, sans d’ailleurs aucun contrôle de la part de l’UE. Savez-vous que la Bourse du gaz, aux Pays-Bas, n’est même pas soumise aux règles les plus élémentaires de transparence, alors qu’il s’y échange 100 fois plus de gaz que les Européens n’en consomment réellement. Il y a dix ans, c’était dix fois plus – ce qui était encore dix fois de trop.

    Bienvenue chez les fous ! À Bruxelles, cela s’explique. Mais à Paris ? Quel intérêt la France a-t-elle à démanteler EDF ? Ce qu’elle projetait de parachever il y a un an avec le délirant plan Hercule (chef-d’œuvre du naming, comme disent les Anglo-Saxons. Quand on fait un vilain coup, on le baptise d’un nom ronflant, le projet Hercule consistant à transformer notre Gulliver national en unités lilliputiennes).

    On aurait pu en rester là, mais non. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Le vieux dicton romain s’applique à la lettre à nos dirigeants. Car en juillet de cette année, ce sera au tour des particuliers de voir leur facture énergie déréglementée. Dérèglement : rien ne résume autant notre situation. Il est climatique, énergétique, idéologique. C’est lui, et pas Poutine, qui explique les variations du prix de l’énergie en forme de montagnes russes – et c’est bien la seule chose qui, ici, soit russe.

    François Bousquet (Boulevard Voltaire, 3 janvier 2023)

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  • Du conflit de civilisation à la guerre de substitution...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroy ont récemment publié un essai de Mezri Haddad intitulé Du conflit de civilisation à la guerre de substitution, avec une préface d'Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères. Docteur en philosophie morale et politique de la Sorbonne, Mezri Haddad, né le au Kram, est un journaliste, écrivain, philosophe et diplomate tunisien. 

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    " Provoquer la guerre, sans la faire ! Le Ponce Pilate américain s’en lave les mains ! C’est aux provinces de l’Empire de le servir et aux soumis de lui obéir, aux dépens de leurs propres intérêts. Plutôt des intérêts vitaux de leurs peuples. Quand l’oracle de Kiev, Zelensky, parle, tout le monde se met à maudire le Satan du Kremlin. Dès que ce saltimbanque, dont on loue le nationalisme qu’on exècre chez soi, tousse, c’est tout le corps européen qui souffre… mais c’est seulement Renault qui plie bagage. Par nationalisme ukrainien et pour se passer du gaz russe, BHL propose aux Français de baisser leur chauffage d’un degré. Une écologiste qui se chauffe à la bouse de vache double la mise : deux degrés !
    En temps de guerre, outre les innocents tués et les populations déplacées, la première victime c’est la vérité, et le premier bénéficiaire c’est la propagande des marchands d’armes. Comme avant lui Nasser, Mossadegh, Saddam, Bachar, Kadhafi, Poutine serait la réincarnation d’Hitler ! Et Soljenitsyne, prix Nobel de littérature et dissident historique autrefois sanctifié en Occident, est renvoyé au Goulag pour son soutien post mortem au « boucher ».
    Plus grave que tout, l’ennemi n’est plus Daech et ses acolytes, mais la Russie. Le péril majeur n’est pas le totalitarisme vert, que Poutine a éradiqué en Tchétchénie avant de l’écraser en Syrie, mais le fantôme du totalitarisme rouge ressuscité par les thuriféraires des États-Unis. Thèse de Mezri Haddad : la théorie du choc des civilisations n’est pas caduque. C’est juste le point d’impact qui s’est déplacé en faisant tomber les pions du grand échiquier ! Le choc est désormais entre des démocraties en crise et des autoritarismes ré-émergents, entre un modèle de civilisation spirituellement desséché et un modèle en plein renouveau orthodoxe et exaltation nationaliste. Une guerre qui se joue sur le même continent et à l’intérieur de la même ère civilisationnelle… pour le meilleur ou pour le pire ! "

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  • La liberté qui se joue en Ukraine n’est pas celle que nous croyons...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Laurent Leylekian, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la la guerre russo-ukrainienne... Analyste politique et spécialiste des questions aérospatiales, Laurent Leylekian collabore à la revue Conflits.

     

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    Cimetière militaire arménien

     

    La liberté qui se joue en Ukraine n’est pas celle que nous croyons

    Les situations de crise ne sont guère propices à l’exercice du discernement. C’est encore plus vrai des périodes de conflit où – pourtant – cette faculté s’avère plus nécessaire que jamais. Les émotions bien légitimes que suscitent les horreurs de la guerre et les effets surajoutés de la propagande polarisent plus que jamais les sociétés, et les intelligences sont rapidement sommées de « choisir leur camp » qui, quel qu’il soit, est pourtant rarement celui de l’intelligence.

    L’agression russe de l’Ukraine n’échappe pas à la règle et rester fidèle à soi-même est plus que jamais considéré comme une trahison pour tous ceux – et ils sont nombreux – qui veulent nous voir embrasser leur foi. Le dilemme est pourtant de taille pour les authentiques partisans de la liberté.

    Passons rapidement sur l’apologie facile et captieuse de Vladimir Poutine. Certes, il est vrai que c’est l’Ukraine de Porochenko, puis de Zelensky qui, la première, n’a pas respecté les engagements pris lors des accords de Minsk I, puis de Minsk II, sur l’autonomie relative des provinces orientales et russophones du pays. Certes, l’OTAN a bien joué un rôle pervers et déstabilisateur en faisant implicitement miroiter une promesse d’adhésion à l’Ukraine sans jamais la lui offrir explicitement. Certes, les démocraties occidentales en général et l’Union européenne en particulier se sont conduites de manière inavouable comme autant de pousse-au-crime en excitant – voire au besoin en créant de toutes pièces – un ressentiment antirusse qui n’est pas loin de constituer aujourd’hui l’essentiel de l’identité ukrainienne ; une identité qu’on aurait eu bien du mal à discerner de l’identité russe voici encore quarante ans. 

    Une indignation à géométrie variable

    Il n’en reste pas moins que les peuples sont censément libres de leur destin – surtout lorsqu’ils le subordonnent à la mise en œuvre préalable de mécanismes démocratiques – et que les Ukrainiens avaient bien le droit comme tant d’autres avant eux de décider de leur avenir en tant que nation indépendante. À cette aune, on peut cependant d’autant plus regretter le traitement indigne que le régime de Kiev imposait depuis 2014 à ses citoyens russophones qu’il ne relevait précisément pas de ces fameux mécanismes démocratiques et qu’il a constitué le plus sûr chemin à l’intervention russe dont Kiev prétendait justement se départir.

    Mais la question que je veux évoquer n’est pas celle-là. Comme beaucoup le sentent confusément, ce qui est en jeu n’est pas tant la liberté de l’Ukraine que la nôtre, chaque jour un peu plus érodée. Si l’Ukraine n’était pas qu’un prétexte pour affaiblir la Russie, pourquoi ce silence sur l’Arménie ? pourquoi ce silence sur les Kurdes ? pourquoi ce silence sur le Yémen ? pourquoi ce silence sur tant d’autres vallées de larmes où la sérénité des criminels se nourrit de l’indifférence – non pas des occidentaux – mais ceux qui fabriquent leur opinion. La question vient alors immédiatement : pourquoi donc notre immense arsenal médiatique conspirerait-il jour et nuit comme il le fait à établir de manière surabondante les crimes de Vladimir Poutine ; et pas ceux d’Ilham Aliev ; et pas ceux de Recep Tayyip Erdoğan ; et pas ceux de Mohammed ben Salmane ?

    Pour paradoxal que cela apparaisse, la réponse est que Poutine et ce qu’il représente sont les meilleurs garants de nos libertés. J’insiste : de nos libertés à nous, Occidentaux, et non pas bien sûr de celles des Ukrainiens. Évidemment, Poutine est un salaud comme le sont les autres. Mais – pour reprendre l’aphorisme bien connu – les autres sont « nos salauds ». Ce que nos pouvoirs reprochent à Poutine n’est pas tant d’être un salaud que de ne pas être le leur.

    Un lecteur hâtif ou malintentionné pourrait penser que j’excipe de ces quelques vérités l’idée que la vie serait plus douce sous la férule russe. Certainement pas, faut-il le préciser ? Mais dans un monde où de grands blocs totalitaires s’affrontent, la liberté de l’Homme ne subsiste qu’aux franges, qu’aux marges, que dans ces zones de subduction que seul leur affrontement préserve de la solidification monolithique. Partout ailleurs, la pensée libre s’étiole que ce soit sous la botte impitoyable des tyrans orientaux où dans l’étouffoir intellectuel que sont devenues les démocraties occidentales.

    La liberté a besoin d’ un monde multipolaire

    Quelques prophètes – de Georges Bernanos à Jacques Ellul et de Pier Paolo Pasolini à Ivan Illich – l’avaient bien vu avec une prescience à faire frémir : servie par une technique sans cesse plus intrusive, une société au conformisme de termitière interdit chaque jour un peu plus toute dissidence. Là où les bons vieux totalitarismes devaient se contenter d’une adhésion de façade, le totalitarisme postmoderne a les moyens de ses ambitions, celui de surveiller, de rééduquer et de domestiquer les masses avec une finesse et une profondeur inouïes. Les ergoteurs qui prétendent que les démocraties garantissent le pluralisme là où les systèmes autoritaires imposent la voix de l’État sont des plaisantins : chacun utilise ses méthodes – voilà tout – et la variété « démocratique » des médias occidentaux ne constitue que le décorum flexible et protéiforme d’une domination qui ne l’est pas du tout.

    Dans un article récent et remarquable, Gabriel Martinez-Gros affirme que « la guerre en Ukraine est caractéristiques de ces résistances [contre les empires]. La Russie n’est pas l’empire qu’on décrit ici mais un État-nation. L’empire, c’est nous : l’Occident ». La première proposition sur la nature d’État-nation de la Russie est certainement contestable. La seconde sur l’empire et sa religion post-moderne que nous représentons l’est beaucoup moins. Cet empire a longtemps pu paraître bénin en raison de facteurs qui se nourrissaient mutuellement : l’existence d’une menace en termes de projet idéologique global concurrent – le communisme – et la relative modération des pratiques politiques d’un système libéral qui devait compter avec ce concurrent dont les appâts captieux séduisirent et séduisent encore pourtant tant de nos compatriotes.

    La disparition du communisme a conduit l’empire libéral à jeter le masque désormais inutile de la démocratie pour imposer de manière autoritaire – et avec une brutalité qui va en s’accroissant – ses dogmes religieux. S’il est de bon ton de dénoncer les démocraties illibérales, cela ne doit pas masquer que nous vivons désormais un libéralisme antidémocratique : ce libéralisme intégral – économique et sociétal, totalement débridé – ne se donne plus la peine de cacher la cupidité cynique et illimitée qui constitue son ressort psychologique et s’attache à détruire avec une violence décuplée les États-nations et ses institutions qu’il perçoit à juste titre comme les dernières digues capables de restreindre sa toute puissance.

    La stratégie de choc employée provoque un état de sidération au sein nos sociétés qui en sont les victimes, exactement comme un boxeur KO debout ne ressent même plus les nouveaux coups qui vont le mettre à terre. On ne compte plus les faits avérés qui – il y a dix ans encore – auraient jeté le peuple dans la rue et ne provoquent plus aujourd’hui qu’un haussement d’épaules fataliste : les preuves de la corruption d’Ursula Von der Leyen ? haussement d’épaules ; le prix de l’électricité nucléaire indexé sur celui des carburants fossiles ? haussement d’épaules ; la spoliation au nom du marché d’entreprises nationales telle EDF payées avec les impôts des Français ? haussement d’épaules ; l’assassinat quasi quotidien de Français par les troupes d’occupation de la « diversité » ? haussement d’épaules ; notre entrée progressive mais irrémédiable dans un statut de supplétifs cobelligérants de l’empire ? haussement d’épaules ; l’extraterritorialité du droit commercial américain et corrélativement l’exemption juridique par laquelle les États-Unis prétendent soustraire leurs citoyens aux lois des autres pays où ils résident ? haussement d’épaule, etc., etc. C’est bien pour cela que nous devons souhaiter le maintien permanent et même le renforcement de différents pôles de puissance à travers le monde même, et surtout, si plus rien ne les distingue dans leurs fondements. Car – hormis l’hypothèse improbable à court terme de leur effondrement – c’est bien de leur seule concurrence impériale et dans les seuls no man’s land de leurs affrontements que l’Homme libre et affranchi gardera encore à l’avenir une chance minime de subsister.

    Laurent Leylekian (Site de la revue Éléments, 6 décembre 2022)

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  • En Ukraine, l’inaudible réalisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak, cueilli sur Geopragma et consacré au nécessaire retour au réalisme dans l'approche du conflit russo-ukrainien. Alexis Feertchak est journaliste au Figaro et membre fondateur de Geopragma.

     

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    En Ukraine, l’inaudible réalisme

    Avec d’infinies nuances, deux politiques s’opposent grossièrement depuis 1991 au sein du bloc occidental à l’endroit de Moscou. La première consistait à voir dans la Russie post-soviétique une menace persistante, qu’il fallait continuer d’endiguer et de contenir, et ce dès la fin de la Guerre froide. Non pas qu’elle constituait alors un péril, mais parce qu’il fallait anticiper le retour, dans un avenir proche, d’une puissance toujours tentée par la forme impériale, par le primat de la force sur le droit, par un révisionnisme mâtiné d’idéologie et par une jalousie séculaire vis-à-vis de son Ouest. Cette politique a globalement été celle de l’Alliance atlantique, des Etats-Unis et des pays d’Europe de l’Est, trop heureux de s’être séparés du communisme et de la tentation envahissante historique de la Russie. A grands traits, l’on pourrait résumer cette première position par la formule latine : «si vis pacem para bellum». Un exemple jusqu’au-boutiste de cette logique est l’appel de Lech Walesa, l’ancien président polonais, à «ramener la Russie à moins de cinquante millions d’habitants» (contre 144 aujourd’hui) en la «décolonisant». «Même si l’Ukraine va gagner cette guerre, dans cinq ans nous allons avoir la même chose, dans dix ans on verra un autre Poutine surgir», a asséné le fondateur du mouvement Solidarnosc.

    La seconde, qui a longtemps été dominante en France et qui a également existé sous une forme plus géoéconomique outre-Rhin, plaidait pour un rapprochement progressif avec la Russie, par russophilie parfois, par anti-américanisme souvent, mais plus fondamentalement pour éviter le piège circulaire de la violence qui engendre la violence ad libitum. Il ne s’agissait pas de rejeter en bloc la formule «si vis pacem para bellum», mais de faire assaut de prudence car, à trop préparer la guerre, celle-ci éclate nécessairement, par un terrible jeu de miroirs qui fait que chacun voit luire dans le regard de l’autre l’éclat guerrier redouté. En un sens, si tu veux la paix, il faut certes préparer la guerre, mais il faut aussi, en parallèle, préparer bel et bien la paix elle-même, et ce pour couper court à toute prophétie de malheur autoréalisatrice.

    Mort-née, l’initiative de la «confédération européenne» proposée par François Mitterrand dès 1988 et qui devait, en réponse au projet de «maison commune» de Gorbatchev, s’étendre à l’URSS incluse, fut l’incarnation la plus pure de cet esprit qui revenait, d’une autre manière, à contenir la violence, mais sans endiguer la Russie elle-même. Cette position, dont les tenants se qualifient de «réalistes» et qui s’inspirent de la théorie des relations internationales du même nom, est toujours défendue mordicus par de grands noms de l’histoire politique française récente comme Jean-Pierre Chevènement, Hubert Védrine ou Dominique de Villepin. Leur idée n’est pas d’absoudre la Russie qui a envahi un pays, mais de se demander si le bloc de l’ouest, en maintenant une logique de Guerre froide à l’issue de celle-ci, n’a pas co-construit ce que, précisément, elle voulait éviter, et qui s’étend désormais sous nos yeux. «Le Poutine de 2022 est largement le résultat, tel un monstre à la Frankenstein, des errements, de la désinvolture et des erreurs occidentales», résumait ainsi Hubert Védrine dans Le Figaro.

    C’est aussi le discours d’un autre diplomate français, Maurice Gourdault-Montagne, conseiller diplomatique de Jacques Chirac, qui rappelle dans ses mémoires, publiées en novembre 2022, cet autre projet français avorté : «Nous fîmes, à l’initiative du président Chirac, une tentative, vite mort-née, pour proposer une solution concernant la sécurité de l’Ukraine. Chirac m’envoya en novembre 2006 […] tester auprès des Russes la proposition suivante : ‘Pourquoi ne pas donner à l’Ukraine une protection croisée assurée par l’Otan et la Russie ? Le Conseil Otan-Russie en assurerait la surveillance’». Mais voilà, une telle proposition ne pouvait trouver grâce aux Etats-Unis, qui ont torpillé l’initiative, raconte l’ancien secrétaire général du Quai.

    Depuis le 24 février, ce discours réaliste, régulièrement qualifié d’esprit de Munich, apparaît comme largement inaudible. Il l’est d’autant plus depuis trois mois que ce sont désormais les Ukrainiens qui sont à la manœuvre militaire et que la Russie s’empêtre face à un adversaire dont elle a sous-estimé la force. Dès le mois d’avril, l’armée russe a dû se replier de la région de Kiev, face à l’impossibilité de prendre ou même d’assiéger la capitale ukrainienne. Puis, en septembre, les Ukrainiens ont repoussé de la région de Kharkiv – deuxième ville du pays – les Russes, qui n’ont certes guère résisté, mais qui ont bien été obligé, là encore, de plier bagage face à la contre-attaque. Et une troisième fois, en novembre, les Russes ont dû se replier sur la rive gauche du Dniepr après avoir abandonné Kherson, perdant au passage tout espoir de transformer leur tête de pont de l’autre côté du grand fleuve ukrainien. En procédant à une mobilisation partielle de 300.000 hommes, les Russes vont peut-être réussir à conserver le reste de leurs gains territoriaux et même à grappiller quelques territoires dans l’oblast de Donetsk autour de Bakhmut, mais même cela n’est pas sûr. Les Ukrainiens pourraient tenter une nouvelle poussée dans l’oblast de Lougansk, voire lancer une contre-offensive dans la région de Zaporijjia ou le sud du Donetsk. En pareil cas, la Crimée pourrait être derechef coupée du reste du territoire russe, ce corridor terrestre le long des rives de la mer d’Azov étant le principal – voire le seul – gain stratégique russe réalisé depuis le 24 février. En Russie, l’on commence déjà à évoquer l’hypothèse du lancement, d’ici quelques mois, d’une nouvelle vague de mobilisation.

    Ceux qui voulaient à tout prix préparer la guerre face à la Russie triomphent. Non seulement ils ont eu raison sur la menace que représentait Vladimir Poutine, mais, en plus, contre tous les sceptiques, l’Ukraine parvient à renverser la vapeur. Et eux, à l’adresse des réalistes, de reprendre en cœur les mots que Winston Churchill n’a en réalité jamais lancés à Neville Chamberlain, premier ministre, après la signature des accords de Munich en 1938 : «Le gouvernement avait le choix entre la guerre et le déshonneur ; il a choisi le déshonneur et il aura la guerre». En apparence, le réel semble en effet leur donner raison.

    Et, pourtant, aussi difficilement entendable que cela puisse paraître, la logique des réalistes n’a pas été prise en défaut par la guerre en Ukraine, bien au contraire, mais si elle laisse apparaître des faiblesses intrinsèques. La première considération est la suivante : le réel donnerait aujourd’hui raison à ceux qui prophétisaient que la Russie était une menace. D’un point de vue logique, cet auto-satisfecit de ceux qui criaient au loup ne tient pas. Car le discours que l’on tient sur l’avenir a un impact causal sur l’avenir lui-même : la Russie aurait-elle envahi l’Ukraine en 2022 si la solution mise en avant par Maurice Gourdault-Montagne en 2006, celle de garanties de sécurité otano-russes croisées, avait été suivie, s’il avait été clairement décidé que l’Ukraine n’intégrerait pas l’Alliance atlantique, plus largement si une autre politique, plus proche de celle défendue par François Mitterrand, avait été mise en œuvre dès 1991 ? En toute logique, rien ne permet de l’affirmer. Quand Lech Walesa appelle à réduire la Russie à moins de cinquante millions d’habitants pour se prémunir d’un conflit à venir dans cinq, dix ou quinze ans, ne le prépare-t-il pas en disant cela ? Le drame est que nous n’aurons jamais le contre-factuel : il n’est pas possible de réécrire l’histoire et de savoir ce qui aurait été si ces erreurs occidentales n’avaient pas été commises. Et c’est en même temps la grande faiblesse du discours des réalistes aujourd’hui : les faits semblent les condamner, et ils ne peuvent se raccrocher qu’à des «et si…» dont l’empreinte existentielle est par nature bien légère face au réel.

    Cette première faiblesse est d’ordre épistémique. Mais il en est une seconde, d’ordre pratique. Les réalistes voulaient éviter la guerre en faisant en sorte que les conditions qui la produiraient ne soient pas réunies. C’était vertueux… mais, une fois que celles-ci le sont et que celle-là a éclaté, que faire ? Le prophète de malheur – le vrai, celui qui annonce une catastrophe à venir de telle sorte qu’elle ne se produise pas, en évitant le piège de la prophétie auto-réalisatrice – est utile tant que la catastrophe n’a pas eu lieu. Il fallait ainsi éviter la guerre en adoptant collectivement une attitude qui n’augmente pas les risques de son déclenchement. Mais une fois qu’elle est là face à nous ? Les faits ont donné raison au prophète de malheur, et c’est bien là son problème : par là même, il a échoué dans son office.

    Reste que la guerre n’est pas terminée, loin de là. Ceux qui croient que les forces de Kiev auront repris militairement le Donbass et la Crimée dans quelques mois pèchent probablement par zèle ukrainien, et ceux qui s’attendent à une grande offensive de Moscou par zèle russe. L’on ne peut bien sûr exclure une victoire militaire décisive d’un côté ou de l’autre, mais, à en écouter même les Américains, cette hypothèse paraît aujourd’hui la moins probable. L’issue, bien sûr dépendante du rapport de force militaire sur le terrain, sera donc politique. Et la même question se posera comme après chaque guerre : cette issue politique préparera-t-elle les guerres de demain ? Ou une sortie par le haut sera-t-elle possible ? Dans un cas, un mur s’érigera quelque part dans l’est de l’Ukraine, solide un temps, mais constituera le ferment de conflits futurs. Dans l’autre, peut-être finira-t-on par remettre sur le tapis, sous une forme renouvelée, l’idée française de « garanties de sécurité croisées » enterrée en 2006. Elle finirait par aboutir, mais au prix d’une guerre qui aura fait des centaines de milliers de morts. Qui a donc dit que les réalistes avaient eu tort ?

    Alexis Feertchak (Geopragma, 5 décembre 2022)

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  • Le calme avant la tempête ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à ce qu'elle analyse comme l'usure des Occidentaux face au jusqu'au-boutisme du président ukrainien...

    Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Elle a créé en 2017, avec Hervé Juvin, entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Le calme avant la tempête

    On aimerait penser à autre chose. A la coupe du Monde de football qui débute au Qatar, aux fêtes de Noël qui approchent, à la crise qui s’installe, et même aux échauffourées politiques dérisoires qui animent parfois pathétiquement notre Assemblée nationale et paraissent bien insignifiantes au regard des enjeux de fond et de l’avenir de notre pays. Mais la guerre, une fois lancée, ne connait pas de répit et elle prend en Ukraine, des tours inquiétants avec la reprise des bombardements sur la centrale nucléaire de Zaporojie qui en vient à alarmer même le très tempérant directeur de l’AIEA, et dont il demeure difficile d’imaginer que c’est la Russie qui les initie contre ses propres forces…

    Que faire pour conduire le président Ukrainien à rompre avec son jusqu’au-boutisme suicidaire ? Les courants ultranationalistes qui l’environnent, le terrifient sans doute et le contrôlent ainsi que ses forces armées, le placent face à un tragique dilemme de style « loose-loose » : Négocier un compromis territorial avec Moscou, donc consentir peu ou prou à une partition du territoire ukrainien, comme l’enjoignent désormais à mi mots de le faire Américains et Britanniques ? Impossible sauf à se mettre lui-même en danger vital face à la fureur des ultras.  Maintenir ses positions de plus en plus intenables au regard de la réalité militaire sur le terrain, et prétendre reprendre tous les territoires conquis par Moscou, jusqu’à la Crimée, en espérant provoquer enfin l’engagement de l’OTAN, comme le montre son insistance à vouloir accréditer la responsabilité russe dans la pénétration d’un missile sur le territoire polonais contre toute évidence et malgré les démentis circonstanciés de Washington ? Cette attitude pourrait bien précipiter son lâchage par ses plus grands pourvoyeurs d’armements et de subsides. A-t-il compris que sa survie politique dépendra de sa capacité à retomber sur terre, à admettre que l’armée russe est en train de préparer son offensive d’hiver, que le rapport des forces est sans équivoque en sa défaveur, bref qu’il ne peut gagner militairement mais va devoir négocier un compromis s’il veut préserver le peu qui reste de son pays plongé dans le noir, le froid, le délabrement économique et dont même le système de télécommunications est de plus en plus aléatoire ?

    Bref, V. Zelinsky est entre le marteau et l’enclume. Il sait bien, comme d’ailleurs les Polonais, que seule une zone d’exclusion aérienne au-dessus du ciel ukrainien aurait une chance peut-être de préserver ce qu’il lui reste de forces. Mais c’est hors de question pour Washington. Ses alliés occidentaux semblent d’ailleurs connaitre une phase de lassitude et d’inquiétude devant le jusqu’au-boutisme de plus en plus désespéré de leur proxy. Les stocks européens et même américains d’armements sont en train de fondre, et nos armées vont bientôt refuser de s’affaiblir davantage pour le renforcer. Les armes qui sont données à Kiev de toute façon ne renverseront pas la donne militaire. « On » ne le peut ni surtout ne le veut pas, et le jeu des postures commence à montrer ses limites. Le premier ministre britannique Richie Sunak est venu le dire à Kiev il y a quelques jours. Rien n’a filtré de l’entretien qui a dû être désagréable aux oreilles de Zelenski…

    Certes il y a, aux États-Unis, les faucons démocrates néoconservateurs forcenés autour du secrétaire d’État Blinken et de son Département… Mais ils sont eux aussi de plus en plus en butte aux réserves, pour dire le moins, du Pentagone. Le Secrétaire d’État à la défense Lloyd Austin a très récemment rappelé lors d’une conférence à Halifax (où Zelenski est apparu pour dire qu’un cessez-le-feu n’avait aucune chance de durer, ce qui est probablement vrai à ce stade du conflit), que « la Russie disposait d’une armée puissante et d’armes impressionnantes ». Il a aussi dit l’indicible : « l’issue de la guerre en Ukraine définira les contours du monde du 21eme siècle » ! Rien de moins. Le CEMA américain, le Gal Milley a lui clairement affirmé que la seule issue à ce conflit est la négociation. Quant au secrétaire général de l’OTAN, il a abondé en rappelant qu’une défaite de l’Ukraine serait aussi celle de l’Alliance. Barak Obama lui-même, en 2016 déjà, avait reconnu que la Russie disposait d’une incontestable « dominance dans la capacité d’escalade ». Il parlait d’or. Mais cette soudaine lucidité arrive bien tard.

    Si l’enjeu est celui d’un retour à la réalité à Kiev comme à Washington, Londres ou Paris, le conflit des perceptions et surtout des « informations » brouille cette prise de conscience urgentissime. Les médias occidentaux persistent à voir dans les quelques avancées des forces ukrainiennes (par retrait des troupes russes) comme à Kharkov ou Kherson, les prémices d’une grande victoire militaire ukrainienne. On en est pourtant loin. Kherson, cadeau empoisonné, devient très difficile à approvisionner et les forces ukrainiennes toujours sous le feu russe depuis la rive est du Dniepr, commencent à appeler les habitants à la quitter. Les pertes sont lourdes, et les forces armées de Kiev sont de plus en plus suppléées par des troupes polonaises voir américaines présentes au nom d’une discrète « coalition des bonnes volontés » sans pour autant vouloir le moins du monde provoquer de trop une Russie en train de se préparer à une offensive d’hiver et d’injecter méthodiquement ses 300 000 réservistes récemment mobilisés. La Russie se prépare à durer et poursuivre sa guerre d’attrition avec des objectifs de moins en moins limités. L’échec de la politique de sanctions et la description récente par le vice-premier ministre russe de son pays comme d’une « île de stabilité » dans un monde chaotique, même si elle doit être évidemment pondérée, traduit une réalité douloureuse. Le fantasme des néoconservateurs américains de détruire l’économie, l’armée et le pouvoir russes a explosé en vol. Les USA et plus encore l’Europe se sont laissé entrainer par l’hubris belliqueux de certaines de leurs composantes gouvernementales et politiques dans un piège dont l’issue pourrait bien être la démonstration éclatante du déclin de l’Occident et la fin de l’hégémon américain.

    En fait, nous faisons face à la nécessité douloureuse de sortir de notre rêve- abattre la Russie- avant que la déroute ne soit trop humiliante. Deux méthodes s’offrent pour cela aux Américains : la méthode « douce », consistant à laisser Zelenski s’enfoncer en le lâchant progressivement et en lui disant que c’est à lui de décider quand il faudra négocier avec Moscou ; la méthode « radicale », en fait plus bénéfique dans ses effets pour le pays et le peuple ukrainien : négocier directement avec Moscou un compromis territorial et surtout stratégique (c’est-à-dire la neutralisation définitive de l’Ukraine), assécher brutalement le flux d’armes et d’argent  pour imposer les termes d’un accord réaliste à Zelenski qui devra faire de nécessité vertu et y trouverait une « excuse » auprès des ultras qui l’entourent.

    Dans un monde en noir et blanc tel que nous aimons le voir, supporter que « le méchant » gagne n’est pas facile. Mais c’est ce qui nous préserverait de pire encore. On pourrait inscrire une telle négociation dans une vaste refondation intelligente des équilibres de sécurité en Europe et reconstruire à grands frais l’Ukraine pour se faire pardonner de l’avoir instrumentalisée…Mais pour avoir le courage d’une telle approche, qui douchera les opinions publiques occidentales, il faudrait des hommes d’État capables de prendre ces décisions douloureuses et salutaires. Or, c’est une espèce en voie de disparition en Occident, où les politiques à courte vue appuyés sur des médias peu critiques, bercent complaisamment les peuples d’illusions et de « narratifs » engageants mais faux, pour obtenir leur consentement à l’affrontement tout en leur promettant qu’il ne leur en coutera pas grand-chose.  Cette fois-ci pourtant, ce mensonge devient trop gros : Les sanctions sont un échec, les Européens ont froid, voient leur richesse fondre à vue d’œil et commencent à se demander s’ils ne seraient pas les dindons ultimes de cette farce.

    Les États-Unis devraient aussi se demander pourquoi ils se sont engagés si loin et finalement ont accéléré la bascule du monde et notamment des pays du sud à leur détriment ? Sans doute auraient-ils eu plus à gagner en poussant les Ukrainiens à appliquer les Accords de Minsk 2 au lieu de les en dissuader, et plus encore à négocier un traité honnête et équilibré sur la sécurité en Europe avec la Russie quand celle-ci le demandait à toutes forces, encore en décembre dernier, au lieu de franchir la ligne rouge ukrainienne la fleur au fusil…des Ukrainiens.

    Nous sommes désormais engagés dans une longue guerre d’attrition et l’Occident risque d’en sortir avec un discrédit politique, stratégique et militaire massif. Ne parlons pas de l’OTAN…Quant à l’Europe, ainsi que l’a rappelé le Général de Villiers, cette guerre n’est pas de son intérêt, encore moins de celui de la France, qui doivent entretenir des relations normales et apaisées avec la Russie. Est-il trop tard pour casser cette spirale dangereuse et sortir de ce piège ? Il faudrait que Washington choisisse vite la méthode dure évoquée plus haut. Comme l’a récemment rappelé Dimitri Medvedev, les puissances occidentales sont piégées dans un soutien à un gouvernement irresponsable qui ne peut lui-même, sans précipiter sa propre perte, négocier le compromis indispensable ; car celui-ci va devoir se discuter « sur la base de la réalité existante » ainsi que récemment rappelé par Serguei Lavrov, c’est-à-dire sur la base du contrôle de plus en plus avancé des 4 oblasts intégrés formellement à la Fédération de Russie. Évidemment, en Europe et dans certains cercles de pouvoir à Washington, « la réalité existante » est un déni de la réalité militaire, c’est-à-dire un recul des forces russes dont on veut croire qu’elles sont exsangues…. Il faut souhaiter que dans ces querelles des chapelles washingtoniennes, les réalistes et les militaires l’emportent et entament une négociation directe avec Moscou. La récente rencontre entre les chefs du renseignement américain et russe est peut-être un heureux présage. Il faut le souhaiter pour le malheureux peuple ukrainien mais aussi pour notre sécurité à tous.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 21 novembre 2022)

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