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progressisme - Page 3

  • La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Figaro vox et consacré à l'ébranlement que provoque dans notre société la pandémie de coronavirus. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Michel Maffesoli: «La crise du Coronavirus ou le grand retour du tragique»

    Sans craindre les foudres d’une intelligentsia apeurée, on ne dira jamais assez que nous assistons à la décadence inéluctable de la modernité. Fin d’un monde se manifestant, au quotidien, dans une dégénérescence intellectuelle, politique, sociale dont les symptômes sont de plus en plus évidents.

    Dégénérescence de quoi, sinon du mythe progressiste? Corrélativement à l’idéologie du service public, ce progressisme s’employait à justifier la domination sur la nature, à négliger les lois primordiales de celle-ci et à construire une société selon les seuls principes d’un rationalisme abstrait dont l’aspect morbide apparaît de plus en plus évident. Les réformes dites «sociétales» (mariage pour tous, PMA-GPA, etc.) en étant les formes caricaturales.

    Le point nodal de l’idéologie progressiste, c’est l’ambition voire la prétention de tout résoudre, de tout améliorer afin d’aboutir à une société parfaite et à un homme potentiellement immortel.

    Qu’on le sache ou non, la dialectique: thèse, antithèse, synthèse est le mécanisme intellectuel dominant. Le concept hégélien de «dépassement» (Aufhebung), est le maître mot de la mythologie progressiste. C’est stricto sensu, une conception du monde «dramatique», c’est-à-dire reposant sur la capacité à trouver une solution, une résolution permettant d’accéder à la perfection à venir.

    Il est une formule de K. Marx qui résume bien une telle mythologie: «L’humanité ne se pose jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre.» Ambition, prétention de tout maîtriser. Et que l’on veuille ou non le reconnaître, il existe, gauche et droite confondues, une véritable «marxisation» des esprits. L’élite moderne: politiques, journalistes et divers experts, est contaminée par cette prétention quelque peu paranoïaque. Dans un avenir, plus ou moins proche, l’on arrivera à réaliser une société parfaite!

    C’est bien cette conception dramatique, donc optimiste qui est en train de s’achever. Et, dans le balancement inexorable des histoires humaines, c’est le sentiment du tragique de la vie qui, à nouveau, tend à prévaloir. Le dramatique, je l’ai dit, est résolument optimiste. Le tragique est aporique, c’est-à-dire sans solution. La vie est ce qu’elle est.

    Plutôt que de vouloir dominer la nature, on s’accorde à elle. Selon l’adage populaire, «on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant.» La mort, dès lors, n’est plus ce que l’on pourra dépasser. Mais ce avec quoi il convient de s’accorder.

    Voilà ce que rappelle, en majeur, la «crise sanitaire». La mort pandémique est le symbole de la fin de l’optimisme propre au progressisme moderne. On peut le considérer comme une expression du pressentiment, quelque peu spirituel, que la fin d’une civilisation peut être une délivrance et, en son sens fort, l’indice d’une renaissance. Indice, «index», ce qui pointe la continuité d’un vitalisme essentiel!

    La mort possible, menace vécue quotidiennement, réalité que l’on ne peut pas nier, que l’on ne peut plus dénier, la mort qu’inexorablement l’on est obligé de comptabiliser, cette mort, omniprésente, rappelle dans sa concrétude que c’est un ordre des choses qui est en train de s’achever.

    Ce qui est concret, je le rappelle: cum crescere, c’est ce qui «croît avec», avec un réel irréfragable. Et ce réel c’est la mort de cet «ordre des choses» ayant constitué le monde moderne!

    Mort de l’économicisme dominant, de cette prévalence de l’infrastructure économique cause et effet d’un matérialisme à courte vue.

    Mort d’une conception purement individualiste de l’existence. Certes, les élites déphasées continuent à émettre des poncifs du type «compte tenu de l’individualisme contemporain», et autres sornettes de la même eau. Mais l’angoisse de la finitude, finitude dont on ne peut plus cacher la réalité, incite, tout au contraire, à rechercher l’entraide, le partage, l’échange, le bénévolat et autres valeurs du même acabit que le matérialisme moderne avait cru dépasser.

    Encore plus flagrant, la crise sanitaire signe la mort de la mondialisation, valeur dominante d’une élite obnubilée par un marché sans limites, sans frontières où, là encore, l’objet prévaut sur le sujet, le matériel sur le spirituel.

    Souvenons-nous de la judicieuse expression du philosophe Georg Simmel, rappelant que le bon équilibre de toute vie sociale est l’accord devant exister entre le «pont et la porte». Le pont nécessaire à la relation, et la porte relativisant cette relation afin d’accéder à une harmonie bénéfique pour tout un chacun.

    C’est ce que j’ai appelé «Écosophie», sagesse de la maison commune. En termes plus familiers, il s’agit de reconnaître que «le lieu fait lien». Toutes choses rappelant qu’à l’encontre du leitmotiv marxiste: «l’air de la ville rend libre», formule archétypale du déracinement, la glèbe natale retrouve une force et vigueur indéniables.

    Enracinement dynamique rappelant que, comme toute plante, la plante humaine a besoin de racines pour pouvoir croître, avec force, justesse et beauté! Ainsi face à la mort on ne peut plus présente, est rappelée la nécessité de la solidarité propre à un «idéal communautaire» que certains continuent à stigmatiser en le taxant, sottement, de communautarisme.

    La mort de la civilisation utilitariste où le lien social est à dominante mécanique, permet de repérer la réémergence d’une solidarité organique. Organicité que la pensée ésotérique nomme «synarchie». Ce qu’avait également bien analysé Georges Dumézil en rappelant l’interaction et l’équilibre existant, à certains moments, entre les «trois fonctions sociales».

    La fonction spirituelle, fondant le politique, le militaire, le juridique et aboutissant à la solidarité sociétale. Ainsi, au-delà d’une suradministration déconnectée du Réel, c’est bien un tel holisme que l’on voit resurgir de nos jours.

    Mais la prise en compte d’une telle synarchie organique nécessite que l’on sache le dire avec les mots étant le plus en pertinence avec le temps. Il est amusant, il vaudrait mieux dire désolant, de lire sous la plume de la plupart des observateurs sociaux que la situation est dramatique et quelques lignes plus loin parler de son aspect tragique. Ce qui montre bien que la formule de Platon est toujours d’actualité: «la perversion de la cité commence par la fraude des mots!»

    La conception «dramatique» est le propre d’une élite croyant trouver à tout une solution opportune. Le «tragique», bien au contraire, s’accorde à la mort. Il sait, d’un savoir incorporé, savoir propre à la sagesse populaire, vivre la mort de tous les jours.

    Voilà en quoi la crise sanitaire porteuse de mort individuelle est l’indice d’une crise civilisationnelle, celle de la mort d’un paradigme progressiste ayant fait son temps. Peut-être est-ce cela qui fait que le tragique ambiant, vécu au quotidien, est loin d’être morose, conscient qu’il est d’une résurrection en cours. Celle où dans l’être-ensemble, dans l’être- avec, dans le visible social, l’invisible spirituel occupera une place de choix.

    Michel Maffesoli (Figaro Vox, 23 mars 2020)

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  • Communisme, un siècle de tragédies et de complicités...

    Les éditions du Toucan publient dans leur collection L'Artilleur un essai de Bruno Riondel intitulé L'effroyable vérité - Communisme, un siècle de tragédies et de complicités. Docteur en Histoire des relations internationales et professeur au lycée Louis-le-Grand de Paris, Bruno Riondel est l'auteur de Considérations inconvenantes sur l'école, l'islam et l'histoire de France (Toucan, 2015) et de  Cet étrange Monsieur Monnet (Toucan, 2017).

     

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    " Le communisme n’a jamais été un idéal de progrès et ses crimes monstrueux ne furent pas le fruit d’une malencontreuse dérive. Telle est la démonstration que fait ici Bruno Riondel, un siècle après la naissance de l’Internationale léniniste.

    Détruire la superstructure culturelle traditionnelle des sociétés par l’élimination de millions de personnes a toujours été le préalable obligé à la mise en œuvre des révolutions marxistes-léninistes. Partout, celles-ci permirent à des minorités violentes d’exercer une emprise totale sur des populations terrorisées. En remontant à ses sources idéologiques et en disséquant ses principales réalisations, Bruno Riondel a tenté de démontrer que le communisme avait prémédité chacun de ses actes, jusques et y compris le crime de masse.

    Il montre également que le combat communiste se déroula toujours à un double niveau, exotérique, à destination des masses, et ésotérique, pour les initiés, les partis communistes du monde entier ayant eu, à l’instar du PCF, une double structure : le parti engagé que chacun connaissait, et sa face cachée, contrôlée en sous-main par les hommes de l’Internationale soviétique. Pour déstabiliser les sociétés de l’intérieur, le communisme instrumentalisa les luttes sociales, utilisant le relativisme moral et le mensonge tactique, avec la complicité de nombreux intellectuels fascinés par sa force ou simplement opportunistes.

    L’auteur estime que de nos jours le communisme n’est pas mort, ses réseaux, dissimulés sous le masque du progressisme étant encore à l’œuvre dans des secteurs entiers de la société. Pour le débusquer malgré ses habits neufs, il est nécessaire d’en avoir compris les fondements et le fonctionnement, ceux-là même qui ont conduit à la mort des dizaines de millions d’innocents, sacrifiés sur l’autel de la révolution prétendue prolétarienne. "

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  • Pour un "progressisme" de droite...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Romain d'Aspremont, cueilli sur Rage et consacré à la nécessité pour la droite de construire sa propre vision de l'avenir et du progrès... Romain d'Aspremont est l'auteur d'un essai intitulé Penser l'homme nouveau - Pourquoi la droite perd la bataille des idées, disponible sur Amazon.

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    Pour un progressisme de droite

    Si la droite perd, c’est qu’elle évolue au sein d’un logiciel chrétien. Les sociétés occidentales sont fondamentalement marquées par la morale chrétienne ; il n’est pas étonnant que l’idéologie gauchiste s’y épanouisse – et, sur le temps, ne cesse de gagner du terrain – tandis que les droitistes doivent perpétuellement batailler pour paraître fréquentables. C’est le principe même du Bien qui doit basculer de l’égalitarisme vers l’élitisme, et du pacifisme vers la compétition et la lutte.

    La seconde raison de la défaite perpétuelle de la droite, c’est son conservatisme. Les réaco-conservateurs assimilent trop souvent l’avenir à un déploiement inéluctable des forces progressistes. Ils en viennent à prendre l’objet (l’avenir) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même. Le futur étant devenu synonyme d’avancées « progressistes », l’unique remède ne pourrait être que son contraire – le passé – plutôt qu’un avenir alternatif. Or il y a là une forme de défaitisme, comme si la droite assimilait sa propre déconfiture, ratifiant le monopole de la gauche sur l’avenir. Puisque l’Histoire n’est qu’une longue série de victoires progressistes, c’est l’avenir lui-même qu’il faudrait brider, plutôt que les acteurs qui le façonnent. Ralentir le temps et sanctuariser certaines institutions apparaît alors comme la solution par défaut.

    Cette analyse, plus ou moins consciente, est une variante de la croyance en un progrès linéaire : l’avenir n’est plus une irrésistible ascension, mais une lente décadence. Ainsi, tout en ridiculisant l’idée d’un « sens de l’Histoire », les réaco-conservateurs considèrent implicitement que le temps fait le jeu de la gauche. S’il leur arrive – du bout des lèvres – de se satisfaire d’une nouveauté, ils n’iront jamais jusqu’à batailler pour la faire advenir, non plus qu’ils ne mobiliseront leur énergie intellectuelle pour concevoir un nouveau « de droite ». Leurs forces sont toutes entières consacrées à faire l’éloge du passé. 

    Le progressisme au sens strict repose sur des postulats infirmés par l’Histoire. Le pacifiste et le jouisseur finissent toujours par se soumettre au guerrier. Mais le conservatisme lui-même n’en repose pas moins sur des présupposés erronés, car les projets d’Homme nouveau, loin de se réduire à des utopies illusoires, sont un des moteurs de l’Histoire. 

     La posture d’un Schopenhauer, qui écrit « le progrès, c’est là votre chimère, il est du rêve du XIXème siècle comme la résurrection des morts était celui du Xème, chaque âge a le sien », n’est plus tenable. La véritable erreur, c’est de croire que les chimères sont sans prise sur le réel – surtout quand ces chimères peuplent les cerveaux des élites. Chaque époque a sa conception particulière du progrès, et ceux qui se refusent à proposer la leur doivent renoncer à écrire l’Histoire. De même, Nietzsche peut bien déclarer que le Progrès est « une idée fausse », il n’empêche que sa philosophie du surhomme est progressiste – progressiste de droite.

    Notre ennemi ne doit pas être le progressisme au sens large, mais uniquement le progressisme de gauche. Non pas l’idée de progrès, mais la direction que veulent lui faire prendre nos adversaires. Car « l’idée de progrès constitue moins une idéologie que la présupposition de toutes les idéologies, systèmes de représentations et de croyances proprement modernes ». C’est pourquoi la droite doit développer son propre progressisme, qui doit viser la réunification de l’Occident (plutôt que la défense des Etats-nations) et encourager l’évolution anthropologique (plutôt que sanctifier la tradition). Par définition, le futur a toujours raison du passé. Aussi, le duel du Passé et de l’Avenir doit s’effacer au profit d’un choc entre un avenir de gauche et un avenir de droite.

    Notre progressisme doit promouvoir une exigence de dépassement, sur tous les plans, y compris moral. Cette morale sera « vitaliste » : valorisant tout ce qui élève l’espèce et combattant ce qui la bride, l’affaiblit et la mutile. Appliquée aux débats sociétaux qui suscitent le plus de crispations, son verdict sera différent de celui des réaco-conservateurs. Ainsi, la PMA et la GPA sont souhaitables dans la mesure où elles élèvent le capital biologique et intellectuel des Occidentaux (ingénierie génétique).

    Un progressisme de droite ne doit pas borner son horizon au domaine anthropologique (entreprise de création d’un homme nouveau) ; il doit l’étendre au domaine institutionnel et étatique. Faute de proposer une vision de l’Europe qui soit autre chose qu’un simple retour à l’ère gaullienne – « l’Europe des nations » – les souverainistes se privent du formidable potentiel mobilisateur propre à tout idéal nouveau. Philippe de Villiers explique que ceux qui ont affronté le traité de Maastricht ont cru combattre un super-État (une entité politique susceptible d’incarner une Europe-puissance, pesant en propre sur la scène internationale), pour ensuite découvrir que le projet européen n’a jamais été de bâtir les Etats-Unis d’Europe, mais de substituer l’économique (le marché) au politique.

    En fait, les souverainistes ont bien fait de s’opposer à Maastricht, mais pour de mauvaises raisons. En effet, le dépassement des nations et l’unification de l’Europe ne sont pas des idées condamnables en soi ; elles méritent d’être évaluées à l’aune de l’idéal qui les porte. Le malheur n’est pas que l’Europe soit gouvernée par un « despotisme doux et éclairé » (Jacques Delors), mais que ce despotisme soit anti-européen dans l’âme. Or, par une ruse de l’Histoire, les Européistes nous ont offert le cadre institutionnel et administratif pouvant servir notre vision de l’Europe : plutôt que de détruire ces leviers de pouvoir, emparons-nous-en afin d’impulser une renaissance civilisationnelle, qui passe par la création des Etats-Unis d’Europe, puis des Etats-Unis d’Occident (Etats-Unis d’Amérique, Russie, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande compris).

    Les souverainistes ne jurent que par l’État-nation et le retour à l’ordre ancien. Dans de nombreux domaines (immigration, éducation, justice), ce retour est vital, mais il faut se rappeler que les États-nations sont eux-mêmes issus de l’effondrement de l’Empire romain christianisé. Ils sont la conséquence lointaine des invasions barbares du Ve siècle, et une fragmentation de l’unité politique de la chrétienté. Car enfin, l’âme européenne vaut plus que le respect tatillon de la souveraineté des États-nations. Ne confondons pas le moyen – les institutions – et la fin – la pérennité des cultures nationales et de la civilisation européenne. À ceux qui prétendent que cette dernière est un fantasme, et que seules existent les cultures nationales, qu’ils parcourent donc le monde et ils distingueront sans peine ce qui relève de la nuance (les différentes cultures européennes) de ce qui relève de la différence essentielle (les civilisations).

    Notre projet doit être la restauration de l’Europe unie, plutôt que le combat acharné pour la pérennité de son éclatement. Il ne s’agit pas de pratiquer une fuite en avant vers le dépassement des États-nations mais, puisque ce dépassement se fera, avec ou sans nous, il nous faut en avoir la maîtrise. Trop longtemps, les défenseurs de l’âme européenne ont laissé aux européistes le monopole de l’idéal européen. Les souverainistes se cantonnent soit à une négation (NON à l’Europe fédérale), soit à une nostalgie gaulliste (OUI à l’Europe des nations). Il nous faut penser un horizon nouveau, sans quoi l’histoire du continent sera écrite par nos adversaires, notre rôle se limitant à celui de retardateur, grippant provisoirement l’engrenage de la déconstruction civilisationnelle.

    L’Europe des nations, les souverainistes vous le répètent, c’est l’Europe du « bon sens ». Mais l’homme n’est pas qu’un être de raison. Pour Karl Jung, l’homme a un besoin de sacré. Mais il a également un besoin d’idéal et d’utopie. S’il est disposé à se sacrifier pour fonder une nation, il ne l’est plus quand il s’agit de la rafistoler. L’Europe des nations est un conservatisme ; il lui manque la force du nouveau. Or le Neuf est souvent nécessaire à la sauvegarde de l’Ancien.

    Nous sommes tellement habitués à voir le pouvoir politique européen déconstruire notre civilisation et nos identités nationales, que nous réagissons avec hostilité à toute idée de pouvoir européen, que nous assimilons à l’idéologie remplaciste. Or, le lieu du pouvoir ne préjuge pas de son contenu ; à nous d’en édifier un qui œuvre à notre renaissance civilisationnelle. 

    Nietzsche écrit ainsi: « Ce qui m’importe […] c’est l’Europe unie. Pour tous les esprits vastes et profonds du siècle, la tâche où ils ont mis toute leur âme a été de préparer cette synthèse nouvelle et d’anticiper à titre d’essai l’« Européen » de l’avenir.  Aux heures de faiblesse seulement, ou quand ils vieillissaient, ils retombaient dans les perspectives étroites de leurs patries ».

    Romain d'Aspremont (Rage, 8 janvier 2020)

     

    Références :
     1. F. Nietzsche, L’Antéchrist, § 4, Oeuvres philosophiques complètes, Paris, Gallimard, 1974, t. VIII, p. 162.
    2. Pierre-André Taguieff, Les contre-réactionnaires, Le progressisme entre illusion et imposture, Denoël, 2007, p. 243.
    3.  Philippe de Villiers, Le moment est venu de dire ce que j’ai vu, Albin Michel, 2015.
    4.  Friedrich Nietzsche, La volonté de puissance, tome II, Gallimard. p. 293. 

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  • Progressisme, libéralisme, macronisme... Quelles sont les idéologies qui nous gouvernent ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François-Bernard Huyghe à Marianne, à propos consacré aux idéologies qui nous gouvernent. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont,  La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018) et, dernièrement, L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019).

     

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    Progressisme, libéralisme, macronisme... Quelles sont les idéologies qui nous gouvernent ?...

    Marianne : Pourquoi vous intéresser aux idéologies ? Ces dernières ont-elles un vrai impact sur notre société ?

    François-Bernard Huyghe : Ceux qui ont prédit la « fin des idéologies » - elles seraient balayées par le progrès matériel et intellectuel ou par le triomphe d’un modèle - se sont trompés, de Marx ou Comte à Fukyama. En tant que systèmes d’idées structurées fournissant des objectifs politiques et s’affrontant au nom de valeurs, les idéologies comptent autant qu’hier. Mais différemment. Populisme et progressisme, mondialisme et nationalisme, écologisme, luttes contre une « domination » particulière sont moins doctrinales qu’à l’époque du grand duel communisme contre démocraties. Leur imaginaire se réduit souvent à la désignation d’oppressions ou dangers à éliminer. Et ceux qui prétendent ne pas être dans l’idéologie, donc parler au nom d’un principe de réalité ou de valeurs universelles, en sont souvent les meilleurs exemples.

    Quel rôle jouent les médias dans cette guerre idéologie ? Existe-t-il un « Parti médiatique » qui diffuse une même idéologie ?

    Une idéologie cherche par définition à gagner de nouveaux partisans, ou à imposer ses visions et ses catégories pour vaincre les mauvaises pensées opposées. Cela suppose des médias, des relais, des interprètes, des milieux réceptifs, etc. Sans faire de complotisme (du style : les journalistes « vendus au pouvoir » par leurs propriétaire), et sans revenir sur des évidences (s’il y a deux idéologies, une doit tendre à être dominante, donc tendre à dominer les moyens d’information).... Il ne me semble pas étonnant que les médias « classiques » soient prédisposés sinon à la pensée unique, du moins à la sélection de thèmes, analyses, mots, jugements, gens autorisés à s’exprimer.., compatibles avec les convictions des élites, libérales, européennes, pour une société « ouverte », etc. Pour s’en convaincre a contrario, comparez avec le contenu des réseaux sociaux, polarisés, souvent extrémistes ou délirants. Il reflète une crise de croyance : la rupture entre bloc populaire accusant les mas médias de conformisme pro-système ou de déni la réalité et bloc élitaire horrifié, lui, par ces délires d’en bas.

    Vous soulignez dans votre ouvrage l’émergence dès la fin des années 1980 d’une soft idéologie, synthétisant « des thèmes connotés à droite, libéralisme économique, pro-américanisme et à gauche, appel perpétuel à la rupture et à la modernité, programme de « libération »… » Elle symbolise la victoire des quatre « M » : Marché, Mondialisation, Morale, Média. Macron, qui se veut « et de gauche et de droite », progressiste, libéral et « révolutionnaire », en est-il l’incarnation ?

    Son progressisme se réclame d’une sorte de sens de l’Histoire allant vers plus de libéralisme économique et politique, de technologies douces, de multilatéralisme, de gouvernance, de performance et d’Europe. Mais, il entend aussi réaliser des « valeurs » sociétales, libertaires : ouverture, innovation, réalisation de soi, diversité, tolérance... Il est bien l’héritier des idées lib-lib qui se sont répandues peu avant ou après la chute de l’URSS et il pourrait être le symptôme d’une fin de cycle intellectuel. Pour le moment, de telles représentations convient plutôt à ceux, disons d’en haut. Elles leur garantissent à la fois la défense de leurs intérêts matériels et la satisfaction ostentatoire de se sentir supérieurs. Moralement face aux obsédés de l’identité et autres autoritaires ou intellectuellement face à ceux qui n’ont « pas compris que le monde a changé » .

    Vous notez que le progressisme dominant dénonce régulièrement le populisme et le complotisme. Cette idéologie a-t-elle besoin d’épouvantail, comme l’est le RN, pour s’imposer ?

    Toute idéologie a besoin d’un ennemi à combattre et d’un péril à dénoncer. En l’occurrence la peste illibérale et nationaliste, nourrie de fausses nouvelles, nostalgies et fantasmes, a tout pour faire peur. Guy Debord annonçait il y a plus de trente ans une « société qui veut être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats ». Depuis...

    La montée du populisme est-il le signe que le progressisme est encore dominant, mais n’est plus majoritaire ?

    Cette montée du populisme a une base sociologique bien repérée : des catégories « périphériques », perdantes de la mondialisation, sans guère d’espoir d’amélioration, en demande de protection de l’État, à faible capital culturel. Elles se réfugient dans le vote RN ou LFI, dans l’abstention, dans le mouvement Gilet jaune. Cela fait du monde et correspond à un mouvement général européen ou occidental. S’ajoute, la conviction subjective d’être le peuple légitime et de subir le pouvoir et les idées de ceux d’en haut : d’être mal représentés que ce soit politiquement, socialement ou médiatiquement.
    De là à voir un populisme aussi divisé, comme sur la question identitaire (immigration et islam, souverainisme...) l’emporter électoralement, mais aussi culturellement et intellectuellement, il y a un gouffre. Déficit de leaders et d’intellectuels organiques, manque de cohérence, carence d’objectifs susceptibles de convaincre des couches sociales entre élites et peuple, absence de médiations idéologique (outre les médias, l’université, l’école, l’entreprise, les ONG, etc.) : ce sont de gros handicaps.

    Vous relevez que les idéologies actuelles sont « anti » : antilibéralisme, anti-mondialisme, etc. Notre époque éprouve-t-elle des difficultés à créer de vraies idéologies, comme ont pu l’être le marxisme, le positivisme, le libéralisme ou le structuralisme ?

    Ni l’utopie d’un monde parfait, ni les théories traçant le chemin jusqu’à cet achèvement ne font plus recette. Il y a surtout l’affrontement polarisant -libéraux-libertaires, parti de la peur voire du mépris, versus populistes, parti de la colère-. S’ajoutent des engagements idéologiques à la carte, où des groupes se choisissent un coupable ou une oppression (raciale, coloniale, de genre, spéciste, machiste, du péril fasciste, de l’ultra-libéralisme) ; ils en réclament l’élimination ou la répression par la loi et le politiquement correct.

    L’écologisme, qui prend de plus en plus de place, peut-elle devenir l’idéologie dominante ? Exige-t-elle une remise en question du système actuelle ?

    Le discours écologique actuel se réclame du principe de la vie, et pose une alternative terrifiante : la disparition annoncée par la science ou l’abandon de la logique productiviste mortifère. La radicalité de ce choix, qui se place au-delà du politique au sens traditionnel, peine à se traduire en termes de pouvoir. Ou bien le bricolage d’idées (transition douce, prise de conscience et gestes du quotidien pour sauver la planète) avec une délicieuse redécouverte du sens du péché (as-tu émis du carbone aujourd’hui ?). Ou bien la radicalité toute théorique : en finir avec le capitalisme et le système pour survivre. Mais dans ce dernier cas qui imposera la contrainte indispensable au salut ? L’écologie a encore à penser ses moyens et sa stratégie.

    François-Bernard Huyghe, propos recueillis par Kévin Boucaud-Victoire (Marianne, 10 décembre 2019)

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  • Le progressisme totalitaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Collin, cueilli sur le site La Sociale et consacré à la dynamique totalitaire du progressisme macroniste. Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Denis Collin est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la philosophie, à la morale et à la pensée politique, dont Introduction à la pensée de Marx (Seuil, 2018) et Après la gauche (Perspective libres, 2018).

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    Le progressisme totalitaire

    L’actuel président de la République française se définit comme un progressiste et cherche à présenter la lutte politique de notre époque comme l’affrontement entre les progressistes qui sont déjà dans le Nouveau Monde et les « nationalistes » qui sont les tenants de l’Ancien Monde. D’un autre côté, il défend le libéralisme tout en multipliant les mesures les plus antilibérales dans le domaine des libertés publiques et dans la généralisation d’une société de surveillance. La « vieille gauche » qui se voulait progressiste et voit le progrès détruire les acquis sociaux, et les libéraux « à l’ancienne », qui prétendaient que le libéralisme économique et les libertés publiques sont consubstantiels, tous perdent leurs repères et sont incapables d’enrayer la stratégie du président de la République. La confusion dans les esprits est à son comble. Mais c’est qu’on ne parvient pas à comprendre, chez les opposants au président, est que nous avons affaire à un véritable progressisme et que ce progressisme a une dynamique totalitaire.

    Le progressisme commence le jour où l’on se met à considérer que le passé est dépourvu de valeur et qu’il doit céder la place à un futur qui sera bien meilleur ; le jour où l’on se met à considérer que les Anciens ne sont plus les porteurs de la sagesse, mais que la vérité est bien du côté des modernes ; le jour où l’on peut commencer à dire sans être pris pour un fou « du passé faisons table rase ». L’avenir n’est plus source de crainte, mais d’espoir. Ainsi, le XVIIe siècle rationaliste et le XVIIIe siècle avec les Lumières pensent cette nouveauté radicale dans la manière de nous situer dans l’histoire et le progressisme naît vraiment à ce moment. Il est, sur ce plan, l’esprit même de notre temps, de ces temps modernes qui ont produit les plus grands accomplissements de l’intelligence humaine et un développement sans précédent de la puissance pratique des hommes. Le capitalisme est intellectuellement chez lui dans ce progressisme, mais c’est de ce progressisme aussi qu’est née la critique radicale du capitalisme, celle de . Cependant de même que, dans son propre développement, le capital tend à se nier et ne sort de ses crises qu’en détruisant les sources de toute richesse, la terre et le travail, de même le progressisme qui fut l’âme de la philosophie et de la science modernes se transforme-t-il en idéologie ; une idéologie mortifère comme l’est le capital à son stade absolu, celui dans lequel nous sommes aujourd’hui, depuis la fin de la guerre froide, du keynésianisme social-démocrate et depuis l’effondrement de toutes les alternatives classiques au mode de production capitaliste, le socialisme ou le communisme.

    L’idéologie progressiste est universaliste et même mondialiste : les nations sont des vieilleries qui doivent être balayées. La liberté des échanges est la nouvelle bible et le progressiste ne peut qu’être pour le CETA, l’accord UE/Mercosur et toutes les joyeusetés du même genre que nous préparent les savants et les politiques progressistes. La population humaine est maintenant considérée globalement comme une masse dont il faut « réguler les flux » et, devant cet impératif, les notions de souveraineté doivent s’effacer, les États-nations n’ont plus de légitimité à dire qui peut entrer sur leur territoire. C’est la gouvernance globale qui commande. Dans cette entreprise, l’idéologie progressiste est ardemment soutenue par la gauche « radicale » qui confond internationalisme prolétarien et mondialisation capitaliste, solidarité des travailleurs et traite des nouveaux esclaves, cette gauche qu’on pourrait appeler « la gauche Soros », celle qui défend la mobilité mondiale de la main-d’œuvre.

    L’idéologie progressiste veut libérer l’individu de tous les liens traditionnels : plus de familles, plus de patries, des individus sans appartenance réduits à n’être que des consommateurs cherchant à maximiser leur utilité, selon les canons des doctrines économiques en vogue. Toutes les protections qu’offraient les États et les systèmes sociaux deviennent autant d’entraves à la liberté d’initiative de l’individu. Le triomphe de la marchandise va avec la dissolution de toute communauté disait et nous en avons sous les yeux la preuve patente. La protection, le progressiste la juge féodale et l’individu libéré doit affronter seul le risque : les chômeurs n’ont qu’à créer leur entreprise (Raymond Barre) ou traverser la rue (Emmanuel Macron). Ce que l’on appelle « communautarisme » ne contredit en rien ce schéma progressiste de l’individu sans appartenance : les microcommunautés participent de cet émiettement de toute communauté nationale, de toute solidarité réelle. Il s’agit de mettre en avant des particularités individuelles, même les plus intimes pour les transformer en armes idéologiques contre toute forme d’universalité. En 1968 se créa un « front homosexuel d’action révolutionnaire » (FHAR), mais il a fallu ensuite distinguer les gays et les lesbiennes, puis les « trans », puis… et la liste ne cesse de s’allonger. Pour chacun, il n’y a que son moi qui ait de l’intérêt. Le « communautarisme » n’est que la forme de la culture du narcissisme (Christopher Lasch). L’individualisme devenu fou nourrit d’une part la dislocation de l’action syndicale et des solidarités fondées sur les rapports de production, et, d’autre part, encourage en réaction le renouveau d’une religiosité fanatique.

    L’idéologie progressiste croit dans les possibilités infinies de la science et de la technique. La nature doit être soumise à celui qui s’en veut, depuis Descartes, comme « maître et possesseur ». Voici plus d’un siècle, Marcelin Berthelot annonçait que la chimie permettrait, dans un avenir assez proche, de débarrasser l’humanité du fléau de l’agriculture. Écologiste végane à sa manière, ce grand savant annonçait les progressistes d’aujourd’hui. Manger de la viande, voilà qui fait de nous des bêtes ! L’espèce humaine doit être transformée de fond en comble pour n’avoir plus rien de commun avec les animaux, ni leur chair à manger, ni leur peau pour en faire des chaussures ou des vestes, ni la laine pour en faire des pulls. L’écho que reçoivent les « thèses » des véganes et des animalistes dans les médias dominants ne saurait être sous-estimé : le véganisme et l’animalisme s’intègrent parfaitement au projet progressiste de transformation radicale de l’espèce humaine.

    La marche vers un au-delà de l’humain est engagée sur tous les fronts. La lutte contre le sexe au nom du genre bat son plein. Que l’homme et la femme puissent se reproduire exactement comme les autres mammifères, c’est absolument insupportable au progressiste. Comme la vérité dans la philosophie post-moderne (la « french theory »), le genre n’est qu’une construction sociale et la promotion du « transgenre », y compris avec les opérations chirurgicales de « réassignation de genre », s’inscrit ainsi dans le projet progressiste global de transformation de l’espèce humaine. Dans un avenir peut-être pas trop lointain, on pourra sans doute définitivement en finir avec toutes ces vieilleries qui font de la reproduction de l’humanité une affaire de sexe. On n’y prend pas garde, mais la révision annoncée de la loi bioéthique pourrait bien valider une transformation anthropologique fondamentale. En autorisant la PMA pour toutes les femmes, elle cantonne les mâles dans la fonction de reproducteurs comme les taureaux dans le système moderne de l’élevage bovin. Cette étape franchie, tout le reste viendra naturellement.

    Le progrès nous promet le bonheur, obligatoire. Le pouvoir dégouline de bienveillance. Le vocabulaire courant suinte la gentillesse et la mièvrerie. Mais tous sont sommés de consentir à ce bonheur du Nouveau Monde. Les récalcitrants, les rescapés de l’Ancien Monde, sont des éléments antisociaux et anti-progrès qui doivent être traités avec la plus grande sévérité. Un autoritarisme rampant s’instaure et toute la société devient une société de surveillance. Sous prétexte de lutte contre les « fake news » se dessinent les contours du futur ministère de la vérité. Les manifestants à l’ancienne sont impitoyablement poursuivis, blessés, éborgnés, amputés, enfermés préventivement pour que rien ne vienne plus, à l’avenir, troubler la marche du progrès.

    Le macronisme est l’expression achevée de ce « progressisme », qui fait table rase du passé et mise sur les mécanismes automatiques du marché et les « intelligences artificielles » pour produire une gestion rationnelle d’une société qui ne laissera plus de place aux vieilles passions politiques. C’est un projet totalitaire au sens strict du terme puisque rien ne lui échappe dans une société de surveillance totale. C’est aussi un projet qui prépare l’advenue d’un homme nouveau, débarrassé du fardeau de l’histoire et de toutes les vieilles relations communautaires, un homme adéquat au fonctionnement du grand automate du marché. Cet homme-là n’est pas très nouveau : c’est l’homo economicus des théories économiques dominantes, mais aujourd’hui les doctrinaires ont le pouvoir et sont mandatés pour réaliser ce que la théorie avait prévu. On ne confondra pas totalitarisme et dictature par la violence. La violence n’est pas essentielle dans le projet totalitaire du progressisme. Elle n’est utile que lorsque décidément les mauvais esprits ne veulent pas se rendre à l’évidence du bonheur insoutenable qu’on leur promet. Les libertés publiques ne sont pas abolies d’un coup, on n’assassine pas les opposants, mais insidieusement tout ce qui constituait l’idée ancienne de la liberté est rongé et dissout dans les lois et les pratiques du « Nouveau Monde ».

    Si aucune opposition sérieuse et cohérente au macronisme ne parvient à émerger, cela tient tout d’abord au fait que presque toutes les fractions des classes dominantes partagent ce projet dans lequel elles se reconnaissent. L’échec de l’opération Bellamy montre bien que la classe capitaliste a clairement choisi son camp, et ce n’est plus celui de la vieille droite. Quant à la gauche, elle se décompose parce que, pour une partie, elle a puissamment œuvré pour la victoire du macronisme, mais aussi, et surtout parce que dans toutes ses composantes elle est persuadée que le progrès est toujours bon et qu’elle n’a pas de critique à faire au pouvoir actuel, sinon qu’il ne serait pas vraiment progressiste.

    En lui-même le macronisme est inconsistant. Sa force vient de bien ailleurs, des mouvements de fond du capital comme système et pas seulement de ses bailleurs de fonds. Sortir de l’idéologie progressiste, en critiquer radicalement les fondements, il n’est pas d’autre voie si l’on veut construire une alternative socialiste, indispensable pour donner un coup d’arrêt à la course mortifère du capital.

    Denis Collin (La Sociale, 2 août 2019)

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  • Border...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet de Bruno Lafourcade, cueilli sur son site personnel et consacré à la question de la frontière. Écrivain talentueux, Bruno Lafourcade a publié ces deux dernières années, deux romans, L'ivraie (Léo Scheer, 2018) et Saint-Marsan (Terres de l'ouest, 2019) ainsi que deux pamphlets, Les nouveaux vertueux (Jean-Dézert, 2017) et Une jeunesse, les dents serrées (Pierre-Guillaume de Roux, 2019). Pour la rentrée, il publie un polar, Le Hussard retrouve ses facultés, chez Auda Isarn, et un roman, Tombeau de Raoul Ducourneau, aux éditions Léo Scheer.

     

    Mur d'Hadrien.jpg

     

    Border

    La question centrale est celle de la frontière : tout vient d’elle. Il s’agit d’ailleurs de ne pas la limiter à la géographie, à la façon étroite des No Border : comme il y a une frontière entre l’homme et l’homme, entre l’indigène et l’étranger, il y en a une entre l’homme et la femme, entre l’homme et l’animal, entre l’homme et la machine – et toutes ces frontières doivent être abolies. Les antifas, les féministes, les végans et les trans-humanistes sont des No Border spécialisés : on a pris son panier recyclable, sa bicyclette citoyenne, et on a pédalé jusqu’au marché équitable de la discrimination ; là, on a choisi sa frontière, son mur et sa statue, à franchir, casser et abattre, en fonction de ses origines, de ses intérêts et de son cul (on sous-estime les dégâts causés par les culs sous-estimés). On s’entend bien, d’ailleurs, entre abolisseurs : chacun respecte l’abolition de l’autre ; en tout cas, on s’entend comme peuvent s’entendre des chefs de rayon, confrères un peu concurrents, d’une même grande surface : il faut seulement se mettre d’accord sur les nouveaux produits, les animations commerciales et les têtes de gondole.

    « Encore Greta ! Et mes Femen, j’en fais quoi ?

    ― Mais y a longtemps que ça ne se vend plus ! D’ailleurs, j’aurai du Richard Gere, la semaine prochaine : ça optimise bien, ça, comme produit, le Richard Gere… »

    Le progressiste voit dans la frontière le signe d’une arriération contraire aux droits de l’Homme, de la femme, de l’enfant et du moustique [1], puisqu’elle est responsable des guerres, de Trump, du bonnet d’âne et des bombes insecticides ; pour le réactionnaire, elle est au contraire l’essence même de la civilisation, qui jamais ne se conçut autrement que bornée, limitée, encadrée, emmurée. Les deux y voient une hiérarchie, une inégalité : l’étranger, l’élève et le moustique n’ont pas les mêmes droits que l’indigène, le professeur et M. Aymeric Caron ; une discrimination salvatrice pour le réactionnaire, fasciste pour le progressiste.

    Si en anglais border signifie frontière, « border », en français, peut signifier « protéger » : la mère borde son enfant – et c’est bien, pour le réactionnaire, le rôle de la frontière, en effet, que de protéger et défendre toutes choses, pour qu’aucune ne ressemble à une autre. Pour le progressiste, c’est exactement l’inverse : la frontière interdit, bride et tue ; en la supprimant, la femme, le migrant et le moustique auront la chance de devenir des mamans comme les autres, des Juifs allemands et des citoyens du monde.

    Cependant, le progressiste utilise la question des frontières nationale, raciale et genrée comme un prétexte. D’abord, il ne croit pas à l’égalité : la femme, l’enfant et le migrant doivent dominer ; il ne croit pas davantage à la justice : les Blancs doivent payer ; surtout, il y trouve un double intérêt.

    Il y a d’abord la vertu : ça l’intéresse beaucoup, au progressiste, d’être un saint. Il fallait la voir, la prude actrice américaine, dans son pull à col roulé, balancer son porc, des sanglots dans la voix ; il fallait le voir, l’ancien acteur crypto-bouddhiste, rayonner de contentement de soi, à bord de l’Open Arms ; il fallait le voir, Aymeric Caron, parler, avec la bêtise de l’amoureux, de la maman moustique. Il faut la voir, la laideur narcissique du progressiste, pour comprendre à quel point ça l’intéresse, la vertu, à quel point il jouit de se voir si saint dans son selfie. Il en jouit doublement, puisque le pouvoir l’attend. Il ne veut pas seulement le renverser, il le veut : il y a des lieux à vider et des sièges à prendre – le pouvoir est au bout des followers.

    Il produira des émissions, dirigera des journaux, tournera des films, écrira des livres : il y a tant à faire, il y en a tant à éduquer. Ça n’empêche pas la sincérité, d’ailleurs. Sincère, il serait même préjudiciable que le progressiste ne le soit pas ; évidemment, ça rend con comme la Lune, la sincérité, mais ça rend aussi efficace : l’intelligence et l’autodérision, ça vient du doute, ça freine, et ce frein, c’est l’effet du doute sur les certitudes – et c’est pourquoi les humoristes d’aujourd’hui sont tellement sinistres : la bêtise de leur certitude n’a pas de frein.

    Sincère, le progressiste l’est en conscience et inconsciemment : la petite journaliste de BFM, le jeune député macroniste, la primo-romancière de la maison Grasset ne se posent pas la question de la légitimité de leurs préjugés, ils ne doutent pas que la vertu consiste à balancer son porc, accueillir les migrants et respecter le « lundi sans viande » de Mme Binoche – le Bien ne doute pas de lui-même. C’est d’ailleurs l’inverse exactement de toute la tradition occidentale, qui consistait à partir du Mal, du péché originel, pour espérer l’amélioration de soi et l’élévation jusqu’au Bien ; le progressiste a fait d’emblée le plus dur : il est arrivé à la sainteté du premier coup et sans effort, il ne peut que s’y maintenir par la surenchère. Il ne peut surtout que chuter : tous les progressistes, de Dominique Sopo à Asia Argento, sont appelés à tomber au moins une fois de leur statue – et tout est à refaire. Les pauvres, c’est tellement plus intéressant de commencer par être un salaud : tout est à faire.

    Bruno Lafourcade (Site de Bruno Lafourcade, 23 août 2019)

     

    Note :

    [1] Les mamans moustiques, explique M. Aymeric Caron, « cherchent dans le sang de leur victime des protéines pour nourrir leurs œufs en développement et donc leurs bébés. » Lorsque l’on « est attaqué par un moustique, [on] a en fait affaire à une mère, qui essaie de remplir son rôle de future mère. Donc, ce moustique qui nous agace, est en fait une dame qui risque sa vie pour ses enfants en devenir ».

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