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oligarchie - Page 3

  • La France doit changer sa classe dirigeante !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Guillaume Bigot à Figaro Vox et consacré à la faillite de la classe dirigeante. Docteur en sciences politiques, publiciste, Guillaume Bigot est l'auteur de plusieurs essais comme Sept scénarios de l'apocalypse (Flammarion, 2000), Le Zombie et le fanatique (Flammarion, 2002), Le Jour où la France tremblera (Ramsay, 2005) ou La trahison des chefs (Fayard, 2013) et La populophobie - Le gouvernement de l'élite, par l'élite et pour l'élite (Plon, 2020).

     

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    Guillaume Bigot: «La classe dirigeante rejette ses devoirs tout en cherchant à étendre ses privilèges»

    FIGAROVOX.- À vous lire, on se dit que derrière la crise sanitaire actuelle, on voit poindre une crise économique et sociale. Peut-on parler de faillite de la classe dirigeante française? Celle-ci vient-elle de loin?

    Guillaume BIGOT.- La crise sanitaire a fait ressortir l’extraordinaire vulnérabilité de notre tissu social et économique, désormais déchiré, désindustrialisé et dépendant de la Chine et du tourisme. Les Français ont découvert que la France ne produisait plus grand chose et qu’elle s’était donc considérablement appauvrie. Pour prendre la mesure de la crise qui vient, aux effets de la récession et du chômage, il faut ajouter la perte d’autorité d’un pouvoir affaibli par le coronavirus. À l’occasion de cette crise, l’ «élite» administrative et politique du pays a étalé sa suffisance et son insuffisance. Sa capacité à improviser, à trancher, à assumer, à reconnaître ses torts, à respecter les citoyens a été testée ; Les résultats du test n’ont guère été probants. Cette «morgue du bachelier» affichée par la nomenklatura française, pour reprendre une expression de Mao, était tolérée par l’opinion publique car elle passait pour la contrepartie de sa compétence supposée.

    À cet égard, la crise du coronavirus a décillé la majeure partie de nos compatriotes

    La réduction pavlovienne des dépenses (dont la non reconstitution des stocks de masques, la fermeture des lits d’hôpitaux, les salaires miteux des infirmières, les tailles dans les effectifs des policiers, l’absence de places de prison): tous ces sacrifices réalisés au nom du respect des critères de convergence ou sur l’autel du remboursement de la dette ne se sont pas seulement révélés lourds de conséquences mais vains. Tous ces efforts étaient prétendument indispensables, on sait, à présent, qu’il n’en était rien.

    L’effet de dévoilement de la pandémie s’est révélé implacable pour nos gouvernants sur tous les sujets.

    Le confinement a, par exemple, perturbé les trafics, en faisant flamber les violences urbaines. Dès lors, la classe dirigeante ne peut plus dissimuler l’abandon des «quartiers» à la férule des dealeurs et des islamistes, cet abandon est désormais trop visible et trop coûteux. Ainsi, l’achat de la paix civile dans les quartiers au prix du déshonneur n’est pas un calcul intelligent. On finit par récolter et le déshonneur (l’abandon des habitants honnêtes de ce quartiers à leur triste sort) et l’ensauvagement.

    Contrairement au discours nous expliquant qu’il n’y avait pas d’alternative au «paradigme» des élites (démonétisant l’intérêt général au profit du bon plaisir individuel, la nation au profit de l’Europe, une fierté commune au bénéfice de fierté blessées et antagonistes, les services publics en faveur du marché), une grande partie de nos concitoyens a réalisé que ce modèle n’était pas soutenable.

    Louis XVI avait été surpris par la révolution, Emmanuel Macron a été submergé par la pandémie. Le dernier des capétiens avait été contraint d’accrocher une cocarde que sa garde piétinait. Le plus illustre des marcheurs fait mine de célébrer le retour de la souveraineté économique, des frontières, de l’argent magique (auquel il disait ne pas croire), des services publics ou de la relance. Mais c’est une conversion de surface. Au fond, son logiciel, qui est celui de la classe dirigeante, a totalement buggé.

    La crise actuelle qui risque donc d’être amplifiée peut-elle devenir, selon vous, une crise de régime?

    Une crise de régime entraîne généralement un changement de constitution, une modification de l’organisation des pouvoirs publics qui traduit un changement de légitimité. Le passage de la monarchie à la République, de la République à l’empire ou encore au changement de Républiques sont, à cet égard, des crises et des changements de régime. Or, à présent, la forme de l’État ne semble pas remise en cause. L’élection du président de la République au suffrage universel n’est pas questionnée par exemple. Certains veulent passer à la sixième République ou aspirent à une démocratie plus participative mais l’enjeu central de la crise qui couve est ailleurs. Il concerne moins la forme que le fond, moins le principe de représentativité que la sociologie des représentants et leurs idées. La plupart des Français ne sont pas hostiles au principe du principe représentatif mais ils considèrent que leurs représentants ne les représentent plus. Au début des années 80, 80 % du corps électoral votait pour des partis dits de gouvernement. En 2002, ces ex-partis de gouvernement ne pesaient plus que 40 % de l’électorat, 26 % en 2017 et même 14 % en 2019. Les formations populistes plus les abstentionnistes représentent désormais une large majorité. On peut être plus royaliste que le roi, on ne peut être plus démocrate que le peuple. Une majorité de citoyens reprochent aux élus d’avoir remis aux juges (c’est le thème de l’État de droit), aux autorités administratives indépendantes, aux comités d’experts, aux associations, aux marchés financiers (donc les actionnaires et les épargnants au fond) et, bien sûr, à la Commission de Bruxelles un pouvoir dont ils ne disposaient pas à leur guise

    Lorsqu’un président de la République déclare travailler à l’avènement d’une souveraineté européenne, son ambition heurte de front l’aspiration populaire autant qu’il transgresse la lettre comme l’esprit des institutions. Le président légal abime sa légitimité. Sur un enjeu aussi majeur que l’immigration, en ignorant la vox populi, les juges, les ministres ou les parlementaires réduisent en poudre la démocratie. Lorsque les mêmes ignorent le résultat d’un référendum, ils bafouent une République dont ils ne cessent pourtant de célébrer les valeurs. Nous assistons ainsi à une forme de dénaturation, de forfaiture pour parler comme les juristes ou de parjure pour parler comme les gens d’église de la part des autorités légales du pays. Les Français pourraient être tentés de faire la révolution pour préserver leur démocratie, au nom de la préservation de la Constitution. La crise vers laquelle nous nous dirigeons peut ébranler l’ordre public. Les classes dirigeantes françaises se révèlent en effet incapables de servir, même d’utiliser, de recycler, de comprendre ou tout simplement d’entendre la colère du peuple. Le populisme français n’a pas rallié à sa cause de véritables élites (Boris Johnson, Victor Orban ou Donald Trump sont issus de l’élite). Les deux populismes bas de gamme qui s’expriment dans le champ électoral non seulement ne peuvent s’allier mais ne portent aucun projet gouvernemental alternatif. La vapeur du mécontentement populaire ne pouvant déboucher sur un changement de paradigme, la cocotte menace d’exploser.

    Dans la première partie, vous faites l’État des lieux de la société française. Vous faites référence à l’abbé Sieyès et à son fameux pamphlet: «Qu’est-ce que le tiers état?». Quels sont les points communs entre l’Ancien régime et la situation actuelle? Les gilets jaunes sont-ils le nouveau tiers état?

    En 2020 comme en 1789, la crise de confiance s’enracine dans une crise des finances publiques. La dette de la France était de 60 % en 2002, la barre des 120 % sera bientôt franchie. L’autorité de l’État est affaiblie: il n’a plus les moyens de sa politique et ceux qui le financent lui demandent des comptes. Ils ont raison d’ailleurs car la pression fiscale est colossale alors que les services publics sont en déshérence. Aujourd’hui comme hier, la défaillance de l’État est donc liée à un enjeu de la légitimité autant qu’à une crise de confiance dans l’avenir. Pour financer les dépenses exorbitantes liées aux effets des confinements, le président Macron est d’ailleurs passé par l’emprunt (ce qui revient à tirer une traite sur le futur) et par les institutions européennes (non élues). Notons au passage que le peuple français a été engagé par son président à cautionner un emprunt très supérieur à la somme qu’il va recevoir. L’État ne peut plus lever de nouveaux impôts car le consentement fait aussi défaut. Dans la France actuelle, une sorte de néo-noblesse est exonérée de taxes voire soutenue par de l’argent public (suppression de l’ISF, chantage aux aides et aux subventions des grands groupes) tandis qu’un tiers état se voit imposer de nouveaux impôts (la taxation du diesel). La haute fonction publique et la magistrature, alliées aux principaux détenteurs du capital forment une néo-noblesse. La proportion de cette nouvelle aristocratie est peu ou prou la même que celle de la noblesse d’ancien régime en 1789 (0,35 % de la population). Cette néo-noblesse est composée d’une aristocratie d’argent (ceux qui payent l’IF, héritiers des aristocrates d’épée soit un peu moins de 150 000 personnes) et d’une aristocratie de robe (ceux ayant été anoblis en réussissant le concours des très grandes écoles soit environ 100 000 diplômés). Cette noblesse tend à devenir héréditaire comme son ancêtre d’ancien régime. Elle est pleine de bons sentiments et sûre de son bon droit: elle croit sincèrement œuvrer pour l’humanité́ qu’elle veut débarrasser de la pauvreté́, des guerres, du cancer comme le lui promet la Silicone Valley. Les droits de l’homme (surtout pas ceux du citoyen, concept ringard à l’heure de la bonne gouvernance) lui servent de boussole. Cette oligarchie défend les sans-papiers, abhorre les extrêmes, gauche et droite confondues. Une petite noblesse, désargentée existe. Elle vit avec le tiers état, comme les nobliaux de Vendée partageaient le destin de leur paysan. Ce sont les patrons de PME qui connaissent et souvent partagent les difficultés de la base

    La base, c’est un nouveau Tiers qui correspond au salariat. Si la catégorie socio-professionnelle et le niveau de vie tendent à le définir, sa géographie (la France périphérique et les banlieues), son ethos (la solidarité prime sur l’individualisme) et sa difficulté à̀ se projeter sur l’avenir aident à mieux cerner ce nouveau Tiers. Pour saisir le Tiers d’aujourd’hui, il faut associer deux critères: l’un est matériel (ce Tiers état a du mal à joindre les deux bouts) et l’autre est politique (abstention probable, Rassemblement national possible). Ce tiers état est fracturé par l’existence, en son sein, d’un tiers séparatiste qui ne se sent pas appartenir au peuple français et baigne dans un ressentiment mâtiné d’islamisme. Il n’y a pas de lignes de fractures ethniques, ni totalement religieuses entre ce Tiers séparatiste et l’autre mais des frontières géographiques et générationnelles: ce tiers séparatiste se compose d’une partie importante de la jeunesse musulmane qui vit dans les cités ghettos.

    On retrouve aussi un clergé au XXIe siècle?

    Comme dans l’ancienne France, l’ordre social est béni par un clergé. Il y a un haut clergé, ce sont les «pipoles», journalistes, animateurs, gens de télévision, intellectuels (sauf ceux qui sont en rupture de ban, conspués pour crime de solidarité avec le Tiers état), artistes qui disposent d’une forte visibilité sociale et médiatique. Il y a un bas clergé, composé des milieux culturels, de cadres supérieurs travaillant directement ou indirectement pour le marché mondial et pour la nouvelle économie. Ignorant le chômage de longue durée et la précarité, ce nouveau clergé ne voit que des avantages à la globalisation. Son rôle est d’ailleurs de chanter ses louanges et de prier pour «l’ouverture». Généralement diplômés de l’enseignement supérieur, ces prieurs habitent les grandes métropoles connectés aux et irrigués par les courants de la mondialisation. Le clergé est effaré par un populisme qu’il ne comprend pas. La noblesse et le clergé sont partisans de la construction européenne, favorables à l’ouverture des frontières, au culte extrémiste du droit de l’hommisme, à une attitude cool et tolérante en tout. Ils détestent les codes, les normes, l’ordre. Les curés du système euro-globaliste soutiennent de tout cœur les «progrès» sociétaux. Les membres du clergé sont suffisamment nombreux (25 % de la population) pour vivre dans l’entre-soi. Avoir ses restaurants, ses journaux, ses lieux de villégiatures, ses séries. Ce clergé, ce sont peu ou prou, les bobos des centres-villes qui mangent bio et votent centre-droit ou centre-gauche

    La fracture entre le peuple et les élites semble aujourd’hui exister dans la plupart des démocraties occidentales, mais c’est, selon vous, aussi une spécificité historique bien française. Pourquoi cela?

    Partout, sous l’effet de l’aporie libérale-libertaire (car on ne peut jamais diriger sans une vision du bien commun qui dépasse l’individu), la classe dirigeante rejette ses devoirs tout en cherchant à étendre ses privilèges. Dans la plupart des pays développés, noblesse n’oblige plus. Le divorce entre un peuple qui reste attaché à l’État-nation et des classes dirigeantes bénéficiaires de la globalisation est donc consommé partout. Mais nulle part comme en France, cette fracture n’est aussi douloureuse et ne soulève une question aussi existentielle. L’intensité avec laquelle les élites mondialisées sont rejetées en France est une réponse à cette défiance teintée de mépris que la classe dirigeante française a toujours éprouvé pour le peuple. Cette populophobie est presque une marque de fabrique des élites dans notre pays. Ce dédain et cette volonté de ne pas vouloir appartenir au même peuple qu’elle se vérifie sur le long cours de notre histoire. Pour comprendre l’origine de ce rejet atavique, il faut en revenir aux circonstances de la naissance de l’État-nation. Les historiens datent l’apparition du sentiment national de la geste de Jeanne d’Arc, cette fille du peuple qui rend au souverain sa légitimité. Depuis mille ans, c’est-à-dire depuis qu’il existe un pouvoir à Paris, celui-ci chercher à la fois à étendre son pré carré à l’intérieur et résiste à toutes les tentatives de soumission et d’absorption qui, pour l’essentiel, s’appuient sur des nostalgies de l’empire romain (de la papauté, au saint-empire romain germanique, en passant par les Reich et jusqu’à l’UE actuelle). La vieille politique française consiste à se poser en s’opposant à la fois à l’extérieur et à l’intérieur (c’est pourquoi la plupart des châteaux forts en France sont émondés). Paris n’a réussi à devenir «empereur en son royaume» qu’en s’appuyant sur le peuple, très souvent contre ses élites. En France, les classes dirigeantes, parce qu’elles se sentent presque toujours abaissées par le projet d’unification du pouvoir central, sont souvent tentées par ce le «parti de l’étranger». Les maastrichtiens, les islamo-gauchistes ont pris symboliquement la suite des Bourguignons, des liguards, des Huguenots, des frondeurs, des émigrés, des cent familles, du tout Paris de Vichy, Moscou, Washington ou Bruxelles. L’histoire de France est un éternel recommencement ou une éternelle refondation d’un pouvoir central qui s’appuie sur les masses pour neutraliser les «importants». Lorsqu’un souverain, un empereur ou un président fort rend la France puissante, il sert souvent l’intérêt de la «France d’en bas»

    Quels sont les différentes périodes historiques qui rappellent notre époque?

    De nombreuses époques révèlent l’impasse dans laquelle s’enferre une classe dirigeante qui se révèle incapable de renoncer et à ses dogmes et qui, en s’effondrant, menace d’emporter le pays avec elle. Elles révèlent aussi l’extraordinaire difficulté à sortir la pseudo élite de son aveuglement au désastre. Le général de Gaulle sera, au moins trois fois, confronté à ce genre de situation et d’isolement.

    En 1940, il est seul à préconiser l’offensive face à un état-major qui a une guerre de retard avec son dogme du feu qui tue et qui croit à son hyper modernité avec la ligne Maginot. La classe dirigeante de l’époque est tétanisée par un ensemble de dogmes (la France seule ne peut et ne doit rien tenter, le communisme est le véritable danger ; etc.). En 1945, de Gaulle se heurte à un second dogme dont la classe dirigeante ne veut pas non plus démordre. C’est l’idée suivant laquelle le renforcement du pouvoir exécutif serait antirépublicain par nature (c’est l’hystérésis de la monarchie). En 1958, le plus illustre des Français est presque seul à savoir que l’Algérie n’est pas la France et que le temps des colonies est fini. Sur chacun de ces sujets, il lui faudra remonter au vent pour déciller ses contemporains et d’abord les classes dirigeantes. Les idées reçues et les slogans ont changées mais pas l’attitude qui consiste à s’accrocher à des totems vermoulus et à des tabous dépassés. Apaisement, ligne Maginot, mieux vaut Hitler que Blum, esprit de jouissance, régime d’assemblée, Algérie française ont simplement été remplacés par «vivre ensemble», «euro», «la France est trop petite»,» personne ne peut enrayer les flux migratoires», «il est impossible d’aller contre la mondialisation», «les gens ne veulent plus bosser»,» les Français déconnent» ; etc.

    Notre époque ressemble à toutes celles qui ont vu une élite se cramponner et s’aveugler au désastre. Car s’il est une leçon à retenir de ces époques de crise, c’est que les élites préfèrent sombrer plutôt que de changer de paradigme. Pourquoi? Car elles auraient sinon l’impression de déchoir. On découvre que si l’élite se pique de penser différemment du vulgum pecus, des «vrais» gens, elle se révèle généralement incapable de penser contre sa caste. La «France d’en haut» combat ainsi avec une virulence particulière tout questionnement de ses dogmes. La classe dirigeante actuelle célèbre une sainte trinité marché-Europe-droits de l’homme qu’il est strictement interdit de contester sauf à passer pour un ignorant, un lépreux ou un complotiste.

    Vous citez Chateaubriand expliquant que l’élite entrée dans l’âge des vanités et vous proposez un renouvellement des élites. Mais par qui et comment?

    Après la République des Jules, celle des profs et des avocats, le général de Gaulle avait régénéré la sociologie de la classe dirigeante française, en assurant la promotion d’une élite nouvelle. C’est ainsi que des hauts fonctionnaires accédèrent aux leviers de commande et qu’une nouvelle couche de capitaines d’industrie, souvent proche de la haute fonction publique d’État, a pu servir. Servir sans s’asservir telle est justement la devise de l’ENA. Le service dont il était question était celui du bien commun, de la France et de l’idée que le tout est moralement mais aussi juridiquement supérieur à la somme des parties. Or, en se convertissant au bon plaisir individuel au-dessus de tout, à la supériorité du droit européen sur le droit français, au marché et au management, cette néo-noblesse a renoncé à ce qui fondait sa légitimité. De plus, ce qu’elle nous présente comme les seules solutions possibles depuis 30 ans nous conduit à la catastrophe. Dans une formule restée célèbre, l’économiste et sociologue italien, Pareto dit de l’histoire, qu’elle est un cimetière d’aristocratie. Tout changement de classe dirigeante opère trois changements simultanés: un changement de paradigme, un changement de génération et un changement de sociologie. Pour sortir la France de l’ornière, il faudrait quasiment faire le contraire de ce que fait la classe dirigeante depuis trente ans. Ne plus rembourser la dette, sortir de l’euro et dévaluer, reprendre manu militari le contrôle des cités, criminaliser l’islamisme, légaliser le cannabis, stopper le regroupement familial, reconduire les illégaux à la frontière, réhabiliter la loi de la majorité démocratique contre le soi-disant État de droit, réécrire les manuels scolaires ; etc. Toutes les issues se situent hors de ce que les classes dirigeantes peuvent concevoir. Il nous faut une révolution au sens étymologique, c’est-à-dire astronomique du terme pour renouer avec l’alliance originelle entre le peuple et les élites. Une révolution pas pour couper des têtes mais pour sortir de la tête de nos dirigeants. Pour porter des idées neuves, il faut des hommes nouveaux donc changer de générations et de sociologie.

    Derrière le masque de jouvence qu’offre Emmanuel Macron, c’est le même Tout Paris que sous Jacques Chirac sous Nicolas Sarkozy ou François Hollande qui gouverne, les mêmes réseaux, les mêmes écoles, parfois les mêmes familles. Des patrons de PME, des chercheurs, des ingénieurs, des policiers, des militaires, des capacités ayant, si possible, une expérience internationale tant il est vrai que l’exil est la meilleure école du patriotisme ne pourraient-ils faire mieux qu’une poignée d’énarques inféodés aux multinationales? Le nouveau monde est ouvert, il est numérique mais il est aussi plus enraciné, conservateur, identitaire et vertical. C’est l’effet jogging cher à Régis Debray. Une nouvelle génération doit arriver aux affaires mais elle doit aussi appartenir à une nouvelle sociologie. Ces hommes et ces femmes nouveaux ne sont pas connus à l’heure qu’il est. Qui connaissait Robespierre ou Bonaparte en 1789? Qui connaissait Gambetta en 1860? Qui connaissait de Gaulle en 1939? Ce ne sont jamais avec ceux qui ont créés les problèmes que l’on peut espérer les résoudre disait Einstein. Si nous ne faisons pas émerger une nouvelle classe dirigeante, celle-ci risque de nous entraîner dans sa chute.

    Guillaume Bigot (Figaro Vox, 6 décembre 2020)

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  • Conseil d’Etat, l’antichambre du pouvoir ?...

    Le 21 août 2020, Thibault Bastide recevait sur TV libertés Yvan Stefanovitch à l'occasion de la publication de son enquête intitulée Petits arrangements entre amis (Albin Michel, 2020) et consacrée au Conseil d’État. Un livre qui revient sur les coulisses d"une institution méconnue du grand public.

     

                                              

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  • Le port du masque et la domestication des masses par l’oligarchie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des Stratèges et consacré à la stratégie de mise sous contrôle de la société civile déployée par l'oigarchie. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

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    Maffesoli : le port du masque et la domestication des masses par l’oligarchie

    Un monde entièrement stérilisé, promouvoir une vie sans microbe, ce qui, bien entendu, induit la nécessité de se laver les mains le plus souvent possible, de développer les gestes barrière et la distanciation sociale, le tout selon l’injonction connue : « pour votre protection » voilà bien l’objectif de l’oligarchie au pouvoir !

    Répétées sur un ton macabre et ad nauseam, de telles recommandations et autres impératifs catégoriques de la même eau, soulignent bien ce qu’est, en vérité, la société de contrôle qui risque de s’imposer à tous et à tout un chacun. Qui risque, car à l’encontre de ce que croient les esprits chagrins, le pire n’est pas certain.

    Vers une société de contrôle

    Le danger cependant est bien réel. Les protagonistes de la domination médiatique s’emploient, de par le pouvoir qu’ils détiennent, à convaincre que les règles, préparant une telle aseptie de l’existence, généralisée, soient acceptées, voire intériorisées, ce qui rend bien difficile la rébellion contre le totalitarisme en train d’émerger.

    Ces tenants du pouvoir médiatique, perroquets de l’oligarchie politique, déversent, sans aucune vergogne un Niagara de vérités approximatives et divers lieux communs afin de justifier le port du masque, le confinement et autres préconisations vaines, qui semblables aux agents pathogènes d’une authentique pandémie tendent à contaminer, de proche en proche, une multiplicité de gogos trouvant dans la mascarade généralisée une manière de donner du sens à une vie en étant de plus en plus dépourvue.

    Songeons à cet égard à ce que Max Scheler (« Nature et formes de la sympathie ») nommait, fort simplement, les processus de la « contamination affective ». Plus proche de nous, Jean Baudrillard a longuement développé les puissants et inéluctables mécanismes de la « viralité ».

    Ces contaminations, cette viralité sont utilisées pour maintenir voire consolider la dictature de l’argent, réduisant l’homme « animal politique » à l’animal économique. C’est cela que le système s’emploie à générer. Et ce pour durer encore un moment. Pour survivre. Et cela le pousse à mettre en place une réglementation de plus en plus minutieuse, de plus en plus stricte. Au nom toujours de la protection des populations. Big Brother, le Grand Frère, veille sur la santé de tous !

    Domestication de masses

    Le déterminisme économique de l’oligarchie au pouvoir la conduisant, paradoxalement, à susciter une crise économique de grande ampleur. Mais le paradoxe n’est qu’apparent, car l’objectif d’une telle crise, est, en réalité, de susciter une domestication stricte des masses. On en donnera pour exemple le sort cruel et peu médiatisé réservé à tous les métiers de « l’anormalité » : prostitution, travail au noir, échange de services voire mendicité : ceux-là ne mourront peut-être pas du virus, mais de faim et de misère. Car aucune des mesures prises par un État soudain très généreux ne leur est destinée. Seuls les participants au « contrat social » bénéficient de la protection sociale, fondée sur les réflexes de peur et de repli.

    Cette stratégie de la peur est on ne peut plus perverse. Perverse, car en son sens étymologique, per via  (par voie détournée) : par la crainte du chômage, de l’appauvrissement, des traites en cours à payer, le système poursuit inexorablement son objectif essentiel : mettre au pas un peuple toujours prompt à se rebeller. Assujettissement urgent, car on voit, un peu partout de par le monde, la « révolte des masses » (Ortega y Gasset) revenir à l’ordre du jour.

    La voix de l’instinct populaire devient de plus en plus tonitruante quand l’on pressent, plus ou moins confusément, que le fondement de toute démocratie authentique, à savoir la puissance du peuple, puissance instituante, n’est plus prise en compte par le pouvoir institué, c’est-à-dire par le pouvoir d’une élite en perdition.

    Comment l’oligarchie contre la rébellion des masses

    C’est pour contrer une telle rébellion instinctuelle que l’oligarchie utilise les habituels outils de la politique : tactique et stratégie. Tactique à court terme : mascarade généralisée, mise à distance de l’autre, imposition des précautions de divers ordres, interdiction des rassemblements et manifestations de rue. Stratégie sur le long terme : isolement de chaque individu, uniformisation galopante, infantilisation de plus en plus importante. Et ce, afin de conforter un pouvoir on ne peut plus abstrait. C’est toujours ainsi que celui-ci a procédé : diviser pour mieux régner.

    Abstraction du pouvoir, car ainsi que le savent les plus lucides observateurs sociaux, c’est le primum relationis, la relation essentielle qui constitue le vrai réel de l’humaine nature. Ainsi que l’indique Hannah Arendt, « c’est la présence des autres, voyant ce que nous voyons, entendant ce que nous entendons, qui nous assure de la réalité du monde », qui conforte notre propre réalité.

    Comment peut-on vivre une telle « réalité » en avançant masqué, en maintenant une barrière entre l’autre et moi, en refusant les câlins propres à cet « Ordo amoris » qu’est toute vie sociale ? Mais cette tactique et cette stratégie du pouvoir oligarchique s’emploient dans un monde apparemment non totalitaire à préparer à une réelle domination totalitaire. Et c’est bien un tel totalitarisme qui est l’objectif ultime et intime d’un État de plus en plus obèse.

    Puis-je rappeler ici la lucide analyse de Guy Debord dans ses « Commentaires sur la société du spectacle ». Il montrait que les deux formes du spectaculaire : concentrée (nazisme, stalinisme) et diffuse (libéralisme) aboutissaient immanquablement à un « spectaculaire intégré ». Celui du pouvoir médiatique, celui de la technocratie et des divers experts leur servant la soupe. Le tout, bien sûr, s’appuyant sur une Science tout à fait désincarnée, science n’étant plus qu’une industrie soit-disant scientifique. Ce qui donne une nouvelle Caste, celle des scientistes qui sont avant tout ce que l’on peut appeler « des savants de commerce » ou représentants de commerce, légitimant l’oligarchie en lui fournissant en bons commerciaux les arguments, les éléments de langage et divers poncifs servant à endormir le bon peuple.

    Politiques, journalistes, experts, toujours entre-soi et constituant, pour reprendre une prémonitoire remarque de Guy de Maupassant, « une société délicate, une société d’élite, une société fine et maniérée qui, d’ordinaire, a des nausées devant le peuple qui peine et sent la fatigue » (La Vie errante). Nausée devant un peuple sentant mauvais et qu’il faut donc, de ce fait, tenir à distance. C’est bien cela l’essence du totalitarisme en train de s’élaborer. Non seulement maintenir la distance entre l’élite et le peuple, mais également imposer une distanciation entre les membres de ce dernier.

    Le totalitarisme doux du Big Brother étatiste

    Distanciation sociale, gestes barrière aidant, ayant pour seul objectif d’assurer la main mise sur un peuple toujours potentiellement dangereux. Il y a en effet, une étroite relation entre la violence totalitaire, celle de la technocratie et l’idéologie du service public, la bureaucratie. Celle-ci ne sert nullement le peuple, mais met le peuple à son service. Analysant le rapport tétanique existant entre technocratie et bureaucratie j’avais en son temps parlé d’un « totalitarisme doux » (La Violence totalitaire, 1979). J’aurais pu également dire « totalitarisme intégré ».

    Intégré par tous ces « imbéciles » hantant tels des zombies masqués les rues de nos villes. Imbéciles, stricto sensu, ceux qui marchent sans bâton (bacillus), ces bâtons que sont le discernement et le bon sens. Comment, étant masqué peut-on connaître ou reconnaître l’autre, c’est-à-dire, en son sens fort, naître avec (cum nascere) ou connaître (cum nocere) avec cet autre, ce qui est le b.a.-ba de tout être ensemble.

    La mascarade généralisée, la distanciation clamée à temps et à contretemps, voilà les armes principales du Big Brother étatiste, qui en aseptisant à outrance suscite un climat irrespirable, où à court terme, il ne sera plus possible de vivre. De vivre, tout simplement en syntonie avec la parentèle, les amis, les voisins, les proches et les lointains déterminant l’habitus, ces principes pratiques, qui selon St Thomas d’Aquin fondent toute vie sociale.

    Le totalitarisme si doux soit-il, au travers des injonctions dont il vient d’être question a la prétention (l’ambition ?) de dénier le mal, le dysfonctionnement ou même transhumanisme aidant l’idée de finitude et de mort.

    Mascarade et danse macabre

    Les principes pratiques de l’habitus, bien au contraire s’emploient à dénier la mort, mais à s’ajuster, à s’accommoder, tant bien que mal avec elle. Et pourquoi cela ? Tout simplement parce que cette accommodation, qui est une aptitude à s’adapter à ce qui est, est le fondement même de l’expérience ordinaire et du savoir incorporé qui en est issu. En bref la sagesse populaire, que les élites arrogantes nomment populisme, sait que la tâche de l’espèce humaine est d’apprendre à mourir. Tâche qui concerne tout à la fois l’être individuel et l’être collectif. Tâche qui fait la grandeur de l’humaine nature et qui, sur la longue durée, a été au fondement de toute création digne de ce nom.

    En écho à cette sagesse populaire, il convient de se souvenir que selon le philosophe, natalité et mortalité sont bien les conditions ultimes caractérisant l’existence humaine. Et c’est en déniant cette dernière que l’on atrophie singulièrement, « l’élan vital » qu’induit la première. Les grands moments culturels, ceux où la vie était célébrée intensément, se sont toujours élaborés « sub specie mortis ». C’est en sachant regarder en face cette mort inévitable qu’on est capable de vivre avec intensité la vie commune. Car, on ne le redira jamais assez, l’essence du Zoon politicon est la communicabilité.

    C’est bien ce caractère relationnel que s’emploient à nier, à dénier les divers gestes barrières que l’oligarchie tente d’imposer. Ces injonctions de la bienpensance sont de véritables machines de guerre contre le peuple. Très précisément parce qu’elles induisent des manières de penser et d’agir totalement aseptisées conduisant immanquablement au délitement du lien social miné par l’hystérie et les fantasmes cause et effet d’une supposée pandémie.

    J’ai dit l’imbécillité de ceux qui avancent masqués. En se pliant à la mascarade généralisée, ceux qui trouvent leur place dans ce bal masqué ne font que rejouer la danse macabre d’antique mémoire. Dansez musette !

    Michel Maffesoli (Le Courrier des Stratèges, 7 juin 2020)

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  • Sidération et soumission, effets secondaires du Covid-19...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy cueilli sur Polémia et consacré à la passivité de la population face aux injonctions liberticides auxquelles elle a été soumise par le système... Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a récemment publié La Superclasse mondiale contre les peuples (Via Romana, 2018).

     

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    Sidération et soumission, effets secondaires du Covid-19

    Le plus insupportable de l’épisode épidémique que nous venons de vivre ne tient pas aux mensonges du gouvernement. Les mensonges ne nous surprennent plus puisque la macronie elle-même, née d’un coup d’État médiatique et judiciaire en 2017, repose tout entière sur la duperie et la violence qui va toujours avec.
    L’insupportable ne tient pas non plus au déversement médiatique continu de la propagande catastrophiste depuis bientôt trois mois. Nous savons depuis longtemps que les médias mainstream ne nous informent pas, mais nous manipulent.
    Non, le plus insupportable tient au comportement soumis de nos concitoyens qui, durant cette période, ont tout accepté et tout abandonné. Parce qu’ils étaient morts de trouille.
    Soyons sûrs que l’oligarchie, qui prépare activement le monde d’après, aura retenu la leçon.

    La sidération nationale

    En 1938, une émission radiophonique reprenant le thème du livre de H. G. Wells, La Guerre des Mondes [1], provoque un début de panique aux États-Unis car nombre d’auditeurs croient que les Martiens ont vraiment débarqué… parce que des journalistes l’affirment.

    La peur de la « pandémie » véhiculée par tout le système institutionnel a repris cette logique de panique mais à la puissance mille : celle du pouvoir de sidération des médias audiovisuels modernes.

    La peur panique provoque la plupart du temps la sidération : un affaiblissement du jugement rationnel, accompagné de stupeur. La peur peut aussi provoquer une réaction vitale positive – ce qu’on nomme l’énergie du désespoir – mais cela ne s’est pas produit chez nous. La peur n’a produit qu’une soumission abyssale à l’autorité.

    Pour la première fois depuis la fin des grands totalitarismes du xxe siècle, l’épidémie de coronavirus a en effet conduit le gouvernement à placer en résidence surveillée l’ensemble de la population, sans que celle-ci ne se rebelle. Fâcheux précédent !

    La trouille

    Aux États-Unis, dans de nombreux États, la population a manifesté contre le confinement au nom de ses droits constitutionnels et de sa survie économique. En Allemagne, on a manifesté aussi contre le confinement. En Belgique, les soignants ont exprimé leur mécontentement contre le gouvernement. En France, rien, sinon une colossale trouille collective.

    La sidération médiatique a réussi à tuer le sens commun, pour le plus grand profit du pouvoir.

    Les Français ont ainsi été privés de masques de protection lorsque l’épidémie se développait : ils n’ont pourtant pas protesté, puisque, au contraire, ils ont applaudi les « soignants » qui soignaient… ce qui est quand même leur vocation. On a ainsi réussi à transformer la gabegie gouvernementale en célébration des soignants !

    Et aujourd’hui que l’épidémie recule, on impose le port du masque ! Mais les Français se plient à cette nouvelle contrainte avec un égal entrain. On met même des masques aux enfants.

    Les bonnes âmes cathodiques expliquent qu’il s’agirait d’un comportement civique, destiné à protéger les autres. Belle hypocrisie car il s’agit avant tout de protéger ceux qui ont le trouillomètre à zéro.

    La France orwellienne

    La docilité de la population aux injonctions contradictoires des experts en blouse blanche et des ministres a quelque chose d’orwellien. Comme sa docilité face à l’accumulation des mesures liberticides a aussi quelque chose d’effrayant.

    Le gouvernement français a en effet imposé un nouvel état d’urgence (déjà prolongé !) et multiplié les mesures liberticides : interdiction des manifestations, obligation de justifier son déplacement ou son lieu de domicile, réduction des garanties de procédure judiciaire, nouvelle réduction du nombre de jurys populaires, application StopCovid, usage de drones de surveillance [2], loi de censure des réseaux sociaux, instauration d’une discrimination géographique entre Français. Pendant que l’Éducation nationale demande aux maîtres, dans une fiche pédagogique [3], de signaler les propos « manifestement inacceptables » tenus par les élèves vis-à-vis de la façon dont le gouvernement a géré l’épidémie.

    Pendant que l’écologisme punitif repart de plus belle sous prétexte d’encourager l’usage du vélocipède. Et que la Commission européenne engage le processus d’adhésion de l’Albanie et préconise de nouvelles régularisations d’immigrants clandestins.

    Soumission

    Que le pouvoir politique substitue de plus en plus ouvertement le contrôle social, la techno-surveillance et la répression à l’exercice de la démocratie ne semble pas concerner nos concitoyens. Pas plus qu’ils ne semblent préoccupés par l’assombrissement continu de l’horizon économique de notre pays, du fait d’un confinement qui n’en finit pas et qu’ils plébiscitent.

    Nos concitoyens vivent déjà sur une autre planète : la planète cathodique qui attend avec terreur, après le dérèglement climatique, la deuxième – et pourquoi pas la troisième – vague du coronavirus. Celle où il faudra toujours faire la queue devant les magasins – du moins ceux qui n’auront pas fermé – en respectant les gestes barrières et en se lavant rituellement les mains au gel hydroalcoolique, enfin disponible.

    En 2020, la France roule à vélo, accepte sagement la place qu’on lui assigne sur la plage et regarde Michel Cymes à la télévision.

    Emmanuel Macron a raison. La France ne manque pas de masques : les Français en portent désormais un en permanence devant leurs yeux.

    Michel Geoffroy (Polémia, 30 mai 2020)

    Notes :

    [1] Publié en 1898…
    [2] Dont le Conseil d’État vient de souligner l’absence de base légale.
    [3] Aujourd’hui rectifiée devant les protestations syndicales.

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  • Maffesoli : « L’ère des soulèvements populaires arrive… »

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Maffesoli, cueilli sur Le Courrier des stratèges et consacré au changement d'ère que nous vivons. Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment  Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014) , Être postmoderne (Cerf, 2018), La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019) ou, dernièrement, La faillite des élites (Lexio, 2019).

     

     

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    Maffesoli : « L’ère des soulèvements populaires arrive… »

    Le familier des promenades en montagne ne manque pas de remarquer que les beaux lacs ponctuant les hautes vallées alpines sont on ne peut plus calmes en leur surface. Mais leurs bas-fonds sont animés par de constants grouillements. De temps à autre ces derniers apparaissent à l’extérieur sous formes de bulles géantes troublant la quiétude du lac. Bulles aussi soudaines qu’éphémères. Disparaissant, en effet, pour renaître plus tard quand le grouillement intérieur se fait à nouveau trop pressant !

    Voilà une image qui permet de comprendre les soulèvements qui, actuellement, troublent la vie de nos sociétés. Il s’agit bien, en effet, de bulles explosives, appelées à se renouveler, en ce qu’elles expriment le grouillement, à la fois profond et violent, animant une société officieuse ne se sentant plus du tout « représentée » par la société officielle ayant le pouvoir institutionnel. D’où l’ambiance insurrectionnelle caractéristique de toute fin d’époque.

    De l’ère des révolutions à l’ère des soulèvements populaires

    Dans notre progressisme natif nous avons du mal à accepter que les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Des esprits aigus ont pu noter, à juste titre, la « fin de l’ère des révolutions » (E. Hobsbawm). Si nous savons voir, avec lucidité, l’architecture des sociétés contemporaines, nous pouvons dire, avec assurance, que nous assistons à la naissance de l’ère des soulèvements populaires.

    La multiplication de ces soulèvements, il y a un an le mouvement des gilets jaunes en fut une illustration emblématique, ne manque pas de mettre en exergue, au-delà d’un soi-disant individualisme, le développement d’un « nous communautaire ». « Nous » soulignant, par ses révoltes ou son abstention,  l’implosion d’une « société programmée » par une suradministration technocratique. Société programmée par un pouvoir surplombant de plus en plus factice et contesté.

    La secessio plebis, ou le peuple retiré sur l’Aventin

    D’antique mémoire, on voit, resurgir, régulièrement, ce qui fut à Rome la secessio plebis. Le peuple ne se reconnaissant plus dans le Sénat se retira sur l’Aventin. Il fit sécession. J’ai déjà indiqué que c’était ainsi que l’on pouvait comprendre le mouvement des « gilets jaunes » en France. Mais, afin d’élargir le problème, reconnaissons que c’est en de nombreux pays que l’on peut constater le désaccord profond existant entre les politiques et le peuple.

    Et ce, parce que ce peuple ne supporte plus le mensonge propre au discours officiel. Mensonge se masquant derrière les éternelles rabâchages de la bienpensance. Mensonge se revêtant de l’habit du moraliste propre à ce que Hegel nomme, justement, les « belles âmes ». Mensonge de ces « experts », journalistes et politiques, toutes tendances confondues, dont le dénominateur commun est le psittacisme. Ce sont, en effet, des perroquets, répétant à longueur de temps et d’antenne les mêmes lieux communs d’une affligeante et prétentieuse banalité ! Diafoirus est bien vivant.

    On se souvient de la formule de Platon, dans la République : « c’est donc à ceux qui gouvernent la cité, si vraiment on veut l’accorder à certains, que revient la possibilité de mentir ». Mais le philosophe, bon connaisseur de la politique, établit une distinction entre le « mensonge d’ignorance », acceptable parce qu’humain, et le « mensonge en parole », que le menteur professe consciemment.

    Les mensonges de l’oligarchie font la révolte populaire

    C’est ce dernier qui caractérise l’oligarchie actuelle ! Il suffit, à cet égard, de rappeler que pour celle-ci le « people » tend à remplacer le vrai peuple. C’est cela qui est la cause et l’effet du conformisme logique faisant qu’il existe une « pensée admissible », celle des pouvoirs établis, totalement étrangère à la réalité de la vie courante. Ce qui engendre un aveuglement dont on n’a pas encore mesuré tous les effets.

    C’est cet aveuglement qui est la cause et l’effet d’un entre-soi médiatiquement politique aux effets on ne peut plus pervers. Aveuglement qui suscite un mépris virulent vis-à-vis des peuples en révolte. Peuples dont les réactions sont qualifiées d’une manière on ne peut plus erronée de « populistes ». L’entre-soi,  caractéristique essentielle de cette élite est la négation même de l’idée de représentation sur laquelle, ne l’oublions pas, s’est fondé l’idéal démocratique moderne. 

    Mais de tout cela on peut sourire. En reprenant, cum grano salis la sentence de Bossuet, on peut même en rire, car « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Il est des mouvements inéluctables, la révolte des peuples est l’un d’eux. Faut-il le rappeler : rien n’arrête une idée dont le temps est venu !

    Pornographie de l’entre-soi élitaire

    N’est-ce pas l’automimétisme de l’entre-soi qui caractérise les diverses et (trop) nombreuses déclarations publiques que propose le pouvoir  politique ? Celles à propos de la crise sanitaire en cours sont, particulièrement, éclairantes ! Automimétisme que l’on retrouve, également, dans les ébats indécents, quasiment pornographiques dans lesquels ce pouvoir se donne en spectacle. Pour utiliser un terme de Platon, on est en pleine « théâtrocratie ». Spécificité des périodes de décadence. Moment où l’authentique démocratie, la puissance du peuple est totalement occultée.

    Automimétisme de l’entre-soi ou auto-représentation voilà ce qui est la négation ou la dénégation du processus de représentation. Voilà ce qui en appelle à une transfiguration du politique. On ne représente plus rien sinon, à courte vue, soi-même. Une Caste on ne peut plus isolée qui en ses diverses modulations, politique, journalistique, intellectuelle est surtout identique à elle-même et fidèle à son idéal « avant-gardiste » qui consiste, verticalité oblige, à penser et à agir pour un soi-disant bien du peuple.

    Cette orgueilleuse verticalité s’enracine dans un fantasme toujours et à nouveau actuel : « le peuple ignore ce qu’il veut, seul le Prince le sait » (Hegel). Le « Prince » peut revêtir bien des formes, de nos jours celle d’une intelligentsia qui, d’une manière prétentieuse, entend construire le bien commun en fonction d’une raison abstraite et quelque peu totalitaire, raison morbide on ne peut plus étrangère à la vie courante. C’est cela la « suradministration » technocratique.

    Musique profonde de la sagesse populaire

    À l’opposé de la prétention au savoir absolu de ce rationalisme morbide, rationalisme purement instrumental, les soulèvements contemporains ne font qu’exprimer, en majeur, la sagesse populaire, véritable conservatoire des « us et coutumes ». Sagesse de la tradition. Sagesse de la vertu, en son sens fort : « virtu », servant de ciment, c’est cela l’authentique éthique (ethos) à tout être-ensemble fondamental

    Ceux qui ont le pouvoir de faire ou de dire vitupèrent à loisir les violences ponctuant les soulèvements populaires, soulignant bien la saturation vis à vis du politique, de la politique, des politiques. Mais la vraie « violence totalitaire » n’est-elle pas celle de cette bureaucratie céleste qui d’une manière abstraite édicte mesures économiques, consignes sociales et autres incantations de la même eau en une série de « discours appris » n’étant plus en prise avec le réel propre à la socialité quotidienne ?

    Ceux-là même qui voyaient, en parlant des « gilets jaunes », une « vermine paradant chaque samedi », ceux-là peuvent-ils comprendre la musique profonde à l’œuvre dans la sagesse populaire ? Certainement pas. Ce sont, tout simplement, des pleureuses pressentant, confusément, qu’un monde s’achève. Ce sont des notables étant dans l’incapacité de comprendre la fin du monde qui est le leur. Et pourtant cette Caste s’éteint inexorablement. Extinction qui est fréquente dans les histoires humaines.

    Face à la faillite des élites déphasées

    Écoutons, à cet égard, la judicieuse remarque de Chateaubriand. « L’aristocratie a trois âge successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ;  sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier ».

    On ne saurait mieux dire la « faillite des élites » contemporaines : n’étant plus en phase avec la réalité sociale de base, car elles privilégient leurs droits au mépris de leurs devoirs. Le « tous pourris » de la conversation du Café du Commerce ne faisant que vitupérer la cupidité de cette élite en déshérence, préoccupée, essentiellement, de postes aguichants, de salaires confortables, de places acquises sur les fameux « plateaux » télévisuels. Toutes choses en appelant à ce que Vilfredo Pareto nommait, justement, la « circulation des élites » ayant fait leur temps.

    Le bienfait des soulèvements, des insurrections, des révoltes, c’est de rappeler, avec force, qu’à certains moments l’ubris, l’orgueil des sachants ne fait plus recette. Par là se manifeste l’importance de ce qui n’est pas apparent. Manifestation de l’indicible et de l’invisible. Le « Roi clandestin » (Georg Simmel) de l’époque retrouve alors une force et une vigueur que l’on ne peut plus nier.

    L’effervescence sociétale, bruyamment (manifestations) ou en silence (abstention) est une manière de dire qu’il est insupportable de continuer à entendre ces « étourdis-instruits », ayant le monopole légitime de la parole officielle, pousser des cris d’orfraie au moindre mot, à la moindre attitude qui dépasse leur savoir appris.

    Manière de rappeler, pour reprendre une formule de Joseph de Maistre, « les hommes qui ont le droit de parler en France ne sont point la Nation ».

    La Nation, le lieu, le lien

    Car qu’est-ce que la Nation ? En son sens étymologique, Natio, c’est ce qui fait que l’on nait (nascere) ensemble. Que l’on partage une âme commune, que l’on existe en fonction et grâce à un principe spirituel. Toutes choses échappant aux Jacobins dogmatiques, qui en fonction d’une conception abstraite du peuple ne comprennent en rien ce qu’est un peuple réel, un peuple vivant, un peuple concret. C’est-à-dire un peuple sachant que le lieu est un lien.

    Le lieu fait lien. C’est ce localisme qui est le cœur battant, animant en profondeur, les vrais débats, ceux faisant l’objet de rassemblements, ponctuant les manifestations ou les regroupements ayant eu lieu, en leur temps, sur les « ronds-points ». Mais que l’on retrouve, également, en période de confinement, dans les « balcons ». Lieux symboliques, par exemple en France où l’on frappe des mains ensemble pour célébrer le courage des « soignants » exposés en ce moment d’épidémie, parfois trop du fait de l’imprévoyance des gestionnaires de l’hôpital. En Italie, balcons où l’on chante des chants patriotiques ou populaires pour conforter le sentiment d’être-ensemble. Au Brésil où l’on s’emploie à conspuer un Président méprisé.

    Au-delà de l’obsession spécifique de la politique moderne, le projet lointain fondé sur une philosophie de l’Histoire assurée d’elle-même, ces rassemblements et ces « célébrations » collectives mettent l’accent sur le lieu que l’on partage, sur les us et coutumes  qui nous sont communs.

    C’est cela le localisme, une spatialisation du temps en espace. Ou encore, en laissant filer la métaphore scientifique, une « einsteinisation » du temps. Être – ensemble pour être-ensemble sans finalité ni emploi. D’où l’importance des affects, des émotions partagées, des vibrations communes. En bref, l’émotionnel.

    L’orgie émotionnelle du génie populaire

    Pour reprendre une figure mythologique, « l’Ombre de Dionysos » s’étend à nouveau sur nos sociétés. Chez les Grecs, l’orgie (Orgè) désignait le partage des passions, proche de ce que l’on nomme de nos jours, sans trop savoir ce que l’on met derrière ce mot : l’émotionnel. Sans le développer longuement puisque j’en ai déjà parlé dans « Courrier des stratèges », l’émotionnel rappelle une irréfragable énergie, d’essence un peu mystique, exprimant que la solidarité humaine prime toutes choses et en particulier l’économie qui est l’alpha et l’oméga de la bienpensance moderne.

    L’émotionnel et la solidarité de base sont là pour rappeler que le génie des peuples est avant tout spirituel. C’est cela que paradoxalement soulignent les révoltes ou soulèvements en cours. Et ce un peu partout de par le monde. Les uns et les autres actualisent (c’est à dire rendent présent) ce qui est substantiel (ou éternel) . Ce qui est caché au plus profond des consciences. Qu’il s’agisse de la conscience collective (Durkheim) ou de l’inconscient collectif (Jung). Voilà bien ce que le progressisme natif des élites ne veut pas voir. C’est par peur du « Nous » collectif qu’elles brandissent le spectre du populisme.

    Ce « spirituel » s’exprime bien dans cette remarque de Gustave Le Bon, grand connaisseur de la « psychologie des foules », on ne peut plus d’actualité. « Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve,  puis décliner et mourir dès que ce rêve a perdu sa force, tel est le cycle de la vie d’un peuple ». Je considère que les soulèvements actuels traduisent le désir, confus, diffus, certainement inconscient, la recherche, ou la régénération de ce rêve fondamental et structurel.

    Métapolitique de l’idéal communautaire

    On est, dès lors, dans la métapolitique. Une métapolitique faisant fond comme je l’ai indiqué sur les affects partagés, sur les instincts premiers, sur une puissance étant au-delà ou en-deçà du pouvoir et qui parfois refait surface. Et ce d’une manière irrésistible. Comme une impulsion quelque peu erratique, ce qui n’est pas sans inquiéter ceux qui parmi les observateurs sociaux restent obnubilés par la philosophie des Lumières (18e siècle) ou par les théories de l’émancipation, d’obédience socialisante ou marxisante propres au 19e siècle et largement répandues d’une manière plus ou moins consciente chez tous les « instruits » des pouvoirs et des savoirs établis.

    En son temps, contre la « violence totalitaire » des bureaucraties politiques, j’avais montré, en inversant les expressions de Durkheim que la solidarité mécanique était la caractéristique de la modernité et que la solidarité organique était le propre des sociétés primitives. C’est celle-ci qui renaît de nos jours dans les multiples insurrections populaires.

    Solidarités organiques qui, au-delà de l’individualisme, privilégient le « Nous » de l’organisme collectif. Celui de la « tribu », celui de l’idéal communautaire en gestation. Organicité traditionnelle, ne pouvant qu’offusquer le rationalisme du progressisme simplet dont se targuent tous les politiques contemporains.

    Dans le deuil du monde rationaliste : les instincts ancestraux

    La fin d’UN monde, celui de la modernité, permet d’accéder à un autre monde. Mais pour cela il convient de faire un « travail de deuil » conduisant à l’acceptation de ce qui émerge. En bref, la Renaissance induite par et dans les soulèvements populaires, soulèvements diffus, cette véritable « renaissance »  ne peut se comprendre  que si on se souvient de l’antique formule alchimique : « ordo ab chaos ». À quoi on peut rajouter : ordo ab origine ». Pas en amont vers la Tradition.

    Oui, contre ce progressisme tout à la fois benêt et destructeur, on voit renaître les « instincts ancestraux » tendant à privilégier la progressivité de la tradition. La philosophie progressive, c’est l’enracinement dynamique. La tradition ce sont les racines d’hier,  toujours porteuses de vitalité. L’authentique intelligence « progressive », spécificité de la sagesse populaire, c’est cela même comprenant que l’avenir est un présent offert par le passé.

    C’est cette conjonction propre à la triade temporelle (passé, présent, avenir) que pour reprendre les termes de Platon ces « montreurs de marionnettes » que sont les politiques obnubilés par la « théatrocratie » sont incapables de comprendre. La vanité creuse de leur savoir technocratique fait que les mots qu’ils emploient, les faux débats et les vrais spectacles dont ils sont les acteurs attitrés sont devenus de simples mécanismes langagiers, voire des incantations qui dissèquent et règlementent, mais qui n’apparaissent au plus grand nombre que comme de futiles divertissements. Les révoltes des peuples tentent de sortir de la grisaille des mots vides de sens, de ces coquilles creuses et inintelligibles. En rappelant les formes élémentaires de la solidarité, le phénomène multiforme des soulèvements est une tentative de réaménager le monde spirituel qu’est tout être-ensemble. Et ce à partir d’une souveraineté populaire n’entendant plus être dépossédée de ses droits.

    Le peuple, puissance maladroite mais instituante 

    Les révoltes des peuples rappellent que ne vaut que ce qui est raciné dans une tradition qui, sur la longue durée, sert de nappe phréatique à toute vie en société. Ces révoltes actualisent l’instinct ancestral de la puissance instituante, qui, de temps en temps, se rappelle au bon souvenir du pouvoir institué.

    Voilà ce qui en son sens fort constitue le génie du peuple, génie n’étant, ne l’oublions pas, que l’expression du gens, de la  gente, c’est-à-dire de ce qui assure l’éthos de toute vie collective. Cet être-ensemble que l’individualisme moderne avait cru dépassé et qui ressurgit de nos jours avec une force inégalée.

    Mais voilà, à l’encontre de l’a-priorisme des sachants, a-priorisme dogmatique étant le fourrier de tous les totalitarismes, ce génie s’exprime maladroitement, parfois même d’une manière incohérente en se laissant dominer par les passions violentes. L’effervescence fort souvent bégaie.

    Et comme le rappelle Ernest Renan : « Ce sont les bégaiements des gens du peuple qui sont devenus la deuxième bible du genre humain ». Remarque judicieuse, soulignant qu’à l’encontre du rationalisme morbide, à l’encontre de « l’esprit appris » des instruits, le bon sens prend toujours sa source dans l’intuition. Celle-ci est une vision de l’intérieur. L’intuition est une connaissance immédiate, n’ayant que faire des médias. C’est-à-dire n’ayant que faire de la médiation propre aux interprétations des divers observateurs ou commentateurs sociaux.

    C’est cette vision de l’intérieur qui permet de reconnaître ce qui est vrai, ce qui est bon dans ce qui est. Et qui du coup, n’accorde plus créance au moralisme reposant sur la rigide logique du « devoir-être ».

    C’est ainsi que le bon-sens intuitif saisit le réel à partir de l’expérience, à partir du corps social, qui dès lors, n’est plus une simple métaphore, mais une incontournable évidence. Et ce au-delà des lieux communs de la bienpensance, la sympathie ou l’empathie spirituelles redeviennent l’élément essentiel de toute vie en société.

    Incise sur la rudesse des soulèvements populaires

    Cette puissance sociétale ne va pas sans une certaine rudesse. Mais n’en est-il pas ainsi chaque fois qu’une mutation de fond se produit ? Et il est lassant d’entendre toutes les « belles âmes » tenant le haut du pavé médiatique, s’insurger en chœur, chœur des vierges effarouchées, contre la violence, injustifiable bien sûr, de ces soulèvements.

    Ont-ils oublié ce que ne manqua pas de souligner, à diverses reprises, Michel Bakounine : « la volupté de la destruction est en même temps une volupté créatrice ».

    Car, à l’encontre d’une réalité quelque peu rachitique, à l’opposé d’un « principe de réalité » essentiellement économiciste, dont le « pouvoir d’achat » est l’alpha et l’oméga, le point nodal des soulèvements populaires est, structurellement, une perpétuelle « quête du Graal », c’est-à-dire une recherche spirituelle.

    L’esprit du peuple a l’intelligence supérieure du cœur

    Voilà qui peut paraître quelque peu paradoxal. Faire référence à l’intelligence du cœur. Horresco referens ! Comment est-ce possible quand on ne conçoit l’intelligence que sous sa forme rationaliste. Ainsi que je l’avais nommé dans ma critique du « mythe du Progrès » dès 1979, la caste technocratique, sous ses modulations intellectuelles (on dit maintenant « experts »), politiques, journalistiques, cette Caste donc, est incapable de comprendre que le génie du peuple s’exprime mieux dans son souci spirituel que dans des préoccupations politiques.

    Tout simplement parce que cette caste, en son rationalisme morbide, tout en se disant démocratique, est rien moins que démophile. Les sempiternelles incantations à propos des valeurs républicaines et de leurs fondements démocratiques, cachent mal son « avant-gardisme » natif. Pour la Caste le peuple est sot, il faut l’éduquer et le conduire !

    Cette pseudo-intelligentsia, on ne peut plus déphasée, en son idéologie progressiste ne peut pas saisir l’atmosphère mentale de l’époque. Ce que le philosophe Ortega y Gasset, en son livre prémonitoire : La Révolte des masses, nommait « l’impératif atmosphérique » du moment. C’est parce qu’elle ne sait pas s’adapter au changement de climat spirituel en cours que la Caste subira le sort qui fut celui, en leur temps, des dinosaures : périr.

    La Modernité pourrissante est à l’agonie. Ses représentants caducs ne peuvent même pas envisager que toute mutation, car c’est bien de cela dont il s’agit, comporte une dose de mystère.

    Le droit divin du peuple reprend vigueur

    Dans cette mutation et, contre les divers « sachants » s’arrogeant le monopole de la parole publique, s’exprime ce que dans la tradition thomiste, Joseph de Maistre nommait le « droit divin du peuple ». Souveraineté de la puissance naturelle qui, régulièrement, se rappelle au bon souvenir des pouvoirs établis. Ceux-ci n’étant que délégués et devant rendre des comptes au peuple qui en est le légitime détenteur. Ainsi que le rappelle l’antique adage : Omnis autoritas a populo.

    C’est cette autorité qui reprend force et vigueur. Elle rappelle que, telle une vraie royauté, l’opinion est reine d’un monde. Le peuple reprend la parole contre ceux qui, avec l’arrogance, la suffisance et la jactance que l’on sait l’ont monopolisée. Les divers commentateurs parlent, avec componction, pour ne rien dire. Et de cela on commence à se rendre compte. Componction des discours technocratiques de la Caste au pouvoir. Elle a une conception purement oratoire de la politique. Elle tient ses discours pour des actes ! Pour elle le discours est action.

    Ce sont moins des réponses bien formatées qui sont attendues, que la capacité de savoir poser des questions. Ce que les soulèvements signifient c’est que n’est plus accepté un monde sans question et plein de réponses. Tout simplement parce que c’est à partir de l’insaisissable, ce qui est en devenir, ce qui est questionnant, que l’on peut saisir le saisissable. Celui de la vie Réelle.

    Ne l’oublions pas. C’est quand on ne sait pas dire, avec justesse, ce qui est, c’est quand le moralisme, ce qui « devrait être », prend le dessus, que le peuple fait sécession.

    L’enjeu n’est donc pas négligeable. Il faut trouver les mots, les moins faux possible, pour dire la « volupté créatrice » qui, plus ou moins maladroitement, est en gestation dans notre postmodernité naissante. Les lieux communs et diverses bien-pensances ne suffisent plus, il faut avoir l’audace et le courage  d’une pensée de haute mer. Là encore, entièreté de l’être, le courage n’est-il pas, tout à la fois, « le cœur et la rage » ?

    La technocratie désemparée face à l’ère du « Nous »

    La technocratie politiste est incapable de comprendre l’émergence d’une « ère du Nous ». « Nous » s’employant à créer un monde harmonieux, à partir du monde tel qu’il est, et non plus à partir de ce que des théories abstraites auraient aimé qu’il soit. Au-delà de ceux qui, avec une mentalité de maître d’école, continuent de faire la leçon, de ceux qui sont enfermés dans les étroites limites d’un savoir appris dans les grandes écoles, au-delà des lieux communs dogmatiques, la révolte gronde et elle continuera à gronder.

    C’est dans les plateformes libertaires qu’il faut chercher la reviviscence de la vie. C’est dans la hardiesse de vues qui est y est proposée que s’élabore en son sens fort une éthique nouvelle. « Ethos » étant tout simplement, le ciment confortant la vie de toute société.  Ce ciment consistant à conforter les cœurs et les esprits dans un être-ensemble où ce qui est primordial, c’est être-avec. Réalisation effective d’un centre de l’union, préoccupation essentielle d’une dynamique sociétale digne de ce nom.

    Voilà ce que l’on n’ose pas dire. Le climat est à l’effervescence. Les divers soulèvements, un peu partout de par le monde en sont l’ expression on ne peut plus éloquente. Il s’agit d’un « impératif atmosphérique » auquel personne ne peut échapper. L’air du temps est à la révolte des masses. Et rien ni personne n’en sera indemne. Tout au plus faut-il savoir l’accompagner, savoir la dire, le plus justement possible afin qu’elle ne s’aigrisse pas en une forme perverse, immaîtrisable et sanguinaire à souhait !

    Nous visons une crise civilisationnelle

    Une mutation de fond, une crise civilisationnelle est en train de s’opérer sur les réseaux sociaux, les forums de discussion, les sites et autres plateformes du Netactivisme. C’est là qu’il faut suivre l’émergence de la socialité en cours de gestation. C’est cette presse alternative qui rend mieux compte des échanges, partages, entraides ayant fait des ronds-points un véritable Aventin postmoderne.

    On est loin là de la componction du discours officiel celui de la Caste dont le locataire de l’Elysée est le parfait représentant. Componction à laquelle s’appliquerait bien cette remarque de Jean Jacques Rousseau : « Quel style ! Qu’il est guindé ! Que d’exclamations ! Que d’apprêts ! Quelle emphase pour ne dire que choses communes ! Quels grands mots pour des petits raisonnements ! Rarement du sens, de la justesse ; jamais ni finesse, ni force, ni profondeur. Une diction toujours dans les nues, et des pensées qui rampent toujours. »

    Tout est dit.

    Michel Maffesoli (Le Courrier des stratèges, 4 avril 2020)

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  • Pour une boussole métapolitique...

    Les éditions de la Forêt viennent de publier un court essai de Jean-Patrick Arteault intitulé Pour une boussole métapolitique. Jean-Patrick Arteault collabore à la revue Terre & Peuple Magazine.

     

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    " En ces temps d’incertitude et de doute généralisés, Jean-Patrick Arteault propose aux Albo-Européens que nous sommes une boussole pour ces « missionnaires de la Gentilité » qu’il nous propose d’être, ayant pour vocation de tracer une route pour l’avenir de leurs frères de sang. La clé, c’est ce qu’il appelle le Triangle de la Puissance : puissance de l’Esprit, puissance de la Force, puissance de la Richesse. Trois axes indispensables pour combattre efficacement le Système oligarchique occidental en place. Par les formules percutantes qu’il utilise, l’auteur incite son lecteur à descendre en lui-même pour se poser les bonnes questions : celles qui conditionnent notre avenir et même, tout bonnement, notre survie. "

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