Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux conséquences désastreuses de la crise sanitaire sur les classes moyennes.
Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenue une figure de la pensée conservatrice en Europe, est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).
Quels seront les effets du confinement sur l’idéal de l’État providence en Europe ? Pour dire les choses simplement : le confinement détruit la classe moyenne et fait largement le jeu des super-riches. Alors que les propriétaires des petits et moyens commerces, entreprises, restaurants ou hôtels sont ruinés, ceux qui bénéficient d’une manière ou d’une autre de l’expansion exponentielle des grands monopoles dans les domaines de la big-tech, du big-data, de la big-pharma, de l’approvisionnement de masse et des transports deviennent chaque jour plus riches – une dynamique qui était déjà évidente avant les multiples crises liées à l’apparition du Covid-19 qui doivent être considérées comme un simple catalyseur de tendances préexistantes. Une fois la période de confinement terminée, la classe moyenne sera ruinée, et les entrepreneurs devront soit vendre leurs biens et devenir, au mieux, des simples employés des nouveaux propriétaires, soit accepter des subventions publiques sans fin qui les maintiendront juste au-dessus de la limite de la faillite et donc dépendants de l’État.
D’une manière ou d’une autre, le temps d’une société dont l’identité serait fondée sur l’existence d’une classe moyenne importante, indépendante et fière sera révolu, du moins en Europe occidentale, dont l’économie est beaucoup plus touchée par le confinement que l’Est.
Cela signifie également que l’ancien système de protection sociale devra être fondamentalement transformé. Je m’attends à une simplification drastique de l’État providence par l’introduction d’un revenu de base inconditionnel qui remplacera aussi bien les allocations de chômage que les subsides familiaux et les pensions, ce qui signifiera, bien sûr, pour beaucoup de gens appartenant aux classes moyennes, une diminution drastique de leurs prestations.
Et pire encore : pour payer ces énormes dépenses et maintenir en vie tous les secteurs frappés par le confinement, l’État devra continuer à imprimer de l’argent, ce qui entraînera non seulement sa dévaluation progressive et donc l’expropriation indirecte des petites fortunes, mais aussi un glissement croissant d’une économie de marché libérale vers une économie planifiée – « planifiée » en tout cas pour la grande majorité des citoyens dépendant d’une manière ou d’une autre des allocations de l’État…
Il est difficile de prédire les différentes étapes par lesquelles cette évolution se fera au cours des prochaines années ; mais qu’il y ait un effondrement ou une lente transformation, à la fin, du moins en Europe occidentale et aux États-Unis, nous trouverons une société basée sur un modèle social et économique que j’ai appelé le « socialisme des milliardaires ». D’un côté, il y aura une grande masse de personnes survivant tout juste grâce à un revenu universel, obligées de travailler dur afin d’améliorer quelque peu leur mode de vie et de gagner ainsi l’argent nécessaire pour faire tourner la roue du capitalisme. De l’autre côté, nous trouverons une toute petite caste de milliardaires issus des big-tech, big-data, big-pharma et autres monopoles qui existeront en symbiose structurelle avec un système politique qui se fera passer pour démocratique alors qu’il est, en fait, plutôt oligarchique et technocratique – une situation pas si différente, d’un point de vue morphologique, de ce que nous connaissons déjà maintenant en Chine.
Et comme en Chine, la numérisation de la société et les révolutions telles que le système de crédit social, le transhumanisme, l’abandon de la monnaie fiduciaire et l’introduction de l’intelligence artificielle rendront extrêmement difficile toute révolte contre un tel système, d’autant plus que les grandes masses sont actuellement soumises à une atomisation sociale systématique par l’immigration de masse, la destruction de la famille naturelle, la culture de consommation, l’idéologie de la bien-pensance et l’éradication du christianisme.
Cependant, les systèmes oligarchiques sont fondamentalement instables, et si la société de l’Europe occidentale est déjà en grande partie affaiblie par l’évolution esquissée ci-dessus, l’Est, comme la Pologne ou la Hongrie, présente encore des communautés cohérentes et solidaires qui pourraient être considérées comme des exemples et des inspirations par ceux qui, à l’Ouest, n’adhéreraient pas au nouvel ordre. Des sources de conflits sont donc préprogrammées, à l’interne comme à l’externe, et ce en dépit des systèmes de contrôle mis en place par les gouvernements. Ainsi, tôt ou tard, il y aura donc des affrontements violents, que ce soit entre oligarques concurrents, que ce soit entre groupes ethniques rivaux en Europe, ou que ce soit entre les nouveaux empires tels que les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et, peut-être, l’Europe – et il est très difficile de dire quelle société émergera d’un tel conflit, sauf qu’elle sera très différente de nos anciennes sociétés libérales et démocratiques dont les derniers vestiges sont en train d’être détruits par le confinement.
David Engels (Visegrád Post, 27 avril 2021)