Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist aux animateurs du Cercle Henri Lagrange et consacré à la question du libéralisme...
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Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist aux animateurs du Cercle Henri Lagrange et consacré à la question du libéralisme...
Les éditions Zones viennent de publier un essai de Lionel Esparza intitulé L'esprit du poker - Comment un jeu d'argent a conquis le monde. L'auteur est musicologue et journaliste à France Musique.
" La pratique du poker a explosé dans les années 2000. En France, pour le seul poker en ligne, on estimait en 2011 à 1,5 million le nombre de joueurs réguliers ou occasionnels, misant un total de 8 milliards d’euros annuels. Pourquoi un tel engouement ? Un joueur mène l’enquête. Mobilisant des références multiples, Lionel Esparza explique dans ce livre très accessible ce qui fait aujourd’hui la prodigieuse puissance d’attraction d’un jeu pourtant ancien. Il raconte comment s’est constitué le poker moderne, dont on suit les pérégrinations depuis les bouges de La Nouvelle Orléans du XIXe siècle jusqu’aux tournois électroniques planétaires d’aujourd’hui. Afin de saisir les raisons de son affinité avec les désirs contemporains, il en analyse aussi les ressorts, la logique interne. La table de poker fonctionne comme un modèle réduit où se résume l’essentiel des obsessions contemporaines : le désir d’argent, le goût pour la compétition effrénée, l’expérience de l’impondérable dans une société dominée par les exigences du calcul prévisionnel, mais aussi le mensonge, le bluff et le spectacle. Le poker n’a qu’un dieu, l’argent ; qu’une religion, le capitalisme ; qu’une inspiration, le marché. Il traduit en termes ludiques les impératifs du libéralisme. Il les trans-met ainsi à la façon d’un message subliminal, non comme le feraient un manuel théorique ou une fiction exemplaire, mais à travers une pratique d’autant plus efficace qu’anodine en apparence . Nous sommes entrés dans le stade ludique du capitalisme. L’analyse critique de son jeu-fétiche peut permettre de mieux en saisir l’esprit. "
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Paul Brighelli, cueilli sur le site du Point et consacré à la prise de pouvoir de Bruxelles dans le domaine de l'éducation "nationale"...
Le cauchemar de l'école européenne
Connaissez-vous le protocole de Lisbonne ? Non ? Vous avez tort : c'est, depuis quatorze ans, le programme qui réglemente l'école de la République.
Mais, dites-vous, il n'y a plus guère d'école.
Ben oui. Ni, d'ailleurs, de République. Il m'est arrivé, par pur esprit polémique bien entendu, de dire que la rue de Grenelle, où se trouve le ministère de l'Éducation, commence et finit à Bercy, tant la politique scolaire a été conditionnée, ces dernières années, par les oukases du ministère des Finances. Approximation ! La rue de Grenelle commence et finit à Bruxelles, grâce à la "stratégie de Lisbonne". Géographie curieuse ! Mais comme on n'enseigne plus trop la toponymie...
C'était en mars 2000. Les objectifs définis par le Conseil de l'Europe à cette date ont été réaffirmés à maintes reprises, en 2001 à Göteborg, puis à chaque "point d'étape" : dès 2003, en France, le "rapport Garrigue" déplorait une insuffisante mise en conformité (entendez-vous combien ce mot est proche de "conformisme" ?), et l'année suivante Wim Wok, l'ancien Premier ministre néerlandais, trouvait que les choses n'allaient pas assez vite : "Il y a beaucoup à faire pour éviter que Lisbonne ne devienne un synonyme d'objectifs manqués et de promesses non tenues", disait-il alors. Il fallait accélérer - c'est la stratégie européenne chaque fois que l'on va dans le mur. Chatel puis Peillon s'en sont chargés.
Le modèle américain
C'est que la "stratégie de Lisbonne", qui est exclusivement à visée économique, a pensé pour nous l'Éducation. C'est là, et nulle part ailleurs, que les politiques scolaires européennes ont été pensées. C'est en application des décisions prises par une assemblée d'économistes européens, dont on sait à quel point ils sont à la botte des grands argentiers internationaux, que l'école française connaît, depuis quinze ans, cette admirable embellie dont profitent tant nos élèves, comme le rappelle Pisa à chaque évaluation...
Quelles sont les décisions prises à cette époque - et appliquées sans faille depuis par les divers ministres, qui font semblant d'avoir des initiatives, mais qui, courageusement, s'en sont remis à un quarteron de banquiers européens pour penser à leur place ? Il s'agissait de faire de l'Union européenne "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde", sur le modèle (si !) du système américain, dont on avait alors l'impression qu'il était le plus performant au monde. Quelques illusions ont succombé depuis, au gré des crises (la stratégie de Lisbonne avait été élaborée durant une brève éclaircie économique), mais l'objectif demeure, selon le principe très technocratique selon lequel les choses vont mal parce qu'on n'a pas appliqué les décisions à fond. C'est l'argument des partisans du "collège unique", l'argument des inventeurs des Zep, l'argument de ceux qui aujourd'hui veulent réintégrer dans le flux général les élèves compliqués aujourd'hui pris en charge dans les Segpa. Toute apocalypse molle peut être effectivement remplacée par une apocalypse rapide.
Le libéralisme érigé en totem
Comment un objectif a priori économique a-t-il eu un tel poids sur les politiques scolaires ? C'est qu'il s'agissait d'augmenter "l'employabilité" et le niveau de qualification requis dans "l'économie de la connaissance" (on remarquera que, syntaxiquement, l'expression subordonne la connaissance à l'économie - le diable est dans les détails). Pour cela, l'Union européenne s'est imposée en "catalyseur" des diverses politiques - ou, si l'on préfère, en chef d'orchestre de ce que l'on continuait à faire semblant de décider dans les capitales européennes, mais qui était au final imposé par Bruxelles. Réaliser le retard que la plupart des pays européens avaient pris, par rapport aux États-Unis et à certains pays asiatiques, dans les investissements dans la recherche et l'université n'était pas en soi une mauvaise chose - en période de croissance. En période de crise, on a appliqué les conseils bon marché et on a négligé ceux qui risquaient d'écorner le portefeuille. Le libéralisme, qui pouvait être un moyen, est devenu un totem, alors même qu'il affichait ses limites - parlez-en aux Grecs, aux Espagnols, aux Italiens - et aux Français, qui viennent deux dimanches de suite de donner leur sentiment sur la question.
Les Français d'ailleurs ne s'y étaient pas trompés : ils avaient dit non par référendum à cette Europe qui n'était plus du tout les "États-Unis d'Europe" chers à Victor Hugo, mais un conglomérat d'appétits. Ceux qui, à l'UMP comme au PS, sont passés par-dessus la tête de la volonté populaire ne devront pas s'étonner d'en payer le prix en mai prochain.
Corvéables à merci
Faire passer l'école sous les fourches caudines de "l'employabilité" à tout prix (et si possible à bas prix) a eu des conséquences terribles. Le "socle de compétences" de base, c'est l'Europe - et l'on sait combien le "socle" a réduit comme peau de chagrin les exigences scolaires : miracle, des théories pédagogiques fumeuses sont venues au secours des ambitions politiques. La diffusion chez les élèves de "l'esprit d'entreprise", comme l'a encore récemment rappelé Geneviève Fioraso (qui elle aussi faisait semblant d'être ministre - aux Universités - pendant que les décisions étaient prises ailleurs), au détriment des savoirs fondamentaux et d'une culture humaniste réelle, c'est le protocole de Lisbonne. L'accroissement des coûts personnels des étudiants, pour les responsabiliser et les pousser vers des études "utiles", c'est encore le protocole : et aucun de ces grands argentiers, parce qu'ils n'y connaissent rien, n'a jamais pensé que les études que l'on commence parce qu'elles correspondent aux attentes des "marchés" peuvent cinq ans plus tard se retrouver complètement en porte-à-faux avec l'évolution de ces mêmes marchés. Et que seule une culture générale solide met à l'abri de ce genre d'aléa - cette culture que les cadres supérieurs trouvent dans les grandes écoles, que ce soit l'ENS, Polytechnique ou Oxford, pendant que vulgum pecus, ou si l'on préfère, le gros des élèves et des étudiants, seront si peu et si mal éduqués qu'ils resteront taillables et corvéables à merci.
Je ne suis pas le seul à hurler - parce que la France n'est pas le seul pays laminé par cette politique éducative absurde et inefficace au nom même de l'efficacité. De vrais grands esprits s'y sont opposés de toutes leurs forces - avec parfois un sens de l'invective bien supérieur au mien. En 2009, Arturo Pérez-Reverte, qui est sans doute le plus grand romancier espagnol contemporain, avait poussé un cri de rage que la décence m'empêche de traduire, mais que les lecteurs hispanisants se régaleront à déchiffrer. Il faut le dire et le redire haut et fort : mettre l'école sous la dépendance des marchés n'est pas une bonne idée - les marchés fluctuent, les marchés naviguent à vue, alors que le temps scolaire est long, très long même -, et ce n'est pas même un service à rendre aux marchés. Il faut une formation sérieuse, sans concession aux modes, aux lubies ou aux lobbies, le "tout informatique", dont on sait qu'il n'apporte rien à l'école, sinon des déficits, comme l'apprentissage précoce de l'anglais en primaire, alors même que le Français n'est pas maîtrisé, voilà deux des effets directs de cette "économie de la connaissance" qui a engendré ce que j'appelais et appelle encore la "Fabrique du crétin".
L'enseignement doit être national
Seule une formation humaniste peut construire des jeunes assez cultivés et souples pour s'adapter et survivre en milieu hostile. Si le tigre aux dents de sabre a disparu, c'est qu'il était étroitement spécialisé. Et nous savons depuis Claude Allègre - c'est bien la seule chose intelligente qu'il ait proclamée - que le "mammouth", auquel il a comparé le système scolaire, fut lui aussi victime de disparition précoce. L'enseignement privé, qui monte en flèche, se repaît du cadavre de l'école - et il est plébiscité par des parents qui ont compris, bien mieux que les grands argentiers européens, que des connaissances solides, une discipline sans faille, une transmission des savoirs sont les vraies bases d'une formation heureuse.
Vincent Peillon se retrouve tête de liste aux européennes (dans le Sud-Est). Ma foi, aucune contradiction avec ses fonctions ministérielles : après avoir servi ses maîtres, qu'il le veuille ou non, il part à Bruxelles chercher sa récompense. Je n'ai aucun conseil à donner aux électeurs. Mais nous tous qui voulons une vraie rénovation de l'école, nous nous efforcerons d'être au moins cohérents. L'enseignement doit être national, conçu en fonction des spécificités de chaque pays : c'est encore le meilleur moyen de les mettre en synergie, parce que nous ne sommes riches que de nos différences complémentaires. La "convergence" des systèmes éducatifs, qui nous prive de toute décision dans l'éducation de nos enfants, est un mantra d'une illusion. Et tout le reste est littérature.
Jean-Paul Brighelli (Le Point, 7 avril 2014)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économiste Michel Santi, cueilli sur le site de Marianne et consacré à une étude sur la répartition de la richesse dans le monde.
La lutte des classes est terminée : les riches l'ont gagné !
Warren Buffet (qui pèse 58 milliards de dollars) ne plaisantait pas. Il nous avait prévenu dès 2006 – avant la crise – que les riches étaient en train de gagner. Dans une interview accordée à l’époque au New York Times, il avait reconnu qu’une « lutte des classes » faisait rage, tout en précisant : « c’est ma classe, les riches, qui a déclaré cette guerre et c’est elle qui est en train de la remporter » ! … avant de confirmer en 2011 que cette guerre avait bel et bien été gagnée : « they won » – ils ont gagné. Du reste, les faits lui donnent raison car, s’il fut approprié un temps d’évoquer les fameux « 1% » les plus privilégiés, certaines fortunes ont pu croître de manière exponentielle à la faveur même de la crise.
C’est ainsi que l’O.N.G. Oxfam a tout récemment démontré comment 85 individus (oui 85 !) se trouvent être aussi riches que la moitié de la population mondiale ! En somme, il y a les « riches » mais il y a également les « méga riches » : c’est-à-dire les 0.01% qui, à eux seuls, sont encore plus riches que les 1%, tout en payant moins d’impôts que les 1% ! C’est un peu comme si ces fortunes généraient à leur tour davantage de fortune et, ce, de manière quasi mécanique. Du reste, les 6’000 milliards de dollars gagnés par les envolées boursières de 2013 n’ont évidemment profité qu’à cette infime minorité.
On comprend mieux, dès lors, l’arrogance des plus dignes représentants de ces hyper-privilégiés, à l’instar du grand patron américain d’une marque d’habits de luxe, Bud Konheim, qui s’est exclamé que les pauvres devraient « arrêter de se plaindre » de leur condition. Ou la suffisance du milliardaire Kevin O’Leary quand il déclare que les inégalités sont une « nouvelle fantastique », car elles motivent « le pauvre à regarder en haut vers les 1% et à se dire : je veux faire partie de ces gens » … Et pourquoi ne pas évoquer Tom Perkins, magnat des fusions-acquisitions, qui revendique pour les riches un droit de vote plus important que pour le reste de la population ?! Et qui prône le retour au suffrage censitaire, aboli en France en 1848.
De même convient-il de ne pas négliger les revenus pharamineux des directions générales des grosses entreprises, qui placent incontestablement cette élite dirigeante dans le cercle très fermé des 1%, contribuant par là même à les isoler de leurs salariés. Car c’est un discours tout aussi effronté qui est servi par les Présidents-Directeurs Généraux des entreprises et des banques qui, pour justifier leurs salaires et leur bonus indécents, indiquent que ceux-ci ont été préalablement avalisés par leur conseil d’administration. Le tout dans une consanguinité aberrante où ceux-là même qui approuvent ces rémunérations reçoivent à leur tour des indemnités approuvées par ce même P.-D. G., tout en étant eux-mêmes patrons d’autres entreprises, poste qu’ils cumulent avec celui de membre de plusieurs conseils d’administration !
Comment expliquer, sinon, que le CEO de JP Morgan Chase, Jamie Dimon, ait vu son salaire augmenter de 74% cette année… alors même que la banque dont il est le gourou a dû payer 20 milliards de dollars au régulateur US pour de multiples infractions ? Ne voilà-t-il pas que, au lieu de le saquer, ses pairs lui accordent une belle augmentation de salaire… faisant dire à certains esprits chagrin que, alors que le commun des mortels qui vole une banque est incarcéré pendant 10 ans, le Président d’une banque qui vous vole reçoit, pour sa part, 10 millions !
Ces personnages évoluent donc dans un univers parallèle caractérisé par une impunité quasi parfaite, déplorée en haut lieu par un exécutif impuissant ayant fait dire au Ministre de la Justice américain, Eric Holder, que les Présidents des « Too Bigs To Fail » – les mastodontes bancaires – étaient eux-mêmes des « Too Bigs To Jail », c’est-à-dire trop importants pour être emprisonnés… Exécutif désemparé à l’image de Lawrence Summers, ancien Sécrétaire au Trésor et ancien conseiller économique du Président Obama, qui a coup sur coup écrit deux tribunes dans le Washington Post et dans le Financial Times, requérant vigoureusement contre les inégalités et avertissant que notre monde reprenait ses mauvais plis d’avant la crise.
Car la croissance ne permet plus aujourd’hui, pour reprendre Summers, d’ « améliorer les revenus de la classe moyenne et de lutter contre la pauvreté ». Il est donc vital de revaloriser les salaires, de réformer la fiscalité et de lutter contre l’évasion fiscale. Quitte à « persécuter » les riches, pour reprendre une expression tout récemment employée par le même Tom Perkins cité plus haut, qui vient de faire scandale en comparant le sort fait aujourd’hui aux riches à l’Holocauste des juifs pendant la seconde guerre mondiale !
Michel Santi (Marianne, 25 février 2014)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au pape François, qui achève bientôt la première année de son pontificat...
Le pape François veut une Église plus sobre, plus pastorale que doctrinaire
Polémique sur notre nouveau pape, qui serait « marxiste » parce que fustigeant ce « libéralisme qui tue »… Retour à la doctrine sociale de l’Église catholique ?
Dans son exhortation apostolique du 24 novembre dernier, Evangelii Gaudium, le pape François s’en est pris au système du marché en des termes absolument dénués d’équivoque. « Certains défendent encore, écrit-il, les théories qui supposent que chaque croissance économique, favorisée par le libre marché, réussit à produire en soi une plus grande équité et inclusion sociale dans le monde. Cette opinion, qui n’a jamais été confirmée par les faits, exprime une confiance grossière et naïve dans la bonté de ceux qui détiennent le pouvoir économique et dans les mécanismes sacralisés du système économique dominant. » Notant que, « pour pouvoir s’enthousiasmer avec cet idéal égoïste, on a développé une mondialisation de l’indifférence », il jette l’anathème sur le « fétichisme de l’argent » et la « dictature de l’économie sans visage ». Il dénonce les « idéologies qui défendent l’autonomie des marchés et la spéculation financière ». Il ajoute qu’on « ne peut plus recourir à des remèdes qui sont un nouveau venin, comme lorsqu’on prétend augmenter la rentabilité en réduisant le marché du travail, mais en créant de cette façon de nouveaux exclus ». « Une telle économie tue », conclut-il. Il n’en fallait évidemment pas plus pour que les Américains le traitent de « socialiste »…
Il s’agit en fait d’une claire condamnation du libéralisme. Le libéralisme met au centre de sa doctrine un individu fictif, détenteur de droits inhérents à sa propre nature qui le rendraient propriétaire de lui-même. Le mythe du marché autorégulateur et autorégulé n’est que la projection économique de cette conception d’un individu autosuffisant. Le capitalisme financier, qui a pris le relais du vieux capitalisme industriel et marchand, repose tout entier sur la spéculation et le crédit (c’est-à-dire le principe usuraire du prêt à intérêt, que l’Église a longtemps sanctionné). La condamnation qu’en fait le pape François contraste avec l’indulgence pour le « bon capitalisme » (le principe du « marché libre », la capacité des marchés à réguler la vie économique, etc.) que l’on a fréquemment constatée dans les milieux catholiques. Elle va très au-delà de la « doctrine sociale » de l’Église, qui a trop souvent versé dans le paternalisme. Dans son entretien avec le Kölner Stadt-Anzeiger du 20 janvier, le cardinal du Honduras Óscar Andrés Rodríguez Maradiaga, l’un de ses plus proches collaborateurs, n’a pas eu tort de parler d’une « nouvelle ère » inaugurée par le pape François.
Le passé péroniste du pape François n’est plus un secret pour personne. Certains s’en inquiètent et d’autres s’en félicitent. Et vous ?
Pourquoi m’en inquiéterais-je ? À partir de la fin des années 1960, le futur pape François a été en contact étroit avec la mouvance péroniste. Il fut en particulier l’un des compagnons de route de l’Organisation unique du transfert générationnel (OUTG), mouvement péroniste plus connu sous le nom de Garde de Fer argentine, une organisation restée célèbre pour sa rhétorique anticapitaliste fondée par Alejandro Álvarez, dit « el Gallego » (le « Galicien »). En 1975, c’est même l’intervention de Jorge Bergoglio, alors provincial des jésuites, qui permit à Álvarez et ses amis de prendre le contrôle de l’Université jésuite del Salvador. Ce qui le distinguait à cette époque des théologiens de la libération, ce n’était pas l’« option préférentielle en faveur des pauvres », mais son refus d’encourager la lutte armée. Cela dit, sa critique du libéralisme trahit aussi l’influence des écrits du théoricien nationaliste argentin Leonardo Castellani (1899-1981), surnommé le « Chesterton latino-américain », qu’il a également connu.
Ce pape, de droite ou de gauche ? Progressiste ou traditionaliste ? En matière sociétale, il a fait des ouvertures. En matière de dialogue interreligieux, également. Jésuite un jour, jésuite toujours ?
Benoît XVI était un professeur, le pape François se veut proche du peuple. Apprécié pour sa simplicité, son style direct, voire son humour, il souhaite de toute évidence une Église plus sobre, dont les représentants donneraient l’exemple d’une vie plus frugale, une Église plus pastorale que doctrinaire, plus en prise avec les « périphéries existentielles », c’est-à-dire les « vrais gens ». Il s’agit, dit-il, d’en revenir à l’« esprit évangélique de sobriété et de pauvreté », ce qui est plutôt sympathique. Beaucoup de catholiques ont oublié que les premiers disciples de Jésus le « Nazôréen » devaient renoncer à toute propriété privée et mettre leurs biens en commun (Actes 2,44). Et l’Église, dans son histoire, n’a pas été la dernière à ignorer l’avertissement évangélique selon lequel « on ne peut servir à la fois Dieu et l’argent » (Matt. 6,24).
Cela dit, si la popularité débridée dont jouit le pape ne se réduit pas à un phénomène médiatique, elle ne doit pas non plus faire illusion. Les intégristes l’attaquent déjà pour son manque d’intérêt manifeste pour les questions liturgiques, sa volonté de canoniser Jean XXIII ou son « entêtement » à se présenter, non comme pape, mais comme simple « évêque de Rome », au risque de « désacraliser » sa fonction. Mais il décevra aussi les progressistes, qui s’imaginent naïvement qu’il va changer la doctrine catholique. Le pape François se montrera plus bienveillant, plus compréhensif (à propos des divorcés-remariés, par exemple), mais il ne changera rien à la condamnation dogmatique du mariage homosexuel ou de l’avortement. Significative est, en revanche, son intention de convoquer un nouveau Synode sur la famille, alors qu’il s’en était tenu déjà un en 1980, au motif que la famille de cette époque « n’existe plus aujourd’hui ». L’immense travail de réforme qu’il a entrepris pour assainir la Curie et les finances du Vatican va en outre radicaliser une opposition interne qui ne s’exprime pour l’instant que de façon feutrée, mais qui ne manquera pas de lui savonner la planche.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 2 février 2014)
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux choix affiché par François Hollande d'une politique ouvertement libérale ...
François Hollande : entre Feydeau et Klapisch…
Depuis quelques semaines, la France vit au rythme du vaudeville élyséen. Ce qui fait beaucoup rire Laurent Gerra, logique. Et vous ?
Je ne m’intéresse pas un instant à la vie sexuelle de François Hollande, qui me paraît d’une grande banalité (normalité ?). Que sa libido monte avec le chômage ou baisse avec le pouvoir d’achat m’est parfaitement indifférent, et je me fiche éperdument de savoir s’il ambitionne d’épouser demain Leonarda, tandis que sa Valérie se mettrait en ménage avec Dieudonné. Nous ne sommes pas aux États-Unis où, puritanisme oblige, un candidat à l’élection présidentielle vivant en concubinage notoire n’aurait pas la moindre chance d’être élu. Je ne ferai que deux observations. L’une pour rappeler que le style, c’est l’homme. De ce point de vue, avec le scooteriste de l’Élysée, on navigue vraiment entre Feydeau et Cédric Klapisch, assez loin de l’élégance toute italienne avec laquelle Berlusconi assumait au moins ses soirées libertines. L’autre, plus fondamentale. Valérie Trierweiler est une journaliste, Julie Gayet une comédienne, Carla Bruni une chanteuse. On pourrait aussi citer Montebourg et Audrey Pulvar, Strauss-Kahn et Anne Sinclair, Bernard Kouchner et Christine Ockrent, et tant d’autres. Que les hommes politiques manifestent une invincible tendance à choisir leurs partenaires de sexe dans le monde de la communication, du show-business ou de la paillette médiatique confirme d’une manière extraordinairement révélatrice qu’ils appartiennent eux-mêmes désormais à la société du spectacle. Closer, complément du Journal officiel !
Virage social-libéral ou social-démocrate ? Durant sa campagne, François Hollande a tenté de nous faire croire qu’il était « de gauche », avec la finance sans visage pour ennemi principal. Voudrait-il désormais se faire passer pour un homme « de droite » ?
Les annonces économiques faites par François Hollande dans sa conférence de presse constituent le premier événement véritablement historique de son quinquennat. Les réactions ont été significatives. « Enfin ! », s’est écriée Laurence Parisot, dont le successeur, Pierre Gattaz, n’a pas hésité à présenter le MEDEF comme le véritable inspirateur de ce qu’il a décrit comme le « plus grand compromis social depuis des décennies », tandis que Jean-François Copé reconnaissait que ces mesures étaient « des propositions portées depuis des années par l’UMP ». Il y a longtemps, en effet, que le patronat demandait, en échange de promesses d’embauche illusoires, à être exonéré des cotisations familiales. Le « pacte de responsabilité », c’est en réalité d’abord 30 milliards d’euros de cadeaux aux actionnaires et aux grands patrons. C’est ensuite l’aveu du grand retournement de la politique économique du PS, son ralliement à la politique de l’offre et à l’ordre libéral, c’est-à-dire sa soumission à la finance de marché.
Quand le PS se disait « socialiste », il était déjà social-démocrate. Aujourd’hui qu’il s’affirme « social-démocrate », il est en fait devenu libéral de gauche, voire libéral tout court (« ultralibéral », dit même Marine Le Pen). En satisfaisant aux revendications de classe du MEDEF, il donne à voir son vrai visage. « Mon ennemi, c’est la finance », disait en effet Hollande quand il était en campagne pour l’élection présidentielle. Avec des « ennemis » comme celui-là, on n’a plus besoin d’amis ! Le chef de l’État n’a pas seulement cocufié Valérie Trierweiler mais aussi, ce qui est plus grave, tous ceux qui ont voté pour lui. Permettez-moi d’être plus sensible à son virage libéral qu’à son tournant libidinal.
Si la gauche semble aujourd’hui s’égarer, grande est l’impression que la droite se perd aussi, paraissant maudire les effets dont elle chérit les causes. Soit tout le paradoxe de journaux tels que « Valeurs actuelles » ou « Le Figaro Magazine », dans lesquels l’immigration est à juste titre dénoncée, mais qui continuent de prôner un capitalisme financiarisé et transnational. Peut-on être capitaliste et de droite ?
Il existe une tradition anticapitaliste de droite, qu’on a trop oubliée. Elle a malheureusement souvent versé dans l’exaltation du corporatisme ou la dénonciation conspirationniste des « Rothschild », des « 200 familles » ou des méchants banquiers. Par myopie ou paresse intellectuelle, il lui a manqué une analyse en profondeur de l’essence même du capital. Il est évidemment plus facile de bavarder sur les dernières péripéties politiciennes que de s’interroger sérieusement sur la théorie de la valeur, la crise de valorisation du capital, le fétichisme de la marchandise et la réification des rapports sociaux.
À une époque où la mondialisation capitaliste ne cesse d’aggraver les inégalités, non seulement entre les pays, mais à l’intérieur de chaque pays, il serait temps pour les gens « de droite » de réaliser que le capitalisme s’est aujourd’hui pleinement révélé comme un système beaucoup plus foncièrement « cosmopolite » et plus destructeur d’identités collectives que ne l’a même jamais été le communisme. Et qu’il l’est depuis ses origines : le marchand, expliquait déjà Adam Smith, n’a d’autre patrie que l’endroit où il réalise son meilleur bénéfice.
L’essence même du capitalisme mondialisé veut qu’il détruise tout ce qui peut faire obstacle à l’expansion planétaire du marché, à commencer par toute forme de société traditionnelle, et en même temps que s’impose un type anthropologique d’individu malléable, acquis aux seules valeurs marchandes, consommateur d’autant plus docile qu’il sera coupé de tous ses repères. Le principe même de suraccumulation du capital, la logique de l’illimitation (le « toujours plus ») font que le capitalisme déstabilise tout ce qu’il touche, qu’il étend partout le désordre, l’entropie et le chaos, le mélangisme et l’indistinction. Il y a de ce point de vue une parfaite complémentarité entre le libéralisme économique « de droite » et le libéralisme sociétal « de gauche », complémentarité dont le gouvernement Hollande, qui est vraiment tout sauf un gouvernement « socialiste », donne aujourd’hui un exemple achevé.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier, (Boulevard Voltaire, 28 janvier 2014)