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  • Conflit Iran-USA : L’arroseur arrosé ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur le site de Géopragma  et consacré à la montée des tensions entre les États-Unis et l'Iran... Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Conflit Iran-USA : L’arroseur arrosé ?

    Tandis que l’Europe ouvre douloureusement les yeux sur la réalité de ses profonds déchirements et se repolarise dangereusement entre mondialistes et nationalistes, les grandes manœuvres internationales auxquelles la France manifestement ne comprend goutte et dans lesquelles elle renonce à jouer une carte singulière se poursuivent.

    Après la menace iranienne de bloquer le détroit d’Ormuz et les incidents touchant des bateaux saoudiens et émiratis, après la stigmatisation par Washington des Gardiens de la Révolution iraniens comme organisation terroriste et celle, en représailles, du CENTCOM américain par les autorités iraniennes, la sagesse semble venir de celui que l’on diabolise depuis des années.

    Téhéran vient de proposer un pacte de non-agression régionale et considère que la décision américaine d’envoyer 1500 hommes supplémentaires dans la zone comme le déploiement dans le Golfe du porte-avions Abraham Lincoln et de bombardiers B-52 constituent une « menace pour la paix et la sécurité internationales ». La mention n’est pas anodine. C’est celle du chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui seule, en théorie, autorise une intervention collective de membres des Nations Unies pour faire pièce à une menace collective majeure. En d’autres termes, Téhéran prend Washington à son propre piège, le désigne formellement comme le fauteur de guerre et en appelle aux lambeaux du système multilatéral pour l’empêcher de nuire. Le ministre des Affaires étrangères iranien s’est rendu à Bagdad pour rappeler que son pays n’a violé à ce jour aucun de ses engagements internationaux et que « l’Iran souhaite avoir de meilleures relations avec les pays de la région du Golfe persique et accueille favorablement toutes les propositions visant à dissiper les tensions actuelles. » Il s’est ensuite envolé en Inde, en Chine, au Japon, au Turkménistan puis au Pakistan où il rencontré hier le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le Chef des armées pakistanaises. Son périple se poursuivra en Russie puis s’achèvera à Bruxelles. L’Irak est évidemment un élément majeur de l’axe de soutien qui se dessine à l’échelle régionale, à l’instar d’Oman, des Emirats arabes unis, du Koweit et du Qatar. À Oman, le vice-ministre iranien des Affaires étrangères a confirmé quant à lui que Téhéran rejetait toutes discussions directes ou indirectes avec Washington, mais était « prêt à établir des relations équilibrées et constructives avec tous les pays de la région du golfe Persique, fondées sur le respect et les intérêts mutuels ». Le ministre des Affaires étrangères omanais a insisté en écho sur la nécessité de faire preuve de retenue de la part de toutes les parties face à la situation critique dans la région.

    Dans cette partie du monde volatile et sur-armée, chacun de ces Etats, pour ses propres raisons et intérêts, craint le bellicisme américano-israélien qui triomphe à Washington dans l’entourage présidentiel autour de MM. Bolton et Pompéo. Les déclarations du Président Trump qui appelle Téhéran au dialogue « s’il le souhaite », tout en le mettant depuis 18 mois sous une pression extraordinaire pour provoquer une radicalisation du régime qui nourrirait son discours diabolisateur et un passage à l’acte guerrier sont, au choix, d’une naïveté ou d’un cynisme confondant. Mais cette séquence inquiétante est aussi la marque d’une course américaine aux objectifs infiniment plus prosaïques : la récupération d’un maximum d’alliés et la fourniture massive d’armements au prétexte d’une urgence sécuritaire largement construite, pour s’exempter du contrôle des exportations d’armes du Congrès des Etats-Unis. Celui-ci est à l’occasion accusé de mettre l’Amérique en danger par ses atermoiements. Bref, la guerre politique interne à Washington dans la perspective de la présidentielle de 2020 se poursuit sur le dos des Iraniens et des malheureux Yéménites. Les rebelles Houthis sont eux accusés de rien moins que d’accroitre l’instabilité régionale, de menacer l’économie mondiale (sic), de détruire les infrastructures et de terroriser le peuple yéménite…

    Notons que ces opportuns transferts d’armes sont aussi valables pour la Corée du Sud, l’Arabie Saoudite, Israël, l’Inde, mais aussi la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne, l’Italie et l’Australie. Une magnifique façon de vendre des armes larga manu en prétendant sauver une fois encore le monde du Mal. Une façon aussi de ramener les brebis égarées ou dubitatives d’un camp occidental en déroute qui commence à comprendre que son intérêt politique et sécuritaire n‘est peut être plus l’alignement systématique sur les volontés de l’Oncle Sam… Reste à trouver l’étincelle pour allumer la mèche. Différents scénarios existent pour donner naissance à une crise opposant l’Iran aux États-Unis. Des groupes armés à la solde d’Ankara ou de Riyad pourraient attaquer des positions américaines en Irak (les bases militaires américaines en Syrie ayant été évacuées) et en accuser les forces proches de l’Iran.

    L’Allemagne s’implique dans le processus de médiation en cours pour éviter un engrenage sanglant. Que fait Paris mis à part fournir des armes à la coalition saoudo-émiratie qui met en pièces le Yémen ? Il serait temps de remettre enfin un peu de cohérence entre nos allégeances internationales et nos intérêts nationaux, notamment sécuritaires. Nous avons, à ce moment décisif pour les équilibres mondiaux, une occasion historique d’exprimer notre souveraineté et de montrer au monde une autonomie de pensée, d’analyse et de décision. Nous entendons et comprenons la position iranienne. L’Amérique doit reculer et cesser de déstabiliser la région. Pas très compliqué et très légitime.

    Caroline Galactéros (Géopragma, 28 mai 2019)

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  • Le retrait des Américains de Syrie : une chance pour la France ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactértos, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux possibilités ouvertes pour la France par la décision de retrait des troupes américaines de Syrie prise par le président des Etats-Unis. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

     

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    «Le retrait des Américains en Syrie est l'ultime chance pour la France de peser de nouveau»

    Encore une fois, l'homme a pris (presque) tout le monde à contre-pied.

    En premier lieu nous, l'allié français,. Nos salves d'autorité ne changent rien à la donne de fond du conflit syrien: un accord est en train de se nouer entre Washington, Moscou et Ankara, et nous n'en sommes pas. Parlant de Yalta, les Polonais disaient avec amertume que «si l'on n'est pas à la table (des négociations), c'est que l'on est au menu». Pour la France, c'est pire: nous ne sommes même plus dans la carte mentale de notre Grand allié…Que le Général Mattis n'ait pas été d'accord avec le Président ne change rien à l'avanie insigne que nous subissons. L'Empire ignore superbement ses limes. Car l'essentiel pour lui est ailleurs: les forces spéciales américaines quittent la Syrie car Trump est un vrai réaliste. Il a compris qu'il était urgent d'enfoncer un coin dans l'alliance tactique mais bien réelle entre Moscou, Téhéran et Ankara, avant que celle-ci ne se consolide trop. Il s'agissait donc de faire plaisir à la Turquie, d'où le lâchage kurde, la «réflexion» sur l'éventuelle livraison de Gulen, etc. et d'interrompre le raidissement du néo-sultan Erdogan dont le flot de menaces désormais retombe... sur nous, qui aimons trop les Kurdes.

    La Turquie est donc la grande gagnante de la décision américaine de retrait. Une fois encore, elle joue là remarquablement son positionnement «in and out» par rapport à l'OTAN. Le lâchage des valeureux Kurdes par les Américains va les contraindre à tirer leur épingle du jeu en se rapprochant de Moscou - qui mène toujours la danse régionale mais se méfie de ses «alliés» tactiques iranien et turc -, et de Damas qui doit aussi composer avec la présence turque, son soutien aux islamistes et son influence durable dans le pays et la région. Les Kurdes tireront sans doute au mieux parti de ce nœud de vipères mais leur rêve fou d'État a vécu.

    L'Iran en revanche doit s'inquiéter, car le sort que semble lui réserver Washington (via Tel Aviv) ne semble en rien modifié. «Mad dog» (surnom donné au général Mattis) a fait son œuvre et Téhéran est plus que jamais dans le collimateur du Pentagone... et dans la ligne de mire d'Israël, dont Téhéran est de fait le seul véritable concurrent régional à moyen terme (bien plus qu'un adversaire militaire crédible): un rival non arabe, de haut niveau culturel, intellectuel, technologique, industriel et bien sûr potentiellement économiquement supérieur du fait de ses immenses richesses fossiles.

    L'Iran est donc en grand danger. D'autant que John Bolton, le Conseiller à la sécurité nationale, est lui bel et bien toujours là. Il est «augmenté» de ses nombreux avatars et relais néoconservateurs, enivrés de leur propre discours antédiluvien de diabolisation aujourd'hui anti-iranienne et antirusse comme hier anti-irakienne ou antisoviétique. Le départ des Généraux Mattis, Mac Master et Kelly est un affaiblissement temporaire qui renforce sans doute sa détermination.

    Mais ne nous trompons pas encore une fois de diagnostic. On sous-estime gravement Donald Trump depuis son irruption dans le jeu politique américain et son arrivée à la Maison blanche. Il a mis à mal tant de promesses, de plans de carrières et de prébendes qu'il a déclenché une phobie éruptive, des torrents de haine et d'injures parfaitement inqualifiables. Car il gêne. Il est instinctif, impulsif, bravache et surtout, il n'est pas manœuvrable, travers impardonnable dans un système politique et militaro industriel américain qui fait depuis toujours marcher l'occupant de la Maison blanche sinon à la baguette, du moins «au profit général» du peuple américain, mais surtout du gros business… de la guerre notamment.

    On veut donc l'isoler, et accréditer l'idée qu'il a un besoin impératif de tuteur car il ne saurait pas ce qu'il fait. Un être quasi irresponsable en somme, pour lequel d'ailleurs une procédure d'impeachement s'imposerait au nom du salut même de l'Amérique… Mais Donald Trump résiste et il n'est pas «seul». Plutôt un peu isolé mais sans doute très soulagé de s'être débarrassé d'hommes hostiles qu'il n'avait une fois encore pas choisis, et qui prétendaient lui dicter sa conduite en politique étrangère. Allégé de quelques ennemis donc, mais toujours en butte à une invraisemblable curée de l'establishment qui a juré sa perte. Le printemps augure d'un harcèlement redoublé de la part des démocrates notamment. Mais il est convaincu que son agenda est le bon, qu'il doit tenir ses promesses de campagne pour être réélu, que la bourse tangue dangereusement, qu'il lui faut conjurer une nouvelle crise financière qui gronde et tenir la Chine en respect (donc ne pas s'aliéner totalement la Russie) et qu'à tout prendre, mieux vaut combattre une chambre démocrate que républicaine, tant il est vrai que cela porta chance à Clinton puis à Obama. Pour lui en somme, la menace est bien plus intérieure qu'extérieure.

    En amont de ce retrait militaire annoncé, les termes du «deal» (implicite ou explicite?) entre Washington et Moscou pourraient donc bien avoir été: «je quitte peu ou prou la Syrie, et te laisse dominer ce pays, où de toute façon nous avons perdu notre pari de déstabilisation et n'avons plus grand-chose à prendre ou à gagner. Nous reprenons langue sur les sanctions et l'Ukraine, tu retrouves la superbe d'un dialogue entre anciens «Grands», antichambre d'un triumvirat Washington-Moscou-Pékin où tu auras ta place et pourras servir. En échange, tu lâches progressivement l'Iran diplomatiquement et militairement…»

    Il est peu probable que Vladimir Poutine donne dans ce marchandage sans garanties fortes. D'autant qu'à l'inverse des États-Unis, la Russie base son retour diplomatique tonitruant sur la scène mondiale sur sa fiabilité et son respect des engagements pris dans le cadre de ses alliances, qu'elles soient tactiques ou stratégiques. La rivalité russo-américaine est par ailleurs toujours très vivace sur un grand nombre de terrains et de dossiers. Simplement, «la méthode Trump» pour traiter l'ogre russe tranche d'avec l'hostilité fossilisée de l'appareil militaro-politique américain, qui n'a d'ailleurs jusqu'ici abouti qu'à un rapprochement accéléré et dangereux de Moscou avec Pékin (dont l'Europe fera in fine les frais) et à la bascule de «clientèles» africaines et orientales que l'Amérique croyait pouvoir conserver à sa botte ad vitam aeternam.

    Sans parler du retour du Qatar dans le jeu, adossé à l'axe Moscou-Téhéran-Ankara, qui ruine les efforts saoudiens pour l'ostraciser, et force Washington à ménager la chèvre et le chou pour faire pression et tenter de contrôler son pion à Ryad, le jeune prince MBS, qui se croit tout permis, et contrer le vieux mais toujours puissant Roi Salman qui, lui, ne met pas tous ses œufs dans le même panier et lorgne vers Moscou pour sa sécurité.

    Et puis il y a la Libye, autre théâtre tragique de l'inconséquence occidentale, où Washington ne veut pas se laisser tailler de nouvelles croupières par Moscou, où se replient avec une facilité déconcertante, les djihadistes de Daech, comme Afghanistan. L'Afghanistan où les négociations directes avec les Talibans vont bon train et vont permettre l'allégement du contingent américain… Sans que l'on puisse pour autant parler d'un retrait du Moyen-Orient, où les États-Unis gardent tout de même près de 50 000 hommes.

    Alors, pour la France, fini de jouer. Jouer aux apprentis sorciers face à un islamisme radical que l'on croit lointain et indolore, mais qui inspire chez nous une fraction de la jeunesse en rupture de ban, éclabousse nos rues du sang de nos concitoyens et écartèle la chair malheureuse de notre nation en voie de communautarisation accélérée. C'est la fin de partie et le moment ou jamais de remettre quelques atouts dans notre jeu. Notre choix est simple: soit nous nous réveillons, soit nous disparaissons vraiment du Moyen-Orient et notre plat de lentilles - gagné au mépris de nos convictions, de toute cohérence politique et de notre sécurité intérieure - aura un goût bien amer et peu nourrissant.

    Avec cette décision américaine pourtant, nous avons une belle occasion de «révolution» au sens propre et figuré, de notre stratégie au Levant mais aussi, par onde de choc bénéfique, en Europe. Donald Trump, en effet, nous faisant subitement défaut et montrant le peu de cas qu'il fait de ses alliés, ne peut aucunement nous reprocher de vouloir rester en Syrie. Ce serait le comble, et notre président a raison de lui rappeler tristement la valeur de la fiabilité entre alliés, même si c'est sans doute de l'ironie, quand on songe au nombre de lâchages et renversements d'alliances tactiques opérés par Washington dans l'histoire contemporaine…

    Rester peut-être, sans doute, mais pour quoi faire? Pas pour s'enferrer dans l'erreur, demeurer crânement aveugles et entêtés dans une vision du conflit syrien que tout discrédite. Nous devons donc profiter du changement de pied américain pour parler immédiatement et sérieusement avec Moscou, engager une coopération sécuritaire concrète avec la Russie dans la région, et revenir dans le processus diplomatique avant qu'on ne nous ferme définitivement la porte au nez. Nous en serions alors réduits, toute honte bue, à passer les plats dans une quelconque Conférence de la Paix à Paris, comme lors des «vrais faux» Accords de Rambouillet il y a plus de 20 ans à propos du Kosovo. La France doit absolument être partie prenante de la phase de négociation politico-militaire et diplomatique qui va s'ouvrir et qui sera très délicate, toujours à la merci d'une décision intempestive ou d'une provocation, mais où nous pouvons faire valoir quelques atouts utiles (nos liens avec la Jordanie et le Liban notamment).

    Nous n'existerons pas «en nuisant», comme par exemple en contrant stérilement le processus d'Astana quand celui de Genève patine depuis des années par défaut de représentativité. Nous existerons en manifestant un état d'esprit résolument innovant, désidéologisé, et une volonté de conciliation pragmatique sur la base de la situation de terrain. Nous devons cesser pour cela d'être comme des enfants qui voient tout en noir et blanc et ne veulent pas se résoudre aux «50 nuances de gris» du monde.

    Si on ne saisit pas cette ultime chance, nous serons durablement excommuniés du Levant. Les politiciens qui, après le désastre libyen, ont de nouveau entraîné la France dans un soutien à la déstabilisation du pays et un appui à l'engeance islamiste qui s'est jetée sur lui après une révolte populaire initiale, portent une lourde responsabilité dans le martyre vécu par le peuple syrien depuis bientôt huit ans. Il faut sortir enfin de ce cynisme (dont le réalisme est l'exact opposé certes paradoxal) pour travailler sur le réel, avec l'humain au cœur. Cela nous honorerait et nous sauverait.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 28 décembre 2018)

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  • Rubicon en vue pour Paris et Bruxelles...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré au fossé qui se creuse entre les Etats-Unis et l'Europe et à l'occasion offerte à la France d'affirmer sa souveraineté... Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Rubicon en vue pour Paris et Bruxelles

    On découvre qui l’on a épousé le jour du divorce… Avec l’Amérique, peut-être en sommes-nous là. Notre président s’embourbe dans un marécage qui semble dissoudre ses initiatives les plus audacieuses. Envolées les illusions d’une complicité hors normes, déçues les espérances d’une connivence puissante restaurant le prestige de l’allié français sur la scène mondiale et transformant une vassalisation de fait en dissonance constructive. L’invocation d’une « armée européenne », quelle que soit le flou de la formule et les interrogations abyssales qu’elle ouvre sur le fond, a déclenché l’ire trumpienne avant, pendant et après le Forum de Paris sur la Paix, lui-même entaché d’oublis historiques dommageables à notre influence résiduelle et sans grand effet probable sur la réalité des équilibres du monde et son éventuel apaisement.

    Pourquoi une telle fureur ? Cette « sortie » du président français a mis le doigt sur la plaie : il est juste hors de question pour l’Amérique ‒ celle de Trump comme celle de tous ses prédécesseurs ‒ que l’Europe ose jamais s’affranchir de sa tutelle stratégique et se prenne à rêver de compter par elle-même sur la carte du monde autrement que comme un appendice docile de l’imperium de notre Grand Allié. Le vouloir supposerait en effet, pour atteindre la masse critique, de souhaiter rapprocher enfin l’Union européenne de la Russie, ne serait-ce que sur le plan sécuritaire. Inadmissible pour Washington. Il y est presque plus impensable encore que l’Allemagne se rapproche de Moscou, un cauchemar outre Atlantique. La dépendance allemande envers le gaz russe doit d’ailleurs cesser et le gaz américain s’y substituer. Dès cet été, l’opposition tonitruante et insultante pour Berlin du président Trump au projet Nord Stream 2 en a témoigné sans équivoque.

    L’Europe politique est donc plus que jamais en morceaux. Ce n’est la faute ni de la Russie ni de l’Amérique. C’est la nôtre, même si Moscou comme Washington y trouvent leur compte, et si l’Alliance atlantique creuse joyeusement les lignes de failles internes de notre Union chaque jour plus désunie, par des invites à consentir à notre dépendance sécuritaire et à notre rançonnement collectif via l’achat d’armement américains et des manœuvres militaires pharaoniques nourrissant les craintes folles de certains membres (Baltes ou Polonais). Les scenarii apocalyptiques de l’OTAN mettent en scène une menace russe de grande échelle face à un ennemi hybride et maléfique qui aurait carrément décidé une invasion des abords les plus vulnérables de l’Alliance. La « guerre froide » fait pâle figure à côté de ces délires otanesques. Moscou a bien d’autres préoccupations et projets qu’une telle lubie. La stratégie russe est défensive, ce qui ne veut pas dire insignifiante, naïve ou dénuée d’opportunisme et d’ambition. Cette « puissance pauvre » mais toujours globale n’a pas renoncé à compter, en Eurasie comme en Afrique, et déploie tous azimuts une diplomatie redoutable de subtilité et d’efficacité, car pragmatique, sans idéologie ni dogmatisme.

    Pour Paris donc, après la dernière volée de bois vert reçue à distance, le Rubicon est en vue. Mais pour le franchir, les mots et les images martiales ne suffiront pas. S’ils ne sont pas adossés aux actes, ils creuseront même notre discrédit moral et politique qui n’a pas besoin de cela. Il suffit d’observer la différence de traitement et de réactions occidentales entre les affaires Skripal et Kashoggi pour comprendre que la messe est dite quant aux préoccupations et intérêts véritables de nos États dits modernes et moraux dans leur conception du monde.

    Comment laver un tel discrédit, comment faire oublier ce cynisme au petit pied qui nous fait mépriser de tous côtés et, plus encore, va à l’encontre de nos intérêts au Moyen-Orient comme à l’échelle globale ?

    Dieu merci, le tragique de la marche du monde offre toujours des occasions de rattraper les bévues, même lourdes. Il y a toujours quelque chose d’important ou d’utile à faire pour préserver l’honneur de la France. En l’espèce, il s’agit d’honorer sa signature apposée au bas du JCPOA de 2015, plus connu comme l’accord nucléaire iranien, qui devait permettre le contrôle des ambitions nucléaires de l’Iran contre le retour de ce grand pays dans le concert des nations et le relèvement de son économie. La sortie unilatérale des États-Unis de l’accord, les sanctions économiques renforcées, les tentatives de déstabilisation politique du régime qui affaiblissement très dangereusement le président Rouhani, la diabolisation croissante de la République islamique rendent vital le maintien de la promesse des autres signataires européens de l’Accord de s’y tenir et d’y maintenir Téhéran, qui jusqu’à présent en respecte scrupuleusement les clauses mais dont la patience s’émousse.

    Le mécanisme européen, promis depuis des mois à l’Iran, notamment par Paris, et devant permettre aux pays membres de l’UE de commercer avec lui sans l’imprimatur washingtonien n’est toujours pas actif. « Pas mûr… », dit-on… La France a pourtant le pouvoir et encore l’influence de pousser à sa mise en œuvre effective rapide. Qu’attendons-nous ? Ce test grandeur nature de notre autonomie de décision par rapport à Washington serait décisif aux yeux de Téhéran mais aussi du reste du monde. Ce serait une démonstration de notre détermination à sauver un multilatéralisme mis à mal sur tous les fronts, depuis deux ans, par les États-Unis. Plus concrètement encore, il en va de la sécurité de l’Europe et du monde. Si l’Iran, en effet, était conduit par notre abandon à se dire légitimement délié de ses obligations au terme de l’Accord, la reprise de ses activités nucléaires deviendrait difficilement évitable (ne serait-ce que pour des raisons politiques internes). Celle-ci pourrait être portée par la venue d’un nouveau leadership extrémiste, dont les outrances verbales ouvriraient la voie à une réaction/provocation militaire américaine ou israélienne. Les conséquences sécuritaires d’une telle séquence ne seraient pas, dès lors, circonscrites à l’Iran mais très rapidement régionales voire mondiales. L’Europe aurait fait la preuve ultime de son insignifiance stratégique et le paierait cher à tous points de vue.

    La crise du monde est une crise de confiance, une crise du respect, une crise de la souveraineté. Notre Histoire comme nos institutions nous donnent plus qu’à d’autres, sans doute, la possibilité mais aussi le devoir de nous affirmer comme un rempart contre ce dangereux ensauvagement.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 19 novembre 2018)

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  • Une guerre qui ne dit pas son nom...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les sanctions économiques prises par les États-Unis ou à leur instigation... Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Les sanctions économiques ? Une guerre qui ne dit pas son nom… »

    Dès qu’un pays pose problème, on évoque désormais des « sanctions internationales », lesquelles s’apparentent de plus en plus à des sanctions américaines. Mais quels sont, exactement, le sens et la légitimité de cette politique de sanctions ?

    La politique des sanctions n’est pas une politique. C’est une forme de guerre, qui n’utilise que des moyens « pacifiques » contribuant à brouiller la frontière entre la guerre et la paix. Tout comme le blocus, dont les sanctions constituent la forme moderne, cette guerre s’apparente à la guerre maritime, toujours privilégiée par les puissances thalassocratiques – l’Angleterre autrefois, les États-Unis aujourd’hui –, qui est également une guerre commerciale ou économique : la « guerre au commerce », qu’on appelait autrefois la « guerre de course ». C’est une guerre « totale », non seulement parce qu’elle rejette la distinction classique entre combattants et non-combattants, mais aussi parce qu’elle s’appuie le plus souvent sur une théorie de la guerre « juste », qui assimile l’ennemi à un criminel ou à un délinquant.

    La stratégie navale, on le sait, diffère profondément de la stratégie terrestre. Sur terre, la guerre oppose classiquement des armées étatiques sans viser les personnes civiles, qui ne sont pas traitées en ennemis aussi longtemps qu’elles ne participent pas aux hostilités. La guerre maritime, elle, ne se réduit pas à une confrontation entre marines ennemies ni même entre militaires. Elle ne vise pas seulement les combattants, mais aussi les civils. Elle ne distingue pas, non plus, entre le front et « l’arrière ». Les notions de blocus, de droit de prise, de butin, de capture, qui permettent de s’emparer des propriétés privées de l’ennemi, sont des notions spécifiques de la guerre navale, qui frappe indistinctement toute la population ennemie, tous les ressortissants de l’État belligérant sans distinction d’âge ou de sexe, mais aussi toute société privée ou État neutre qui pourraient être en relation avec l’ennemi ou l’aider à tourner les sanctions.

    Les sanctions de Donald Trump contre Téhéran, par exemple, visent aussi les puissances européennes qui continuent à commercer avec l’Iran, car elles n’ont aucune raison de s’associer à la décision états-unienne de sortir de l’accord nucléaire qui avait été conclu avec ce pays. C’est l’un des traits les plus caractéristiques des sanctions : elles ne reconnaissent pas la neutralité ; quiconque refuse de soutenir les sanctions décrétées par le sanctionneur est pareillement sanctionné à son tour.

    On remarque aussi que les « sanctions » aboutissent généralement à un renforcement des pouvoirs en place plutôt qu’à leur affaiblissement. Ne serait-il pas plus sage, voire plus efficace, d’en revenir à une diplomatie plus traditionnelle ?

    La politique des sanctions, encore une fois, n’est pas une forme de diplomatie mais une forme de guerre. Elle intervient lorsque la diplomatie a abdiqué. Les sanctions visent à provoquer à la fois des effets physiques (la pénurie, l’appauvrissement, la désorganisation de l’économie, l’impossibilité d’exporter ou d’importer) et des effets psychologiques (faire monter le mécontentement dans la population de façon à ce qu’elle fasse pression sur son gouvernement). Cette stratégie repose sur le double postulat que les populations sont vulnérables, car elles dépendent de l’extérieur pour leurs approvisionnements et leurs débouchés, et qu’elles sont en mesure d’influencer leurs dirigeants. Le premier postulat est exact, le second ne l’est pas. Dans la majorité des cas, la population ainsi maltraitée fait porter la responsabilité de son sort sur l’auteur des sanctions et tend plutôt à faire corps avec son gouvernement : au lieu de provoquer la scission entre les dirigeants et les dirigés, les sanctions tendent à les rapprocher. On assiste alors seulement à un durcissement de la situation.

    Le cas des sanctions européennes contre la Russie, pour cause « d’annexion » de la Crimée est intéressant, sachant que la Russie a ensuite pris d’autres sanctions contre les premiers sanctionneurs. Logique infernale ?

    Les États-Unis sont les spécialistes des sanctions : contre l’Iran, contre la Russie, contre la Chine, contre la Corée du Nord, contre le Venezuela et j’en passe. Ces sanctions prennent souvent la forme de l’embargo, qui est aussi un équivalent moderne du blocus. Elles peuvent être de diverses natures (commerciales, financières, économiques, militaires, administratives, technologiques ou purement symboliques) et avoir les motifs les plus différents. Elles n’impliquent pas nécessairement un affrontement idéologique mais sont, évidemment, conformes à la politique étrangère états-unienne : la Russie est sanctionnée pour avoir rendu la Crimée à la Russie conformément au vœu de ses habitants, tandis qu’Israël est libre d’occuper depuis plus de trente ans le plateau du Golan à seule fin d’assurer sa sécurité.

    Les Américains se sont aujourd’hui engagés, avec la Chine et la Russie notamment, dans une absurde spirale de sanctions et de contre-sanctions devenue le principal mode de relation entre anciens partenaires devenus rivaux. Les sanctions ne laissent apercevoir aucune solution aux problèmes de sécurité du continent européen, car ce sont par définition des mesures déterritorialisées. « L’histoire des puissances commerciales offre des cas typiques de politique non territoriale », écrivait déjà Friedrich Ratzel, précurseur de la géopolitique. La mondialisation est, elle-même, une « maritimisation ».

    Le 25 novembre 2016, Jacques Attali déclarait, dans Marianne : « J’ai prophétisé, il y a près de quatorze ans, l’avènement d’un monde nomade, et je crois que celui-ci prend enfin forme. Les puissances thalassocratiques prennent leur revanche sur les puissances continentales, et tout l’enjeu va être pour la France de se mouvoir dans ce nouvel univers. » Nomadisme commercial ou enracinement continental : c’est tout l’enjeu, en effet.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 29 septembre 2018)

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  • Le retour en force des néoconservateurs américains…

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la politique moyen-orientale de Donald Trump... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Donald Trump, ou le retour en force des néoconservateurs américains… »

    Le monde entier semble critiquer le retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien, oubliant qu’il s’agissait de l’une des promesses de campagne de Donald Trump. Emmanuel Macron, après avoir tenté de faire changer d’avis le président américain, s’est vu renvoyer dans les cordes. Quelles conséquences ?

    La décision délirante de Donald Trump ne peut avoir que des effets désastreux, puisque à court terme, elle va renforcer en Iran la position des plus « durs », qui y voient déjà la confirmation qu’on ne peut jamais faire confiance aux Occidentaux, et qu’à moyen terme, elle peut tout simplement déclencher une nouvelle guerre. (Souvenons-nous qu’en 1941, le Japon avait été poussé à l’entrée en guerre à la suite de l’embargo maritime américain sur son pétrole et son acier.) Trump a, en revanche, été applaudi par Israël, pays qui possède plus de 200 têtes nucléaires braquées en permanence sur Téhéran et qui prétend lui interdire tout accès à l’arme nucléaire alors qu’il s’en est doté lui-même de manière illégale et n’a jamais autorisé le moindre contrôle international de ses propres installations.

    Cette décision, qui confirme que la politique étrangère des États-Unis est à nouveau passée sous le contrôle des néoconservateurs, est aussi et peut-être surtout une véritable déclaration de guerre aux pays européens qui se voient intimer l’ordre de violer à leur tour un accord multinational qu’ils ont mis des années à négocier, et que l’Iran a jusqu’ici scrupuleusement respecté, sous peine d’exposer leurs entreprises à d’énormes sanctions. Les Américains montrent ainsi le mépris dans lequel ils tiennent leurs partenaires au sein de l’Alliance atlantique.

    Du coup, c’est l’heure de vérité pour une Europe dont les entreprises ont déjà massivement investi là-bas : peut-elle et a-t-elle la volonté politique de tenir le coup face au diktat de la Maison-Blanche ? Tout cela profitera-t-il finalement à Pékin, qui est déjà le premier partenaire commercial de Téhéran ?

    L’Union européenne a fait savoir qu’elle envisageait quelques timides mesures de rétorsion et qu’elle allait demander aux États-Unis de bien vouloir autoriser quelques « exemptions ». La vérité est qu’elle n’en fera rien ou que cela ne débouchera sur rien : PSA et Total se sont d’ailleurs déjà couchés, preuve que ces entreprises ne se font aucune illusion sur les dirigeants de l’Union européenne. La seule réponse efficace serait, pour les Européens, d’annoncer solennellement que, désormais, ils ne reconnaissent plus l’extra-territorialité des lois intérieures américaines. Mais personne n’osera le faire. L’affaire est donc pliée d’avance.

    La Chine sera sans doute la première à profiter du retrait des entreprises européennes en Iran, ce qui ajoutera encore à sa spectaculaire montée en puissance. En parité de pouvoir d’achat, son PIB est d’ores et déjà supérieur à celui des USA, dont elle est aussi le premier créancier étranger (1.200 milliards, sur les 20.200 milliards de dettes fédérales). La Chine dispose à la fois de l’étendue, du nombre, de la puissance et d’une très active diaspora. Déjà en guerre économique et technologique avec les États-Unis, son alliance avec la Russie est plus solide qu’on ne le dit généralement. Son projet de nouvelle « route de la soie », dit projet OBOR (One Belt One Road), témoigne de sa volonté de se désenclaver de son environnement montagneux et de sa façade maritime limitée pour renouer avec sa tradition d’expansion commerciale vers l’Europe et l’Asie.

    Avec Trump, nous assistons au renforcement de l’axe Washington-Riyad-Tel Aviv, à savoir trois capitales n’ayant lutté que de loin contre l’État islamique – quand elle ne le finançait pas, pour ce qui concerne la deuxième. C’est un fait nouveau ?

    C’est surtout un éclaircissement des fronts. On a désormais, d’un côté, un axe Washington-Riyad-Tel Aviv (si le jeune prince saoudien n’est pas assassiné à court terme), de l’autre un axe Moscou-Damas-Téhéran. D’un côté les sunnites, de l’autre les chiites. Bien entendu, je simplifie. La Russie n’a pas l’intention d’affronter directement les Israéliens (avec plus d’un million d’individus, les Juifs d’origine russe constituent la première communauté juive en Israël), les intentions de la Turquie restent comme d’habitude labyrinthiques et, d’autre part, le maillon faible de l’axe n° 1 est de toute évidence l’Arabie saoudite. Mais géopolitiquement, cette confrontation a un sens. Dans de telles conditions, l’intérêt politique, stratégique et civilisationnel de la France et de l’Europe serait de toute évidence de se tourner vers l’Est, c’est-à-dire de rompre son allégeance aux États-Unis et de se solidariser de l’ensemble continental eurasiatique. Mais c’est, précisément, le moment que semble avoir choisi Emmanuel Macron pour multiplier les signes d’allégeance atlantiste – ce qui est dramatique.

    Le 4 octobre 2016, un mois avant l’élection de Donald Trump, le général Mark Milley, alors chef d’état-major de l’armée américaine, affirmait : « Une guerre future de haute intensité entre des États-nations de grande puissance est pratiquement certaine. Elle sera très hautement mortelle. » Et pour qu’on comprenne bien, il ajoutait : « Ne vous y trompez pas, l’armée américaine détruira n’importe quel ennemi, n’importe où, n’importe quand. » Nous voilà prévenus.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 14 juin 2018)

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  • Europe : Sortir de l’enfance stratégique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à la situation géopolitique du moment qui offre à l'Europe la possibilité de prendre (enfin...) son indépendance stratégique... Docteur en science politique, au diteur de l'IHEDN, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Europe : Sortir de l’enfance stratégique

    Il était une fois Europe, jeune princesse naïve et capricieuse, enfant gâtée ne voulant grandir à aucun prix. Elle se convainquait chaque jour qu’elle échapperait aux sorcières et autres monstres malfaisants du vaste monde si elle se soumettait gentiment à son Prince charmant. Celui-ci l’isolait dans une tour imprenable, mais, fièrement juché sur son blanc destrier de redresseur de torts universels, maniait aussi vaillamment l’épée autour d’elle. Pour son bien naturellement, il l’empêchait de se faire des amis, décidait de ses fréquentations, de ses projets et même de ses rêves. Son autorité implacable lui faisait si peur qu’elle subissait ce joug avec docilité, le confondant avec une protection sûre et amicale. Le jour de la déception vint lorsqu’elle comprit enfin, à force d’avanies, que son sauveur n’était qu’un rustre égoïste et jaloux qui faisait le vide autour d’elle, se moquait bien de ses rêves de liberté et de grandeur, et l’entraînait dans des impasses dangereuses pour sa vertu comme pour ses intérêts. Elle résolut alors de lui échapper et de grandir enfin, la vue dessillée mais sans rancune, sortant dans un même mouvement de l’enfance et de l’ignorance, déterminée à se faire une place à elle dans le monde des Grands… Elle ne se maria pas, mais eut beaucoup d’enfants.

    Nous en sommes là. La dernière « crise » déclenchée par la sortie américaine de l’accord sur le nucléaire iranien est l’occasion pour l’Europe de faire enfin sa crise d’adolescence. Sortir de l’enfance stratégique est urgent. Il nous faut « tuer le père » pour savoir qui nous sommes et pouvons être. Comment faire ? Est-il possible de conquérir notre indépendance sans fracas, sans éclat, d’instaurer et de démontrer la légitimité d’une distanciation douce vis-à-vis de notre flamboyant tuteur américain, premier stade de l’autonomie de pensée et d’action ? Comment s’émanciper sans déclencher un mélodrame et surtout des réactions vengeresses ? L’Amérique a toujours confondu alliance et allégeance, amitié et servilité. Ce qui est bon pour elle s’impose à ses alliés, même si c’est aux antipodes de leurs intérêts propres. Le mythe du ruissellement de la richesse s’applique. Elle prend les meilleurs morceaux, eux les rataillons, et ils doivent encore s’incliner et remercier. Pourquoi ? Nul ne le sait plus. Parce que les États-Unis furent notre allié décisif durant les deux guerres mondiales ? Mais la Russie aussi…

    L’Europe fait donc face à un choix qui n’est ni facile ni naturel. La faiblesse est naturelle, le courage l’exception. L’Europe est surtout divisée sur à peu près tous les sujets… C’est donc une révolution culturelle et mentale qu’elle doit oser, en prenant conscience de l’énormité du dernier camouflet que vient de lui infliger Washington qui a joué à quitte ou double… et a, semble-t-il, perdu. L’Amérique cherchait à polariser ses alliés-vassaux autour d’elle dans la désignation d’un nouvel ennemi après avoir connu un succès mitigé dans la diabolisation de Moscou ? Elle n’a pour l’instant réussi qu’à les polariser contre elle.

    L’Europe doit donc changer de posture pour changer enfin de stature et de statut dans le concert international et d’abord aux yeux des Américains. La servilité en effet ne suscite que mépris et indifférence. On rétorquera que c’est trop dangereux, que nos entreprises vont se faire de nouveau attaquer et mettre à l’amende si elles osent l’insoumission à l’extraterritorialité du droit américain. Mais le principe actif des sanctions s’est dissous dans leur application outrancière. En Iran comme en Russie, trop de sanctions tue les sanctions et provoque la résistance entêtée du sanctionné et de tous ceux qui subissent de plein fouet les dommages collatéraux de sa mise à l’index. Les États-Unis jouent sur la division des Européens pour semer la peur parmi leurs gouvernements et entreprises. Si Bruxelles protégeait aussi son marché, menaçait de boycott et imposait de très lourdes sanctions aux opérateurs américains en cas de représailles américaines envers des entreprises commerçant avec l’Iran ou la Russie, que ferait-elle de si scandaleux finalement ? Elle imiterait juste le président américain dans sa tactique de mise sous pression maximale du concurrent commercial avant l’entrée en négociation…

    Et puis… le cynisme du discours occidental sur Le Bien, Le Mal, la morale, le terrorisme est si patent qu’il a perdu toute crédibilité. Ce n’est pas l’Iran qui commet depuis vingt ans des attentats terroristes en Europe, ce sont bien les groupuscules islamistes sunnites que l’Occident tolère ou appuie dans tout le Moyen-Orient depuis près de quarante ans. C’est bien l’État islamique (EI) qui vient de revendiquer l’attentat en plein Paris de l’un de ses soldats hébétés. C’est l’EI toujours, qui renaît au Yémen de ses prétendues cendres (plutôt des braises encore bien rougeoyantes), et dont la Coalition néglige la réduction définitive, préférant braquer le projecteur sur la Perse qu’il faut estourbir sans attendre pour tenter de renverser un rapport de force régional défavorable à force d’entêtement dans des alliances incohérentes.

    L’axe Washington-Tel Aviv-Riyad concentre sa vindicte sur Téhéran, source désignée du mal, qui sert en fait de leurre permettant d’escamoter le véritable scandale : les États-Unis et la Grande-Bretagne ‒ comme la France malheureusement ‒ ont soutenu durant des années les succédanés de l’ogre officiel Al-Qaïda qui pourtant fit tomber les tours jumelles de New York, secoue depuis la planète de centaines d’attentats, l’ensanglante de dizaines de milliers de morts à l’occasion des conflits irakien, libyen et syrien… que l’Occident a déclenchés ou favorisés. On a donc atteint les limites du cynisme. Le « plus c’est gros, plus ça passe » ne marche plus ; d’autant que, dans ce capharnaüm oriental, La Russie a beau jeu d’avancer ses pions en marchant sur les plates-bandes américaines, cherchant notamment avec Riyad des accords commerciaux, militaires et même politiques (dans la perspective du règlement du conflit syrien, puisque l’Arabie saoudite patronne toujours bien des « rebelles »). Quant à la Chine, elle observe avec gourmandise la foire d’empoigne de ces Occidentaux trop pressés, et attend de voir avec qui finalement elle assurera ses intérêts énergétiques et sa pénétration économique de l’Europe, et sur quels points d’appui moyen-orientaux.

    La question urgente est désormais celle de la forme optimale du système de gouvernance mondiale. Si ce n’est plus l’ONU, alors quoi ? La loi du plus fort, celle de la jungle, celle du pur argent, celle d’une réalité virtuelle se substituant à celle qui nous dérange ou que l’on ne veut pas comprendre ? Notre entêtement à vouloir à tout prix que les relations internationales obéissent à des principes moraux nous rend incapables d’analyser le réel, d’agir sur lui et de voir le prosaïsme structurel du jeu international. Mais il nous empêche aussi, paradoxalement, de prendre des décisions humaines alors que nous nous targuons de défendre urbi et orbi nos « valeurs ». Or les grandes déclarations de principe sur l’avènement souhaitable de la démocratie au Moyen-Orient, sur les « bouchers » et autres « dictateurs sanguinaires » font le jeu des pires phalanges terroristes et beaucoup, beaucoup de morts, jusque chez nous. Ce discours faussement irénique nourrit la dislocation des États laïcs multiconfessionnels et justifie les régressions politiques dangereuses que sont le communautarisme et la confessionnalisation des antagonismes sociaux, vendus aux masses comme des moteurs d’affirmation identitaire et de liberté, alors que ce sont ceux de leur soumission ultime.

    Et l’Europe dans ce magma ? Ne peut-elle enfin apprendre à dire non à Washington et voir qu’il en va de son intérêt politique, économique, culturel et stratégique de mettre à profit sa position médiane entre Washington et Moscou, piliers d’un Occident janusien qui a du mal à se concevoir dans sa globalité. Faut-il rappeler que (même) le Donald Trump de 2016, en businessman réaliste et de bon sens, l’avait compris qui voulait un véritable reset de la relation avec Moscou… avant qu’on ne le remette dans le droit chemin de l’anti-russisme primaire. L’alignement et la servilité ne sont pas une fatalité. Surtout pour la France qui n’a rien à y gagner, mais doit comprendre qu’elle a une place particulière aux yeux du monde. Quand Paris se trompe, se fourvoie, se couche, c’est un peu de l’espoir secret des autres Européens – et de bien des pays du monde qui croient encore en notre singularité et en notre capacité à sortir du rang – qui s’étiole.

    Ultimement, si l’Europe veut exister stratégiquement, si elle souhaite enfin compter et être crue quand elle s’engage dans un conflit ou une médiation, elle doit faire sauter le tabou qui brûle toutes les lèvres : celui de l’OTAN. L’Alliance atlantique est-elle à jamais LA structure « naturelle » garantissant la sécurité européenne ? Peut-être est-ce vrai en matière de défense du continent contre une véritable agression (pas contre la construction délirante d’un bellicisme russe justifiant nos propres déploiements menaçants type pays baltes…). Certainement pas en matière de déploiement à l’extérieur, car l’OTAN, de fait dominée et dirigée par Washington depuis toujours et à jamais, est avant tout au service de la politique étrangère des États-Unis.

    Tant que l’UE ne sera pas capable d’évaluer le degré d’adéquation des mécanismes et décisions de l’Alliance avec les siens propres, d’affirmer l’obligation d’inscrire ses opérations dans un cadre onusien et surtout la nécessité pour elle de compter en tant qu’acteur stratégique autonome face aux États-Unis, à la Russie et à la Chine, elle demeurera mineure stratégiquement. Pour sauver l’Europe, il faut donc oser éliminer les tares de naissance qui la minent depuis l’origine et ne sont pas que psychologiques. L’esquive interminable de la question pourtant cardinale de la souveraineté collective sous prétexte que l’économie finirait par entraîner la convergence politique n’est plus tenable. Il faut s’y atteler et définir les contours et limites de cette souveraineté complémentaire, dans le respect scrupuleux de celle des États membres.

    Certains Européens objecteront que la sujétion atlantique fait leur affaire car ils n’ont pas les moyens militaires de cette indépendance ? Fort bien. Mais nous, oui. C’est donc à nous d’initier le mouvement d’émancipation et nous ferons école progressivement, lorsque l’intérêt d’une position propre deviendra évident pour échapper à la vaste manœuvre américano-chinoise de réalignement du monde autour de leur nouveau duo-pôle. Que nous a d’ailleurs sérieusement apporté depuis dix ans la réintégration du commandement militaire intégré de l’Alliance ? Cette question ne peut plus être éludée par un pays comme le nôtre. Ou alors il faut cesser de prétendre à une influence quelconque en Europe, au Moyen-Orient ou en Afrique et admettre une destinée de supplétif progressivement dissous dans une prétendue « solidarité euro-atlantique » qui n’est que l’autre nom de la soumission et du renoncement.

    Partir demande parfois du courage. Rester peut éventuellement se justifier mais requiert une véritable analyse, pas simplement des cris d’orfraie sur « l’impensable » et « l’évident ». Rien n’est plus évident. Les cadres stratégiques de pensée de l’après-« guerre froide » ont tous implosé, et nous rassurer en enfouissant la tête dans le sable ne nous apportera rien d’autre que l’asphyxie. Encore une fois, il ne s’agit nullement d’embrasser la Russie sur la bouche ou de jeter le gant à Washington. Il s’agit d’avoir conscience de soi, de ce que l’on est, de ce que l’on représente, de ce que l’on peut et doit faire pour concourir à un apaisement global des foyers de tension de plus en plus nombreux et à une intelligence du monde et des hommes. Il s’agit de s’en donner les moyens, au risque de l’impopularité immédiate qui est presque toujours la première marque de la grandeur d’une décision. Disruptive indeed !

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 16 mai 2018)

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