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  • Plaidoyer pour la puissance...

    Les Presses Universitaires de France viennent de publier dans leur collection Major un ouvrage de Pascal Gauchon, intitulé Géopolitique de la France - Plaidoyer pour la puissance. L'auteur, ancien élève de l'Ecole Normale supérieure, agrégé d'histoire, est professeur en classe préparatoire et est l'auteur de nombreux ouvrages ou manuels dédiés à la géopolitique ou à la géoéconomie. Nous reproduisons ci-dessous la recension faite de ce livre par Philippe Cohen, sur le site de Marianne.

     

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    " [...] Pour la première fois en France, un livre proposant « Une géopolitique de la France », paraît. Son auteur, Pascal Gauchon, est le fondateur du Festival de géopolique de Grenoble. Son ouvrage est moins scolaire – il est destiné notamment aux élèves préparationnaires des classes préparatoires – qu’il n’y paraît, et la pédagogie y cède souvent à quelques saillies iconoclastes. La problématique de la géopolitique ? Montrer en quoi le destin d’un pays découle en partie de sa situation géographique. C’est ainsi que Pascal Gauchon perçoit la France comme un pays béni des Dieux, qui bénéficie d’une double ouverture sur les mers et le continent. Son extrême centralisation proviendrait de sa diversité, et nous aurait doté d'un « sacré » tournant autour de l'Etat, tandis que les Etats-unis se seraient polarisés sur leur constitution, les Allemands sur leur langue et les Anglais sur leur royauté.

    L'auteur se moque gentiment des armées de déclinistes qui peuplent le paysage intellectuel français depuis quelques années. Ceux qui sont réfractaires à cette dialectique trouveront dans l'ouvrage quelques munitions bien affutées pour leur livrer bataille. Ainsi Pascal Gauchon nous apprend-t-il que le patrimoine de la France - addition des possessions des administrations, des entreprises et des particuliers - représente quelques 12 513 milliards d'euros, soit cinq fois le PIB. Ce patrimoine a doublé depuis 1978. Et la France occupe le même rang mondial - cinquième pour le PIB - qu'en ... 1900. Le déclin est en route, mais il ne se presse pas...

    Patiemment, comme on parle à un grand malade - l'anxiété est palpable dans le pays, et l'auteur émet même des hypothèses à ce sujet - Pascal Gauchon égrène tous les chiffres et les données - avec quelques cartes et tableaux - qui montrent que le déclin de la France n'est ni patent ni inéluctable. L'agriculture, qui occupe encore 53% du territoire, a donné à la France un socle de puissance que la conjoncture historique qui valorise le pouvoir vert et maritime (11 millions de km2 dont seulement 300 000 en Europe, soit la deuxième zone économique exclusive du monde). Son industrie, affirme l'auteur, est moins malade qu'on ne le croit. D'abord parce qu'elle a de beaux restes, dans le nucléaire, le BTP, la pharmacie, l'automobile, et bien sûr le luxe. En témoigne le rang enviable des multinationales françaises. En fait, notre faiblesse, selon l'auteur, réside davantage dans nos emplois industriels que dans notre industrie en tant que tel. Et l'anxiété des Français face à la mondialisation ne témoigne pas d'une France fermée mais d'un pays, au contraire très ouvert sur le monde, tant sur le plan de l'économie que celui de l'immigration, mais dont les habitants souhaitent malgré tout rester eux-mêmes. Quoi de plus légitime pour un vieux pays qui ne ne compte pas pas moins de 15 milliards de cadavres dans ses cimetières ?"
     
    Philippe Cohen (Marianne2.fr, 20 mars 2012)
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  • Que reste-t-il du paysan ?...

    Alors que le salon de l'agriculture ne va pas tarder à fermer ses portes, après avoir vu passer la quasi-totalité des candidats à l'élection présidentielle, nous vous proposons de lire le point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacrée à la France rurale, elle aussi frappée par la mondialisation...

     

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    Salon de l'agriculture : que reste-t-il du paysan ?

    Nombreux sont les candidats à l’élection présidentielle, qui se pressent au Salon de l’agriculture, comme pour recevoir une onction, une légitimité quasi sacrée. On ne manque pas de souligner le paradoxe, entre le poids électoral déclinant des campagnes, et l’inflation rhétorique et symbolique qu’entraîne une telle immersion dans la « plus grande ferme de France ». Il est vrai que le nombre d’exploitations agricole n’a fait que chuter depuis plus d’un siècle, pour s’accélérer ces quarante dernières années. D’1,6 million en 1970, elles atteignent 600 000 en 2003, puis 500 000 en 2010. Leur surface s’accroît, augmentant en moyenne, en dix ans, de 13 hectares. Près d’un million de personnes en vivent, quand, en 1945, c’était près de dix millions d’actifs. L’économie de subsistance a laissé la place, à partir des années 50, avec le plan Marshall, et avec l’aide de l’Etat, puis de l’Europe, à une gestion productiviste ouverte sur le marché international. La France, autosuffisante en 1970, est le premier exportateur de produits agricoles et alimentaires européen, et le deuxième dans le monde. L’agriculture intensive n’a pas été seulement la cause d’un changement de vocabulaire, substituant administrativement l’appellation « paysan » par « exploitant agricole », plus fonctionnelle. Les contraintes de cette « modernisation » ont entraîné une révolution dans le rapport à la terre. Les investissements en matériel, engrais, produits phytosanitaires ont transformé l’agriculture en source de rentabilité, au même titre que n’importe quelle autre entreprise. La quête de capitaux est devenue cruciale, la dépendance aux banques, aux primes et à la fluctuation des marchés un souci permanent. L’agriculture est un secteur protégé, et en même temps libéral, ce qui ne manque pas de susciter des tensions, repérables notamment dans la mise en cause de la FNSEA par d’autres syndicats moins proches du pouvoir. C’est aussi le paysage et l’environnement qui pâtissent de ce bouleversement : la concentration des propriétés entraîne en effet l’arrachage des haies, la concentration des surfaces agricoles, le déboisement, et l’usage intensif des engrais et pesticides, dont la France est le second consommateur après les USA, ce qui n’est pas sans provoquer une pollution endémique des voies d’eau et des terres. Là aussi, un mélange de fierté et de culpabilité mine la conscience « paysanne ». Enfin, cette modernisation, comme dans l’ensemble de la société, a créé de profondes inégalités. Un quart des agriculteurs se situent au-dessous du seuil de pauvreté, et le taux de suicide est plus élevé que partout ailleurs. Qui a côtoyé de près le monde rural sait combien de situations de détresse y abondent, sans que ces drames n’attirent l’attention des médias, obnubilés par les « problèmes des banlieues ».

    Libre-concurrence et protection

    La condition agricole se trouve donc ambivalente. D’un côté d’indéniables réussites économiques, de l’autre des difficultés qui tiennent autant à la mondialisation de l’économie qu’aux nouveaux besoins suscités par le changement de civilisation induits par la « modernité ».

    En 1995, le Groupe d’étude britannique de la PAC (Politique agricole commune) proclamait : « En ce qui concerne la réforme de la PAC, il n’existe aucune raison de traiter les agriculteurs différemment d’autres opérateurs économiques relativement aux changements de politique qui les touchent. » Ce discours, redondant de la part d’une Nation qui a sacrifié son agriculture en 1846, par les « corns laws », en décidant le libre-échange généralisé avec l’Empire, revendications appuyées parfois par des pays, comme une Allemagne qui a choisi l’industrie, ou comme les USA qui font pression agressivement sur la Commission de Bruxelles pour ouvrir le marché aux OGM, aux hormones, non sans complicité de cette dernière, et non sans hypocrisie, puisque le marché américain est surprotégé, rappelle combien l’avenir de l’agriculture française, dépendante d’aides qui la lient, est sans cesse en danger de précarité. Du reste, de nombreux secteurs, soumis aux pris bas de produits importés, comme le lait ou l’agneau, subissent les conséquences d’une ouverture des frontières excessive. La revendication française de protection d’un secteur florissant n’est pas sans rappeler les enjeux qui sont ceux de la culture et du cinéma. Les ennemis sont toujours les mêmes, à savoir les anglo-saxons et l’OMC, qui, parfois, se servent des pays émergents pour miner les défenses européennes (par exemple la question de la commercialisation des bananes).

    La France et la terre

    Toutefois, en ce qui concerne la France, on conviendra que la défense du PAC dépasse la simple question économique. Non sans paradoxe. Car, comme on l’a vu, la modernisation énergique et systématique de l’agriculture a été la cause d’un changement profond de la condition paysanne qui est loin de correspondre à ce qu’elle était il y a seulement un siècle. Nous touchons là un sujet qui est lié à l’imaginaire, et plus largement à un enjeu culturel au sens large. Le ministre de l’agriculture de l’année 2003, Hervé Gaymard, ne déclarait-il pas : « […] ce qui est en cause dans les négociations communautaires et internationales n’est rien moins que la sauvegarde d’un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. »

    Les Romains notaient déjà le caractère profondément agricole des Gaules, et sa richesse. Gaston Roupnel, en 1932, remarquait, dans son merveilleux ouvrage, l’« Histoire de la campagne française » : « Car ici l’homme est fils du sol qui lui grava et lui colora les traits de sa face et de son âme. Ici, c’est sans cesse et partout que la terre « s’est faite homme ». En cette Europe de l’Ouest, nous n’avons de race que d’être les descendants du défricheur primitif. » Mais la France, c’est aussi la civilisation latine, l’esprit romain, qui, comme l’on sait, gardait profondément comme référence nostalgique le paysan du Latium, homme rude, simple, vertueux, modèle du citoyen de l’Urbs, et symbole de la domestication de la nature sauvage, principe qui a transformé nos paysages en « jardin ». Dans les Géorgiques, Virgile en fait l’éloge :

    « Le laboureur ouvre sa terre, avec le soc.
    De là, sueur au front, il nourrira toute une année
    Patrie, enfants, troupeaux, les bœufs ses compagnons.
    Point de repos qu’en leur saison les fruits n’abondent
    Et le croît du bétail et les gerbes de chaume
    Et la moisson, lourde au grenier comme au sillon. »

    Nous trouvons là une image qui perdure dans le « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », de Sully, et dans les représentations iconographiques abondantes, du paysan intégré à l’ordre cosmique, soumis humblement aux travaux des saisons, suivant sagement, impassiblement les usages de sa condition, comme nous le suggèrent les miniatures vives des « Très riches heures du duc de Berry », ou le tableau de Bruegel l’Ancien, qui montre un laboureur absorbé par le sillon que trace le soc, tandis qu’à l’horizon, un Icare, victime de sa démesure et de son agitation imprudente, chute dans la mer infinie où voguent les vaisseaux.

    La France agricole est en effet cet « Empire du milieu » d’Occident, qui fait écho à la Chine. Elle abrite dans ses entrailles, comme le faisait remarquer Chaunu, le plus grand nombre de morts au monde. Elle est une terre bénie des dieux, singulièrement propice à toutes les variétés de productions agricoles, elles-mêmes reflets de types sociaux et culturels, souvent singularisés par une langue, un patois, qui ont fait de notre pays une contrée aux innombrables pays, et, malgré cela, un Etat fort et concentré. C’est cette originalité, cette personnalité que représente le maintien d’un monde agricole diversifié, et en même temps profondément attaché à la Nation française. Il n’est pas indifférent que Jeanne d’Arc fût une paysanne.

    Un imaginaire frappé par la modernité

    Néanmoins, nous voyons ce que nous avons perdu par l’exode rural. Des parlers se sont évanouis faute de locuteurs, ou abandonnés par les jeunes générations fascinées par la modernité. Des modes d’existence, des liens de solidarité, des complicités de village, des sensations mêmes, liées à un vocabulaire spécifiques, ont été irrémédiablement détruits par ce que l’on pourrait considérer comme un ethnocide. Les jeunes agriculteurs, rejoints par les « néo-ruraux », qui font monter le prix de l’habitat, cernés par la spéculation foncière, les aménagements des voies publiques, ne présentent plus guère de différence de vie, de consommation et de goût, avec les jeunes urbains. Après le formica des pères, c’est internet ou la télévision, le supermarché de la ville voisine ou la discothèque du samedi soir qui ont vite fait s’uniformiser les esprits. Le rapport à la terre s’est distancié. Du haut de tracteurs de plus en plus volumineux, ou à bord de quads pétaradants, le contact avec la glèbe n’est plus le même. On fait appel désormais à des sociétés pour ensemencer, et les semences elles-mêmes sont protégées par des brevets, ce qui interdit d’utiliser les graines qui résultent des plantes dont elles sont le produit. Au point que l’on se demande si le symbole d’un enracinement ancestral possède encore quelque justification. Mais qui dira ce que les symboles recouvrent encore au fond des consciences ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 26 février 2012) 

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  • Pour en finir avec la Françamérique !...

    Les éditions Ellipses viennent de publier un court essai de Jean-Philippe Immarigeon, intitulé Pour en finir avec la Françamérique !. Avocat, bon connaisseur des Etats-Unis, Jean-Philippe Immarigeon est l'auteur de plusieurs essais d'une grande lucidité comme American parano (Bourin, 2006), Sarko l'Américain, (Bourin, 2007) ou L'imposture américaine (Bourin, 2009).

     

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    "Coincés entre le mythe d’une civilisation commune et un modèle de puissance idéalisé, les Français s’accrochent au rêve utopique d’une Amérique en charge des affaires du monde. Mais pourquoi maintenir à tout prix un lien essentiellement affectif et ne pas envisager à notre tour notre indépendance, à l’heure où les États-Unis ne sont plus capables de tenir leur rang ?"

    Au sommaire :

    Préface

    1. Du rêve et des rêveurs

    Y’a bon, l’Amérique !

    Du rêve atlantique au virus atlantiste

    2. Bécassine à New York

    BHL et les Indiens

    La nation infalsifiable

    3. Deux siècles et demi de mésalliance

    L’ennemi français dans la construction de l’identité américaine

    Le malentendu Tocqueville

    4. Au pays des grands cowboys dépressifs

    Déprime et dystopie

    De la Tea Party au Tea Party

    5. Désinventer l’Amérique

    Prétendre éclairer le monde à la chandelle

    Unfriends .

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  • Un sentiment de dépossession...

    Vous pouvez regarder ci-dessous un extrait de l'émission de Frédéric Taddeï, Ce soir ou jamais, diffusée le 7 février 2012 sur France 3. Richard Millet tient des propos assez tranchants sur la perte d'identité de son pays. En face, chez les autres invités, on commente ses propos avec la commisération qu'on accorde à un malade qui ne sait pas ce qu'il dit... et on passe à autre chose...

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  • La France serait-elle suicidaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous l'appel d'un collectif d'écrivains et de philosophes, publié dans Le Monde (9 février 2012), qui prend la défense des humanités et de la culture générale, forcément inutiles dans un monde dominé par l'idée de rentabilité...

     

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    En renonçant aux humanités classiques, la France renonce à son influence

    Est-ce que la France serait devenue suicidaire ? En quelques mois, plusieurs sentences sans appel sont tombées, sans qu'on sache vraiment qui est à la manoeuvre : suppression de la culture générale à l'entrée de Sciences Po ; invention, digne des Monty Python, d'un concours de recrutement de professeurs de lettres classiques sans latin ni grec ; disparition de l'enseignement de l'histoire-géographie pour les terminales scientifiques...

    Autant de tirs violents, sans semonce, contre la culture et contre la place qu'elle doit occuper dans les cerveaux de nos enfants et des adultes qu'ils seront un jour. Une place qu'on lui conteste aujourd'hui au nom du pragmatisme qu'impose la mondialisation. Mais quel pragmatisme, au moment où, partout dans le monde, de la Chine aux Etats-Unis, l'accent est mis sur la culture et la diversité de l'éducation, le fameux soft power ?

    En bannissant des écoles, petites ou grandes, les noms mêmes de Voltaire et de Stendhal, d'Aristote et de Cicéron, en cessant de transmettre le souvenir de civilisations qui ont inventé les mots « politique », « économie », mais aussi cette magnifique idée qu'est la citoyenneté, bref, en coupant nos enfants des meilleures sources du passé, ces « visionnaires » ne seraient-ils pas en train de compromettre notre avenir ?

    Le 31 janvier s'est tenu à Paris, sous l'égide du ministère de l'éducation nationale, un colloque intriguant : « Langues anciennes, mondes modernes. Refonder l'enseignement du latin et du grec ». C'est que l'engouement pour le latin et le grec est, malgré les apparences, toujours vivace, avec près de 500 000 élèves pratiquant une langue ancienne au collège ou au lycée. Le ministère de l'éducation nationale a d'ailleurs annoncé à cette occasion la création d'un prix Jacqueline de Romilly, récompensant un enseignant particulièrement novateur et méritant dans la transmission de la culture antique. Quelle intention louable !

    Mais quel paradoxe sur pattes, quand on considère l'entreprise de destruction systématique mise en oeuvre depuis plusieurs années par une classe politique à courte vue, de droite comme de gauche, contre des enseignements sacrifiés sur l'autel d'une modernité mal comprise. Le bûcher fume déjà. Les arguments sont connus. L'offensive contre les langues anciennes est symptomatique, et cette agressivité d'Etat rejoint les attaques de plus en plus fréquentes contre la culture dans son ensemble, considérée désormais comme trop discriminante par des bureaucrates virtuoses dans l'art de la démagogie et maquillés en partisans de l'égalité, alors qu'ils en sont les fossoyeurs.

    Grâce à cette culture qu'on appelait « humanités », la France a fourni au monde certaines des plus brillantes têtes pensantes du XXe siècle. Jacqueline de Romilly, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, Lucien Jerphagnon, Paul Veyne sont pratiqués, cités, enseignés dans toutes les universités du globe.

    A l'heure du classement de Shanghaï et dans sa tentative appréciable de donner à la France une place de choix dans la compétition planétaire du savoir et de la recherche, la classe politique semble aveuglée par le primat accordé à des disciplines aux retombées économiques plus ou moins aléatoires.

    Le président de la République, pour qui les universités américaines constituent un modèle avoué, devrait méditer cette réalité implacable, visible pour qui fréquente les colloques internationaux ou séjourne durablement aux Etats-Unis. Que ce soient les prestigieuses universités de l'Ivy League (Harvard, Yale, Princeton...) ou celles plus modestes ou méconnues d'Iowa ou du Kansas, toutes possèdent leur département de langues anciennes.

    Comment l'expliquer ? Par cette simple raison qu'une nation puissante et ambitieuse ne s'interdit rien et surtout ne fait aucune discrimination entre les disciplines, qu'elles soient littéraires ou scientifiques. Ce fameux soft power, ou « puissance douce », consiste à user d'une influence parfois invisible, mais très efficace, sur l'idéologie, les modes de pensée et la politique culturelle internationale. Les Etats-Unis, en perte de vitesse sur le plan économique, en ont fait une arme redoutable, exploitant au mieux l'abandon par l'Europe de cet attachement à la culture.

    Pour Cicéron, « si tu ne sais pas d'où tu viens, tu seras toujours un enfant. » C'est-à-dire un être sans pouvoir, sans discernement, sans capacité à agir dans le monde ou à comprendre son fonctionnement.

    Voilà la pleine utilité des humanités, de l'histoire, de la littérature, de la culture générale, utilité à laquelle nous sommes attachés et que nous défendons, en femmes et hommes véritablement pragmatiques, soucieux du partage démocratique d'un savoir commun.

    Romain Brethes, Barbara Cassin, Charles Dantzig, Régis Debray, Florence Dupont, Adrien Goetz, Marc Fumaroli, Michel Onfray, Christophe Ono-dit-Biot, Jean d'Ormesson, Erik Orsenna, Daniel Rondeau, Jean-Marie Rouart, Philippe Sollers et Emmanuel Todd sont écrivains et philosophes

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  • Le dilemme français...

    Nous reproduisons ci-dessous un article d'Eric Branca publié dans Spectacle du monde et consacré aux choix qui s'offrent à la France en matière de politique étrangère...

     

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    Le dilemme français

    Héritière d’une prestigieuse tradition remontant à l’Ancien Régime, la diplomatie française de la Ve République, sous l’impulsion initiale du général de Gaulle, sut faire entendre une voix originale et respectée. Une voix nonalignée. En dépit d’inflexions de plus en plus sensibles – surtout après la fin de la guerre froide (1991) et le traité de Maastricht (1992) –, les successeurs de Charles de Gaulle, de Georges Pompidou à Jacques Chirac inclus, se sont attachés à inscrire leur action dans une certaine continuité, à préserver un certain esprit d’indépendance, quelques principes. Ayant fait campagne, en 2007, sur le thème de la « rupture », Nicolas Sarkozy n’avait pas dissimulé, alors, que celle-ci visait aussi cet héritage. Aujourd’hui, alors que son quinquennat arrive à son terme, quel bilan peut-on tirer de son action, quelle est l’image de la France dans le monde, quelles perspectives d’avenir peut-on esquisser ?

    De Gaulle estimait que la France se devait d’avoir une « grande politique » sous peine de ne plus exister. Giscard préférait indexer notre influence sur son poids : « 1 % du monde ». La contradiction est d’autant moins résolue que, depuis trente ans, les traités européens auxquels nous souscrivons multiplient les ligotis juridiques censément « irréversibles »…

    Ceux qui ont lu les Mémoires de guerre du général de Gaulle se souviennent du passage célèbre où, décrivant ses débuts à Londres, dans les premiers jours de l’été 1940, il fixe la stratégie à laquelle le contraint son isolement et même, alors, son anonymat : « Ce dénuement même me traçait ma ligne de conduite. C’est en épousant, sans ménager rien, la cause du salut national que je pourrais trouver l’autorité… Les gens qui, tout au long du drame, s’offusquèrent de cette intransigeance ne voulurent pas voir que, pour moi, tendu à refouler d’innombrables pressions contraires, le moindre fléchissement eut entraîné l’effondrement. Bref, tout limité et solitaire que je fusse, et justement parce que je l’étais, il me fallait gagner des sommets et n’en descendre jamais plus. »

    Vision immédiate du rapport de force (en l’espèce, le plus défavorable qui se puisse imaginer, à la fois pour la France, dépecée par l’ennemi, et pour de Gaulle, prétendant la relever à partir de rien) et choix du meilleur levier pour le rééquilibrer (en l’occurrence, le plus inattendu : cet acte de volonté brute en forme de coup de poker qui prendrait de court les Britanniques, rompus, depuis les années 1930, à décider pour les Français), tout se tient. Le premier geste historique du futur fondateur de la Ve République est d’abord un geste de politique étrangère qui fondera, plus tard, sa légitimité dans l’ordre intérieur. Face aux Britanniques, de Gaulle comprend que s’il n’est pas reconnu comme un allié à part entière, il n’incarnera pas la France aux yeux du monde ; et que, sans cette base de départ, il est vain d’espérer que, même en cas de victoire alliée, la France, mise hors jeu par l’armistice, recouvre jamais son statut d’Etat souverain. Mais en réaliste, il comprend aussi que cette volonté d’incarner la France doit se traduire juridiquement : ayant été reconnu, faute d’autres candidats, seul chef des Français libres par Churchill, son souci primordial est de faire en sorte que ses premiers partisans n’incarnent pas une légion de combattants au service de la Grande-Bretagne, mais l’embryon d’une organisation appelée, le jour venu, à incarner la légitimité française.

    Non sans humour, le grand juriste René Cassin, que de Gaulle avait chargé, le 29 juin 1940, de rédiger dans ce sens les ordonnances fondatrices de la France libre, décrira après la guerre l’image qui lui traversa l’esprit à ce moment précis : « Si Hitler regardait par le trou de la serrure, et entendait ce professeur de droit qui doctrinait : “Nous sommes l’armée française’’, et ce général à titre provisoire qui renchérissait : “Nous sommes la France’’, il s’écrierait certainement : “Voilà deux fous dignes du cabanon !”... »

    Pourtant, cinq semaines plus tard, le « fou » obtiendra gain de cause en signant avec Churchill les accords du 7 août 1940 par lesquels le Royaume- Uni reconnaissait à la France libre un statut d’allié à part entière. Ceux-ci lui permettront de se doter d’une administration et de finances propres, qu’alimenteront les dons recueillis par les comités de Français libres du monde entier et surtout les avances remboursables consenties par la Grande- Bretagne. Ce dernier détail est essentiel, car s’ils n’avaient pas d’emblée été conçus comme tels, ces subsides auraient privé la France libre de toute marge de manoeuvre à l’égard de son hôte. De fait, la plupart de ces avances seront remboursées, dès avant la fin de la guerre, sous forme de fournitures militaires (les navires, par exemple, que les jeunes Forces navales françaises libres ne pouvaient armer en raison de la faiblesse de leurs effectifs) et de matières premières livrées à la Grande-Bretagne à partir des territoires ralliés à la France libre.

    C’est que, pour de Gaulle, qui s’inscrit dans une tradition à la fois chrétienne et platonicienne, l’essence précède l’existence : « l’idée de la France » existant indépendamment de son incarnation, il suffisait de poser sa survie avec suffisamment de foi pour que les faits – appuyés sur une logique rigoureuse (« vaincus par une force mécanique supérieure, nous pourrons vaincre, demain, par une force supérieure encore », etc.) – lui donnent raison. Toute sa politique future en découlera, mélange d’empirisme parfois brutal et de vision spirituelle à long terme : la dissuasion du faible au fort comme antidote à la double hégémonie convenue des hyperpuissances et comme garantie contre la protection abusive d’alliés trop envahissants ; la sortie du commandement militaire intégré de l’Otan afin que les armes de la France ne concourent pas à des buts de guerre contraires à ses intérêts vitaux ; la promotion d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » comme alternative au rideau de fer…

    Pour spectaculaire qu’ait été ce retour en force de la France dans les affaires du monde aux yeux d’une opinion internationale déshabituée, depuis 1918, à voir la France jouer un rôle de premier plan, de Gaulle ne s’en inscrivait pas moins dans la droite ligne de la politique classique de la monarchie française : la priorité traditionnelle aux alliances de revers pour équilibrer le poids de l’Empire (avec le pape contre le Saint Empire, sous Saint Louis ; avec le Grand Turc contre Charles Quint, sous François Ier), se traduirait, dans les années 1960, par l’engagement de la France dans deux directions simultanées et complémentaires, destinées à équilibrer la thalassocratie anglo-saxonne : une politique résolument continentale (dégagement colonial, rapprochement franco-allemand, détente avec l’URSS) et une prise en compte des revendications du tiers-monde afin de pouvoir compter sur des alliés sûrs à l’ONU.

    Mais, en 1974, changement de cap : avec l’arrivée au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing, la France renoue avec la logique de « sécurité collective » qui avait prévalu entre les deux guerres, sous l’influence de Jean Monnet, l’un des pères de la Société des nations (SDN) avant de devenir celui de l’Europe supranationale actuelle. Dans cette conception, les Etats sont moins des entités historiques, dotés, d’intérêts vitaux dont les gouvernements sont comptables que des pions sur l’échiquier d’une démocratie mondiale où tout se décide par le vote.

    Après l’essentialiste de Gaulle, voici l’existentialiste Giscard, pour qui toute politique étrangère se fonde sur le poids relatif des Etats. On connaît celui, démographique de la France, qu’il prend soin de rappeler à ses concitoyens, dès les premiers jours de son mandat : « 1 % du monde ». A de Gaulle, qui, d’un constat plus pessimiste encore (le nanisme politique de la France libre) tirait la conclusion que seule une « très grande politique » pouvait nous préserver de la disparition, succède une philosophie, progressivement acceptée par tous, selon laquelle la volonté s’efface devant la nécessité.

    Ecoutons Valéry Giscard d’Estaing dresser les grandes lignes de sa politique étrangère, à l’occasion de sa première conférence de presse consacrée au sujet, le 20 décembre 1974 : «Nous passons d’une civilisation de groupe à une civilisation mondialiste. La politique étrangère, c’est essayer de trouver des solutions qui permettent réellement de traiter les problèmes de l’espèce, la paix, la pollution, le développement, ainsi de suite… Ce qui fait que, nécessairement, la politique étrangère de la France sera une politique mondialiste et de conciliation. A l’heure actuelle, la France n’a plus aucune revendication d’aucune sorte. [Sa vocation], c’est d’aider à l’apparition d’un certain mondialisme des problèmes… C’est pourquoi on peut dire : “Vous êtes l’ami de tout le monde, vous êtes l’ami des Soviétiques, vous êtes l’ami des Américains”… Effectivement, notre rôle, c’est d’être un facteur de conciliation chaque fois que c’est possible… »

    Ainsi, si la France se doit d’être partout présente, ce n’est plus, comme naguère, pour défendre ses intérêts spécifiques, mais, au contraire, pour aider indistinctement l’URSS et les États-Unis, à désamorcer les tensions. Pour la première fois, le refus des rapports de force devient un axiome et l’angélisme un mode d’expression. De fait, Giscard ne croit pas que le condominium soviéto-américain, que de Gaulle n’avait de cesse de briser, soit un danger pour la paix du monde. Mieux : il estime nécessaire d’enrôler la France à son service.

    Les conférences sur le désarmement, que de Gaulle autant que Pompidou refusaient de cautionner parce qu’ils les tenaient pour un moyen de neutraliser le pouvoir d’équilibre des non-alignés ? Giscard promet d’y participer tôt ou tard, et l’annonce même d’emblée à Leonid Brejnev ! D’où le choix – par contraste avec un Maurice Couve de Murville ou un Michel Jobert – de ministres en phase avec la modestie des buts assignés à la France, « puissance moyenne » selon Giscard. Au reste, que demander à un Jean Sauvagnargues, à un Louis de Guiringaud, ou même à un Jean François-Poncet, si ce n’est « gérer l’imprévisible », selon la formule mise à la mode par le nouveau président de la République ?

    Gérer l’imprévisible : au nom de ce principe, quelle direction donner à la politique hors celle que semblent indiquer les événements ? Même le Monde, naguère si prompt à dénoncer la politique de la « France seule » qui fut, à l’en croire, celle des deux précédents présidents, s’inquiète alors de l’absence de lisibilité du dessein giscardien. Avec Giscard, résume André Fontaine le 26 octobre 1974, ce n’est plus “l’intendance suivra”, comme sous de Gaulle, mais l’“intendance précède”. Et d’appliquer au chef de l’Etat cette formule tirée des Faux-monnayeurs de Gide : « Il ne s’oublie jamais dans ce qu’il éprouve, de sorte qu’il n’éprouve jamais rien de grand. »

    Mais de même que les gadgets de la « décrispation » giscardienne dissimulaient un vrai projet – rendre inutile l’alternance en vidant le programme commun de son contenu –, de même l’apparente résignation du nouveau pouvoir à laisser la France glisser du statut de sujet à celui d’objet de la vie internationale n’est pas le fruit du hasard. Elle doit tout à l’influence de Jean Monnet, qui, un mois à peine après l’élection de Giscard, décida de dissoudre son Comité d’action pour les Etats-Unis d’Europe, créé dix-huit ans plus tôt et devenu sans objet, puisqu’il avait propulsé l’un de ses membres à l’Elysée.

    Dès 1974, le programme Monnet, conçu comme une fusion progressive des nations européennes en un Etat fédéral expérimental, prodrome d’un gouvernement mondial (lire à ce sujet ses Mémoires, parus chez Fayard, en 1976), sort des cartons et prend vie : création du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, décision, en 1977, d’élire le Parlement européen au suffrage universel direct (dernier projet supervisé par Jean Monnet, alors âgé de quatrevingt- huit ans) ; création, surtout, du Système monétaire européen (1979), matrice d’où sortira, avec le traité de Maastricht (1992), l’instauration d’une monnaie unique européenne, le 1er janvier 1999.

    Avec Maastricht est inauguré un type d’accord international jusqu’alors inédit : la matière négociée ne s’impose plus à la loi interne des Etats seulement sous réserve de réciprocité, comme dans les traités internationaux classiques, mais en toutes circonstances ; et surtout, celle-ci vaut acceptation d’un droit externe supérieur aux lois nationales forgées par les Parlements. La souveraineté qui, depuis Aristote, était un absolu (de même qu’une porte est ouverte ou fermée, on est libre ou on ne l’est pas), devient une valeur relative. Donc, n’existe plus dans sa définition classique. Le pli est pris qui, de jurisprudence en jurisprudence, va soumettre la loi votée, expression de la souveraineté populaire, à des textes édictés par des instances représentatives non élues, en l’occurrence les organes de l’Union européenne, la Commission de Bruxelles et la Cour de justice de Luxembourg, respectivement garante et interprète suprême des traités…

    Le dessaisissement des Etats va donc se poursuivre suivant un scénario bien rôdé : avec Maastricht, pas moins de dix-neuf matières seront reconnues de compétence communautaire, depuis la politique commerciale et douanière jusqu’au tourisme, en passant par l’industrie, la concurrence, l’environnement, la recherche, la santé et la protection du consommateur ; en 1998, le traité d’Amsterdam ajoutera l’immigration et la sécurité commune ; en 2009, le traité de Lisbonne, ratifié par voie parlementaire et reprenant point par point le texte de la Constitution européenne, refusé en mai 2005 par le peuple français, parachèvera l’évolution en soumettant, non plus seulement les droits internes, mais les droits constitutionnels nationaux au droit communautaire…

    Et voici que, sous la pression de la crise, exacerbée par les critères de convergence d’une monnaie unique imposant les mêmes obligations à des zones au développement divergent (pour faire court, la Bavière et le Péloponnèse), le futur traité – négocié sous la pression des marchés par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, le 5 décembre 2011 –, se propose de communautariser les questions budgétaires, donc fiscales !

    Un Etat privé de sa liberté budgétaire, donc incapable de fixer sans l’accord de ses voisins les marges de manoeuvre nécessaires à la défense de ses intérêts au sens large, peut-il, de fait, se targuer d’avoir encore une politique étrangère indépendante ? Comme on le dit d’un disque dur d’ordinateur, celle-ci se trouve ipso facto « formatée » : le logiciel fixe non seulement les moyens disponibles, mais encore et surtout, le but à atteindre. La standardisation s’impose pour les Etats de la même manière qu’elle s’impose pour les armées, dans le cadre de l’organisation intégrée de l’Otan, rejointe par la France en 2009.

    Ainsi est-on parvenu au résultat de « l’effet d’engrenage » (ou spill over effect) vanté par Jean Monnet au moment de l’entrée en vigueur de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca), en 1952 : un transfert en douceur des compétences traditionnellement régaliennes vers des organismes techniques échappant aux « aléas » – comprendre : à la volonté des peuples.

    Ce spill over effect, selon le vocable emprunté à l’école néofonctionnaliste américaine, chère aux disciples de Jean Monnet, a été fort bien résumé par Jacques Delors, alors président de la Commission de Bruxelles, le 30 novembre 1989, à l’occasion d’un colloque du Center for European Studies de Boston : « Le secret de la construction européenne est celui d’une dialectique entre la force des engagements fondamentaux et le développement spontané de ses multiples effets d’engrenage… »

    Contre de Gaulle, qui ne concevait l’économie que comme une discipline ancillaire du politique, Monnet aura bel et bien imposé l’ordre inverse : la soumission de la politique – qui implique la liberté de choix, donc l’existence de plusieurs possibles – à la technique économique, laquelle ne souffre aucune alternative, puisqu’elle se conçoit elle-même comme détentrice d’une rationalité suprême !

    En 2011, la boucle était bouclée, qui permettait à Jacques Attali d’expliquer comment la monnaie unique avait été conçue, à l’insu même des peuples, auxquels on l’avait « vendue » sous les espèces d’un produit miracle destiné à empêcher les crises, comme un engrenage destiné, au contraire, à imposer la création d’une super-administration pas nécessairement confinée aux frontières politiques de l’Europe : « Lorsque nous avons créé le marché unique, en 1984, confiait-il, le 11 août 2011 à la revue sur Internet du Council on Foreign Relations (CFR), nous savions que le marché unique ne pourrait pas fonctionner sans une monnaie unique, et nous avons créé une monnaie unique. Et lorsque nous avons créé cette monnaie unique, nous savions que la monnaie unique ne pourrait pas survivre sans un budget fédéral. » Il concluait : « Nous sommes en train de voir apparaître un marché mondial sans un Etat de droit mondial. Nous avons donc besoin d’une primauté globale du droit […] et d’un nouveau système international où la charge de la réserve de monnaie mondiale serait répartie entre les États-Unis, le Japon, la Chine et l’Europe. »

    De l’Europe à la crise et de la crise, conçue comme un levier, vers un gouvernement mondial : on voit à quoi ont abouti, depuis Maastricht, les ligotis acceptés par les Etats, de traité en traité, au prétexte d’assurer à l’Europe une prospérité qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne s’est pas imposée comme la contrepartie spontanée de l’extinction de leurs souverainetés.

    « On lie les boeufs par les cornes, et les peuples par les traités », résumait Antoine Loysel, l’un des plus grands légistes français, qu’admirait Richelieu. Quatre siècles plus tard, le dilemme de la politique étrangère française reste entier : garder les mains libres ou se soumettre aux engrenages, au risque de s’y faire broyer.

    Eric Branca (Le spectacle du monde, janvier 2012)

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