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  • L’Occident danse sur un volcan… et monte le son !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur Geopragma et consacré à l'impasse stratégique dans laquelle la France et l'Europe se sont volontairement enfermées depuis le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.

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    L’Occident danse sur un volcan… et monte le son

    La France va mal : l’inflation dérape, les taux de crédit s’envolent, l’immobilier est à l’arrêt, et, comme pour nous mettre le nez dans notre incurie, notre note financière vient d’être de nouveau dégradée à AA- par une grande agence américaine. Ce déclassement n’est pas anecdotique. Il traduit la réalité de la dégradation de nos comptes publics, accroit encore notre dépendance aux États-Unis et la menace d’un défaut sur notre dette abyssale, et creuse notre déficit de crédibilité donc d’utilité internationale. Ce coup de semonce ne peut en effet que paralyser plus encore notre capacité résiduelle à faire bouger les lignes en portant un discours de raison et d’intelligence face au désastre de l’attitude occidentale dans le conflit en Ukraine…On me dira que c’est un faux problème car il faudrait encore en avoir le courage.

    Aux Etats-Unis, la folie de l’auto-enfermement des néoconservateurs américains dans une escalade militaire permanente face à Moscou précipite la destruction totale de l’État et du territoire ukrainiens et fait grandir le risque d’un dérapage, menaçant concrètement toute l’Europe. Pourtant, la haine ouverte de la Russie, le rêve éveillé succès que constituerait son anéantissement et son démembrement s’expriment ouvertement. Les médias occidentaux, confits dans l’ignorance et l’arrogance, devenus les pathétiques chambres d’écho d’une propagande délirante, n’ont plus aucune crédibilité. On est revenu aux pires heures du Maccarthysme ou pire, du fascisme de la pensée, de la calomnie et de la délation. Ce bouquet d’indignité empeste mais il nous est en permanence jeté à la figure, certes de façon de plus en plus ridicule et désespérée. Car le rideau et les masques sont en train de tomber face au réel récalcitrant. Pourtant, la rage et désormais la panique américaines cherchent encore à perpétuer le fantasme d’une « victoire » à venir, dont on ne s’est évidemment jamais donné la peine de définir les contours. Que peut bien vouloir dire « gagner » la guerre en Ukraine ? No Clue. Aucune vision en ce domaine. Quant à gagner la paix, on n’en veut pas. Quelle horreur ! Comment faire la paix avec Vladimir Poutine ?!!! cela parait impossible à des hémiplégiques volontaires englués dans leur rhétorique de bac à sable qui ne pensent qu’à humilier un « ennemi systémique » et en sont à faire des danses de la pluie (ou plutôt contre la pluie et la boue qui font s’embourber leurs chars de la dernière chance) pour conjurer l’inévitable. C’est donc la fuite en avant dans la haine inexpiable du Russe…jusqu’au dernier ukrainien. Le vertige est si grand face au gouffre que l’on ne sait plus qu’appuyer sur l’accélérateur de la déroute militaire et stratégique et sombrer dans une démence haineuse et sans issue. Cette haine se diffuse et infuse partout en Europe, surtout chez nos « élites » vassalisées et / ou stipendiées, elles aussi emportées dans ce piège tragique qu’elles font mine d’ignorer. Pourtant, le fiasco militaire est sans équivoque depuis déjà des mois. Même les « Mainstream media » commencent, sur ordre ou via d’opportunes fuites, à laisser filtrer l’implacable vérité : sur la réalité militaire du terrain, sur les désertions en chaine des malheureux jeunes ukrainiens ramassés dans les rues et jetés de force dans « le hachoir à viande russe », sur les pertes véritables, sur l’incapacité structurelle des forces de l’OTAN à fournir l’Ukraine en quantité en rythme et en qualité pour pouvoir prétendre tenir le choc et moins encore, pour renverser le rapport de force face à la Russie. Certes, au Pentagone comme dans les États-majors européens, on sait bien depuis des mois déjà que la messe est dite et le pari perdu. Il n’y a plus que les Polonais et les Baltes pour pousser à la roue. Mais l’on ne veut pas se réveiller, et l’on continue à inonder l’Ukraine d’armes (en grande partie détournées) et de monceaux d’argent pour assurer la « grande contre-offensive » – d’été …ou d’automne – aux allures de baroud d’honneur, dont l’échec anticipé servira à démontrer que « le camp du Bien » a fait tout ce qu’il a pu, mais que l’Ukraine n’a pas su vaincre la Russie (comme si elle le pouvait !) et qu’il faut « pour sauver l’Ukraine et son peuple » (amplement sacrifié pendant 2 ans) enfin se résoudre à négocier avec Moscou. Sans doute pas avec un président Zelenski carbonisé par son jusqu’au-boutisme et de plus en plus menacé par son entourage d’ultra-droite aux relents ouvertement fascistes. Notre déréliction morale est totale mais là encore, on le nie. Nous soutenons à bout de bras depuis 2014, avec un cynisme décomplexé une clique aux antipodes des valeurs dont nous nous gargarisons pour fomenter et mener cette « proxy war » de trop.

    Malheureusement, ce sont encore les « Neocons » de la Maison Blanche, de la CIA du NSC et du Département d’État qui font la loi à Washington. Et ils n’admettent pas que La Russie a gagné et ne s’effondrera ni militairement ni économiquement. Tout au contraire. Ses armes hypersoniques sont pour l’heure sans égales, elle a su anticiper et déjouer le piège des sanctions, son économie a tenu, son peuple soutient toujours assez massivement la réponse militaire à la menace militaire de l’OTAN à ses frontières. Surtout, elle fait désormais cause commune avec la Chine. Certes c’est une alliance en apparence du moins déséquilibrée. Mais une alliance vitale, ne nous en déplaise. Une convergence tactique et stratégique d’intérêts. Le Président Xi se frotte les mains, s’érige en pôle de stabilité financière et politique de substitution et se propose même comme faiseur de paix (rapprochement Iran-Arabie saoudite, plan en 12 points, etc…). Il rassemble ses nouvelles ouailles, troupeau disparate d’égarés en mal de protection qui n’en peuvent plus du Maitre américain et de ses pratiques de cowboy. Un rassemblement massif. Pas moins de 19 pays se pressent désormais à la porte des BRICS+, véritable « contre G7 ». Un processus d’intégration gigantesque s’ébauche à partir de ce noyau accueillant et à géométrie variable, autour de la Communauté des États indépendants (CSI), de l’Union économique eurasiatique (EAEU), de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), de l’OPEP+ et par extension, du Conseil de coopération du Golfe (GCC). Tout cela au profit de la BRI (Belt and Road initiative) chinoise, de la fortification impérative de son Corridor économique d’Asie du centre et de l’Ouest, mais aussi du Corridor international de transport Nord-Sud (INSTC) qui reliera la Russie et l’Iran à l’Inde. Les instruments financiers de cette intégration gigantesque que sont la BAII (banque asiatique pour les investissements et infrastructures) et la Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange sont déjà très actifs…

    C’est tragique mais clair et net : Nous sommes nos propres fossoyeurs. Ce sont notre anti-russisme pathologique et notre bellicisme en Ukraine pour provoquer Moscou en espérant l’embourber et la séparer de l’Europe à jamais qui ont accéléré la grande Bascule du monde, l’émergence d’une structure multilatérale englobante et rassurante capable de mettre à bas l’hégémonie du dollar, et qui menacent l’Europe d’une crise économique financière plus grave encore que celle de 2008.

    En France, naturellement, on fait comme si de rien n’était. On «s’étonne» de la dégradation de notre note financière, alors que tous les voyants sont au rouge de part et d’autre de l’Atlantique depuis déjà des mois, et que les premières secousses bancaires aux Etats-Unis comme en Allemagne et en Suisse ont été précipitamment étouffées. Peut-on éviter une crise majeure et systémique en la traitant par le mépris ? Cela parait douteux. Quoi qu’il en soit, la présidentielle de 2024 à Washington se profile mal pour le camp démocrate. Donald Trump pourrait bien de nouveau l’emporter en dépit du mur d’affaires et d’accusations dressé contre lui. Il a le cuir épais. Et puis, le fameux verdict de James Carville, conseiller de Bill Clinton, en 1992 s’impose de nouveau : « It’s the economy, stupid ! » Les Américains ne se préoccupent pas tant de l’Ukraine agressée « de manière non provoquée » ou de la victoire de la démocratie dans le monde que de leur porte-monnaie et de la fragilisation croissante de leur dollar dont la domination s’érode à vue d’œil. Dans sa curée anti-russe, Washington a en effet commis une faute cardinale en gelant de façon totalement arbitraire une fois encore, les 300 milliards de dollars d’avoirs russes au printemps 2022. Funeste décision. Bien des États ont ce jour-là compris que ce pouvait être demain leur tour. Cette démonstration de puissance a été la goutte de trop dans le vase déjà plein de rancœurs et de fureur devant les méthodes léonines de Washington en matière de sanctions et d’extraterritorialité juridique des « règles américaines ». Bien au-delà de la Russie de l’Iran ou de la malheureuse Syrie dont le calvaire n’en finit pas. Or, personne ne supporte plus ce « Rules based World Order ». Chacun a compris que seule l’Amérique édictait ces fameuses « règles » et les modifiait au gré de ses seuls intérêts. Les principes contenus dans l’imparfaite Charte des Nations unies sont bien plus protecteurs. Le dollar n’est plus ce qu’il fut longtemps, un gage de stabilité. Il incarne désormais l’incertitude, et la pure domination. Or les échanges internationaux ne peuvent se passer de sécurité et de stabilité. Le gel des avoirs russes a donné le signal d’une défiance en chaine de multiples pays qui ont compris qu’il leur fallait désormais se protéger des oukases washingtoniens et donc regarder du côté du nouveau pôle sino-russe. Pas pour s’aligner, pour doser et équilibrer leurs dépendances selon les sujets ou les secteurs. C’est l’ère du « poly-alignement » – c’est-à-dire la fin de l’alignement façon Guerre froide et le retour en grâce du non-alignement – dont la France devrait savoir se faire le chef de file. Les chiffres sont sans appel : la part du dollar dans les réserves globales est passée de 73% en 2001 à 55% en 2021 et…. 47% en 2022. L’accélération depuis 20 ans est considérable. Sans une correction urgente, qui suppose un changement de pied drastique des États-Unis dans leur comportement vis-à-vis du reste du monde, la chute devrait se poursuivre. 70% du commerce entre la Russie et la Chine se fait désormais en Yuan ou en roubles. La Russie et l’Inde commercent en roupies, le CIPS (système interbancaire chinois qui se pose en alternative au SWIFT) fonctionne à plein régime. Total et son homologue Chinois CNOOC viennent de signer un accord gazier…. en Yuan ! Pas par amour de la Chine. Parce que c’est une question de survie pour l’entreprise, que le pragmatisme convient aux affaires mieux que le dogmatisme, et que l’idéologie est en train de mettre à bas l’économie occidentale. Le monde est multipolaire et l’on ne peut plus faire semblant de l’ignorer. Le FMI reconnait que les cinq BRICS contribuent à eux seuls pour 32,1% de la croissance mondiale contre 29,9% pour les pays du G7. Et il y a encore 19 candidats…La coopération étroite entre Moscou et Ryad est aussi de mauvais augure pour l’Amérique. Elle permet à la Russie d’équilibrer sa coopération stratégique avec l’Iran, et renforce la main de Vladimir Poutine et celle de MBS dans leur fronde face à Washington en matière de prix du pétrole. Les BRICS ont de leurs cotés toutes les « commodities » et ressources naturelles du monde et défient désormais ouvertement la seule domination qui restait aux pays du G7, celle de la finance.

    Derrière tous ces faits, il y a un « sous-texte », une réalité que nous devrions saisir avant que le boomerang ne frappe trop massivement nos économies européennes et que la Chine, au-delà de son effort pour échapper, grâce à la BRI, à la domination américaine des mers et des routes maritimes de transport vers l’Europe, n’en vienne à nourrir un rêve de puissance plus offensif. Cette réalité, c’est que la révolution actuelle dans la géopolitique mondiale correspond à un rééquilibrage nécessaire des rapports entre les États. Il y aura des heurts, des crises, des conflits dans les prochaines années, mais nous sommes en phase de restabilisation après le déclin de l’hégémon américain devenu insoutenable et qui ne correspondait plus à la réalité du champ de forces géopolitiques et géoéconomiques. Notre planète a besoin d’apaisement, de stabilité, de respect, de rétablissement d’une forme d’égalité formelle et en tout cas d’équité réelle entre ses membres, petits ou grands. On me dira que je suis angélique. Je pense que c’est la motivation première de pays et régions entières du globe qui veulent se développer et refusent ce jeu à somme nulle que l’Amérique a cru pouvoir imposer ad vitam aeternam. C’est valable pour les puissances du Moyen-Orient (Iran, Syrie, Libye) qui doivent sortir du marasme, pour l’Afrique – qui voit dans cette ouverture du jeu de vastes opportunités-, pour l’Amérique latine -qui est en train de reléguer aux oubliettes la doctrine Monroe. C’est enfin valable pour l’Asie elle-même, qui donne certains signes de crainte et de circonspection devant la nouvelle cible chinoise du bellicisme américain provoquée à grand renfort de déclarations martiales (Taiwan). Seule l’UE parait vivre dans une bulle. Qui ne la protège plus. Elle semble ne pas voir que tout a changé, qu’elle est située sur le continent eurasiatique qui est une terre d’opportunités vers laquelle il lui faut se projeter avec vigilance mais sans crainte. Son avenir n’est pas dans une coupure radicale avec la Russie ou un alignement sur Pékin. Il n’est pas d’avantage dans une vassalisation consentie envers Washington, qui après l’Ukraine, ambitionne déjà de jeter l’Otan (qui n’a vraiment plus rien d’une alliance régionale défensive) vers les eaux de la mer de Chine. A quoi bon ? Pour nourrir le complexe militaro-industriel américain ? Pour poursuivre la déstabilisation et la fragmentation du monde ? En quoi ces objectifs servent-ils nos intérêts nationaux, économiques et sécuritaires ? L’Europe doit comme je le dis depuis des années, sortir enfin de son enfance stratégique et apprendre à marcher la tête haute. Sans béquille ni laisse.

    Les néoconservateurs américains ont mis non seulement l’Amérique mais l’Europe en grand danger. Il est plus que temps de mettre fin à cette folie et de hâter la conclusion d’un cessez-le-feu en Ukraine et d’une refondation durable de la sécurité en Europe. Le peuple ukrainien, la sécurité de l’Europe toute entière, l’économie occidentale et nos peuples le méritent. C’est de l’intérêt de tout le monde. Qu’attendons-nous ?

    Caroline Galactéros (Geopragma, 2 mai 2023)

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  • De l'Afrique à l'Ukraine : un tour d'horizon géopolitique avec Renaud Girard...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Renaud Girard à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque le recul de la France en Afrique à la lumière de son voyage avec le président Macron, le monde qui se réorganise autour de la Chine et surtout la guerre en Ukraine.

    Grand reporter au Figaro, Renaud Girard est membre du comité d'orientation stratégique de Geopragma.

     

                                             

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  • Cette France « que le Monde entier nous envie »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré à la dégradation de la situation politique de la France. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

     

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    Cette France « que le Monde entier nous envie »

    Un pays où le système politique est bloqué ; où les autorités légales prétendent gouverner alors qu’elles ne disposent d’une majorité, ni au Parlement, ni dans l’opinion publique, mais où nulle majorité alternative n’existe ; où les succès et les échecs d’une politique se mesurent au nombre de manifestants, de voitures calcinées et de tonnes d’ordures s’amassant dans les rues.

    Un pays dont l’économie se fragilise continûment ; où l’ampleur des déficits publics place le pays dans la dépendance de créanciers étrangers et met en péril le niveau de vie des générations futures ; où l’on dit vouloir combattre la désindustrialisation après avoir empilé les décisions dégradant la compétitivité des entreprises ; où l’on découvre les vertus de l’énergie nucléaire après avoir tout fait et tout accepté pour devoir s’en passer ; où l’on promeut les véhicules électriques sans s’être assuré de disposer des batteries permettant de les faire fonctionner ni des matériaux permettant de fabriquer des batteries ; où l’on préfère investir dans le luxe plutôt que dans les technologies de souveraineté.

    Un pays où les services publics ont de plus en plus de difficulté à assurer leur mission ; où le système éducatif est bien incapable d’enseigner, d’instruire ou d’éduquer et préfère promouvoir le wokisme ; où certains magistrats sont davantage soucieux d’exprimer leurs engagements politiques que de respecter la loi et où les peines ne sont pas toujours appliquées ; où l’efficacité du service de santé repose sur la bonne volonté de personnels qui se disent harassés. Un pays qui ne sait plus très bien qui il est ; où plus grand monde ne connaît son histoire ni celle des autres ; où tous se proclament démocrates mais où chacun donne à ce concept le contenu qui l’arrange ; où le sens de l’intérêt général est remplacé par le droit de chacun à voir ses envies ou ses intérêts particuliers repris à son compte par la société dans son ensemble ; Telle est aujourd’hui la France.

    Mon propos n’est pas d’accabler une force politique ou d’en vanter une autre, d’autant que toutes portent une part de responsabilité dans la situation actuelle. Il est de m’interroger sur la capacité d’un tel pays à avoir désormais un rôle significatif sur le plan international.

    Quand le Président de la République doit, pour se rendre au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, passer par des chemins détournés pour éviter la presse ; quand le ministre iranien des Affaires étrangères, heureux de retourner les critiques qui lui sont faites, se permet de dire au Président de la République qu’il devrait « écouter la voix de (son) peuple et éviter de faire usage de violence à son égard » ; quand les autorités françaises doivent demander au nouveau souverain britannique, qui avait choisi la France pour effectuer son premier voyage officiel à l’étranger, d’annuler son déplacement ; quand le président de la République éprouve le besoin d’être accompagné par la présidente de la Commission européenne pour exprimer en Chine les positions européennes ; quand on additionne tous ces faits qui sont des anecdotes, mais des anecdotes malheureusement significatives, on se dit que cette capacité est bien amoindrie.

    Comment, dès lors, s’étonner que la voix de la France porte de moins en moins ? Qu’en Europe les intérêts allemands priment souvent sur ceux de la France ? Que les relations avec les Etats-Unis soient passées de la coopération entre alliés à un alignement pur et simple malgré le resserrement continu du contrôle que ces derniers exercent sur l’Europe ? Que pour l’Ukraine la France n’ait pas réussi à engager un dialogue entre les protagonistes ? Qu’en Afrique les pays francophones préfèrent nouer des liens avec le Commonwealth plutôt que développer ceux qui existent avec la France ? Que la France ne joue aucun rôle dans la redéfinition des alliances au Moyen-Orient ? La liste n’est pas exhaustive.      

    Pourtant les dirigeants français passent leur temps à donner des leçons au monde. La France est-elle désormais le pays le mieux placé pour proclamer les principes qu’elle veut faire adopter partout, pour montrer leur excellence et les bienfaits qu’ils apportent aux populations ? Est-elle encore crédible ?

    « La France, combien de divisions ? » Un grand nombre, assurément. Mais ces divisions ne sont pas celles, militaires, qui imposent le respect, ce sont celles qui opposent les individus les uns aux autres, affaiblissent le corps social et mettent en péril la communauté nationale.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 27 mars 2023)

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  • 2023 : Les illusions perdues ou le miroir brisé de Narcisse...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, donné au site Le Dialogue et cueilli sur Geopragma, dans lequel elle en appelle à un retour au pragmatisme pour sortir de la dangereuse impasse dans laquelle la France et l'Europe se sont enfermées depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

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    2023 : Les illusions perdues ou le miroir brisé de Narcisse

    Le monde va mal. En ce début 2023, le paysage international apparait à la fois plus polarisé et plus fragmenté que jamais. La régionalisation du monde, sa multipolarisation de fait ne sont plus contestables. Pourtant, l’ancien hégémon le nie et veut forcer l’allégeance renouvelée à ses couleurs en berne. Qu’on se le dise : le « monde libre », exclusif socle des « valeurs » modernes, est toujours Le Graal ! L’Otan est en grande forme et l’Europe n’a jamais été aussi unie contre la barbarie russe ! C’est beau comme l’Antique…mais c’est faux. C’est du stuc, du trompe l’œil, un décor de théâtre. L’Otan, qui aboie chaque jour des oukases martiaux, s’adresse en fait à ses membres, dont tous ne sont pas également désireux d’affronter une puissance russe désormais restructurée en mode guerre. Quant à l’Alliance atlantique, elle serait bien en peine de mener une guerre directe victorieuse contre la Russie. « Même pas peur ! » persifle cette dernière. L’Europe enfin, est un panier de petits crabes sans pinces, vindicatifs et impuissants, qui sont parvenus à un tel degré de servilité que pas un n’a protesté, ne serait-ce que verbalement, lorsqu’ « On » leur a coupé le gaz au sens propre pour hâter leur mise sous tutelle énergétique, leur passer l’envie de rester liés à Moscou et, last but not least, mettre l’Allemagne au pas en la privant de son moteur de croissance principal et promouvoir le nouvel allié de revers européen : la Pologne ! Le vieux cauchemar géopolitique de l’Amérique – l’union des ressources naturelles et démographiques russes et de la puissance industrielle allemande qui leur permettrait de dominer l’Eurasie- parait enfin conjuré… 

    De ce point de vue, le conflit en Ukraine, cruellement prolongé par une surenchère occidentale sans perspective de renversement du rapport de force en faveur de Kiev, est un pan de la vaste manœuvre américaine pour empêcher cette multipolarité du monde de s’affirmer et enfoncer un coin définitif entre l’UE et la puissance eurasiatique cardinale qu’est la Russie. « La Russie, c’est fini ! » Voilà une aberration stratégique et un camouflet culturel et politique permanent qu’il faut abattre une fois pour toutes. Le corridor stratégique Pays baltes-Pologne- Roumanie- Bulgarie- (qui comme par hasard coupe le tracé des gazoducs Nord Stream) doit y pourvoir. 

    Il y a tout de même un léger problème : c’est que – tout le monde le sait à Washington du moins – l’Ukraine a perdu la guerre et la poursuite de l’actuel poker menteur pourrait coûter cher à l’Amérique dans le reste du monde. En effet, le sur-investissement militaire et financier prolongé sur l’Ukraine sans victoire militaire a minima « présentable », se fait au détriment d’autres théâtres plus impérieux pour la puissance américaine, où son influence, pour perdurer, doit s’appuyer sur des moyens militaires et une attention soutenus. Je pense à l’Indopacifique et à la Chine naturellement, mais aussi au Moyen-Orient, où les positions américaines se sont nettement détériorées. Sans parler de l’Europe, économiquement sacrifiée sans vergogne à la « cible » russe. Sans vergogne, mais pour l’heure sans succès. Les sanctions innombrables sont un échec patent et les ¾ de la planète, quand ils ne le soutiennent pas, observent avec gourmandise le « niet » opposé par Moscou à l’insatiable impérialisme américain. Jusqu’à quand les Européens vont-ils admettre de payer et d’obéir au sein de l’Alliance pour l’obsession américaine d’une Russie à genoux, fantasme chaque jour plus proche de l’utopie et du whishful thinking? Il ne faudrait pas se tromper trop longtemps de priorité. Quelques courageux responsables militaires comme le Chef d’état-major américain Mark Milley le disent depuis déjà des mois ; la Rand Corporation, Think Tank historique et influent du Pentagone mais aussi voix et poids du Complexe militaro-Industriel et du grand business américains, vient de produire une « étude » qui enjoint aux Etats-Unis de sortir au plus tôt de ce guêpier sous peine de tomber dans un engrenage à la vietnamienne. Selon ces analystes, il faut se recentrer sur l’essentiel (la Chine), trouver les termes d’un accord viable avec Moscou et admettre que l’Ukraine ne doit pas rejoindre l’OTAN. Malheureusement, les faucons néoconservateurs autour de A. Blinken, J. Sullivan ou V. Nulland n’ont cure d’un tel avertissement et poursuivent leur folle escalade. Ils cherchent à faire oublier l’étude de la Rand en faisant subitement à Moscou « des propositions qu’on ne peut refuser » (propositions évidemment inacceptables au moment où l’armée russe avance et l’emporte sur le terrain). Quoi qu’il en soit, il est intéressant que s’entende enfin un autre son de cloche au sein des élites américaines de plus en plus inquiètes pour l’économie nationale, la position chaque jour plus menacée du dollar, et leurs investissements en Ukraine, si jamais le pays devait finir par se trouver coupé de la mer….

    Car les faits et les chiffres sont là. La propagande la plus outrancière, celle que l’on endure notamment en France depuis bientôt un an, les images et les informations soigneusement triées, ne suffisent pas. La guerre, ce sont des maths. Et L’Ukraine a la mauvaise équation. Elle est sous perfusion militaire et financière occidentale. Si celle-ci cesse, elle s’effondre. Elle est clairement distancée en matière d’artillerie comme de ressources humaines, réduite à enrôler de force de malheureux jeunes et vieux subcarpathiques pour servir de chair à canon à des offensives en pure perte (telle celle de Bakhmut) tant l’évidence de la déroute a laminé la volonté de se battre des jeunes Ukrainiens. Et ce ne sont pas  3 brigades (20 000 hommes), une centaine de chars (à supposer qu’elle arrive et avec tous les problèmes de maintenance associés), 150 véhicules de combats blindés et même quelques F16 qui vont changer la donne face à un demi-million de soldats russes déterminés à combattre et dument armés et soutenus. 

    Le conflit en Ukraine est donc une guerre par proxy…dont le proxy est épuisé face à l’évidence de la supériorité militaire russe. La Russie peut tenir, longtemps, très longtemps, le rythme d’une guerre d’attrition patiente mais implacable. Moscou entend  épuiser la capacité de l’armée ukrainienne à tenir dans la durée. Son usage massif d’une artillerie apparemment inépuisable lui permet de préserver ses troupes régulières, insuffisantes lors de la phase initiale de l’Opération militaire spéciale » mais désormais reconstituées en nombre. L’héroïsme des soldats ukrainiens est incontestable, mais la « masse » – en hommes comme en équipements – n’y est pas. Les pertes (morts et blessés) sont colossales (dans un rapport de 1 à 7-8 avec la Russie) et le déversement des armes occidentales ne peut permettre d’espérer un renversement du rapport de force. Sauf à lancer sur le sol ukrainien des dizaines voire des centaines de milliers de troupes polonaises (la mobilisation d’au moins 200 000 hommes a été annoncée par Varsovie) mais aussi américaines, et à lancer depuis l’ouest du pays une offensive visant à sécuriser la zone au profit de Varsovie dont les prétentions historiques sont bien vivantes et les ambitions de domination européenne contre Berlin grandissantes. On peut même craindre, dans ce scénario fou, que l’armée polono-ukrainienne avec des Américains sous uniforme ukrainien servant leurs chars ou batteries Patriot ne tentent une reprise de la Crimée… Alors, ce sera la fin. Mais pas forcément celle de la Russie… A Berlin, on semble clairvoyant et on s’oppose publiquement à une guerre ouverte de l’Otan contre la Russie. Le Chancelier Scholtz est furieux d’avoir été joué par Washington dans l’affaire des chars (poussé à fournir des Léopards alors que l’on ne verra pas d’Abrahams américains sur le théâtre avant très longtemps voire jamais). Les Allemands reprendront ainsi plus facilement langue avec Moscou que les Français qui poussent à la roue. 

    L’armée ukrainienne est donc exsangue, ses options tactiques et opératives perdantes face au rouleau compresseur russe et le temps joue contre elle. La guerre pourrait être pliée à l’automne et il faudra bien alors négocier avec Moscou sur la base de la réalité sur le terrain…Le Pentagone sait tout cela. Le Département d’Etat et le Conseil de Sécurité national ou même la CIA aussi. Mais l’acceptent-ils ?  C’est moins sûr. La « leçon » donnée par Moscou à l’Empire en déroute est trop humiliante, et le soutien d’une très large partie du monde à ce camouflet est insupportable pour « la nation indispensable ». Car, qu’on le veuille ou non, V. Poutine a réussi quelque chose de très important, bien au-delà de l’Ukraine : il a montré grandeur nature que la révolte était possible, que l’on pouvait protéger des frontières, la sécurité d’une nation, une culture, une histoire, une singularité civilisationnelle, une économie, que le rouleau compresseur Woke n’était pas non plus une fatalité, que les nations en somme n’étaient pas promises à la dissolution si elles refusaient de se soumettre à un ordre obsolète et osaient en prendre les moyens. Nul doute que cette démonstration a mis du baume au cœur à bien des chefs d’Etat qui ne sont pas tous des dictateurs. Je ne fais nullement ici l’apologie d’un autocrate. J’observe ; car si l’on n’observe pas, si l’on ne se met jamais à la place de l’autre et que l’on ne fait que juger et condamner, alors on ne comprend rien. Et on subit. Tant que nous n’aurons pas compris cela, nous subirons la force de la révolte russe et de ses émules innombrables.

    Malheureusement, on est très loin, dans les cercles du pouvoir à Washington ou Paris, de cette neutralité analytique, de cette capacité à l’inversion du regard, basique dans le milieu du renseignement. D’ailleurs, tous les experts européens ou anglosaxons qui ont une vision large de ce conflit viennent du monde des services spéciaux et sont structurellement dépourvus d’œillères idéologiques. Mais on ne les écoute pas, on les accuse de complotisme et de pro russisme … « L’Occident collectif  se rassure », préfère la fuite en avant dans la surenchère, fait la sourde oreille aux avertissements de Pékin qui condamne désormais haut et fort les USA pour avoir cherché l’affrontement, et appelle à l’arrêt immédiat des livraisons d’armes à Kiev. On veut croire que, comme Pékin, Moscou bluffe, que V. Poutine est pusillanime, contesté, affaibli (même mourant !) et que l’on peut continuer le harcèlement sans danger. Dangereux calcul. Comment va-t-on masquer l’énormité de notre mensonge  sur la « victoire de l’Ukraine » le jour où il va sur le terrain militaire s’imposer ? 

    L’ahurissante propagande servie depuis un an bientôt par des médias mainstream inconscients et dévoyés aux peuples européens pour leur faire admettre le prix de la soumission énergétique et stratégique définitive à Washington pourrait faire politiquement très mal, et favoriser l’éclatement du branlant édifice européen. Et la montée d’un populisme dangereux. C’est le problème quand on ment et que l’on est découvert. On ne vous croit plus.

    Pour l’instant, on s’enfonce dans le déni, on prolonge le massacre des forces ukrainiennes et la destruction du pays. Au nom de la sauvegarde du peuple ukrainien évidemment ! Washington noie l’Ukraine sous les dollars et la possède, au sens propre comme figuré. Il lui faut juste doser le jusqu’au boutisme fébrile et les récriminations permanentes du président Zelenski pour pouvoir faire durer son supplice et espérer ainsi, dans le temps long, user la Russie et provoquer la fin du monstre Poutine, Babayaga moderne assoiffée du sang ukrainien et européen. La récente et vaste « purge », en pleine guerre, de l’appareil d’Etat ukrainien et des proches du président, sous couvert de subite lutte contre la corruption (sic !) pourrait bien en fait avoir été orchestrée de plus loin, pour l’isoler et préfigurer sa marginalisation voire son « remplacement » par une figure plus encline à négocier le moment venu la partition de l’Ukraine dans un probable scénario à la coréenne. Car il le faudra bien, d’ici quelques mois sans doute. Plus on attend plus elle sera douloureuse. Les remplaçants putatifs ne manquent pas, prêts à se montrer plus dociles envers Washington. 

    C’est donc la course contre la montre. Kiev implore chaque jour de nouvelles livraisons massives d’armements qui n’arriveront de toute façon pas assez vite ni en assez grande quantité pour changer la donne. Moscou accélère pour lancer une offensive d’envergure avant que l’Ukraine ne soit renforcée, même insuffisamment, par les réserves polonaises en cours de mobilisation et que n’arrivent les chars promis et autres missiles de longue portée… Sinon, c’est reparti pour des mois voire des années… L’Europe ne s’en relèvera pas. Mais 100 chars ou même 300 ne feront pas la différence face aux milliers de l’armée russe et à des effectifs recomplétés et étendus, sans parler des munitions et armements qui semblent inépuisables d’une économie de guerre qui tourne à plein régime. Depuis le début, Moscou ne veut pas frapper les populations civiles ukrainiennes ; sinon l’Ukraine ressemblerait depuis 6 mois déjà à la Tchétchénie et on n’en parlerait plus. Mais cette retenue voulue par le président russe pour des raisons politiques évidentes et que nous n’admettrons jamais, couplée à la surenchère du soutien occidental au régime de Kiev fait durer le supplice et surtout donne du temps à Washington pour que les fous de guerre qui entourent le malheureux président Biden poussent à la roue. Le secrétaire d’Etat Blinken ne sait pas ce qu’est la guerre. Il ne l’a jamais faite, et ça se voit. Sa fureur antirusse, ses déboires diplomatiques à l’étranger face à une Russie qui poursuit sa diplomatie tous azimuts et à une Chine indifférente à son hostilité, l’enferment dans un dogmatisme enragé dont le peuple ukrainien, bien plus que le russe, fait et fera les frais. 

    Comment peut-on arriver à un tel niveau d’orgueil et d’aveuglement ? Et surtout pourquoi ? Mystère et boule de gomme ! Ne voit-on pas le danger d’un dérapage incontrôlé de part ou d’autre ? Que veut l’Amérique en Ukraine ? Certainement pas la sauver, moins encore préserver ce qui reste de la nation et du peuple ukrainiens lancés à corps perdu dans un affrontement inégal et sans issue autre que l’effondrement. Il  veut juste l’aider à poursuivre cette boucherie, sacrifice nécessaire croit-on encore à Washington, pour affaiblir au maximum et durablement la Russie, finir par déstabiliser le pouvoir actuel et remplacer l’ombrageux Poutine par un nouvel Eltsine complaisant qui permettra de reprendre le pillage des ressources de ce richissime et immense pays interrompu à la fin des années 90.  Mais il n’y aura pas de nouvel Eltsine ! La décennie 90 a été pour les Occidentaux une aubaine  leur permettant de se jeter sur la dépouille encore chaude de l’URSS… et pour les Russes un cauchemar. Ils ne se laisseront plus jamais berner.

    Nul ne semble donc prendre la mesure du danger d’un enfermement dans une guerre longue en Europe. Un danger sécuritaire et physique naturellement, mais aussi social et économique dont nous sommes à la fois l’arme par destination, la cible et la victime toute désignée et déjà blessée si l’on considère le délitement de nos économies. 

    Nous sommes tous entrés dans un vaste marché de dupes. Le pouvoir de Kiev à pieds joints, qui fut poussé à l’affrontement contre Moscou et se rend compte qu’il n’en a tout simplement pas les moyens ; l’Europe les bras ouverts, sans comprendre qu’elle doit reprendre la main ou disparaitre à jamais dans l’insignifiance stratégique. Ce ne sont pas les annonces budgétaires des uns et des autres en matière militaire qui nous feront prendre au sérieux à Pékin, Moscou, Téhéran, le Caire ou Ankara. Et je ne parle pas des autres…

    Pourtant, tandis que monte la menace d’un affrontement titanesque entre cet « empire » d’Occident placé face aux limites de sa puissance collective, et un « contre monde » qui coagule jour après jour plus étroitement des puissances globales et régionales majeures et consolide une alternative économique, financière et politique viable à l’ordre américain, nous mettons la tête dans le sable. Nous ne voulons pas voir l’éléphant dans la pièce. Ce déni entêté du réel ne nous suffit pas. Furieux, envieux, humiliés, nous jetons des braises permanentes sur un feu qui ne couve plus mais menace bel et bien d’embraser l’Europe dans la guerre avant de l’ensevelir à jamais dans un rôle d’appendice impécunieux d’une Amérique en plein spasme de déliquescence impériale.  Car la bascule du monde a déjà eu lieu. La dédollarisation de l’économie mondiale est en cours, comme l’a notamment montré le pivot saoudien, mais aussi celui d’une partie grandissante de l’Afrique. Le conflit ukrainien n’a fait que l’accélérer en une sorte de boomerang stratégique à conflagration perlée. Et, contrairement à ce que l’on veut à toute force nous faire croire, ce n’est pas l’ours russe qui est blessé, mais bien l’aigle américain.

    L’affrontement est global. Il se joue en Europe mais aussi en Afrique, en Asie, en Asie centrale aussi, qui sera certainement une zone de déstabilisation future, dans le Caucase et naturellement au Moyen-Orient. Là encore, ce n’est ni l’Amérique ni ses vassaux européens qui ont la main. La dédollarisation de l’économie mondiale est en route, une monnaie des BRICS (la R5) est en train de naitre, le non-alignement est redevenu très « tendance ». Seule notre Europe reste dans l’allégeance béate à un empire en pleine déréliction intérieure comme extérieure, dont les forces armées elles-mêmes – en dépit du gigantisme budgétaire-, sont de moins en moins capables technologiquement voire quantitativement dans certains domaines, d’affronter leurs rivaux géopolitiques chinois ou russe. 

    Le retour à la raison est donc urgentissime. En est-on capables ? Je n’en suis pas certaine. La vanité domine le cœur des hommes. Plus personne ne s’intéresse aux conditions d’un dialogue minimal, à l’apaisement des tensions, moins encore à la paix, notion plus utopique que jamais. La défiance est à son comble. La haine et le mensonge dominent face à « l’ennemi systémique russe » qui s’est finalement résolu à l’affrontement pour briser son encerclement de fait et est, démonisé, défiguré par des amalgames honteux. Pourtant, penser à la paix et en préparer les contours sur une base réaliste n’a jamais été aussi impératif. Il faut une initiative de paix proposée par ceux qui ont gardé quelque lucidité et l’ouverture de pourparlers entre militaires russes et ukrainiens sans préconditions. Vite. 

    La Russie est notre voisine, à jamais, et n’est pas une ennemie. Elle a lancé son « Opération Militaire Spéciale » en sachant qu’elle tombait dans un tragique piège. Avait-elle le choix ? Son invasion du territoire souverain de l’Ukraine est illégale, mais cette évidence ne clôt pas le débat, le vrai : celui de la sécurité en Europe qui est en lambeaux. L’Europe a tout perdu dans ce traquenard. Elle ne comprend pas qu’elle doit et peut encore trouver sa place dans le nouveau monde, fruit de cette bascule gigantesque amorcée depuis 20 ans déjà. Quant à la France, elle ne comprend décidément plus rien à la marche du monde et précipite délibérément sa puissance et son influence résiduelles dans un magma européiste qui ne compte plus stratégiquement, s’il a jamais compté. Ses grands voisins allemand, italien, espagnol jouent leur partition nationale sans se soucier le moins du monde d’une solidarité avec Paris. Nous sommes arrivés au point où il n’est plus possible de se satisfaire d’utopies, moins encore de discours. Il faut tout reprendre, en Afrique, en Asie, en Europe aussi, vis à vis des États-Unis, de la Russie comme de la Chine. Il faut refonder notre politique étrangère sur des bases pragmatiques correspondant à nos intérêts. « Sans argent, l’honneur n’est qu’une maladie » faisait dire Racine à ses Plaideurs. Le discours sur la défense des « valeurs » sans défense de nos intérêts propres est sans écho et nous ridiculise. La France doit s’impliquer dans le soutien à des Etats pivots pour la stabilité régionale et qui luttent comme elle contre les ferments de dissolution nationale et l’extrémisme islamique. Je pense à l’Egypte, mais aussi à l’Algérie. L’histoire du monde n’est pas l’histoire de « Oui Oui au Pays des rêves bleus ». Elle est faite de conquête, de sang, d’apports culturels mais aussi de prédations, de cynisme, de mensonges. C’est ainsi. Il n’y aura de coexistence pacifique qu’au prix de la reconnaissance de la souveraineté des Etats et de l’arrêt de l’impérialisme culturel européen et américain. Ce discours ne passe plus la rampe. L’universalisme est le moteur d’une domination. C’est une évidence. Cela a eu lieu. Pour autant, il faut cesser pour de bon de battre notre coulpe et de permettre à autres de jouer sur notre culpabilité. C’est ridicule et c’est suicidaire. L’histoire est ainsi faite. L’anachronisme ne rapporte rien en diplomatie. Il faut ne pas rater le présent ni le futur au lieu de se défausser sans arrêt sur les erreurs et insuffisances du passé.

    La paix n’est pas le silence, l’asservissement ou la domination définitive. La paix est un équilibre nécessairement imparfait mais supportable. Dans le cas présent, c’est la reconnaissance que nous sommes allés, les uns comme les autres, beaucoup trop loin. L’Ukraine ne peut appartenir à l’OTAN pour d’évidentes raisons, qui vont très au-delà de son sort propre pour toucher la sécurité de l’ensemble du continent européen. Il va falloir reconstruire ce pays en lambeaux. Le gouvernement de Kiev et ses supports suprémacistes blancs et antis-slaves doivent être définitivement éloignés du pouvoir. Il faut négocier au plus tôt entre gens raisonnables ayant les yeux en face des trous. Plus on attend, plus cette négociation sera une reddition aux conditions russes. Si l’entrée de la Russie en Ukraine est illégale, il est hypocrite de faire comme si on ne l’avait pas souhaitée ardemment et préparée depuis au moins 2014. Même Angela Merkel, même Oleksiy Arestovytch, conseiller spécial du président Zelenski aujourd’hui « débarqué » l’ont avoué publiquement. Toute cette mascarade se fait aux dépens d’un peuple sacrifié comme le furent les peuples irakien, syrien ou libyen au nom du Regime change et de la supériorité du modèle démocratique et libéral occidental, et pour masquer une volonté de puissance et de contrôle et de prédation sur les richesses hier irakiennes, libyennes, et syriennes, aujourd’hui russes. 

    Ce long focus sur l’Ukraine vise à montrer le tragique d’une situation difficilement rattrapable pour l’Occident qui est en morceaux mais qui l’a cherché, porté par une ubris déconnectée de la réalité. Il meurt de son complexe de supériorité qui est désormais une antiquité risible pour le reste du monde. Son étoile a pâli avant tout car le gouffre entre discours moralisateur et cynisme des agissements est apparu au grand jour et a nourri ce discrédit. 

    Pour dialoguer, il faut éprouver du respect pour l’autre et être capable de lui accorder un minimum de confiance et d’attention à ses préoccupations fondamentales. Or la Russie a fini de faire confiance et même de respecter les Européens et les Américains (ne parlons pas des Britanniques). Quant à nous, Occidentaux, nous nous sommes volontairement claquemurés dans une haine inexpiable et pensons que le respect ou le dialogue pour et avec Moscou sont sans objet, confortés dans notre autisme stratégique par le mensonge d’une victoire ukrainienne sur le terrain. Que faire dans ce contexte ? Appeler malgré tout à l’arrêt immédiat des combats et à la négociation sans condition sur la base du statu quo territorial actuel ; soutenir la « neutralisation » stratégique de l’Ukraine et l’impossibilité pour elle d’entrer jamais dans l’OTAN, un système de garanties croisées étant sa meilleure protection ; reconstruire le maillage d’accords sur la sécurité en Europe détruit essentiellement par les Etats-Unis ; en finir avec les sanctions qui mettent l’Europe à genoux. 

    La France peut et doit être à l’initiative de cette révolution pragmatique. Il faut un grand courage mais c’est faisable. Je l’appelle de mes vœux depuis des années déjà. Si « la morale » n’a aucun cours dans les relations internationales, l’éthique, elle, y a toute sa place. Le retour aux principes initiaux de la Charte des Nations Unies parait le seul socle possible d’une coexistence supportable. Elle sanctifie le respect de l’intégrité territoriale des Etats mais aussi le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le débat fait rage. Le problème est que la pratique occidentale post Guerre froide nous a totalement disqualifiés pour donner des leçons (Kossovo, Irak, Libye, Syrie, silence sur la guerre du Donbass, …). Il faut sortir de la haine et se souvenir de ce qui fait l’humanité : sa diversité. L’année 2023 sera celle des illusions perdues de l’Occident : celles qu’il avait sur les autres mais aussi celles qu’il croyait pouvoir conserver sur lui-même. 

    Je souhaite ardemment que le Dialogue, ce nouveau média dans lequel je m’exprime aujourd’hui, soit  le lieu où il sera enfin possible et utile de discuter librement et sans anathèmes de tout ce qui fait la chair du monde, de sa violence mais aussi de la nécessité pour tous les peuples et les nations qui le composent de mieux se comprendre et se tolérer. Ce n’est pas de l’altruisme ni de l’angélisme, encore moins du relativisme. C’est le refus du cynisme et des postures moralisatrices. Tant de morts innocents sont là pour témoigner qu’il est plus que temps de changer drastiquement d’attitude.

    Caroline Galactéros (Geopragma, 2 mars 2023)

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  • Symbolique de l'Histoire de France...

    Les éditions Quint'feuille viennent de rééditer l'essai d'Henry Montaigu intitulé La Couronne de feu - Symbolique de l'Histoire de France. Fondateur de la revue traditionaliste La Place Royale, Henry Montaigu (1936-1992) est l'auteur d'une œuvre importante, et notamment du roman Le cavalier bleu (Denoël, 1982).

    Montaigu_La couronne de feu.jpg

    " C'est sans doute la première fois que l'Histoire de France est révélée au lecteur dans sa dimension symbolique et mythique la plus profonde.
    Fruit d'un travail intense, cette étude ne vise pas seulement la connaissance livresque de l'Histoire mais cherche à dégager sa signification la plus essentielle.
    L'ouvrage ne prétend pas être exhaustif mais il tente d'aplanir les voies d'une nouvelle histoire en vue d'une approche plus intérieur du Monde Ancien. Servi par la plume altière de Montaigu, il se situe dans la ligne de l'immense labeur de défrichage intellectuel entrepris par René Guénon.
    À l'heure où beaucoup se posent la question de l'avenir des nations et notamment de la France, Henry Montaigu nous donne une multitude d'aperçus riches d'enseignements sur le « Mystère Français ». "

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  • Guerre en Ukraine et intérêts des puissances...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné par Maurice Gourdault-Montagne à Régis Le Sommier sur Omerta, dans lequel il évoque les intérêts des différentes puissances dans le conflit ukrainien.

    Diplomate français, anciennement ambassadeur au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Chine, Maurice Gourdault-Montagne a également été conseiller diplomatique de Jacques Chirac lors de son second mandat de président de la république (2002-2007).

     

                                                 

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