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europe - Page 35

  • Face à la montée de l’indifférence, il faut rendre le pouvoir aux Français !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Etienne Lahyre cueilli sur Polémia et consacré à la rupture entre le peuple et la classe politique arrimée au système. Etienne Lahyre est haut-fonctionnaire et analyste politique.

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    Politique. Face à la montée de l’indifférence, il faut rendre le pouvoir aux Français !

    « Le crépuscule du devoir » :  tel est le titre d’un essai de Gilles Lipovetsky paru au début des années 1990. Cela pourrait être aussi la meilleure manière de qualifier le comportement de 31 millions de nos compatriotes qui, face à l’indigence inouïe de l’ensemble de la classe politique, n’ont même pas cru devoir se comporter en citoyens actifs lors des dernières élections régionales et départementales. En réponse aux manquements caractérisés de leurs dirigeants, les Français ont choisi de les ignorer. Ce comportement n’est pas excusable : le vote blanc, comptabilisé à part depuis la loi du 21 février 2014, permet d’exprimer un rejet de l’ensemble des candidats, tout en ne s’affranchissant pas de ses obligations de citoyen.

    Quand le politique ne gouverne plus, les citoyens s’abstiennent

    Quant aux motifs donnés par les abstentionnistes pour justifier leur passivité démocratique, ils sont de nature à disqualifier leurs auteurs : selon une enquête de l’IFOP mise en ligne le 20 juin, 40% des abstentionnistes ne sont pas allés voter car « ces élections ne changent rien à leur situation personnelle ». Le politique se bornerait donc à n’être qu’un prestataire de services que l’on n’actionnerait uniquement si l’on estime pouvoir en tirer avantage : l’individualisme, cette « rouille des sociétés » selon Tocqueville, a transformé l’animal politique en homo oeconomicus, soucieux exclusivement de maximiser son utilité. Jamais l’érosion du commun n’a paru aussi profonde dans les sociétés occidentales. Celles-ci s’apparentent au monde de Globalia, décrit par Jean-Christophe Ruffin en 2005 : « Fracture définitive entre les riches et les pauvres, dépolitisation totale, ignorance de l’histoire, hédonisme individualiste ; la peur obsessionnelle du terrorisme, des risques écologiques et de la paupérisation est alors utilisée comme facteur de cohésion sociale afin de justifier le contrôle de l’information et de la force publique par une oligarchie de sociétés multinationales. ».

    Le processus de globalisation, à l’œuvre depuis le début des années 1970, dont on ne rappellera jamais assez qu’il n’est pas naturel, contrairement aux allégations des thuriféraires de la mondialisation heureuse, mais qu’il résulte de choix politiques, se manifeste essentiellement par un travail de sape effectué contre l’Etat-Nation, en tant que détenteur de la souveraineté et en tant qu’expression d’une identité. Jusqu’au début des années 1980, l’organisation politico-administrative de la France reposait sur le triptyque Etat / Département / Commune, légitime géographiquement et démocratiquement, cohérent et proche des gens. L’approfondissement de la construction européenne initié par l’Acte unique de 1985, aussi crucial que funeste, ainsi que les lois de décentralisation successives ont brisé cette architecture. Au triptyque précité, s’est substitué celui formé par l’Union européenne, la région et l’intercommunalité, présentant des caractéristiques opposées en termes de légitimité politique et démocratique, de répartition des compétences et de proximité. Des structures administratives ont remplacé des institutions politiques : l’administration des choses plutôt que le gouvernement des hommes. La progression vertigineuse de l’abstention est intimement corrélée à l’abandon délibéré par l’Etat-Nation de ses prérogatives et aux trahisons successives de nos dirigeants.

    La révision constitutionnelle destinée à permettre la ratification du Traité de Lisbonne, stade suprême de la forfaiture, a contribué de manière décisive à ancrer l’idée que voter ne servait à rien. Non seulement le politique n’exerce plus le pouvoir, mais il empêche le peuple souverain de contester cet état de fait. Les prétendus représentants du peuple se sont retournés contre lui ; ils ont renforcé leur propre impuissance, et partant, remis en cause leur légitimité. Le poids des partis dans la constitution des listes aux élections régionales, qui mêlent conjoints, politiciens au rencart et exécuteurs de basses œuvres, la définition fluctuante de l’intérêt communautaire des établissements publics de coopération intercommunale (métropoles, communautés d’agglomération et communautés de communes) et le caractère peu démocratique du mode de désignation de leur exécutif ont éloigné les Français de ces institutions. La réforme inepte consistant en la création de « grandes régions », si emblématique de l’incurie du quinquennat Hollande, ayant quant à elle aggravé le caractère « hors sol » du mandat de conseiller régional.

    Rien ne change depuis près de quarante ans

    Depuis 1978, toutes les majorités parlementaires sortantes ont été battues aux élections législatives (si l’on excepte le scrutin de 2007 remporté par les sarkozystes qui avaient affiché leur volonté de rompre avec l’inertie chiraquienne). Cette situation, inédite dans un pays européen, est révélatrice du profond mécontentement des Français, qui ont le sentiment que rien ne change malgré leur vote sanction. Comment leur donner tort ? Depuis quarante ans, la politique migratoire est laxiste, la politique étrangère est atlantiste, la politique européenne est bruxelloise, la politique économique et sociale conjugue le pire du socialisme et du néo-libéralisme, en alliant goût immodéré de la dépense publique et de l’assistanat et ouverture à tous vents (le « libéralisme à la française » selon Guillaume Sarlat). Le corset des traités européens, le tropisme saint-simonien des dirigeants français, leur volonté d’être les meilleurs élèves de la globalisation et les hérauts du politiquement correct ont concouru à l’extinction du politique. Lassés de cette impéritie, les Français se sont alors tournés vers le « nouveau monde », le « parti du mouvement », et son candidat, disciple du banquier Laffitte, Emmanuel Macron, qui a mené exactement la même politique, en s’aliénant, par son arrogance, la quasi-totalité du bloc populaire. La jacquerie des gilets jaunes n’a pas eu plus d’influence sur le cours de choses que les manifestations contre la loi Taubira ou la loi El Khomri ; le parti de la mondialisation avance à marche forcée : le parti de la déconstruction, du déracinement et du mépris de classe n’a que faire des élections ou des mouvements populaires. Ne procédant pas du peuple, il n’a pas de comptes à lui rendre.

    C’est cela que ressentent, sans le formaliser ainsi, de nombreux Français. C’est cela qui a abouti à l’émergence d’une « société de défiance ». Défiance renforcée par la crise du Covid 19 au cours de laquelle l’antagonisme entre les tenants du parti de la mondialisation et les gaulois réfractaires s’est notamment cristallisé autour de la figure du professeur Raoult. Chaque camp a alors rivalisé d’irrationalité, multipliant anathèmes et procès d’intention. Sans surprise, ce sont les sympathisants LFI et RN qui manifestent le plus de sympathie pour lui [1], alors que certains élus LREM n’hésitent pas à manifester ouvertement du mépris à son égard. Tout se passe comme si tout enjeu soumis au débat public opposait désormais « les deux clans » analysés par David Goodhart, organisés autour du clivage relatif à la mondialisation. Cette opposition ne s’est pas uniquement traduite en termes intellectuels : du fait de la nature-même de leur activité professionnelle, les habituels gagnants de la mondialisation, les prétendus « premiers de cordée », ont pu sortir indemnes des confinements successifs. La généralisation possible du télétravail a même amélioré le confort de vie de certains. À l’inverse, ce sont les classes populaires qui étaient en première ligne : dans les hôpitaux et les EHPAD, dans les entreprises de transport et de livraison, ou dans les services techniques des collectivités locales. Notre pays a tenu grâce à « ceux qui ne sont rien », ceux dont la rémunération est inversement proportionnelle à l’utilité sociale, ce qui démontre si besoin en était, la profonde indécence du capitalisme mondialisé façonné par et pour les « manipulateurs de symboles » (Robert Reich).

    Le RN désorienté face à des scrutins locaux sans enjeu national

    C’est dans ce contexte de covidisation des esprits que se sont tenues les élections municipales, puis départementales et régionales. Depuis le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, les élections locales sont fréquemment utilisées par les Français pour exprimer leur mécontentement vis-à-vis du pouvoir exécutif. La droite avait ainsi perdu les élections cantonales de 1976, les municipales de 1977 ou de 2008, et les régionales de 2004 et 2010, quand la gauche connaissait un sort identique aux cantonales de 1982, aux municipales de 1983 ou de 2014 et aux régionales de 1992 et 2015. Le pouvoir macroniste a quant à lui affronté les élections locales de 2020 et 2021 sans bastions à défendre, ce qui a eu pour effet direct de démotiver les électeurs habituellement adeptes du vote sanction. Le retour de l’obsolète clivage droite / gauche a contribué à mobiliser uniquement la frange la plus âgée de l’électorat, structurellement moins abstentionniste et continuant à se reconnaitre dans ce clivage artificiel. Pour paraphraser la célèbre boutade soviétique, les Français se sont dit en quelque sorte : « Ils font semblant de nous représenter, faisons semblant de voter pour eux ». Dans les grandes villes, les élections municipales ont vu aussi la mobilisation d’une partie de la jeunesse, diplômée, informée, très présente sur les réseaux sociaux, qui a largement contribué à la victoire des Verts à Lyon, Bordeaux ou Strasbourg.

    Quant au Rassemblement national, les premiers signes annonciateurs de la débâcle aux élections régionales étaient perceptibles. Si la réélection de la plupart des maires sortants et le miracle de Perpignan, face à un sortant héritier de la famille Alduy, qui tenait la ville depuis 1959 (!), avaient été mis en avant par Marine Le Pen, le parti n’en avait pas moins enregistré de cuisants revers dans les grandes villes en obtenant parfois des résultats inférieurs aux scores planchers de 2001 et 2008, années de vaches maigres pour le FN. Outre les évolutions sociologiques défavorables au RN dans les grandes villes, celui-ci avait payé la médiocre qualité de ses élus sortants, dont une part significative l’avait quitté avant le terme de leur mandat, l’érosion qualitative et quantitative de sa structure militante et l’absence de propositions relatives aux enjeux locaux, particulièrement problématique dans un scrutin dénationalisé. Le FN avait obtenu 1498 sièges de conseillers municipaux en 2014, le RN n’en a obtenu que 827 six ans plus tard.

    Les sondages flatteurs, des ralliements inattendus (tels celui du Sénateur Jean-Louis Masson en Moselle, ou de l’ancien directeur de cabinet de Georges Frêche dans l’Hérault), l’impopularité relative de l’exécutif, la volonté prêtée aux Français de protester contre les atteintes aux libertés publiques, avaient conduit Marine Le Pen à considérer que les élections régionales pouvaient constituer la rampe de lancement idéale de sa candidature à l’élection présidentielle. Las ! Le RN a perdu plus de la moitié des 6 millions de voix obtenues en 2015 : presque 910 000 voix pour Marine Le Pen dans les Hauts-de-France en 2015, moins de 325 000 pour Sébastien Chenu six ans plus tard ; 640 000 voix pour Christophe Boudot en Auvergne Rhône-Alpes 2015, 210 000 pour Andrea Kotarac en 2021. Le RN, qui a changé 11 de ses chefs de file sur 13, a particulièrement souffert face aux sortants de droite. Et le résultat de second tour enregistré par Thierry Mariani (42.7%) a démontré une énième fois qu’en duel, même face à un adversaire d’une insondable indigence politique et morale tel que Muselier, le candidat RN ne peut pas l’emporter à l’échelle d’un territoire relativement vaste.

    Pour la France, il faut saborder le RN !

    Marine Le Pen a commis plusieurs erreurs lourdes : la principale consistant à considérer que l’électorat populaire lui était acquis et que l’unique ressort de son adhésion était son opposition à l’immigration (en mésestimant notamment la fracture territoriale et ses conséquences [2]). Et qu’en conséquence de quoi, sa présence au second tour de l’élection présidentielle étant certaine, elle se devait d’aller à la conquête des quelques points manquants auprès de l’électorat bourgeois et âgé. Sa tribune parue dans l’opinion le 21 février dernier [3] consacrée à la dette avait pour but de démontrer qu’un fois élue président de la République, son gouvernement serait composé, selon la formule de Léon Blum au 38ème congrès de la SFIO, de « gérants honnêtes et loyaux des affaires du capitalisme ». Abandon du Frexit, de la sortie de la CEDH, silence sur les questions sociales et sociétales : la Présidente du RN a abandonné sa ligne social-souverainiste de 2017 au profit d’un discours attrape-tout, fondé sur la recherche éperdue de crédibilité. Sa volonté de normalisation lui a été fatale au premier tour, la rémanence de la diabolisation l’a été au second.

    Les palinodies et l’absence de sens stratégique de Marine Le Pen sont connues. Mais au fond, c’est le RN lui-même qui est une scorie, inadaptée aux institutions de la cinquième République, fondées sur le scrutin majoritaire, a fortiori depuis la promulgation de la loi constitutionnelle instaurant le quinquennat qui a vidé de leur sens les élections législatives qui ne sont désormais plus qu’un troisième tour confortant quasi-mécaniquement le président de la république élu quelques semaines plus tôt. François Mitterrand avait parfaitement compris que dans le cadre des institutions gaulliennes, un candidat issu du PCF ne parviendrait jamais à être élu à l‘Elysée, et qu’il pouvait s’engager dans une alliance avec les communistes alors même que le PS était plus faible. Le PCF, pourtant dominant à gauche jusqu’aux élections législatives de 1978, ne pouvait convaincre une majorité de Français au second tour d’une élection présidentielle. Le RN n’en est pas davantage capable aujourd’hui, quel que soit le candidat qu’il serait amené à présenter. Quant à l’ « union des droites », elle est chimérique et inopérante face au clivage relatif à la mondialisation. Nicolas Sarkozy en 2007 avait ainsi réuni des patriotes « de droite » (Buisson, Guaino) et des mondialistes « de droite » (Copé, Woerth et tant d’autres) : sa présidence fut celle de la trahison de Lisbonne, de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN et de la désastreuse guerre en Libye. Les expériences autrichienne (gouvernement Schüssel, 2000-2002) et italienne (gouvernements Berlusconi 1994-95, 2001-2006 et 2008-2011) ont montré qu’une telle union entre les « libéraux » et les « nationaux » bénéficie exclusivement aux premiers et aux intérêts de la droite du capital. Comment unir dans un même camp classes populaires et retraités dont les intérêts et les aspirations économiques sont aux antipodes ?

    Transformer l’élection présidentielle en référendum sur l’immigration ?

    Contrairement à Marine Le Pen, la défaite de LREM aux élections régionales n’aura aucune incidence sur Emmanuel Macron, quand bien même le mouvement présidentiel n’est qu’un « parti Potemkine ». Le président de la République, élu en 2017 sans l’appui d’une quelconque structure partisane, se moque des élections locales : celle-ci ne sont pour lui qu’une sorte de « Ligue 2 » de la compétition électorale, sans talents, et surtout sans spectateurs. Macron répond parfaitement aux attentes de ses mandants et du bloc élitaire, minoritaire en voix mais dépositaire de l’idéologie dominante. Face à Marine Le Pen, Emmanuel Macron a rassemblé bourgeoisies de gauche et de droite au premier tour, puis les électeurs issus de l’immigration au second. La carte électorale du macronisme de 2017 correspond ainsi parfaitement à la superposition des cartes du oui au référendum de 2005 et du vote François Hollande en 2012. Macron obtient ainsi 93,4 % dans le troisième arrondissement de Paris, 88,8 % à Neuilly-sur-Seine et 79,4 % à Clichy-sous-Bois. Il sait parfaitement que l’opposition, si elle est incarnée au second tour par Marine Le Pen, ou par tout autre candidat issu de la droite nationale, ne peut pas s’unir face à lui en raison de la fracture identitaire autour de la question de l’immigration et de l’islam. La fracture identitaire brise l’unité du bloc national, tout comme la fracture sociale brise celle du bloc populaire.

    À la faveur des sondages d’opinion mettant en lumière une attente forte des Français en matière d’immigration [4], d’aucuns espèrent faire des trois « I » (Immigration – Islam – Insécurité), l’enjeu central, voire unique de l’élection présidentielle. Passons sur le caractère réducteur et lacunaire de la démarche, qui néglige délibérément des pans essentiels du débat public. Cette stratégie ne perçoit pas davantage l’évolution inquiétante d’une partie de la jeunesse, qui a toujours connu une forte présence immigrée en France, et ne s’en offusque pas. Un récent sondage a montré que 67% des 18-24 ans était favorable à l’autorisation du burkini dans les piscines [5]. C’est cette même tranche d’âge qui est la plus favorable à la PMA dite « pour toutes » [6], et qui a le plus de sympathie pour la marche dite « des fiertés » [7]. L’américanisation de la jeunesse française est en marche : elle adhère de plus en plus au mythe de l’individu législateur de lui-même et, sans le savoir, à la phrase du Pape François : « Qui suis-je pour juger ? ». Qui suis-je pour juger une femme qui porte le voile islamique ? Elle peut tout à fait le porter dans la mesure où son choix ne m’ôte aucun droit. Qui suis-je pour juger l’émigré syrien ou érythréen demandant l’asile à la France dès lors qu’il fuit la misère et la guerre ? Qui suis-je pour juger nos compatriotes qui, bien que Français, donnent des prénoms non européens à leurs enfants dans la mesure où je peux continuer à appeler mon fils Théo et ma fille Océane ? Cette montée de l’indifférence au commun dès lors que les droits individuels ne sont pas remis en cause par les choix des autres est fondamentale pour appréhender l’évolution intellectuelle de la jeunesse. Pour méritants qu’ils soient, les jeunes militants identitaires n’ont jamais été aussi isolés. Cette politisation inconsciente de la jeunesse se réalise, non plus par le truchement des partis politiques, mais au sein des établissements d’enseignement supérieur, et par l’influence des piliers de la société du spectacle (mass médias, grandes marques, fédérations sportives entre autres). Les gaullistes ont commis, dans les années 1960, les mêmes erreurs que les Républicains américains, en négligeant le combat culturel, et en ne percevant pas la dynamique déconstructrice du marché. L’historien Russell Jacoby voit là la posture schizophrénique de la droite traditionnelle qui « vénère le marché tout en maudissant la culture qu’il engendre ». La jeunesse française hanounisée, tiktokisée, hermétique à la culture classique, est à mille lieues des attentes de ceux qui virent en la mobilisation de masse contre la loi Taubira un avatar de la prétendue « droitisation » de la société, voire « une révolution des valeurs » ou un « mai 68 conservateur ».  Ce fut un contraire le dernier sursaut du vieux monde moribond.

    En deuxième lieu, à la supposer établie, l’hostilité d’une majorité de nos compatriotes à l’égard de l’immigration n’a pas vocation à se traduire par une poussée des mouvements politiques censés incarner ladite hostilité. 62.5% des Allemands seraient hostiles à l’accueil de migrants [8] ; or, dans les intentions de vote mesurées avant les élections législatives prévues en septembre prochain, l’union CDU/CSU est donnée à moins de 30%, ce qui constituerait le pire résultat de son histoire, l’AFD, particulièrement focalisée sur les questions d’immigration, plafonne à 12%, quand les Verts obtiendraient plus de 20% de voix.

    Par ailleurs, dans le cadre de la recension de l’ouvrage de Jérôme Fourquet « Karim vote à gauche, son voisin vote FN » [9], nous avions rappelé le caractère homogène et massif du vote afro-musulman contre les candidats les plus hostiles à l’immigration. C’est cet électorat qui avait assuré la défaite de Sarkozy en 2012. C’est cet électorat, qui est le plus abstentionniste lors des scrutins intermédiaires (ainsi aux régionales de 2021, on a relevé 86.7% d’abstention à Clichy-sous-Bois, 82,4% à Roubaix ou 80% à Grigny), et qui est en capacité de se mobiliser dans la cadre d’un scrutin national à enjeu. Plus la question de l’islam sera au cœur des débats, plus la possibilité d’élection d’un candidat opposé à l’islamisation sera élevée, plus la mobilisation de cet électorat, dont le poids dans le corps électoral ne cesse d’augmenter, sera forte. Et parallèlement, on sous-estime largement le poids de la droite du capital dans la promotion de l’immigration, dans laquelle elle continue à trouver son armée de réserve [10].

    Enfin, si par extraordinaire un candidat hostile à l’immigration venait à l’emporter, il aurait les mains liées par les traités européens et la CEDH. L’adoption par référendum d’une loi restreignant le droit d’asile ou instaurant l’éloignement automatique des délinquants étrangers serait parfaitement inopérante. En effet, rappelons que la CJUE, alors CJCE, avait jugé dès 1978 que le juge national a « l’obligation d’assurer le plein effet des normes communautaires, en laissant au besoin inappliqué, de sa propre autorité, toute disposition contraire nationale, même postérieure, sans qu’il y ait à demander ou attendre l’élimination de celle-ci par voie législative ou tout autre procédé constitutionnel [11]. ».  Toute mesure d’éloignement d’un étranger fondé sur des dispositions législatives contraires au droit dérivé de l’UE ou aux stipulations de la CEDH sera immanquablement annulée par les juges nationaux, privant de tout effet utile la loi référendaire. Rappelons-le à nouveau : il est fallacieux de prétendre pouvoir contrôler l’immigration dans le cadre de la CEDH et de l’UE, cette dernière ayant l’obligation juridique d’adhérer à la CEDH depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et du protocole 14 à ladite convention.

    « Let’s take back control ! »

    Il est donc fort peu probable de gagner la prochaine élection présidentielle en se bornant à déplorer le « grand remplacement ». Les opposants au parti de la mondialisation doivent se poser une seule question : quand, au cours de ces quarante dernières années, ont-ils été dans le camp des vainqueurs lors d’une soirée électorale ? À une seule reprise : le 29 mai 2005, quand 54.7% des Français ont rejeté le traité établissant une Constitution pour l’Europe, en dépit d’un intense blitzkrieg médiatique et des pressions internationales. Tout le défi consiste à trouver un candidat susceptible d’incarner les aspirations hétéroclites et parfois contradictoires de ce bloc du non, et de passer d’un vote dépersonnalisé, de statu quo, à un choix politique pouvant constituer un saut dans l’inconnu.

    Il s’agit d’une gageure à laquelle la fiction a pu trouver une réponse non dénuée d’intérêt. Dans la série « Baron noir », une jeune technocrate, euro-libérale, dont le profil rappelle celui d’Emmanuel Macron, est élue présidente de la République en 2017 face au représentant du Front National. L’exercice de son mandat est difficile, marqué par le terrorisme et la contestation sociale ; la Présidente est même giflée par un manifestant au cours d’un déplacement en province, et chacun anticipe une élection présidentielle de 2022 à haut risque, avec un Front National aux portes du pouvoir. À quelques mois du scrutin, un vidéaste, inconnu des médias et populaire sur les réseaux sociaux, annonce sa candidature articulée autour de la critique radicale de la démocratie représentative et de la promotion du tirage au sort. Ce candidat connaît une ascension fulgurante, siphonne une partie des voix FN et parvient à se qualifier au second tour, sans véritable programme mais s’étant montré plus « disruptif » que le candidat frontiste.

    Plus que dans le contenu programmatique, la radicalité semble devoir se manifester dans l’attitude générale vis-à-vis du système : les victoires de Trump en 2016 et du mouvement cinq étoiles italien en 2018 ont procédé de cette logique. Emmanuel Macron lui-même n’avait pas hésité à affirmer en décembre 2016 : « On se fout des programmes ! ». Plus que dans la cohérence et le sérieux des propositions, la capacité à emporter l’adhésion repose sur la tonalité d’espoir imprégnant le discours du candidat. « Un chef est un marchand d’espérance » selon Napoléon. « Make America Great Again ! » proclamait Donald Trump, reprenant le slogan de Reagan en 1980, quand Macron nous enjoignait à « penser Printemps » (!) en construisant ses discours à coups de truismes lénifiants dignes d’Obama et d’incantations de télévangéliste.

    Trump et le mouvement cinq étoiles ont échoué dans l’exercice du pouvoir, non en raison de leurs excès mais de leur incompétence et de leur incapacité à faire « turbuler le système », le « Deep State » américain et le carcan européen ayant eu raison de leurs velléités respectives.

    Boris Johnson, quant à lui, s’est inscrit avec brio dans le sillon tracé par Theresa May, entérinant la rupture avec le thatchérisme [12] et renouant avec les accents sociaux des Tories de Benjamin Disraeli. Il a fait du parti conservateur le parti des « brexiteurs », en marginalisant le mouvement de Nigel Farage et en présentant le Labour comme le parti des seules minorités. BoJo l’excentrique a su jouer de ses extravagances et appréhender le Brexit non comme une fin en soi, mais comme la condition sine qua non permettant de recouvrer pleinement les prérogatives d’un Etat souverain (« take back control ») pour réinventer le modèle britannique : un « populisme décent » au service de l’intérêt national.

    La victoire face au bloc élitaire n’est possible qu’en affirmant avec force une volonté de rupture par rapport au modèle de la mondialisation visant à l’extinction du politique, en ayant le courage de réunir enfin au sein d’une plate-forme politique commune, épigone du Conseil National de la Résistance, patriotes de gauche comme de droite, fondée non sur l’absurde tirage au sort, mais sur un engagement principal consistant à rendre le pouvoir aux Français. Le candidat, représentant les populares, devra composer un gouvernement de salut public et s’engager à soumettre au référendum dans les plus brefs délais une révision constitutionnelle permettant à la France de quitter l’Union européenne et instaurant le référendum d’initiative citoyenne. C’est à ces conditions nécessaires que le peuple français, à nouveau maître de son destin, pourra trancher lui-même les questions essentielles liées à la préservation de l’identité nationale et aux enjeux stratégiques de demain.

    Etienne Lahyre (Polémia, 04 juillet 2021)

     

    Notes :

    [1] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/le-professeur-raoult-apprecie-par-un-francais-sur-deux-selon-un-sondage-20200916

    [2] https://www.lopinion.fr/edition/politique/ayons-idees-claires-bon-sens-dette-tribune-marine-lepen-237103

    [3]  https://www.lopinion.fr/blog/a-front-renverse/si-vous-fermez-bureau-poste-on-vote-front-national-98673

    [4] https://observatoire-immigration.fr/lopinion-des-francais-sur-limmigration/

    [5] https://www.fdesouche.com/2021/06/25/73-des-francais-sont-pour-interdire-le-burkini-dans-les-piscines/

    [6] https://www.bfmtv.com/societe/67-des-francais-en-faveur-de-la-pma-pour-toutes-53-a-la-gpa-pour-les-couples-homosexuels_AN-202106070009.html

    [7] https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/06/118228_Rapport_Ifop_ADFH_MarcheFierte_2021.06.22.pdf

    [8] https://www.fdesouche.com/2021/06/23/sondage-625-des-allemands-estiment-que-leur-pays-ne-doit-plus-accueillir-de-migrants-un-desaveu-pour-angela-merkel/

    [9] https://www.polemia.com/karim-vote-a-gauche-et-son-voisin-vote-fn-dirige-par-jerome-fourquet/

    [10] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/04/16/97002-20110416FILWWW00429-immigration-parisot-s-oppose-a-gueant.php

    [11] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A61977CJ0106

    [12] https://www.lesechos.fr/2016/07/le-programme-tres-social-de-theresa-may-214050

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  • Face à la Turquie, la nécessité d'une stratégie géopolitique globale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christian Makarian cueilli sur Figaro Vox et consacré à la position de l'Union européenne face à la Turquie. Écrivain et journaliste, Christian Makarian est spécialiste des questions internationales et religieuses. Il a publié  Le choc Jésus-Mahomet (CNRS Éditions, 2011) et Généalogie de la catastrophe - Retrouver la sagesse face à l'imprévisible (Éditions du Cerf, 2020).

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    «L'Union européenne doit adopter une stratégie géopolitique globale vis-à-vis de la Turquie»

    Avec la maîtrise relative de la pandémie de Covid-19 en Europe et l'arrivée de l'été, saison plus propice aux déplacements de populations, le spectre de la question migratoire revient brusquement au-devant de l'actualité. C'était le sujet brûlant du sommet européen des 24 et 25 juin, dont il ne fallait pas attendre de grandes décisions mais qui est venu rappeler combien les grandes fractures du vieux continent contribuent à aggraver le problème.

    Si on a pu noter, au cours des derniers mois, une moindre circulation des flux migratoires en Méditerranée orientale, on constate en revanche une très forte augmentation en Méditerranée centrale et en Europe de l'est (des Balkans à la Lituanie). Durant les cinq premiers mois de 2021, on a dénombré 47.100 franchissements illégaux aux frontières extérieures de l'Union (chiffres Frontex), soit presque le double de la période équivalente de 2020, il est vrai caractérisée par l'irruption brutale de la pandémie et des échanges intercontinentaux. La situation totalement explosive qui caractérise depuis des années les camps de réfugiés en Libye, où l'on déplore de plus en plus de morts du fait des violences commises à l'intérieur de ces concentrations inhumaines, laisse augurer une montée inexorable des flux migratoires vers l'Europe. La cruauté de ce qui se passe en Libye constitue pour les migrants en souffrance une incitation définitive à traverser la Méditerranée fut-ce au péril de leur vie.

    Face à ce drame récurrent, aucune politique européenne coordonnée et solidaire n'existe réellement ; la proposition d'un «pacte global pour la migration», faite par la Commission en 2020, ne parvient pas à emporter l'adhésion des pays d'Europe centrale, particulièrement rétifs à la prise en charge de la part d'accueil et de financement qui leur incomberait.

    Dans ce contexte, la Grèce, notamment, fait une nouvelle fois figure de pays le plus vulnérable ; le mur d'acier en cours d'achèvement le long d'une partie de la frontière (200 km) qui sépare ce pays de la Turquie est le symbole criant de l'insuffisance accablante des mesures que l'UE a prises et accentue le besoin de celles qu'elle peine tant à prendre. Cette fortification ahurissante est prévue pour être dotée de tours d'observation munies de caméras, de dispositifs de vision nocturne et même d'un canon à bruit, dont le niveau sonore est supposé être insupportable aux oreilles humaines. Du reste, les refoulements de réfugiés qui ont lieu en Grèce, parfois violents, sont régulièrement dénoncés par Amnesty International. Mais comment oublier toutes les privations que la population grecque a elle-même subies depuis la crise financière de 2008? L'austérité, quand elle a atteint ce degré-là, se conjugue mal avec l'hospitalité.

    En réalité, la Grèce, montrée du doigt par les bonnes consciences, fait fonction de bouclier pour tout le reste d'un continent qui n'a pas envie de se salir les mains. D'une part, Athènes subit une énorme pression de la part de l'Union ; du reste, elle reçoit de Bruxelles des financements considérables pour réaliser sa grande muraille. D'autre part, les dirigeants grecs ont parallèlement fort à faire avec la Turquie, qui utilise l'arme des migrations pour poursuivre de tous autres objectifs résolument hostiles à la Grèce. Pour mémoire, en février 2020, le gouvernement turc avait soudain laissé plus de 15.000 migrants s'acheminer vers la Grèce du nord en provoquant une panique indescriptible qui avait contraint les autorités grecques à les repousser vigoureusement. De nombreux indices ont prouvé que l'opération avait été méthodiquement préparée par la Turquie. L'occasion a permis aux dirigeants turcs de tester la faible capacité de réaction de l'UE, d'amplifier la discorde existant entre les 27 et, surtout, de rappeler que le désordre serait total sans la fonction de «retenue» remplie par la Turquie. On a rarement assisté à un tel exemple de cynisme diplomatique sur le dos de milliers d'êtres humains aussi déshérités qu'instrumentalisés. Emmanuel Macron lui-même a résumé le danger lors d'une interview accordée à France 5, le 23 mars 2021: «Si vous dites du jour au lendemain: nous ne pouvons plus travailler avec vous, ils ouvrent les portes et vous avez 3 millions de réfugiés syriens qui arrivent en Europe.» De quoi confirmer l'efficacité des manœuvres d'intimidation organisées par Erdogan.

    Depuis l'accord migratoire conclu entre l'UE et Ankara, le 18 mars 2016, l'Europe est enserrée dans une relation paradoxale. Elle a besoin de manière irremplaçable de la Turquie, laquelle accueille 3,7 millions de réfugiés sur son sol, majoritairement en provenance de Syrie (mais pas seulement). C'est, selon l'ONU, un record mondial qui mérite sans doute que l'on dialogue courtoisement avec le dirigeant turc, Recep Tayyip Erdogan, avec tous les égards dus à un partenaire. Il n'y a aucun mal à reconnaître l'effort accompli par la Turquie et cela peut, ou doit, légitimement engendrer des compensations et des solidarités financières.

    L'Union européenne, conformément à l'accord du 18 mars 2016, aura bien versé l'intégralité des 6 milliards d'euros promis à la Turquie (plus précisément 4,1 milliards déboursés, 2 milliards à venir) ; mais les sommes ont été allouées à des organisations humanitaires. Les négociateurs turcs réclament depuis le début que cet argent soit directement attribué à l'État turc et prétend avoir dépensé jusqu'à 40 milliards pour les migrants présents sur son sol. D'autres demandes pressantes sont faites par Ankara (sur les visas pour les ressortissants turcs, sur la modernisation de l'accord douanier entre l'UE et la Turquie, sur l'évolution des conditions d'adhésion à l'Union)… En contrepartie, la Turquie n'a pas respecté la stricte équivalence (à laquelle elle s'était engagée par l'accord de 2016) entre le nombre de clandestins renvoyés par l'Union européenne et le nombre de réfugiés envoyés à partir du sol turc - la disproportion est flagrante.

    Mais, c'est tout le problème, le président turc va très au-delà de la question humanitaire ; il exploite le flux humain que son pays héberge sur son sol dans le cadre d'une stratégie globale de puissance. De sorte qu'on en arrive à tout lui passer au nom de la frayeur qu'inspirent ces flux de déshérités qui frappent à la porte de la riche Europe - alors même qu'Erdogan agit délibérément contre l'Europe sur d'autres fronts.

    Ce que l'Union voit comme une entente nécessaire, une forme de bon voisinage et d'intelligence mutuelle, Erdogan le conçoit comme une ligne de force pour obtenir bien davantage, selon de tout autres considérations ou sous de tout autres cieux. Un nouvel exemple de cette relation paradoxale a été encore fourni le 23 juin 2021, la veille même du jour où le Conseil européen s'est réuni à Bruxelles pour reconduire l'accord de 2016. Le ministre des Affaires étrangères turc se trouve alors à Berlin pour évoquer la situation en Libye ; la conférence réunit 16 pays et quatre organisations internationales pour convaincre «toutes les forces étrangères et les mercenaires» de «se retirer sans délai» de Libye afin de mettre fin à la déstabilisation qui ravage ce pays. La Turquie, qui est présente en Libye au terme d'un accord conclu avec les autorités de Tripoli, à la fois sous la forme de forces régulières (base aérienne d'Al-Watiya, bases navales de Misrata et de Khoms) et des groupes de mercenaires syriens qu'elle finance (environ 5.000 hommes aguerris) a tout fait pour écarter la moindre référence aux «forces étrangères», mention qui contrarie ses ambitions militaires. L'objectif d'Ankara était de cantonner le débat aux forces irrégulières pour pouvoir écarter toute éventualité d'un accord international portant sur le retrait des troupes régulières sur place. La Turquie n'a pas finalement obtenu gain de cause ; mais au cours des discussions les États-Unis ont clairement soutenu la partie turque, en grande partie pour contrer l'implantation des Russes en Libye (la Russie soutient en effet le camp du maréchal Haftar, maître de Benghazi, ennemi juré des hommes du clan pro-turc de Tripoli). Répétons-le: la situation en Libye n'est en rien déliée de la question migratoire, elle en est un des abcès les plus à vif.

    En réalité, depuis la rencontre entre Joe Biden et Recep Tayyip Erdogan, lors du dernier sommet de l'OTAN à Bruxelles, le 14 juin dernier, le président turc s'emploie à effectuer un nouveau virage sur l'aile. Durant les dernières années, il avait laissé les Occidentaux mesurer à quel point son glissement vers la Russie de Vladimir Poutine présentait des dangers potentiellement irréparables. Changement brusque de décor: après l'éviction de Donald Trump, ami précieux d'Erdogan, le leader turc n'a pas tardé à se rapprocher de Biden. Soutien à l'Ukraine (pour plaire aux Américains), cessation des attitudes agressives de la marine turque en Méditerranée orientale, accalmie et reprise des négociations avec la Grèce au sujet du contentieux maritime… Le pragmatique reis néo-ottoman parle maintenant de «nouvelle ère» entre Ankara et Washington, au-delà des différends qui opposent toujours les deux pays sur divers sujets (achat par Ankara du système de défense antiaérien russe S-400, soutien américain aux Kurdes de Syrie). Au point que Moscou s'inquiète désormais de cet épisode imprévu et que des signes de refroidissement apparaissent entre les deux complices ultra-autoritaires (notamment en Syrie, mais aussi en Libye).

    Il ne s'agit pas là d'une clarification: ceux qui songent au retour à l'alignement atlantiste qui était celui de la Turquie kémaliste de naguère ne seront pas exaucés. Erdogan continuera de jouer sur les deux tableaux, tantôt Washington, tantôt Moscou, au gré de ses intérêts évolutifs. Mais il existe un partenaire qui apparaît presque secondaire et qui aura du mal à suivre cette danse du ventre: l'Europe. Ce batelage permanent, cette manie de jouer sur plusieurs tableaux à la fois, cette alternance de camouflets et de paroles mielleuses, de provocations offensantes et de faux rapprochements, forment une spécialité reconnue d'Erdogan. Pourquoi y renoncerait-il tant ce comportement lui a procuré des avantages tactiques et tout en forçant l'UE à le courtiser de nouveau?

    C'est sous cet angle, vraiment global, qu'il faut envisager la relation avec la Turquie. La question des migrations qui hante les consciences européennes s'inscrit, elle aussi, dans une dimension géopolitique sans laquelle on ne peut pas négocier équitablement avec Erdogan. On sait combien Angela Merkel est soucieuse de ne pas conclure son bilan politique, assez remarquable par ailleurs, sur une crise avec la Turquie. Or c'est bien moins l'obsession du consensus qui devrait guider l'UE qu'un sens aigu de ses intérêts stratégiques at large, ce qui appelle une vision beaucoup plus vaste et ambitieuse qu'un bras de fer grimaçant entre le visage mou qu'affiche Bruxelles et la mâchoire serrée qui caractérise Ankara.

    Christian Makarian (Figaro Vox, 25 juin 2021)

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  • Le chevalier dans l'histoire...

    Les éditions Les Belles Lettres viennent de publier un essai de Frances Gies intitulé Le chevalier dans l'histoire. Historienne médiéviste américaine, Frances Gies a publié avec son mari, Joseph Gies, de nombreux ouvrages devenus des classiques comme La vie dans un château médiéval (Les Belles Lettres, 2018) ou La vie dans un village médiéval (Les Belles Lettres, 2020).

     

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    " Né du chaos européen du début du Moyen Âge, le chevalier monté et en armure a révolutionné la guerre et est très vite devenu une figure mythique dans l’histoire.
    Des conquérants normands de l’Angleterre aux croisés de la Terre sainte, du héros de la chanson de geste au preux du roman arthurien, des amateurs de tournoi aux chevaliers-troubadours, Le Chevalier dans l’Histoire, de la grande médiéviste Frances Gies, brosse un tableau remarquablement vivant et complet de la chevalerie, de sa naissance à son déclin.
    Le chevalier apparaît d’abord en Europe comme un mercenaire sans foi ni loi avant de devenir l’étendard de la chrétienté puis un soldat de métier au service des rois. Frances Gies nous fait partager sa vie quotidienne, faite de joutes et de batailles, de pillages et de rançons, mais aussi de dévotion et de pèlerinage, et souvent sanctionnée par l’errance et une mort précoce.
    Elle nous fait revivre l’aventure des héros du Moyen Âge qui ont joué un rôle historique, comme Bertrand du Guesclin, Bayard et Sir John Fastolf, qui inspira le Falstaff de Shakespeare, ou les grands maîtres des Ordres militaires qu’étaient les Templiers, les Hospitaliers et les chevaliers teutoniques. "

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  • L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Girard, cueilli sur Geopragma et consacré à la faiblesse géopolitique de l'Europe. Renaud Girard est correspondant de guerre et chroniqueur international du Figaro.

     

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    L’Union européenne ne fait peur à personne !

    Lorsque, le 10 septembre 2019, la Présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula Von der Leyen, installa son Vice-président, l’Espagnol Josep Borrell, dans ses fonctions de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, elle lui dit : « Nous devons être une Commission géopolitique ! ».

    Historiquement, sous l’influence du géographe allemand Friedrich Ratzel, le terme géopolitique désigne l’étude des rapports de pouvoir entre Etats. Ratzel (1844-1904), premier théoricien du Lebensraum (l’espace vital), estimait que la politique étrangère de l’Allemagne devait veiller à toujours maintenir des rapports de force favorables avec ses voisins. C’est d’ailleurs ce que fit son compatriote Bismarck, le Chancelier de fer, qui dirigea, avec talent, les affaires allemandes de 1870 à 1890. L’Allemagne bismarckienne était un Etat respecté dans le monde, tout en sachant éviter tout aventurisme.

    Bien que dotée depuis un an et demi d’une « Commission géopolitique », on ne peut pas dire que l’Union européenne (UE) apparaisse vraiment comme une puissance respectée dans le monde. Non seulement elle ne fait peur à personne, mais elle se laisse marcher dessus avec une singulière complaisance. Il y a la forme (qui compte beaucoup en diplomatie) et il y a le fond.

    Sur la forme, on a vu, au cours du premier tiers de l’année 2021, la Commission européenne se faire humilier par les deux grandes autocraties expansionnistes voisines de l’Union. Le 5 février 2021, alors même que M. Borrell était en visite à Moscou, les autorités russes expulsaient trois diplomates européens (un Allemand, un Polonais, un Suédois), sous prétexte qu’ils auraient participé à un rassemblement de soutien à l’opposant Navalny.

    Le 6 avril 2021 à Ankara, lors d’un sommet entre l’UE et la Turquie, on assista à une scène hallucinante : le président du Conseil européen, Charles Michel, et le président Recep Erdogan s’assirent face à face dans des fauteuils confortables, sans penser à en avancer un pour Madame Ursula Von der Leyen qui, plutôt que rester debout, décida d’aller s’asseoir sur un sofa au fond de la salle. Cet incident – aussitôt qualifié de sofagate par les journalistes – n’a pas seulement illustré l’absence de courtoisie élémentaire de ces deux hommes politiques belge et turc. Il a aussi – ce qui est plus grave – souligné l’absence d’unité à la tête de l’UE et l’existence d’une rivalité délétère entre son Conseil (organe de nomination et de décision représentant les 27 Etats membres) et sa Commission (organe de gestion des intérêts européens, détenant le monopole de l’initiative).

    Sur le fond, abondent hélas les preuves que l’UE ne se fait plus respecter.

    Le 23 mai 2021, le dictateur biélorusse Loukachenko a fait atterrir de force à Minsk un avion européen, de la compagnie Ryanair, reliant deux capitales européennes, Athènes et Vilnius. Tout cela pour s’emparer d’un opposant de 26 ans, qui fut l’un des principaux journalistes biélorusses à avoir dénoncé la fraude des élections présidentielles d’août 2020.

    Une semaine plus tôt, à l’autre extrémité du territoire de l’Union en diagonale, se déroula un incident montrant également un manque de respect pour l’UE. En représailles du fait que l’Espagne ait accepté de soigner chez elle le chef du Polisario (mouvement des Réguibats, tribu saharienne militant pour l’autodétermination de l’ex-Sahara espagnol, annexé par le Maroc en 1975), les autorités marocaines ont lancé, à l’assaut de l’enclave espagnole de Ceuta, des milliers de jeunes hommes et adolescents problématiques, dont elles furent ravies de se débarrasser. Le gouvernement marocain sait très bien que, sur le territoire de l’UE, on n’expulse jamais les mineurs isolés.

    Il n’y a pas qu’aux trafiquants de drogues et d’êtres humains que l’UE ne fait pas peur. Les hackers, qu’ils soient étatiques ou non, ne la craignent pas non plus. Le territoire de l’UE est devenu le ventre mou du monde de toutes les attaques cyber. Le 4 mai 2021, Belnet, le réseau informatique de la Belgique, a été paralysé par une attaque, au moment où son Parlement s’apprêtait à tenir une réunion sur la minorité chinoise persécutée des Ouïghours… Autre exemple incriminant la Chine, elle essaie régulièrement de voler informatiquement ses plans à Airbus.

    La Russie, quant à elle, tolère sur son sol quantité de cyber-corsaires. Pour obtenir des rançons, ceux-ci attaquent des sociétés privées ou des institutions publiques, telles que les hôpitaux. Les services russes et chinois ne se gênent pas pour déposer des « implants » (des logiciels dormants activables à distance) sur les grandes infrastructures européennes.

    Face à ses adversaires, il est grand temps que l’UE élabore une politique de sécurité digne de ce nom. Pour passer enfin à la contre-offensive. 

    Renaud Girard (Geopragma, 28 mai 2021)

     

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  • Grandeur et décadences de l'Europe...

    Les éditions Via Romana viennent de publier Grandeur et décadence de l'Europe, un recueil des éditoriaux de Dominique Venner publiés dans Enquête sur l’histoire puis La Nouvelle Revue d’Histoire, avec une préface d'Olivier Maulin.

    Fondateur et directeur d’Enquête sur l’histoire et de La Nouvelle Revue d’Histoire, Dominique Venner (1935-2013) a notamment publié Dictionnaire amoureux de la chasse (Plon, 2000), Le Siècle de 1914 (Pygmalion, 2006), Les Blancs et les Rouges : histoire de la guerre civile russe (Rocher, 2007), Ernst Jünger (Rocher, 2012), Un Samouraï d’Occident (P.-G. de Roux, 2013) et Le Blanc Soleil des vaincus (Via Romana, 2015).

     

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    " Voici les célèbres éditoriaux de l’historien Dominique Venner  de 1991 à 2013. L’observation aiguë de l’actualité est prétexte à méditer l’éternel retour de l’Histoire, là où à l’imprévu se mêlent volontiers l’ambiguïté des apparences, le mensonge des beaux discours et les retournements de situation. Alors que le débarquement américain de novembre 1942 révèle la mort de la puissance française, l’Afrique du Nord met vingt ans à entériner sa chute… La guerre d’Algérie entraînant par ailleurs des flux migratoires toujours d’actualité. La chute du Mur en 1989 ouvre à nouveau les perspectives d’une alliance avec la Russie, occidentale dès ses origines, pour pallier le jeu américain de division de l’Europe. Déclin de la civilisation européenne, perte des repères, islamisation de nos sociétés, montée du terrorisme, Dominique Venner n’est dupe d’aucun piège de l’Histoire. Convaincu de la vitalité des civilisations, il affirme la nécessité de rester fidèles à nous-mêmes et à l’esprit critique hérité de nos racines. « La culture se rapporte à la permanence des mentalités profondes. Elle est créatrice de sens. […] La tradition est l’âme d’une culture et d’une civilisation. »
       Comment ainsi traiter à la légère le fait religieux qui fonde la civilisation ? On ne peut, quand on aborde le rôle du christianisme, faire l’économie des liens étroits et conflictuels établis au cours des âges entre l’Église et l’État, le Sacerdoce et l’Empire, le Trône et l’Autel.  C’est également parce qu’il porte son regard sur le cycle des empires et des conquêtes que Dominique Venner ne craint pas la mort. « La part romaine de la civilisation européenne avait semblé mourir quand lui fut imposé le christianisme. Mais un regard non convenu repère sa survivance en Occident durant les siècles chrétiens et au-delà. Les révolutionnaires et Napoléon ne se voulaient-ils pas romains jusqu’à la caricature ? » S’il se méfie de l’esprit de système ou des utopies qui engendrent Révolution et Terreur, l’historien appelle à un renouveau spirituel comme en témoigne notamment sa lecture de Jeanne d’Arc, archétype de l’héroïne européenne et de la reconquête qui vient. "

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  • L’Europe et le « Grand Jeu » du XXIe siècle...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post dans lequel il appelle l'Europe à donner la priorité absolue à la protection de ses propres intérêts plutôt qu’à des « droits de l’homme » évanescents.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenue une figure de la pensée conservatrice en Europe, est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    L’Europe et le « Grand Jeu » du XXIe siècle

    Lorsqu’il y a quelques jours, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a refusé de signer l’une des usuelles « déclarations préoccupées » de l’UE concernant la situation des droits de l’homme à Hong Kong, le tollé habituel a parcouru les médias occidentaux, qui y ont vu un nouvel exemple des tendances « illibérales » de l’État voyou hongrois. Loin de moi l’idée de banaliser les événements en Chine ou d’approuver les mesures prises par Pékin pour contrôler ses provinces périphériques. Toutefois, au vu des violentes émeutes aux États-Unis, en Espagne ou en France, et de la perte croissante des valeurs démocratiques fondamentales partout en Occident, la question se pose de savoir « s’il faut jeter des pierres lorsque l’on est assis dans une maison de verre », comme le dit un dicton allemand – cela est d’autant plus vrai si l’on considère la sélectivité avec laquelle l’Occident, chaque fois que cela est opportun dans les médias, se présente comme le défenseur des droits de l’homme, alors qu’en même temps, lorsque personne n’y prête attention de trop près, il conclut des contrats économiques de plusieurs milliards avec les mêmes gouvernements et est très heureux de pactiser avec des dictateurs pour autant qu’ils soient de « notre » côté. Ces considérations ne doivent pas être interprétées comme un appel cynique au relativisme moral ; au contraire, je suis plutôt préoccupé par l’idée que l’Occident devrait se mettre à une certaine cohérence idéologique afin d’être enfin crédible tant à l’extérieur qu’à l’intérieur, et d’empêcher que de nombreux citoyens tout comme nos voisins soient de plus en plus dégoûtés par le « deux poids, deux mesures » occidental, voire conspirent ensemble pour nous renverser.

    Si la politique étrangère devait se fonder uniquement sur les droits de l’homme, comme le veut l’auto-représentation actuelle de l’Europe, ces derniers devraient alors tout d’abord être véritablement mis en œuvre à l’intérieur (il y aurait beaucoup à faire dans ce domaine), puis de manière cohérente et juste à l’extérieur – avec la conséquence probable que presque toutes les relations avec l’Asie ainsi qu’avec l’Afrique devraient être complètement rompues, sans parler des conséquences catastrophiques à prévoir, notamment en matière de politique économique, étant donné que notre dépendance à l’industrie de l’Asie de l’Est fait que le développement de structures industrielles équivalentes chez nous est devenu presque impossible, du moins à court et à moyen terme. Voulons-nous payer ce prix ? Si oui, allons-y !

    Une autre solution consisterait à donner la priorité absolue à la protection des intérêts européens plutôt qu’à ces « droits de l’homme » usuellement fort sélectifs, et à fonder la politique étrangère de notre continent, du moins dans un premier temps, sur la garantie de notre indépendance stratégique et de notre autonomie économique maximale, mais en s’abstenant de cet interventionnisme verbal édenté et peu crédible, afin de pouvoir ensuite, sur une base solide et dans une position de force et de crédibilité réelles, défendre le droit et la justice également à l’étranger.

    Or, nous en sommes très loin, d’autant plus que l’élite politique européenne actuelle a perdu tout sens de la géopolitique ou s’est laissée instrumentaliser par des lobbies influents qui poursuivent leurs propres objectifs et n’ont que très rarement à cœur le bien de la civilisation occidentale dans son ensemble.

    Le monde de l’avenir, voire déjà du présent, est dominé par de grandes zones économico-politiques qui s’efforcent certes d’exercer une hégémonie relative sur leurs périphéries, mais n’ont aucune possibilité de parvenir à une véritable domination mondiale à long terme. La Chine, l’Inde, la Russie, les États-Unis et le Brésil sont devenus les cœurs de nouveaux empires multilatéraux qui, au mieux, maintiennent un équilibre précaire et ne se frottent qu’à leur périphérie, mais qui, au pire, pourraient plonger dans des conflits autodestructeurs.

    L’Europe doit reconnaître cette situation ; qu’elle le veuille ou non, elle doit se considérer comme un autre joueur dans ce nouveau « Grand Jeu » très dangereux et se doter des institutions appropriées pour jouer ce jeu activement et efficacement afin de ne pas devenir une quantité négligeable. Pour ce faire, il est bien sûr nécessaire d’éclairer ces irréductibles qui croient encore qu’une Europe de 40 minuscules États-nations en brouille permanente aurait la moindre chance dans cette situation, et de démasquer au grand jour le fait que ceux qui, aujourd’hui, prétendent protéger l’Europe vendent en fait les intérêts occidentaux au plus offrant.

    Mais cela ne peut se réaliser que par une prise de conscience collective de notre identité historique commune, car sans cette identité, l’espoir de solidarité et ainsi de cohésion politique restera chimérique. Il s’agit donc là du véritable levier du futur de l’Europe au XXIe siècle.

    David Engels (Visegrad Post, 14 mai 2021)

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