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enracinement - Page 4

  • Une écologie par-delà droite et gauche...

    Le 9 mai 2017, Elise Blaise recevait, sur TV libertésFabien Niezgoda pour évoquer une écologie qui se situe par-delà la droite et la gauche et qui met en exergue les notions d'enracinement et de transmission. Membre du Mouvement écologiste indépendant, Fabien Niezgoda est professeur d'histoire-géographie et collabore à diverses revues , dont Eléments. Il vient de publier avec Antoine Waechter Le sens de l'écologie politique - Une vision par-delà droite et gauche (Sang de la Terre, 2017).

     

                                  

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  • Le cinéma de Cheyenne-Marie Carron...

    Nous reproduisons ci-dessous un bel article de Ludovic Maubreuil, consacré à la réalisatrice Cheyenne-Marie Carron, mis en ligne sur son blog Cinématique, après avoir été publié initialement dans la revue Eléments (n°162, septembre - octobre 2016).

    Vous pouvez également découvrir la bande-annonce de son prochain film, La Morsure des Dieux.

    Les films de Cheyenne-Marie Carron sont disponibles en DVD sur son site officiel.

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    Le cinéma de Cheyenne-Marie Carron

    C’est l’histoire d’une jeune fille de la Drôme qui monte à Paris à sa majorité, CAP de secrétariat en poche, avec la ferme intention de devenir réalisatrice. Née à Valence de parents kabyles, placée à trois mois en famille d’accueil, déclarée Pupille de L’Etat des années plus tard, elle est officiellement adoptée à l’âge de 20 ans par les Carron et décide alors de changer de prénom. Par fidélité à son petit frère d'origine indienne mais également en hommage à l’un des derniers films de John Ford, Les Cheyennes (1964). En 2014, elle le compose avec Marie, suite à son baptême catholique. C’est l’histoire de Cheyenne-Marie Carron, qui a réalisé à ce jour deux courts-métrages (dont le premier à 25 ans) et six longs, deux autres étant en préparation.

    Viennent dans l’ordre, Ecorchés (2005), huis-clos étouffant sur un couple reclus volontaire dans une vaste maison, peu à peu anéanti par son propre nihilisme ; Extase (2010), somptueuse méditation sur l'enfantement et la mort, la foi et le doute, l'art et le sexe ; Ne nous soumets pas à la tentation (2011), drame à tiroirs et à révélations, raconté successivement par ses trois protagonistes ; La Fille Publique (2012), superbe portrait de son adolescence, retraçant avec une franchise exemplaire, cette période délicate ; L'Apôtre (2014), itinéraire douloureux d'un musulman finissant par devenir chrétien, dont la sortie fut plusieurs fois repoussé en raison des attentats en France ; Patries (2015), intense film sur la banlieue, croisant les destinées de Sébastien, en butte au racisme anti-blancs, et de Pierre, Africain en France depuis l'âge de cinq ans.

    Que ce soit en raison de la hardiesse de ses sujets ou du fait qu'elle ne fasse pas partie du sérail, Cheyenne-Marie Carron bâtit son œuvre en dehors du système. Elle écrit, réalise et produit elle-même ses films, les tourne avec peu de moyens, pour quelques dizaines de milliers d'euros, avec bien souvent des acteurs et des techniciens en participation, c'est à dire rétribués en fonction des recettes. La dernière ligne du générique de fin de Ne nous soumets pas à la tentation est un extrait du Manuel de survie de Werner Herzog, décapante charge contre l'industrie cinématographique : « Tu ne dois jamais dépendre de quiconque. Deviens ton propre producteur. L'argent suivra… »

    Une main glisse le long d’une façade d’immeuble, d’une grille de jardin, d’une cloison d’appartement. Elle en effleure les arêtes de métal, la douceur un peu rêche du papier-peint, les aspérités du crépi. La caméra suit celle ou celui qui marche ainsi d’un pas décidé, tout en se focalisant sur cette main qui malgré la hâte, l’inquiétude ou la détermination, s’attarde encore un peu, profite de ces sensations bientôt évanouies, puisqu’il faudra bien finir par quitter cet immeuble, ce jardin, cet appartement. Ce plan récurrent dans le cinéma de Cheyenne-Marie Carron donne assez bien la mesure du caractère fordien de ses personnages, lesquels ne vont jamais de l’avant sans garder chevillée au corps, la mémoire de ce qui les a fondés, comme un peu de terre natale au fond de la poche. Chez Ford en effet, le héros n’envisage l’autre, ne part à sa découverte ou à son affrontement, qu’en fonction de ce qu’il sait de lui-même et de sa communauté. C’est même parce qu’il a besoin de la compléter, de l’affermir ou d’enfin l’accepter, qu’il se confronte à d’autres identités que la sienne, comme le capitaine Thomas Archer face aux indiens de Cheyennes.

    La rencontre avec l’autre, chez Ford comme chez Cheyenne-Marie Carron, n’est jamais anodine, mais au contraire décisive. Elle permet de départager ce qui n'a jamais été que postures machinales et ce qui demeure essentiel, ce qui résulte de racines profondes et ce qui ne relève que de du cosmétique, ce qui s’impose et ce que l’on prétend. La relation violente à l’autre, après les mensonges et les simagrées de la ressemblance, permet de déployer son identité sans pour autant en renier l'origine. C’est ainsi que Pierre, Camerounais élevé en France, cheminera tout au long de Patries, notamment grâce à son amitié manquée avec Sébastien, jusqu’à désirer rejoindre la terre de ses ancêtres ; mais c’est aussi de la sorte qu’Akim, dans L’Apôtre, de confession musulmane mais se heurtant aux principes rigoristes de son frère, deviendra chrétien. Dans les deux cas, chacun des personnages s’est pleinement réalisé, après avoir quitté ce qu’il pensait être et devenu ce que profondément il était. Deux leitmotivs de son cinéma peuvent alors être rapprochés : la rixe brutale, qui voit l’un contre l’autre, frères, sœurs ou camarades se combattre, et puis le plan intimiste, avec une porte entrouverte en amorce, dévoilant un personnage qui dans le secret d’une chambre, entonne un chant ou récite une prière. D’un côté, la violence sans fard, filmée au plus près par une caméra incisive, et de l’autre, la lente maturation dans le retrait de l’arrière-plan. Le combat-chrysalide, qui permet de se nourrir et se démarquer de cet autre au reflet inversé, et puis la métamorphose, qui n’est finalement qu’une réappropriation définitive de soi.

    La richesse des films de Cheyenne -Marie Carron tient à cette dialectique fordienne, à cette quête acharnée de ce qui fonde puis forge une identité. Elle procède également d’un style audacieux, tentant de lier la rigueur de l'enchaînement classique aux bouleversements du cinéma-vérité. Cette démarche esthétique, que l’on peut cette fois rapprocher du cinéma de Pialat, apparaît d’autant plus anachronique que la mode, tout juste à l'opposé, est aux dérèglements formels les plus hauts en couleurs, combinés au chiqué relationnel, aux témoignages parodiques, aux faux-semblants de la sincérité … On observe en effet dans cette œuvre d’une grande cohérence, une oscillation permanente entre l’implacable progression dramatique et le maelstrom d'émotions qui figent les personnages. Il en va de même entre le sens précis d'une séquence et la kyrielle de sensations qui viennent s'y inviter, entre la vérité d'un acteur et la logique de son rôle. Ces trois registres d'opposition montent ainsi chaque film jusqu’à son point de rupture, exerçant une tension bouleversante entre le documentaire et l’allégorie. A ce titre, on peut remarquer qu’à de nombreuses reprises, la caméra vient capter la position des mains des acteurs. Qu’ils les saisissent dans la justesse d'une attitude, le savoir-faire d’un travail, qu’ils les montrent ouvertes pour la gifle ou le pardon, qu’ils les préfèrent caressantes ou crispées sur un refus, ces plans magnifient autant le caractère immuable d’un langage que la beauté évidente de l’instant.

    Il est bien d’autres raisons pour lesquelles ces films se révèlent précieux. Le cinéma français contemporain, par exemple, paraît ne rien penser des paysages dont il agrémente ses récits. Il les oublie dans le flou des arrière-fonds ou bien les maquillent de grandiloquence publicitaire. Réduites à un décor, les expressions de la nature ne sont plus là qu’en supplément, profondément désaffiliées. A l'inverse, les héroïnes et les héros de Cheyenne-Marie Carron font corps avec la nature, leurs sentiments les plus contrastés en épousent les formes, un lien organique s'établit entre la mer, le vent, la forêt et leur psyché. Il peut s’agir d’exaltation comme d’apaisement, de rencontre tragique comme de recours inespéré. L'escalade meurtrière des amants d'Ecorchés se nourrit des bourrasques qui frappent à leur porte et dévastent les alentours ; les souvenirs et les craintes d'Extase s’accompagnent en fond sonore d’eau qui s’écoule lentement, de vagues violentes, de pluie régulières ; Yasmeen (La Fille publique) croise souvent des arbres à ses moments de grand désarroi, y grimpe même pour s’y réfugier. Akim (L’Apôtre), en plein conflit spirituel, trouve le réconfort en enserrant de ses mains le tronc d'un arbre, tandis que le groupe d'anciens musulmans convertis au christianisme se réunit en secret dans une clairière ; Pierre (Patries) retrouve entre les arbres d'un parc, la musique traditionnelle de son pays. Tout comme la sensualité mystique qui émane de la plupart des films de Cheyenne-Marie Carron, cette union vivifiante entre l'homme et la nature, ce rapport charnel à la terre, transcende ces récits de vengeance et de conquête, d'accomplissement et de renoncement, de foi et de doute. La rencontre enthousiaste avec la spiritualité païenne, dont la cinéaste nous parle dans l'entretien qui suit, semble ainsi un aboutissement logique, tant la matière de son cinéma en était déjà, depuis l’origine, profondément imprégnée.

    Catholique fervente néanmoins sensible à l'effusion païenne, cinéaste autodidacte affinant des mises en scène toujours plus exigeantes, auteur exclue du système continuant de ne faire aucune concession à l’air du temps, Cheyenne-Marie Carron n'a sans doute pas fini de remuer le monde désenchanté, désengagé et désespérant du cinéma français. Comme Dumont, Brisseau, Viel et quelques autres, elle en sauve même l'honneur.

    Ludovic Maubreuil (Cinématique, 5 décembre 2016)

     

                        

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  • Comment la modernité a tué les paysans...

    Comme nous l'a signalé Pierre Bérard, le sociologue Pierre Bitoun revient au cours de cet entretien avec Eugénie Bastié, journaliste au Figaro, "sur les raisons de la catastrophe sociale et anthropologique que constitue selon lui la disparition du monde paysan et le véritable ethnocide dont il  s'est accompagné. Il plaide dans son livre Le sacrifice des paysans (L'échappée, 2016) pour le retour d'une ruralité solidaire et non productiviste et post-capitaliste fondée sur d'authentiques "paysans" enracinés".

     

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  • Le clivage droite/gauche est-il mort ?...

    A l'occasion de la sortie de son essai Droite - Gauche : pour sortir de l'équivoque (Pierre-Guillaume de Roux, 2016), Arnaud Imatz répond aux questions répond aux questions d'Alexandre Devecchio dans le Figaro Vox quant à la pertinence du clivage droite/gauche dans le champ politique actuel.

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    Le clivage droite/gauche est-il mort ?

    Emmanuel Macron a présenté sa démission à François Hollande, qui l'a acceptée. L'ancien ministre de l'économie va se consacrer à son mouvement «En marche» et préparer une éventuelle candidature à la présidentielle. Il entend dépasser le clivage droite/gauche. Est-ce le début de la fin de ce que vous appelez une «mystification antidémocratique»?

    À l'évidence Monsieur Macron a des atouts dans son jeu. Il est jeune, intelligent, il apprend vite et il n'est pas dépourvu de charisme et de charme. Il a en outre eu la bonne idée de créer une petite structure, En Marche ce que n'avait pas pu, su, ou voulu faire en son temps Dominique de Villepin. Mais si un «mouvement» ou -pour être plus exact - une simple association de notables peut jouer un rôle de parti charnière, et in fine obtenir un ou deux portefeuilles ministériels, je ne crois pas qu'elle puisse suffire pour positionner sérieusement un leader comme candidat crédible à la présidentielle de 2017. Sous la Ve République, seuls les chefs de grands partis, ceux qui en contrôlent les rouages, ont des chances de succès. On voit mal comment dans un parti socialiste aux mains de vieux éléphants un consensus pourrait se dégager spontanément autour de quelqu'un dont le style et les idées ne sont appréciés ni des barons, ni de la majorité des militants. Mais en politique il ne faut exclure aucune hypothèse. Macron est un politicien, sinon chevronné, du moins déjà expérimenté. Il connaît très bien la magie des mots. Il a dit et laisser dire qu'il souhaitait dépasser le clivage droite/gauche et qu'il n'était pas socialiste (après tout il semble qu'il ne l'ait été, comme membre du Parti socialiste, que de 2006 à 2009… à l'époque où il était encore banquier d'affaires). Il s'est réclamé récemment de Jeanne d'Arc flattant à peu de frais un certain électorat de droite toujours sensible aux envolées lyriques devant un des symboles de la nation. Le jour de sa démission, il a précisé qu'il n'avait jamais dit qu'il était «ni de droite, ni de gauche», ce qui d'ailleurs ne lui a rien coûté car cette double négation ne veut pas dire grand-chose. Sans doute eût-il été plus honnête et plus correct d'affirmer devant les français: «je ne suis pas simultanément de droite et de gauche». Cela dit, il s'est aussi déclaré dans le camp des progressistes contre celui des conservateurs. J'imagine sans peine que forcé de nous expliquer ce que sont pour lui les progressistes et les conservateurs, il ne manquerait pas de nous asséner quelques lieux-communs sur les prétendus partisans du progrès, de la raison, de la science, de la liberté, de l'égalité et de la fraternité face aux immobilistes, aux réactionnaires et aux populistes. Je dirai que Macron est un énième remake de Tony Blair, Bill Clinton et Gerhard Schröder. N'oublions pas que ces vedettes politiques de l'époque cherchaient à s'approprier, par-delà les clivages de droite et de gauche, la capacité de mobilisation de la «troisième voie».

    Le système des primaires est-il un moyen de faire perdurer cette «mystification»?

    Oui! bien évidemment. Il y a en fait une double mystification antidémocratique. Il y a d'abord celle de la division droite / gauche, à laquelle je me réfère dans mon livre. C'est celle que José Ortega y Gasset qualifiait de «formes d'hémiplégie morale» dans La révolte des masses déjà en 1929. C'est aussi celle dont Raymond Aron disait qu'elle reposait sur des «concepts équivoques» dans L'opium des intellectuels en 1955 (Je fais d'ailleurs un clin d'œil admiratif à son œuvre dans l'intitulé de mon livre). Cette dichotomie a été également dénoncée ou critiquée par de nombreuses figures intellectuelles aussi différentes que Simone Weil, Castoriadis, Lasch, Baudrillard ou Gauchet et, elle l'a été plus récemment par une kyrielle d'auteurs. Mais il y a aussi une seconde mystification antidémocratique qui affecte directement les partis politiques. Ce sont les leaders et non les militants qui se disputent le pouvoir. À l'intérieur des partis la démocratie est résiduelle, elle exclut la violence physique mais pas la violence morale, la compétition déloyale, frauduleuse ou restreinte. Il y a bien sûr des partis plus ou moins démocratiques qui parviennent à mitiger et à contrôler les effets de leur oligarchie mais s'ils existaient en France, en ce début du XXIe siècle, je crois que ça se saurait.

    L'opposition droite/gauche peut-elle vraiment se résumer à un «mythe incapacitant»? Comme le souligne Denis Tillinac, ces deux courants ne sont-ils pas, malgré tout, irrigués par un imaginaire puissant dans lequel les électeurs se reconnaissent?

    Il ne s'agit pas d'essences inaltérables. Je ne crois pas qu'il y ait «des valeurs permanentes de droite» et des «principes immortels de gauche». Il n'y a pas d'opposition intangible entre deux types de tempéraments, de caractères ou de sensibilités. Il n'y a pas de définitions intemporelles de la droite et de la gauche. Denis Tillinac nous parle de deux courants qui seraient «irrigués par un imaginaire puissant». Mais un imaginaire forgé par qui? Par les Hussards noirs de la République et les Congrégations religieuses? Et depuis quand? Depuis 1870, depuis1900 voire depuis 1930 nous répondent les historiens.

    Je n'ignore pas bien sûr le point de vue des traditionalistes. Je sais que pour les traditionalistes être de droite ce n'est pas une attitude politique mais une attitude métaphysique. Je sais qu'ils considèrent que la gauche s'acharne à réduire l'homme à sa mesure sociale et économique. Que pour eux la droite et la gauche sont caractérisées par deux positions métaphysiques opposées: la transcendance et l'immanence. Ils sont les défenseurs d'une droite idéale, sublime, transcendantale ou apothéotique, celle que les partisans de la religion républicaine, d'essence totalitaire, Robespierre et Peillon, vouent perpétuellement aux gémonies.

    Pour ma part, en me situant sur les plans politique, sociologique et historique, je constate que les chassés croisés idéologiques ont été multiples et permanents. Je peux citer ici le nationalisme, le patriotisme, le colonialisme, l'impérialisme, le racisme, l'antisémitisme, l'antichristianisme, l'antiparlementarisme, l'anticapitalisme, le centralisme, le régionalisme, l'autonomisme, le séparatisme, l'écologisme, l'américanophilie/américanophobie, l'europhilie/europhobie, la critique du modèle occidental, l'alliance avec le tiers-monde et avec la Russie, et bien d'autres exemples marquants, qui tous échappent à l'obsédant débat droite/gauche. Il suffit de s'intéresser un minimum à l'histoire des idées pour se rendre compte très vite que les droites et les gauches ont été tour à tour universalistes ou particularistes, mondialistes ou patriotiques, libre-échangistes ou protectionnistes, capitalistes ou anticapitalistes, centralistes ou fédéralistes, individualistes ou organicistes, positivistes, agnostiques et athées ou théistes et chrétiennes. Un imaginaire puissant dans lequel les électeurs se reconnaissent? Non! je dirais plutôt, avec le marxologue Costanzo Preve, que ce clivage est «une prothèse artificielle».

    Selon vous, un nouveau clivage politique oppose désormais le local au mondial, les enracinés aux mondialisés…

    J'avoue que la lecture de la philosophe Simone Weil m'a profondément marqué dans ma jeunesse. Elle a su brillamment démontrer que la dyade vecteur du déracinement / soutien de l'enracinement, explique la rencontre durable ou éphémère entre, d'une part, des révolutionnaires, des réformistes et des conservateurs, qui veulent transformer la société de manière que tous ouvriers, agriculteurs, chômeurs et bourgeois puissent y avoir des racines et, d'autre part, des révolutionnaires, des réformistes et des conservateurs qui contribuent à accélérer le processus de désintégration du tissu social. Elle est incontestablement une «précurseuse». Depuis le tournant du XXIe siècle nous assistons en effet à une véritable lutte sans merci entre deux traditions culturelles occidentales: l'une, est celle de l'humanisme civique ou de la République vertueuse ; l'autre, est celle du droit naturel sécularisé de la liberté strictement négative entendue comme le domaine dans lequel l'homme peut agir sans être gêné par les autres. L'une revendique le bien commun, l'enracinement, la cohérence identitaire, la souveraineté populaire, l'émancipation des peuples et la création d'un monde multipolaire ; l'autre célèbre l'humanisme individualiste, l'hédonisme matérialiste, le «bougisme», le changement perpétuel, l'homogénéisation consumériste et mercantiliste, l'État managérial et la gouvernance mondiale sous la bannière du multiculturalisme et du productivisme néocapitaliste.

    Le général De Gaulle savait qu'on ne peut pas défendre réellement le bien commun la liberté et l'intérêt du peuple, sans défendre simultanément la souveraineté, l'identité et l'indépendance politique, économique et culturelle. Passion pour la grandeur de la nation, résistance à l'hégémonie américaine, éloge de l'héritage européen, revendication de l'Europe des nations (l'axe Paris-Berlin-Moscou), préoccupation pour la justice sociale, aspiration à l'unité nationale, démocratie directe, antiparlementarisme, national-populisme, ordo-libéralisme, planification indicative, aide au Tiers-monde, telle est l'essence du meilleur gaullisme. Où voyez-vous les gaullistes aujourd'hui? Henri Guaino? qui est peut être l'héritier le plus honnête? Mais combien de couleuvres a déjà avalé l'auteur des principaux discours du quinquennat de «Sarko l'Américain»?

    La chute du mur de Berlin a-t-elle mis fin à ce clivage?

    Souvenez-vous de ce que disait le philosophe Augusto del Noce peu de temps avant la chute du mur de Berlin: «le marxisme est mort à l'Est parce que d'une certaine façon il s'est réalisé à l'Ouest». Il relevait de troublantes similitudes entre le socialisme marxiste et le néo-libéralisme sous sa double forme sociale-libérale et libérale-sociale, et citait comme traits communs: le matérialisme et l'athéisme radical, qui ne se pose même plus le problème de Dieu, la non-appartenance universelle, le déracinement et l'érosion des identités collectives, le primat de la praxis et la mort de la philosophie, la domination de la production, l'économisme, la manipulation universelle de la nature, l'égalitarisme et la réduction de l'homme au rang de moyen. Pour Del Noce l'Occident avait tout réalisé du marxisme, sauf l'espérance messianique. Il concluait à la fin des années 1990 en disant que ce cycle historique est en voie d'épuisement, que le processus est enfin devenu réversible et qu'il est désormais possible de le combattre efficacement. Je me refuse à croire que la décomposition actuelle nous conduit seulement à la violence nihiliste. Je crois et j'espère qu'elle est le signe avant-coureur du terrible passage qu'il nous faudra traverser avant de sortir de notre dormition.

    Arnaud Imatz, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 4 septembre 2016)

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  • Une histoire des idées et des valeurs non conformistes...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient cette semaine un essai important d'Arnaud Imatz intitulé Droite - Gauche : pour sortir de l'équivoque. Fonctionnaire international à l’O.C.D.E. puis administrateur d’entreprise, spécialiste de l'Espagne, Arnaud Imatz a notamment publié  La Guerre d’Espagne revisitée (Economica, 1993), Par delà droite et gauche (Godefroy de Bouillon, 1996) et José Antonio et la Phalange Espagnole (Godefroy de Bouillon, 2000).

     

    " Qui aurait prophétisé, il y a moins de trente ans, la « droitisation » économique des gauches et la « gauchisation » culturelle des droites ? Qui aurait prédit le collapsus du « Nouvel ordre mondial » et le développement de courants transversaux, anti-oligarchiques et populistes ?

    Devant cette évolution rapide et inattendue, activée par la crise financière, les vagues migratoires et les attentats islamistes, la plupart des acteurs et observateurs politiques réagissent en gardiens jaloux de la pensée unique. Mais le mur se lézarde : l’homme moderne se révolte contre l’uniformisation qui l’enchaîne. La division droite / gauche, présentée comme « l’horizon indépassable de la pensée démocratique », apparaît pour ce qu’elle est : un mythe incapacitant destiné à brider la résistance populaire, une mystification antidémocratique dont l’effet est de perpétuer la rupture peuple / élite. Un nouveau clivage politique, désormais tangible, oppose les partisans de l’enracinement aux adeptes du mondialisme.

    Cette Histoire des idées et des valeurs non conformistes du xixe au xxie siècle est une introduction aux courants de pensée qui luttent contre l’homogénéisation consumériste, le multiculturalisme et la gouvernance globale au nom de la diversité culturelle, de la souveraineté populaire et du bien commun. Elle dévoile une histoire méconnue, caricaturée et refoulée. "

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  • Human de Yann-Arthus Bertrand : l'humanité désincarnée...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une excellente tribune de Gaultier Bès et Marianne Durano, cueilli sur le Figaro Vox et consacré à Human, le film écolo-bien-pensant de Yann Arthus Bertrand...

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    Yann-Arthus Bertrand : Human ou l'humanité désincarnée

    Le monde existe, Yann Arthus-Bertrand en a fait le tour. Il en a aussi fait un film, un nouveau film lisse et beau comme un jeu vidéo, un long reportage, édifiant, sidérant même, mais dont le fond manque singulièrement de consistance.

    Bien sûr, les images de Human sont superbes, la bande-son poignante, les témoignages bouleversants. Bien sûr, on ne peut être qu'ému, empathique, compatissant, face à ces visages lumineux qui jaillissent d'un seule et même obscurité, face à la douloureuse humanité de ces récits successifs, à la simplicité de ces paroles accumulées. Désarçonnés, aussi, par la sincérité de ces regards fixes. Bien sûr, l'appel à la décroissance de l'ex-président uruguayen José Mujica est salutaire. Bien sûr, Yann Arthus-Bertrand est humaniste, philanthrope, désintéressé, et son travail plein de bonnes intentions. Bien sûr, et c'est déjà beaucoup.

    Et pourtant, pourtant, ce film a quelque chose d'assez choquant sous ses allures consensuelles. Ce n'est pas tant que YAB utilise si souvent l'hélicoptère, cet objet-volant-non-écologique, ou qu'il fasse se financer par des mécènes éthiquement discutables (la Fondation Bettencourt pour Human, après le Qatar pour Home). C'est plutôt que l'«humain» yabien est si peu incarné, si peu réel, qu'on ne sait plus très bien parfois qui l'on écoute. Et que les paysages qui nous sont montrés sont si éthérés, si virtuels, que l'on pourrait être tenté d'oublier que c'est bien de notre commune humanité et de notre maison commune qu'il s'agit, et non de quelque arrière-monde préservé.

    Vus du ciels, livrés sans contexte ni transitions, les lieux sont anonymes, sans histoire, sans aspérités ni laideurs. Le monde selon Yann Arthus-Bertrand ressemble sans doute à celui que contemple le Dieu de Leibniz: un joli tableau où les zones d'ombres disparaissent au profit de la perfection esthétique de l'ensemble. Même les tonnes de déchets soulevées par un bulldozer, même les tours de Manhattan ont un air chatoyant. Il semble qu'il importe peu à notre cinéaste de savoir si les pirogues qu'il nous donne à admirer transportent des touristes en goguette ou des esclaves thaïlandais transportant les gadgets manufacturés de ces privilégiés. Ce qui compte, c'est leur rendu visuel, c'est leur photogénie.

    Human est en fait une succession de clichés, au double sens du terme. Tandis que la géographie est réduite à un album de cartes postales, la diversité des cultures est résumée en une mosaïque de stéréotypes. Filmés sur fond noir, des êtres sans nom ni identité apparaissent, innombrables, et tellement interchangeables que le visage de l'un se superpose à la voix de l'autre, le rire d'une jeune Africaine achevant celui d'un vieux Portugais, comme pour nous dire qu'au fond, tout ça c'est tout pareil. Ces êtres sont sans appartenance, ni culturelle ni sociale, comme si l'unité du genre humain ne pouvait s'accomplir qu'au détriment de la réelle singularité de chacun. L'humanité yabienne est une juxtaposition sans coordination, un patchwork sans couture. Mieux encore, pour reprendre les mots de l'auteur autrichien Robert Musil: «une abondance sans plénitude, un entassement d'[individus] que n'organise aucune aspiration supérieure» (Un Homme sans qualités, 1932).

    Désincarné: c'est le mot qui caractérise le mieux la dernière œuvre de Yann Arthus-Bertrand. Désincarné au sens propre du terme, puisque même les corps sont gommés, dans la succession de portraits censés dépeindre une humanité variée, mais réduite à des bustes sans contexte. Il n'est pas anodin que de deux hommes évoquant leur handicap physique, on ne voit que le visage intact et souriant, comme si leur corps représentait une réalité trop âpre pour la caméra pudique de Yann Arthus-Bertrand. Ainsi peut-on suggérer que le réalisateur, sans doute à son corps défendant, participe d'une certaine pudibonderie contemporaine, qui préfère l'esthétisme au réalisme, une mise en scène sophistiquée (composition, cadrage, montage...) à une représentation brute, immédiate, sans pudeurs. A l'incarnation incontournable et singulière de tel homme ou de telle femme absolument unique s'oppose ici l'abstraction d'un «humain» générique, enfin débarrassé de ses pesanteurs culturelles et corporelles, membre interchangeable d'une humanité à la diversité superficielle, à l'universalité un peu fade.

    Ainsi ce film, qui garde malgré tout une force poétique et morale certaine, traduit-il à mon sens un des principaux écueils du militantisme écologique actuel, à savoir la posture de survol et de surplomb du modèle occidental qui, après avoir ravagé par son refus des limites une bonne partie du globe, prétend dire (ou faire dire, ce qui peu ou prou revient au même) aux autres comment changer de vie. Car cela, ce n'est pas «sauver la planète», c'est perpétuer la domination occidentale sur un monde globalisé, c'est remplacer une démesure par une autre. Car qui pose les questions et tient la caméra? Qui choisit les plans et filme le monde comme personne ne peut le voir?

    Le survol rapide ne peut remplacer l'enracinement profond, ni la multiplicité l'altérité. C'est pourquoi à cette sidération de l'image captée, il faut répondre par la simplicité de la rencontre et du dialogue directs. Et à cet écologisme hors-sol, qui regarde la vie derrière des écrans, depuis des radars ou des hélicoptères, répondre par une écologie de l'expérience concrète, fait d'émerveillement devant la nature, de révolte contre ce qui la défigure, et de solidarités locales.

    Gaultier Bès et Marianne Durano (Figarovox, 30 septembre 2015)

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