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  • Immigration : Besancenot-Laurence Parisot, même combat !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à l'alliance entre la gauche et la droite autour du libéralisme...

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    Immigration : Besancenot-Laurence Parisot, même combat !

    Autrefois, il y avait l’infernal tandem libéral-libertaire incarné par Daniel Cohn-Bendit et Alain Madelin. Il y a aujourd’hui celui formé par Najat Vallaud-Belkacem et Emmanuel Macron, avec cette particularité qu’ils appartiennent l’un et l’autre au même gouvernement. Alliance contre-nature ?

    Alliance parfaitement naturelle, au contraire, puisque le libéralisme économique et le libéralisme sociétal dérivent tous deux de la même conception d’un « homme économique » fondamentalement égoïste ayant pour seul but de maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt. Ce qu’on appelle l’axiomatique de l’intérêt n’est rien d’autre que la traduction en termes philosophiques de cette disposition naturelle de l’être humain à l’égoïsme. Le libéralisme pose l’individu et sa liberté supposée « naturelle » comme les seules instances normatives de la vie en société, ce qui revient à dire qu’il fait de l’individu la seule et unique source des valeurs et des finalités qu’il se choisit. La liberté libérale suppose ainsi que les individus puissent faire abstraction de leurs origines, de leur environnement, du contexte dans lequel ils vivent et où s’exercent leurs choix, c’est-à-dire de tout ce qui fait qu’ils sont tels qu’ils sont, et non pas autrement. La vie sociale, dès lors, n’est plus affaire que de décisions individuelles, de négociations procédurales et de choix intéressés.

    Historiquement parlant, le libéralisme économique s’est certes le plus souvent exprimé « à droite », tandis que le libéralisme sociétal se situait « à gauche ». C’est ce qui a permis à une certaine gauche de présenter le capitalisme comme un système autoritaire et patriarcal, alors qu’il est tout le contraire. Marx voyait plus juste quand il constatait le caractère intrinsèquement révolutionnaire de l’illimitation capitaliste, qui revient à noyer toute valeur autre que la valeur marchande dans les « eaux glacées du calcul égoïste ». Par là s’explique le rapprochement de ces deux formes de libéralisme. Pour étendre le marché, le libéralisme économique ne peut que détruire toutes les formes traditionnelles d’existence, à commencer par la famille (qui est l’un des derniers îlots de résistance au règne de la seule valeur marchande) ; tandis qu’à l’inverse, ceux des héritiers de Mai 68 qui voulaient « interdire d’interdire » et « jouir sans entraves » (deux slogans typiquement libéraux) ont fini par comprendre que c’est le capitalisme libéral qui pouvait le mieux satisfaire leurs aspirations.

    On sait depuis longtemps que, si la gauche a trahi le peuple, la droite, elle, a fait de même avec la nation. Et les deux de se réconcilier dans le même culte du marché. Quelle réalité derrière ce constat probablement un brin hâtif ?

    La nation n’acquiert un sens politique qu’au moment de la Révolution. Ce qui revient à dire qu’elle est née « à gauche » avant de passer « à droite ». La façon dont un fossé, qui ne cesse de s’élargir, s’est creusé entre la gauche et le peuple est un des traits majeurs du paysage politique actuel. La raison majeure en est que la « gauche », qui s’était rapprochée du mouvement socialiste et ouvrier au moment de l’affaire Dreyfus, s’est aujourd’hui ralliée à la société de marché, renouant du même coup avec ses origines libérales (idéologie du progrès, religion des droits de l’homme et philosophie des Lumières). Comme l’a fait remarquer Jean-Claude Michéa, il ne serait jamais venu à l’idée de Proudhon ou de Sorel, et moins encore de Karl Marx, de se définir comme des « hommes de gauche » !

    Même le travail est devenu un marché puisqu’on raisonne désormais en termes de « marché du travail ». Mais ce « marché » marche-t-il aussi bien que le prétendent ses infatigables promoteurs ?

    Selon la vulgate libérale, le marché est à la fois le lieu réel ou s’échangent les marchandises et l’entité virtuelle où se forment de manière optimale les conditions de l’échange, c’est-à-dire l’ajustement de l’offre et de la demande et le niveau des prix. Il est donc supposé autorégulateur et autorégulé, ce qui veut dire qu’il fonctionne d’autant mieux que rien ne fait obstacle à son fonctionnement « spontané », ce qui implique que rien n’entrave la libre circulation des hommes et des marchandises, et que les frontières soient tenues pour inexistantes. Adam Smith explique cela très bien quand il écrit que le marchand n’a d’autre patrie que celle où il réalise son meilleur profit. L’idée générale, en arrière-plan, est que l’échange marchand constitue la forme « naturelle » de l’échange. Étonnez-vous après cela que le patronat veuille toujours plus d’immigration ! Besancenot-Laurence Parisot, même combat !

    La forme d’échange propre aux sociétés traditionnelles n’est en réalité pas le troc (dont on ne retrouve la trace nulle part), mais la logique du don et du contre-don. Loin d’être « spontané », le marché, au sens moderne de ce terme, a été institué par l’État, comme l’a bien montré Karl Polanyi dans La Grande Transformation. L’idée d’une concurrence « pure et parfaite », enfin, n’est qu’une vue de l’esprit : les échanges commerciaux ne peuvent s’épargner de prendre en compte les phénomènes de pouvoir qui sont à l’œuvre dans toute société humaine. Le libéralisme prend fin dès l’instant où, face à la théorie libérale d’une « harmonie naturelle des intérêts », on reconnaît l’existence d’un bien commun primant sur les intérêts particuliers.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 13 novembre 2014)

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  • Gauche, droite et souveraineté...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir, cueilli sur son blog RussEurope et consacré à la question de la souveraineté.

     

    De gaulle souverain.jpg

    Gauche, droite et souveraineté

    La souveraineté ne se décline pas, si l’on suit Jean Bodin, en une souveraineté « de droite » ou « de gauche ». Rappelons ses formules : c’est la souveraineté de la Nation dont il s’agit. Cette Nation peut s’incarner dans un homme ou dans un groupe d’hommes ; elle peut être représentée aussi bien par un Prince que par le Peuple. On voit qu’à ce niveau de généralité, la question de séparer la souveraineté entre « droite » et « gauche » perd toute signification.

    Abus de langage…

    Il ne faut pas se laisser abuser par les nombreuses formules qui, chez Bodin tout comme chez Machiavel, font référence au Prince. C’est le produit du contexte dans lequel a été produit ce concept. De plus, et cela est fort souvent le cas, le Prince signifie simplement « celui qui dirige ». Il est plus facile de trouver une différence si l’on regarde les formes de sacralisation de ce Prince. Mais, il faut savoir que l’on ne parle plus de la souveraineté. D’ailleurs, Bodin est très clair sur ce point. S’il souhaite, en Catholique, que celui qui incarnera la souveraineté de la Nation le soit aussi, il n’en fait nullement une condition. Il précise ainsi que le sacre de Reims n’est pas une condition à la légitimité ni à la souveraineté. C’est en cela que se trouve l’extraordinaire modernité de l’œuvre de Bodin. Son injonction de renvoie de la religion, et des signes de toute adhésion, à la sphère privée exclusivement a bien aujourd’hui une dimension fondatrice dans la société française, comme le montre l’arrêt concernant la crèche Baby-Loup[1]. De ce point de vue, il est incontestable que l’interdiction (et en ce qui concerne le voile intégral il s’agit bien d’une interdiction) est le fondement même du vivre-ensemble.

    Si l’on veut absolument introduire les notions de « droite » et « gauche » dans ce registre, c’est bien plus au niveau de la Nation que l’on peut le faire. Il y a clairement en France et ailleurs une tradition de la Nation transcendante. On connaît la formule de Charles de Gaulle parlant d’un pacte de près de deux mille ans entre la France et la liberté. La formule est certes belle, mais elle fait fi de l’histoire de la construction sociale et politique de la Nation. Reconnaître cette histoire, ce qui fut le fait des grands historiens du XIXè siècle, de Guizot à Michelet, ancre plutôt le concept de Nation à « gauche ». Ceci étant dit, il faut immédiatement reconnaître qu’un processus d’une telle durée tend à se représenter aux yeux de ses héritiers comme son résultat[2]. Comme l’a écrit d’ailleurs fort bien un grand historien que j’ai eu l’insigne honneur de côtoyer, Bernard Lepetit : “Le poids du passé devient d’autant plus extrême qu’il tire sa force de son oubli.”[3] Il prend alors la dimension d’un fait transcendant. On peut donc admettre une congruence entre la thèse d’une Nation transcendante et celle de la construction historique de la Nation, tout simplement parce que cette construction historique est une œuvre d’une telle ampleur qu’elle ne peut se représenter que sous la forme d’un résultat « mythique », exactement comme s’il était le produit d’une transcendance.

    Qu’il puisse y avoir des usages que l’on considère « de droite » ou « de gauche » des concepts de souveraineté et de Nation est indubitable et indiscutable. C’est le propre de tout instrument de pouvoir être mal utilisé. Mais, cessons nous d’utiliser un couteau parce qu’il fut utilisé par certains pour commettre des crimes ? Cessons nous de prendre le train, parce que le système ferroviaire fut central dans la réalisation de certains génocides, de celui qui frappa les Arméniens en 1915 à celui qui fut commis par les Nazis contre les juifs et ceux qu’ils appelaient des « sous-hommes » ? Bref, on n’a jamais vu dans l’histoire de la pensée un instrument condamné du fait du mauvais usage qu’en firent certains. Le discours qui prétend refuser la Nation et la souveraineté du fait des mauvais usages qui ont pu être ne tient pas. C’est un discours moralisateur d’une rare bêtise qui confond les niveaux d’abstraction.

    De la haine de l’Etat à la haine de la démocratie.

    La souveraineté est donc un concept dont on ne peut se passer, du moins si l’on veut pouvoir penser la démocratie. L’idée qu’il puisse y avoir une démocratie qui ne soit pas souveraine est une profonde absurdité. Et c’est peut-être là le cœur du débat. En fait, tant à droite qu’à gauche, il y a pour le moins une gêne quand ce n’est pas un déni, voir une haine, pour la démocratie.

    À gauche, on peut retracer cela au biais à la fois libertaire au sens strict du terme et libéral que l’on trouve chez Marx. Marx ne récuse pas la lutte politique pour la démocratie, qui pourtant ne vise que les formes institutionnelles, la “communauté illusoire” pour reprendre ses propres termes. Mais, il soumet cette lutte à l’émancipation générale des travailleurs, qui seule est supposée capable de lui donner sens et à laquelle elle doit donc être entièrement subordonnée. Ceci permet de comprendre pourquoi la démocratie apparaît bien souvent comme un élément secondaire, on dirait aujourd’hui par défaut, des raisonnements qui se réclament de Marx. Dans une société sans classes, les acteurs ayant un accès direct, non médiatisé, avec la réalité, le besoin en organisations séparées de la société disparaît. On connaît la formule: dès lors, l’État dépérit. Dès lors, un des rares auteurs marxistes à s’être spécialisé sur le droit, Pachukanis, pouvait affirmer que, sous le communisme, il n’y aurait plus de réglementations légales mais uniquement des réglementations techniques[4].

    Henri Maler, dans un ouvrage qui n’a pas reçu l’accueil qu’il aurait dû, montre qu’il y a chez Marx en réalité une multiplicité de modèles du dépérissement de l’État. Au fur et à mesure de l’approfondissement de son analyse; ces modèles sont constamment rectifiés, amendés et modifiés, sans qu’il soit néanmoins possible de les débarrasser de toutes leurs ambiguïtés[5]. Très concrètement, d’ailleurs, quand des marxistes, ou des courants inspirés par certaines lectures du marxisme, sont arrivés au pouvoir, ils n’ont pas su penser la construction et la modernisation de l’État, et il n’ont pas su, ou pu, penser l’architecture qui va de la souveraineté à la légitimité. Lénine lui-même, à la veille de prendre le pouvoir, croyait qu’il était possible de passer du gouvernement des hommes à l’administration des choses. L’utopisme de Marx est ici aggravé par le scientisme d’Engels, qui conduit à penser le passage de la nécessité à la liberté comme simple application de lois de la société qui pourraient être consciemment mises en oeuvre[6]. Aussi, le problème central du soviétisme n’était pas un étatisme exacerbé comme on le croit souvent, mais au contraire un sous-développement de l’État dont la construction s’est faite en réalité de manière incohérente, non maîtrisée et souvent par le biais de réemplois de méthodes archaïques[7]. La question fondamentale que pose la démarche de Marx n’est pas la critique des illusions de la neutralité de l’État, ou du caractère illusoire de la représentation d’une communauté nationale qui serait dépourvue de conflits, visions qui sont celles des courants démocratiques de la première moitié du XIXè siècle contre lesquels il propose sa théorie du communisme[8]. Cette critique est juste, et reste opératoire. Ce qui pose problème est d’une part qu’elle ne puisse penser la communauté nationale comme un ensemble stabilisé de conflits et qu’elle nous propose aussi une critique de l’État à partir d’une utopie, celle de la société sans classe, transparente au yeux de ses propres acteurs car dénuée de fétichisme. Cette utopie est par ailleurs parfaitement congruente avec l’utopie libérale issue de la tradition néoclassique[9]. Ceci peut alors conduire, si on n’y prend garde, à une naturalisation de fait de l’économie et de la société. En fait, la lecture d’un conflit réel à l’aune d’une hypothétique société sans conflits ne fait que répéter le refus de l’hétérogénéité, en en repoussant certes les effets les plus pervers dans le temps, mais sans les effacer. Il est frappant que Marx soit obligé d’invoquer une société homogène future pour analyser la société existante. Cette méthode mine profondément sur un point important, la question de la démocratie dans les sociétés hétérogènes, le raisonnement marxien. Et c’est bien ce qui explique la virulence de certaines personnes qui se disent « de gauche » dès que l’on aborde les questions de la Souveraineté et de la Nation[10]. Ce que révèle un tel texte est que des militants que l’on considère de gauche, voire d’extrême-gauche, sont incapables de penser les prérequis de la démocratie.

    À droite, on trouve aussi, et c’est même plus étonnant, cette répulsion envers la souveraineté. Elle est le fait de courants libéraux, prisonnier de l’individualisme méthodologie et de l’atomisme de leurs conceptions. Elle vient d’une méfiance instinctive envers le pouvoir des « multitudes », qui conduit à des positions qui sont profondément antidémocratiques. Cette méfiance se retrouve dans l’héritage théorique laissé par F.A. Hayek et rejoint un des fondements du libéralisme politique, de Benjamin Constant à nos jours. Cette méfiance se concrétise aujourd’hui, dans le domaine économique, par une tendance à établir l’indépendance des agences gouvernementales vis-à-vis des institutions politiques. Le cas des Banques Centrales est ici l’exemple contemporain le plus évident; il est loin cependant d’être le seul. Aujourd’hui, ces positions prennent la forme des Constitution économique, ou du gouvernement par des règles techniques (et par ceux qui les ont conçues) et non par la politique. Ceci est aujourd’hui l’archétype des institutions internationales de régulation que l’on cherche à construire, en particulier au sein de l’Union européenne. L’espace de la discussion publique ne peut plus, dès lors que s’organiser autour de deux pôles. Le premier est technique, dévolu aux experts; c’est celui de l’interprétation des arrêts rendus par le marché, c’est celui de l’exégèse des lois naturelles de l’économie. Le deuxième est moral; c’est celui de la compassion que l’on éprouve face aux conséquences de ces lois. Cette compassion devient d’autant plus forte, d’autant plus impérative, que nous intériorisons l’idée qu’il serait aussi vain qu’absurde de s’opposer à de telles lois. C’est ce pôle vers lequel convergent les politiques, ne pouvant revêtir la figure de l’expertise, et les professionnels médiatiques de la posture moralisatrice. On est bien proche de Hayek, et de sa volonté de “détrôner le politique”[11]. Ceci explique sans doute pourquoi nombre de penseurs nourris du marxisme très particulier qui circulait en URSS et dans les pays du bloc soviétique, ont pu se rallier aussi facilement aux thèses ultra-libérales de Hayek. De même, on peut comprendre comment certains anciens marxistes, et en particuliers ceux qui ont entretenu avec la pensée de Marx les rapports les plus dogmatiques, et ils sont légions en France, se sont si aisément convertis aux idées libérales.

    Jacques Sapir (RussEurope, 4 juillet 2014)

     

    Notes :

    [2] Lepetit B., “Histoire des pratiques, pratique de l’histoire” in B. Lepetit (sous la direction de) Les formes de l’expérience, Albin Michel, Paris, 1995, pp. 9-22

    [3] Lepetit B., “Le présent de l’histoire”, in B. Lepetit, (sous la direction de), Les formes de l’expérience, op.cit., pp. 273-298, p. 282.

    [4] E.B. Pashukanis, Law and Marxism, a General Theory, Ink Links, Londres, 1978.

    [5] H. Maler, Convoiter l’Impossible, Albin Michel, Paris, 1995.

    [6] H. Maler, Convoiter l’Impossible , op.cit..

    [7] M. Lewin, La Grande Mutation Soviétique, La Découverte, Paris, 1989. T. McDaniel, Autocracy, Modernization and Revolution in Russia and Iran, Princeton University Press, Princeton, NJ., 1991. J. Sapir, “Penser l’expérience soviétique”, in J. Sapir, (ed), Retour sur l’URSS – Économie, société, histoire , L’Harmattan, Paris, 1997, pp. 9-44; Idem, Le Chaos Russe , La Découverte, Paris, 1996.

    [8] Voir J. Torrance, Karl Marx’s Theory of Ideas , Cambridge University Press et Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, Cambridge-Paris, 1995.

    [9] Voir Sapir, J. Les trous noirs de la science économique – Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent, Albin Michel, Paris, 2000.

    [10] Azam G. et alii « La démondialisation, un concept simpliste et dangereux », sur Médiapart, 6 juin 2011, URL : http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/060611/la-demondialisation-un-concept-superficiel-et-s . Ce texte est une réponse aux idées avancées dans un de mes ouvrages, Sapir J. La Démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.

    [11] Bellamy R., “Dethroning Politics: Liberalism, Constitutionalism and Democracy in the Thought of F.A. Hayek”, in British Journal of Political science, vol. 24, part. 4, Octobre 1994, pp. 419-441

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  • Une victoire au-delà de la gauche et de la droite !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la victoire de Marine Le Pen et du Front national aux élections européennes...

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    Marine Le Pen : une victoire qui va au-delà de la gauche et de la droite !

    C’est peut-être votre paradoxe personnel. Vous êtes militant européen depuis belle lurette. Mais les mouvements dissidents qui vous lisent avec assiduité sont, eux, souvent enclins à des options plus nationalistes. Comment résoudre cette équation à inconnues multiples, sachant qu’on ne sait pas toujours de quelle Europe on parle ?

    Le plus grand reproche qu’on puisse faire à l’Union européenne est d’avoir discrédité l’Europe, alors que les conditions objectives de la nécessité d’une Europe politiquement unie sont plus présentes que jamais. Tout en estimant que le souverainisme ne mène nulle part, parce qu’aucun État isolé n’est en mesure de faire face aux défis planétaires actuels, à commencer par la maîtrise du système financier, je comprends très bien les critiques que les souverainistes adressent à l’Union européenne. Mieux encore, je les partage puisque la souveraineté qu’on enlève aux nations ne se trouve pas reportée au niveau supranational, mais disparaît au contraire dans une sorte de trou noir. Il est tout à fait naturel, dans ces conditions, d’être tenté par un repli sur l’État-nation. Pour moi, cependant, le mot d’ordre n’est pas « Pour la France, contre l’Europe », mais plutôt « Pour l’Europe, contre Bruxelles ».

    Que vous inspire l’indéniable victoire du Front national aux récentes élections européennes ?

    Elle confirme que les Français n’en peuvent plus de voir, année après année, se succéder des partis de gouvernement qui font la même politique libérale sans jamais tenir leurs promesses ni obtenir de résultats. À tort ou à raison, le FN leur apparaît, dès lors, comme l’ultime espoir. En même temps qu’il marque un tournant historique (mais il faudra attendre les résultats des prochaines élections régionales pour savoir si le FN est vraiment devenu le premier parti de France), le résultat du parti de Marine Le Pen est riche d’enseignements. Il montre d’abord, non seulement que la diabolisation dont il a fait l’objet ne fonctionne plus, car les gens ne croient tout simplement plus à des arguments trop répétés pour conserver encore un sens, mais que cette diabolisation, dont l’objectif était de délégitimer un compétiteur gênant en le transformant en ennemi répulsif et haïssable, a abouti exactement au résultat inverse, à savoir l’installation durable du FN au centre de la vie politique française. Comme l’expliquait ces jours-ci Pierre-André Taguieff dans Le Figaro, à l’occasion de la parution de son excellent livre intitulé Du diable en politique : « La propagande antilepéniste aura globalement joué le rôle d’un puissant facteur de la montée du FN. » Quand on aura compris cela, on aura compris beaucoup.

    Cette victoire électorale montre également combien Marine Le Pen a eu raison de résister à ceux qui la poussaient à se positionner de façon préférentielle en parti de la « droite nationale ». Le FN, aujourd’hui, transcende avec bonheur le clivage droite-gauche. C’est chez les jeunes et dans les classes populaires qu’il obtient ses meilleurs scores : aux européennes, 43 % des ouvriers ont voté pour le Front, 8 % seulement pour le PS ! Cette assise populaire montre que le FN a cessé d’être un parti de protestation pour devenir un parti capable d’aspirer au pouvoir – son adversaire prioritaire restant plus que jamais l’UMP.

    Dans la foulée, que pensez-vous de la montée en puissance de tous ces mouvements « identitaires » et « eurosceptiques » en Europe ?

    Leur dénominateur commun est de toute évidence le populisme. Il ne faut pas se lasser de rappeler que le populisme n’est pas une idéologie, mais un style, et que ce style est compatible avec des orientations très différentes. Il suffit d’ailleurs de comparer le FN avec la Ligue du Nord en Italie, ou le Vlaams Belang en Flandre, pour voir à quel point leurs positions divergent, que ce soit à propos du régionalisme, du programme économique et social ou de la « laïcité ». La montée en puissance des mouvements populistes traduit évidemment le discrédit des partis de la Nouvelle Classe, aujourd’hui totalement coupés du peuple, et la défiance dont ils font l’objet, qui alimente désormais de véritables paniques morales. Elle met aussi en lumière l’incroyable ampleur de la crise de la représentation. Le FN, arrivé en tête du scrutin du 25 mai, ne dispose que de deux ou trois députés à l’Assemblée nationale. L’UKIP, premier parti britannique depuis 1910 à avoir distancé à la fois les conservateurs et les travaillistes, ne dispose pas d’un seul siège au Parlement de Londres ! Et on s’étonne que ça craque ?

    À ce stade électoral, que faire de l’Europe ? La redéfinir ? La remettre sur d’autres rails ? En finir avec elle une bonne fois pour toutes ou, tout au contraire, lui redonner une autre vie, en admettant que ce soit encore possible ?

    L’Europe est aujourd’hui un grand corps malade, paralysé, bloqué, incapable de définir son identité, prêt à sortir de l’Histoire pour devenir un objet de l’histoire des autres, comme en témoigne son docile consentement à se fondre dans une grande zone de libre-échange atlantique où les normes environnementales, sanitaires et sociales américaines s’imposeraient inéluctablement. Cette Europe-là s’est construite depuis le début en dépit du bon sens, du haut vers le bas, sans tenir compte du principe de subsidiarité, sans se fixer de frontières et sans que les peuples soient jamais associés à sa construction. Elle baigne dans l’angélisme et l’inconscience de soi, elle a fait siens les principes du libéralisme le plus destructeur. La remettre sur ses rails impliquerait qu’elle décide d’être une puissance souveraine avant d’être un marché, et que cette puissance soit capable d’incarner un modèle de culture et de civilisation capable de jouer son rôle dans un monde redevenu multipolaire. On en est loin.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 26 mai 2014)

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  • Le Front national : un parti gaulliste ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et dans lequel il souligne la transformation en profondeur des notions traditionnelles de droite et de gauche... 

     

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    Au-delà de la droite et de la gauche : le FN, dernier parti gaulliste ?

    Ces temps derniers, les médias évoquent souvent la « droitisation » de la vie politique française. Diagnostic pertinent ?

    Tout dépend de quoi l’on parle. La « droitisation » n’a absolument pas le même sens selon que l’on entend par là une radicalisation politique de la droite classique, un supposé glissement de la majorité des opinions vers la droite (ce qui impliquerait un déplacement de l’axe médian du débat politique) ou une évolution générale de la société – PS compris – vers une sorte de consensus libéral regardé naguère comme droitier (auquel cas, c’est l’offre politique de la gauche qui se serait elle-même déplacée, cette gauche devenue sociale-libérale s’étant ralliée au système du marché et au consumérisme bobo). Parle-t-on d’une « droitisation » résultant de l’offre politique ou d’une demande de l’électorat ? Tant que l’on n’a pas répondu à ces questions, parler de « droitisation » n’est que du bavardage.

    La question posée implique par ailleurs qu’il y ait une droite et une gauche dont la définition puisse faire l’objet d’un consensus. Or, ce n’est plus le cas aujourd’hui, non seulement parce qu’il y a toujours des droites très différentes (libérale, conservatrice, républicaine, contre-révolutionnaire, etc.) et des gauches très différentes, mais aussi parce qu’on assiste depuis trente ans à une instabilité grandissante des critères déterminants du clivage droite-gauche. Dès lors que l’on assiste à une redéfinition ou à une transformation en profondeur des notions traditionnelles de droite et de gauche, il est difficile d’affirmer que l’une de ces catégories l’emporte sur l’autre.

    Ce que les sondages traduisent en fait le plus, c’est que la plupart des gens pensent que les notions de « droite » et de « gauche » ne veulent plus rien dire…

    Il y a des raisons à cela. À date récente, on a vu se diffuser « à droite » des thèmes comme la critique de l’individualisme, l’appel aux garde-fous sociaux, voire le souci d’une véritable « écologie humaine », qui se situaient autrefois plutôt « à gauche ». S’y ajoutent un certain refus du laisser-faire en matière économique et un soutien plus prononcé à des interventions de l’État permettant d’encadrer le marché. La critique de la PMA et de la GPA, par exemple, traduit une inquiétude face à l’envahissement de la logique ultra-libérale qui tend à transformer le vivant lui-même en marchandise. Cet appel à une maîtrise politique de l’économie est « à droite » un fait nouveau. Les sondages montrent qu’aujourd’hui, les électeurs de droite sont plus favorables à l’intervention de l’État dans l’économie que ne l’était l’électorat de gauche en 1988 ! Surtout en période de crise, la demande d’autorité d’un État fort et protecteur traverse les clivages partisans.

    Les sondages révèlent aussi une forte réévaluation positive des valeurs d’ordre, de tradition et d’autorité, ainsi qu’une montée des opinions critiques en matière d’immigration et de sécurité. Mais s’agit-il là vraiment de valeurs « de droite » ? Culturellement, les classes populaires ont toujours été conservatrices, même quand elles votaient à gauche (dans les années 1950, c’est le Parti communiste qui stigmatisait la contraception comme un « vice bourgeois » !). Ce qui est exact, en revanche, c’est qu’on constate aujourd’hui « à droite » une prise de conscience des enjeux culturels qui était naguère inexistante. Il n’y a jamais eu autant de différences sur les questions culturelles entre la « droite » et la « gauche » que depuis la fin des années 1990.

    Dans le même temps, d’autres autorités morales évoquent la « lepénisation des esprits ». Langue de bois ou langue de pute ?

    La poussée du FN, tant dans les sondages qu’aux élections, est interprétée par la doxa dominante comme une preuve de « droitisation ». Comme on constate parallèlement une porosité grandissante de la frontière séparant jusqu’ici le FN et l’UMP, on accuse cette dernière de se « droitiser » pour se calquer sur l’évolution de l’électorat. Or, le FN refuse de se situer par rapport au clivage droite-gauche et il ne fait pas de doute que c’est son programme économique et social « de gauche » qui rallie vers lui nombre d’anciens électeurs du PS et du PC. Le succès du FN pourrait même être interprété comme la preuve d’une « gauchisation » de l’opinion face aux problèmes économiques et sociaux : refus du creusement des inégalités, rejet des dégâts sociaux de la logique libérale et de la dogmatique du libre-échange qui a abouti à la mondialisation. La force de Marine Le Pen est de surfer à la fois sur la « droitisation » et sur cette « gauchisation », à la façon dont le gaullisme, en son temps, s’était employé à concilier aspiration nationale et aspiration sociale. C’est ce qui en fait le parti du moment.

    Mais ici, c’est moins sur la « droitisation » qu’il faudrait insister que sur le divorce entre la gauche et les classes populaires. Il y a trente ans, les cadres votaient surtout à droite et les ouvriers surtout à gauche. Depuis 2007, c’est l’inverse. Les ouvriers restent aujourd’hui conservateurs en matière culturelle et antilibéraux en matière économique, tandis que les cadres sont devenus à la fois partisans du libéralisme économique et du libéralisme « sociétal ».

    Si Jean-François Copé et ses pains au chocolat incarnent la « droitisation », et si François Hollande et sa détestation des « riches » sont la gauche, que reste-t-il à l’homme de bon sens ?

    Il lui reste d’abord à comprendre qu’il n’y a pas que les « Français de souche » pour aimer le pain au chocolat, ensuite que François Hollande, depuis son arrivée au pouvoir, n’a pas cessé de servir la soupe à ces « riches » qu’il disait détester. L’essentiel est que la « droite » a pris le dessus en matière d’imaginaire collectif parce que la gauche au pouvoir a renoncé à son programme social et qu’elle se retrouve aujourd’hui complètement désarmée face aux exigences populaires. N’ayant plus rien à proposer, ayant perdu toute consistance idéologique, elle devient inaudible. D’autant que le rêve européen, que Mitterrand avait vendu au PS comme substitut à la construction du socialisme, a maintenant viré au cauchemar. Jean-François Kahn remarquait récemment que « la sociale-démocratie a contribué à inculquer le sentiment que rien n’est plus possible […] au moment même où les gens aspirent à un changement profond du modèle de société ». Autrement dit, l’espoir a changé de camp.

    Alain de Benoist, recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 27 mars 2013)

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  • Les droites et la rue...

    Les éditions La Découverte viennent de publier un essai de Danielle Tartakowsky intitulé Les droites et la rue - Histoire d'une ambivalence de 1880 à nos jours, qui vient rappeler que ,si, comme le dit la chanson, la rue appartient à celui qui y descend, la droite n'en a jamais été absente, loin de là... Professeur d'histoire contemporaine à Paris VIII, Danielle Tartakowsky est l'auteur de plusieurs études, dont Le pouvoir est dans la rue - Crises politiques et manifestations en France (Aubier, 1998) et La part du rêve - Histoire du 1er mai en France (Hachette, 2005).

     

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    " L’idée selon laquelle la manifestation de rue serait consubstantiellement ouvrière et de gauche est communément répandue. Les manifestations des droites françaises occupent pourtant une centralité supérieure à celle que la mémoire de leurs initiateurs et de leurs adversaires paraît avoir retenue. Certaines composantes de la droite française ont en effet joué un rôle de poids dans l’émergence et l’affirmation de cette modalité d’action, du triomphe de la République au 6 février 1934. Elles s’en sont ensuite épisodiquement ressaisie, avec une fréquence sans commune mesure avec celle des organisations ouvrières, mais, en diverses circonstances, avec une ampleur dont il est peu d’égal et des résultats n’ayant, à tout le moins, rien à leur envier ; qu’il s’agisse du 13 mai 1958 à Alger, du 30 mai 1968 ou des manifestations pour la défense de l’École libre en juin 1984, pour ne rien dire des récentes manifestations contre le mariage pour tous dont il est trop tôt pour pleinement mesurer les effets. Le présent ouvrage s’essaie à cerner la place et le poids des manifestations de droite dans les systèmes politiques qui se sont succédé depuis quelque cent trente ans, leurs spécificités, leurs logiques d’action et leur autonomie relative au sein de ce qui a toujours été un répertoire d’action communément partagé. Malgré la discontinuité des formations concernées, il apparaît que ces mobilisations se distinguent suffisamment de celles de la gauche pour pouvoir s’intégrer dans ce qui relèverait nonobstant d’UNE culture de droite et, par là, d’un objet singulier. "

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  • Le FN doit devenir le parti du peuple !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au Front national de Marine Le Pen...

    Alain de Benoist vient de publier un essai important, Les démons du Bien, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, dans lequel il se livre à une brillante analyse de l'enfer postmoderne.

     

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    Pour s'imposer, le FN doit liquider l'UMP !

    Les médias continuent de classer le Front national à droite ou à l’extrême droite de l’échiquier politique. Est-ce toujours pertinent ? D’ailleurs, cela l’a-t-il jamais été ?

    Le Front national est à l’origine un mouvement d’extrême droite qui s’est mué progressivement en mouvement national-populiste. Le populisme est un phénomène complexe, que les notions de droite et de gauche ne permettent pas d’analyser sérieusement. Non seulement le FN est aujourd’hui une force montante, qui touche les hommes aussi bien que les femmes et marque des points dans toutes les catégories d’âge ou professionnelles, mais il arrive maintenant en tête des intentions de vote aux élections européennes, loin devant le PS ou l’UMP, ce qui revient à dire qu’il est en passe de s’imposer comme le premier parti de France. Par ailleurs, Marine Le Pen est aux yeux de 46 % des Français la personnalité politique qui incarne le mieux l’opposition (sondage CSA/BFMTV). Comme l’a reconnu Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, « il n’y a plus désormais de sympathisants types du Front national ». Dès lors, son assignation à l’extrême droite relève d’une simple paresse intellectuelle ou d’une propagande qui ne vise qu’à le délégitimer (les deux n’étant pas incompatibles). Mais cette catégorisation n’est plus crédible aujourd’hui. Elle repose sur des arguments qui ont fait long feu.

    Un boulevard s’ouvre aujourd’hui devant le Front national, car il n’est pas de jour que les événements ne creusent encore un peu plus le fossé béant qui sépare désormais la Nouvelle classe et le peuple. Dans une telle situation, il n’est plus de « cordon sanitaire » ou de « front républicain » qui tienne. Pas plus qu’on ne fera croire aux Français qu’ils sont devenus « racistes » parce qu’un hebdomadaire a fait une comparaison déplorable qui diffamait stupidement nos amis les singes et les guenons.

    On dit que Marine Le Pen a « dédiabolisé » le Front. Il faudrait plutôt dire qu’elle s’est affirmée comme une véritable femme politique – j’entends par là quelqu’un qui a compris ce qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de « témoigner » ou de rassembler une « famille ». C’est ce qui la distingue de son père, et plus encore du brave Bruno Gollnisch. Personnellement, je porte à son crédit d’être restée sourde aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des régimes d’avant-hier et des époques révolues. C’est dans cette voie qu’elle doit persévérer si elle veut doter son mouvement de cadres dignes de ce nom.

    Marine Le Pen semble avoir opéré un virage « à gauche ». Certes, dans les années 80, son père se présentait comme le « Reagan français ». Mais, dès 1972, année de sa création, le Front national publiait un programme économique éminemment « social », voire « socialiste ». Gérard Longuet en fut l’un des principaux signataires. Alors, « virage » ou « retour aux sources » ?

    Quelle importance ? L’important est que ce tournant « à gauche » ait été pris. C’est dire que je ne suis pas de ceux qui, devant le programme économique et social du Front, parlent de « démagogie gauchiste ». Que le FN semble avoir compris que la priorité est de lutter contre l’emprise du système capitaliste libéral, contre la logique du marché, contre la globalisation libre-échangiste, contre la colonisation des imaginaires par les seules valeurs commerciales et marchandes, est d’une importance que je n’hésiterai pas à qualifier d’historique, après quarante ans d’« orléanisation » des milieux « nationaux ». C’est ce qui lui permet de toucher les classes populaires, les ouvriers, les artisans, les anciens communistes que scandalise le ralliement au système dominant des anciens révolutionnaires « repentis ».

    Pour s’imposer définitivement, le FN doit en priorité liquider l’UMP. C’est la condition première pour que Marine Le Pen soit présente au deuxième tour en 2017. Notons que, de son côté, François Hollande a lui aussi tout intérêt à affronter Marine Le Pen à la prochaine présidentielle plutôt qu’un Sarkozy, un Fillon ou même un Copé. C’est donc là que les choses se joueront.

    Certains, souvent dans les milieux identitaires, reprochent à Marine Le Pen sa fibre jacobine. Est-ce aussi simple ? Est-ce aujourd’hui une priorité que d’aller chercher un clivage entre régionalistes et colbertistes ?

    Européen et régionaliste, antijacobin dans l’âme, je suis moi-même en désaccord avec Marine Le Pen sur ce point. Mais je suis également conscient que l’Europe politiquement unifiée, l’Europe puissance autonome et creuset de civilisation que je souhaite n’est pas pour demain. L’Union européenne n’est aujourd’hui qu’une caricature d’Europe. À bien des égards, c’est même le contraire de l’Europe. Cela dit, je crois que le souverainisme jacobin demeure une impasse. Voyez la révolte des « Bonnets rouges » en Bretagne : on ne peut rien comprendre à ce mouvement si l’on ne prend pas aussi en compte sa dimension identitaire et régionaliste.

    En 1995, Samuel Maréchal, patron du Front national de la jeunesse, publiait un ouvrage intitulé Ni droite ni gauche, Français ! La présidente du Front national semble avoir fait évoluer ce concept en ce que l’on pourrait résumer par un autre slogan : « À la fois de droite et de gauche, mais Français ! »… Progrès ou régression ?

    Outre qu’il a déjà une histoire, le slogan « ni droite ni gauche » ne veut pas dire grand-chose. « Et droite et gauche » est bien meilleur. À un moment où de telles notions ne sont plus opérationnelles pour analyser les nouveaux clivages qui se mettent en place, il s’agit de rassembler des idées justes d’où qu’elles viennent. Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, j’avais écrit ceci : « L’avenir du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “électorat naturel” n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en bas. L’alternative à laquelle il se trouve confronté de manière aiguë est simple : vouloir incarner la “droite de la droite” ou se radicaliser dans la défense des couches populaires pour représenter le peuple de France. » J’ajoutai « qu’il reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au statut social et professionnel précaire et au capital culturel inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus ». Cette alternative est toujours présente. Le FN n’a de chances de l’emporter que s’il devient le parti du peuple. C’est même le nom que j’aimerais lui voir porter.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 décembre 2013)

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