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droite - Page 26

  • Une alternance, mais pas d'alternative...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Polémia et initialement publié sur Agoravox, dans lequel l'auteur de Mémoire vive (Editions de Fallois, 2012) répond à différentes questions de Paul Moffen sur l'actualité politique...

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    « Les partis politiques, quels qu'ils soient, sont par nature allergiques aux idées »

    A quoi attribuez-vous la défaite de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2012 ?

    Je pense qu’on l’avait tout simplement trop vu. La vulgarité du personnage, sa façon de vouloir tout faire, d’être partout, d’intervenir sur tout, avaient suscité dans l’opinion une sorte d’overdose. D’où la chute de popularité sans précédent qu’il a connue dans la seconde partie de son quinquennat. Cela dit, il y a aussi des raisons plus sérieuses, sinon plus ponctuelles. Sarkozy a déçu son électorat de droite sans parvenir à séduire la gauche. Il avait proposé de « travailler plus pour gagner plus », mais ceux qui ont travaillé plus ont finalement gagné moins. Insécurité grandissante, baisse du pouvoir d’achat, précarisation de l’emploi, multiplication des délocalisations : les gens ont constaté que rien ne s’est amélioré dans leur vie quotidienne. Ils ont réagi en conséquence. C’est ce qui a donné à leur vote l’allure d’un plébiscite pro ou anti-Sarkozy.

    Faut-il tenir Patrick Buisson – l’ancien conseiller spécial du président sortant – pour responsable du fiasco ? La stratégie de droitisation. Orientation fortement remise en cause par des caciques de l’UMP.

    Je ne le crois pas un instant, tout au contraire. Si Sarkozy a pu passer de 27 % des voix au premier tour à plus de 48 % au second, ce qui représente une progression considérable, c’est bien parce qu’il a verbalement infléchi son discours à droite entre les deux tours. S’il ne l’avait pas fait, il n’aurait pas dépassé 35 %. Les caciques de l’UMP qui se refusent à le reconnaître sont des gens qui s’imaginent qu’on peut séduire la droite en lui tenant un discours centriste, ou qu’un discours plus recentré aurait permis à Sarkozy d’obtenir un plus grand nombre de voix d’électeurs de gauche. Cela aurait pu être vrai s’il avait eu à affronter Mélenchon au second tour, pas François Hollande que personne ne pouvait considérer comme un extrémiste (comme en témoigne le ralliement de François Bayrou).

    Qu’est-ce que le sarkozysme ? Une idéologie ? Un style de présidence ? Une façon de voir le monde ?

    Rien de tout cela, pour la bonne raison que le « sarkozysme » n’existe pas. Il y a simplement eu un moment Sarkozy dans l’histoire de la Ve République. Ce moment s’est caractérisé par la mise en œuvre d’une sorte de libéralisme autoritaire, par une désacralisation accélérée de la fonction de chef de l’Etat, par une pratique sociale au service des plus riches, par un alignement de fait sur la politique des Etats-Unis d’Amérique, par le règne du paraître et le pouvoir des mots.

    Quel bilan faites-vous du mandat de l’ancien chef d’Etat ? Et y a-t-il des choses positives ? Jean d’Ormesson dans une interview accordée au Figaro Magazine (1) pense que dans quelques années, on se rendra compte qu’il était un grand président. Qu’on l’a mal jugé !

    Aucun régime n’est jamais totalement bon ni totalement mauvais. Mais c’est le bilan général qui compte. Je le trouve pour ma part détestable. Avec Sarkozy, nous avons assisté à la liquidation d’un certain nombre d’acquis sociaux hérités de plus d’un siècle de luttes sociales, à une désindustrialisation grandissante, à une perte d’indépendance dont la piteuse réintégration du commandement intégré de l’Otan a été le point d’orgue, à un engagement militaire dans des guerres qui ne nous concernent en rien (Afghanistan) ou des opérations militaires totalement dépourvues de sens (Lybie). Face à la crise financière mondiale, Sarkozy a déplacé beaucoup d’air, mais n’a rien réglé sur le fond. Le sentiment de Jean d’Ormesson, qui s’y entend en politique à peu près comme moi en mathématiques supérieures, a le mérite du pittoresque, mais je crois qu’il rêve debout. Sarkozy me semble plutôt appelé à connaître le sort de ces présentateurs de télévision qu’on voit tous les soirs, mais auxquels personne ne pense plus dès qu’ils ont définitivement quitté l’écran. Il a abandonné le pouvoir il y a trois mois à peine, mais j’ai l’impression qu’on l’a déjà oublié.

    Nicolas Sarkozy était-il de droite ou à droite ?

    Pour répondre à cette question, il faudrait déjà savoir quel sens on donne au mot « droite », et si ce sens n’est pas aujourd’hui devenu obsolète.

    Quels thèmes auriez-vous souhaité que les politiques abordent pendant cette campagne ?

    J’aurais aimé les entendre parler de géopolitique mondiale, des causes profondes de la crise financière actuelle, de la guerre menée par les marchés financiers contre les Etats, de la mise en place d’un nouveau « Nomos de la Terre », s’interroger sur les finalités de la construction européenne ou sur les fondements de la logique du profit et de l’axiomatique de l’intérêt, discuter de la question des alliances et des rapports de force, évoquer l’Asie centrale et la crise du Proche-Orient, l’épuisement des ressources naturelles, etc.

    Pourquoi cette hémiplégie ?

    D’abord, parce que ce ne sont pas là des sujets qui passionnent les électeurs (ils ne réalisent pas en quoi cela les concerne). Ensuite, parce qu’on ne peut pas en traiter sans se référer à idées, et que les idées, c’est bien connu, divisent l’opinion alors que dans une élection présidentielle on cherche avant tout à rassembler. Enfin et surtout parce qu’aucun des candidats ne se situait dans une perspective de franche rupture par rapport à l’idéologie dominante. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’abstention progresse assez régulièrement : les gens comprennent bien que les élections permettent une alternance, mais ne fournissent pas d’alternative.

    La droite française est-elle en pleine crise idéologique, en « décomposition » comme le disent les politologues ? Ou bien s’agit-il d’une mauvaise passe ?

    Toutes les familles politiques, « de droite » comme « de gauche », sont aujourd’hui plongées dans une profonde crise d’identité dont les causes sont nombreuses. L’une de ces causes est le « recentrage » des discours et des programmes, qui donne l’impression (confirmée dans les sondages) qu’il n’y a plus de véritables différences entre la droite et la gauche. Les divers partis apparaissent de plus en plus comme interchangeables, ce qui explique la volatilité électorale : les gens votent pour un parti après l’autre de la même façon qu’ils « zappent » entre des chaînes de télévision. Comme le résultat est toujours plus ou moins le même, ils sont toujours plus déçus. Une autre cause est que le paysage politique actuel continue d’être structuré, surtout dans sa dimension parlementaire, par des références obsolètes. La preuve en est que tous les grands événements de ces quinze dernières années ont créé des clivages nouveaux, qui traversent en diagonale les familles existantes. Le clivage droite/gauche est né avec la modernité, il tend à disparaître avec elle. Quant à la « décomposition » des partis, elle va de pair avec une décomposition plus générale : disparition des repères, incapacité à transmettre, instauration d’un climat sub-chaotique, dé-liaison sociale généralisée.

    Vous avez beaucoup travaillé sur la droite, entre autres. Qu’est-ce qui la différencie aujourd’hui de ce qu’elle était, il y a dix ans, sous l’ère Chirac ?

    Je ne vois guère de différences. La droite se partage toujours entre une composante populaire plus ou moins nostalgique du gaullisme, une petite-bourgeoisie (les classes moyennes inférieures) qui louche vers le Front national, et une grosse bourgeoisie acquise au libéralisme et à la mondialisation. Tout ce que l’on peut dire, c’est que le libéralisme n’a cessé de monter en puissance à l’intérieur de la droite, fût-ce en se conjuguant avec une rhétorique populiste xénophobe qui n’appartient pourtant pas à son héritage historique.

    Le score de Marine Le Pen à la présidentielle, la montée en puissance de ses idées, augurent-t-il des jours sombres pour l’UMP ?

    En théorie, oui. Mais l’UMP reste une machine de guerre dotée de moyens matériels infiniment supérieurs à ceux du FN, qui souffre de surcroît d’un sérieux manque de cadres. La logique des choses voudrait que l’on assiste d’abord à une décomposition politique de la droite suivie d’une décomposition sociale de la gauche, ce qui aurait au moins le mérite de déblayer le paysage. Mais la logique est une chose, la réalité historique en est une autre. Beaucoup de choses dépendent en outre des circonstances extérieures, qui sont aujourd’hui plus incertaines que jamais. L’histoire des hommes est par définition imprévisible, et donc toujours ouverte.

    Vous venez de publier Mémoire vive (2). Une autobiographie dans laquelle vous parlez à cœur ouvert. Pourquoi cet ouvrage maintenant ? Un désir de faire le point sur votre vie et de mieux faire partager votre pensée à un public qui a beaucoup entendu parler de vous mais qui vous connaît peu, finalement !

    Je crois qu’à partir d’un certain âge, on devient toujours un peu chroniqueur de soi-même. On éprouve aussi le besoin de faire au moins un bilan d’étape. Mémoire vive est en fait un livre double. C’est d’un côté un livre strictement autobiographique, où je raconte des choses très personnelles dont je n’avais jamais eu auparavant l’occasion ni le désir de parler. De l’autre, c’est une tentative de reconstruction d’un itinéraire intellectuel, d’un « chemin de pensée » poursuivi depuis déjà un demi-siècle. Chemin faisant, j’évoque les événements et surtout les personnalités que j’ai eu l’occasion de connaître. Il ne s’agit nullement de « mieux faire partager ma pensée », mais seulement de donner à ceux qui me lisent la possibilité de mieux me connaître et à ceux qui ne m’ont pas lu une occasion, peut-être, de rompre avec quelques idées reçues.

    Que reste-il de La Nouvelle Droite en 2012 ? Et d’après vous, quelles sont les idées dans ce courant de pensée que l’UMP a intégrées ?

    Ce que les médias ont appelé à partir de 1979 « Nouvelle Droite » – étiquette dans laquelle je ne me suis jamais pleinement reconnu – a été une grande, belle et durable aventure de la pensée. Cette aventure s’est toujours tenue à l’écart des engagements politiques partisans, pour s’en tenir à un travail engagé dans le domaine des idées, de la culture, de la connaissance et du savoir. Elle se poursuit toujours, non seulement au travers de mon œuvre, mais par l’intermédiaire des revues (Eléments, Nouvelle Ecole, Krisis) dans lesquelles s’exprime cette école de pensée. Quelles sont les idées que l’UMP a intégrées ? Aucune, bien entendu. Je l’ai déjà dit : les partis politiques, quels qu’ils soient, sont par nature allergiques aux idées (ils préfèrent évoquer les « valeurs » dont ils se réclament, sans jamais dire desquelles il s’agit). C’est la raison pour laquelle on ne peut à la fois faire de la politique et prétendre être un intellectuel digne de ce nom. J’ajoute qu’il serait pour le moins paradoxal de voir un parti comme l’UMP mettre en cause la société de marché, dénoncer l’exploitation du travail vivant et la colonisation de l’imaginaire symbolique par les valeurs marchandes, l’arraisonnement généralisé de la planète par l’idéologie de la croissance et la logique du Capital, bref se réclamer d’une pensée critique qui contredit à angle droit ses intérêts de classe !

    Dans votre livre, vous dites que vous êtes « de droite et de gauche ». Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire et comment peut-on être des deux à la fois ?

    C’est d’abord une formule qui signifie que je suis indifférent aux étiquettes. Les étiquettes, c’est le paraître, le contenant, alors que seuls les contenus m’intéressent. Cela veut dire aussi qu’en tant qu’historien des idées, ce qui me paraît le plus nécessaire n’est pas tant d’identifier des « idées de droite » ou des « idées de gauche » que de distinguer les idées fausses des idées justes. Au cours des deux derniers siècles, de nombreuses thématiques sont d’ailleurs passées de droite à gauche, ou vice versa. C’est la raison pour laquelle mes auteurs de référence, que j’évoque longuement dans Mémoire vive, appartiennent à des familles politiques ou idéologiques extrêmement variées. Disons que c’est ma façon de voir le monde qui organise ces différentes influences dans un ensemble structuré que je crois cohérent.

    Quelles sont les idées qui à droite sont passées à gauche et vice-versa ?

    Le nationalisme, souvent classé à droite, est né à gauche à l’époque de la Révolution française, qui fut la première à considérer la nation comme une entité politique souveraine. Au XIXe siècle, l’idéologie coloniale fut essentiellement propagée par des hommes de gauche, comme Jules Ferry, tandis que la droite y était en général hostile ; au siècle suivant, ce fut le contraire. Le régionalisme et l’autonomisme se situaient plutôt à droite dans les années 1930, à gauche dans les années 1960. L’idéologie du progrès, associée à la philosophie des Lumières, a d’abord été combattue par la droite contre-révolutionnaire. Elle est aujourd’hui critiquée par la gauche écologiste, qui récuse le productivisme et les diktats de la techno-science. On pourrait donner bien d’autres exemples.

    Vous dites, page 49, qu’il y a « un conformisme de l’anticonformisme. » Pouvez-vous nous donner des exemples ?

    Le style « bobo » en est l’incarnation même. Le libéralisme sociétal (la « liberté des mœurs ») se donne volontiers pour anticonformiste, mais s’intègre pleinement dans un système économique dominant qui tire profit de la tendance des individus et des groupes à vouloir faire reconnaître n’importe quel désir comme une « norme ». La « libération sexuelle » des années 1960-1970 a surtout permis de créer un profitable marché du sexe. D’autres croient « violer des tabous » en s’en prenant à la famille, à la religion ou à l’armée, sans s’apercevoir qu’ils tirent sur des ambulances. Il y a longtemps que ce ne sont plus là des tabous ! Les mêmes prennent d’ailleurs bien soin de ne violer aucune des règles du politiquement correct actuel. Une autre manière de tomber dans le conformisme de l’anticonformisme est de s’engager contre le fascisme à une époque où le fascisme a disparu, ou contre le communisme à une époque où celui-ci s’est effondré. C’est à la fois rentable et sans aucun risque. Ces gens-là n’ont pas la moindre idée du moment historique où ils vivent. Ils cheminent dans l’existence en regardant dans leur rétroviseur, ils croient pouvoir livrer des guerres qui sont déjà terminées. Ils n’ont pas compris que l’époque postmoderne, qui est celle du capitalisme absolu, est à la fois post-fasciste et post-communisme, post-bourgeoise et post-prolétarienne.

    Vous avez déclaré à plusieurs reprises que les valeurs du capitalisme sont plus un danger pour la civilisation occidentale que l’islamisme radical. Que l’impérialisme fait plus de dégâts que l’extrémisme musulman. Pourriez-vous développer ce point qui va à l’encontre des idées reçues ? Quels sont vos critères dans cette analyse ?

    Je viens de le dire, nous vivons à l’époque du capitalisme absolu, qui est bien différent de l’ancien capitalisme marchand ou industriel. Le vieux capitalisme avait encore un ancrage territorial, tandis que le capitalisme actuel est entièrement déterritorialisé. C’est la raison pour laquelle son alliance avec les classes moyennes a pris fin. L’essence du capitalisme réside dans son illimitation (le Gestell dont parle Heidegger), dans cette forme d’hybris qui le porte à la suraccumulation du capital et qui explique son déploiement planétaire dans un monde qu’il rêve de transformer de part en part en marché homogène. Comme Marx l’avait bien vu, tout ce qui risque d’entraver cette perpétuelle fuite en avant (cultures différenciées, valeurs partagées, etc.) devient un obstacle à supprimer. Toutes les valeurs sont rabattues sur la valeur d’échange, ce qui revient à dire que rien n’a plus de valeur, mais que tout a un prix. L’Homo œconomicus est posé comme un être qui se réduit à sa fonction de producteur-consommateur et ne cherche dans la vie qu’à maximiser de manière égoïste son meilleur intérêt personnel. Tout cela me paraît en effet plus grave que l’« extrémisme musulman » car cela met en cause, non pas du tout seulement la « civilisation occidentale », qui n’est pas mon souci prioritaire, mais les modalités mêmes de la présence humaine au monde. Quant à l’« extrémisme musulman », qui n’est qu’un extrémisme politique sous habillage religieux, il faudrait encore savoir comment on le définit et surtout quelles en sont les causes.

    Faut-il intervenir en Syrie comme le demande l’ONU ? Certains, comme Richard Labévière (3) disent que la situation est complexe. Que les médias occidentaux diabolisent le régime de Bachar Al Asaad et que des forces extérieures cherchent à démanteler le pays. Etes-vous d’accord avec lui ? En d’autres termes, à qui profite le crime ?

    La première condition pour ramener le paix en Syrie consisterait, non pas à y intervenir, mais à cesser d’y intervenir, afin de laisser les Syriens décider par eux-mêmes de leur sort. Il y a maintenant des années que les puissances occidentales font tout pour déstabiliser la Syrie dans le cadre d’un programme de balkanisation du Proche-Orient, dont on a déjà vu les résultats en Irak et en Libye. Il s’agit toujours de diviser pour régner. En Syrie, la rébellion a dès le début été soutenue, financée et armée par l’Arabie Saoudite et le Qatar, appuyés par la France, l’Angleterre et les Etats-Unis. Parmi ceux qui combattent dans ses rangs, on trouve un grand nombre de « djihadistes » étrangers. Les médias occidentaux, auxquels le prétendu « printemps arabe » n’a pas servi de leçon, cherchent à faire croire que le conflit oppose un dictateur à des foules désireuses d’instaurer la démocratie et la paix. C’est être aveugle sur la réalité des choses. La fin du régime alaouite en Syrie donnerait le signal du massacre des chrétiens et se traduirait par la montée en puissance de ces mêmes extrémistes musulmans dont vous parliez à l’instant. La Chine et la Russie l’ont bien compris. Ils n’ont pas oublié que, depuis l’époque de la guerre froide, les Etats-Unis ont toujours soutenu les régimes islamistes contre les mouvements laïques du monde arabe. Reste à savoir si Israël veut voir les Frères musulmans s’installer sur sa frontière nord, après avoir déjà pris le pouvoir en Egypte.

    Vous ne niez pas les exactions commises par le régime et le clan Al Assad !

    Dans une guerre civile, il n’y a pas de partie innocente. Le gouvernement syrien combat la rébellion avec une grande brutalité. Les rebelles multiplient eux aussi les massacres et les exécutions sommaires ; les médias occidentaux oublient simplement d’en parler. Les Américains dénoncent Bachar Al Assad, qui est incontestablement un dictateur, mais ils s’accommodaient très bien de Moubarak en Egypte ou de Ben Ali en Tunisie, qui étaient leurs alliés. C’est aussi la raison pour laquelle ils ferment les yeux sur l’application de la sharia en Arabie Saoudite.

    On s’est peu attardé sur la disparition du philosophe Roger Garaudy. Que retenez-vous de son œuvre et comment expliquez-vous ce service minimum ?

    Ce service minimum s’explique apparemment par les polémiques auxquelles il a été mêlé à la fin de sa vie, et notamment à ses prises de position violemment « antisionistes ». Du coup, on a oublié son œuvre philosophique, qui n’est pourtant pas mince. Pendant des décennies, Garaudy a été le principal intellectuel du parti communiste français. Ancien déporté dans un camp d’internement de Vichy en Afrique du Nord, élu après la guerre député, puis sénateur, il fut longtemps membre du comité central du PC, dont il ne fut exclu qu’en 1970. Il est mort quasi centenaire après avoir publié plus de 70 ouvrages. Son livre sur La théorie matérialiste de la connaissance (1953), ses travaux sur la morale marxiste (1963) ou la pensée de Hegel (1966) mériteraient sans doute d’être relus aujourd’hui.

    Qu’est-ce qui caractérise le plus notre époque, notre société ? Le spectacle, la diabolisation de certains intellectuels, la fin des idéologies, l’absence de débats ? Certains auteurs parlent de « liquéfaction » du corps social.

    Difficile de répondre de façon succincte à cette question. Nous sommes actuellement dans une époque de transition. Nous voyons se dissiper les contours de l’ancien monde, sans que se précise nettement celui qui vient. Je ne parlerais certainement pas de « fin des idéologies ». Le thème de la fin des idéologies, très à la mode il y a une trentaine d’années, ne vaut pas mieux que celui de la « fin de l’histoire » lancé par Francis Fukuyama. Toute société humaine a son idéologie dominante. Celle qui domine aujourd’hui est l’idéologie de la marchandise. La diabolisation de certains intellectuels, l’absence de vrais débats, sont surtout des phénomènes propres à la France. Quant à l’approche de la société en termes de spectacle et de consommation, qui remonte pour le moins au situationnisme, elle reste encore insuffisante pour décrire des évolutions plus récentes, comme la montée du technomorphisme dans la vie quotidienne (la dépendance à la télécommande et aux écrans), la féminisation de la vie sociale, la vogue des « victimes », la montée comme type humain de l’individu narcissique immature, la désinstitutionnalisation, la privatisation de la foi (la croyance religieuse n’est plus aujourd’hui qu’une opinion parmi d’autres), etc. La notion de « société liquide » proposée par Zygmunt Bauman me semble intéressante. Elle explique bien comment le transitoire, le changeant, l’éphémère, tend dans tous les domaines à remplacer ce qui, auparavant, paraissait à la fois durable et constant. Les sociétés occidentales actuelles relèvent d’une logique à la fois « maritime » et commerciale : tout y est affaire de flux et de reflux, de communautés et de réseaux.

    Que vous inspirent les nouveaux philosophes ? Gilles Deleuze parlait d’imposture à leur sujet. Il disait qu’il n’y avait aucune philosophie. Etes-vous de cet avis et qu’ont-ils apporté au débat d’idées ?

    Voilà une question qui nous ramène plus de trente ans en arrière ! Deleuze n’avait pas tort de parler d’imposture à propos des ex-nouveaux philosophes, dont la contribution proprement philosophique reste encore à identifier. La « nouvelle philosophie » me paraît surtout avoir constitué une sorte de sas permettant à d’anciens révolutionnaires de se « repentir » à bon compte et, sous couvert de réalisme, de se rallier à un système en place gouverné par l’idéologie des droits de l’homme et celle du marché.

    Comment expliquer leur popularité auprès des médias français ?

    Les médias parlent de ce dont on parle, ce qui signifie qu’ils amplifient tout naturellement les « coups » médiatiques qu’ils ont été les premiers à lancer. Ils ont par ailleurs très vite compris ce qu’il y avait d’utilisable chez les « nouveaux philosophes », disons pour faire bref un nouveau mode de légitimation du désordre institué. Il est notoire, enfin, que les compétences philosophiques de la plupart des journalistes tiennent à l’aise sur un confetti.

    Dans votre livre, vous semblez ne pas tenir grief à Pierre-André Taguieff. Or La Force du préjugé (4) est un essai théorique dans lequel il vous accusait « de racisme masqué ». Cet auteur, relayé par d’autres et qui se sont appuyés sur ses écrits, a contribué, pour une grande part, à votre diabolisation en France. Pourquoi cette mansuétude ?

    Je n’ai pas du tout le sentiment que Pierre-André Taguieff ait joué un rôle majeur dans ce que vous appelez ma « diabolisation ». C’est bien plutôt lui qui a été diabolisé pour avoir tenté d’analyser le phénomène de la « Nouvelle Droite » autrement qu’à coups d’anathèmes et de slogans. Vous citez La force du préjugé, qui est un livre paru il y a plus de vingt ans. Depuis lors, Taguieff a publié nombre d’écrits dans lesquels il a adopté à mon égard des attitudes assez variées. Comme il lit ce dont il parle, il a tenu compte de mon évolution. J’ajoute qu’il a évolué lui-même, sans doute plus encore que moi (il ne fait pas de doute que je suis aujourd’hui beaucoup plus à gauche que lui !). Quant au « racisme masqué » d’un auteur, moi en l’occurrence, qui a publié à ce jour trois livres contre le racisme, la formule a plutôt de quoi faire sourire.

    Il n’a jamais fait partie du GRECE5 (5)? On dit même qu’il participait à certains de vos travaux. Réalité ou légende ?

    Légende, évidemment. Mais vous noterez qu’elle contredit votre question précédente : si Pierre-André Taguieff avait voulu « diaboliser » le GRECE, on ne l’aurait pas accusé d’en faire partie, ou du moins de nourrir à son endroit des sympathies suspectes. Taguieff a parfois assisté à des réunions ou des colloques organisés par le GRECE, comme l’ont fait de nombreux journalistes. J’ai souvent eu des discussions avec lui, et ne l’ai jamais regretté. C’est un interlocuteur d’excellent niveau.

    Votre pensée a évolué au fil du temps et des rencontres. Pouvez-nous dire, néanmoins, les idées, les concepts auxquels vous n’avez jamais renoncé pour expliquer le monde, les rapports sociaux, politiques ?

    Je n’ai d’abord jamais renoncé aux exigences de la pensée critique. Je n’ai jamais renoncé à militer en faveur d’une Europe autonome, politiquement unifiée, qui soit à la fois un pôle de puissance dans un monde multipolaire et un creuset de culture et de civilisation. Je n’ai jamais renoncé à l’idée que la diversité constitue la plus grande richesse du monde, et que toutes les doctrines universalistes, religieuses ou profanes, qui tentent de réduire cette diversité au nom de l’Unique, sont des doctrines nocives qui doivent être combattues sans merci. Mais je ne vais pas entamer ici un petit credo personnel. Pour en savoir plus, il faut lire Mémoire vive !

    Qu’attendez-vous du gouvernement Ayrault et de la présidence Hollande ?

    Quand les hommes politiques arrivent au pouvoir, c’est en général pour découvrir leur impuissance. Pour des raisons qui excèdent leurs personnes, je ne crois donc pas qu’il y ait beaucoup à attendre de François Hollande ou de Jean-Marc Ayrault. Je crains qu’ils n’aient pas la carrure nécessaire pour faire face à la crise généralisée dont la situation présente est un signe avant-coureur. Pour desserrer l’étau du système de l’argent, il faut beaucoup de volonté et beaucoup de moyens. A mon avis, les deux leur font défaut.

    Merci Alain de Benoist. Je rappelle le titre de votre dernier livre, Mémoire vive, avec François Bousquet, aux Editions de Fallois.

    Alain de Benoist

    Notes :

    1. Jean d’Ormesson, « L’injustice faite à Sarkozy » in Le Figaro Magazine, le 03/05/2012.
    2. Mémoire vive, Entretiens avec François Bousquet
    , Editions de Fallois, 2012.
    3. Ancien rédacteur en chef de RFI et TV5 in Eléments,
    n°143, 2012, pp.6 et 7.
    4. Pierre-André Taguieff, La Force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles
    , Editions Gallimard, 1991. 
    5 Groupement de recherches et d’études pour la civilisation européenne.

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  • "Il n'y a de pensée que lorsqu'il y a risque"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec le sociologue Michel Maffesoli à l'occasion de la sortie de son livre Homo eroticus aux éditions du CNRS, cueilli sur le site de l'Express. Un penseur, qui, s'il est parfois contestable ou irritant, n'en reste pas moins toujours stimulant...

    michel maffesoli, modernité, post-modernité, sarkozy, droite

    "Il n'y a de pensée que lorsqu'il y a risque"

    Vous venez, du côté de votre père, d'une lignée de libertaires italiens ; votre mère comptait de nombreux Cévenols dans sa famille. Est-ce de cette filiation plutôt épicée que vous vient votre goût de la provocation ?

    Je l'ignore. Ce qui est certain, c'est que je n'aime pas penser droit. Dès 1982, lorsque j'ai fondé à la Sorbonne le Centre d'études sur l'actuel et le quotidien, j'ai choisi des sujets qui contrevenaient au politiquement correct. Ce pouvait être le Minitel rose, le poids et la fonction de l'image, la cuisine... A l'époque, la sociologie s'occupait des institutions, de l'établi, comme la politique ou la famille. Mon pari à moi consistait à dire que la vraie vie se trouve dans le quotidien, dans ce que l'on considère comme sans importance, dans le "banal". On l'a oublié, mais le jour du four banal, dans de nombreux villages, était celui du pain commun. Puis on a appelé banal ce qui n'est rien du tout. Je pense au contraire que c'est grâce à cette banalité que croît la société. 

    Vous brocardez le "conformisme intellectuel" de l'époque. De quel conformisme parlez-vous ?

    De celui qui nous empêche de penser la postmodernité. Nous avons une frousse terrible du mot lui-même, alors que c'est pourtant bien lui qui définit la période actuelle. La France a inventé la modernité à partir du XVIIe siècle, avec le cartésianisme et la philosophie des Lumières. Sans doute est-ce pour cela qu'elle éprouve une énorme difficulté à aborder le changement de paradigme en jeu aujourd'hui. Nous ne voulons pas voir que les valeurs modernes - raison, progrès, travail - ne constituent plus une matrice féconde. Alors, on parle de "modernité seconde", de "modernité tardive", de "modernité avancée". Prenez la crise : selon moi, elle est bien plus qu'une crise financière. Elle est crise au sens étymologique de "crible". Nous sommes en train de vivre le passage au tamis des valeurs de la modernité. 

    Est-ce par non-conformisme que vous avez dirigé en 2001 la thèse d'Elizabeth Teissier, qualifiée de "non-thèse" par les membres du jury qui l'ont examinée?

    Cela fait dix ans que cette histoire me poursuit ! [Il sourit]. En trente ans d'enseignement à la Sorbonne, j'ai fait passer 170 thèses, dont trois sur l'astrologie. Je suis, en ce domaine comme en beaucoup d'autres, un mécréant absolu. Ma règle en sociologie est la suivante : un fait, s'il est social, devient un fait sociologique. Il est là, on le traite. 50 % des Français consultent leur horoscope, et il ne me paraît pas infamant qu'une personne directement impliquée dans le sujet en question en parle. Le tout est de savoir comment elle doit en parler. A l'encontre de l'idée dominante en France - traiter les faits sociaux comme des choses -, je pense qu'il est possible d'intégrer la subjectivité. D'ailleurs, personne ne connaît le titre de cette fameuse thèse : "Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes". Autrement dit, il s'agissait d'analyser comment les médias se comportaient par rapport à l'astrologie, et non de faire l'apologie de celle-ci. 

    Vous vous êtes également fait remarquer, l'an dernier, avec votre livre Sarkologies, où vous présentiez Nicolas Sarkozy comme un président "postmoderne", en phase avec le peuple et son époque. C'est pourtant François Hollande qui a été élu !

    A quelques centaines de milliers de voix près, je vous le rappelle. Sarkozy, pour qui je n'ai pas d'appétences politiques, a un côté "enfant qui ne grandit jamais", un côté mafieux, qui sont en effet pour moi l'un des reflets de la postmodernité. La modernité, c'est l'adulte sérieux ; la postmodernité, c'est Dionysos, l'enfant éternel et créatif, qui s'appuie sur sa famille, ses proches, s'ajuste au coup par coup. L'élection de François Hollande montre que la France n'est malheureusement pas en phase avec l'esprit du temps. Je reviens à ce que je disais : notre pays a peur de la postmodernité. Il vit un processus de rétraction. Nous sommes retournés aux grandes valeurs du XIXe siècle : l'Etat providence, le fonctionnariat, la crainte de devoir se débrouiller avec la vie. 

    Hollande incarnerait le cocon protecteur ?

    L'enfant éternel trafique parce qu'il n'y a plus de solution globale, juste des pistes à explorer sur le moment. Il est dans la "combinazione" permanente, ce qui est le propre du tragique contemporain - au sens étymologique de tragos, la trachée-artère, ce qui est rugueux par rapport à la veine. Le sale gosse Sarko "tchatchait", il réagissait à tout, à tel meurtre, tel incendie, en disant : "On va régler ça." Mais il ne pouvait que colmater puisqu'il n'y a pas de solution. Le Parti socialiste, lui, est un parti "dramatique" : il considère qu'il y a une solution morale pour la société dans son ensemble, qu'une issue est possible. La France, avec Hollande, a voté la normalité. Alors oui, nous trouverons une solution : un pays de fonctionnaires avec, à la clef, la production de normes. La "normopathie" est en marche ! Seulement, notre pays risque de passer à côté de l'évolution du monde actuel, qui exige de l'audace, des prises de risques. Même si je pense que nous serons, par la force des choses, contraints de revenir à une conception non sécurisante de l'existence, en laissant par exemple une flexibilité dans le travail. L'un de mes étudiants a réalisé une étude sur les jeunes, qui préfèrent les CDD aux CDI. Pourquoi ? Parce qu'ils savent que même les CDI peuvent s'arrêter, et parce qu'ils préfèrent conserver leur liberté. Nous avons devant nous une population franchouillarde de vieux cacochymes, qui ne mesure pas la vitalité et l'intensité juvénile de la société actuelle. 

    En quoi l'époque serait-elle vitaliste ?

    Regardez dans quelle ambiance émotionnelle nous baignons - musicale, sportive, culturelle, religieuse, etc. Les affects sont omniprésents, et même dans des domaines d'où ils avaient été exclus : la politique, l'économie. Il suffit de voir les meetings actuels avec musique et cotillons ! La vie sociale est remplie de rumeurs, de buzz, d'irruptions des humeurs. On voit émerger de nouvelles formes de solidarité et de générosité - il s'agit là de deux liens essentiels, car ce sont eux qui font société. Le couch surfing ou la colocation, par exemple : les études montrent que leurs adeptes éprouvent le désir d'être ensemble pour être ensemble et pas seulement pour des raisons économiques. La vieille lune de l'hospitalité revient aujourd'hui, renouvelée grâce aux technologies. 

    Certains de ces mouvements restent encore assez confidentiels...

    Ce qui n'est pour le moment réductible qu'à une classe de jeunes tend à se répandre dans l'ensemble du corps social par un processus de contamination. Au XIXe, le jeune qui arrivait sur le marché du travail n'avait d'autre choix que de s'habiller comme le bourgeois, en costume trois pièces. Aujourd'hui, le vêtement de l'enfant éternel, c'est le jean, et le bourgeois se met au denim. On veut rester jeune, parler jeune. On voit désormais des colocations intergénérations ou des colocations entre vieux. 

    Réjouissons-nous, alors : la société serait beaucoup moins individualiste qu'on ne le pense ?

    Parler d'individualisme contemporain est une ineptie propagée par les journalistes, les hommes politiques et certains universitaires. Il suffit de sortir, d'allumer son portable, pour se rendre compte que nous sommes toujours "en relation avec", qu'il y a toujours autour de nous une communauté, et que les émotions font le lien. Au "cogito ergo sum, in arcem meum" de Descartes - "je pense donc je suis, dans la forteresse de mon esprit" - qui fonde l'individualisme moderne a succédé le "je m'éclate avec". Les gens se structurent en tribus, autour d'un goût partagé - sexuel, musical, religieux, sportif, etc. -, dans une volonté de vivre le présent plutôt que de se projeter. C'est pour cela que la res publica est devenue une mosaïque, et que nous devons en faire l'apprentissage, même si celui-ci est douloureux. Par un processus de balancier, l'individu a été remplacé par la personne. L'individu est un ; la personne est plurielle. Chacun de nous est plusieurs choses, en fonction des circonstances, de l'âge, etc. Aujourd'hui, je n'existe que par et sous le regard de l'autre. Dans la modernité, on se créait par soi-même, on cherchait à être sa propre loi, à être autonome, selon l'idéal rousseauiste. Voyez la mode : en fonction de la tribu à laquelle j'appartiens, je vais m'habiller, parler, me cultiver de telle ou telle manière. Ces lois de l'imitation se sont exprimées à la fin du XIXe, mais elles n'étaient pas contemporaines par rapport à leur temps. 

    De quand datez-vous la naissance de ce phénomène ?

    Des années 1950, avec l'apparition du design, qui a esthétisé le quotidien. Est venue ensuite, dans les années 1960, l'effervescence des grands rassemblements. A partir de l'an 2000, ce qui s'était un peu perdu dans les sables a commencé à renaître. Regardez l'essor des communications horizontales grâce à Internet. Face à ce bouillonnement, notre intelligentsia reste décalée, alors que le grand public, lui, sent bien qu'il a envie d'"être avec", je dirais même de "coller" à l'autre, beaucoup plus que d'être autonome ! Il colle aux autres sur la plage, dans les concerts de musique, les apéritifs festifs, etc. 

    Ce que vous décrivez ressemble à l'ère prémoderne, médiévale, les technologies en plus.

    Il n'y a rien de nouveau sous le soleil, mais, à un certain moment, tel phénomène prend plus ou moins d'importance. Je pense que l'histoire de l'humanité obéit à une logique cyclique. C'est mon côté nietzschéen. Mais je suis aussi du peuple - notre entretien est parti de là. Si je dois quelque chose à mes origines populaires, c'est bien l'idée de la relativité du progrès.  

    "La réalité mesurable, quantifiable et statistiquement délimitée : voilà quel est l'alpha et l'oméga de l'idéologie positiviste qui a contaminé l'université", écrivez-vous dans votre dernier ouvrage. Tout de même : la réalité chiffrée reste encore un bon moyen de ne pas dire n'importe quoi !

    Je n'en suis pas du tout sûr. Le chiffre est la religion moderne. Il nous sécurise. Ce n'est pas dire n'importe quoi que de mettre l'accent sur le qualitatif, pour voir ce qui meut en profondeur une manière d'être soi et avec l'autre, tout en veillant à ne pas laisser trop de place au subjectif. Les entretiens non directifs que nous pratiquons dans mon Centre, et qui m'avaient valu des critiques dans les années 1980, sont désormais fréquemment utilisés en sociologie ! 

    On vous accuse d'être un sociologue de droite, bien servi par le pouvoir précédent.

    Ça m'est complètement égal. Je pense, c'est vrai, que l'époque se prête plus au modèle de la débrouille incarné par Sarkozy, mais je ne partage pas les valeurs de la droite, pas plus que je ne suis de gauche. Il n'y a de pensée comme d'amour que lorsqu'il y a risque. J'ai toujours accepté la prise de risques. Et vous avez compris que je l'assumais. 

    Michel Maffesoli, propos recueillis par Claire Chartier (L'Express, 20 août 2012)

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  • Voyage au pays de l'essentialisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent texte de Pierre Bérard, cueilli sur le site de La Droite strasbourgeoise. Membre fondateur du G.R.E.C.E., ami et disciple de Julien Freund, Pierre Bérard est un collaborateur régulier de la revue Éléments 

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    Le journal Le Monde publiait récemment la tribune d’un professeur d’histoire, Bruno Belliot, titrée « Le Front de Gauche est un mouvement républicain, contrairement au FN ». Faisant le procès de l’UMP et du FN tout en dédouanant les angéliques du PC et du FdG français, cette tribune contenait tout l’argumentaire médiatique habituel sur l’incompatibilité du FN et de la République, colporté tant par certains politiques ignorants que par des journalistes incultes qui mettent leur complaisance au service d’une cause inavouable : la nostalgie du totalitarisme stalinien. Sa participation au camp des vainqueurs de 1945 n’empêche pas, en effet, le PCF de s’être rendu coupable de complicité avec la tyrannie.

    Le sens de l’affaire est limpide, toujours et encore culpabiliser le camp de la « droite » : « C’est pourquoi, il m’est intolérable d’entendre, de lire (comme de voir dessiner), qu’un parallèle peut être fait entre Mélenchon, les communistes, les candidats du Front de Gauche et l’extrême droite du FN. Et que par conséquent, la droite n’aurait pas à rougir de ses alliances avec le FN puisque le PS s’allie avec le Front de Gauche. »

    Ainsi, nous démontrons ci-dessous non seulement l’inanité de cette culpabilisation mais démontons du même coup la notion de « droite républicaine » dont la signification reste à démontrer si l’on veut dire par là qu’il existerait en 2012 une droite qui ne le serait pas.

    La Droite strasbourgeoise

     

    Front de Gauche/FN : Voyage au pays de l’essentialisme

    Alors que tout change, y compris l’extrême gauche passée en 40 ans de la défense héroïque du grand soir prolétarien à celle lacrymale des sans papier, « armée de réserve » du capital qui exerce une pression discrète mais constante à la baisse des petits salaires (sinon on se demande bien pourquoi madame Laurence Parisot aurait, sur ce point, les mêmes idées immigrationnistes que messieurs Krivine et Mélanchon). Certes, on peut toujours s’évertuer à penser que la dirigeante du MEDEF est secrètement passée du coté obscur de la force et qu’elle contraint ses amis à cultiver une forme peu banale de masochisme altruiste. Hypothèse peu probable, reconnaissons-le. Tout change donc : le « socialisme » démocratique acquis, via l’Europe, depuis deux ou trois décennies au social-libéralisme, comme le « gaullisme » qui a renoncé à l’indépendance et au dogme du peuple souverain.

    Tout change, sauf bien sûr l’extrême droite vue par Bruno Belliot, membre du Front de Gauche. Impavide, elle est semblable à elle même, immobile et pétrifiée comme les années trente du XX siècle en ont donné la définition rituelle , guettant dans l’ombre (évidemment) l’heure de sa revanche, ourdissant des complots comme celui de la Cagoule, collaborant avec l’ennemi durant l’occupation, se relevant avec le poujadisme puis l’OAS pour finir par renaitre avec le Front National. Elle est là, figée, telle que la vulgate médiatique en fait le portrait, une vulgate inspirée par l’antifascisme stalinien qui nous ressert toujours le même plat continûment réchauffé depuis 80 ans, comme l’a très bien montré François Furet. Cette paresse a fini par s’inscrire comme un habitus dans nos moeurs et nos tics de langage.

    Pourtant, en ce qui concerne le procès le plus sévère instruit contre l’extrême droite, sa collaboration avec le régime nazi ou ses soit-disant affidés, qu’en est-il ? 

    Pour ce qui est de la résistance et de la collaboration, puisque c’est sur ce sombre épisode que s’enrochent la plupart des mythes fondateurs de l’histoire sainte dont se réclame Bruno Belliot, rappelons quelques faits marquants qui n’appartiennent nullement à une vision révisionniste de l’histoire. C’est le 26 septembre 1939 que le Parti Communiste est interdit par le gouvernement dirigé par un des chefs du Front Populaire, Édouard Daladier. Pour quelle raison ? Parce que en bon disciple stalinien il continue d’approuver le pacte Germano-Soviétique d’août 1939 qui permettra le dépeçage de la Pologne, alliée de la France, entre les deux contractants. Passé dans la clandestinité, Jacques Duclos, un des principaux dirigeants du PCF, diffuse le premier octobre 1939 une lettre ouverte invitant le gouvernement à entamer des négociations de paix avec l’Allemagne hitlérienne qui étant pour l’heure l’alliée de l’URSS ne représente plus le condensé de la menace fasciste. C’est à la même époque que Maurice Thorez, secrétaire général du Parti, déserte face aux armées nazies, pour rejoindre la « patrie des travailleurs » (et du Goulag), ce qui lui vaut une condamnation à mort et la déchéance de la nationalité française.

    Plus tard, la défaite de la France étant consommée, Jacques Duclos entre en contact dès le 18 juin 1940 avec les autorités allemandes d’occupation tout juste installées pour entreprendre une négociation. Dans quel but ? Permettre au Parti d’être à nouveau autorisé sur la base d’une bonne entente entre le peuple français et l’armée d’occupation. Duclos propose même d’orienter la propagande du Parti dans le sens d’une lutte contre le grand capital anglais et contre sa guerre impérialiste. Les allemands ne sont pas preneurs.

    Ce n’est qu’en Juin 1941 que l’extrême gauche communiste entre dans la résistance active suivant en cela ses sponsors. L’Allemagne ayant en effet décidé d’attaquer l’URSS. Dans cette résistance active, les communistes arrivent bien tard pour y retrouver des hommes qui venaient souvent de l’extrême droite. Comment, en effet, qualifier autrement les partisans de la monarchie tels Daniel Cordier (secrétaire de jean Moulin), le célèbre colonel Rémy (premier agent gaulliste en France occupée), De Vawrin (chef des services secrets de la France libre). Ou encore des cagoulards comme Guillain de Benouville (dirigeant du mouvement Combat) et des centaines d’autres affreux tels Honoré d’Estienne d’Orves fusillé un mois après Guy Moquet, célébré par Sarkozy ( à la suite du parti Communiste) et qui ne fut jamais résistant…

    Il suffit de lire les deux livres que l’historien israélien Simon Epstein a consacré à cette période pour abandonner tout schéma manichéen, schéma auquel s’accroche désespérément Bruno Belliot pour nous conter sa fable d’une France coupée en deux avec d’un coté les représentants du Bien et de l’autre ceux du Mal, c’est à dire l’extrême droite éternelle.

    Dans « Les Dreyfusards sous l’Occupation » (2001) puis dans « Un paradoxe français » (2008), il montre, liste de noms à l’appui, que dans leur immense majorité les dreyfusards, anti-racistes, généralement pacifistes de gauche s’engagèrent dans la collaboration, tandis que nombre d’antidreyfusards et antisémites appartenant à ce qu’il est convenu d’appeler la droite radicale germanophobe s’engagèrent dans la résistance et la France libre. Or ce paradoxe, on le comprend aisément, est peu abordé par l’histoire académique, prudente jusqu’à la couardise, permettant à une doxa politiquement correcte de prospérer sur les non dits de l’histoire savante. ce qui permet qu’aujourd’hui encore fleurissent des absurdités comme cette apologie du Front de Gauche intégrant trotskistes et communistes, dont peu, même dans une « droite » gagnée par la lâcheté, ose remettre en question les énoncés falsifiés. N’en reste pas moins vrai que les quatre cinquième de la chambre du Front Populaire ont accordé à un vieux maréchal, que sa réputation de laïque républicain plaçait au dessus de tout soupçon, les pleins pouvoirs. Il y avaient très peu de députés d’extrême droite, pourtant, dans cette assemblée. 

    Quant à la reconnaissance du Parti Communiste comme parti républicain par le général de Gaulle en 1943-1944, avait-il le choix ? Il lui fallait composer avec une force majeure à l’époque. Son réalisme politique a contribué à mettre en selle un parti qu’il s’est empressé de combattre à partir de 1947 (création du RPF). De même, n’est ce pas un récipiendaire de la francisque qui nomma en 1981 des ministres communistes dans son gouvernement pour mieux étouffer un parti qui devait plus tard ramasser les dividendes putrides de son long flirt avec une URSS désormais honnie? Ce qui montre bien que la reconnaissance de tel parti comme « parti républicain » est avant tout une question de rapport de force. Le statut « républicain » accordé à un parti n’a que très peu de rapport avec les vérités de la science politique et beaucoup à voir avec la « realpolitik » de l’époque. Les définitions de la République sont évasives, comme tout ce qui ressort de la condition humaine. Chacun devrait savoir que depuis 1793, la République a changé de signification. En faire une monade surplombant dans le ciel le monde des Idées est une niaiserie platonicienne. 

    Pierre Bérard (La Droite strasbourgeoise, 3 juillet 2012)

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  • Une victoire par défaut...

    Pierre Le Vigan, essayiste et collaborateur habituel de la revue Eléments, analyse pour Métapo infos la victoire par défaut de François Hollande dans une France qui paraît rester majoritairement à droite...

     

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  • Vae victis !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré aux raisons de la défaite de Nicolas Sarkozy... 

     

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    Vae victis : la défaite méritée de la droite la plus bête du monde

    La défaite de Nicolas Sarkozy aux élections présidentielles de 2012 n’est pas seulement celle d’un homme qui a très rapidement dilapidé son capital politique. Car en cinq ans le président sortant a réussi non seulement à faire gagner la gauche mais aussi à remettre en selle l’extrême gauche et le parti communiste, en catalysant le rejet autant de sa personne que de sa politique, tout en décourageant ses soutiens.

    Et la crise n’explique pas tout, car cet échec est aussi celui de toute la droite française, qui est vraiment « la plus bête du monde », selon la fameuse expression attribuée au socialiste Guy Mollet !

    La droite en France est, certes, en dormition depuis les épurations et diabolisations successives dont elle n’a cessé d’être frappée. Mais cela ne saurait tout excuser. La triste vérité est que la droite en France est bête et qu’elle ne cesse de commettre des bêtises. Retour sur cinq d’entre elles :

    La première bêtise, la plus ancienne, est d’avoir délaissé la lutte des idées

    Jusque dans la première moitié du XXe siècle, la droite en France rassemblait de brillants intellectuels et des artistes. La IVe République, qui a vu la mainmise de la gauche sur la culture, l’enseignement, l’édition et la presse, suite à l’Epuration, y a mis un terme.

    Mais cela a malheureusement continué sous la Ve République : la droite a perdu en 1968, puis en 1986 avec la cohabitation, le combat culturel face à la gauche.

    Cette droite n’a tenu compte, en outre, d’aucun des avertissements qui lui ont été adressés par certains intellectuels amis (de Michel Droit à Louis Pauwels) et par certains clubs de réflexion, en particulier après la victoire de la gauche en 1981 : elle n’a pas voulu comprendre que ce sont les idées qui mènent le monde, le monde politique en particulier.

    La droite au front de taureau a continué de ne réfléchir à rien, de ne rien lire et de n’avoir des idées sur rien.

    La droite n’a donc pas vu venir les nouveaux clivages culturels et politiques qui émergeaient en Europe et en France : le clivage identité/cosmopolitisme ; le clivage islam/chrétienté ; le clivage oligarchie/peuple ; le clivage souveraineté /mondialisme ; le clivage protection/libre-échangisme. Sur tous ces sujets, qui sont autant de « grandes querelles », comme disait De Gaulle, la droite de gouvernement n’a rien eu à nous dire en 2012. Elle n’a donc nullement profité de ces nouvelles lignes de fracture politiques.

    La droite a longtemps cru que sa « bonne gestion de l’économie » constituerait son meilleur argument électoral face à une gauche « idéologique ». Car autrefois la droite rimait avec économie – au sens vertueux du mot –, avec confiance dans la monnaie ainsi qu’avec rigueur budgétaire et financière. Mais la droite a perdu aussi sur ce terrain-là !

    Avec Chirac puis Sarkozy, la droite est devenue au moins aussi laxiste, sinon plus, que la gauche : les déficits et l’endettement publics se sont envolés. La France a perdu son triple A. Les transferts sociaux au profit de différentes clientèles et les réglementations bureaucratiques se sont, comme les radars, multipliés. Les impôts et prélèvements « sociaux » n’ont cessé de progresser, et cela avait déjà commencé sous Giscard d’Estaing.

    Pas étonnant que les jeunes et les actifs se détournent de cette droite qui regarde, dans le rétroviseur, passer les trains de l’histoire !

    La seconde bêtise a consisté à adopter l’idéologie de la gauche

    Les « stratèges » de la droite ont cru habile, au surplus, pour contrer les communistes et les socialistes, de se placer sur le même terrain qu’eux.

    Les mots d’ordre des hommes politiques de droite, véritables éponges idéologiques à la fin du XXe siècle, proviennent d’ailleurs quasiment tous de la gauche : la « nouvelle société » (car la société est bloquée par le conservatisme, bien sûr ! selon Chaban-Delmas), « la société libérale avancée » (c'est-à-dire une sorte de social-démocratie : Giscard d’Estaing), « le travaillisme à la française » (Chirac), le « changement » et « vivement demain » (en 1986), la « rupture » (Sarkozy après… Mitterrand en 1981). Le dernier chic à droite était d’ailleurs de se réclamer d’hommes de gauche : de Jaurès à Georges Mandel.

    La droite s’est donc réclamée des droits de l’homme, de la République et surtout du libre-échangisme mondialiste. Mais c’était un cocktail à la fois ringard et dangereux ! Comme ces vieilles munitions que l’on déterre encore et qui vous explosent à la figure quand on commence à les manipuler…

    Ainsi les droits de l’homme – instrumentés contre les communistes dans les années 70 – sont devenus en retour une arme aux mains des immigrationnistes et des mondialistes contre les droits des citoyens et contre la souveraineté des Etats. Chirac a fini par faire la guerre à la Serbie au nom des droits des mahométans du Kossovo. Et Sarkozy a promu « l’obligation de protéger » les Libyens, un remake de « l’urgence humanitaire » inventée par le socialiste Bernard Kouchner… et qui fut aussi son ministre d’ouverture.

    Devenue anglophile, la droite s’est ensuite emparée avec délices du prêt à penser libéral, qui fut rapidement véhiculé par les intellectuels organiques de service et les représentants du patronat : trop d’impôts tue l’impôt, libérons les créateurs de richesses, dérégulons, privatisons, à bas l’Etat, vive l’Etat de droit !

    Il s’agissait néanmoins d’un hara-kiri idéologique.

    Car les droits de l’homme et la doctrine libre-échangiste se rattachent comme la gauche à l’idéologie des Lumières. Toutes ces idéologies prônent la déconstruction des traditions, des protections nationales et des frontières économiques et, finalement, de toutes les spécificités – c'est-à-dire des identités – comme autant d’obstacles au « doux commerce » entre des individus égaux et « rationnels » car libérés de toute appartenance.

    On ne peut donc pas à la fois se déclarer en faveur de la famille, des traditions culturelles, de l’identité, de la citoyenneté ou de la nation et prôner le libre–échangisme et les droits de l’hominien : il y a dissonance cognitive entre les deux positionnements !

    Le fait que la gauche – qui prétend de son côté que l’on peut préserver notre « modèle social », version 1946 modifiée 1981, dans une économie globalisée – porte comme un boulet sa propre dissonance cognitive ne change rien à l’erreur stratégique de la droite.

    Le résultat est là : en 30 ans la droite est devenue une gauche qui ne dit pas son nom. Elle s’est progressivement ralliée à l’égalitarisme, à la « lutte contre les inégalités » et donc à l’ingénierie sociale, puis à « l’antiracisme », à l’écologisme, au féminisme et finalement au cosmopolitisme.

    La troisième bêtise a consisté à tromper en permanence son électorat

    La gauche a échoué à sortir du système capitaliste. Mais elle a, par contre, réussi à transformer la société conformément à son idéologie et elle a mis en œuvre une bonne partie de son programme électoral.

    La droite, elle, n’a cessé de tromper ses électeurs. Elle scénarise à chaque élection un duel à mort avec la gauche. Mais c’est ensuite pour cohabiter avec elle, pour faire entrer au gouvernement des ministres issus de la gauche au titre de « l’ouverture » ou pour en rajouter sur le politiquement correct.

    Elle met en scène un discours « souverainiste » (de Pasqua à De Villiers, sans oublier l’appel de Cochin de Chirac) ou « sécuritaire » (en général ce rôle incombe au ministre de l’Intérieur en place) pour aller à la pêche aux voix : mais ensuite ces joueurs de flûte rentrent piteusement dans le rang et font le contraire de ce qu’ils ont promis.

    « Les réformes les plus contestables qui ont bouleversé notre société, et dont l’effet cataclysmique se fait sentir aujourd’hui, ont d’ailleurs été prises par des gouvernements et des présidents de droite et non de gauche : la déstructuration de l’enseignement scolaire et universitaire, la loi Pleven qui ouvre la voie au chantage « antiraciste », le regroupement familial des immigrés, la légalisation de l’avortement, l’imposition du Traité de Lisbonne, l’annonce des « repentances » successives, la perte de la souveraineté monétaire, la réintégration de l’OTAN, la mise en place des quotas féministes, la création de la HALDE, la « discrimination positive », etc.

    « C’est aussi la droite et non la gauche qui a bouleversé l’esprit et les institutions de la Ve République. Avec la cohabitation de 1986, la droite a accepté de dissocier la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, créant la confusion politique et l’immobilisme. Elle a ensuite réduit la durée du mandat présidentiel, diminuant du même coup sa dimension souveraine. Nicolas Sarkozy a achevé l’évolution en fusionnant de fait les fonctions de premier ministre et de président de la République, rabaissant le niveau de la fonction.

    « C’est aussi la droite qui a bouleversé, au nom de l’idéologie néolibérale de « l’Etat de droit », le système de contrôle de la constitutionnalité des lois : elle a transformé le Conseil constitutionnel en gardien idéologique, c'est-à-dire qu’elle a organisé la primauté des juges inamovibles sur les législateurs élus.

    « La gauche a certes supprimé la peine de mort, voté les lois Auroux sur le pouvoir syndical dans l’entreprise, instauré les 35 heures et voté la loi Fabius-Gayssot, des réformes également cataclysmiques. Mais cela ne saurait cacher que globalement c’est la droite de gouvernement qui a à son passif le plus de réformes calamiteuses pour notre pays. »

    La quatrième bêtise de la droite a été son incapacité à s’unir

    L’histoire de la droite en France depuis les années 1870 est l’histoire de ses déchirements et de ses luttes fratricides, alors que les querelles de la gauche sont toujours restées, selon la formule célèbre de Léon Blum, des querelles de famille.

    A la différence de la gauche, la droite ne sait pas jouer collectif et sacrifie en permanence l’essentiel au nom de l’accessoire. C’est pourquoi elle ne parvient pas à s’imposer dans la durée.

    Dernière illustration de ce travers historique : la droite au front de taureau a coupé les ponts avec le Front national tout en prétendant récupérer ses électeurs. Elle a donc fait le contraire de la stratégie victorieuse d’union de la gauche. Bravo les parangons du « vote utile » !

    Cette préférence pour la désunion a eu pour seul résultat que la droite, bien que majoritaire dans le pays, s’est retrouvée prise en otage politique par une gauche minoritaire. Une performance remarquable !

    Afin de se dédouaner, en effet, de l’accusation, constamment proférée par la gauche et les officines qui lui sont dévouées, de « pactiser » avec le diable « d’extrême droite », la droite a été contrainte de donner des gages de plus en plus élevés. Elle s’est déclarée de plus en plus « républicaine », c’est-à-dire toujours plus politiquement correcte.

    Elle a dû aussi sacrifier impitoyablement tous ceux qui, dans ses rangs, prétendaient à l’union de la droite : ils ont été abandonnés, ostracisés, souvent ruinés et, comme par hasard, parfois aussi, objet de poursuites judiciaires.

    Cette diabolisation permanente a aussi fait peser une chape de plomb politiquement correcte sur le pays.

    Parler de l’immigration ou de l’islam autrement qu’en termes laudateurs, ou de l’insécurité, c’était bien sûr « faire le jeu » du Front national ou « lepéniser » son esprit ! Mais cette chape de plomba nui plus à la droite qu’à la gauche, pour la raison principale que le politiquement correct est fondamentalement la déclinaison des tabous de gauche. La diabolisation du débat sur les enjeux de société a donc eu pour effet de stériliser encore plus ce qui restait du discours de droite.

    Enfin cette diabolisation a ancré la droite de conviction dans l’espoir fou qu’elle pourrait gagner seule, interdisant en retour toute dynamique d’union : un espoir fou, car arithmétiquement impossible dans des conditions normales et par conséquent facteur de découragement et de discorde autour de la meilleure stratégie possible, en particulier pour sortir de la « diabolisation ».

    Malgré ses ultimes et pathétiques appels du pied entre les deux tours, Nicolas Sarkozy n’a pas su sortir du piège où Jacques Chirac avait fourvoyé la droite.

    La cinquième bêtise de la droite a consisté à se couper du peuple 

    Au début de la Ve République, la droite était majoritaire et populaire : c’est l’apport du gaullisme qui était bien à sa manière un « populisme » : un chef charismatique, une société politique implantée dans toutes les couches de la société et un appareil solide et structuré. Le fondateur de la Ve République voulait en outre sortir du « système des partis » et ancrer l’exécutif dans la souveraineté populaire directe : l’élection au suffrage universel direct du président de la République et la pratique référendaire devaient y pourvoir.

    La droite est au contraire devenue oligarchique à la fin du XXe siècle ! C'est-à-dire qu’elle perçoit le peuple français désormais comme un obstacle à ses projets et non plus comme un levier. En témoigne l’attitude de Nicolas Sarkozy faisant adopter par le parlement un traité européen que les Français avaient refusé par référendum !

    Dans l’esprit obtus des oligarques de droite, la souveraineté ne vient plus du peuple – en tout cas plus du peuple autochtone – mais d’ailleurs : du gouvernement des juges, des lobbies communautaires, des « autorités morales », du pouvoir médiatique, des marchés et de la « gouvernance » européenne et mondiale.

    La droite a malheureusement oublié la leçon du gaullisme : la souveraineté politique vient du peuple, pas des appareils ni des notables ni des « communautés ». Elle s’est mise à courtiser les minorités et non à écouter la majorité.

    Elle a donc raté son rendez-vous avec le peuple français à la fin du XXe siècle car, en se soumettant au politiquement correct, elle s’est interdit de répondre à ses attentes. Elle n’a profité qu’un temps de la désaffection vis-à-vis de la gauche et de la chute du communisme : elle a, au contraire, couru après la gauche tout en méprisant et ostracisant 20% du corps électoral. Elle a déçu ses électeurs naturels, elle a trompé leur confiance et elle n’a pas su répondre à l’angoisse montante des classes moyennes.

    Tant pis pour elle ! Vae victis, comme disaient nos ancêtres.

    Michel Geoffroy (Polémia, 6 mai 2012)

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  • Journal d'un mauvais Français...

    Les éditions du Rocher viennent de publier Journal d'un mauvais Français de Christian Millau, la suite de son talentueux Journal impoli (Rocher, 2011). Impertinence et liberté d'esprit au menu !...

     

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    "Les "mauvais Français" qui refusent de marcher au son du clairon du prêt-à-penser vont se régaler. Dans l'irrévérence, l'humour ou la colère, sur fond de campagne présidentielle, Christian Millau bouscule le présent et fait revivre son passé, riche de souvenirs inédits, comiques ou émouvants, littéraires, politiques ou journalistiques. En un bouquet étincelant se croisent des personnages aussi dissemblables que Nicolas Sarkozy et Louis-Ferdinand Céline, François Hollande et Antoine Blondin, DSK et Michel Déon, Marine Le Pen et Gaston Gallimard, Dodo la Saumure et la vicomtesse de Noailles. Après le succès de son Journal impoli, unanimement salué par la critique, le jeune hussard de quatre fois vingt ans est reparti au galop."

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