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communautarisme - Page 3

  • Quand le politiquement correct se radicalise au rythme où la société diversitaire se décompose...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Mathieu Bock-Côté au Figaro Vox et consacré à la montée en puissance d'un multiculturalisme autoritaire essayant de palier par la censure et la police de la pensée l'effondrement de la société diversitaire... Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016) ou Le nouveau régime (Boréal, 2017).

     

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    Bock-Côté : «Le politiquement correct se radicalise au rythme où la société diversitaire se décompose»

    FIGAROVOX.- Sur fond de moralisation de la question migratoire et de radicalisation féministe, les députés ont voté en commission le retrait du terme «race» de l'article 1er de la Constitution et y ont également introduit l'interdiction de «distinction de sexe». Que cela vous inspire-t-il?

    Mathieu BOCK-CÔTÉ.- Cela faisait un bon moment que la proposition d'un retrait du terme «race» de la Constitution traînait dans le paysage politique. On rappelle avec raison que François Hollande en avait fait la promesse lors de l'élection présidentielle de 2012. Le raisonnement est le suivant: si les races n'existent pas, comme on le dit aujourd'hui, pourquoi les mentionner? Ils y voient l'aboutissement constitutionnel d'un antiracisme authentique. Pourquoi pas?

    Mais il y a néanmoins un paradoxe étonnant sur lequel on doit se pencher: c'est au moment où on veut bannir le mot race que la question raciale resurgit au cœur de la vie politique, à travers l'action des groupuscules identitaires d'extrême-gauche, dont les Indigènes de la République sont emblématiques. La mouvance indigéniste entend achever la décolonisation en dénationalisant la France, ce qui implique à la fois sa soumission et sa conversion à un multiculturalisme qui veut non seulement réintroduire la race dans le débat public, mais qui veut en faire la catégorie fondatrice de la citoyenneté et de la représentation. Elle pousse à une racialisation des appartenances qui accule ensuite au séparatisme racial revendiqué, comme on le voit avec la multiplication des «rencontres non-mixtes pour personnes racisées» dans le milieu universitaire, pour emprunter les termes de la novlangue diversitaire. En fait, si on se penche un peu sur les textes de référence de cette mouvance, on constate qu'elle cultive un racisme antiblanc décomplexé. S'il y a une tentation raciste en France, elle vient de là. La mouvance indigéniste excite le repli communautariste et cherche à fissurer le noyau intime de la nation. Mais cela ne semble pas troubler exagérément les grands médias, qui accueillent les représentants de cette mouvance à la manière de grands démocrates. La haine raciale est officiellement proscrite, sauf lorsqu'elle vise ceux qu'on nous invite à appeler les «Blancs» parce qu'il s'agirait simplement d'une critique des «dominants» par les «racisés». La mauvaise conscience occidentale a de l'avenir.

    Qu'on me permette un mot sur cette sociologie racialiste qui s'impose de plus en plus dans l'université. Faut-il mettre le Français, l'Allemand, l'Écossais, l'Anglais, le Russe, le Letton, le Québécois et le Néerlandais dans la même catégorie parce qu'ils sont «Blancs»? Faut-il faire de même avec le Malien, l'Haïtien, le Kenyan et l'Afro-Américain parce qu'ils sont «Noirs»? Cette racialisation débile des appartenances est incroyablement régressive: elle pousse à l'abolition de l'histoire et de la culture pour naturaliser les groupes humains en grandes catégories zoologiques. Mais puisque cette proposition vient de la gauche, ou du moins, d'une certaine frange de la gauche radicale, on l'accueille favorablement, ou du moins, sans trop la condamner.

    Alors devant cela, je me demande quel est le sens de ce vote des députés, qui me semblent incroyablement détachés du réel politique, auquel ils devraient pourtant porter attention. Que pensent les députés qui se sont ralliés à cet amendement de cette effrayante racialisation des appartenances?

    Ce progressisme langagier peut-il vraiment réduire ou corriger les injustices et les inégalités?

    Allons-y d'une évidence: le langage évolue, et d'une époque à une autre, il y a une forme de tri naturel qui n'est rien d'autre qu'un mouvement de civilisation des mœurs. Dans notre monde, on ne dit plus nègre, on ne dit plus rital, on ne dit plus youpin, et globalement, c'est très bien. L'histoire de la politesse nous rappelle que ce qui peut se dire ou ne pas se dire d'une époque à l'autre varie et on peut se réjouir que certaines insultes hier prisées méritent aujourd'hui à ceux qui les emploient une très mauvaise réputation. Il arrive aussi que ce souci de «politesse» bascule dans l'euphémisation du réel, lorsque le sourd devient le malentendant ou l'aveugle, le non-voyant. On ne sait pas trop ce qu'on gagne à parler ainsi, sinon à déréaliser le langage et à l'enfermer dans un univers autoréférentiel.

    Mais ce n'est plus de cela dont il s'agit ici dans cette orwellisation du langage qui caractérise aujourd'hui la langue médiatique. Souvent, il s'agit de masquer le réel, tout simplement, comme c'est le cas avec la référence obsédante au vivre-ensemble, au moment même où la société se décompose et s'effiloche. Il peut aussi inverser le sens du réel. Il faudrait se souvenir de Jacqui Smith, l'ancienne ministre de l'intérieur britannique, qui en 2008, avait affirmé qu'il fallait parler non plus d'attentats islamistes, mais anti-islamiques, parce qu'ils seraient contraires à la vocation naturellement pacifique de l'islam. De la même manière, quand un homme comme Jacques Toubon joue avec les chiffres et les définitions pour laisser croire que l'immigration massive n'a pas eu lieu en France depuis 40 ans, comme on l'a vu récemment, il s'engage dans un travail de falsification de la réalité qui pousse le commun des mortels à croire que les autorités cherchent moins aujourd'hui à agir sur le réel qu'à le dissimuler. Cette idéologisation du langage devrait nous pousser à relire Milosz et Koestler, qui ont consacré des pages lumineuses à l'aveuglement idéologique.

    La guerre culturelle, qui s'est substituée à la lutte des classes, est d'abord une bataille pour déterminer la signification de notre univers symbolique et pour transformer les codes et repères qui constituent le monde commun. On veut déterminer les paramètres de la perception commune et décider quels phénomènes sociaux ou aura le droit de voir ou non. Comment se représente-t-on la société? Comment a-t-on le droit de la représenter? En fait, le politiquement correct est un dispositif inhibiteur installé au cœur de l'espace public qui a pour fonction de refouler dans ses marges ceux qui affichent leur dissidence avec l'orthodoxie diversitaire. Et le politiquement correct se radicalise au rythme où la société diversitaire se décompose, comme s'il fallait à tout prix empêcher qu'on en tienne compte. De ce point de vue, le multiculturalisme est un régime idéocratique et autoritaire.

    Je vous donne un exemple: on parle beaucoup, depuis quelques années, d'une «libération de la parole xénophobe» et il est bien vu de s'en inquiéter. Il y aurait même une montée de l'intolérance en Europe, et la démocratie serait mise en péril par la tentation du repli identitaire - on connaît ce lexique. Mais on peut voir les choses autrement: depuis une quarantaine d'années, on a assisté à la criminalisation progressive du sentiment national, au point où même la forme la plus bénigne de patriotisme a été assimilée à une inquiétante dérive nationaliste. À travers cela, c'est le besoin d'enracinement qu'on a moralement disqualifié. Il n'est plus légitime, pour un peuple, de vouloir assurer sa continuité historique ou de défendre ses frontières devant l'immigration massive sans qu'on présente de telles aspirations comme autant de symptômes de la progression de l'extrême-droite dans la vie publique.

    Alors s'agit-il vraiment d'une libération de la parole xénophobe, ou du simple éclatement d'une digue idéologique et médiatique qui censurait le sentiment national? S'agit-il d'un retour du racisme 70 ans après la deuxième guerre mondiale ou d'un refus enfin affirmé de xénophobiser tout ce qui relève de près ou de loin de la nation? À tout le moins, on comprend que toute bataille politique suppose une bataille pour définir la réalité, mais celle-ci n'est pas infiniment malléable et elle finit par regagner ses droits, que nous la regardions en face ou non.

    Plus anecdotique, Anne Hidalgo a décidé d'installer de manière permanente des passages piétons LGBT après qu'un passage piéton «arc-en-ciel» a été recouvert d'insultes homophobes. Dans le même temps, l'Assemblée nationale sera pour la première fois pavoisée aux couleurs LGBT. Cette politique en direction des minorités, sous prétexte de lutte contre les discriminations, ne trahit-elle pas finalement l'idéal égalitaire et anti-communautaire républicain?

    Je ne suis pas certain que cela soit si anecdotique. Ces insultes contre les homosexuels sont inadmissibles, évidemment, et il est bien qu'on le dise, qu'on le répète, même. Ils relèvent d'une bêtise crasse, abjecte et militante qui devrait avoir honte d'elle-même.

    Mais on voit ici comment le politiquement correct récupère ces insultes pour les instrumentaliser: on cherche ainsi à faire croire qu'elles seraient symptomatiques d'une renaissance du démon de l'homophobie qui hanterait la France. Il faudrait urgemment se mobiliser contre lui pour le chasser de la cité. Cela correspond à la sociologie diversitaire qui soutient que les sociétés occidentales se définiraient aujourd'hui essentiellement par une structure patriarcale, homophobe, raciste et sexiste qu'il faudrait faire tomber urgemment. Pouvons-nous raison garder? On constate ici que le système médiatique est prêt à récupérer n'importe quel événement pour maintenir en vie ce grand récit de l'hostilité occidentale à la différence.

    Et cela peut aller plus loin. Si la France suit la pente nord-américaine, c'est au nom de la lutte contre l'homophobie, et demain, contre la transphobie, qu'on voudra de nouveau la convertir à la théorie du genre ou qu'on militera pour la reconnaissance d'un troisième sexe normalisé dans les formulaires administratifs, et cela, pour en finir avec la représentation binaire de la différence sexuelle. Et comme on doit s'y attendre, à ce moment, ceux qui ne participeront pas aux applaudissements obligatoires seront rangés dans le camp des réactionnaires. Cela devrait nous amener à réfléchir à la «lutte contre les discriminations», à laquelle en appellent tous les politiques, sans prendre la peine de réfléchir au cadre théorique dans lequel elle s'inscrit et qui la justifie. La moindre différence est désormais pensée comme une discrimination illégitime à combattre.

    Autre chose. Il faudrait se questionner sur ce qui, dans le logiciel médiatique, permet de transformer un fait divers en fait politique. Ces insultes sont comprises comme un événement politique exigeant une réponse politique. Mais quelle est la matrice idéologique qui transforme les faits divers en faits politiques, et comment fonctionne-t-elle? Pourquoi, par exemple, le scandale de Telford est-il traité comme un fait divers n'ayant aucune signification particulière? Pourquoi avons-nous parlé avec tant de pudeur des agressions sexuelles à grande échelle de Cologne? Pourquoi la hausse de l'insécurité causée par l'immigration massive est-elle tue, ou même niée, au point même où ceux qui en font mention passent pour des agitateurs racistes et des prêcheurs de haine?

    En fait, tout ce qui remet en question la grandeur de la société diversitaire est abordé avec une gêne extrême: on craint que si l'information se rend au peuple, ce dernier n'en tire des conclusions indésirables. Alors on ira même jusqu'à criminaliser les porteurs de mauvaises nouvelles, comme on le voit avec les procès idéologiques à répétition, qu'ont subi bien des intellectuels et journalistes français ces dernières années.

    De manière plus large, est-on en train d'assister en France à un nouveau tournant politiquement correct? Régis Debray a-t-il raison de parler d'américanisation de l'Europe?

    Je ne suis pas particulièrement porté à l'anti-américanisme mais je constate qu'il est aujourd'hui nécessaire de critiquer une nouvelle forme d'impérialisme idéologique qui vient d'Amérique et qui pousse chaque nation à la déculturation. Ce n'est pas être anti-américain que de ne pas vouloir devenir américain et de ne pas vouloir plaquer sur la France des catégories historiques et sociologiques qui n'ont rien à voir avec elle. Pour parler du politiquement correct, on pourrait peut-être même parler, pour s'inscrire dans l'histoire culturelle américaine, d'une forme de puritanisme idéologique, qui consiste à vouloir purger une société de toutes ses aspérités culturelles et symboliques, pour les rendre conformes au dogme diversitaire. Il faut refouler les mauvais sentiments que nous inspire la postmodernité et envoyer sans cesse à ses contemporains des signes ostentatoires de vertu, pour emprunter la formule de Vincent Trémolet de Villers. On le fera en dénonçant rituellement, et sur une base quotidienne, s'il le faut, les phobies qui polluent notre monde, quitte à en inventer des nouvelles, comme la grossophobie! Ceux qui prendront la peine de s'intéresser à ce que devient aujourd'hui l'université américaine et aux types de controverses qui l'animent seront sincèrement horrifiés.

    Mais on peut aussi voir dans l'idéologie diversitaire qui a fait du politiquement correct son régime de censure médiatique une poursuite de la tentation totalitaire qui hante la modernité et qui se présente aujourd'hui sous un nouveau visage. De nouveau, on rêve à un monde réconcilié, réunifié et absolument transparent à lui-même. Un monde sans identités, mais aussi sans carnivores, sans fumeurs, sans buveurs, sans dragueurs, sans aventuriers et sans relations particulières, c'est-à-dire un monde sans amitié, absolument programmé, lisse, amidonné - un monde qui aurait fait mourir d'ennui un Joseph Kessel et qui donnerait des envies d'exil à un Sylvain Tesson. Nous recommençons à rêver de l'homme nouveau, mais il s'agit cette fois de l'homme sans préjugés, délivré de ses appartenances, de sa culture, de ses désirs et du vieux monde auquel il était encore lié. Le politiquement correct a pour vocation d'étouffer la part du vieux monde encore vivante en lui pour lui permettre d'enfin renaître après son passage dans la matrice diversitaire, purifié et prêt à embrasser une nouvelle figure de l'humanité, délivrée de cette préhistoire morbide qu'aura été l'histoire de l'Occident. Car pour que l'humanité nouvelle advienne, on doit d'abord en finir avec l'Occident en général et l'Europe en particulier. Si on ne comprend pas cela, on ne comprend fondamentalement rien au progressisme d'aujourd'hui.

    Ce politiquement correct a été embrassé depuis longtemps en Amérique du Nord. Quand est-il né exactement? Comment a-t-il imposé son hégémonie culturelle?

    En un mot, il naît sur les campus américains, à partir de la fin des années 1960, et se développe jusqu'aux années 1980, où il commence à s'institutionnaliser dans l'université, avant de devenir médiatiquement hégémonique avec les années 2000. C'est le fruit des Radical Sixties et d'un croisement bien particulier entre le néomarxisme et les formes les plus toxiques de la contre-culture. Très schématiquement, il repose sur une critique radicale de la civilisation occidentale, accusée d'avoir construit une figure aliénante de l'homme, qu'il faudrait déconstruire en s'appuyant sur les différentes minorités qui auraient subi son hégémonie. Il faut dès lors attaquer ou censurer ce qui était encore hier la norme majoritaire de nos civilisations, et valoriser ce qui était marginalisé ou laissé de côté. Sur le plan philosophique, le politiquement correct repose sur une inversion radicale du système normatif de notre civilisation, qui doit désormais neutraliser et déconstruire son noyau existentiel, pour se définir désormais à partir de ceux et celles qu'elle aurait historiquement exclu, qui sont désormais investis d'une charge rédemptrice quasi-religieuse.

    Concrètement, le politiquement correct repose aujourd'hui sur une culture de la surveillance généralisée: tout ce qui entre en contradiction avec l'orthodoxie diversitaire est dénoncé et monté en scandale par des groupuscules à la psychologie milicienne qui se comportent comme des professionnels de l'indignation - et il s'agit d'une profession rentable. Pas une semaine ne se passe sans qu'on ne dénonce telle ou telle rémanence du vieux monde et sans qu'on nous répète que nous avons encore beaucoup de chemin à faire pour accoucher de la société diversitaire idéale. Le politiquement correct carbure aux scandales, de temps en temps réels, la plupart du temps artificiel, qu'il sait mettre en scène pour garder la société vigilante contre l'éternel retour du monde d'hier, même sous la forme apparemment neutralisée de la nostalgie. Jamais il ne baisse la garde, jamais il ne veut la baisser. Souvent, il devient ridicule, comme on l'a vu avec la controverse de l'écriture inclusive, et alors, il feint de s'arrêter, mais c'est pour reprendre sa croisade dès que le cycle de l'actualité a repris son cours. De ce point de vue, toute critique du politiquement correct implique une critique du fonctionnement du système médiatique et une explicitation de ses biais inavoués.

    N'a-t-il pas été ébranlé par l'élection de Donald Trump? La gauche intellectuelle américaine a-t-elle entamé un début d'auto-critique sur ce sujet?

    Au contraire. La gauche intellectuelle américaine se radicalise. Elle ne doute plus d'elle-même. Devant Trump, qui incarne de manière caricaturale et convenons-en, souvent détestable tout ce qu'elle exècre, elle est ivre de vertu et fait valoir encore plus sa splendeur morale. Jamais elle n'a moins douté que maintenant. Avec un grand esprit de sérieux, elle se demande doctement si l'Amérique ne bascule pas vers le fascisme. On devrait être capable de critiquer la présidence souvent inquiétante de Trump sans verser dans une telle outrance - mais la gauche idéologique est-elle capable de s'imaginer un adversaire qui ne soit pas un ennemi du genre humain? Sa tentation, à laquelle toujours elle cède, c'est la croisade morale pour chasser de la cité ceux qui ne souscrivent pas à ses dogmes. Elle ne croit pas au pluralisme politique: elle distingue entre l'avant-garde, qu'il faut célébrer, et dans laquelle elle se reconnaît, et l'arrière-garde, assimilée au bois-mort de l'humanité, dont il ne faut pas s'encombrer et qui est de toute façon condamnée par le sens de l'histoire. Au fond d'elle-même, elle croit à la vertu politique de l'ostracisme. Ce qui la menace, toutefois, c'est qu'une part de plus en plus importante de la population se fiche désormais des campagnes de salissage médiatique. Plus encore: plus les médias désignent à la vindicte publique un homme ou une idée, plus cette frange de la population s'y identifie. La société se polarise comme jamais.

    Cette idéologie étrangère à la culture européenne, en particulier française, peut-elle s'imposer durablement sur le vieux continent? Ne risque-t-elle pas de nourrir, comme aux États-Unis, une réaction «populiste»?

    On sous-estime le poids de la révolte contre le politiquement correct dans ce qu'on appelle la poussée populiste contemporaine. Le commun des mortels s'exaspère avec raison contre le contrôle tatillon du langage, contre le culte immodéré des minorités quelles qu'elles soient, contre les délires idéologiques comme l'écriture inclusive, contre un certain féminisme radical qui n'en finit plus d'en appeler à la charge contre le patriarcat alors que nos sociétés n'ont jamais été aussi égalitaires, contre la mouvance trans et queer qui veut déconstruire les fondements même de la différence sexuelle, et ainsi de suite. Le commun des mortels sent qu'on veut transformer radicalement sa culture et naturellement, il se braque. Il y a des limites à faire semblant de rien devant un tel matraquage idéologique. Nos sociétés, avec raison, sont prêtes à s'ouvrir à une pluralité de modes de vie, c'est la grandeur des sociétés libérales, mais n'ont pas particulièrement envie d'être transformées en un grand camp de rééducation idéologique à ciel ouvert avec des sermonneurs sur toutes les tribunes qui les accusent d'être arriérées. Permettez-moi aussi une petite réflexion sur le «populisme». Le «populisme» est un gros mot, très rarement définit, dont on fait usage pour disqualifier moralement et politiquement ceux qui affichent leur dissidence avec l'orthodoxie diversitaire. On s'alarme de sa montée sans jamais nous dire exactement de quoi il s'agit. Et on peut croire que la dénonciation désormais rituelle du populisme dans les médias contribue à cette exaspération populaire, qui pousse aux révoltes électorales comme l'élection de Trump, le Brexit ou l'élection italienne.

    Alain Finkielkraut insiste sur la nécessité de refuser «le politiquement correct» sans pour autant verser dans «le politiquement abject». Dans un contexte de crise de l'Occident, cet équilibre va-t-il devenir de plus en plus précaire? Comment le préserver malgré tout?

    Je partage le même souci qu'Alain Finkielkraut. Le politiquement correct comme le politiquement abject sont les deux faces d'une même médaille et ils s'expriment souvent d'une manière absolument détestable sur les médias sociaux. Mais je vous avouerai mon pessimisme: je crois de moins en moins en l'avenir de la courtoisie démocratique, nécessaire à la conversation civique, même si je la crois absolument nécessaire. Pour que la politique soit civilisée, ou du moins, pour qu'on contienne sa charge polémique, elle doit s'inscrire dans un monde commun, qui transcende nos désaccords les plus profonds. Ce cadre, c'était la nation. Quand elle se décompose, c'est une psychologie de guerre civile qui remonte à la surface. Je ne suis pas certain que nous puissions contenir, du moins pour un temps, la radicalisation de la rhétorique politique. Sur internet, je l'ai dit, plusieurs se complaisent dans la fange. La vie publique devrait exiger une certaine décence. Elle suppose aussi une pluralité légitime de points de vue: aucun camp ne devrait réclamer pour lui le monopole du vrai, du bien et du juste.

    Mais je suis convaincu d'une chose: plus le discours dominant fonctionnera au déni de réel et plus il diabolisera ceux qui cherchent à en rappeler l'existence, plus il poussera à la révolte de grandes couches de la population et dégagera un boulevard pour des entrepreneurs politiques qui sauront canaliser cette exaspération. En fait, cette recomposition est déjà commencée. Reste à voir quel visage elle prendra.

    Mathieu Bock-Côté, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 29 juin 2018)

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  • Quand le féminisme américain donne le la...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 16 janvier 2018 et consacrée aux délires du féminisme communautariste d'origine américaine...

     

                                      

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  • Bruxelles, un chaudron multi-ethnique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain Destexhe, sénateur belge de centre-droit, cueilli sur Figaro Vox et consacré aux violences ethno-communautaires qui secouent désormais régulièrement la capitale belge...

     

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    Bruxelles, un chaudron multi-ethnique

    La publication par toute la presse belge ce jeudi 14 décembre, des portraits de neuf individus recherchés par la police pour leur participation aux émeutes du mois dernier à Bruxelles est une gifle aux journalistes des media traditionnels qui s'obstinent à refuser de voir le caractère ethnique des émeutes à répétition qui secouent la capitale de l'Europe.

    Neuf portraits, neuf jeunes, blacks ou de type méditerranéen comme disait encore il y a peu la police, tous d'origine extra européenne et assez peu représentatifs, statistiquement, d'une population d'origine européenne. Tous recherchés pour destruction de mobilier urbain, pillages de magasins et agressions contre des policiers. Des faits criminels d'un nouveau genre, apparus il y a quelques années, qui n'étaient pas concevables, jadis, dans la ville de Jacques Brel.

    Impossible cette fois de nier l'évidence de l'origine des auteurs: ce sont les photos communiquées par la police qui l'attestent. Unanime, la presse refuse pourtant de qualifier correctement les faits et leurs auteurs autrement que de «jeunes». Lorsque nos médias emploient ce terme, le commun des mortels comprend désormais et ajoute mentalement «d'origine étrangère». Des jeunes «Belges», sans doute puisqu'on a naturalisé à tour de bras, mais qui ne sont pas perçus par la population majoritaire comme faisant partie de la communauté nationale.

    Pourtant, il ne fallait pas faire un grand effort d'imagination pour voir que cette violence est d'origine communautaire ou ethnique. Ainsi le 20 octobre dernier, à la porte d'Anderlecht, ville du célèbre club de football, une centaine de migrants syriens et des jeunes (Belgo-marocains) s'affrontaient dans la rue pour le «contrôle de l'espace public du quartier», notamment la jouissance d'un parc public.

    Le 11 novembre, c'est à la suite du match Côte d'Ivoire-Maroc que le centre ville s'enflammait. L'incitateur de ces émeutes avait posté, la veille sur Facebook ce message: «On va tout cramé à Lemonnier Maroc city». Lemonnier, c'est le nom du boulevard en question mais l'expression «Maroc city» peut-elle signifier autre chose qu'une volonté de s'approprier, au moins pour un soir, ce territoire? Cela n'a pas empêché un député écologiste de déclarer le plus sérieusement du monde à la télévision qu'on ne connaissait pas l'origine des émeutiers!

    Quatre jours plus tard, sur la place de la Monnaie, un symbole de l'indépendance de la Belgique, de jeunes immigrés semaient à nouveau la panique et pillaient des commerces en plein centre-ville, à l'occasion de la venue de Vargasss92, un Youtubeur français prénommé Mansour («béni de Dieu pour être victorieux»). Le 10 décembre, c'est un jeune roumain de 29 ans qui est décédé au métro Bockstael à Laeken, après une bataille rangée entre bandes rivales dans les couloirs de la station. Plusieurs Roumains ont été arrêtés.

    Un peu plus tôt, le 28 novembre, c'est à la suite d'une manifestation contre l'esclavage, rassemblant surtout des Africains dans le haut de la ville, près du quartier de Matongé (du nom d'une commune de Kinshasa), que des «jeunes» s'en sont pris aux commerces et aux forces de police. Arrivé peu après sur les lieux, policiers et témoins me confirmèrent que les fauteurs de troubles - une centaine de personnes - étaient tous des jeunes noirs, mais peut être s'agissait-il d'un groupe de skinheads qui s'était déguisé en pères fouettards pour semer le doute, au moins dans l'esprit des journalistes.

    A propos de skinheads, je n'ai aucun souci à reconnaître qu'il s'agit d'un phénomène violent qui concerne presque exclusivement des individus «de race blanche» et je ne me sens nullement offensé, stigmatisé ou victime d'amalgames, pour reprendre les expressions médiatiquement consacrées, si on le décrit comme tel.

    Car ces nouveaux phénomènes d'émeutes, de cocktails Molotov lancés contre des commissariats, de policiers victimes d'embuscades, de pompiers empêchés d'intervenir, de contrôleurs de la société de transport public tabassés, de bandes urbaines, de zones de non droit,… sont tous et toujours reliés aux conséquences de la politique d'immigration incontrôlée que la population belge a subie depuis 30 ans, sans jamais avoir la possibilité d'en débattre. Décrire ces nouveaux types de délinquance sans les relier à l'immigration et à l'échec de l'intégration est en soi une désinformation.

    Le système médiatique n'autorise à nommer correctement les choses que lorsqu'il s'agit de le présenter sous l'angle de la victimisation. Ainsi, lors d'une émission de la RTBF (la chaîne publique) consacrée aux émeutes, seule l'invitée voilée d'origine immigrée, a été autorisée à parler de «la jeunesse issue de l'immigration marocaine, maghrébine, disons de confession musulmane» pour dénoncer son «abandon». Le même discours, s'il était tenu par un politique belgo-belge pour caractériser les délinquants aurait été qualifié de «grave dérapage».

    Puisqu'il s'agit de faits pourquoi ce refus de parler de «jeunes Maghrébins», de «jeunes noirs», de «jeunes Congolais», lorsque, régulièrement des opposants au régime du président Kabila créent des troubles à Bruxelles?

    Sans doute parce que l'intégration des communautés étrangères a totalement échoué, même si beaucoup d'individus l'ont réussie.

    Sans doute parce qu'il ne faut pas admettre que Bruxelles, est une poudrière incontrôlable, qui commence a ressembler à ce hell hole (trou d'enfer) décrit par Donald Trump, expression que, curieusement, la presse belge a traduite de manière créative par «trou à rats».

    Sans doute parce qu'il faut nier que Bruxelles est une juxtaposition de communautés qui vivent entre elles, sans rien partager, ne lisant plus les mêmes journaux, ne regardant plus les mêmes chaines de télévisions et ne célébrant plus les mêmes fêtes. Et qu'il faut masquer cette triste réalité à grand renfort de slogans comme le «vivre ensemble» ou de couteuses campagnes célébrant la «diversité» ;

    Sans doute parce qu'il ne faut pas nommer la grande responsable, l'immigration incontrôlée, tellement massive qu'elle empêche l'intégration, une immigration voulue par des dirigeants de presque tous les partis politiques pressés de vivre dans le paradis multiculturel et de jeter par dessus bord l'ancien monde de la «Belgique de papa».

    Sans doute parce qu'il faut minimiser l'exode des classes moyennes d'origine belge (mais aussi d'origine immigrée plus ancienne) qui cherchent par tous les moyens à fuir certains quartiers de la capitale et sont contraintes de s'exiler en Flandre ou en Wallonie.

    Sans doute parce que nul ne sait que faire face à la montée en puissance inquiétante de l'islam et de l'islamisme alors que le reste de la société belge est de plus en plus sécularisée.

    Sans doute aussi parce que Bruxelles est une ville en voie de paupérisation avec un revenu par habitant qui diminue où 90% des allocataires sociaux sont d'origine immigrée.

    Enfin et surtout parce qu'il faut masquer l'échec total de la gestion du Parti socialiste au pouvoir dans la région bruxelloise depuis… 28 ans sans interruption.

    Alain Destexhe (Figaro Vox, 20 décembre 2017)

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  • La fin du multiculturalisme à l'anglaise ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 6 juin 2017 et consacrée aux attentats de Manchester et de Londres, comme signe de l'échec du multiculturalisme à l'anglaise, mais surtout comme marque du choc des civilisations...

     

                                   

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  • «Front républicain»: l’imposture en marche !...

    Nous reproduisons ci-dessous ce point de vue d'Anne-Marie Le Pourhiet, cueilli sur Causeur et consacré à la véritable signification du choix entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron que vont devoir faire les Français pour le deuxième tour de l'élection présidentielle. Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’Université de Rennes I.

     

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    La présence, tout sauf anecdotique, de Jacques Attali parmi les invités d'Emmanuel Macron le dimanche 24 avril 2017, le soir du 1er tour de l'élection présidentielle, au restaurant La Rotonde...

     

    «Front républicain»: l’imposture en marche!

    De Macron ou Le Pen, l’antirépublicain n’est pas celui qu’on croit

    Jamais, de toute la Ve République, nous n’avons eu une candidature à l’élection présidentielle aussi parfaitement éloignée des valeurs républicaines que celle d’Emmanuel Macron.

    Sarko l’ambigu

    Nicolas Sarkozy a sans doute toujours cultivé une ambiguïté exaspérante sur la question du modèle républicain, girouettant en permanence au gré du vent et passant, parfois au sein d’un même discours, des belles envolées lamartiniennes d’Henri Guaino à la promotion des intérêts économiques mondialisés d’Alain Minc, en passant par quelques provocations clientélistes de nature à faire s’étrangler les républicains authentiques. Promotion de la discrimination « positive », de la laïcité « positive », éloge des curés réputés supérieurs aux instituteurs, envoi de Patrick Devedjian  et Roselyne Bachelot à l’inauguration du CRAN (Conseil représentatif des associations noires) pour y décréter l’avènement du droit à la différence et la fin du modèle républicain (et oui !), recherche active et nomination de  « préfets musulmans » et même d’un éphémère et controversé « commissaire à la diversité et à l’égalité des chances ». Nous avons eu le droit à tout et à son contraire, le summum de la versatilité ayant été atteint lorsque l’agité président demanda à une commission présidée par Simone Veil de réfléchir à l’inscription de la diversité, de la parité sexuelle, de la « dignité » (de qui ? de quoi ?) et de l’Europe (laquelle ?) dans le préambule de la Constitution. Ladite commission rendit heureusement et sagement un avis négatif sur ce calamiteux projet. Force est d’admettre cependant qu’en fin de mandat, et dans la perspective de la campagne de 2012, Nicolas Sarkozy sût de nouveau républicaniser son discours face à la gauche Terra Nova qui débarquait en grande parade multiculturelle, avec sa distribution bariolée de « droits » catégoriels « arc-en-ciel » sans limites ni frontières.

    En 2017, les primaires de la droite ont d’abord clairement opté, contre le multiculturel et très « accommodant » Juppé, pour le modèle républicain-conservateur de François Fillon s’appuyant solidement sur les deux « jambes » de l’identité française, incarnées par Bruno Retailleau et François Barouin, la rose et le réséda.

    Du bougisme de Macron

    À  gauche, les primaires ont contribué à clarifier les choses puisqu’Emmanuel Macron s’étant échappé dans un « ni-ni » obscur et Mélenchon s’étant envolé vers une synthèse boîteuse de Marx et Bourdieu, les militants socialistes ont clairement préféré un Hamon multiculturel à un Vals a priori plus républicain, du moins dans le discours.

    Mélenchon, Hamon et Fillon désormais éliminés, il reste donc un face à face Macron/Le Pen dans lequel l’on essaye encore de nous faire croire que la République serait du côté du premier alors que c’est exactement l’inverse.

    Repentance coloniale allant jusqu’à accuser la République de Jules Ferry de « crime contre l’humanité », généralisation des discriminations positives, déni stupéfiant et répété de la culture française, négation de toute continuité, culte de l’évanescence, de la mobilité, éloge du mondialisme et du sans-frontièrisme, saupoudrage de « droits » distribués à toutes les communautés, et même un programme pour l’enseignement supérieur résumé à la « généralisation d’Erasmus », c’est-à-dire du bougisme jeuniste et du tourisme estudiantin inconsistants. Tout n’est que désaffiliation républicaine et brouillage des repères dans la bulle macroniste.

    Au-delà du racolage clientéliste et communautaire distillé au hasard d’une communication désordonnée, c’est la candidature elle-même qui rompt totalement avec la tradition républicaine. La vacuité et la contradiction des propositions sont clairement assumées et revendiquées par un personnage hors-sol qui se dispense d’autant plus volontiers de programme qu’il ignore ce qui sortira des urnes aux législatives et s’en moque d’ailleurs. Sa profession de foi du premier tour est éclairante. On n’y trouve que du bavardage creux sur les deux premières pages et un catalogue désinvolte de commercial paresseux dans la dernière.

    L’on se souvient qu’il y a quelques années, un fêtard parisien avait parié chez Castel, avec sa bande de noctambules, qu’il réussirait à épouser la célèbre et jolie héritière d’une principauté rocailleuse. Le séducteur parvînt à ses fins, condamnant plus tard la princesse humiliée à plaider à Rome le vice du consentement issu de ce jeu de mauvais garçon. Emmanuel Macron lui ressemble. Il a sans doute parié avec lui-même qu’un Bel Ami pourrait devenir chef de l’État en se payant les électeurs et en se moquant de la République.

    Marine Le Pen, une républicaine

    On peut assurément discuter de la personnalité de Marine Le Pen et de la qualité de son entourage, ainsi que du bien-fondé et de la faisabilité politique et juridique de plusieurs éléments de son programme. L’on peut même constater qu’elle se propose d’ajouter dans nos lois républicaines des règles qui s’y trouvent déjà et que son idée de garantir les crèches de Noël dans la Constitution est aussi ridicule que le service national obligatoire d’un mois proposé par son rival ! Mais ni l’organisation d’un référendum européen, ni la limitation importante de l’immigration, ni les  mesures accordant une priorité d’embauche aux nationaux (appliquées en Grande-Bretagne bien avant le Brexit) ne sont contraires aux valeurs républicaines. Il n’existe rien, dans la tradition et les principes républicains, qui impose le droit du sol, oblige à ouvrir les frontières sans limites, interdise les quotas d’immigration ou  impose l’égalité entre nationaux et étrangers. Le Conseil constitutionnel le rappelle : « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ».  Le droit d’asile est strictement réservé par la République à « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté » et l’article 5 de la Constitution affirme solennellement que le Président de la République est le « garant de l’indépendance nationale ». Le Conseil constitutionnel en a déduit en 1986 que les privatisations d’entreprise nationalisées devaient se faire dans le respect de ce principe.

    Que l’on discute donc, honnêtement et point par point, de la qualité, de l’opportunité, de la faisabilité et de l’efficacité respectives des propositions des deux protagonistes du deuxième tour, c’est un exigence démocratique. Mais que l’on arrête cette imposture consistant à prétendre opposer un prétendu front républicain à une candidate dont les préoccupations sont sûrement moins éloignées de la tradition républicaine que la personnalité et le  catalogue de son rival. Michel Onfray a eu bien raison d’observer, dans Le Figaro du 24 avril, la malhonnêteté intellectuelle et l’hypocrisie phénoménale de tous ceux qui crient à un loup qu’ils ont minutieusement fabriqué pour faire triompher au final l’ectoplasme postmoderne si peu républicain qu’ils appellent de leurs vœux.

    Anne-Marie Le Pourhiet (Causeur, 26 avril 2017)

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  • Quand Emmanuel Macron promet l'instauration de la discrimination positive...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Anne-Marie Le Pourhiet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la politique de discrimination positive préconisée par Emmanuel Macron. Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit constitutionnel et de droit public à l’Université de Rennes I.

     

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    Anne-Marie Le Pourhiet: «La discrimination positive est un danger pour la paix civile en France»

    « La vraie rupture, ce que je propose pour les quartiers, c’est une vraie politique assumée de discrimination positive et de mobilité », a déclaré Emmanuel Macron le 8 mars dans un entretien à l’AFP. Il s’agit là d’une annonce de grande portée de la part du candidat à l’Élysée.

    La discrimination positive, que les Anglo-Saxons appellent affirmative action (« action positive »), consiste à adopter des mesures de faveur (priorités à l’embauche, promotions préférentielles, dispenses de concours, épreuves spéciales dérogatoires, points supplémentaires, emplois, contrats ou marchés réservés, quotas, parité, etc.) pour des catégories de personnes désignées par un critère non social (race, ethnie, religion, langue, sexe, orientation sexuelle, handicap, etc.) et dont on affirme qu’elles ont subi des discriminations passées ou présentes ou qu’elles sont « défavorisées ».

    Il s’agit donc de passe-droits accordés aux membres de certaines catégories pour leur permettre d’échapper aux critères du droit commun. L’adjectif « positif » est destiné à gommer le caractère négatif de la différenciation puisque toute discrimination est en l’espèce évidemment positive pour son bénéficiaire mais négative pour celui qu’elle exclut. Une discrimination « en faveur » des femmes ou des Noirs se fait évidemment « au détriment » des hommes ou des Blancs. Et dès lors que l’on prétend ériger la « lutte contre les discriminations » en politique publique, il est incohérent de prétendre parallèlement les encourager « en faveur » de certaines catégories et donc au préjudice des autres. Il s’agit d’une application bien connue de la théorie multiculturaliste consistant à repérer dans la société des catégories de « dominés » qui auraient le droit de bénéficier de traitements de faveur en compensation des oppressions subies. On y retrouve aussi la rhétorique marxiste selon laquelle il conviendrait d’écarter l’égalité de « droits formels » pour parvenir au forceps à une égalité de fait, dite « égalité réelle », à cette différence près que le socialisme s’intéressait aux classes alors que le culturalisme se préoccupe des races, des religions et des sexes.

    Ces mesures discriminatoires qui évacuent le critère méritocratique sont évidemment contraires aux valeurs et principes républicains inscrits dans notre Constitution, mais elles sont aussi inefficaces et engendrent de graves effets pervers. Notre Constitution, dans la plus pure tradition républicaine issue de la Révolution française, consacre une stricte égalité de droits entre les citoyens : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits (…). La loi (…) doit être la même pour tous (…). Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents (…) ». « La loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l’homme (…). La France (…) assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion. » C’est sur le fondement de ces principes que le Conseil constitutionnel a jugé que la Constitution « s’oppose à toute division par catégories des électeurs et des éligibles (…) et à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». Il a ainsi censuré la notion de « peuple corse », les quotas ou la parité sexuels, la charte européenne des langues régionales ou les statistiques ethno-raciales. Il a donc fallu réviser la Constitution pour permettre au législateur d’imposer la parité ou la priorité autochtone dans l’accès aux emplois et professions de certaines collectivités d’outre-mer.

    Beaucoup de discriminations positives ethno-raciales échappent cependant au contrôle du juge constitutionnel parce qu’elles n’empruntent pas la voie législative ou réglementaire ou que les autorités compétentes camouflent les critères interdits en utilisant des euphémismes sociologiques ou géographiques. Par exemple : « modalités particulières d’admission destinées à assurer un recrutement diversifié des étudiants ». Ou encore :« à aptitude égale la commission de sélection donne la priorité aux candidats qui résident dans un quartier prioritaire de la politique de la ville ». Ou bien encore : « favoriser l’émergence d’une fonction publique plus représentative du bassin de vie qu’elle administre ».

    De surcroît, cette politique de discrimination positive se révèle également inefficace et engendre des effets pervers que les États-Unis ont éprouvés. Au lieu de créer les conditions permettant à tous de concourir à égalité, elle consiste à dispenser de concours ceux que l’on juge incapables de passer les épreuves communes. Il s’agit donc d’un système de « triche » exactement comme le dopage dans les épreuves sportives. Mais celui qui n’avait pas les compétences requises pour entrer dans l’école ou la fonction ne les aura pas par miracle au lendemain de son admission préférentielle et va donc traîner ses insuffisances par la suite, ce qui ne fait qu’accroître le ressentiment. De tels procédés, d’ailleurs, ne sont pas admis dans le domaine des sciences dures (mathématiques, physique). Et ils sont strictement déconseillés lorsqu’il s’agit de former et de recruter, notamment, des chirurgiens ou des pilotes de ligne. Ça serait trop dangereux. Écartant la méritocratie, ces passe-droits ne peuvent, en tout état de cause, concerner qu’une faible minorité d’individus, car leur généralisation conduirait à baisser gravement le niveau de performance d’une école, d’une entreprise, d’une administration (ou d’un festival de cinéma) et à couler sa réputation.

    Enfin et surtout, ce type de mesures préférentielles a un coût social, moral et politique très lourd. Il renforce d’abord le communautarisme dont il est issu en incitant les individus à s’inscrire dans un groupe pour pouvoir bénéficier des avantages accordés et en perpétuant ainsi les assignations à identité. Une société qui remplace la méritocratie républicaine par la médiocratie sociétale et instaure un système où les catégories ethno-raciales et sexuelles se « partagent le gâteau » se met en péril et menace gravement la paix civile.

    Qu’est-ce qui arrive fatalement lorsque, à un concours de recrutement de pompiers de Los Angeles, un Noir est reçu avec 9/20 et un Blanc collé avec 15/20 ? Que ressent le citoyen qui lit dans un quotidien ces propos du président d’un grand groupe français : « Lorsque nous rencontrons un candidat qui a un prénom d’origine étrangère, il a plus de chances d’être recruté que celui qui porte un prénom français de souche » ? Inutile de jouer les tartuffes devant la « montée des extrêmes » lorsque à longueur d’actes et de discours démagogiques et clientélistes certaines élites dirigeantes ne font que semer les ferments de l’amertume sociale.

    Anne-Marie Le Pourhiet (Figaro Vox, 15 mars 2017)

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