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  • Russie, une alliance vitale !...

    Les dynamiques éditions Choiseul viennent de publier un essai géopolitique de Jean-Bernard Pinatel intitulé Russie, alliance vitale. Pour l'auteur, officier général en retraite, dirigeant d'entreprise et docteur en sciences politiques, le retour de l'Europe sur le devant de la scène internationale passe par une étroite alliance avec la Russie. A lire !

     

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    Les grandes inflexions dans le système international peuvent être perçues, bien avant qu'elles ne se produisent, par les observateurs qui disposent d'une grille de lecture et qui fondent leurs réflexions sur les faits en se débarrassant de tout a priori idéologique ou sentiment partisan. Ainsi cet essai soutient des thèses et fournit une analyse des événements internationaux qui sont éloignés de la pensée dominante actuelle d'inspiration essentiellement américaine.

    Cette vision a été élaborée en utilisant une méthodologie fondée sur de nombreux emprunts aux enseignements de Marcel Merle (1), à la méthode prospective d'Hugues de Jouvenel et à l'œuvre d'Edgar Morin avec lesquels j'ai eu la chance de partager des réflexions dans le cadre de Futuribles et de la Fondation pour les études de défense à l'époque où elle était présidée par le général Buis.

    Ce n'est pas la première fois que je propose une vision prospective différente de celle communément admise. Dès les années 1970 déjà, j'avais pressenti que le temps de l'affrontement Ouest-Est fondé sur l'équilibre des forces nucléaires et classiques était révolu et qu'il serait remplacé par une forme nouvelle d'affrontement entre le Nord et le Sud. Je caractérisais ma vision de la nature différente de la « guerre » que nous connaîtrions dans le futur par le concept de « guerre civile mondiale ». Pour ce faire je reçus l'aide précieuse et critique de mon amie Jacqueline Grapin qui était, à l'époque, journaliste au Monde et proche collaboratrice de Paul Fabra.

    La publication par Calman-Levy en 1976 de notre livre (2) fit l'effet d'une bombe dans les milieux politico-militaires puisqu'il soutenait que les guerres futures prendraient plus la forme d'une « guerre civile » Nord-Sud que celles d'un affrontement entre deux puissantes armées conventionnelles sous menace nucléaire auquel on se préparait. Nous écrivions : « A y regarder d'un peu près, le concept d'une guerre civile mondiale cerne assez étroitement la réalité. Il transpose, à l'échelle de la planète désormais ressentie comme un monde fini, l'idée du combat fratricide que se livrent les citoyens d'un même État. Et il est bien exact que le système international actuel est le premier à avoir une vocation mondiale, sans échappatoires possibles à ses blocages et à ses conflits. Il implique une guerre sans fronts, qui déborde les frontières et dépasse les militaires, pour défendre des enjeux vitaux dans un processus qui peut aller jusqu'à la mort... À force de détournements d'avions et d'actes terroristes, les Palestiniens ont essayé d'impliquer le monde entier dans leur cause, et le monde dans leur ensemble est devenu leur champ de tir ».

    Le système international, qui évolue rapidement sous nos yeux, sera dominé dans les prochaines années par deux grands acteurs, les États- Unis et la Chine, qui interagissent dans une relation d’« adversaire-partenaire » : adversaires quand il s'agit d'enjeux ou d'intérêts vitaux à protéger, partenaires pour conquérir de nouveaux espaces et marchés et, surtout, pour empêcher de nouveaux acteurs d'acquérir une autonomie qui pourrait remettre en cause leur sphère d'influence et le partage du monde qu'ils préconisent implicitement ou explicitement. Un exemple récent en est l'accueil condescendant qui a été réservé par les grandes puissances à l'initiative de la Turquie et du Brésil pour apporter une solution à la crise iranienne.

    L'élaboration de cette vision s'appuie sur l'analyse et la hiérarchisation des intérêts permanents, vitaux ou majeurs, de ces grands acteurs, et sur l'évaluation de la marge de manœuvre, souvent limitée, que peuvent acquérir par leur charisme les dirigeants de ces pays. C'est ce qui explique les difficultés rencontrées par Barack Obama pour mettre en œuvre sa vision généreuse des rapports internationaux. Elle heurte de plein fouet les intérêts du complexe militaro-industriel américain qui s'est arrogé depuis longtemps le monopole de la désignation des menaces et de la défense des « intérêts permanents » des États-Unis et du « monde libre ».

    C'est au Premier ministre de la reine Victoria, Benjamin Disraeli (1804-1881), qu'il est généralement convenu d'accorder la paternité de ce concept. En considérant que les États n'ont ni amis ni ennemis mais des « intérêts permanents », il introduisait pour la première fois les enjeux économiques dans la compréhension des relations internationales. Ce concept s'est étendu progressivement à d'autres dimensions comme la dimension culturelle. Ainsi le maintien de liens étroits entre les États francophones fait partie des intérêts permanents de la France car cela lui permet de peser plus que de par son poids dans les instances internationales (3).

    Dans les pays démocratiques c'est la perception de ces « intérêts permanents » par les citoyens qui est essentielle. Car il n'est de légitimité que reconnue par l'opinion publique. Ainsi la construction d'une Europe politique disposant de pouvoirs fédéraux ne deviendra un « intérêt permanent » pour les Européens que lorsque la grande majorité de la population des nations qui la composent en auront compris l'importance. Cette construction fait déjà partie des intérêts permanents de la France puisque la majorité des forces politiques y est favorable. La crise financière récente que nous avons traversée a montré la faiblesse d'une Europe fondée sur le plus petit commun dénominateur. De même, la présence des forces armées allemandes en Afghanistan est très critiquée par une majorité des forces politiques et de la population qui n'en comprennent pas les enjeux (4). Ces « intérêts permanents » sont rarement explicités par les dirigeants en dehors de cénacles restreints. Le maintien d'une incertitude sur leur définition précise constitue un atout dont les États auraient tort de se priver dans la compétition mondiale.

    Avec l'apparition de l'arme nucléaire, est apparue la notion d'« intérêts vitaux », au nom desquels un État se réserve le droit d'utiliser en premier l'arme nucléaire (5). Là encore, l'ambiguïté et l'imprécision font partie de la logique dissuasive, aucune puissance nucléaire ne déclarant ce qu'elle considère comme ses intérêts vitaux.

    Il est cependant possible d'évaluer les « intérêts permanents » des États en analysant les facteurs déterminants de leurs forces et de leurs vulnérabilités. Ainsi dans la Guerre civile mondiale (6) publiée en 1976, en pleine Guerre froide, nous nous interrogions sur la réalité de la menace militaire soviétique comme vecteur de la propagation du communisme, qui a été un des facteurs déterminants du système international entre 1945 et 1989.

    A l'époque, analystes et leaders d'opinion s'alarmaient à longueur de pages sur la menace que représentaient les 167 divisions militaires russes, sans jamais analyser les vulnérabilités de l'URSS qui pouvaient légitimer cet effort militaire. Prenant à contre-pied ces analyses, nous mîmes en relief plusieurs facteurs qui offraient un autre éclairage sur la menace soviétique :

    • une relative faiblesse en nombre : rapportée à la superficie de l'URSS et, d'un point de vue défensif, cette force militaire « ne représentait plus que 12 militaires de l'armée de terre au km2 contre 60 en France » ;
    • une immensité de frontières à défendre : « L'URSS est le plus proche voisin de toutes les puissances actuelles et potentielles. À l'Est, l'URSS n'est séparée de l'Alaska américain que par les 30 km du détroit de La Pérouse, au Sud, elle a 7.000 km de frontières avec la Chine, 2.000 km avec l'Afghanistan, 2.500 avec l'Iran, 500 avec la Turquie... » ;
    • un manque de cohésion intérieure : « Mosaïque de 95 nationalités, d'ores et déjà l'URSS connaît un problème musulman avec la hausse de la natalité des populations islamisées qui représenteraient en 1980 72% de la population contre 52% en 1970 dans les cinq républiques d'Asie centrale » ;
    • et une « faiblesse de peuplement à l'Est de l'Oural ».
    • Nous concluions : « L'URSS a de nombreuses vulnérabilités qui peuvent la pousser à s'armer au moins autant que les objectifs offensifs avancés par tous les observateurs ».

    Cet essai vise ainsi à éclairer d'un jour nouveau les intérêts permanents de l'Europe et de la Russie dans la gestion des menaces et des crises qui se développent à leurs frontières. Il soutient que l'insécurité qui règne à nos frontières sert directement les intérêts du complexe militaro-industriel américain au point de faire penser que les crises qui s'y enracinent ne sont pas le résultat d'erreurs stratégiques des dirigeants américains, mais proviennent d'options mûrement pesées par des conseillers qui en sont issus. Tout se passe en effet comme si la politique américaine visait à maintenir une insécurité permanente dans la région du Moyen-Orient et de la Caspienne. Elle viserait ainsi à freiner le développement économique de nos proches voisins tout en s'appropriant leurs ressources et, par contrecoup, à pénaliser la croissance de l'Europe et de la Russie en les privant de débouchés pour leurs produits et, enfin, à empêcher par tous les moyens la création d'une alliance stratégique de Dunkerque à l'Oural, qui constituerait un troisième acteur du système international capable de s'opposer à leurs ambitions.

    Jean-Bernard Pinatel

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  • Le scandale des délocalisations...

    Eric Laurent, journaliste sur France Culture, spécialiste des relations internationales, vient de publier chez Plon Le scandale des délocalisations. Une enquête qui démontre, s'il en était besoin, le caractère néfaste de la politique de recherche du profit à court terme menée pour le seul intérêt des actionnaires...

     

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    "Cette enquête plonge au coeur du phénomène qui angoisse le plus les français : la perte de leur emploi lié à des délocalisations. L'ouvrage montre que bien souvent le choix de délocaliser n'est économiquement pas fondé et crée plus d'effets négatifs que d'avantages pour l'entreprise. L'enquête révèle également comment des politiques, impuissants et dépourvus de courage, s'efforcent de cacher à l'opinion la gravité du phénomène. Elle décrit aussi la stratégie d'un grand nombre de sociétés, y compris dans les secteurs de pointe, qui financent leur délocalisation en se faisant octroyer des aides massives des régions ou de l'Etat puis ferment ensuite leurs usines sur le territoire français dès qu'elles ont empoché l'argent. Elle révèle enfin les mécanismes pervers de l'Union Européenne qui encourage le transfert d'emplois et d'usines vers les pays à bas coût. Un livre où le lecteur découvrira que par une choquante inversion ce sont les salariés qui sont menacés et au contraire les actionnaires qui sont protégés."

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  • Pourquoi la crise continue ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article, cueilli sur Flashblog, de Pierre Le Vigan, consacré à la crise et à la guerre des monnaies qui va l'amplifier...

     

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    Pourquoi la crise continue... et pourquoi menace une guerre des monnaies

    Fin janvier, au forum de Davos en Suisse il a été question une nouvelle fois de réguler l’économie mondiale. Président temporaire du G20 et du G8, Nicolas Sarkozy n’est jamais le dernier à afficher de grandes ambitions dans ce domaine. Preuve que la régulation automatique du marché ne satisfait personne. A vrai dire, les théories de l’économie de marché ont souvent fait sourire. Elles supposent des agents rationnels, et ils ne le sont pas toujours. Elles consacrent peu de place à l’Etat, or il est omniprésent dans l’économie depuis la guerre de 1914 voire avant. Bref, ces théories paraissaient irréalistes.

    Une économie de casino ?
    Pourtant elles le sont de moins en moins. Pourquoi ? Parce que le monde réel ressemble de plus en plus à une économie de marché. Parce que l’économie de casino devient le fond réel de l’économie de marché « pure et parfaite ». Les Etats pèsent désormais moins, beaucoup moins, que les multinationales et que la finance. L’industrie n’est plus nationale. Et elle est à la remorque de la finance. Les investissements industriels, par définition à moyen et long terme, sont moins rentables que les spéculations financières, par définition à court terme. Les peuples et leurs représentants ne pèsent désormais plus grand-chose. On a pu dire des réunions du G20 que c’était un groupe d’anciens alcooliques qui se réunissaient pour décider de ne plus boire et qui se séparaient sans rien avoir décidé mais… en ayant pris un dernier verre. Ce dernier verre, c’est la dette mais plus encore la cause de la dette : la finance prédatrice, l’hyperclasse exigeant son taux de rentabilité.

    Jacques Attali remarque justement : « une économie de marché sans Etat, surtout si l’information est imparfaite, ne trouve son équilibre qu’à un niveau de sous-emploi des facteurs. » (Slate.fr, 12 novembre 2010). Autrement dit, l’ajustement se fait sur la base d’une compression de la demande. Nous en sommes là. Avec en prime la guerre des monnaies.

    La Chine ne veut pas réévaluer son yuan (ou renminbi selon son nom officiel). La monnaie chinoise n’est pas convertible donc pas soumise à des tensions ce qui accessoirement empêche toute démocratisation au sens occidental quand bien même le gouvernement chinois en aurait le goût. Plus de la moitié du PIB chinois est exporté : c’est dire l’enjeu. Puisque les Américains veulent maintenir leur dollar bas, les Chinois doivent maintenir bas le taux de change de leur yuan.

     

    La Chine avec un yuan faible, et une main d’œuvre de plus en plus qualifiée reste donc hyper-compétitive. Elle exporte de plus en plus, accroit son excédent donc son déséquilibre commercial avec l’Amérique, et investit cet excédent en bons du Trésor américain et fonds de pension. La Chine est donc le premier créancier des USA qui eux mêmes ont tout intérêt à un dollar sous-évalué. Pour deux raisons : rester un tant soit peu compétitif, et diminuer la valeur de leur dette.

    Chine et EUA : les deux ont intérêt à un euro surévalué. Les deux craignent que le premier marché mondial, la zone euro, devienne la première force mondiale. Mais qui mène le bal ? Philippe Dessertine note : « Le coupable premier, actuellement, ce sont les Etats-Unis, comme ils sont d’ailleurs généralement à l’origine de la dette folle ayant créé la crise de 2007-2008 et se prolongeant dans la crise économique et dans la crise de la dette souveraine actuelle. La Chine a d’abord financé la dette américaine, acceptant de devenir le premier détenteur de dette publique américaine (en dollars), avec comme contrepartie la possibilité d’asseoir sa croissance sur des exportations massives. » (« si la guerre des monnaies se poursuit… », Le Monde, 12 novembre 2010).

    La finance de plus en plus loin de l’économie réelle
    Or depuis la crise de 2008 l’économie réelle, l’économie de production ne s’est pas rapprochée de l’économie financière. Au contraire. Début 2007, la Banque centrale européenne détenait 900 milliards d’euros, elle en détient prés de 2000 fin 2010. La FED soit la banque centrale américaine est passée dans le même temps de 1200 à 2300 milliards de dollars. Un doublement en trois ans ce n’est pas la croissance de l’économie réelle c’est l’emballement de la financiarisation. Et l’un des indices de cela, c’est que les banques centrales ont du garder les actifs dépréciés qu’elles ont acquis. Sauvant ainsi le système bancaire privé avec l’argent public.

    La crise continue pour plusieurs raisons. Dans l’économie réelle les délocalisations se poursuivent. Depuis 2002 la hausse du prix des matières premières a été considérable. Pétrole et métaux sont de plus en plus couteux à extraire : cette hausse est donc structurelle. Cette hausse des matières première a accru les réserves de changes des pays producteurs. Elles ont été multipliées par 5 de 2002 à 2007. Total mondial des réserves de change : dans les 9000 milliards de dollars, soit 14 % du PIB mondial. Des réserves de change en dollar, et en bonne part détenues par la Chine, à hauteur de 2500 milliards de dollars : près du tiers des réserves mondiales. De cet excédent de liquidités se sont ensuivis des produits financiers parasites créant des bulles spéculatives qui ont fini par éclater avec la crise des ‘’subprimes’’ c’est-à-dire des prêts à hauts risques. Exemple de ces produits financiers : la titrisation soit le refinancement de dettes à long terme.

    « C’est là où se situe la principale dérive du système : rajouter un endettement qui a pour seul objectif d’améliorer le rendement. »  écrit Jean-Hervé Lorenzi (slate.fr, 27 octobre 2010). La crise de confiance dans le système bancaire depuis 2007 amène une baisse des crédits accordés, et la récession qui va avec. Le noeud de la crise est un excès d’épargne, un excès d’exigence de rentabilité des investisseurs, et une insuffisance de la demande. La crainte de la faillite d’un Etat surendetté (Grèce ou Irlande) amène à des hauts niveaux de primes de risque. Elle amène aussi à une guerre des monnaies. Une guerre dans laquelle l’Europe est désarmée. Car l’écart se creuse entre les BRIC, qui vont vers une croissance de 6 à 10 %, et les EUA et l’Europe, qui stagnent. Aux EUA l’immobilier ne repart pas, le crédit est rare, le chômage reste considérable (9%). Les fonds de pension US qui doivent financer la retraite des Américains manquent de 6600 milliards de dollar soit 45 % du PIB américain. Mais les plans de relance gouvernementaux vont limiter les dégâts et la monnaie américaine reste la principale monnaie de réserve mondiale. Les Américains produisent autant de dollar que nécessaire pour eux : un privilège qu’ils sont seuls à détenir. Il en est tout autrement pour l’Europe. Tout son flanc sud (Grèce, Espagne, Portugal…) est menacé par la montée des dettes souveraines.

    Dans ce contexte, la Chine joue le rachat des dettes. C’est le moyen pour elle de soutenir la monnaie des autres pays à un niveau au dessus de la sienne. Une façon là encore de sous évaluer son yuan. Le yuan faible est en effet « la garantie de la puissance chinoise » (Moises Naim) : il permet les exportations chinoises, et en rendant très chers les produits importés, il protège leur marché intérieur de la concurrence étrangère. Et c’est pourquoi la Chine peut avoir des réserves de change de la Chine égales à prés de la moitié de son PIB (40 %), le 2eme du monde avec 5500 milliards de dollars.

    Que faire ? C’est la question qui se pose aux Américains mais aussi à l’Europe. Rétorsion ? Taxation des exportations chinoises ? Les Américains le peuvent, mais la Chine ne manque pas de rappeler que ceux qui s’y risqueraient porteraient la responsabilité d’une crise sociale majeure dans un pays d’1,3 milliards d’habitants. Qui veut jouer avec cela ? Si les grands pays industriels ne veulent pas se lancer dans le protectionnisme, trop inquiets d’une contraction brusquée des échanges, l’arme monétaire reste une tentation. A défaut d’obtenir une substantielle réévaluation du yuan les Américains peuvent toujours maintenir le dollar le plus bas possible, ce qui limite l’invasion de leur marché par les produits chinois.

    Reste que tant que la Chine achète les dettes des occidentaux, le monde, et d’abord les USA, connait un trop plein de liquidités d’où des taux d’intérêt très bas, et donc une incitation au surendettement des ménages. Or, plus chacun s’endette, plus il y a de dettes à racheter. Solution : que chaque pays reconquiert son marché intérieur et que la production chinoise s’oriente vers… le marché chinois.

    Bref il faut plus d’économie autocentrée et moins de mondialisation pour limiter les risques de conflagration et de répercussions en chaine des crises des uns et des autres. Il faut certainement aussi une Europe plus autocentrée au niveau financier, d’où l’idée qui chemine d’un Trésor européen. Anton Brender, chef économiste de la banque Dexia note : « Il faut quelqu’un qui achète les dettes ; or, même à l’échelle de la zone euro, il n’existe pas de Trésor commun. Voilà toute l’ambiguïté de l’Union monétaire européenne. Elle est dotée d’une même monnaie, mais la Banque centrale européenne ne dispose d’aucune autorité en matière prudentielle vis-à-vis des banques ». (Le Figaro, 24.09.08). En d’autres termes : intervenir, prévenir la spéculation et mutualiser les risques. C’est déjà ce qu’affirmait Pierre Hillard dans La marche irrésistible du nouvel ordre mondial, F-X de Guibert, 2007).

    Indépendance européenne ou nouvel ordre mondial ?
    L’ennui, c’est que beaucoup voient toute action européenne comme une simple étape vers une gouvernance mondiale, et que celle-ci dans l’état actuel des choses ne peut être autre chose que la pérennisation de la domination de l’hyper-classe. Alors, comment fait-on ? Et si on revenait aux idées simples ? L’Europe souveraine, l’Europe protectrice de ses nations plutôt que l’Europe tremplin vers le grand marché mondial. Jean-François Jamet suggère de son coté que l’intérêt des pays émergents (surtout les BRIC – Brésil, Russie, Inde, Chine -, et la Turquie) serait d’évaluer leur monnaie non par rapport au seul dollar mais par rapport à un panier de monnaies. « Ce panier pourrait par exemple inclure le dollar, l’euro, le yen – éventuellement la livre britannique et le franc suisse – à proportion du poids de chacune des zones monétaires correspondantes dans les échanges de ces pays. » (Les Echos, 17 décembre 2010). Un usage multipolaire de la monnaie. Ce qui ouvrirait la voie vers un autre ordre mondial. Mais ce n’est pas seulement d’un rééquilibrage dont le monde a besoin. C’est d’une autre conception de la place de l’économie. Le président du forum économique de Davos, Klaus Schwab, constate : « Cette année, l’économie mondiale va croître de 5%. Si ce rythme se maintient, elle doublera de taille en quinze ans, ce qui signifie aussi que l’utilisation des ressources sera multipliée par deux, sauf si bien sur, on parvient entre temps à améliorer l’efficacité énergétique. Dans ces conditions, nous allons être confrontés à un problème de pénurie, un thème qui sera présent dans nos discussions de Davos. » (La Tribune, 26 janvier 2011). La hausse des prix des matières premières y compris les plus vitales, celles des produits alimentaires, est un signe. Ses conséquences politiques, nous les voyons déjà au Maghreb. Parce que cela commence toujours par les plus fragiles. Avant de remonter vers les pays faussement solides. La France par exemple. Développer l’homme et non seulement les biens matériels et l’argent : un sacré défi.

    Pierre Le Vigan (Flashblog, 10 février 2011)

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  • La Chine va-t-elle manger le monde ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Hervé Juvin réalisé par Realpolitik.tv le 20 janvier 2011 et consacré à la Chine.


    La Chine va-t-elle manger le monde ?
    envoyé par realpolitiktv. - L'info internationale vidéo.

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  • Une quête puissante d'insularité...

    Nous reproduisons ici un entretien donné par Hervé Juvin à Maurice Gendre pour le site Enquête&Débats.

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    Hervé Juvin est l’auteur de Le renversement du monde : politique de la crise. Il dresse un état des lieux sans concession et sans complaisance de l’état du monde, des faiblesses de l’Europe et des fragilités de la France. Mais il donne surtout des clefs pour que le Vieux Continent et la patrie de Clovis et de Jeanne d’Arc relèvent les défis qui les attendent. Conversation avec un intellectuel de haut vol. Un entretien réalisé par Maurice Gendre

    1 – Comment se traduit dans les faits ce grand renversement du monde ?

     Abandonnons nos rives européennes. Ailleurs, presque partout ailleurs, la confiance dans l’avenir est totale. Chacun, en Chine, en Inde, en Ethiopie, au Congo comme au Brésil, est sûr que demain sera meilleur. Et la crise récente, faut-il dire passée, est vue partout comme une crise occidentale, quand elle n’est pas analysée, justement à mon sens, comme la perte du monopole occidental du bien, du vrai et du bon.

    Ce premier élément, géoéconomique et géopolitique, est le plus évident ; la richesse comme la puissance et demain l’influence ne nous appartiennent plus, et nous devons mesurer le phénomène.

    Le second élément est d’une autre nature. La période ouverte par la dissolution de l’empire soviétique s’achève ; autrement dit, le XXIè siècle commence vraiment. Et il commence avec le deuil nécessaire de quelques illusions largement diffusées ; non, l’économie ne suffit pas à faire société – voir l’exemple de la Tunisie, vitrine de la croissance, de l’enrichissement de la classe moyenne et de l’émancipation des femmes au Maghreb.  Non, la démocratie n’est pas le modèle insurpassable de la gestion des choses communes ; et les Chinois ont quelques raisons d’interroger les USA comme l’Union européenne sur la consistance de leur prétention démocratique. Non l’histoire ne s’achève pas sur l’unité du genre humain et de la planète terre, bien au contraire, une quête puissante d’insularité se manifeste au sein de tous les grands ensembles continentaux.

    Le troisième élément est de très grande portée historique. Je le caractériserais ainsi ; l’Union européenne poursuit une aventure, celle du dépassement de la condition politique, qui la place en apesanteur par rapport à tout le reste du monde, et particulièrement par rapport aux Etats-Unis, dont le rapport au réel demeure solide. Ce dépassement consiste à placer une foi immense dans l’économie, c’est-à-dire la croissance et la répartition des ressources, mais tout aussi bien à proclamer des droits individuels de manière inflationniste, sans s’interroger sur les conditions qui les rendent concrètement exerçables, et enfin à  anticiper une révolution anthropologique, celle d’une société d’individus totalement sortis de la transcendance et de l’espoir, seulement occupés pendant bientôt un siècle d’espérance de vie, à en profiter au maximum, de toutes les manières, et sans autres questions.

    Bien entendu, le troisième élément est de loin le plus important, pour nous en tous cas, car il nous rend terriblement exposés et terriblement fragiles à la fois.

    2 – Comment la France et l’Europe peuvent-elles tirer leur épingle du jeu ?

    La question centrale me semble celle du rapport au réel. Le mot de « realpolitik » l’exprime assez bien.

    Le premier facteur de renouveau est la conscience juste, raisonnable mais résolue, de nos intérêts nationaux et européens.  Ces intérêts, autant le dire tout de suite, ne se confondent pas avec les intérêts des Etats-Unis.  Ce que j’avais appelé « la déception Obama » (dans l’Expansion, dès 2008) vient essentiellement de cette perception, sensible à gauche ; le Président Obama est américain et poursuit les intérêts de l’Amérique. Il faut prendre acte d’un écart croissant entre les intérêts de l’Europe occidentale et ceux des Etats-Unis, et tourner la page de la subordination de l’Europe au magistère américain tel que Jean Monnet et Robert Schuman l’ont organisée.  L’Europe n’est pas la colonie de son ancienne colonie, elle n’est pas aux ordres de Washington ou du Pentagone, et il est d’ailleurs possible que certains, outre-Atlantique, soient prêts à demander à l’Europe d’assumer davantage son indépendance stratégique. En tous cas, tout se passe comme si l’Union européenne, première puissance économique au monde, demeurait interdite de mobiliser sa puissance au service de ses intérêts, la seule au monde dans ce cas !

    Le second facteur est le retour de la fierté légitime des Européens, et en particulier des Français. Qu’il s’agisse de l’augmentation du niveau de vie, y compris au cours de ces vingt dernières années, qu’il s’agisse des succès éclatants des entreprises françaises – dans tous les domaines où un champion national existait dans les années 1950-1960, il est devenu leader européen, voire mondial -  qu’il s’agisse tout simplement de la civilisation, telle qu’elle demeure éclatante dans la civilité, la courtoisie et dans les mœurs, partout du moins où l’Europe demeure européenne, la fierté est légitime et la sinistrose incompréhensible. S’explique-t-elle par autre chose que par la haine manifeste que tant d’institutions, de mouvements, de sachants et de bien-disants, au nom de l’Union dévoyée, portent à tout ce qui s’appelle peuples d’Europe ? Ici encore, la situation est curieuse qui interdit aux Européens  de se dire, de compter et de se nommer.

    Le troisième facteur est là ; les atouts structurels de l’Europe n’ont été qu’écornés par la liquidation forcenée qu’une forme de néo-libéralisme leur a fait subir. Ces atouts que sont la tenue des territoires, l’autorité des Etats, l’égalité devant la loi, le faible niveau de la corruption, la liberté de faire et de dire, sont exceptionnels dans l’espace et dans l’histoire. Ils nourrissent ce qui reste du rêve européen dans le monde. En même temps, il faut bien observer que certains sont en réelle dégradation, particulièrement en France. Montée de la corruption, éloignement des élites autoproclamées, indifférentes à la décivilisation des mœurs et des rapports humains, censure pesante des opinions et des débats, affaiblissement de l’autorité de l’Etat et sentiment d’inégalité devant la justice sont autant de signaux graves, à corriger d’urgence ; ce serait déjà là un beau programme pour 2012 !

    Le dernier facteur est politique. L’Union européenne n’est forte que par les Nations qui la composent et par l’élan des peuples qui la font. Tout ce que l’administration européenne manigance et déploie contre les peuples et les Etats affaiblit moins les Nations que l’Europe entière. Il faut être attentif à cet égard à la pression américaine, si bien relayée par la Grande-Bretagne, qui consiste à défaire les peuples et les Nations pour ne laisser de l’Europe qu’un marché ouvert aux nouveaux colons de la City ou de Wall Street – un marché dont les naïfs acteurs auraient abandonné toute prétention à la puissance, ou simplement à l’autonomie.

    3 – Vous parlez d’un « homme bulle ». Comment le définissez vous ?

    L’homme bulle est l’homme de marché. C’est l’homme sans origines, sans appartenances et sans liens, l’homme qui a abandonné la terre qui est sous ses pieds, l’homme qui est prêt à faire valoir indéfiniment ses droits contre la société qui les lui accorde, l’homme réduit au consommateur désirant. C’est un mutant, que l’industrie du vivant est ou sera bientôt capable de produire en masse. C’est l’individu dénaturalisé, que l’idéologie du métissage expose avec complaisance, dans un racisme à rebours inavoué, mais éclatant. C’est un clone conforme, sans croyances et sans jugement propre, indéfiniment capable de s’absorber dans son image et sa satisfaction.

    Inutile de le dire, cette révolution anthropologique est européenne, elle repose sur une idéologie caractérisée, celle du sans frontiérisme et du libre-échangisme généralisé, elle comporte la perte de l’histoire, de la mémoire et du passé, comme la perte de la conscience de soi et des siens ; à ce titre elle me semble infiniment porteuse de violence à venir, et aussi de malheur individuel.

    4 – Quels sont les défis qui attendent la Chine ?

    Certains des défis internes sont bien connus, du vieillissement à venir à la destruction du milieu de vie, et notamment des terres arables, à la fragilité probable de certaines infrastructures – le barrage des Trois Gorges ? – et plus encore, à l’émancipation probable d’une grande part de la nouvelle bourgeoisie urbaine dont il n’est pas certain qu’elle ne soit pas pour le Parti une boîte noire. Le plus considérable me paraît la capacité à faire de la Chine nouvelle une Chine – à éviter la banalisation et le déracinement culturel et moral complet de la population chinoise.  Et le défi, que je crois compris, est que la Chine n’a aucun intérêt à jouer le jeu de la confrontation des intérêts et des puissances que les Etats-Unis veulent lui faire jouer,  et elle n’a aucun intérêt à aller sur le terrain où elle est attendue.

    A l’extérieur, le défi est évident ; une campagne antichinoise se développe avec une rapidité et une violence qui m’étonnent.  Les maladresses de l’émergence ou l’avidité du géant ne l’expliquent pas seules. Lors la visite du Président Hu Jintao aux Etats-Unis, les caricatures n’étaient pas loin d’imputer à la Chine la responsabilité de la crise économique, du réchauffement climatique, et du nazisme réunis ! Le péril jaune connaît une actualisation assez explicable, par la crise, par la réalité de l’arrivée d’une puissance qui bouscule les équilibres, par la peur de l’inconnu qui se découvre et se révèle. Faut-il ajouter un autre phénomène ? Ce que beaucoup ne diraient pas de nos voisins du sud de la Méditerranée, ils le disent sans vergogne des Chinois. Le Chinois devient l’Autre absolu, et bientôt le Mal. La peur de la Chine et/ou la haine des Chinois donnent un exutoire autorisé à des passions qui s’interdisent d’autres cibles. A ceux-là, il faut seulement poser une question ; l’Occident s’est il si bien conduit qu’il puisse continuer à donner des leçons à un pays qu’il a intoxiqué, ruiné et pillé ?

    5 – “Les fondements d’une société sont dans l’identité et sont dans la frontière”, dites-vous. Cette redécouverte de la condition politique (la frontière et l’identité) constitue-t-elle la seule planche de salut des sociétés occidentales ?

    Non, mais le salut ne se fera pas sans eux ; il s’agit simplement de renouer avec la condition politique, et d’accepter que les fondements de cette condition s’imposent à ceux là même qui prétendent les nier. Quand on nie la frontière, on crée des péages et des murs ; quand on nie l’identité, on rend bientôt le corps politique incapable de se déterminer et bientôt, de se conduire. Nous en sommes là. Cela ne suffit pas bien évidemment. Mais c’est une condition. S’il y en a qui sont Européens, c’est que d’autres ne sont pas Européens, et n’ont aucune vocation à le devenir ; sinon, l’Union européenne serait en train de recréer un rêve d’empire universel ! s’il y a une Europe, elle est définie par une frontière, qui peut être tout ce que l’on veut qu’elle soit, mais qui est et demeurera longtemps territoriale ; nous n’en avons pas fini avec la terre que nous avons sous nos pieds, avec nos origines, nos voisins, nos quartiers et nos régions ! Ce qui me paraît grave dans le déficit européen dramatique sur ces sujets, c’est qu’il affaiblit les chances d’intégration. Faire société entre ceux qui ne partagent ni origine, ni croyance, ni mœurs, suppose que leur appétit pour faire quelque chose en commun soit puissant et déterminant ; encore faut-il le choisir, le déterminer, c’est-à-dire le distinguer, l’identifier, et l’imposer.  C’est tout le secret américain que l’immense adhésion de la diversité individuelle à l’unité du projet collectif ! La société de marché et de droits européenne interdit que n’importe quel projet politique soit construit, parce qu’il affirmerait que la société domine l’économie ; et l’Union européenne, moyen du marché, interdit en effet toute expression des peuples européens sur ce sujet. L’écart avec les Etats-Unis, qui demeurent tout ce qu’est une Nation habitée d’un projet, est sidérant.

    6 -  Quels sont les acteurs majeurs de la scène mondiale ?

    Tout conduit à parler des puissances émergentes, avec les succès passés et certains échecs probables, avec aussi l’immense question de l’Afrique émergente ou pillée… En réalité, le point nouveau et intéressant me paraît se situer ailleurs. Il est du côté des mafias ou des réseaux criminels dont la part dans l’activité économique et dans les relations humaines ne cesse de grandir, au point que des parties entières de nos territoires sont en état d’anomie ; l’Etat ne contrôle plus son territoire, y compris en France, et pas seulement dans les banlieues que l’on identifie aussitôt ; dans le sud méditerranéen, il est intéressant de creuser la question. Il est du côté des intérêts privés, auquel le néo-libéralisme a permis de s’attribuer certaines des capacités réservées aux Etats souverains, par exemple la capacité de faire la guerre – l’explosion des Sociétés Militaires Privées capables de conduire et de facturer des missions de bombardement aérien est exemplaire !-  ou encore la capacité de décider des mouvements de population – ne nous y trompons pas, le problème de l’immigration n’est pas le problème des migrants du travail, de la pauvreté ou de la faim, il est plus largement le problème des trafiquants de main d’œuvre et d’acteurs économiques qui savent bien qu’une immigration de masse signe la fin des systèmes de solidarité nationale tels qu’ils ont été construits pour des populations homogènes, dans des mœurs et dans des lois partagées.  Et il est, enfin et peut-être surtout, dans l’extension des relations de marché financiarisées à des catégories d’actifs, comme les terres agricoles, comme les récoltes, etc., qui jusqu’alors y étaient largement soustraites.

    L’étonnant dans cette situation n’est pas la prolifération des acteurs non étatiques dans des domaines d’intérêt collectif, national ou international, c’est l’abandon consenti de tant d’Etats à des intérêts privés de ce qui était leur, et que d’ailleurs ils pourraient reprendre d’un froncement de sourcils. C’est l’affermage de l’action politique, voire stratégique, aux intérêts privés, dont Dick Cheney et Halliburton sont l’expression caricaturale, et sans doute criminelle. La volonté politique est, du moins chez nous, l’acteur qui brille par son absence ; ce n’est pas le cas ailleurs, derrière chaque marché émergent, c’est une puissance qui émerge !

    7 – Le matérialisme hédoniste, le consumérisme effréné et la démesure semblent être à l’origine de dérèglements environnementaux (destruction de la bio-diversité principalement) et pourraient être les facteurs de futurs déséquilibres écologiques. Que faire pour limiter l’hubris qui s’est emparée de l’humanité et que celle-ci retrouve le chemin de la phronesis?

    Il serait tentant de faire la morale. Si chacun se limitait à ses besoins et non pas à ses désirs… Mais toute la prétention des religions monothéistes a abouti à si peu changer le cours des choses, et la vie des hommes ! Il est plus intéressant d’examiner comment concrètement instaurer des limites à la convoitise, à la démesure des appétits et au désordre des désirs. Car le monde réel ne résistera pas au désir qui emporte l’Inde, la Chine, et d’autres, vers le modèle de consommation américain…  dans ce domaine les choses sont claires, mais dures. Il faut en finir avec l’idéologie du libre-échange, et permettre à chaque peuple de gérer ses échanges avec l’extérieur, notamment dans le domaine des signes culturels et des modèles sociaux ; la liquidation de la diversité des sociétés humaines sera le drame de ce début du XXIè siècle. Il faut renouer avec la démocratie, c’est-à-dire la loi de la majorité, au détriment du contrat et en finir avec l’inflation du droit ; indépendance de la justice, oui, mais dans son lit, qui ne lui permet pas de commander ou de paralyser la volonté populaire ; respect des droits individuels, oui, mais dans les limites que l’intérêt collectif, le bon sens et le caractère national permettent – sinon, le sacre des droits individuels fait barrage à l’histoire. Pour résumer d’un mot, le cours du libéralisme a rompu avec la démocratie et, en France, avec la République ; le temps est revenu d’être radicalement républicain, radicalement  démocrate, pour en finir avec  l’économisme et le juridisme qui nous placent en apesanteur politique.

    8 ) In fine, le néant métaphysique et le vide spirituel ne sont-ils pas les deux principaux “coupables” de la chute de la France et de l’Europe?  Comment « réenchanter » ce continent ?

    La question est celle du « lieu vide » que devrait être le lieu du pouvoir, l’agora, dans une société qui respecterait également toutes les identités, toutes les religions, tous les choix de vie, etc.  Le problème est qu’à les respecter tous, nous n’en respectons réellement aucune, écrit René Girard. Le problème est que faire de l’agora un lieu vide, c’est nier toute singularité à la Cité, à la Nation, à un peuple. Et le problème de ce vide sidéral, c’est qu’il aboutit à une société d’isolement, dans lequel chacun peut déployer indéfiniment dans le domaine privé ses choix individuels, réversibles, à la carte, mais dans laquelle l’interdiction qui pèse sur leur affichage public vide le commun de toute dimension d’appartenance. En clair, si toutes les religions se valent sur le même territoire, si les mœurs sont équivalents, tout devient indifférent, et la banalisation dissout toute chose. Nous en sommes là, et l’exemple du calendrier européen récemment imprimé à quelques millions d’exemplaires qui contient toutes les fêtes religieuses, sauf les fêtes chrétiennes, est l’exemple de la haine de soi qui habite tant de fonctionnaires bruxellois – dans l’impunité totale, sans doute !

    Cette situation ne durera pas. La demande identitaire est mondiale, et plus la mondialisation économique se poursuit et s’accélère, plus elle nourrit cette demande. La revanche du symbolique, du rituel, de l’irrationnel, est écrite, elle est à maints égards déjà là. Le moment où le décalage politique entre ceux qui resteront rivés aux anciens discours, de la croissance, de la gestion, de la banalisation économique, et ceux qui capteront la demande symbolique, identitaire et distinctive, va exploser, est proche. L’économie ne fait pas société, et les hommes ne sont pas qui ne savent pas dire leur nom, le nom de leur père, et le nombre des hommes de leur clan.

    Propos recueillis par Maurice Gendre (Enquêtes&Débats, 19 janvier 2011) 

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