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amérique - Page 10

  • L'Europe sortie de l'Histoire ?...

    Nous vous signalons la parution aux éditions Fayard d'un essai de Jean-Pierre Chevènement intitulé  1914-2014, L'Europe sortie de l'Histoire ?. Souverainiste de gauche, Jean-Pierre Chevènement est également l'auteur de plusieurs essais intéressants comme récemment La faute de M. Monnet (Fayard, 2006) ou La France est-elle finie ? (Fayard, 2011).

     

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    " On peut prédire, sans risque de se tromper, que la commémoration, en 2014, du déclenchement de la Première Guerre mondiale sera instrumentée à des fins politiques. Au nom du « Plus jamais ça ! », il s’agira, pour nos classes dirigeantes, de justifier la mise en congé de la démocratie en Europe au prétexte, cent fois ressassé, de sauver celle-ci de ses démons.
    Même si comparaison n’est pas raison, il m’a paru éclairant, pour comprendre comment l’Europe a été progressivement sortie de l’Histoire, de rapprocher les deux mondialisations, la première, avant 1914, sous égide britannique, et la seconde, depuis 1945, sous égide américaine, chacune posant la question de l’hégémonie sans laquelle on ne peut comprendre ni l’éclatement de la Première Guerre mondiale ni l’actuel basculement du monde de l’Amérique vers l’Asie. La brutale accélération du déclin de l’Europe ne tient pas seulement aux deux conflits mondiaux qu’a précipités un pangermanisme aveugle aux véritables intérêts de l’Allemagne. Elle résulte surtout de la diabolisation de ces nations nécessaire à des institutions européennes débilitantes qui ont permis leur progressive mise en tutelle par de nouveaux « hegemon » .
    Afin de ne pas être marginalisée dans la nouvelle bipolarité du monde qui s’esquisse entre la Chine et l’Amérique, l’Europe a besoin de retrouver confiance dans ses nations pour renouer avec la démocratie et redevenir ainsi actrice de son destin. Rien n’est plus actuel que le projet gaullien d’une « Europe européenne » au service du dialogue des cultures et de la paix, une Europe compatible avec la République, où la France et l’Allemagne pourront œuvrer de concert à construire l’avenir d’un ensemble allant de la Méditerranée à la Russie. Dans une « réconciliation » enfin purgée de ses ambigüités et de ses non-dits : celle de deux grands peuples capables de poursuivre ensemble leur Histoire. "

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  • L'Amérique et les hypothèques de Dieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur son blog American Parano et consacré à la crise de la dette américaine.

    Avocat, bon connaisseur des Etats-Unis, Jean-Philippe Immarigeon est l'auteur de plusieurs essais d'une grande lucidité comme American parano (Bourin, 2006), Sarko l'Américain, (Bourin, 2007), L'imposture américaine (Bourin, 2009) ou Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012). Il collabore régulièrement à la revue Défense Nationale.

     

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    L'Amérique et les hypothèques de Dieu

    L’Amérique est paralysée, l’Amérique s’enfonce dans une crise autrement plus profonde que simplement financière. Mais l’Amérique est en crise parce qu’elle n’est qu’une crise permanente, elle est cette expulsion de la vieille Europe d’avant l’Europe, celle des Pilgrims du Mayflower, réfugiée dans ce que j’ai déjà nommé Feodalic Park. Elevés dans l’idée, conceptualisée par Thomas Paine, que leur île-continent se devait d’être découverte pour que s’y réfugiât ces sectes calvinistes dans lesquelles Max Weber vit le terreau du capitalisme, les Américains se sont installés dans ce don de Dieu comme dans la forteresse du choral de Luther, Ein feste Burg ist unser Gott. Refuge, réclusion, retranchement, ils n’en sont jamais sortis que pour forcer The Rest of the World à leur ressembler, de gré ou de force. La guerre d’Irak, et tout le substrat idéologique que les néocons lui ont donnée et qu’on n’a pas voulu prendre pour ce qu’il était, à savoir l’Amérique des origines qui se réalise et non un simple et très passager pétage de plombs, a mis fin à ce rêve. Il ne lui reste plus qu’à se replier sur son île-continent, et à revenir à la lettre du Farewell Address de George Washington : ne jamais être tributaire de l’Etranger.

    Or la dette est l’intrusion de l’Etranger dans les affaires américaines. C’est cela qui est refusé, c’est cette rébellion qui est derrière le Tea Party dont la raison sociale plonge dans cet incident de Boston de novembre 1773, ce que tout le monde sait, sauf qu’il s’agissait ni plus ni moins d’un réflexe de prophylaxie. Thé anglais, livres français ou dollars chinois, l’Etranger est forcément intrusif, symbolisant le Mal dont l’Amérique s’est séparé en 1620 puis en 1776. La séquestration, le refus de relever le plafond de la dette, c’est le refus de l’Autre qui n’est que la manifestation la plus tangible du repli d’une nation dont les dirigeants disent qu’elle est fatiguée, sans que les nôtres ne comprennent que ce mot entre en résonnance avec la raison fondatrice de l’Amérique. Il veut dire qu’un troisième abandon du monde, une troisième séparation après celles de 1620 et 1776, sous-tend la crise actuelle, et en est l’achèvement logique, historique et irrépressible.

    Cette faillite acceptée et assumée, ce refus d’honorer la dette sera le signal de la banqueroute universelle : tous les débiteurs vont dire merde à leurs créanciers. Bonne nouvelle. Catastrophe, s’affolent d’autres. De ceci l’Amérique se préoccupe comme d’une guigne. Elle ne déstructure pas le monde puisqu’elle ne l’a jamais pensé, qu’elle n’a jamais pensé qu’elle-même. Elle ne se sent liée à aucune obligation, à aucun principe qui ne soit le sien. Elle n’a jamais rien prévu que pour elle-même, et ce qu’elle veut aujourd’hui c’est avoir la paix, qu’on lui foute la paix.

    Hantée par l’idée de sa disparition, qu’elle a déjà frôlée lors de la Grande Dépression, cette nation de cowboys dépressifs qui a cru pouvoir se garantir de tous les maux en accumulant une puissance sans égale, découvre que l’Histoire est aussi amorale que la nature chez Darwin. Si d’épouvantables défaites peuvent faire basculer en une nuit les trônes les plus assurés, les empires ne tombent pas d’une déchéance qui se mesure et qu’on peut réparer parce qu’on la détecterait. Ce serait si facile, il suffirait de colmater et l’on serait au-dessus de Pharaon, du Khan, du Grand Moghol, de l’Aztèque ou de la Sublime Porte. Ils meurent d’hystérie lorsqu’ils se découvrent désarmés au spectacle de l’impuissance de leur puissance soudainement inopérante, inutile et vaniteuse autant que vaine.

    « Nous avons tous vu des empires s’effondrer, et les plus solides, écrivait Jean Giraudoux dans Sodome et Gomorrhe, et les plus habiles à croître et les plus justifiés à durer, et ceux qui ornaient cette terre et ses créatures. Au zénith de l’invention et du talent, dans l’ivresse de l’illustration de la vie et de l’exploitation du monde, alors que l’armée est belle et neuve, les caves pleines, les théâtres sonnants, que dans les teintureries on découvre la pourpre ou le blanc pur, dans les mines le diamant, dans les cellules l’atome, que de l’air on fait des symphonies, des mers de la santé, que mille systèmes ont été trouvés pour protéger les piétons contre les voitures, et les remèdes au froid et à la nuit et à la laideur, alors que les alliances protègent contre la guerre, les assurances et poisons contre la maladie des vignes et les insectes, alors que le grêlon qui tombe est prévu par les lois et annulé, soudain en quelques heures un mal attaque ce corps sain entre les sains, heureux entre les bienheureux. C’est le mal des empires. Il est mortel. Alors tout l’or est là, entassé dans les banques, mais le sou et le liard eux-mêmes se vident de leur force. Tous les bœufs et vaches et moutons sont là, mais c’est la famine. Tout se rue sur l’empire, de la chenille à l’ennemi héréditaire et aux hypothèques de Dieu. Le mal surgit là même d’où il était délogé pour toujours, le loup au centre de la ville, le pou sur le crâne du milliardaire. Et les fleuves tournent, les armées tournent, le sang et l’or tournent, et dans la tourmente, l’inondation et la guerre des guerres, il ne reste plus que la faillite, la honte, un visage d’enfant crispé de famine, une femme folle qui hurle, et la mort. »

    La faillite, la honte, et la mort. Que la crise actuelle se résolve, temporairement, ou qu’elle permettre d’ici 2015 d’en finir enfin avec le XXe siècle, il nous faut d'urgence, pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait faute de me lire, penser un monde sans l’Amérique.

    Jean-Philippe Immarigeon (American Parano, 12 octobre 2013)

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  • De la guerre en Amérique...

    Nous vous signalons la réédition aux éditions Perrin, dans la collection de poche Tempus, de l'essai de Thomas Rabino intitulé De la guerre en Amérique et publié initialement en 2011, chez le même éditeur. Thomas Rabino est historien et spécialiste de la résistance et de la civilisation américaine. Nous reproduisons ci-dessous la présentation qu'Emmanuel Todd avait fait de ce livre dans l'hebdomadaire Marianne.

     

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    Il fut un temps heureux où Auguste Comte pouvait croire que la société industrielle succéderait aux sociétés militaires, que la modernité ferait un jour de la guerre un stade dépassé de l’histoire humaine. La première guerre mondiale, suivie de la deuxième, mit fin à cette illusion. Mais enfin, il nous restait le rêve que l’avènement mondial de la démocratie allait peut-être enfin nous ramener à une trajectoire comtienne de l’humanité.

    Dans un monde libéré de Guillaume II, du Tsar de Russie, d’Hitler, de Staline, des militaristes japonais, des puissances coloniales française et anglaise, la paix allait enfin régner. L’état d’esprit actuel des Européens est assez proche de cet idéal. Leur puissance militaire s’étiole, au rythme des déficits et des compressions budgétaires. Ils croient tellement à la paix qu’ils ne veulent pas voir que leur grand allié et leur protecteur, leur démocratie idéale, l’Amérique, évolue dans une toute autre direction et porte au schéma d’Auguste Comte le coup mortel et définitif.

    Un jeune historien, Thomas Rabino, a enfin accepté de regarder la réalité en face dans un livre foisonnant et indispensable. De la guerre en Amérique ne se contente pas d’étudier l’action internationale des Etats-Unis, d’observer, comme c’est l’usage, au Moyen-Orient ou ailleurs, leur lutte impériale pour le contrôle du pétrole.

    La réalité de l’Amérique est qu’elle est toujours en guerre

    Thomas Rabino fait de l’histoire sociale et culturelle autant que diplomatique et militaire et il porte un diagnostic global sur la militarisation de la société américaine. Il étudie tout, avec un enthousiasme de défricheur : le rapport des grandes entreprises à l’armée, la surreprésentation des vétérans au congrès, la place du drapeau à l’école et ailleurs, les jouets et les jeux vidéos, le complexe militaro-cinématographique, utile complément culturel au complexe militaro-industriel dénoncé par le président Eisenhower en fin de mandat.

    Rabino étudie la contribution de l’armée à la réalisation des films de guerre, la torture dans les séries télévisées, le vocabulaire volontiers barbare des responsables de la communication militaire, le débat sur les éventuels dégâts sanitaires dus à l’uranium appauvri des munitions, nous donnant, chaque fois que c’est possible, des statistiques sur l’évolution de ces phénomènes significatifs.

    Les fluctuations d’une opinion mobile, patriotique et démocratique, manipulée ou résistante selon les circonstances, adhérant ou refusant le discours officiel, sont saisies et suivies par des sondages. Il le faut : la réalité de l’Amérique est qu’elle est toujours en guerre, ainsi que son immense armée, son gigantesque budget militaire, ses bases, ses interventions incessantes en témoignent.

    Mais elle est aussi une démocratie officiellement anticolonialiste et sa culture de guerre ne peut être celle d’un banal impérialisme, d’un banal fascisme, ou même celle de la vieille Europe qui avait fait la guerre tellement longtemps qu’elle pouvait la considérer comme une nécessité d’ordre météorologique.

    Manipulation de l’opinion par la peur

    L’Amérique n’en finit pas de faire la paix, par les armes. Et la population doit suivre, approuver, participer. Elle peut même imposer certains reflux de la pratique guerrière, des replis, au Vietnam, en Irak. Mais une tendance de fond, à la hausse, transcende ces fluctuations conjoncturelles. Rabino s’intéresse aux phénomènes de longue durée, il nous libère du court terme journalistique en retraçant la montée en puissance de cette culture de guerre.

    Sa description de la continuité de la politique extérieure américaine dans son rapport à l’Irak Saddam Hussein est particulièrement impressionnante d’efficacité, de la première guerre du golfe à un embargo qui permet le contrôle, via l’ONU des exportations pétrolières irakiennes, jusqu’à une invasion rendue nécessaire par la montée des critiques sur les conséquences humanitaires déplorables de l’embargo. Pour Thomas Rabino, le 11 septembre n’est pas un tournant, mais, un aléa qui n’affecte pas fondamentalement la continuité de l’action américaine. Le privilège de l’historien est de ne pas se laisser emballer par l’émotion de l’instant ou le spectaculaire télévisuel.

    Reste que l’après-onze septembre marque quand même une accélération, un emballement des phénomènes de manipulation de l’opinion par la peur, d’encouragement à la violence par déshumanisation de l’ennemi.
    Où en sommes nous aujourd’hui ?

    L’Amérique est désormais une nation militaire, qui vit par et pour la guerre

    L‘Europe, tout à son rêve de paix perpétuelle, a voulu croire que l’élection d’Obama marquait la fin de l’accident bushien, qu’une embardée militariste et anti-humaniste pour ainsi dire accidentelle s’achevait. Rabino est évidemment sceptique sur ce point et il montre à la fin de son livre à quel point les bonnes intentions et les beaux discours d’Obama n’ont pas vraiment affecté les paramètres habituels de l’action américaine. Mais au-delà des actes d’Obama, c’est l’épaisseur de la culture de guerre américaine qui doit nous rendre prudents.

    La critique de l’Amérique s’attache le plus souvent à dénoncer son régime économique, ses inégalités, ses escroqueries financières. Thomas Rabino va beaucoup plus loin, et frappe beaucoup plus juste. Il nous dit que l’Amérique est désormais une nation militaire, qui vit par et pour la guerre, et que nous allons devoir continuer de nous en méfier.
    Emmanuel Todd (Marianne, 27 décembre 2011)
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  • « Rendez-moi Montaigne et Guy Mollet ! »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue percutant de Jean-Philippe Immarigeon, cueilli sur Theatrum Belli et consacré à l'intolérable soumission de la France aux Etats-Unis...

    Avocat, bon connaisseur des Etats-Unis, Jean-Philippe Immarigeon est l'auteur de plusieurs essais d'une grande lucidité comme American parano (Bourin, 2006), Sarko l'Américain, (Bourin, 2007) ou L'imposture américaine (Bourin, 2009). Il collabore régulièrement à la revue Défense Nationale.

     

     

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    « Rendez-moi Montaigne et Guy Mollet ! »

    Début juin, juste avant que n’éclate ce qu’on nomme l’Affaire Snowden, une amie très chère me disait en substance : « C’est pas idiot tout ce que tu écris depuis 2001 sur les Américains, mais tu te répètes, Jean-Phi ! ». Qu’à cela ne tienne, et faisons assaut de vanité puisque rien de ce que j’ai pu publier depuis plus d’une décennie ne s’est jusqu’à ce jour démenti : nous sommes le produit de deux civilisations antagonistes, ce qui est assumé par les Américains mais nié par les Français au prix de crises à répétition qui ne pourront se résoudre que le jour où nous accepterons l’existence de ce gouffre atlantique. Car tant que cela ne sera pas, nous accepterons servilement les humiliations au nom de prétendues valeurs communes et de principes supposés partagés. 

    La France des Gunga Din 

    Violation des échanges diplomatiques, accès aux informations économiques, lecture des données personnelles sur les réseaux sociaux : les Américains nous espionnent. United Stasi of America. C’est inadmissible, font semblant de se fâcher nos gouvernants, avec toujours cette restriction : « si cela devait s’avérer exact… ». Bien sûr que c’est exact, les Américains n’en ont jamais fait mystère chaque fois qu’ils ont été surpris le doigt dans le pot de confiture. Ceci dit, on proteste mais c’est pour du beurre, hein, ne le prenez pas mal, d’ailleurs, on ferme notre espace aérien à l’avion présidentiel du chef d’Etat bolivien pour vous être agréable, vous voyez bien que c’est pour du beurre…

    Je comprends les Américains et leur agacement récurrent devant ces crises de nerf à répétition, qui surviennent entre une réintégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN qu’ils ne réclamaient plus, et l’achat à prix d’or de drones qu’ils vont nous surfacturer avec d’autant plus de morgue qu’ils seront les chevaux de Troie du Pentagone au sein de nos systèmes de défense. L’affaire Snowden n’a pas seulement confirmé une surveillance à l’échelle planétaire sur nos pages Facebook et nos boîtes Gmail, elle a aussi mis en évidence le piège-à-cons que constituent les Clouds. Venez, braves gens, plutôt que de conserver vos fichiers sur des CD, des clefs USB, des disques durs ou des ordinateurs non branchés sur le Net, transférez les dans des serveurs américains et des centres de stockage enterrés dans le désert du Nevada ou en Pennsylvanie, ils y seront sécurisés et illisibles ! Et ça a marché. Pourquoi les Américains se gêneraient-ils pour nous prendre pour des imbéciles, et nous le faire savoir ?

    Car à quoi bon protester, puisque la réponse ne changera pas : oui nous vous espionnons, oui vous le savez, oui vous en faites autant, et que le meilleur gagne ! Discours qui finalement passe assez bien dans l’opinion publique française, car elle ne voit pas que le problème est ailleurs, non dans ce qui relève de l’espionnage, mais dans la soumission de la France à l’Empire. Car l’essentiel des données que les Américains détiennent, c’est nous qui les leur donnons. Ainsi les dix-neuf informations communiquées à leurs services concernant tout Français qui achète un billet pour se rendre de l’autre côté de l’Atlantique. Pour leur livrer nous avons dû modifier nos règles et collecter des informations que nous ne collections auparavant. Il ne s’agit plus de coopération mais de l’introduction des lois et des normes américaines en France. Ça porte un nom, ça s’appelle la colonisation. Dès lors, comme écrivait Ludovic Naudeau dans L’Illustration du 26 février 1938, parlant d’autres et dans un contexte totalement différent il est vrai mais la formule est fort belle : « Quant à nos objurgations littéraires, elles les font puissamment rire. ». 

    La première réponse de Barack Obama relève ainsi de ce souverain mépris que tous les dirigeants américains professent depuis deux siècles à l’encontre de la patrie de Rochambeau et Lafayette : pourquoi recourir à la NSA, lorsque j’ai besoin d’une information sur la France, je m’adresse directement au président Hollande. D’ailleurs n’est-il pas lui-même un ancien Young Leader, promotion 1996, de la French American Foundation ?

     

    American Komintern 

    On commence à connaître cette officine créée en 1976, et je conseille la lecture de son site tant ses objectifs y sont clairement exposés : faire de l’entrisme dans les institutions françaises, et convaincre nos prétendues élites de l’intérêt de servir les intérêts américains. Chaque année sont sélectionnés une vingtaine de Young Leaders, moitié français moitié américains. Parmi les alumni des années précédentes, outre le chef de l’Etat, on trouve Jean-Marie Colombani (promotion 1983), feu Olivier Ferrand (2005), David Kessler (1999), Laurent Joffrin (1994), Arnaud Montebourg (2000), Aquilino Morelle (1998), Bruno le Roux (1998), Fleur Pellerin (2012), Matthieu Pigasse (2005), Marisol Touraine (1998), Justin Vaisse (2007), ou Najat Vallaud Belkacem (2006). En un mot la France américaine, et fière de l’être.

    Mais le summum se lit dans la liste des lauréats 2013 publiée le 25 juin dernier. Y apparaît le capitaine de frégate Philippe Naudet, commandant du Sous-marin Nucléaire d’Attaque Améthyste (S-605). Ce qui veut dire que la Royale dépêche auprès des Américains un futur pacha de Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins – puisque le cursus se fait généralement ainsi dans cette arme –, soit un des huit (deux équipages par SNLE) décideurs finals de notre dissuasion nucléaire, ceux qui, sur ordre du chef des armées, tournent la clef qui lance les missiles… ou ne la tourne pas. Et qui le fait savoir, et dévoile son identité.

    Mais le plus drôle – à ce stade il ne reste rien d’autre à faire que de rire – c’est que dans le contingent américain des Young Leaders de la promotion 2013, notre futur détenteur de secrets nucléaires côtoiera Madame Anne Neuberger, conseillère spéciale du patron de la NSA.

    Cette espionne (car il faut appeler un chat par son nom) se présente elle-même ainsi dans un ouvrage collectif : « Shortly afterward, a new military command was established – Cyber Command – consisting of a team recruited to work on protecting military networks. I became part of that team, and it evolved into my current position as special assistant to the director of the National Security Agency, which is one of the largest intelligence agencies of the Department of Defense. I’m part of a group that is responsible for raising the security of critical private sector cyber-infrastructure. » Notre MinDéf nous expliquera que sa présence auprès d’un futur pacha de SNLE est fortuite. Le président américain dira : pourquoi écouter les Français, il suffit de leur demander leurs codes nucléaires. Pour les services secrets américains, comme le dit ma belle amie, la France est désormais open bar. De Gaulle, reviens !

    Les surfeurs relèveront également que la Young Leader 2013, dans l’ouvrage précité, explique longuement comment elle parvient à combiner ses activités d’espionne avec ses obligations de mère de famille croyante. Exhibitionnisme ? Non, transparence et absence de frontière entre vie professionnelle et sphère privée à dire vrai inconnue, celle que nous décrivent les innombrables séries et téléfilms, sans que les Français veuillent comprendre cette Amérique qui se décrit elle-même comme un gigantesque panoptique.

    Les barbelés de Franklin 

    L’expression est de Gilles Deleuze, inspirée de D.H. Lawrence. Si on ne l’a pas en perspective, on ne comprend pas pourquoi les Américains acceptent d’être écoutés, surveillés, lus, pistés, arrêtés, détenus, on ne comprend pas ce qui avait tant effrayé le vicomte de Tocqueville qui écrivait qu’on ne peut appréhender leurs institutions si l’on n’étudie pas auparavant les premières communautés calvinistes, et lu le Lévitique et le Deutéronome. Si on ne se dote pas de cette grille de lecture, on ne comprend rien à une Amérique réalisation des dystopies de la fin des Lumières, comme L’An 2440 de Louis-Sébastien Mercier : une société toute de transparence où chacun lit dans le cœur et l’âme de l’autre, où policiers et espions traquent l’écart et le trouble, veillent sur la vie privée, où les villes sont tracées au cordeau, où la masse impose à l’individu la rectitude du conformisme le plus étouffant et « traque les ténèbres hétérodoxes du for intérieur de même que ses lanternes portent la lumière impitoyable dans tous les recoins et les rues. » C’est le modèle décrit par Tocqueville qui y voyait un despotisme d’un genre nouveau, reprit plus tard par le Nous autres de Zamiatine puis par les anticipations de Huxley puis Orwell. C’est cette société et nulle autre que l’Amérique a choisie en intégrant dans sa Constitution de 1787 une disposition qui fait, depuis plus de deux siècles, de l’état d’exception la norme, citée par toutes les dispositions législatives et judiciaires pour justifier ces lois qui sont le lot commun de l’Amérique, depuis les Sedition et Alien Acts de 1798 jusqu’à la NDAA de 2012 : la Suspension Clause.

    Cette Suspension Clause qui faisait dire à Kurt Gödel, au juge américain qui le naturalisait, qu’avec une telle faille Hitler n’aurait pas eu besoin en avril 1933 de faire son coup de force de Postdam et de suspendre la constitution, il l’aurait simplement appliquée. Dire que l’Amérique trahit ses propres principes, c’est n’avoir jamais lu ces derniers. Et rien compris à Tocqueville.

    Cette société panoptique, dont les frasques de la NSA ne sont qu’une des déclinaisons, ne pourrait-on la qualifier d’un terme passé de mode mais parfaitement adapté au pays qui a ouvert, dans le strict respect de ses règles constitutionnelles, un camp de concentration à Guantanamo : la tyrannie ?

    Devant l’obstacle – comme André Tardieu titrait dès 1924 son essai sur le problème que nous posait une Amérique qui effrayait à la même époque ses contemporains, de Jules Romains à Denis de Rougemont en passant par Georges Bernanos, Robert Aron, Georges Duhamel et tant d’autres – la question est très simple : sommes-nous disposés à abandonner nos régimes parlementaires protecteurs des libertés publiques, pour adopter les règles d’une constitution rédigée du temps des rois ? Poser la question c’est y répondre. Pourtant, nous sommes entrés dans un panurgisme suicidaire dans un domaine où les Etats-Unis, tant au niveau des moyens mis en œuvre que de leurs institutions, seront toujours les maîtres : le cyber.

    Le cyber, degré zéro de la pensée stratégique 

    Voilà plus de deux ans que nos militaires, nos consultants, nos revues, nos éditeurs, et les participants à nos colloques, singent les Américains. Or le cyber n’est pas l’outil miraculeux qui ouvre des perspectives inconnues, la nouvelle frontière d’un Occident désorienté : c’est l’instrument qu’attendait la civilisation américaine pour instaurer sa gestion panoptique du monde.

    On me répond : c’est comme tout instrument, tout dépend de l’utilisation que l’on en fait. Non, le cyber est structurant en soi, on ne peut pas y faire son marché, l’instrument impose cette société d’ordre et d’autorité, pour reprendre la manière dont Tocqueville caractérisait l’Amérique dans une de ses lettres de 1831 à son ami Kergolay.

    Premier fondamental : le cyberespace repose sur un principe de complétude et de totalisation, comme la psychanalyse freudienne ou le déterminisme laplacien, il ne tolère aucune exception. A monde global système global, c’est même lui qui est censé prouver téléologiquement que ce monde est global : le cyber est global ou n’est pas, la collection des datas est totale ou n’a aucun sens. Mais n’en déplaise aux sectateurs du déterminisme, il sera toujours impossible de tout collecter, de tout traiter, de tout analyser, comme d’ailleurs de tout censurer et de tous nous embastiller. D’où le second fondamental : à l’image de la société américaine, le cyber ne tient que dans l’acceptation de leur propre surveillance par les citoyens. Que se passera-t-il s’ils se comportent désormais comme des objets quantiques, ne donnant que les informations qu’ils veulent bien donner, les fragmentant, les dégradant, contournant les systèmes de surveillance et réalisant non seulement que c’est possible mais qu’ils s’en sortent très bien ?

    Imagine-t-on surtout les Français, héritiers de mille ans de luttes pour des libertés chèrement acquises, co-inventeurs avec leurs cousins anglais des droits de l’homme et du régime parlementaire, jeter leur Histoire aux orties pour adopter une pensée, des institutions, un mode de vie venu de l’autre côté de l’océan ? Que nos politiques, nos services et nos armées ne le comprennent pas, et pour ce faire qu’ils envisagent, à mots désormais à peine couverts, de détruire nos libertés et un système politique bi-séculaire, est vraiment le signe d’une déréliction de nos prétendues élites, sauf à ce qu’ils acceptent par avance de voir leurs têtes se promener un jour au bout de piques.

    Le cyber est désormais un grand champ de ruines conceptuelles. S’il faut sacrifier le cyber pour ne pas nous laisser emporter dans le gouffre américain, sacrifions-le ! C’est un choix de société et même de civilisation.

    Il est minuit moins une

    Il va falloir trancher. Il est déjà tard, très tard, trop tard presque, pour ne pas entendre sous peu le président américain de nouveau ironiser : pourquoi aurions-nous intercepté l’avion de Snowden, les Mirage de Creil s’en sont chargé.

    On va finir par regretter la SFIO et un Guy Mollet parti pour Suez sans les Américains et même contre eux, puisqu’une fois sur site nos avions avaient trouvé les navires de la VIe Flotte bord à bord avec les unités égyptiennes. Mais notre nouveau roi de Bourges n’a plus que quelques bandes picardes à sa disposition : encore deux Livres Blancs, et pour peu que leur chambre soit assez grande et la baignoire pas trop petite, nos enfants pourront jouer aux petits soldats avec la totalité de l’armée française en maquettes.

    Il faut accorder à Snowden cet asile qu’il nous demande, pas pour le bonhomme mais parce que les Etats-Unis ne comprennent que la manière forte et ne respectent que ceux qui leur tiennent tête. Même Mollet l’avait compris. Mais nos Young Leaders ne le peuvent pas. Ils vont laisser passer l’orage jusqu’à la prochaine crise, jusqu’à ce que la France de Montaigne et Diderot soit la dévastation dont rêvent ces « Européens apostasiés » que sont les Américains, comme l’écrivait D.H Lawrence qui ajoutait : « Voyez l’Amérique prise dans ses propres barbelés et dominée par ses machines. Entièrement dominée par ses barbelés moraux et ses “tu dois !”, “tu ne dois pas !”. Quelle farce ! Là est votre chance, Européens ! Lâchez les brides de l’enfer, reprenez votre dû ! »

    Oui, je sais, chère Véronique, j’ai déjà cité cet extrait dans mon American Parano. Mais dans cette affaire, le plus grand risque que je coure n’est certainement pas de me répéter.

    Jean-Philippe Immarigeon (Theatrum Belli, 3 juillet 2013)

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  • Kosovo, l'Etat mafieux ?...

    Les éditions Fayard publient cette semaine une nouvelle enquête de Pierre Péan intitulée Kosovo - Une guerre « juste » pour un État mafieux. Journaliste indépendant, Pierre péan est l'auteur de plusieurs enquêtes décapantes comme La face cachée du Monde (Mille et une nuits, 2003), Le monde selon K. (Fayard, 2009) ou Carnages - Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique (Fayard, 2010). Il a récemment signé, avec Philippe Cohen, Le Pen, une histoire française (Robert Laffont, 2012), une biographie de Jean-Marie Le Pen.

     

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    " La première guerre de l’OTAN a été menée au nom des droits de l’homme : frapper fort pour « prévenir un génocide » et stopper les troupes serbes menaçant des populations civiles. Elle était pourtant illégale. Pendant 78 jours, au printemps 1999, l’Alliance emmenée par les États-Unis a bombardé la Serbie, y compris le Kosovo, alors sa province, avec le soutien enthousiaste de la plupart des intellectuels et médias français. La même Alliance, soutenue par l’Europe, a détaché de la Serbie le Kosovo pour en faire, en 2008, un nouvel État qu’elle a adoubé. 
    Quatorze ans après, où en est le Kosovo « démocratique » et « pluri-ethnique » ? Voici un droit de suite – un de plus – dont nous avons été privés. En dépit de ses déclarations d’autosatisfaction, la communauté internationale a failli. Une véritable purification ethnique a débarrassé le Kosovo d'une grande partie de ses minorités (en premier lieu, serbes et roms), au lendemain de l’intervention de l’OTAN et en 2004. Au centre des trafics dans les Balkans, le nouvel Etat est dirigé par les leaders issus des rangs de l’UÇK, l’ancien mouvement indépendantiste armé, hier encore présentés comme les « combattants de la liberté », et aujourd’hui connus pour leurs liens avec le crime organisé. 
    Pierre Péan démontre la terrible duplicité de la communauté internationale, États-Unis en tête. Tous, Américains, Britanniques, Français et Allemands, savaient parfaitement à qui ils avaient affaire ; leurs services ont souvent appuyé ou formé militairement plusieurs des leaders de l’UÇK. L’auteur révèle que la France mena de facto une politique à double face pendant et aussitôt après la guerre… Depuis, ni Washington ni Paris n’ont jamais voulu désavouer leurs anciens protégés. Même la justice internationale et l’ONU ont été entravées. Voilà comment un effrayant trafic d’organes, mis au jour dès 2003 par des membres de la Mission d’administration du Kosovo de l’ONU, a été étouffé pendant sept ans… Pourtant, le constat, effroyable, des exactions et crimes commis ou couverts par le nouveau régime est abondamment documenté par nombreux enquêteurs internationaux, magistrats et agents de services de renseignement présents sur le terrain. Pierre Péan est allé à la rencontre de ces victimes ignorées par l’opinion internationale. Ce livre lève un coin du voile. "

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  • La face cachée du clan Kennedy

    Nous vous signalons la réédition dans la collection Archipoche de La face cachée du clan Kennedy, une enquête du journaliste américain Seymour Hersh. On lira avec intérêt le démontage en régle de ce politicien lié à la mafia, arrivé à la présidence des Etats-Unis dans des conditions suspectes et que sa "belle gueule" et sa fin tragique ont réussi à transformer en icône intouchable du XXième siècle...

     

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    " L'assassinat du président Kennedy, le 22 novembre 1963, en a fait un personnage mythique, un monument auquel peu de journalistes ont jusqu'à présent osé s'attaquer. Seymour Hersh révèle dans cet ouvrage - témoignages et documents inédits à l'appui - que l'entrée de JFK à la Maison-Blanche inaugura en réalité le règne du mensonge, de la mafia, du sexe et de la magouille.
    Ce livre démontre que les faiblesses de caractère de l'homme l'empêchèrent en partie de remplir ses devoirs de Président. Il offre une réflexion sur le pouvoir de la beauté et met en scène des hommes et des femmes qui furent impressionnés par le magnétisme de Kennedy. Aujourd'hui encore, leur aveuglement perdure. Une enquête explosive qui a suscité aux États-Unis une controverse passionnée. "

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