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amérique - Page 16

  • Si rien n'est fait...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien, cueilli dans Libération, avec Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (François Bourin Editeur, 2011)

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    Journaliste et économiste, Jean-Michel Quatrepoint vient de publier Mourir pour le yuan? (chez François Bourin Editeur), une analyse de la stratégie de puissance de la Chine face au déclin consenti des puissances occidentales. Il explique les profonds déséquilibres, aggravés par la crise, qui se creusent au détriment de celles-ci.

    La question du yuan est au menu des discussions du G20 à Washington. Quel est le problème avec la monnaie chinoise?

    Le yuan est la monnaie de la seconde puissance mondiale, du premier pays en termes de détention de réserves de change. Or cette monnaie n'est pas convertible: la Chine exerce un contrôle des changes pour en contrôler strictement la valeur. Le yuan est considérablement sous-évalué. De plus, depuis trente ans, la stratégie de Pékin est d'indexer le yuan sur le dollar, pour que les évolutions de ces deux monnaies soient synchronisées.

    Quels sont les avantages de cette stratégie monétaire?

    Elle permet d'attirer les multinationales sur le sol chinois. Garder la monnaie sous-évaluée permet de produire moins cher. Les Chinois se souviennent qu'en 1985, Washington avait forcé les Japonais à réévaluer le yen, tordant le cou à l'industrie japonaise. Ils ne laisseront pas la même chose leur arriver.

    Par ailleurs, indexer le yuan sur le dollar, c'est garantir aux multinationales qu'elles ne prennent pas de risques de change. En retour, la Chine demande à celles-ci de produire pour l'exportation, pas pour le marché local. C'est une stratégie géniale, un pacte gagnant-gagnant: les multinationales engrangent les bénéfices, et la Chine les excédents commerciaux. Aux dépens de l'industrie et des balances commerciales de l'Europe et des Etats-Unis, qui perdent des emplois et des capitaux.

    Quel est l'intérêt pour la Chine d'accumuler ces excédents?

    D'abord, le pays ne peut pas basculer brutalement d'un modèle mercantiliste, basé sur l'exportation, à un modèle de consommation intérieure. Ensuite, la Chine vieillit, comme l'Allemagne: dans 20 ou 30 ans, il faudra financer un grand nombre de retraites. D'où le besoin d'engranger des recettes à l'export.

    Enfin, celles-ci permettent de racheter des actifs. Par exemple des bons du Trésor américain, c'est-à-dire la dette publique des Etats-Unis. Pékin se tourne aussi de plus en plus vers des actifs tangibles: telle ou telle entreprise qui dispose d'une technologie convoitée, telle autre, point d'entrée pour un marché particulier. On s'attend aussi à une importance croissante de la Chine dans la finance.

    Quelles sont les conséquences de cette politique pour les économies occidentales?

    Elle entraîne pour l'Europe et les Etats-Unis des déficits commerciaux considérables. Non seulement les emplois, mais aussi les capitaux sont délocalisés en Asie. Les multinationales n'investissent plus en Occident. Qu'est-ce qu'il reste? Des emplois publics, avec lesquels on espère masquer l'hémorragie d'emplois marchands. Tandis que l'on fait des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux super-riches.

    Est-il impossible de faire pression sur la Chine pour qu'elle infléchisse sa politique monétaire?

    L'erreur a été de l'admettre à l'OMC, en 2001, sans lui demander de renoncer au contrôle des changes. Entre 2005 et 2008, la Chine a procédé à une réévaluation par petites touches, 1% de temps de en temps, sous la pression internationale. Avec l'arrivée de la crise, ils se sont complètement réindéxés sur le dollar. Depuis quelques mois, ils ont repris leurs petites réévaluations. Mais pour mettre le yuan à son niveau réel, il faudrait le réévaluer de 30 ou 40%. D'un autre côté, on peut comprendre les Chinois, qui ne veulent pas alimenter l'inflation par une hausse importante.

    Mais, en l'absence d'une forte demande intérieure, la Chine n'a-t-elle pas intérêt à la prospérité de ses principaux partenaires commerciaux?

    Elle est obligée à un pilotage assez fin. Mais globalement, on est à un moment où la machine économique échappe à ses acteurs. Plus personne ne maîtrise plus rien, et Pékin ne peut pas racheter les dettes de tous les Etats européens. Les Chinois se sont déclarés prêts à aider, mais c'est surtout un effet d'annonce.

    Peut-on espérer un front uni des Occidentaux sur le yuan lors du G20 de Cannes, début novembre?

    Je crains que les Européens ne soient pas unis. Le principal partenaire de la Chine en Europe, c'est l'Allemagne, qui a adopté la même stratégie mercantiliste en réalisant ses excédents sur la zone euro. Le fait que l'euro soit trop fort par rapport au yuan, les Allemands s'en fichent: ils occupent la niche du haut de gamme. Le taux de l'euro, ça joue peu quand on vend des Mercedes. C'est plutôt nous, Français, qui sommes concernés par la question. Quant aux Américains, qui seraient les seuls à pouvoir faire pression sur la Chine, ils ne remettent pas en cause son adhésion à l'OMC, par attachement au libre-échange. Ils n'ont pas compris les problèmes que pose leur déficit commercial, alors que l'Amérique s'appauvrit.

    Il ne faut donc pas trop compter, selon vous, sur les grands changements annoncés?

    Non. Les Chinois veulent que leur monnaie devienne à terme la seconde devise mondiale, voire la première. Ils ont déjà suggéré aux autres puissances émergentes de ne plus utiliser le dollar pour leurs échanges entre elles, mais une monnaie commune, et pourquoi pas le yuan...

    Que peut faire l'Europe face à cette nouvelle super-puissance chinoise?

    L'Europe à 27 est une hérésie. La France doit se mettre à table avec l'Allemagne et discuter d'une nouvelle étape de la construction européenne. Peut-on continuer à vivre ensemble, avec les compromis que cela implique? Il faut alors construire une vraie puissance européenne, avec une vraie géostratégie. Les brésiliens ont créé des taxes à l'importation, obligent Apple à produire sur place, idem pour les voitures. L'Europe doit y venir aussi.

    Pourquoi avoir titré votre livre «Mourir pour le yuan»?

    A la longue, si rien ne se passe, si on continue à accumuler les déséquilibres, comme au début du XXe siècle, l'issue sera la même: la guerre.

    Propos recueilli par Dominique Albertini

    Libération (24 septembre 2011)
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  • Ce n’est pas un complot, c’est la stratégie !...

    Nous reproduisons un excellent point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site Regards sur le renversement du monde, dans lequel il appelle les Européens à exercer leur souveraineté à combattre l'intolérable entreprise d'hégémonie des Etats-Unis...

     

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    Ce n’est pas un complot, c’est la stratégie !

    « L’Europe est devenue un protectorat des Américains » - Hervé Morin, ancien Ministre de la Défense (cité par le général Desportes, dans Le Débat – Gallimard – Septembre 2011)

    De l’affaire DSK au krach bancaire et boursier actuel, la théorie du complot nous est resservie à toutes les sauces et sur tous les tons. Le problème n’est pas qu’il ne puisse y avoir ici et là, action concertée pour obtenir un avantage indu ou créer une situation profitable. Le problème est que la théorie du complot fait manquer l’essentiel.

    Les faits sont là. Les attaques contre la crédibilité des Etats les plus endettés de l’Union européenne ont débuté le mois même où les émissions en euro, dans le monde, dépassaient les émissions en dollars. Depuis un an, de FoxNews au Wall Street Journal et du Financial Times à The Economist, toute information de nature à effrayer les investisseurs et les opérateurs au sujet de l’Europe a été délibérément et démesurément grossie, telles ces photos savamment travaillées pour donner l’impression que les anodines manifestations à Athènes tournaient à la guerre civile, ou encore la décision de Siemens, en juillet, de réduire ses engagements auprès de telle ou telle banque française, publiée dans la semaine du 16 septembre comme un scoop ! Internet a servi à propager efficacement des rumeurs, des bruits de marché, des informations invérifiables, toutes visant successivement telle ou telle banque française, telle ou telle alerte sur les dettes publiques – et dont plusieurs font l’objet d’une instruction en justice. De manière plus discrète, les actions hostiles aux gouvernements qui avaient décidé de ne plus utiliser le dollar dans leurs transactions commerciales se sont multipliées, visant le Venezuela, la Bolivie, l’Iran, le Salvador, etc. dans une incompréhension totale de l’Union européenne, aveuglée par la propagande des Américains et de leurs alliés. De manière tout à fait ouverte au contraire, l’exploitation de la dégradation du rating de deux banques françaises et l’obscur débat sur leur recapitalisation ont permis de créer une situation aberrante, mais proche de l’irréversible, non sur les maillons faibles, mais au cœur même du système bancaire français et européen.

    Les faits sont là, et devraient suffire à invalider la théorie du complot. Ce ne sont pas les gnomes de Wall Street ou les manipulateurs de Goldman Sachs qui sont en jeu, c’est l’intérêt national américain ! L’aveuglement européen, la complaisance des institutions européennes, voire la complicité des eurocrates, ont pour simple et directe explication le déni de l’intérêt national, de la préférence nationale, et des enjeux nationaux dont les partisans de  l’Union se sont fait une doctrine ! Seuls dans le monde, les Français, et les Européens de Bruxelles, n’osent pas affirmer tranquillement qu’ils se battent pour la France et les Français, pour l’Europe et les Européens, que leurs intérêts passent avant ceux de tous les autres, et que la défense des intérêts qu’ils reconnaissent comme vitaux passe avant tout – avant toutes les doctrines, toutes les amitiés et surtout, avant les intérêts de tous les autres ! Chinois, Américains, Russes, comme tant d’autres, ont assez prouvé quelle conception exigeante ils avaient de leur intérêt national, et combien peu ils s’interrogeaient sur les moyens de le faire prévaloir !

    Les circonstances sont claires ; la position hégémonique des Etats-Unis ne repose, pendant combien de temps, que sur deux points ; le dollar et les armes. Le soft power européen, la capacité à édicter des normes universelles, la diversité interne des peuples européens, exercent dans le monde une attraction qui balance le rêve américain. La prospérité de la classe moyenne européenne fait de l’Europe le premier marché du monde. Le savoir-faire industriel de l’Europe, de l’Allemagne en particulier, fait des infrastructures de marché ( clearing and settlement, chambres de compensation, gestion des titres ) les plus performantes au monde. Le savoir mathématique des Européens, des Français notamment, fait d’eux les maîtres des marchés dérivés. Et l’euro menace de faire jeu égal avec le dollar, donc de lui retirer l’exorbitant privilège d’émettre de la monnaie sans aucun coût, puisque le reste du monde continue d’accepter le dollar pour tous ses échanges ! Et certaines banques européennes menaçaient le privilège de la haute banque anglo-américaine, et pouvaient même avoir quelques velléités de ne pas respecter les embargos et les interdictions par lesquels les Américains et leurs alliés entendent ramener à l’âge de pierre, de la famine et des tribus, ceux qui osent défier leurs intérêts ! La percée bancaire et financière de l’Europe menace les Etats-Unis et la City d’un 11 septembre bancaire et financier ! Des banques européennes ont eu le courage de continuer à travailler avec Cuba, avec la Russie, avec Madagascar ou la Syrie ; qu’elles tombent ! Le pouvoir d’achat – non, la capacité à s’endetter – du consommateur américain est en jeu, comme la capacité des Etats-Unis à décider qui sont les bons, qui sont les méchants, selon leurs intérêts, ou l’idée qu’ils s’en font ! Des banques sans capacité à recruter et à investir, des systèmes soumis à l’espionnage permanent des Américains, comme l’exemple de Swift ou du transport aérien l’a montré, voilà l’ordre rétabli et la police américaine rétablie dans sa colonie européenne !

    La situation est claire, et demande distance et modération. Les Etats-Unis, pas plus que la Chine ou la Russie, ne sont l’ennemi de l’Europe. Mais la situation née de la  colonisation américaine de l’Europe de l’Ouest effectuée depuis 1944 n’a pas connu l’issue de la colonisation soviétique de l’Europe de l’Est ; le Mur de l’Est est tombé, le Mur de l’Ouest n’est pas tombé. Il suffit pour apprécier la situation de suivre les ingérences permanentes, multiples, devenues naturelles, des ambassades, des agences et des représentants américains en Europe, depuis les actions en banlieue d’un ambassadeur des Etats-Unis à Paris, M. Charles Rivkin, qui se croit autorisé à promouvoir un multiculturalisme que refusent les Français, sans être convoqué pour rendre des comptes, jusqu’à l’incroyable présence de M. Timothy Geithner au sommet polonais des Ministres des finances de l’Union, venus écouter la leçon du faux monnayeur !

    Nous sommes face à un intérêt stratégique américain contraire à notre intérêt stratégique. Nous ne sommes pas seuls. D’autres partagent nos préoccupations, au nom de leur propre intérêt national ; et pas seulement la Chine. Le meilleur allié de l’Union européenne est l’aversion universelle que suscite la fuite en avant des Etats-Unis et, désormais, la peur qu’elle inspire. Nous ne manquons pas d’outils. Derrière la notion de criminalité organisée, maintes actions des banques ou des intermédiaires américains méritent l’attention, l’enquête, et la sanction, notamment l’interdiction d’exercer sur le territoire européen et la saisie de leurs actifs. Ce sont là certes des « warlike measures ». Révélés par Wikileaks, ce sont les termes mêmes qu’employait l’ambassadeur des Etats-Unis pour qualifier les mesures qu’il préconisait pour ouvrir de force la France aux OGM. Elles ne seront pas de trop. En la matière, la réciprocité est un principe sain de l’amitié durable entre les peuples.

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 26 Septembre 2011)

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  • Mourir pour le yuan ?...

    Les éditions François Bourin viennent de publier Mourir pour le Yuan ?  - Comment éviter une guerre mondiale, de Jean-Michel Quatrepoint. Journaliste et professeur d'économie, Jean-Michel Quatrepoint dénonce le déclin consenti de l'Europe face à la Chine et en appelle à une politique de puissance du noyau carolingien de notre continent. Sinon, l'accumulation des déséquilibres mènera inéluctablement à la guerre...

     

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    "Faillite de la Grèce. Endettement record des États-Unis. Crise de l’euro. Rigueur et austérité un peu partout en Occident.
    Chômage de masse. Économies exsangues. La globalisation, censée apporter bonheur et prospérité au plus grand nombre, tourne au cauchemar pour des centaines de millions de membres des classes moyennes, lentement mais sûrement paupérisés. Trois ans après la chute de Lehman Brothers, rien n’a été réglé. Bien au contraire. Les causes de la crise – déséquilibres commerciaux et déficits qui en découlent – sont toujours là. La Chine, avec son yuan sous-évalué, continue d’engranger des excédents et poursuit sa stratégie de conquête. L’Allemagne mercantiliste est tentée de jouer cavalier seul. Multinationales et financiers imposent leurs lois à des États de plus en plus impuissants. Les inégalités explosent, et avec elles, les risques d’implosion sociale.
    Comment éviter la catastrophe qui s’annonce ? Comment faire pour que cette seconde globalisation ne connaisse pas le même sort que la première, qui s’est fracassée un jour d’août 1914 ?"
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  • La nouvelle impuissance américaine...

    Les éditions L'Oeuvre viennent de publier un essai d'Olivier Zajec, intitulé La nouvelle impuissance américaine - Essai sur dix années d'autodissolution stratégique. L'auteur, saint-cyrien, agrégé d'histoire et diplômé de Sciences-po, est directeur d'un cabinet de conseil et publie régulièrement des articles de géopolitique et de relations internationales  (Le Monde diplomatique, la Revue de Défense nationale, Monde chinois, Stratégique, Défense et Sécurité internationale).

     

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    "Le XXIe siècle sera-t-il américain, comme l’a été le XXe ? Rien n’est moins sûr. Devenus dominants après la Première Guerre mondiale, les États-Unis sont aujourd’hui une puissance déclinante et surendettée. Malgré un budget militaire faramineux, les États-Unis n’arrivent plus à imposer leur loi, comme ce fut le cas après la chute de l’URSS. Après la chute de l’URSS, la chute des États-Unis ? Avec un sens aigu de l’analyse, Olivier Zajec brosse dans la Nouvelle impuissance américaine un portrait inattendu du monde. Les États-Unis se désintéressent de l’Europe qui va se diviser entre pays adeptes de l’atlantisme (Grande-Bretagne, Hollande, Espagne, Portugal), et ceux qui seront tentés par un rapprochement avec la Russie (France, Allemagne, Italie). Le principal intérêt de ce livre est néanmoins l’état du monde dix ans après le 11 septembre 2001. Le XXIe siècle naît sous nos yeux, et il sera différent du XXe."

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  • Confessions d'un assassin financier...

    John Perkins est l'auteur d'un livre fracassant intitulé Confessions d'un assassin financier (Alterre éditions, 2005) dans lesquels il révèle son expérience de "tueur à gages" financier chargé d'amener, sous couvert de conseils et d'aide aux développement, les pays du tiers-monde, et les autres, à s'endetter et à perdre ainsi progressivement leur autonomie et leur indépendance. Le livre, qui a eu un trés fort retentissement aux Etats-Unis, n'a été publié en France que par une maison d'éditions relativement confidentielle... Dans la vidéo que vous pouvez visionner ci-dessous, John Perkins synthétise le propos de son livre. Intéressant...

     


    John Perkins, confessions d'un corrupteur de... par Nzwamba

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  • L'art de bâcler ses guerres...

    Nous reproduisons ci-dessous ce point de vue de Georges-Henri Bricet des Vallons, publié dans Valeurs actuelles (18 août 2011), lucide et sans concession sur l'inconsistance de la politique de notre pays dans la guerre d'Afghanistan. Chercheur en sciences politiques, spécialisé dans les questions stratégiques, Georges-Henri Bricet des Vallons est l'auteur d'un essai intitulé Irak, terre mercenaire (Favre, 2009) et a dirigé un ouvrage collectif intitulé Faut-il brûler la contre-insurrection (Choiseul, 2010).



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    L'art de bâcler ses guerres



    Avant de savoir finir une guerre, il faut savoir la commencer. On ne sait ce qu’il y a de plus accablant dans l’annonce de notre retrait d’Afghanistan, le mois dernier : notre mimétisme vis-à-vis des Américains ou, ce qui va de pair, l’inconsistance totale du politique dans la conduite de la guerre ? Tout au long de ces dix années de conflit, l’Élysée n’aura été que de demi-mesure en demi-mesure. Ceux qui décident de faire la guerre à moitié l’ont perdue dès le départ et complètement. Voilà la leçon. Elle est définitive et implacable.

    La suite de notre retrait d’Afghanistan, achevé en 2014 ? On la connaît. Les écoles pour femmes fermeront. La burqa reprendra pleinement ses droits à Kaboul. Musique et cinéma seront à nouveau bannis.

    Voilà pour l’argument, pour l’affichage télégénique. La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan. Ils se concentreront sur le pays “utile”, entendez celui qui rapporte. Comme en 1996, où l’empire s’était fort peu ému de la victoire des talibans, les États-Unis négocieront avec le nouveau gouvernement de coalition formé par les réseaux Karzaï et ceux du mollah Omar une rente suffisante pour étouffer en surface les velléités antioccidentales et garantir la sécurité du Transafghanistan Pipeline. Les logiques de baronnies reflueront, le pays se déchirera à nouveau et la routine ancestrale de la guerre civile afghane reprendra ses droits, sans pour autant représenter une menace globale. Il n’y aura, comme aujourd’hui, ni paix ni guerre véritables.

    Seigneurs de guerre et talibans peuvent dire merci aux torrents de dollars que les Américains ont jetés à fonds perdus dans l’effort d’une chimérique reconstruction d’une nation jamais construite et qu’ils n’ont, d’ailleurs, jamais eu l’intention de construire : 400 millions de dollars par an auraient ainsi été brûlés au profit des rebelles, selon le Congrès américain. L’empire a acheté la paix tactique en Afghanistan comme on achète la paix sociale dans nos banlieues mais, cahin-caha, il tient le pays, grâce, il faut le dire, à l’apport de ses supplétifs européens, merveilleuse béquille prête à tout pour satisfaire un hégémon boiteux, qui traîne et endure son ahurissant budget militaire de 700 milliards de dollars comme un pied bot.

    Le cynisme de la gestion américaine a au moins le mérite de servir, sinon son peuple, tout du moins sa puissance géoéconomique. Mais que dire de notre rôle à nous Français dans cette guerre ? Certes, sur le fond, cette décision est bonne : la guerre n’a jamais été menée pour servir l’intérêt de la France. Nous n’avons jamais été en Afghanistan des alliés pour les Américains, tout au plus un bien utile réservoir de main-d’oeuvre destiné à faire de la tactique de détail et c’est ce que nos hommes ont fait, avec une grande témérité et un grand panache. La conclusion annoncée de “notre” guerre, l’extraordinaire gâchis d’énergie et d’argent qu’elle contresigne, n’en prend que plus aux tripes. Que vaudront nos succès tactiques en Kapisa et en Surobi, sur le temps long ? Que restera-t-il de l’action des colonels Le Nen, Heluin, Durieux ? Une Bronze Star, juste récompense due aux vassaux, remisée sur l’étagère poussiéreuse d’un musée de régiment ? Tribut de la servitude volontaire.

    Enfin, au bilan de cet engagement bâclé, il faudra se souvenir du mépris, de l’extraordinaire mépris du politique et de ses calculs d’épicier : faut-il rappeler que le ministère de la Défense a attendu 2011 pour reconnaître officiellement notre engagement en Afghanistan comme une “guerre”, simplement pour ne pas avoir à payer les frais de la campagne double à nos soldats ?

    Les simulacres cérémoniels ont tendance à nous faire oublier que, dans l’alcôve des ministères, le démantèlement de l’outil militaire, déjà cassé, va son train : effectifs sabrés par dizaines de milliers à la hache de la RGPP qui tient lieu à notre classe politique de seul plan stratégique, réformes menées en fonction de postulats purement technocratiques comme celle, aberrante, des bases de défense ou du système d’information financière Chorus, réduction continue du format et du contrat opérationnel des armées, abandon de nos positions en Afrique, non-respect systématique des lois de programmation budgétaire, etc. Ce débat, ce n’est pas aux hommes politiques, qui se satisfont trop bien de la marginalité des questions de défense, qu’il incombe de le porter, mais bien aux armées, à nos officiers, à nos soldats. C’est eux et eux seuls qui sont en mesure de mettre les enjeux de la défense au cœur de la campagne. Pour ce faire, et pour exorciser définitivement le fantôme de 1940, il faut qu’ils parlent : haut et fort. 

    Georges-Henri Bricet des Vallons ( Valeurs actuelles, 18 août 2011)

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