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alain de benoist - Page 95

  • Des bonnets rouges partout !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la crise politique et sociale qui parait s'installer durablement dans notre pays...

     

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    Un seul mot d’ordre : des « bonnets rouges » partout !

    Crise de régime, crise de société ou révolution : selon vous, sommes-nous en 1958, 1968 ou 1788 ?

    J’aimerais être en 1788, et que se produise à nouveau une révolution. J’aimerais être en 1958, et qu’apparaisse un nouveau de Gaulle. J’aimerais être en 1968, et qu’il y ait à nouveau une grève générale. Mais nous sommes en 2013, et l’histoire ne repasse pas les plats. La crise actuelle a déjà provoqué une multitude de dégâts sociaux, mais elle n’a pas encore engendré la mutation culturelle qu’elle requiert. Les gens ne sont visiblement pas prêts à changer leur mode de vie. Ils attendent toujours le « retour à la croissance » en s’imaginant qu’une croissance matérielle infinie est possible dans un espace fini. Ils descendent dans la rue, mais en été ils partent en vacances et le soir ils regardent la télévision. Il n’en ira pas de même lorsque les rayons des supermarchés seront vides, qu’il n’y aura plus d’essence à la pompe et que l’État cessera de payer les retraites et les salaires des fonctionnaires. Mais on n’en est pas encore là.

    Le climat actuel est certes un climat délétère comme on en a rarement vu. La droite s’est discrédité politiquement, la gauche est en train de se discréditer socialement. Pessimisme, exaspération, défiance, colère, accablement, sont les mots qui reviennent partout. Mais comme l’a dit Dominique Jamet, « dix mille révoltes ne font pas une révolution ». La marmite sociale bouillonne mais ne déborde pas. L’explosion politique et sociale était un trait de la modernité. La postmodernité est plutôt l’époque de l’implosion. Il manque le grain de sable qui bloque la machine. Il manque l’étincelle qui met le feu à la plaine, comme disait le bon président Mao.

    Il reste à ceux qui n’en peuvent plus à comprendre que la situation actuelle ne s’explique pas seulement par la nullité de François Hollande, l’incompétence des « socialistes » (sic) ou le laxisme de Taubira, mais que nous sommes en présence d’une crise structurelle d’un « turbocapitalisme » financier déconnecté de l’économie réelle, d’une dictature des marchés financiers et des agences de notation, de l’enfermement volontaire des États-nations dans le système usuraire d’une dette qui ne pourra jamais être payée (aussi longtemps que la France devra trouver chaque année 50 milliards d’euros pour payer les seuls intérêts de sa dette, il est vain d’espérer quoi que ce soit). C’est une crise qui pose la question du politique face à l’économique, la question de l’état d’exception face à une « gouvernance » qui n’est que l’autre nom de la gestion du système en place. Face à cette crise, les dirigeants d’hier ne valaient pas mieux que ceux d’aujourd’hui, et ceux d’aujourd’hui ne sont sans doute pas pires que ceux de demain. C’est pourquoi on ne voit pas actuellement d’alternative, mais seulement des alternances possibles. L’alternance et l’alternative, ce n’est pas du tout la même chose.

    Pour l’heure, le plus significatif est que tous les mouvements de protestation ou de révolte d’une certaine ampleur auxquels nous assistons naissent en marge ou à l’écart des partis et des syndicats, lesquels ne sont de toute évidence plus capables d’incarner ou de relayer les aspirations du peuple. Tout aussi remarquable est que ces mouvements, nés d’une protestation ponctuelle (contre le mariage gay, contre le projet d’écotaxe), débordent très vite vers une protestation plus générale. En ce sens, les bonnets phrygiens de « la Manif pour tous » répondaient par avance aux « bonnets rouges » – ces bonnets dont la Convention avait décrété, le 18 septembre 1793, qu’ils étaient l’« emblème du civisme et de la liberté ».

    Alors, dans l’immédiat, un seul mot d’ordre : des « bonnets rouges » partout !

    Alain de Benoist (Boulevard Voltaire, 23 novembre 2013)

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  • Ces crimes qui ont changé la face du monde... ou non !

    Spectacle du Monde 2013-11.jpg

     

    Le numéro de novembre 2013 de la revue Le spectacle du monde est en kiosque. 

    Le dossier est consacré aux assassinats politiques. On pourra y lire, notamment, des articles d'Eric Branca ("L'histoire au miroir du crime"), de Charlotte Morel ("JFK, l'assassinat du siècle"), de Mathilde Tingaud ("Le sang de César"), de Jean-Joël Brégeon ("L'«exécution» du duc de Guise" ; "Une jeune fille contre Marat"), de Cyril de Beketch ("Pâris, tueur de régicide"), d'Arnaud Folch ("Sadi Carnot, Paul Doumer, présidents et martyrs") et de Claude Jacquemart ("Il faut tuer Darlan")..

    Hors dossier, on pourra aussi lire, notamment, des articles de Fabrice Madouas ("Jean Sévillia, la passion de la France" ; "Retour au Camp des Saints), de Pauline Quillon ("L'Hexagone «incorrect» de Lorànt Deutsch") ou de François Bousquet ("Richard Millet, du sang, de la volupté et de la mort" ; "Le fantasme du Même"). Et on retrouvera aussi  les chroniques d'Eric Zemmour ("Le moment de vérité"), de Patrice de Plunkett ("Batailles insolites") et de François d'Orcival ("Hollande ne tient plus la gauche").

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  • Les démons du Bien...

    Les éditions Pierre-Guillaume de Roux viennent de publier Les démons du Bien, le nouvel essai d'Alain de Benoist. Essayiste et philosophe, directeur des revues Krisis et Nouvelle Ecole, Alain de Benoist a récemment publié Edouard Berth ou le socialisme héroïque (Pardès, 2013), une biographie de l'intellectuel non-conformiste Edouard Berth. Il a par ailleurs publié en 2012 Mémoire vive (De Fallois, 2012).

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    " Les démons du bien ? C’est d’abord le nouvel ordre moral qui, sous prétexte de créer une « société plus juste », a entrepris de normer les conduites des citoyens, désormais soumis à l’hygiénisme dispensé par un État « maternel » qui cherche à mettre en place une société de surveillance totale. C’est aussi la « bêtification contemporaine » qui rabat le politique sur la sphère privée, promeut l’inculture patronnée par la raison marchande, et aboutit à instaurer le degré zéro de la vie sociale.

    C’est enfin l’idéologie du genre qui, fondée sur un fantasme d’auto-engendrement, prétend que la différence des sexes n’est qu’une illusion. Que devient alors la « différence des différences » (Michel Schneider), cette dualité des sexes sans laquelle il ne saurait y avoir de construction de soi ? Elle s’efface dans un vaste mouvement de mélangisme généralisé abolissant d’un même mouvement le masculin et le féminin. L’idéologie du genre, c’est le grand retour du cache-sexe. Le rêve d’une postmodernité post-sexuelle où, faute d’avoir créé une société sans classes, on aurait une société sans sexes. Une société où la « libération du désir » signifierait, non plus qu’il faut libérer le désir, mais qu’il faut s’en libérer. Un rêve d’indistinction, un rêve de mort. "

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  • A propos de Nietzsche... (2)

    Nous reproduisons ci-dessous les réponses d'Alain de Benoist aux questions posées par le site Nietzsche Académie.Directeur des revues Krisis et Nouvelle Ecole et éditorialiste de la revue Eléments, Alain de Benoist doit prochainement publier aux éditions Pierre-Guillaume de Roux un essai intitulé Les démons du Bien...

     

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    Alain de Benoist répond aux questions du site Nietzsche Académie

    Nietzsche Académie – Quelle importance a Nietzsche pour vous ?

    Alain de Benoist – Je l’ai découvert assez jeune, lorsque j’étais en classe de philosophie, soit vers l’âge de seize ans. Ce fut un éblouissement. Une révélation. C’est ce qui explique que, sur le plan philosophique, Nietzsche soit resté pour moi une référence indépassable pendant près de vingt ans. Autour des années 1980, cependant, c’est à Heidegger que j’ai fini par donner la première place. J’ai en effet été sensible à la critique faite par ce dernier de la philosophie de Nietzsche. Heidegger opère une distinction rigoureuse, qui a pour moi été décisive, entre ontologie et métaphysique. Il montre que, chez Nietzsche, la Volonté de Puissance – en réalité, Volonté vers (zur) la Puissance – est en péril de devenir simple volonté de volonté. Comme Nietzsche, Heidegger accorde une importance considérable à la question du nihilisme, mais il montre aussi que, face au nihilisme, la tâche la plus urgente n’est pas tant de substituer des valeurs à d’autres valeurs, fussent-elles opposées, mais de sortir de l’univers de la valeur, qui est une mutilation de l’Etre. Sa conclusion est que Nietzsche, dans la mesure où il demeure prisonnier de l’univers de la valeur, reste encore dans la métaphysique. Enfin, sur la question de la vérité, question nietzschéenne par excellence, ce que déduit Heidegger d’une méditation sur la notion grecque d’aléthéia, me paraît d’une profondeur inégalée.

    Cela dit, Heidegger n’est pas à ranger parmi les adversaires de Nietzsche. Il le critique, certes, mais il le prolonge aussi. On peut penser qu’il va plus loin que lui. La mise en perspective de la pensée nietzschéenne ne m’a donc pas conduit à l’abandonner, tant s’en faut. Il reste à mes yeux un tournant majeur de l’histoire de la pensée, un immense démystificateur, en même temps qu’un incontestable professeur d’existence. 

    NA – Quel livre de Nietzsche recommanderiez-vous ?

    AdB – Tous, bien entendu. Et l’on est d’autant moins excusable de s’en tenir à la lecture des œuvres les plus connues que l’on dispose aujourd’hui en France d’une excellente traduction de l’édition Colli-Montinari, qui a notamment l’immense mérite de proposer l’intégralité des fragments posthumes. Mais pour aborder Nietzsche, je conseillerais en priorité Le crépuscule des idoles (surtout pour son chapitre « Comment le “monde vrai” devient enfin une fable »), et plus encore La généalogie de la morale. A moins qu’on ne préfère commencer par son premier livre, L’origine de la tragédie (1872), dont il disait lui-même qu’il fut sa « première transmutation de toutes les valeurs ». Il faut en revanche éviter Ainsi parlait Zarathoustra, qui attire toujours le lecteur peu familier de Nietzsche parce qu’il paraît facile à lire, alors que, s’il est en effet « facile à lire », il est aussi très difficile à comprendre pour qui n’a pas déjà pénétré dans les arcanes de la pensée nietzschéenne.

    Enfin, on ne saurait aborder Nietzsche sans avoir un minimum de connaissance de la philosophie en général. Certes, Nietzsche n’est pas qu’un philosophe, au sens usuel du terme, mais il est aussi et d’abord cela. Qui n’est pas familiarisé avec l’histoire de la philosophie passera, en le lisant, à côté de bien des choses ou, pis encore, en tirera des conclusions erronées. Le fait que les œuvres de Nietzsche paraissent d’un accès « facile » – elles le sont en effet, comparées à celles de Kant ou de Hegel – explique qu’aucun philosophe, peut-être, n’a été autant que lui victime de contresens nés d’une information fragmentaire ou de lectures trop superficielles. C’est ce genre de contresens, par exemple, que commettent ceux qui voient dans la Volonté de Puissance une exaltation de la force physique, voire de la force brutale, alors qu’elle trouve avant tout chez Nietzsche sa source dans le détachement moral.

    NA – Etre nietzschéen, qu’est-ce que cela veut dire ?

    AdB - Je me le demande parfois, tant il y a chez certains de prétention à se déclarer tels. Henri Birault voyait juste, à mon avis, quand il disait qu’un « nietzschéen » est quelqu’un qui pense avec Nietzsche, et non pas comme lui. Nietzsche nous apprend un certain nombre de choses ; encore faut-il comprendre ce qu’il nous apprend. Etre nietzschéen, par exemple, c’est comprendre ce que signifie l’Eternel Retour, et se conformer soi-même à cette compréhension. C’est comprendre que le non-être n’a aucune teneur ontologique, et que la Vérité à majuscule n’est qu’un moyen de nier la vérité tout court, c’est-à-dire le réel. Avec Nietzsche, nous apprenons en effet à distinguer le « monde vrai » du réel, à faire appel au certum contre le verum. Le « monde vrai » est une fable. Le monde réel échappe à la Vérité dès l’instant que l’on a radicalement récusé l’au-delà : plus de « monde des apparences » s’il n’y a pas de monde des essences. Nietzsche ne récuse pas l’idée qu’il y a des choses véridiques et d’autres qui sont fausses, inexactes ou illusoires. Il dit que la Vérité est mensonge, mais mentir implique encore d’admettre qu’il y ait quelque chose qui soit non mensonger. La « vraie vérité » – la vérité de l’Etre – se moque de la vérité, comme la vraie raison se moque de la raison et la vraie morale de la morale.

    Etre nietzschéen, c’est comprendre ce que veut dire Nietzsche lorsqu’il dénonce ceux qui se veulent porteurs de « la plus longue mémoire », c’est-à-dire les « derniers hommes » (ceux qui « clignent de l’œil »), ces hommes auxquels appartient l’avenir immédiat et auxquels il oppose, dans La généalogie de la morale, la nécessité bienfaisante de l’oubli. La mémoire est le fondement de la morale, l’oubli la condition de l’innocence et de la création. Si Nietzsche se tourne vers les Grecs, ce n’est pas seulement, comme le dira Heidegger, parce que se mettre à leur écoute c’est se donner la possibilité d’un nouveau commencement, mais aussi parce que, pour lui, les Grecs sont ceux qui ont le plus aimé la vie : ils l’ont aimée au point de n’avoir pas eu besoin qu’elle ait un sens.     

    NA – Le nietzschéisme est-il de droite ou de gauche ?

    AdB –  La Vénus de Milo est-elle de droite ou de gauche ? Et la philosophie de Parménide ? Indépendamment du fait que les termes de « droite » et de « gauche » n’ont jusqu’à présent jamais reçu de définition satisfaisante (et qu’ils tendent à perdre aujourd’hui toute signification), il est évident que Nietzsche n’est pas un doctrinaire politique, même s’il s’est exprimé, en diverses occasions, sur un certain nombre de questions politiques (il critique l’idée de progrès, le socialisme égalitaire, le nationalisme allemand, l’antisémitisme, etc.). Nietzsche s’est engagé plutôt sur le terrain de l’anthropologie politique, dans l’intention d’apprendre à agir et penser autrement en politique. Il ne trace pas les contours d’une théorie politique, mais s’interroge sur le fondement de l’ordre politique.

    L’une de ses caractéristiques, par ailleurs, est qu’il n’a pas seulement influencé des penseurs, mais aussi des écrivains, des artistes, des hommes d’action. La raison tient à sa philosophie, au fait que les concepts à partir desquels il argumente diffèrent complètement, par exemple, du cogito cartésien, de l’impératif catégorique kantien, de l’Aufhebung hégélienne, de la durée bergsonienne, etc. Ce ne sont pas des concepts qui font système, mais des « ferments » qui engendrent avant tout des images. C’est ce qui explique que sa pensée ait pu marquer Thierry Maulnier, Paul Valéry, Roger Caillois, David Herbert Lawrence, Cioran ou Michel Tournier, sans oublier la vaste majorité des auteurs de la Révolution Conservatrice allemande (à la notable exception de Carl Schmitt), tout autant que des hommes « de gauche » comme Georges Bataille, Pierre Klossowski, Jack London, Georges Palante, George Bernard Shaw, Michel Foucault ou Gilles Deleuze (qui, comme Nietzsche, assignait à la philosophie la tâche de lutter contre la bêtise, celle-ci se définissant chez lui comme ce qui réduit les différences au semblable et le singulier au catégorisable). On peut donc très bien être un « nietzschéen de droite » ou « de gauche ». Inversement, la vulgate d’extrême droite sur la « volonté de puissance » et la « grande santé », qui se réclame de Nietzsche (généralement sans l’avoir beaucoup lu) pour légitimer le darwinisme social, la loi de la jungle, la haine de l’Autre et le déchaînement des instincts, n’a d’égale en bêtise que les condamnations haineuses d’une gauche qui confond immoralisme et amoralisme. Les uns et les autres se font d’ailleurs de Nietzsche la même idée fausse, les uns pour l’encenser ou l’embrigader, les autres pour le dénoncer comme un auteur répulsif.

    NA – Quels auteurs sont nietzschéens ?

    AdB - Vaste question. Si l’on s’en tient au champ de la pensée contemporaine, je dirais que, plus que Michel Maffesoli, qui tend à tirer le dionysiaque vers l’orgiaque collectif et l’exubérance sociale, le philosophe français le plus « nietzschéen » est à mes yeux Clément Rosset. Démystificateur tout comme le fut Nietzsche, Rosset a passé sa vie à critiquer la « duplication » du réel, à affirmer le caractère tragique de l’existence et la nécessité de l’éprouver avec allégresse et reconnaissance. Nietzsche dénonçait les « arrière-mondes » d’où proviennent la métaphysique, la religion et la morale. Pour Rosset, le réel est « idiot » au sens étymologique, c’est-à-dire singulier, absolument dépourvu de double ou de miroir. Le monde n’est porteur d’aucun sens global, il n’est redevable d’aucune interprétation morale, il n’est justifiable d’aucun devoir-être, et c’est en le reconnaissant comme tel qu’on accède à la joie. Gai savoir, amor fati : comme chez Nietzsche, pour qui la gaieté était de toute évidence d’essence musicale, le thème central de la pensée de Clément Rosset est la joie, l’allégresse, la jubilation. 

    NA – Pourriez-vous donner une définition du Surhomme ?

    AdB - Deux réponses doivent d’emblée être écartées : celle qui interprète la thématique du Surhomme comme une incitation faite à l’homme de se dépasser lui-même, et celle qui voit dans le Surhomme une sorte de superman, doté de pouvoirs surmultipliées. La première est banale : déjà chez Aristote, l’homme se dépasse lorsqu’il atteint son telos. La seconde est absurde. Nietzsche a d’ailleurs lui-même démenti, non sans rudesse (« d’autres ânes savants m’ont soupçonné de darwinisme »), l’idée que le Surhomme représenterait une race supérieure appelée à supplanter l’espèce humaine, à la suite d’un processus d’évolution ou de mutation ayant un rapport avec les biotechnologies ou la sélection naturelle : « Je ne pose pas ici ce problème : qu’est-ce qui doit remplacer l’humanité dans l’échelle des êtres ? […] mais : quel type d’homme doit-on élever, doit-on vouloir » (L’Antéchrist). On déraille, par conséquent, dès que l’on imagine le Surhomme à l’enseigne d’un quelconque superlatif, d’un simple « plus ». Le Surhomme est Über-Mensch, c’est-à-dire cet homme qui se tient au-dessus de l’homme tel qu’il a été jusqu’à présent, mais qui en même temps accomplit sa vérité destinale. Lorsque Nietzsche dit que l’homme est « quelque chose qui doit être surmonté » (et non pas « dépassé »), il faut mettre ce propos en rapport avec ce qu’il écrit par ailleurs sur la façon dont l’homme s’est institué comme un sur-animal, en surmontant la bête qui était en lui, puis en s’égarant dans l’au-delà (Humain, trop humain, I, 40). La vie elle-même se définit comme « ce qui doit toujours se surmonter soi-même » (Zarathoustra, II).

    Personnellement, je ne donne pas au Surhomme une place centrale dans la pensée de Nietzsche, dans la mesure où il ne m’apparaît que comme un prolongement, si l’on peut dire, de ce que le philosophe écrit à propos de l’Eternel Retour. C’est ce dernier thème qui est véritablement central, car il constitue la toile de fond sur laquelle s’inscrivent toutes les autres interrogations nietzschéennes. Selon la position que l’on adopte à son endroit, l’Eternel Retour est en effet révélateur de capacité d’affirmation ou de nihilisme. En outre, le Retour du Même est en même temps Retour de ce qui diffère, car « il n’y a que la différence qui se répète » (Deleuze). Avec le thème du Retour, Nietzsche critique bien entendu toute conceptualisation d’un temps linéaire, toute forme de conception linéaire de l’histoire, depuis le monothéisme biblique jusqu’à la philosophie historiciste de Hegel et de ses épigones. Mais il n’en revient pas non plus au temps cyclique des cultures archaïques. A la ligne, il n’oppose pas le cercle, mais la sphère. L’Eternel Retour est éternellement retour, il est éternel commencement. « A chaque instant l’Etre commence », dit Zarathoustra.

    Le Surhomme est d’abord celui qui a acquis la capacité de vouloir l’Eternel Retour, celui qui a réalisé en lui-même une métamorphose de la relation « trop humaine » à la temporalité, une métamorphose de son « voir » qui est aussi une métamorphose de son désir, en ce qu’étant devenu capable de penser, par-delà bien et mal, mais avec un amour joyeux, l’innocence du devenir et la tragédie de l’existence, il s’est aussi délivré du ressentiment. Le Surhomme porte remède au nihilisme en le surmontant (überwinden). Il s’affronte au nihil en mettant en langage le monde de la physis. Ce que Nietzsche définit comme aristocratique par excellence, c’est le « pathos de la distance » (La généalogie de la morale). Le Surhomme est capable de cette distance. Il n’est plus un esclave de l’immédiateté, au sens de la Vorbandenheit (l’être-là-devant) heideggérienne, mais il n’est pas non plus un solitaire. Nietzsche dit très clairement l’importance qu’il attache à la constitution du corps social, et même à l’« ek-stase » du vivre ensemble. Le Surhomme n’est pas un individu, mais un Type, une Forme, et à ce titre il a besoin de la communauté de ses pairs. C’est par là qu’il peut être aussi un pont, un projet, avant de devenir le « sens de la Terre ». 

    NA – Votre citation favorite de Nietzsche ?

    AdB - « Il n’y a pas de phénomènes moraux, il n’y a que des interprétations morales des phénomènes ». Mais j’aime aussi celle-ci : «Veux-tu avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui ».


    Alain de Benoist, propos recueillis par Olivier Meyer (Nietzsche Académie, 14 octobre 2013)

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  • L’école fabrique à la chaîne des narcissiques immatures...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Nicolas Gauthier et publié sur Boulevard Voltaire. Alain de Benoist y évoque la question de l'éducation et de l'école...

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    L’école fabrique à la chaîne des narcissiques immatures

    La réforme scolaire, c’est le mistigri que se refilent tous les ministres de l’Éducation nationale depuis des décennies, sachant que la dernière à peu près aboutie fut celle de René Haby, en 1974. Faut-il donc réformer notre système éducatif ? Et si oui, en quel sens ?

    Je crois malheureusement que ce système est devenu irréformable. L’homme est, à la naissance, un être inachevé. Pour se parfaire, il a besoin d’acquérir des connaissances et un savoir-faire. Il y avait autrefois diverses manières d’acquérir connaissances et savoir-faire. Aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une : l’école. Or, l’école est désormais plongée dans une crise généralisée. Beaucoup se bornent à constater des pathologies quotidiennes (violences, drogue, « incivilités », baisse de niveau, etc.) qui ne sont que des épiphénomènes. D’autres, non sans raison, dénoncent le centralisme étatique, l’inefficacité bureaucratique du « mammouth » de l’Éducation nationale, les aberrations du « pédagogisme » ou la croyance selon laquelle tout le monde peut suivre une scolarité poussée jusqu’au niveau universitaire. Mais c’est encore s’en tenir à la surface des choses. L’école est toujours le reflet de la société, en même temps qu’elle la renforce en reproduisant ses traits essentiels. La réforme du système éducatif est en ce sens indissociable d’un changement radical de société.

    À quoi sert ou devrait servir l’école ? Apprendre à lire, écrire et compter ? À réfléchir ? Ou à éduquer les citoyens, charge naguère dévolue à la famille ? Sachant que si l’on parle désormais d’ « Éducation », on se contentait naguère de simple « Instruction »

    L’idéal qui visait à « transformer l’homme » par l’éducation (à « régénérer l’humanité » par le « perfectionnement général de l’espèce », comme disait Condorcet) a de toute évidence fait faillite. Celui, plus modeste, qui visait à transformer les individus en citoyens (« c’est l’éducation qui doit donner aux âmes la forme nationale », assurait Rousseau) a pareillement échoué. Au moins ces deux idéaux reconnaissaient-ils la nécessité d’apprendre et de transmettre. C’est cette nécessité qui est aujourd’hui en question. L’école peut-elle transmettre (des noms, des récits, des symboles, des obligations, une histoire) dans un monde qui ne veut plus transmettre, mais seulement communiquer ? Ce sont bien les finalités de l’acte d’apprendre qui ont changé.

    Mais il faut aller plus loin. L’enseignement privé a toujours été, en grande partie, un enseignement confessionnel. Il le demeure, sauf que la religion de l’économie a remplacé les autres – et que, sous son influence, l’école publique se privatise à son tour. Au fur et à mesure que la logique du capital étend son emprise, l’école devient de plus en plus l’antichambre du cabinet d’embauche. Les parents sont les premiers à croire qu’on va à l’école pour apprendre ou trouver un métier, ce qui n’a jamais été le but de l’école. La conséquence oui, mais pas le but. L’éducation est alors perçue comme processus d’entrée sur le marché, perspective purement utilitaire selon laquelle la formation dispensée aux élèves doit être considérée avant tout comme un investissement économique.

    L’école, dans le meilleur des cas, n’est plus alors que le moyen d’inculquer des recettes – le savoir en étant une parmi d’autres – permettant d’être le plus performant possible. On cherche donc à accumuler des connaissances « utiles », plutôt qu’à acquérir une formation ou une culture. Ne parlons même pas de réflexion ou de pensée critique. L’école ne remplit plus son rôle ? Du point de vue de l’idéologie dominante, elle le remplit au contraire parfaitement. La réflexion constitue une entrave à la consommation, qui exige des individus sans repères. Il est donc nécessaire que les individus soient dissuadés de réfléchir, tout comme il est nécessaire que l’enseignement de l’histoire ne les pousse plus à s’identifier au passé national. L’école s’y emploie à merveille en fabriquant à la chaîne des enfants à la fois informes et prodigieusement conformes, c’est-à-dire des narcissiques immatures.

    Quant à la famille, il y a longtemps qu’elle n’est plus le lieu où l’on naît, où l’on apprend, où l’on travaille et où l’on meurt. Depuis le XIXe siècle, l’État est venu la concurrencer sur tous les plans. Dès l’instant que l’on a placé les bébés à la crèche, les enfants à l’école, les malades dans les hôpitaux, les parents sur leurs lieux de travail et les personnes âgées dans des résidences spécialisées, elle a perdu ses fonctions essentielles. En devenant une structure privée, elle s’est dissoute comme réalité sociale pour devenir un simple lieu de convivialité affective, qui n’aide plus les individus à se construire de façon autonome ni à jouer leur rôle dans la société. On ne la fera pas renaître avec des incantations ou des slogans. La seule façon de lui redonner un sens est de la réinsérer dans un milieu social lui-même signifiant. L’avenir de la famille passe par la réanimation du social.

    L’un des débats de la rentrée, c’est la réforme des rythmes scolaires. Quatre jours pleins ou quatre et demi en semaine ? Week-end laissé au repos familial ? Ou attendre la semaine des quatre jeudis ?

    La réforme des rythmes scolaires à l’école primaire, avec une semaine de quatre jours et demi, n’est pas en soi une mauvaise chose. Vincent Peillon semble avoir voulu s’aligner sur le « modèle allemand » (qui a cependant aussi révélé ses limites) : disciplines scolaires le matin et activités culturelles et sportives l’après-midi. C’est ce que réclamaient depuis longtemps la plupart des spécialistes des rythmes biopsychologiques chez les enfants. Le problème, c’est que cette réforme n’a pas été suffisamment pensée et qu’on peut à bon droit s’interroger sur les activités dites « périscolaires ». Elles risquent en effet de recouvrir tout et n’importe quoi, du plus valable au plus farfelu, et d’être mises en œuvre par des « animateurs » formés on ne sait où et par on ne sait qui, qui seront en outre majoritairement issus des « quartiers » pour les raisons que l’on sait…

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier, (Boulevard Voltaire, 29 octobre 2013)

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  • Bon anniversaire, Eléments !...

    Le nouveau numéro de la revue Eléments (n°149, octobre - décembre 2013) est disponible en kiosque.

    Dans ce numéro, Pascal Esseyric et Patrick Péhèle nous livre  un dossier consacré aux 40 ans de la revue avec une sélection de textes marquants publiés au fil des années, ainsi que des articles consacrés à Jean-Claude Michéa, à Gilbert Durand, à Pierre Boutang, à Nicholas Georgescu-Roegen ou à Dieudonné, mais aussi au modèle suisse, au racisme et à l'extrême gauche. Et on trouvera également la chronique de Xavier Eman, «Une fin du monde sans importance», et l'éditorial de Robert de Herte intitulé « Quarante ans ».  

    Vous pouvez commander ce numéro ou vous abonner sur le site de la revue : http://www.revue-elements.com.

     

     

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    Au sommaire de ce numéro :

     

    Éditorial

    « Quarante ans» par Robert de Herte

    Forum, vous nous écrivez ...

    Cartouches

    L'actualité des idées, des sciences, du cinéma, des arts et des lettres

    René Guénon, à front renversé par Michel Marmin

    Cartouches: économie, religions, philosophie ...

    Un bagnard en Sibérie par Olivier François

    Guerre et paix par Alain de Benoist

    La chronique cinéma de Ludovic Maubreuil

    Justine Niogret, par Pierric Guittaut

    Portrait littéraire: Camille Lemonier par Frédéric Guchemand

    Une fin du monde sans importance par Xavier Eman

    Sciences par Bastien O'Danieli

     

    Le combat des idées

    Dieudonné, un héros de l'art contemporain? Par François-Laurent Balssa

    Pour en finir avec «le racisme» par Alain de Benoist

    La face cachée du modèle suisse par Eric Werner

    Armée de conscription: la Suisse à l'épreuve par David L'Epée

    « L'extrême gauche est dans l'impasse » par Charles Robin

    Le crime de Jean-Claude Michéa par Alain de Benoist

    Le réalisme magique de Jacques Sommer par Alfred Eibel

    « Gilbert Durand, mon maître» par Michel Maffesoli

    Vienne vaut bien une séance par Laurent Schang

    Nicholas Georgescu-Roegen par François Bousquet

    Pierre Boutang, intellectuel corsaire par Olivier François et Michel Marmin

    Pierric Guittaut, l'appel aux esprits des lieux par Thierry Marignac

     

    Dossier

    40e anniversaire: les trésors d’Éléments

    La religion de l'Europe par Alain de Benoist

    Pour en finir avec la civilisation occidentale

    Paysages et sens du lieu par Luisa Bonesio

    La crise! Quelle crise?

    L'économie totalitaire: l'exemple de l'immigration

    Ils l'ont dit dans Éléments

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 6 commentaires Pin it!