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Textes - Page 8

  • Madame Bobovary...

    Nous reproduisons ci-dessous la dernière Chronique d'une fin du monde sans importance, de Xavier Eman, publiée dans le numéro 149 de la revue Éléments, actuellement en kiosque...

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    Madame Bobovary

    Ravie, le visage épanoui et la moue excitée, Eliane sortit de la librairie en serrant amoureusement contre son sein, tel le bébé qu'elle n'avait jamais voulu, le précieux sac contenant la dizaine de livres qu'elle venait d'acheter. Elle avait en effet acquis l'intégralité de la « sélection rentrée littéraire » de son magazine préféré, « Maxi Actuel », la revue de la nouvelle féminité décomplexée. Elle pressait maintenant le pas, presque fiévreuse, impatiente de se jeter à corps et âme perdus dans ces passionnantes auto-fictions torturées et dépressives, débordantes de sexe, de drogue et de visions du monde délicieusement désabusées. Elle même était d'ailleurs fortement désabusée. Il est vrai que la vie ne lui avait pas fait de cadeaux. Après une scolarité brillante et ennuyeuse à Stanislas puis des études à Sciences Po, elle avait été, durant quelques mois, vaguement attachée de presse pour un groupe pharmaceutique avant d'épouser sans passion mais avec faste un prothésiste dentaire spécialisé dans la réfection buccale des stars du show-biz et de la télévision. Ainsi, elle avait été impitoyablement condamnée à une vie de dîner mondains, de promenades en Sologne et de vacances à Saint-Barthélémy ou Verbier, une vie doucereuse et routinière qui ne lui correspondait absolument pas. Son mari ne lui avait jamais proposé d'aller dans une boîte à partouzes et ne prenait même pas la peine de la tromper. Elle en souffrait beaucoup. Car elle était faite pour la douleur, les angoisses, les névroses et les expériences violentes que l'existence lui avait cruellement épargné. Fort heureusement, il lui restait la littérature contemporaine, chaque nouvel ouvrage étant pour elle une délicieuse injection de misère morale, d'échec familial, de haine conjugale, de perversion et de déréliction toxicologique... Elle sniffait dans ces lignes la cocaïne qui n'avait jamais inondé ses narines, discernait dans l'encre des caractères le sang ayant jailli des veines de ces auteurs génialement, et perpétuellement, suicidaires, se troublait en transformant le blanc des pages en coulées de foutre répandues par ces amants à la fois érotomanes et complexés sur leurs innombrables maîtresses qu'elle imaginait invariablement sous les traits de jeunes femmes étiques et blafardes, tenant en permanence une cigarette blonde entre leurs doigts aux ongles rongés... Grâce à cette littérature, elle pouvait se vautrer dans la boue tant aimée et tant espérée sans même quitter ses draps de soie. C'est pourquoi elle était si enthousiaste en s'échappant de chez son dealer, regagnant hâtivement l'appartement de l'avenue Wagram sans même apercevoir les clins d'oeil des vitrines Hermès ou Dior qui, d'ordinaire, transformaient chacune de ses sorties en pic bénéficiaire pour l'industrie du luxe.

    Marchant de plus en plus vite, elle imaginait déjà le subterfuge qu'elle utiliserait pour échapper au dîner prévu ce soir avec des collègues de son mari, des imbéciles parvenus et grossiers qui n'avaient jamais vibré aux envolées cosmétiques de Florian Zeller, aux affres incestueux de Christine Angot, pas plus qu'aux sodomies alternatives et révolutionnaires de Virgnie Despentes ou aux questionnements egotiques de Yann Moix... Un nouvel accès de forte migraine suffirait d'ailleurs certainement à assurer sa tranquillité pour la soirée. Eliane se mit même à ricaner en imaginant son gros mari venir s'enquérir de sa santé et lui porter une tisane apaisante avant de l'embrasser sur le front et de rejoindre ses invités. L'idée de ce baiser éteignit rapidement son ricanement qui céda la place à un léger frisson de dégoût, mais la vision du brushing Zellerien sur la couverture dépassant du sac l'apaisa immédiatement.

    La nuit était maintenant presque totalement tombée et Eliane ressemblait à toutes ces autres ombres trottinantes et déjà un peu effacées, impatientes de rejoindre famille et foyer. Pourtant Eliane savait qu'elle n'était pas comme elles, pas le moins du monde même, car ce n'était pas le confort et la sécurité bourgeoise qu'elle s'empressait de retrouver mais au contraire les désordres et tumultes intellectuello-germanopratins qui s'élèvent tellement au dessus de toutes ces petites vies laborieuses et vaines, à jamais mornes et bornées. Elle rayonnait maintenant de morgue et de mépris en frôlant ces misérables fourmis qui ignoraient tout des amours sado-cannibalesques du couple DSK/Iacub et préféraient le visionnage de divertissements télévisés à la description des prurits gynécologiques de publicitaires trentenaires à lunettes carrées. Ces gens qui encombraient la rue n'étaient rien pour elles, ce monde n'était pas définitivement pas le sien. Elle courrait presque maintenant pour retrouver ses douloureux amants et c'est presque dans un état de transe qu'elle traversa la rue sans prendre garde au bus qui surgissait au même moment et qui, malgré le hurlement d'un coup de frein, la percuta de plein fouet.

    Le corps inerte d'Eliane gisait maintenant au milieu de la chaussée, bientôt entouré de badauds horrifiés. A ses cotés, quelques livres ensanglantés et le visage souriant de Florian Zeller.

    Xavier Eman (Éléments n°149, octobre - décembre 2013)

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  • Portrait d'un penseur libertaire et nietzschéen...

    Nous reproduisons ci-dessous un beau texte de Max Leroy, cueilli sur Ragemag et consacré à Albert Camus. Max Leroy "écrit des livres et vit dans un coin perdu de la Bourgogne. S'il faut des cases : socialiste-libertaire. S'il faut des noms : un pied chez Orwell, l'autre chez les zapatistes (et Ferré ou Nietzsche les jours de pluie)."

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    Albert Camus : portrait d'un penseur libertaire et nietzschéen

    Né à la veille de la Première guerre mondiale dans ce pays que l’on nommait alors l’Algérie française, enfant d’une femme de ménage et d’un père mort au combat, Albert Camus est avant tout fils de modestie. Fils des sans-grades, des anonymes, des démunis. De la lie ou de la plèbe, diraient les possédants avec ce ton qui leur sied tant. Cette identité sociale, classe au cœur, est le fil rouge d’une trop brève existence – que quelques dates permettront, à grands traits, de retracer : une adhésion au Parti communiste, en 1935 (qu’il quitte deux ans plus tard) ; la direction du journal Combat durant la résistance contre l’occupation allemande, en 1943 ; la dénonciation esseulée de l’utilisation de l’arme atomique nord-américaine sur les civils japonais, en 1945 ; la publication controversée de L’Homme révolté, en 1951 ; l’appel à la « trêve civile » lors de la guerre d’Algérie et la critique de l’expansionnisme soviétique, en 1956 ; le Prix Nobel de littérature, en 1957 ; l’accident de voiture qui le fauche à l’âge de quarante-sept ans, en 1960.

    Un socialisme de la mesure : « l’utopie relative »

    L’Absolu ? Camus lui met une muselière et en appelle à « une pensée politique modeste », concrète, pragmatique, sans messianisme ni Paradis terrestre. Tiédeur ? Lâcheté ? Conformisme petit-bourgeois ? Camus sait seulement que le sang ne s’arrête plus dès lors qu’on lui laisse libre voie. Les doctrines oublient que les hommes sont à prendre avec leurs fêlures et leurs folies. L’enfer, on le sait, a le goût des bonnes intentions et les salauds y siègent avec des ailes de saints… La Révolution aime les hommes de demain mais cet amour a un prix : la haine de ceux qui s’en tiennent au présent. Camus refuse de sacrifier l’instant pour un futur incertain connu d’un seul, oracle allemand rentré dans l’Histoire après avoir révélé au grand jour les lois de cette dernière…

    Le marxisme, énonce-t-il dans L’Homme révolté, est un christianisme athée où « l’utopie remplace Dieu par l’avenir ». Il place toute sa confiance dans les bras du Progrès et fait litière des particularismes culturels pour façonner l’humanité d’une main de fer. Le marxisme croit défendre la classe ouvrière mais les outils qu’il utilise sortent des forges de le classe dominante : sa foi en la technique et la production « sont des mythes bourgeois » du XIXe siècle. Camus ne croit pas à la mission historique et rédemptrice du prolétariat telle que Karl Marx l’a conçue : les travailleurs ne sont pas des créatures hors-sol mues par les seuls impératifs économiques, ils ont une patrie et le fait national, n’en déplaise, a la tête dure. Le penseur ne se paie pas de mots : le marxisme, nonobstant la sagacité et l’intemporalité de certaines de ses analyses critiques, n’eut de scientifique que ses seules prétentions…

    « L’enfer, on le sait, a le goût des bonnes intentions et les salauds y siègent avec des ailes de saints… La Révolution aime les hommes de demain mais cet amour a un prix : la haine de ceux qui s’en tiennent au présent»

    Camus tient à réintroduire la notion de limites et à rappeler cette évidence, chère au bon sens si peu prisé des idéologues : il y a des choses qui ne se font pas. La lutte pour l’émancipation a bon dos quand chacun chante sur les charniers qui bâtiront les lendemains heureux. Les moyens, rappelle-t-il, sont déjà des fins. Rien ne peut justifier les déportations et les camps, pas même le rêve d’une société sans classes. Rien ne peut légitimer les pelotons et la terreur, pas même l’espoir d’une paix prochaine. Rien ne peut excuser les purges et les procès truqués, pas même la dialectique hégélienne. Camus refuse que la haine devienne une catégorie intellectuelle ou une modalité de l’action. La morale n’est pas l’apanage de la bourgeoisie et l’homme perd un peu de sa dignité dès lors qu’il lui préfère l’efficacité. D’où sa réhabilitation du « goût de la grandeur humaine », de l’honneur, de l’éthique, du respect et de la camaraderie – ces valeurs qui font sourire le siècle.

    Le vrai démocrate, pense Camus, sait que son adversaire peut avoir raison et qu’il doit pouvoir s’exprimer à sa guise. Les révolutionnaires ont perdu le goût de la liberté au nom de l’égalité. Camus n’entend pas transiger. Le pain ne se partage pas au fond des cachots… Le socialisme qu’il fait sien « ne croit pas aux doctrines absolues et infaillibles, mais à l’amélioration obstinée, chaotique mais inlassable, de la condition humaine » (Actuelles I).

    Le sang, mauvais témoin de la vérité

    La Résistance contre l’occupant allemand a pu compter Camus dans ses rangs. Il ne mania pas les armes mais en justifia l’usage : on ne serre pas la main au nazisme, on la lui arrache. « Je crois que la violence est inévitable, les années d’occupation me l’ont appris. » Mais quelle violence ? L’interrogation hante son œuvre de ses spectres entêtés. À quelles conditions le sang d’un homme peut-il couler ? Que représente la vie d’une poignée d’individus au regard de la libération des masses ? Camus esquisse quelques pistes : 1) Que nul ne touche aux enfants, 2) On peut tuer, à titre exceptionnel, un représentant de l’ordre coercitif au nom de la justice, 3) Mais on ne peut recourir à la violence ultime qu’à la seule condition de risquer sa propre vie et d’accepter que l’on puisse, dans cette lutte, être tué en retour.

    Camus sait que l’on ne peut faire l’économie de la brutalité, en périodes révolutionnaires, mais il n’accepte pas que l’on puisse lui donner bonne conscience. La violence doit avoir le rouge au front, celui du sang qu’elle répand. Elle doit baisser les yeux, honteuse des âmes qu’elle emporte pour la juste cause. Camus abhorre « la violence confortable », celle des chaires des mandarins et des cafés parisiens : comme il est facile d’appeler au combat loin du front, des tranchées et des bombes ! L’intellectuel est galvanisé par sa feuille blanche et jongle avec les lettres quand des plus jeunes que lui, moins savants mais plus braves, s’écroulent un trou dans les reins ou la cervelle. On ne peut jouer avec la vie des autres quand la sienne ne risque rien. La légitimation philosophique et politique de la violence, en ce qu’elle lui confère une assise théorique et conceptuelle, fait horreur au philosophe qu’il se défend pourtant d’être : la violence ne peut être avancée au « service d’une doctrine ou d’une raison d’État » et doit conserver, à jamais, « son caractère provisoire d’effraction ». Camus fait savoir, en 1952, qu’il a étudié les enseignements non-violents et qu’il n’était « pas loin de conclure qu‘[ils] représente[nt] une vérité digne d’être prêchée par l’exemple ». Puis il ajoute : « Mais il y faut une grandeur que je n’ai pas. »

    « La violence doit avoir le rouge au front, celui du sang qu’elle répand. Elle doit baisser les yeux, honteuse des âmes qu’elle emporte pour la bonne cause. »

    La guerre d’Algérie le place dans une position pour le moins inconfortable puisqu’il ne veut rallier aucun des deux camps – ni l’abjection coloniale, qu’il dénonce depuis son enquête Misère en Kabylie, ni le mouvement indépendantiste conduit par le FLN, dont il critique l’idéologie et les méthodes d’action. Camus se veut partisan d’une troisième voie : une fédération franco-algérienne, sur le modèle suisse, qui permettrait selon lui aux populations (arabes, berbères, kabyles, juives et européennes) de cohabiter en toute égalité. « Pour Albert Camus – écrivit son professeur Jean Grenier dans Albert Camus, souvenirsla guerre d’Algérie était une guerre civile dans laquelle il ne pouvait qu’être des deux côtés à la fois. » C’est ainsi qu’il renvoie dos à dos l’armée métropolitaine et les poseurs de bombes et appelle, avant de se retirer publiquement du conflit, à une trêve afin d’épargner, de part et d’autre, la vie des civils. Une position qui, examinée avec la sérénité qui manque à nos mémoires, ne manque pas d’ambiguïtés : Camus condamne l’usage de la torture, intervient en secret pour sauver la vie de nombreux indépendantistes et n’est pas, comme ont pu gloser d’aucuns, un apôtre de l’Algérie française – mais il reconnait être avant tout un Français d’Algérie éperdument attaché à sa terre natale et confie, en privé, que la guerre contre le FLN est inévitable et que son devoir l’obligera, en dernière instance, à rejoindre les siens, c’est-à-dire les pieds-noirs… Camus rêvait d’une Algérie juste mais ses rêves n’entendirent pas toute la colère qu’une terre occupée couvait depuis 1830 (ce qui fit dire à l’historien Benjamin Stora que Camus était « prisonnier des stéréotypes coloniaux » de son temps et qu’il n’avait pas vu « venir la question nationale algérienne »).

    Avec et contre Nietzsche

    « Je dois à Nietzsche une partie de ce que je suis », déclare Camus à plus de quarante ans. Compagnonnage d’une existence, peut-on dire : il lui consacra une étude, étudiant, et mourut d’un accident de voiture, un exemplaire du Gai savoir à ses côtés… Le nom de Nietzsche apparaît dès les premières pages de son premier essai, Le Mythe de Sisyphe, et ses carnets foisonnent de citations du penseur allemand. Mais c’est à la lecture de l’essai L’Homme révolté que l’on peut percevoir, dans toutes leurs nuances, les rapports que l’écrivain entretient avec ce maître difficile qu’il présente ailleurs comme une âme « qui nous surpasse tous infiniment », une « dure et belle intelligence ».

    Après avoir étrillé Max Stirner sur quelques pages dudit essai (Stirner et son culte du Moi, son solipsisme infantile et sa radicalité vaine), Camus s’empare de Nietzsche pour en faire un médecin : le philosophe allemand a, de sa plume-scalpel, ouvert les chairs de son époque pour tenter d’en approcher les infections et les miasmes. Celles-ci portent un nom : le nihilisme. L’étymologie nous rappelle qu’il renvoie à l’idée de « rien » mais Nietzsche étend la définition à toute manifestation de haine et de mépris contre l’existence et la vie terrestre. Puisque Dieu a rendu l’âme et que la vie n’a plus de sens, il incombe à l’homme bâtir sur ces cendres un brasier sans précédent – d’où l’exhortation nietzschéenne à la création de nouvelles valeurs. « La philosophie de Nietzsche tourne certainement autour du problème de la révolte. Exactement, elle commence par être une révolte », écrit Camus. Puisque le Ciel est un mensonge, honorons la terre – point de salut hors d’elle. Nietzsche en appelle à l’innocence du devenir : ne pas se cabrer contre ce qui est, ne pas résister à ce qui doit être : la liberté nietzschéenne s’obtient, paradoxalement, dans un consentement absolu et une acceptation totale. Adhérer à la nécessité et parvenir à la libération en aimant son destin – tel est le sens de l’Amor fati prisé par le père de Zarathoustra et retracé dans les pages de L’Homme révolté.

    « Défendre Nietzsche lorsqu’il est traduit au banc des infamies ? À l’évidence. Le défendre envers et contre tous ? Certainement pas. »

    Camus y rappelle les détournements que l’on sait : le philosophe solitaire devint le flambeau des régiments casqués, l’ennemi des antisémites le héraut du racialisme aryen et l’être épris de droiture la caution des miradors. Jamais, note-t-il, aucun penseur – Marx excepté – n’eut à subir pareille injustice : « Jusqu’à Nietzsche et au national-socialisme, il était sans exemple qu’une pensée tout entière éclairée par la noblesse et les déchirements d’une âme exceptionnelle ait été illustrée aux yeux du monde par une parade de mensonges, et par l’affreux entassement des cadavres concentrationnaires. » Défendre Nietzsche lorsqu’il est traduit au banc des infamies ? À l’évidence. Le défendre envers et contre tous ? Certainement pas. Camus s’oppose à l’assentiment systématique du déterminisme nietzschéen : si l’on dit Oui à tout, alors on doit se résigner face au mal, à l’injustice, au mensonge et au meurtre – et cela, il ne peut le tolérer. Nietzsche, ajoute-t-il, a manqué le coche du socialisme : lui seul était, et reste, en mesure de barrer la route au nihilisme et de construire le rêve du philosophe : la surhumanité. Il faut dire Oui à ce qui élève la vie mais contester ce qui l’abaisse.

    Marx, bien qu’il ne conduise pas aux camps de rééducation soviétiques, peut ouvrir les portes d’une politique qui, au nom des nécessités du mouvement historique, nie la dignité des hommes ; mais Marx incite à changer le monde. Nietzsche, bien qu’il ne conduise pas au programme Aktion T4, peut ouvrir les portes d’une politique qui, au nom de l’empire féroce de la fatalité, écrase les hommes ; mais Nietzsche incite à aimer la vie. Marx coud l’homme aux lignes de l’avenir ; Nietzsche le cloue aux ailes du présent. La pensée camusienne esquisse une réconciliation : aimer le monde que l’on déteste.

    La révolte libertaire ou la « pensée solaire »

    Si les références au socialisme libertaire abondent sous sa plume, on ne fera pourtant pas du penseur un anarchiste orthodoxe : Fabrice Magnone eut raison de le présenter, lui qui vota un jour pour un candidat social-démocrate, comme un compagnon de doute des héritiers du drapeau noir. D’autant que Camus n’entendait pas qu’on le réduise à une étiquette politique, partidaire ou clanique. L’expression libertaire a « une fécondité toute prête à condition de se détourner sans équivoque de tout ce qui, en elle-même et aujourd’hui encore, reste attaché à un romantisme nihiliste qui ne peut mener nulle part », consigne-t-il dans l’une de ses lettres. Camus oppose les lumières grecques et méditerranéennes aux brumes de l’idéalisme allemand et met à disposition, au fil des pages et des rencontres, une pensée libertaire solaire, positive, dynamique, plastique et à même de répondre aux enjeux contemporains. Pourquoi ne pas laver l’anarchisme ancestral de ses tâches et de ses tares ? À quoi bon, aujourd’hui, les coups de sang et la poudre, les braquages et les bombes, le lyrisme et la haine ? Pourquoi ne pas prélever dans l’œuvre de Bakounine, cet insurgé russe si cher à Camus, les matériaux les plus fertiles tout en délaissant ce qui nuit à la vie ?

    Point d’ambivalences chez Camus : le capitalisme, escorté des civilisations mécaniques qu’il dresse, doit être pourfendu – toute la question reste de savoir comment. Et Camus de répondre : par la révolte et non plus par la révolution dans sa formulation marxiste-léniniste, robespierriste, autoritaire et « césarienne ». La première est « force de vie, non de mort. Sa logique profonde n’est pas celle de la destruction ; elle est celle de la création ». La révolte proteste contre la négativité, le nihilisme et les passions tristes ; elle s’élance, féconde, et n’entend pas répondre au mal par son ombre. La révolte se trahit lorsqu’elle cède sur ses principes et s’empare des armes de son ennemi – le mensonge et la mort. La révolte ne s’apaise jamais et ne peut s’en remettre à ses acquis : prendre la tête d’un régime ; et après ? Quand le révolutionnaire, fort et fier de l’appareil d’État dont il vient de s’emparer, lève de nouvelles armées pour asseoir son pouvoir, le révolté se sait aux aguets : les chefs, fussent-ils bardés de rouge, ont la mémoire courte et les dents longues… L’homme révolté sait qu’il ne sait pas tout. Son doute est son garde-fou. On ne tranche plus la gorge d’un homme lorsque l’on croit qu’il peut encore changer.

    « L’homme révolté sait qu’il ne sait pas tout. Son doute est son garde-fou. »

    Belles intentions… Prêches de boy-scout… Humanisme à l’eau-de-rose… Camus entend la rumeur alentour et tâche d’y répondre : le syndicalisme libertaire révolutionnaire est à même de libérer le peuple des chaînes qui l’oppriment. Non plus le soulèvement armé conduit par une avant-garde issue de beaux quartiers mais un travail mené à la base et au sein des masses. Camus s’inscrit dans les pas de la Commune de Paris et oppose le fédéralisme au centralisme jacobin : « La commune contre l’État, la société concrète contre la société absolutiste, la liberté réfléchie contre la tyrannie rationnelle, l’individualisme altruiste contre la colonisation des masses ». Les épigones les plus zélés du socialisme matérialiste critique, de Saint-Germain-des-Prés ou d’ailleurs, dressèrent, à défaut de bûcher, le portrait d’un Camus défenseur de l’ordre établi et de la bourgeoisie – il existe pourtant une « autre tradition révolutionnaire » répondit le natif d’Oran, celle des libertaires, celle des anarchistes, celle, confie-t-il lors d’un entretien paru dans son recueil Actuelles II, qui inspira sa réflexion 1

    Vieille querelle : socialisme « scientifique » contre socialisme « utopique », Marx & Engels contre Bakounine & Proudhon – ou ce que Camus nomme aussi la gauche policière et la gauche libre (même s’il refuse de céder « aux facilités d’un anticommunisme politique », celui qui fait les choux gras de la droite et de l’establishment nord-américain). Albert Camus est donc sans appel : que l’on rende la parole aux libertaires, « la société de demain ne pourra s['en] passer »…

    Max Leroy (Ragemag, 7 novembre 2013)


    Note :


    1 Camus mentionne son « anarchie profonde » dans la préface de son ouvrage L’envers et l’endroit.

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  • La fragilité des jeunes Européens ?...

    «On est une génération d’hommes élevés par des femmes» Fight Club

     

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent texte de Laurent Ozon, cueilli sur Polémia et consacré à la jeunesse européenne et à son éducation...

     

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    La fragilité des jeunes européens en milieu multiculturel violent et comment y remédier

    Il faudrait probablement un livre pour analyser la situation sociale des jeunes hommes européens et plus particulièrement la question de la fragilité d’une partie d’entre eux dans l’environnement violent de la société multiculturelle. Certes, il faut le rappeler, ce phénomène est encore minoritaire mais pourtant bien visible et suscite des réactions agacées, indignées mais, osons le dire, « impuissantes » ou incantatoires. (On pourra lire à ce sujet le dernier article de Julien Rochedy, président du FNJ, à ce sujet.

    Il n’est donc peut-être pas inutile de tenter d’analyser rapidement ce phénomène et d’y apporter des réponses. Un article plutôt inhabituel pour moi mais qui m’est dicté par l’impression de n’avoir rien lu de clair et de pratique sur ce sujet.

    Une fragilité physique et mentale en environnement multiethnique

    Tout d’abord, comment se manifeste cette fragilité ? Elle est à la fois physique mais aussi mentale (difficultés à faire face au conflit ou au recours à la force). Elle s’exprime justement dans les situations conflictuelles où l’affrontement physique avec des jeunes issus d’autres « populations » est imminent. « Adversaires » d’autant plus belliqueux que les jeunes hommes européens ne savent pas l’être assez. Au-delà des réactions de moquerie que ce comportement peut engendrer, elle est problématique pour l’idée qu’un jeune Européen se fera de lui-même (complexes et refoulements) et néfaste à sa construction, comme homme, puis, ultérieurement, comme père ou comme membre d’une communauté de destin. Il y aurait des livres à écrire pour analyser les impacts « idéologiques » de ces frustrations.

    Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler que cette fragilité est toute relative et se perçoit principalement en environnement multiethnique. En clair, du fait des causes de ce problème de « fragilité », nous verrons qu’il est perceptible surtout dans la confrontation relationnelle avec d’autres groupes de population et pas n’importe lesquels. Ce paramètre n’est pas, lui non plus, sans impact sur la façon quasi pathologique dont les questions d’immigration sont traitées dans l’espace social et politique lorsqu’il s’agit de certaines populations.

    Pour faire simple, je pense qu’il existe quatre grands facteurs qui peuvent expliquer la « fragilité » de nombreux jeunes Européens et leur « vulnérabilité » dans les environnements multi-agressifs dans lesquels ils sont plongés :

    1. Le premier facteur relève de mauvaises pratiques dans la construction identitaire de l’enfant ;

    2. Le deuxième d’une influence trop incapacitante (castratrice même) des pratiques pédagogiques qui dévalorisent le conflit, la bagarre ou prétendent obliger l’enfant à s’en remettre toujours à quelqu’un d’autre (les institutions notamment) pour le protéger ;

    3. Le troisième point relève d’un choix d’hygiène de vie (sport, alimentation et bonnes pratiques qui sont importantes à l’heure des pollutions agro-chimiques systématiques) ;

    4. Et enfin, le dernier facteur est une qualité que les spécialistes nomment « néoténie » ou persistance juvénile, qui est liée à notre biologie. Elle présente de nombreux inconvénients dans un contexte social multiethnique et multiculturel, mais est, à tout prendre, une qualité dont nous pouvons nous féliciter et dont il faut compenser les effets par les trois catégories de solutions précédentes. Mais reprenons.

    1. Une mauvaise construction identitaire

    Première cause de fragilité : l’isolement. Même lorsqu’il ne pèse pas dans le cas d’un conflit entre deux individus, la crainte de devoir faire face au grand frère, aux copains, à la famille, etc. de son adversaire pèse dans le rapport de forces. Les jeunes Européens sont fréquemment isolés et l’isolement est la première des faiblesses. Les enfants privés de construction identitaire saine sont et resteront seuls. Isolés de tout groupe, famille, etc., quand survient le conflit, ils sont souvent en position de faiblesse face à de petits groupes soudés par toutes les formes d’appartenance (origine, famille, couleur de peau, cultures, religions, marques, etc.) et parfois par des groupes soudés par plusieurs de ces catégories simultanément (africains ET musulmans ET fans de RnB par exemple). Cet isolement est principalement lié à un déficit d’identité.

    La construction identitaire d’un jeune garçon repose sur trois étapes principales. Ces trois étapes sont essentielles à sa formation.

    Le sexe : Dans la construction de l’identité d’un enfant, le premier étage est se reconnaître comme garçon. Vous avez tous entendu ces phrases infantiles mais qui font partie de ce processus de construction : « Les filles, elles sont tartes » ou « Les garçons contre les filles ». Il faut respecter toutes les phases qui permettent à un jeune garçon de se reconnaître comme mâle dans un monde à deux catégories. Cette première phase est indispensable aux deux étapes suivantes. A rebours des théories du genre, permettez ses manifestations d’affirmations enfantines et renforcez-les si vous le jugez utile, sans tomber dans l’excès et l’obsession. Permettez-lui de bien marquer son appartenance de mâle en lui proposant des activités spécifiques, des devoirs spécifiques, des droits spécifiques (couleurs, rites, tâches, équipes, vocabulaire, etc.).

    La famille : Le deuxième étage de la construction de son identité sera la famille. Là aussi, cultiver le respect de la famille et, de fait, de l’ascendance, par le respect des aînés et mémoire des ancêtres, sans idolâtrie, mais sérieusement (ne pas rire de tout) et lui apprendre à la respecter (sans avoir à se justifier : « c’est ainsi et pas autrement ») dans son comportement en famille comme dans la vie sociale à l’extérieur (défendre sa petite sœur bec et ongles face à une agression extérieure, ne jamais accepter les insultes sur sa famille ou sur lui-même, défendre son nom de famille, etc.). Lui apprendre dès 5 ans qu’il y a la famille et le monde autour, pas moins. C’est par cet étage de la construction identitaire familiale que l’enfant intègre des notions indispensables à sa formation : respect des anciens, valeur de l’expérience, communauté et filiation, solidarité et protection des siens envers et contre tout.

    Si en complément, vous lui apprenez à partir de 9/10 ans à mieux comprendre comment fonctionnent les groupes, vous lui permettrez de mieux s’y adapter (le groupe se forme dans la construction de l’adversaire, le groupe est un espace de partage et de solidarité, le groupe a besoin de marqueurs visibles, le groupe a souvent un chef, etc.).

    Le peuple : Enfin, le troisième étage de la construction de soi sera, plus tard, la reconnaissance de son identité de substance et de culture, en clair, son appartenance à un peuple. Cette partie de votre éducation le rendra fier d’être l’héritier de populations qui ont pris une part sans égale à la construction de la civilisation, de l’art, de la pensée, des sciences et de toutes les formes du génie humain. Si vous lui apprenez, il voudra, lui aussi, être un Européen, un Français, le défendre et surtout, plus important encore, l’incarner dans sa vie. Non pas dans la simple répétition ou le fétichisme de l’ancien mais dans l’innovation, la créativité, la maîtrise. Mais c’est là une autre histoire…

    Cette dernière phase sera la plus longue et un jeune garçon élevé dans la fierté de son peuple et de sa lignée, par l’exemple des héros et l’histoire des souffrances et des grandeurs de son peuple, poursuivra par lui-même ce travail et l’enseignera à ses propres enfants.

    C’est en respectant et en instruisant correctement ces trois phases de développement de l’identité du jeune garçon qu’une construction identitaire saine pourra s’effectuer.

    2. La culture de la négociation et de la norme

    On apprend tôt aux enfants à « aller voir la maîtresse » lorsqu’ils sont victimes de coups ou d’agressions, pas assez à se défendre eux-mêmes ou, au minimum, à faire face à une situation de conflit. Pas intellectuellement, mais physiquement, avec leurs instincts. Le courage n’est pas une construction intellectuelle et ne se forge pas avec des mots mais avec l’expérience directe, physique, instinctive de la vie, des difficultés et de la souffrance physique. La culture des normes et de la résolution pacifique du conflit, voire du conflit comme « échec », est une tendance lourde et particulièrement pernicieuse dans nos sociétés, en particulier pour les instincts virils. Ce travail de formatage des institutions publiques, qui invite les enfants et les citoyens à s’en remettre à l’institution dans la gestion des conflits tout en sachant parfaitement que ces institutions ne remplissent pas ce rôle et ne le pourront jamais, est une catastrophe sur le plan éducatif et ses impacts sur la population autochtone particulièrement lourds. La prépondérance des valeurs maternelles qui doivent savoir progressivement se placer en retrait à partir de quatre ou cinq ans dans l’éducation du jeune garçon et le manque de présence des valeurs de pères viennent renforcer à chaque instant ces tendances.

    La culture de l’honneur individuel et familial doit précéder la culture de la norme sociale de la collectivité politique. Les instincts de défense ne doivent pas être inhibés par un matraquage moral maternant ou par une culture de la légitimité supposée des corps de l’Etat dans l’exercice de la violence légitime. Et ce pour une raison simple : il n’assure pas correctement cette mission et ne l’assurera jamais. Le respect des règles deviendra plus tard un prétexte à son manque d’esprit de défense, d’initiative, de révolte. Loin de toute culture suprémaciste (« nous sommes les meilleurs ») aux effets accablants lorsqu’on ne domine pas un rapport de forces, apprenez-lui aussi à perdre et donnez-lui l’envie de recommencer et de gagner. Faites comprendre à votre garçon que ce qui est honteux ce n’est pas de perdre une bataille, un moment de conflit, mais de s’y dérober par lâcheté. Que perdre c’est parfois triste mais c’est honorable, en tout cas plus que de se soumettre. Revaloriser et soutenir son enfant, y compris dans ses manifestations d’agressivité (parfois inadéquates), c’est légitimer son agressivité naturelle et l’aider à gérer le conflit par ses propres moyens. Ne pas lui apprendre à chercher le soutien des adultes et de l’institution, qui dans l’immense majorité des cas ne le protégera pas lorsqu’il en aura besoin. Cet aspect de l’éducation des jeunes garçons est fondamental.

    Quelques exemples pratiques ? Ne relevez pas un enfant en bas âge lorsqu’il tombe mais encouragez-le à se relever seul jusqu’à ce qu’il réussisse et félicitez-le lorsque c’est fait, par des mots ou un geste de tendresse. Ne grondez pas votre enfant s’il manifeste de l’agressivité ou de la violence raisonnable dans une relation avec d’autres enfants, n’intervenez que s’il y a un réel risque et de façon non morale mais disciplinaire. Apprenez, certes, à votre enfant l’existence des normes collectives mais sans jamais oublier de lui rappeler la première de toutes les normes : la survie et la capacité de se faire respecter et de se défendre. Valorisez cela à chaque fois que nécessaire.

    La capacité d’un garçon à exprimer ses préférences, à exprimer son agressivité, à régler les conflits par lui-même, sans chercher un appui, est une condition indispensable à sa construction virile. L’en priver c’est l’exposer, l’affaiblir, le mettre en danger. Si vous espérez un jour pouvoir compter sur son aide et sa force, c’est donc vous mettre en danger, vous aussi.

    3. Les causes sanitaires

    Le changement de mode de vie des trois dernières générations en Europe, sur le plan alimentaire notamment, a profondément bouleversé les métabolismes pour des raisons en partie sanitaires (généralisation des perturbateurs endocriniens à corréler avec la baisse de fécondité et l’augmentation des cancers et malformations génitales masculines). Soyez attentifs à l’alimentation de vos enfants et à leurs contacts répétés avec les perturbateurs endocriniens contenus dans les aliments conditionnés en boîte, aux contacts avec toutes formes de plastiques et choisissez des vêtements adaptés, plutôt amples. Pour les bébés, proscrivez les jouets et tétines en plastique, privilégiez les cuillères en bois simple. Ne donnez pas de petits pots pour bébé mais des aliments que vous préparerez vous-même, si possible biologiques ou issus d’un potager non traité aux pesticides, herbicides et autres intrants chimiques toxiques. Certes, cette préparation demande du temps quotidien mais les conséquences sont autrement importantes… Je ne peux détailler sur cette question, il me faudrait un livre entier.

    Les pratiques sportives sont aussi essentielles. Je n’évoquerai même pas la majorité des garçons qui n’ont presque aucune activité sportive (une catastrophe sanitaire) alors qu’ils passent 6 à 7 heures par jour assis sur une chaise en pleine période de développement, puis le reste de la journée devant la télévision ou l’ordinateur. N’espérez pas avoir des enfants sains avec ce régime de vie. Ils seront des cibles et, consciemment ou non, se retrancheront de la vie réelle pour fuir des rapports de force auxquels ils ne sont pas préparés. Pour vos garçons, privilégiez dès 6 ans des activités de contact (rugby, etc.) et, d’une façon générale, le contact direct avec la difficulté, la nature, le froid, le chaud, le piquant, aussi souvent que possible. Non dans une perspective de souffrance, et en songeant toujours que vous devez valoriser sans le plaindre ses échecs et ses bosses.

    4. La néoténie européenne

    La néoténie, ou juvénilité persistante des Européens, est un trait caractéristique qui n’empêche pas une maturation finale équivalente en virilité mais la diffère. Qu’est-ce que cela veut dire ? Simplement qu’aux mêmes âges, nous, Européens, sommes plus jeunes. Exemple : l’âge de la puberté est sensiblement plus précoce chez les Subsahariens que chez les Européens. Ceci affecte la croissance et la maturité musculaire. En clair, un Européen de 14 ans sera statistiquement moins avancé dans sa puberté (et donc sa taille, son développement musculaire, son agressivité, etc.) qu’un Subsaharien du même âge : un inconvénient, mais un avantage sur d’autres points. Si notre maturité est plus tardive, notre phase de maturation est plus longue…

    La juvénilité est un inconvénient face à des brutes précoces physiquement mais elle constitue un avantage réel et en tout cas une réalité avec laquelle il faut compter lorsqu’il s’agit de vérifier les caractéristiques de l’adulte abouti et finalement formé.

    Afin de compenser cette particularité (dont il existe, bien sûr, des exceptions), les activités viriles et les pratiques sanitaires adéquates, comme la construction identitaire correctement effectuée, suffisent largement. Ne vous étonnez pas de faire fréquemment ce constat. Les Européens sont plus jeunes, plus souples, plus ouverts et curieux et leur période de maturation est significativement plus longue que celles d’autres populations, en particulier des populations subsahariennes. Les populations arabo-berbères ont des caractéristiques proches des nôtres de ce point de vue, mais elles sont compensées chez elles par une construction identitaire plus traditionnelle (sexe, famille, peuple, cf. 1.)

    Conclusion

    J’ai cherché à aborder de façon simple et pédagogique les clés d’une réforme de nos pratiques éducatives (au sens large de ce mot) pour une adaptation de nos jeunes garçons aux contraintes de la société absurde et violente à laquelle ils seront confrontés. Chercher à les soustraire à cette société et à ses inévitables pathologies sociales caractéristiques des belles nations « arc-en-ciel » ne les préparait évidemment pas à tout contact « accidentel » que l’on sait inévitable dans les années à venir.

    Les quatre points abordés sont les points clés. J’aurais pu aborder la question des représentations familiales du père, l’absurdité des comportements violents pour les introvertis intelligents, la division des tâches dans le couple et le fardeau d’une génération qui a dû reconstruire ses repères après la fracture (le gouffre) de la génération soixante-huit, la culpabilisation ethno-masochiste et ce qu’elle fabrique parfois en retenue physique et encore bien d’autres choses. Ce rapide exposé repose sur des études scientifiques, des travaux multiples de spécialistes et, en complément, sur mon expérience des hommes et des garçons comme père de famille. J’espère qu’elle sera utile et permettra de sortir de façon pratique des jérémiades impuissantes lorsque ces questions sont abordées. J’y reviendrai si le sujet intéresse.

    Laurent Ozon (Polémia, 9 octobre 2013)
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  • Les raisons de vivre et les raisons de mourir sont bien souvent les mêmes...

    Nous reproduisons ci-dessous le très bel hommage d'Alain de Benoist, prononcé le 31 mai 2013 à Paris, à l'occasion d'une cérémonie en l'honneur de Dominique Venner.

     

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    Les raisons de vivre et les raisons de mourir sont bien souvent les mêmes

    Les raisons de vivre et les raisons de mourir sont bien souvent les mêmes. Tel était le cas indéniablement pour Dominique Venner dont le geste a cherché à mettre en accord profondément sa vie et sa mort. Il a choisi de mourir de la manière qui, disait il, constituait l’issue la plus honorable en certaines circonstances et en particulier lorsque les mots deviennent impuissants à décrire, à exprimer ce que l’on ressent. Dominique Venner est mort finalement comme il avait vécu, dans la même volonté, dans la même lucidité, et, ce qui frappe le plus tous ceux qui l’ont connu, c’est de voir à quel point toute sa trajectoire d’existence se situe dans une ligne à la fois claire et droite, une ligne parfaitement rectiligne d’une extrême droiture.

     

    L’honneur au-dessus de la vie

    Le geste accompli par Dominique Venner est évidemment un geste dicté par le sens de l’honneur, l’honneur au-dessus de la vie, et, même ceux qui pour des raisons personnelles ou autres réprouvent le suicide, même ceux qui contrairement à moi ne le trouvent pas admirable, doivent avoir du respect pour son geste, car on doit avoir du respect pour tout ce qui est accompli par sens de l’honneur.

    Je ne vous parlerai pas de politique. En juillet 1967, Dominique Venner avait définitivement rompu avec toute forme d’action politique. Il regardait, en observateur attentif, la vie politique et il faisait connaître, bien entendu, son sentiment. Mais je crois que l’essentiel pour lui était ailleurs, et beaucoup de choses qui ont été déjà été dites aujourd’hui le montrent à foison.

    Au dessus de tout, Dominique Venner plaçait l’éthique et cette considération première était déjà la sienne lorsqu’il était un jeune activiste. Elle est restée la sienne, lorsque peu à peu le jeune activiste s’est mué en historien, en historien méditatif, comme il le disait. Si Dominique Venner s’intéressait tellement aux textes homériques dans lesquels il voyait les textes fondateurs de la grande tradition immémoriale européenne, c’est que l’Iliade et l’Odyssée, c’est d’abord l’éthique : les héros de l’Iliade ne délivrent aucune leçon de morale, ils donnent des exemples éthiques, et l’éthique est indissociable, bien sûr, d’une esthétique.

     

    C’est le beau qui détermine le bien

    Dominique Venner ne faisait pas partie de ceux qui croient que le bien détermine le beau, il était de ceux qui pensent que le beau détermine le bien ; il croyait en l’éthique et les jugements qu’il portait sur les hommes, ce n’était pas tant en fonction de leurs opinions ou de leurs idées, mais en fonction de leur plus ou moins grandes qualités d’être, et d’abord de cette qualité humaine par excellence qu’il résumait en un mot : la tenue.

     

    La tenue

    La tenue, qui est une façon d’être, une façon de vivre et une façon de mourir. La tenue qui est un style, ce style dont il avait si bellement parlé, dans Le Cœur rebelle, son livre paru en 1994, et, bien sûr, aussi dans tous ses ouvrages et je pense plus particulièrement au livre qu’il avait publié en 2009 sur l’écrivain allemand Ernst Jünger, et dans ce livre Dominique disait très clairement que, si Jünger nous donnait, nous donne un grand exemple, ce n’est pas seulement par ses écrits, mais c’est aussi parce que cet homme, qui a eu une vie si longue et qui est mort à 103 ans, n’a jamais failli aux exigences de la tenue.

    Dominique Venner était un homme secret, attentif, exigeant, et d’abord exigeant de lui-même ; il avait intériorisé en quelque sorte toutes les règles de la tenue : ne jamais se laisser aller, ne jamais se répandre, ne jamais s’expliquer, ne jamais se plaindre car la tenue appelle et va vers la REtenue. Evidemment, lorsque l’on évoque ces choses, on risque d’apparaître aux yeux de beaucoup comme l’habitant d’une autre planète, à l’époque des smartphones et des Virgin Mégastores, parler d’équanimité, de noblesse de l’esprit, de hauteur de l’âme, de tenue, c’est là employer des mots dont le sens même échappe à beaucoup, et c’est sans doute la raison pour laquelle les Béotiens et les Lilliputiens qui rédigent ces bulletins paroissiens de la bien-pensance que sont devenus les grands médias aujourd’hui ont été incapables pour la plupart de comprendre le sens même de son geste qu’ils ont essayé d’expliquer par des considérations médiocres.

     

    Une façon de protester contre le suicide de l’Europe

    Dominique Venner n’était ni un extrémiste ni un nihiliste et surtout pas un désespéré. Les réflexions sur l’histoire auxquelles il s’était livré pendant si longtemps l’avaient amené, au contraire, à développer un certain optimisme. Ce qu’il retenait de l’histoire c’est qu’elle est imprévisible et qu’elle est toujours ouverte, qu’elle fait les hommes, et que la volonté des hommes la fait également. Dominique Venner récusait toutes les fatalités, toutes les formes de désespoir.

    Je dirais paradoxalement, parce qu’on ne l’a pas suffisamment remarqué, que son désir de se donner la mort était une façon de protester contre le suicide, une façon de protester contre le suicide de l’Europe auquel il assistait depuis tant de temps.

     

    Un suicide d’espérance pensé comme acte de fondation

    Dominique Venner ne supportait tout simplement plus de voir l’Europe qu’il aimait, sa patrie, sortir peu à peu de l’Histoire, oublieuse d’elle même, oublieuse de sa mémoire, de son génie, de son identité, vidée en quelque sorte de cette énergie dont pendant tant de siècles elle avait su faire preuve ; c’est parce qu’il ne supportait plus ce suicide de l’Europe que Dominique Venner lui a opposé le sien, qui, lui, n’était pas un suicide d’affaissement, de démission mais au contraire un suicide d’espérance.

    L’Europe, disait Dominique, est en dormition. Il a voulu la réveiller. Il a voulu, comme il le dit, réveiller les consciences assoupies. Il faut donc être très clair sur ce point : il n’y a aucun désespoir dans le geste de Dominique Venner. Il y a un appel à agir, à penser, à continuer. Il dit : je donne, je sacrifie ce qui me reste de vie dans un acte de protestation et de fondation. C’est ce mot de « fondation », je crois, qui doit être retenu ; ce mot de « fondation » qui nous a été légué par un homme dont le dernier souci a été de mourir debout.

     

    Un samouraï d’Occident

    Dominique Venner n’était pas non plus un nostalgique, mais il était un véritable historien qui s’intéressait, bien sûr, au passé en vue de l’avenir ; il ne faisait pas de l’étude du passé une consolation ou un refuge ; il savait simplement que les peuples qui oublient leur passé, qui perdent la conscience même de leur passé, se privent par là même d’un avenir. L’un ne va pas sans l’autre : le passé et l’avenir sont deux dimensions de l’instant présent mais pas n’importe lesquelles : des dimensions de profondeur. Et dans cette démarche, Dominique Venner se souvenait, bien sûr, d’un certain nombre de souvenirs et d’images. Il avait le souvenir des héros et des dieux homériques ; il avait le souvenir des vieux Romains, de ceux qui l’ont précédé dans la voie de la mort volontaire : Caton, Sénèque, Regulus, tant d’autres. Il avait en mémoire les écrits de Plutarque et les histoires de Tacite. Il avait en tête le souvenir de l’écrivain japonais Yukio Mishima, dont la mort à tant d’égards ressemble tellement à la sienne et ce n’est certes pas un hasard si le livre, le dernier livre qu’il aura publié et qui va paraître d’ici quelques semaines et qui sera publié par Pierre Guillaume de Roux, s’appelle Un samouraï d’Occident : un samouraï d’Occident ! Et dans les images sur la couverture de ce livre Un samouraï d’Occident, on voit une image, une estampe, une gravure célèbre : Le Chevalier, la Mort et le Diable, de Dürer. Cette gravure, Dominique Venner l’a choisie à dessein. C’est à ce personnage du chevalier que Jean Cau, il y a quelque temps, avait consacré un livre admirable qui portait d’ailleurs ce titre : Le Chevalier, la Mort et le Diable. Dans l’une de ses toutes dernières chroniques, rédigée quelques jours à peine avant sa mort, Dominique Venner a précisément écrit un texte d’hommage à ce chevalier qui, dit il, chemine et cheminera, continuera toujours de cheminer, vers son destin, vers son devoir, entre la mort et le diable.

     

    Le Chevalier, la Mort et le Diable : gravé par Dürer en 1513

    Et Dominique Venner dans cette chronique relevait un anniversaire. C’est en 1513, il y a très exactement 500 ans, que Dürer a gravé cette estampe Le Chevalier, la Mort et le Diable, et cette insistance m’a donné personnellement une idée, un geste, que tout le monde peut faire, très simple : je suis allé voir les dates de naissance et de mort de Dürer, l’homme qui a gravé, il y a très exactement 500 ans, Le Chevalier, la Mort et le Diable, et je me suis aperçu que Dürer était né en 1471, qu’il était né le 21 mai 1471. Dürer est né un 21 mai, Dominique Venner a choisi de mourir un 21 mai. Si c’est une coïncidence, elle est extraordinaire, mais on n’est pas forcé de croire aux coïncidences.

     

    Le cœur rebelle sera toujours là

    Voilà ce que je voulais vous dire en souvenir de Dominique Venner qui maintenant est parti dans une grande chasse sauvage, dans un paradis où l’on voit voler les oies sauvages. Ceux qui l’ont connu, et moi je le connaissais depuis 50 ans, ceux qui l’ont connu se disent sans doute qu’ils ont perdu un ami ; je crois qu’ils ont tort, je crois que depuis le 21 mai 2013 à 14h42 ils doivent savoir, au contraire, qu’il sera désormais nécessairement toujours là. Toujours là aux côtés des cœurs rebelles et des esprits libres confrontés depuis toujours à l’éternelle coalition des Tartuffes, des Trissotins et des Torquemadas.

    Alain de Benoist (31 mai 2013)


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  • En hommage à Dominique Venner...

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    Vous trouverez ci-dessous quelques liens vers des hommages rendus à Dominique Venner, qui a choisi de se donner la mort mardi 21 mai 2013, dans le lieu hautement symbolique de la cathédrale Notre-Dame de Paris, « afin de réveiller les consciences assoupies » et de « rompre la léthargie qui nous accable ».


    Alain de Benoist : Dominique Venner, un homme qui a choisi de mourir debout


    Aymeric Chauprade : Dominique Venner a choisi la mort volontaire


    Laurent Ozon : Plus haut que le but


    Christopher Gérard : Exit Dominique Venner


    Pierre Le Vigan : Un samouraï d'Occident


    Alain Soral : A propos de la mort de Dominique Venner


    Christian Vanneste : Le sens d'un suicide ?


    Bruno Gollnisch : Un homme d'honneur, un homme debout dans la bataille


    Paul-Marie Coûteaux : Hommage à Dominique Venner


    Pierre Saint-Servant : Nous venons de perdre un père


    Philippe Christèle et Grégoire Gambier : La force de l'effet produit


    Alain Rebours : Une étincelle dans la nuit


    Enfin, vous pouvez écouter ci-dessous l'émission de Radio Courtoisie à laquelle Dominique Venner aurait dû participer mardi 21 mai dans la soirée aux côtés de Philippe Conrad, de Bernard Lugan et de Jean-Yves Le Gallou, qui lui ont rendu un hommage émouvant...


    Hommage à Dominique Venner par prince_de_conde

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  • Dominique Venner : les raisons d'une mort volontaire...

    « Une mort peut agir sur l'avenir comme une irradiation. »

    Yukio Mishima

     

    Dominique Venner a laissé une courte déclaration écrite pour faire connaître les raisons de son choix d'une mort volontaire. Nous reproduisons son texte ci-dessous.

     

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    Les raisons d’une mort volontaire

    Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie et n’attend rien au-delà, sinon la perpétuation de ma race et de mon esprit. Pourtant, au soir de cette vie, devant des périls immenses pour ma patrie française et européenne, je me sens le devoir d’agir tant que j’en ai encore la force. Je crois nécessaire de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable. J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation. Je choisis un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre Dame de Paris que je respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie de mes aïeux sur des lieux de cultes plus anciens, rappelant nos origines immémoriales.

    Alors que tant d’hommes se font les esclaves de leur vie, mon geste incarne une éthique de la volonté. Je me donne la mort afin de réveiller les consciences assoupies. Je m’insurge contre la fatalité. Je m’insurge contre les poisons de l’âme et contre les désirs individuels envahissants qui détruisent nos ancrages identitaires et notamment la famille, socle intime de notre civilisation multimillénaire. Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je m’insurge aussi contre le crime visant au remplacement de nos populations.

    Le discours dominant ne pouvant sortir de ses ambiguïtés toxiques, il appartient aux Européens d’en tirer les conséquences. À défaut de posséder une religion identitaire à laquelle nous amarrer, nous avons en partage depuis Homère une mémoire propre, dépôt de toutes les valeurs sur lesquelles refonder notre future renaissance en rupture avec la métaphysique de l’illimité, source néfaste de toutes les dérives modernes.

    Je demande pardon par avance à tous ceux que ma mort fera souffrir, et d’abord à ma femme, à mes enfants et petits-enfants, ainsi qu’à mes amis et fidèles. Mais, une fois estompé le choc de la douleur, je ne doute pas que les uns et les autres comprendront le sens de mon geste et transcenderont leur peine en fierté. Je souhaite que ceux-là se concertent pour durer. Ils trouveront dans mes écrits récents la préfiguration et l’explication de mon geste.

    Dominique Venner (21 mai 2013)

     

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