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Points de vue - Page 428

  • Les corporatocraties dans la cyberguerre

    Nous reproduisons ici un article de Jean-Paul Baquiast, animateur du site Europe solidaire, ainsi que du remarquable site scientifique Automates intelligents, consacré à une réflexion sur l'affaire Wikileaks et ses implications.

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    Les corporatocraties dans la cyber-guerre

    Dans la guerre du faible (les cyber-citoyens) au fort (le Système politico-financier ) il serait très naïf de supposer que le fort ne pourra pas retourner contre le faible les armes utilisées par celui-ci.

    John Naughton, du Guardian est moins naïf. Il écrit le 6 décembre, à propos de ce que certains nomment la cyber-insurrection menaçant le Système politico-financier dans la suite de l 'affaire WikiLeaks  :
    «  Politicians now face an agonising dilemma. The old, mole-whacking approach won't work. WikiLeaks does not depend only on web technology. Thousands of copies of those secret cables – and probably of much else besides – are out there, distributed by peer-to-peer technologies like BitTorrent. Our rulers have a choice to make: either they learn to live in a WikiLeakable world, with all that implies in terms of their future behaviour; or they shut down the internet. Over to them.»

    La phrase importante est la dernière: « Ou bien nos dirigeants apprennent à vivre dans un monde rendu poreux par des fuites du type de celles réalisées par WikiLeaks (WikiLeakable) avec tout ce que ceci implique concernant la modification de leurs futurs comportements, ou bien ils ferment l'Internet »

    Il n'y a que les dirigeants un peu benêts ou attardés du cortex, comme les Chinois ou le gouvernement français, pour envisager encore de fermer ou simplement de réglementer Internet. Cet heureux événement ne surviendrait que dans une guerre faisant un large usage des bombes à neutrons ou dans la perspective peu probable dans l'immédiat (mais pas impossible) d'un flash électromagnétique d'origine solaire.

    Il leur reste donc à s'adapter au cyber-monde, afin de retourner contre les cyber-contestataires ou les cyber-adversaires, les armes dont disposent ces derniers. Il n'y a là rien que de très faisable pour qui dispose de l'argent et de l'influence. Le Corporate Power, ou plus exactement, pour élargir la définition, les Corporatocraties, qui associent la puissance des firmes à celle des Etats, disposent d'assez de moyens pour recruter des milliers de jeunes gens très avertis. Ils auront vite fait de saturer le cyber-espace de messages contradictoires, parlant au nom de n'importe qui et défendant n'importe quelle cause, si bien que les intelligences moyennes comme les nôtres ne sauront plus qui parle, ne feront plus confiance à personne et finiront par retourner à leurs méditations solitaires.

    Le procédé n'aura rien de nouveau. On sait très bien comment dans les dernières décennies, les corporatocraties ont retourné à leur profit, pour la propagande politique ou la publicité commerciale, la presse écrite, la radio et la télévision. Toutes pratiquent le « greenwashing » idéologique. Pour ma part, j'écoute encore la radio et regarde la télévision, à certaines heures et en choisissant certaines émissions. Mais même dans ces cas, je peux mesurer, en faisant le compte des messages communicationnels toxiques ou pourris que j'identifie, le nombre infiniment plus grand de ceux que je n'identifie pas et qui formatent en permanence mon pauvre cerveau. Je suis immergé dans ce que les spécialistes pourraient désigner du terme de Système anthropotechnique de la Communication globale.

    C'est de cette façon que les corporatocraties interpréteront la recommandation que leur fait John Naughton «  learn to live in a WikiLeakable world ». Rien ne leur sera plus facile à faire en ce sens: dépenser des millions en dollars et en intelligence mercenaire pour saturer l'Internet de messages non interprétables. Bien évidemment, elles n'ont d'ailleurs pas attendu. Si bien que moi-même, je l'avoue, je me suis demandé pour qui « roulait », comme l'on dit, Assange.

    Mais le soupçon sera partout. N'a-t-on pas suggéré que le mot d'ordre lancé par le site ayant pris Eric Cantonna pour emblème avait fait le bonheur des spéculateurs sur les métaux précieux. Vu la bulle immédiate qui s'était produite sur le cours de l'or, certains ont du réaliser en une nuit de sympathiques bénéfices. La contestation du Système peut mener à tout.

    Jean-Paul Baquiast (Europe solidaire, 9 décembre 2010)

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  • Turquie, le rêve néo-ottoman ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une bonne analyse de Christian Bouchet, publié sur Voxnr, concernant la nouvelle orientation de la politique étrangère turque. La Turquie semble avoir enfin compris qu'elle se fourvoyait en voulant intégrer l'Union européenne. C'est une bonne chose pour l'Europe comme pour le monde multipolaire en train de naître.


     

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    Bye-bye l'Europe ! ou le rêve néo-ottoman de la Turquie

    Quatre vingt-dix ans après avoir perdu son empire quatre fois centenaire, il semble que la Turquie ait aujourd’hui renoué avec ses rêves ottomans, et qu’après avoir orienté ses choix géopolitiques vers le pantouranisme (1) puis vers l’Union européenne, elle ait maintenant décidé de construire un bloc régional de nature à peser fortement dans le futur. Cette « vision d’avenir » est l’œuvre d’Ahmet Davutoglu, un professeur de relations internationales à l’université d’Istanbul devenu ministre des Affaires étrangères de son pays, que certains médias présentent comme le « Kyssinger turc ».

    « L’Europe, c’est fini pour nous ! », telle semble bien être l’avis majoritaire sur les bords du Bosphore où, selon un récent sondage, les Turcs ne sont plus que 38 % à désirer rejoindre l’Union européenne alors qu'ils étaient 74 % à le souhaiter en 2004. Ce désintérêt de l’opinion publique, que le gouvernement ne fait pas le moindre geste pour contrer, explique que les diplomates chargés des négociations avec Bruxelles ne fassent rien pour faciliter leur aboutissement. La question chypriote est toujours pendante et sur les trente-cinq chapitres thématiques de négociation, seul un a été bouclé positivement. Quant aux autres, on y discute sans grand espoir de solution à court ou moyen terme.

    A défaut de progresser dans ses rapports avec l’Union européenne, Ankara a décidé de s’inspirer de son fonctionnement pour constituer une union économique et politique au Proche-Orient où elle promeut un Schengen régional et un nouveau pacte de Bagdad (2).

    Ainsi, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a proposé, le 25 novembre dernier, aux pays arabes de créer une zone analogue à celle qui a été formée au sein de l'Union européenne par les États Schengen. Après avoir rappelé qu'Ankara avait déjà aboli les visas avec la Syrie, le Liban, la Libye et la Jordanie, le chef du gouvernement turc, alors en visite à Beyrouth, a déclaré : « L'Union européenne se félicite d'avoir instauré la zone Schengen. Pourquoi ne pas faire la même chose entre nous ? » Dans le même discours, Erdogan a également fait part du projet prévoyant la création d'un conseil de coopération entre la Turquie, la Syrie, le Liban et la Jordanie, en résumant sa pensée d’une phrase : « Peut-il y avoir quelque chose de plus naturel ? ».

    Le 21 novembre, sur le site internet du Figaro, Georges Malbrunot a, quant à lui, longuement analysé « la reconstitution du pacte de Bagdad » qui s’effectue, trente ans après la volatilisation de ce bloc anti-soviétique, mais aujourd’hui sans les Etats-Unis et le Pakistan. Et d’expliquer comment la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran « dessinent à vive allure la matrice de leurs institutions communes, à l’instar, il y a cinquante ans, de l’Europe des Six » : les visas entre ces quatre pays sont désormais supprimés, un consortium vient d’être créé pour rendre compatibles les réseaux des oléoducs et des gazoducs existants et à venir, les ressources d’eau y sont administrées de concert, etc. Ce futur bloc territorial de 250 millions d’habitants - qui contrôle à lui seul le Bosphore, le détroit d’Ormuz et la plus grande part des routes du gaz et du pétrole - possède 35% des réserves d’hydrocarbures de la planète. A terme, c’est, aux yeux de Georges Malbrunot, une hyper puissance qui émergera.

    Cela étant, la Syrie et l’Iran, sont en même temps des alliés de la Turquie mais aussi des rivaux dans la lutte pour le leadership du Proche-Orient et l’Iran joue sa propre partition tout particulièrement au Liban et à Gaza, par ses rapports privilégiés avec le Hezbollah et le Hamas, mais aussi sur sa frontière septentrionale.

    Ainsi, Téhéran entretient les meilleures relations avec l’Arménie qui est historiquement « en délicatesse » avec la Turquie, même si le gouvernement Erdogan tente de rapprocher les deux pays au grand déplaisir du très droitiste Parti nationaliste turc. Fait nouveau, l’Iran vient de signer des accords de coopération très importants avec deux de ses voisins du Nord : le Turkménistan et l’Ouzbékistan, qui vont permettre à ces deux pays enclavés, soucieux l’un et l’autre de ne pas dépendre de la seule Russie pour l’acheminement de leur commerce extérieur, d’utiliser le territoire iranien pour accéder à l’Océan Indien. Pour le Turkménistan en particulier, pays très peu peuplé mais qui dispose de réserves de gaz naturel parmi les plus importantes du monde, cette ouverture vers le Sud est un moyen d’échapper aux contraintes léonines que pouvait lui imposer Gazprom pour exporter son gaz. L’Iran, le Turkménistan et l’Ouzbékistan partagent de surcroît un souci commun de sécurité : celui de combattre la déstabilisation et les multiples influences souterraines qu’engendre l’immense trafic d’héroïne d’origine afghane. Par ailleurs, les diplomates iraniens viennent de connaître un autre succès en signant; en août dernier, un accord de coopération militaire avec le sultanat d’Oman. A eux deux, Oman et Iran contrôlent maintenant les deux rives du détroit d’Ormuz, l’un des détroits les plus stratégiques et les plus surveillés du monde en raison du flux pétrolier intense qui l’emprunte.

    Renonçant à ses illusions européennes pour l’une et affirmant sa fermeté à la face de tous pour l’autre, la Turquie et l’Iran, même si le "grand jeux" continue, sont en voie d’organiser un voisinage régional confiant et coopératif appelé à devenir un nouveau pôle du monde multipolaire en gestation sous nos yeux. Nous ne pouvons que nous en réjouir et dans le même temps nous en inquiéter. En effet, par les prises de position hystériques de Nicolas Sarkozy en matière de politique étrangère notre pays est sans influence dans cette région alors que, paradoxalement, comme le remarque Georges Malbrunot les yankees, moins naïfs, sont déjà à la manoeuvre pour prendre leur part du futur consortium pétrolier régional (3).

    Christian Bouchet (Voxnr, 9 décembre 2010)

    1 – Désir d’unir les peuples turcs dispersés de la Chine à la Roumanie.
    2 - Le Traité d'organisation du Moyen-Orient, plus communément appelé pacte de Bagdad, a été signé le 24 février 1955 par l'Irak, la Turquie, le Pakistan, l'Iran, les États-Unis et le Royaume-Uni. C’était le pendant régional de l’OTAN.
    3 - Cela malgré les manoeuvres des néo-cons qui désignent la Turquie comme un ennemi potentiel des USA encore plus dangereux que l'Iran (voir D. Pipes http://fr.danielpipes.org/9134/turquie-islamiste-iran-laique)

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  • Une bonne question...

    Nous reproduisons ici la chronique "télévision" de Franck Nouchi, publiée dans le Monde du 10 décembre 2010. L'auteur y pose honnêtement une bonne question...

     

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    Télé-empathie

    Le 6 novembre, sur le plateau d'"On n'est pas couché", Eric Zemmour s'interrogeait sur le "cas" Marine Le Pen : "Le problème aujourd'hui c'est que Marine Le Pen n'est pas antisémite, qu'elle ne fait pas de vanne à deux balles sur la seconde guerre mondiale, que sur la mondialisation, elle dit des choses pas très différentes de la gauche de la gauche. Et donc ça pose un vrai problème parce qu'elle est moins diabolisable que son père." "Pour l'instant, l'interrompit Laurent Ruquier, on a, j'ai choisi de ne pas recevoir Marine Le Pen. Et vous, Michel Drucker, vous la recevriez ?""Non, répondit l'animateur de "Vivement dimanche" présent, lui aussi, sur le plateau. Je n'ai pas reçu le père. La question ne se pose pas. Ce n'est pas d'actualité. On ne m'a rien demandé.""La question va se poser, Michel", prédit Eric Zemmour.

    Un mois plus tard, sur Radio Classique, Marine Le Pen expliquait que ces propos sont un "véritable scandale". "Il (Michel Drucker), ajoutait-elle, se permet d'exclure de son émission le représentant, ou la représentante d'ailleurs, de millions d'électeurs (...). M. Drucker, comme l'ensemble des autres journalistes qui travaillent sur le service public, ont un devoir."

    Sur son blog, notre confrère de L'Express, Renaud Revel, a pris la défense de Michel Drucker. "Il faut, écrit-il, faire preuve d'un bien grand cynisme et feindre de méconnaître le destin pour le moins bouleversant des Drucker, pour réagir de la sorte." Rappelant ce qu'écrit l'animateur sur son père juif, persécuté par les nazis pendant la guerre, dans Rappelle-moi (éditions Robert Laffont), Revel ajoute : "On peut aisément pardonner à Michel Drucker de ne pas vouloir donner suite à la demande d'une responsable politique de premier plan, à la droite de la droite, qui n'a jamais cru bon contester, même du bout des lèvres, les propos infâmes d'un père, Jean-Marie Le Pen, sur la Shoah."

    Sur le site Causeur, Elisabeth Lévy défend un point de vue différent : "Drucker et Ruquier n'aiment pas Marine Le Pen, c'est leur droit. Mais je ne savais pas que les invités de leurs émissions étaient choisis en fonction du goût des animateurs. On fait du divertissement, on invite qui on veut, disent-ils. Ben voyons ! Sauf que, nous divertissant avec des politiques, ils participent au débat public et doivent en respecter les règles."

    A partir du moment où Michel Drucker reconnaît lui-même qu'il ne veut pas rendre Marine Le Pen "sympathique" en l'invitant, toute la question est de savoir s'il est légitime d'inviter des personnalités politiques dans des émissions de pur divertissement qui, de fait, sont devenues de véritables lieux de promotion d'image. Si l'on pense que oui, alors se pose la question de savoir à qui il revient de lancer les invitations pour participer à de telles émissions de "télé-empathie". Comme disait Zemmour, ces questions vont se poser. Elles se posent déjà.

    Franck Nouchi (Le Monde, 10 décembre 2010)

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  • Les doigts dans la marmite diplomatique...

    Nous reproduisons ci-dessous la chronique hebdomadaire de Philippe Randa consacrée à Wikileaks et publié sur son blog.

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    Les doigts dans la marmite diplomatique...

    C’est Ben Laden qui ne doit pas être content ! La vedette lui est désormais ravie par Julian Assange, fondateur du site Wikileaks qui défraie les médias du Monde entier. C’est lui qui fait désormais trembler l’"Empire du Bien”… Ses publications de documents font moins de morts – aucun à ce jour –, mais tout autant sinon plus de ravages, semble-t-il, que les sanglants attentats des barbus de l’Oumma (communauté des musulmans).
    Le bi-mensuel Flash infos magazine lui a consacré sa dernière une. Il n’est pas le seul. Aucun media n’a passé sous silence les “faits et méfaits” de monsieur Assange, reconnaissons-le. Mais peu on fait remarquer comme Nicolas Gauthier dans son éditorial, qu’on attend toujours ces fameuses révélations contre lesquelles les gouvernements du Monde entier mettent en garde tout à chacun.
    Elles vont peut-être venir… mais celles qui ont été publiées par les grands quotidiens sélectionnés par le fondateur de Wikileaks pour trier et commenter les 400 000 documents mis à leur disposition ne sont que l’aveu de ce dont on se doutait concernant entre autres les pratiques de l’American way of life en Irak : utilisation de la torture, morts de civils irakiens, bavures des milices privées, pouvoir d’influence de l’Iran (l’actuel Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, soutenu par Washington, ayant dû être adoubé à Téhéran avant de commencer à former un nouveau cabinet)…
    Plus nouveau, mais tout aussi évident, les jugements émis par la diplomatie américaine sur les dirigeants européens. Silvio Berlusconi aimerait la galante compagnie… et Nicolas Sarkozy serait un perpétuel excité. L’un et l’autre ne serait guère “crédibles” comme chef d’État. Si ce sont les Américains qui le disent !
    Plus cocasse sans doute est l’officialisation que l’Arabie Saoudite ait voulu pousser à la guerre contre l’Iran. C’est sans doute le plus grave pour l’Oncle Sam qui tente de convaincre que les musulmans formeraient un bloc uni, obsédés par l’éradication de toutes les autres religions. Nombre d’islamophobes de circonstances y ont trouvé l’espoir d’exister politiquement. Patatras ! Les musulmans sont aussi divisés que les chrétiens, les haines entre branches rivales sont aussi tenaces qu’entre catholiques et protestants autrefois, voire encore actuellement… et le mépris des unes pour les autres vaut bien souvent celui des askénazes pour les sépharades, n’en déplaisent aux obsédés du fumeux “complot juif”.
    D’où les pressions pour empêcher les hébergements du site Wikileaks dans chaque pays. Chassé des serveurs d’Amazon basés aux États-Unis, le nouveau ministre chargé de l’Industrie, de l’Énergie et de l’Économie numérique Éric Besson a demandé l’expulsion du site web du territoire français.
    Dans la patrie auto-proclamée des Droits de l’homme, si prompte à dénoncer les atteintes à la liberté d’expression chez les autres, il fallait oser. Il a osé. Éric Besson est l’homme qui ose. Tout.
    Rappelons tout de même que personne ne met en doute l’authenticité des documents publiés par Julian Assange. Au contraire… et c’est même parce qu’ils sont vrais qu’ils font si peur à nos gouvernants, pris ainsi les doigts dans la marmite de leurs mensonges, exactions, bavures, stupidités, jugements à l’emporte-pièce et autres amabilités diplomatiques…
    Et plus encore de leur incompétence à protéger leurs vilains secrets. Car si un site internet peut se procurer ainsi de tels secrets d’État, nombre de services secrets en sont probablement tout aussi capables. Ce n’est donc pas cela qui est grave pour eux, c’est que ces secrets soient ainsi connus de leurs peuples, c’est-à-dire des électeurs.
    Quant à l’initiative d’Éric Besson, elle est pour le moins dangereuse pour sa respectabilité, si tant est qu’il lui en reste encore beaucoup… Et le danger d’un effet boomerang d’une telle initiative n’est pas à écarter.
    En effet, l’hébergeur français OVH, sommé d’expulser le site Wikileaks n’est pas officiellement son hébergeur, mais simplement “le prestataire technique de la solution technique que le client a demandé”. OVH a donc décidé de saisir le juge des référés “afin qu’il se prononce sur la légalité ou pas de ce site sur le territoire français”, rappelant, à cette occasion, que “ce n’est pas au monde politique ni à OVH de demander ou décider la fermeture, ou pas, d’un site, mais à la justice.
    Et chacun sait la Justice est indépendante du pouvoir politique qui n’a pas à lui donner d’ordre. Enfin, c’est que les gouvernements affirment, à moins que parmi les 400 000 documents de Wikileaks, on apprenne le contraire. Improbable, bien sûr.

     
    Philippe Randa (7 décembre 2010)



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  • Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    Nous reproduisons ici l'article, publié par Causeur, que Ludovic Maubreuil, critique de cinéma de la revue Eléments et responsable du blog Cinématique, a consacré à l'écrivain Jean Parvulesco à l'occasion de sa disparition.

     

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    Jean Parvulesco, l'inconnu séditieux

    C’était au temps du train Corail entre Lille et Paris, plus de deux heures trente si ma mémoire est bonne, assez en tous cas pour faire en un aller-retour, un sort aux romans qui résistent et aux essais qui ne se laissent pas faire, à ces œuvres énigmatiques ne se livrant jamais au lecteur dilettante. Avec un certain orgueil, j’étais alors impatient de cerner la philosophie d’Abellio, si séduisante mais si difficile à saisir, et pour cela, pistais le moindre commentaire de texte. Chez un bouquiniste, j’avais déniché Le soleil rouge de Raymond Abellio d’un certain Jean Parvulesco, trouvé à l’intérieur d’un livre de cuisine ouvert par erreur. Un signe, à n’en pas douter. Hélas, ne comprenant pas un traître mot au verbiage que j’identifiai immédiatement comme une belle fumisterie, le livre rouge et bleu, par la fenêtre du compartiment, s’envola en rase campagne ; j’en ai encore honte aujourd’hui.

    Mystique et affabulateur de génie

    Il y a six ou sept ans pourtant, je suis revenu vers l’œuvre de Jean Parvulesco, cette fois avec un tout autre état d’esprit. Mon orgueil ayant subi pas mal de revers, je ne désirais plus de clés bien ouvragées, de solutions définitives ou d’exégèses réglées, mais déprimé par la morne bassesse de la vie littéraire, je cherchais une sorte d’antidote à ce qui me semblait irréversiblement mou, triste, banal et sans issue. À tout prendre, il me fallait revenir à ce qui m’avait toujours paru le moins lisible possible et Parvulesco faisait partie de ce cercle-là !
    En quelques romans, je fus conquis, c’est-à-dire sauvé. Même si tout ce que cet étonnant mystique roumain racontait dans ses singuliers romans eschatologiques était pure affabulation, si les complots auxquels il faisait allusion et les rites expiatoires dont il dressait méticuleusement la liste, n’existaient pas, cet univers me ravissait littérairement. Lui au moins offrait un verbe ardent, inespéré, royalement hors-sujet. Lui au moins permettait d’envisager, selon sa propre terminologie, la défaite du si puissant non-être, qui n’avait soumis qu’en apparence, ou du moins que temporairement, l’Etre.

    Dans un article paru en 2008 dans Spectacle du Monde, Michel Marmin observe que Parvulesco « pour dévoiler, à l’instar de Balzac, l’envers de l’histoire contemporaine, car c’est bien de quoi il est question, récapitule et précipite toutes les formes du roman occidental, du roman arthurien au roman d’espionnage, et ne s’interdit aucune divagation onirique, fantastique ou érotique. » Cette langue qui témoigne d’une absence insensée d’assujettissement aux règles en vigueur, cette langue tout en circonvolutions limpides qui donnent l’impression d’être enfin dans le secret des dieux tout en se perdant aux enfers, cette langue-là est en effet comme une sorte de réaction chimique qui dissout instantanément la compartimentation de la post-littérature, la rend caduque à tout jamais et permet enfin de dépasser son absence d’attaches comme ses ersatz d’audace, pour en rêver immédiatement une autre.

    Avec De Roux, Ronet, Melville, Rohmer

    Mais après tout, qui connaît aujourd’hui Jean Parvulesco, décédé ce 21 novembre, à part quelques révolutionnaires gaulliens, quelques occultistes guénoniens, quelques tantristes lecteurs de Julius Evola ? Si une brève notice bio-bibliographique vient de paraître sur le site du Magazine Littéraire, cette revue n’a jamais daigné rendre compte de ses travaux.
    Pourtant, la silhouette de cet inconnu séditieux se profile auprès de tout ce que le siècle dernier a compté d’individus hors du commun et d’œuvres subversives, auprès d’Heidegger et d’Evola, Dominique de Roux et Ezra Pound, Maurice Ronet et Paul Gégauff. C’est Jean-Pierre Melville lui-même qui joue son rôle dans À bout de souffle et plusieurs films de Rohmer, à certains moment-clés, le font apparaître…
    Aujourd’hui, j’ai enfin compris pourquoi j’ai jeté ce livre par la fenêtre d’un train Corail, il y a presque dix-huit ans de cela : pour que quelqu’un le trouve sur la berge d’un ruisseau ou au milieu d’un sentier perdu, et remonte la piste. Pour que cette écriture un jour ou l’autre l’électrise et que cette parole inouïe, au sens figuré comme au sens propre, lui fasse comprendre que rien n’est joué.

    Ludovic Maubreuil (Causeur, 5 décembre 2010) 

     

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  • Un Etat qui se délite...

    L'Etat, en France, se délite... Philippe Bilger, magistrat et homme libre, en livre un nouvel exemple dans ce texte consacré au tribunal de grande instance de Bobigny, tiré de son blog Justice au singulier, que nous vous invitons à consulter régulièrement.

       

     

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    Quatre jours à Bobigny

    Récemment, je suis allé durant quatre jours au tribunal de grande instance de Bobigny pour être ministère public dans une affaire criminelle concernant trois accusés dont l'un ne se voyait reprocher qu'un délit et était détenu pour une autre cause. A l'issue des débats, ce dernier a été acquitté tandis que les deux autres ont été condamnés aux peines requises.

    Ce n'est pas le procès que j'ai envie de raconter même si, mené dans une atmosphère tendue mais courtoise et sans incident, il m'a donné l'impression parfois que certains jurés se vivaient moins comme des juges objectifs et sereins que comme des serviteurs de tel ou tel communautarisme.

    Ce qui m'a frappé dans ce palais de justice, ce n'est pas la population qui y déambulait, africains, maghrébins ou européens, ni la survenue d'événements significatifs qui auraient mérité une attention particulière.

    A dire le vrai, j'ai surtout ressenti, partout où je suis passé et notamment dans le secteur où mon activité me conduisait, sur le plan matériel comme un délabrement à la fois insinuant et irrésistible, une morosité crépusculaire, une dégradation nette. D'autant plus triste qu'elle semblait fatale et à l'abri de toute intervention humaine. J'étais venu à Bobigny quelques mois auparavant et j'ai retrouvé certains travaux dans le même état d'inachèvement avec un escalier métallique et des protections en plastique immuables. Je n'évoque même pas le bureau destiné à l'avocat général aux assises qui le laissait dans une obscurité presque totale puisque la plupart des lampes étaient mortes. Je glisse sur l'état honteux des toilettes où, si le président de la cour d'assises ne s'en était pas mêlé, des malheureux, dans le noir complet, se seraient perdus et cognés aux murs. On aboutit à cette leçon qu'au moins dans ces domaines, Paris est une réussite !

    Constatant à Bobigny un tel état des lieux, dont je veux bien croire qu'il ne mettait pas en péril forcément l'administration de la justice mais clairement son apparence, son image et la confiance dans la fiabilité de sa gestion, je ne pouvais pas m'empêcher de songer au livre blanc 2010 sur l'état de la justice en France publié par l'Union syndicale des magistrats (Le Parisien, marianne2, nouvelobs.com). Plus de 165 juridictions avaient été visitées et un inventaire de toutes les difficultés, des financières aux matérielles, des judiciaires aux infiniment basiques, était dressé qui montrait à quel point, avant même le fond de la justice, ses possibilités de fonctionnement élémentaire et de décence quotidienne étaient affectées. Michèle Alliot-Marie, devant un tel tableau, l'avait jugé "ridicule" et manifestait qu'elle aurait dû s'appliquer à elle-même cet adjectif. Heureusement, Michel Mercier l'a pris au sérieux et ce serait un axe fondamental de son action que de "se contenter" de favoriser une restauration, sur tous les plans, de ces lieux en péril. 

    Autre chose m'étonne au sujet du tribunal de Bobigny. Je sais bien qu'à la tête des juridictions le triumvirat - président, procureur et greffier en chef - ne favorise pas l'efficacité et la cohérence. Je connais le président Philippe Jeannin qui a fait son stage comme auditeur de justice quand j'étais affecté au parquet de Bobigny, il y a longtemps. J'ai suivi son parcours et il a été notamment un très bon président de la Chambre de l'instruction à Paris. Je ne l'imagine pas rester insensible devant ce que j'ai décrit. Le plus surprenant c'est que le procureur François Molins, qui n'a sans doute pas été pour rien dans l'acceptation résignée de ce lent et mélancolique délitement, s'est retrouvé directeur de cabinet de MAM puis, paraît-il sur la suggestion étrange de Jean-Louis Nadal, de Michel Mercier. J'espère qu'il traitera la justice en général autrement que Bobigny en particulier.

    Il n'y aucune fatalité pour que, sur le plan judiciaire comme sur d'autres, la Seine-Saint-Denis soit laissée à une forme d'abandon matériel et social. Certes, ce que j'ai vu à Bobigny est fragmentaire et limité et n'a rien à voir par exemple avec Sevran, où, Cité des Beaudottes, "les dealers contrôlent les habitants". Il n'empêche qu'on ne peut continuer à appréhender des difficultés tellement préoccupantes, lancinantes et structurelles qu'elles sortent de l'ordinaire, par des moyens et selon des modalités usuels. Pourquoi ne pas prendre exemple sur la nomination du préfet Lambert ? En face de telles carences, pourquoi la Justice ne nommerait-elle pas en urgence des "proconsuls" avec un mandat d'un an et toute latitude et tous pouvoirs pour remettre en état de marche des juridictions où il est miraculeux d'observer que, malgré des contextes aussi lourds, la qualité de la justice n'a pas sombré ? Ils seraient jugés à l'expiration de leur mission.

    En cas d'échec, il ne faudrait pas les "bombarder" directeurs de cabinet !

    Philippe Bilger (Justice au singulier, 3 décembre 2010) 

     

     

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