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Points de vue - Page 195

  • Qui arrêtera les grands épurateurs de l'Histoire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bérénice Levet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'entreprise d'épuration de l'histoire menée par le milices du politiquement correct. Docteur en philosophie, Bérénice Levet a publié La théorie du genre ou La vie rêvée des anges (Grasset, 2014) et Le crépuscule des idoles progressistes (Stock, 2017).

     

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    Bérénice Levet :«Qui arrêtera les grands épurateurs de l'Histoire ?»

    Mardi dernier, le 28, se saisissant de la condamnation unanime par les médias français des événements de Charlottesville déclenchés par la décision de la municipalité de destituer la statue du ségrégationniste Général Lee, et la dénonciation non moins unanime du racisme persistant des Américains, de l'attitude des «suprémacistes blancs», le très prévisible président du Conseil Représentation des Associations noires de France (Cran), Louis-Georges Tin, publiait dans Libération une tribune intitulée «Vos héros sont parfois nos bourreaux» - précisons que la nuance n'est pas de Tin lui-même ; pour lui, il n'y a pas de «parfois»: «Vos héros sont nos bourreaux», écrit-il.

    Dans cette tribune, il somme le peuple français de procéder à son examen de conscience, de prendre acte de sa propre complaisance envers «les négriers», et réclame des édiles une vaste politique d'épuration urbaine: débaptiser les noms de rues, déboulonner les statues et, parmi les cibles visées par le militant, un nom se détache, nullement choisi au hasard tant la charge symbolique est forte, celui d'une des grandes figures de l'histoire de France: le nom de Colbert. «Lequel des deux pays est le plus problématique, feint de s'interroger Tin, celui où il y a un conflit autour de la statue d'un général esclavagiste, ou celui où il y a l'Assemblée nationale une statue de Colbert, une salle Colbert, une aile Colbert au ministère de l'Économie, des lycées Colbert, des dizaines de rues ou d'avenue Colbert sans qu'il y ait le moindre conflit, la moindre gêne, le moindre embarras?»

    S'attaquer aux statues est un geste hautement significatif. Souvenons-nous de l'Abbé Grégoire et de sa grande croisade contre le vandalisme (mot qu'il forgea) révolutionnaire, qu'il interprétait comme une volonté de «ramener le peuple à l'ignorance en détruisant les monuments des arts». Une ville est sédimentée historiquement et les statues sont les incarnations de ces couches successives qui la composent. Une ville se raconte au travers de ses statues. Celles-ci sont riches d'une double épaisseur temporelle: elles renvoient au siècle de la personne statufiée - témoins d'un temps passé, elles sont les marqueurs de la continuité historique d'une nation - mais aussi à l'époque où elles ont été érigées. (Je renvoie sur cette question aux précieux travaux de Maurice Agulhon).

    Ces grands démolisseurs ignorent les racines affectives de ces monuments. «Ces mois derniers, racontait le philosophe Ortega y Gasset dans sa préface à la Révolte des masses destinée aux lecteurs français, tout en traînant ma solitude par les rues de Paris, je découvrais qu'en vérité je ne connaissais personne dans la grande ville, personne sauf les statues (…) N'ayant personne à qui parler, c'est avec elles que je m'entretins». Et chacun de nous fait au moins l'expérience de ces itinéraires urbains jalonnés par la présence de ces grands hommes, écrivains, monarques, révolutionnaires, qui ont fait la France.

    Ces exigences de réécriture de l'histoire se sont multipliées au cours de ces dernières années. En décembre 2015, le Rijksmuseum d'Amsterdam s'engageait dans une vaste opération intitulée «Ajustements au sujet des terminologies colonialistes». Vingt-trois termes figurant sur les cartels des œuvres accrochées aux cimaises du musée, pouvant être jugés «offensants» par les visiteurs, avaient été retenus afin de leur trouver des substituts politiquement corrects: Maure, nègre , esclave, sauvage, hottentot, nain, mahométan. La même année, un Américain de trente-trois attaquait le Metropolitan Museum of Art de New York en justice pour racisme. Il accusait l'institution muséale de n'exposer que des œuvres figurant des Christs de type «arien», des Christs à la peau claire et aux cheveux blonds, provoquant du même coup, chez lui «un sentiment de rejet». Quatre toiles l'offensaient particulièrement, dont une du Tintoret et une autre du Pérugin. Il en exigeait impérieusement le décrochage.

    Cette année, en Martinique, à l'occasion du 23 août, décrété par l'Unesco journée international de la mémoire de l'esclavage et de son abolition, une manifestation à l'initiative du MIR (Mouvement International pour les Réparations) a été organisée afin d'obtenir la destitution de la statue de Joséphine de Beauharnais, sur la place de la Savane. Les militants ont brûlé sur la statue le drapeau aux serpents, emblème très controversé de la Martinique puisque ce pavillon figurait à l'époque sur les navires négriers. D'autres manifestations et revendications de cet ordre ont été récemment rappelées par Mathieu Bock-Côté (Le Figaro, 30 août 2017). Il faudrait également regarder du côté des féministes non moins résolues à reconfigurer l'espace public.

    Politique de reconnaissance importée

    Comment en sommes-nous arrivés là? Plusieurs facteurs y ont contribué et se conjuguent.

    Nous sommes la proie d'une hydre à plusieurs têtes. Effets délétères partout dans le monde, mais plus encore en France tant cet esprit est contraire à notre histoire. L'avènement d'une mémoire pénitentielle et l'importation d'une idéologie et d'une politique de reconnaissance des identités venue des pays anglo-saxons, l'exaltation du droit à la différence avec la création de SOS Racisme par la gauche mitterrandienne en 1984 ont eu raison de la conception française de la République et de sa passion du monde commun.

    Le retrait de la nation, de l'histoire nationale comme principe d'identification a laissé le champ libre à l'affirmation identitaire, aux revendications de chacune des communautés et à l'émiettement du corps national. Un individu ne se satisfait pas longtemps de demeurer sans identité, il se tourne alors vers les plus avenants, les seuls offrants. Une identité de victime, autorisant la haine de la France et de l'Occident, semble un joyeux écrin.

    Ces phénomènes témoignent du rapport extrêmement épineux que nous entretenons avec le passé. Nous ne savons plus comment l'appréhender. Le passé appelle des héritiers, car il aspire à être continué, maintenu vivant et enrichi, or, il semble bien qu'il doive se contenter de touristes ou de juges, qui sont souvent les mêmes. L'hubris, la démesure d'un présent qui se voudrait entièrement fondateur, nous domine. L'homme ne veut plus se concevoir comme un héritier, avec ce que cela engage de responsabilité. L'histoire singulière dans laquelle nous entrons nous est confiée et il nous appartient d'en répondre. «Naître, disait Marcel Hénaff, c'est être en dette».

    La passion judiciaire nous habite et le passé ne nous apparaît plus que comme coupable de part en part et indigne d'être continué. Nous sommes devenus inaccessibles à la grandeur du passé, à sa noblesse, à sa puissance d'inspiration, à ses trésors. Dans la novlangue des années 1960-1970, fabriquer des héritiers signifie ipso facto se rendre coupable de collaboration en permettant à une civilisation de se prolonger. La passion de la repentance, l'ivresse pénitentielle, sur lesquelles tout a été écrit, nous habitent.

    Incarcérés dans la prison du présent

    Un point me semble devoir cependant être ajouté, plus rarement souligné. Incarcérés dans la prison du présent, nous sommes devenus incapables de nous extraire de nos catégories de pensée et de jugement - sexisme, racisme, colonialisme, machisme, dominants/dominés et nous revisiterons l'histoire avec pour seule pierre de touche cette indigente grille de lecture. L'inconnu est ramené au connu, l'étrangeté qui marque de son sceau des modalités de pensée et de vie venues d'autres rives temporelles, reconduites à du familier.

    Un mal redoutable nous affecte: nous sommes devenus incapables de suspendre nos évidences, de mettre entre parenthèses nos préjugés d'hommes démocratiques, égalitaristes. Incapables, autrement dit, de «nous dépayser dans un sens autre» (Paul Ricoeur) et d'atteindre à la complexité de réalités essentiellement distinctes des nôtres - et le plus grave est que l'école elle-même ne se fait plus le lieu de l'apprentissage de cette faculté, de cet art. Les programmes d'histoire et de littérature sont infestés par l'idéologie contemporaine et l'élève appréhende le passé avec les lunettes du présent, encouragé à distribuer les bons et mauvais points.

    Ainsi de Colbert, cette immense figure de l'histoire de France, qui a permis à notre pays d'accéder à une grandeur jusqu'alors inégalée, Louis-Georges Tin ne sait et ne veut savoir qu'une chose: qu'il fut l' «auteur du code noir» - formule approximative car si Colbert fut à l'initiative du code noir, il n'en fut pas le rédacteur, mais ne demanderons pas à Tin de s'embarrasser de ce qui n'est assurément à ses yeux qu'un détail - et le fondateur de la Compagnie des Indes Occidentales.

    Qu'on ne nous accuse pas de nier la réalité de l'esclavage et la rigueur de cette juridiction. Nous n'ignorons nullement que le Code noir «en vigueur jusqu'en 1848, fut l'un des outils de l'inhumanité du système esclavagiste. Il en demeure l'un des symboles» (Olivier Grenouilleau) mais l'histoire de la France ne s'y réduit pas. Ce que s'obstinent à nier les Tin et consorts pour qui la colonisation est l'essence même de la France. Et dans cette intrigue des plus rudimentaires, les rôles sont aisés à distribuer: nous sommes les bourreaux et eux, les victimes.

    Il est évident que l'établissement des faits, la connaissance historique n'intéressent pas ces militants. L'objectif de ces carabiniers n'est pas le savoir, l'instruction, mais la comparution: ils veulent une France à terre, une France qui batte sa coulpe. La haine, le ressentiment - passion vile des hommes démocratiques, disait Nietzsche - les dévorent.

    Lecture infantilisante de l'histoire

    Cette lecture en blanc et en noir de l'histoire pourrait être dénoncée comme de l'infantilisme, ce qu'elle est assurément - l'adulte, l'homme qui a accédé à l'âge de la majorité, l'homme éclairé est censé savoir que l'histoire est un tissu de complexités - mais ce serait insuffisant car elle est d'une redoutable efficacité, elle séduit et est diffusée, relayée par des esprits qui ont largement dépassé l'âge infantile.

    Nos élites intellectuelles, culturelles, politiques en sont les grandes instigatrices. Ainsi, mardi 28, dès 7h30, avant même de s'être rendu à son kiosque à journaux, l'auditeur de la Matinale de France-inter savait, grâce à son animateur Nicolas Demorand (éditorial accessible en ligne sur le site de la radio), qu'il était ce jour-là un sermon à ne pas manquer et à gravement médité, publié dans le quotidien Libération, la tribune de Louis-Georges Tin. «Examen de conscience nécessaire, donc, de ce côté de l'Atlantique», concluait le journaliste sur un ton solennel mais non moins enjoué, le ton de celui qui se sait appartenir au camp du bien.

    C'est la raison pour laquelle on aurait tort de traiter par le mépris, avec un haussement d'épaules et un sourire au coin des lèvres, ces manifestations et revendications. Comment ces grands épurateurs de notre histoire, de notre passé, ne trouveraient-ils pas audience auprès de nos politiques hantés par l'idée d'être suspects de complicité avec les «péchés», quand ce ne sont pas les «crimes», de la France (colonialisme, sexisme etc.)? Imaginons un instant, Anne Hidalgo, lisant la tribune de Tin: Comment l'exhortation à traquer la moindre trace des «négriers» dont la ville perpétuerait le souvenir, et en conséquence, à débaptiser les rues, les établissements scolaires, déboulonner les statues pécheresses, ne trouverait-elle une oreille des plus bienveillantes auprès de la maire de Paris engagée dans cette vaste opération d'ingénierie urbaine et sociétale, éloquemment intitulée «Réinventer Paris» (entendre régénérer le peuple parisien)? Une ville nettoyée de ces vieilleries au nom de la lutte contre le racisme et l'esclavagisme…Que rêver de mieux!

    Il nous faut être extrêmement vigilants, car les revendications communautaristes sont un tonneau des Danaïdes et nos élites font montrer d'une véritable soumission.

    Cette focalisation sur le passé offre l'avantage de se détourner de l'urgence du présent, de se dispenser de juger ici et maintenant. Ainsi la France mérite-t-elle toute leur haine, quand les terroristes islamistes à l'inverse, serinent-ils après chaque nouvel attentat, ne l'auront pas.

    Bérénice Levet (Figaro Vox, 4 septembre 2017)

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  • Eléction présidentielle de 2017 : une élection ordinaire ?...

    Nous reproduisons ci-dessous  une réflexion de Michel Geoffroy, cueillie sur Polémia et consacrée à l'élection présidentielle de 2017. L'auteur revient sur cette élection en l'éclairant à la lumière des analyses formulées par Lucien Cerise dans son livre Retour sur Maïdan/La guerre hybride de l’OTAN (Le Retour aux Sources, 2017). Intéressant...

     

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    L’élection présidentielle de 2017 a-t-elle constitué une révolution rose imposée à la France ?

    La parution du livre de Lucien Cerise, Retour sur Maïdan/La guerre hybride de l’OTAN (1) peut conduire, en effet, à se poser la question.

    Dans cet ouvrage très documenté, l’auteur détaille les différents aspects de la « révolution de Maïdan » intervenue en Ukraine durant l’hiver 2013/2014 à la suite de la décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d’association avec l’Union européenne et qui a conduit au départ du président Viktor Ianoukovytch et à la mise en place d’une nouvelle équipe, cette fois définitivement pro-occidentale.

    Une révolution organisée

    L’auteur démonte les différentes techniques de déstabilisation mises en œuvre dans le cadre de cette « révolution » ukrainienne : en particulier l’action de groupes armés formés à l’étranger et pratiquant une stratégie de la tension vis-à-vis du pouvoir en place, l’organisation de manifestations de rues très minoritaires mais très médiatisées, l’usage d’Internet comme caisse de résonance internationale ou l’instrumentation de groupuscules extrémistes et islamistes comme troupes de choc.

    Cette révolution n’aurait donc rien de populaire comme le suggèrent les médias de propagande : au contraire, elle aurait été imposée au peuple par le truchement de minorités agissantes dont l’action n’aurait rien de spontané.

    Théorie du complot ?

    Pourtant cet « EuroMaïdan » présente indéniablement de nombreux traits communs avec les différentes « révolutions de couleur » et les « printemps arabes » qui sont apparus ici et là (2). Des révolutions qui ont curieusement eu pour effet de déstabiliser les gouvernements considérés comme hostiles aux projets des Occidentaux et des Etats-Unis, notamment celui de poursuivre l’encerclement stratégique de la Russie et de semer le chaos islamiste au Proche-Orient.

    En outre l’auteur fonde sa démonstration sur une profusion de références américaines et otaniennes et notamment la théorisation de la guerre hybride comme moyen de réduire à merci un adversaire.

    Alors quel rapport avec les élections présidentielles françaises de 2017 ? Puisqu’à l’évidence ce ne sont pas des manifestations de rue qui ont porté Emmanuel Macron à la présidence !

    D’étranges zones d’ombre

    On peut se poser la question parce que la dynamique créée autour de la candidature d’Emmanuel Macron comporte d’étranges zones d’ombre, notamment :

    -l’apparition ex-nihilo d’un leader et d’un mouvement politique surgi de nulle part, créé par Internet et aux financements exceptionnels (3) ;

    -l’utilisation de techniques cognitives sophistiquées au service de la promotion du candidat et de la formalisation de son discours et de ses slogans ;

    -des meetings organisés d’une façon extrêmement professionnelle comme des spectacles ;

    -un soutien médiatique total et sans précédent dans notre pays par son ampleur ;

    -l’action de l’extrême gauche – le service action de l’oligarchie – contre les seuls candidats de la droite ;

    -enfin, compte tenu de la faible mobilisation populaire en sa faveur, l’élection d’Emmanuel Macron n’aurait certainement pu intervenir si la candidature de François Fillon n’avait pas fait l’objet d’une opération de déstabilisation médiatico-judiciaire soigneusement orchestrée, qui l’a écarté du second tour.

    On ne doit pas oublier, en outre, que l’élection présidentielle française intervenait dans un contexte politique marqué par le vote britannique en faveur du Brexit et l’élection de D. Trump à la présidence des Etats-Unis. Un contexte considéré par conséquent comme extrêmement dangereux pour l’oligarchie qui ne voulait en aucun cas que la France lui échappe au surplus.

    La démocratie, un risque pour le Forum de Davos !

    Cette inquiétude figurait explicitement au cœur des débats du Forum de Davos de janvier 2017, autour du rapport Global Risk 2017.

    Ce rapport pointait en effet comme risque le Brexit, l’élection de Donald Trump et l’échec du référendum de Matteo Renzi en Italie, en affirmant au surplus que les campagnes électorales de ces trois pays auraient « mis en évidence le phénomène de désinformation rapide » des opinions publiques, résultant « d’une fragilisation de la confiance des populations ».

    Les participants au Forum soulignaient alors « le besoin de mieux protéger nos systèmes de contrôle qualité de l’information » et le rapport Global Risks 2017 concluait en affirmant que « les principaux facteurs de risque peuvent être endigués en créant des sociétés plus inclusives basées sur la coopération internationale et une vision à long terme (4) ».

    Derrière ce pathos, on devait donc comprendre que la démocratie constituait un risque pour la superclasse mondiale qui se réunit à Davos, un risque qu’il fallait endiguer grâce à un meilleur contrôle – c’est-à-dire une meilleure censure – de l’information !

    Jacques Attali, dans une tribune de l’hebdomadaire L’Express, proposera même une réforme constitutionnelle afin de déterminer quels « sujets qu’un seul vote majoritaire du peuple ne pourrait suffire à trancher » et qui « seraient sanctuarisés en les inscrivant dans la Constitution (5) ». Sa tribune s’intitulait d’ailleurs « Sanctuariser le progrès » : ce qui signifie, en novlangue, sanctuariser l’idéologie libérale libertaire et immigrationniste et surtout museler le peuple quand il vote mal.

    Délégitimer toute opposition

    Le Forum de Davos reprenait donc à son compte les accusations formulées par Hillary Clinton justifiant sa défaite par des opérations de désinformation (fake news) conduites par… la Russie.

    Il s’agit, bien sûr, d’un classique processus d’inversion accusatoire puisque ce sont bien les médias mainstream – propriété des puissances d’argent et donc de l’oligarchie qui se réunit à Davos – qui en Occident trompent en permanence la population en imposant le politiquement correct.

    L’idée selon laquelle la population aurait été déstabilisée par les fake news revient surtout à dénier toute légitimité aux scrutins lorsque les candidats de l’oligarchie se font battre. Le concept de fake news sert à supprimer tout ce qui va à l’encontre de l’idéologie dominante ou des candidats sponsorisés par le Système, en accusant ceux qui diffusent une information alternative d’être tout simplement des agents de Vladimir Poutine – ou des fêlés d’extrême droite voire maintenant, tout simplement, des néo-nazis, terme revenant à la mode médiatique.

    Cette attitude d’esprit, assimilable à une véritable propagande de guerre, conduit donc à criminaliser toute dissidence et toute opposition en Europe, comme dans n’importe quel régime totalitaire.

    Le coup d’Etat post-démocratique permanent

    Les oligarques du Forum de Davos ont donc théorisé, avec la lutte « contre le populisme » et les « fake news », le coup d’Etat post-démocratique permanent contre la liberté et la souveraineté des Européens.

    Ce coup d’Etat repose sur la conjonction du pouvoir médiatique et du pouvoir judiciaire car les deux marchent de concert. Le pouvoir médiatique sert à enfermer la population dans une réalité virtuelle, la réalité à laquelle l’oligarchie veut que l’on croie. Il sert aussi à diaboliser tous les dissidents politiques.

    En 2015, le Forum de Davos avait d’ailleurs abordé la question de « l’utilisation des neurosciences comportementales pour améliorer les politiques publiques » et aussi pour « mieux diagnostiquer la pathologie mentale (6) ». Sans doute une démarche… désintéressée, lorsque l’on se rappelle que l’oligarchie affirme par exemple que les dissidents politiques souffriraient de « phobies » maladives ou que les terroristes islamistes seraient des « fous » ou des « déséquilibrés » ! Il s’agit, en clair, de mobiliser les neurosciences afin de mener une guerre cognitive contre les peuples, conformément à l’esprit de la guerre hybride.

    Le pouvoir judiciaire sert de son côté à interdire de décrire le monde tel qu’il est, donc de sortir de la bulle médiatique dans laquelle on veut nous enfermer. Il sert aussi à criminaliser la critique de l’idéologie libérale libertaire et cosmopolite. Il sert enfin à mettre en tutelle les législateurs pour qu’ils ne dévient pas de cette doxa.

    Une Révolution rose en France ?

    Or, justement, l’élection d’Emmanuel Macron résulte de la mobilisation de ces deux leviers :

    • le levier médiatique pour forger son image de présidentiable après avoir forgé celle de « gendre idéal » lorsqu’il était ministre ; et pour censurer toute information pouvant nuire à sa candidature ;

    • le levier judiciaire pour briser la dynamique de ses concurrents de droite et d’abord celle de François Fillon. Même si ce dernier a effectivement commis différentes erreurs stratégiques dans ce contexte.

    Ces deux leviers ont permis de confisquer l’élection présidentielle à son profit, alors même qu’en nombre d’électeurs inscrits il n’avait pas la majorité.

    L’élection d’Emmanuel Macron a été saluée comme une victoire par la superclasse mondiale : car elle a endigué en 2017 le risque populiste en France. C’était la raison d’être de l’opération même si, par contrecoup, Emmanuel Macron n’est pas un président populaire, comme le montrent déjà les sondages.

    La victoire d’Emmanuel Macron a aussi permis de sauver une partie des politiciens rose bobo qui se trouvaient dévalués : à gauche, suite à la calamiteuse présidence de François Hollande, comme à droite pour leur impuissance.

    Emmanuel Macron était l’homme du Système, poussé par le Système pour que justement on ne puisse pas changer le Système.

    La radicalisation en marche

    Le programme de la République en Marche ! correspond en effet, non pas au renouveau toujours promis aux électeurs à chaque scrutin, mais au contraire à la radicalisation du programme libéral libertaire et immigrationniste des prédécesseurs d’Emmanuel Macron, radicalisation dont on commence déjà à voir les prémisses :

     -Radicalisation dans la mise au pas des médias et dans la censure des journalistes faisant preuve d’esprit critique ;

     -Radicalisation libre-échangiste pour démonter en urgence le droit social, conformément aux vœux du grand patronat ;

     -Radicalisation pour « accueillir » encore plus d’immigrants (7) et avancer dans la voie sans issue de la société multiculturelle ;

    – Radicalisation dans l’écologie punitive aux dépens des seuls Européens ;

    -Radicalisation pour imposer le politiquement correct au prétexte de moralisation de la vie politique qui donnera aux juges et aux ligues de vertu communautaristes le pouvoir de décider qui aura le droit d’être parlementaire ou ministre, conformément à ce qu’avait demandé la Licra. Radicalisation dans la répression des propos dissidents, assimilés à des discriminations ou des provocations et même tenus désormais dans des lieux non publics (8).

    -Radicalisation liberticide, enfin, résultant de l’introduction des dispositions exorbitantes de l’Etat d’urgence dans le droit commun.

    C’est bien pourquoi la candidature d’Emmanuel Macron a été lancée, soutenue et célébrée par les puissances d’argent et par « l’Etat profond » qui constituent l’ossature de la superclasse mondiale. C’est bien pourquoi ils ont organisé cette révolution rose de 2017. Parce que le prrrrojet (9) d’Emmanuel Macron continuera de déconstruire la société française conformément à leurs seuls vœux et intérêts.

    Michel Geoffroy (Polémia, 3 septembre 2017)

     

    Notes :

    1. Editions Le Retour aux Sources, 2017.

    2. Comme les événements qui se déroulent actuellement au Venezuela d’ailleurs.

    3. Emmanuel Macron a été le candidat le plus dépensier de l’élection présidentielle française 2017 avec 16,8 millions d’euros de dépenses, selon les informations sur les comptes de campagne publiées au Journal officiel et qui restent encore à valider. Le candidat du mouvement En marche! a dépensé le plus d’argent pour organiser ses meetings de campagne (5,8 millions) et pour cibler ses électeurs : plus de 5 millions d’euros sont passés dans l’envoi de courriers, de textos, d’appels téléphoniques et dans la réalisation de sondages.

    4. Présent du 20 janvier 2017.

    5. L’Express du 20 juin 2016.

    6. Les Echos du 2 février 2015.

    7. « La France, sur le sujet des réfugiés, n’a pas toujours pris sa part », a déclaré Emmanuel Macron le mercredi 12 juillet 2017 à Trieste.

    8. Le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire étend la surveillance et la répression des propos décrétés discriminatoires à la fois à ceux qui sont tenus dans des lieux non publics et à toutes sortes de discriminations, parmi lesquelles la transphobie et l’handiphobie. Il prévoit que ces diffamations et injures non publiques constitueront, comme les provocations, des contraventions de la cinquième classe, punies d’une amende maximale de 1.500 euros ou 3.000 euros en cas de récidive, et non plus des contraventions de la quatrième classe punies d’amendes inférieures de moitié.

    9. Prononcer ce mot en criant et en levant les bras, pour faire plus vrai.

     

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  • Résilience...

    Nous reproduisons ci-dessous un billet d'Eric Werner, cueilli dans le n°92 d'Antipresse, lettre d'information gratuite de Slobodan Despot, disponible par abonnement et financée par les dons de ses lecteurs.

    Penseur subtil et profond, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010), De l'extermination (Xénia, 2013) ou Le temps d'Antigone (Xénia, 2015) et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

    On peut également suivre les chroniques de l'auteur sur L'avant-blog - Chronique de la modernité tardive.

     

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    Résilience

    Pourquoi nous exhorte-t-on désormais à «apprendre à vivre avec» le terrorisme, l’insécurité et autres fléaux, plutôt que de les combattre comme on l’a toujours fait?

    On associe volontiers la tendance actuelle à l’effacement des frontières à la dérégulation néolibérale, avec à la clé un certain nombre de phénomènes qui, aujourd’hui, se sont banalisés: délocalisations, jungles de Calais et d’ailleurs, précarisation sociale, etc. Les débuts de la dérégulation néolibérale remontent aux années quatre-vingt du siècle dernier, et l’on peut dire aujourd’hui qu’elle a atteint son rythme de croisière. Sauf que certains voudraient l’accélérer encore. C’est le cas par exemple du président Macron quand il dit que le «monde ancien» fait de la résistance. Cela le gêne. Le «monde nouveau» dont il appelle l’avènement de ses vœux ne saurait trop attendre. En Suisse, une ministre socialiste a déclaré récemment que les gens devraient désormais s’habituer à devoir changer cinq ou six fois de métier dans leur vie. La tâche de l’école est d’aider les enfants à intérioriser cette idée dès leur plus jeune âge.

    Dans son livre, L’Insécurité du territoire, paru il y a un quart de siècle, l’urbaniste et géopolitologue Paul Virilio écrivait: «En supprimant les frontières, la guerre totale abolit les franges protectrices des réalités nationales; ce qui se passait sur les fronts linéaires se passe à l’intérieur» [1]. Il se référait aux bombardements de masse de la Seconde guerre mondiale, bombardements, effectivement, qui avaient eu pour conséquence d’abolir la distinction entre «l’intérieur» et «l’extérieur». Personne, à l’époque, ne parlait encore de l’OMC. Sauf que, dans un cas comme dans l’autre, on assiste à l’effacement des «franges protectrices des réalités nationales». Les frontières disparaissent, et avec elles la protection qu’elles offraient autrefois aux populations.

    En ce sens, loin de s’inscrire en rupture avec la période précédente, la dérégulation néolibérale en est un prolongement normal et naturel. Paul Virilio le précise en relevant qu’à notre époque, «paix et guerre s’identifient: elles sont toutes deux des systèmes de ruine» [2].

    L’actuel ministère des armées, en France, s’appelait autrefois le ministère de la défense. Ce changement de nom n’est pas anodin. Chacun sait en effet que l’État ne nous protège plus aujourd’hui de rien. Et non seulement cela, mais qu’il n’entre même plus aujourd’hui dans ses intentions de le faire. Il ne le veut même plus. Car, selon lui, il n’est ni possible, ni partant raisonnable de le faire. Tel est le message qu’il cherche aujourd’hui à faire passer, aussi bien directement qu’au travers des grands médias qu’il contrôle. Rien ne sert, dit-il, de vouloir s’opposer au cours naturel des choses. Tout ce qu’on peut faire, c’est de l’accompagner. On peut éventuellement retarder certaines évolutions, non les empêcher. A quoi bon dès lors les frontières? Les frontières sont des barrières artificielles, autant donc les supprimer. Et c’est ce que fait l’État: il les supprime. Bien évidemment elles se reconstituent ensuite sous une autre forme à l’intérieur: aux limites, par exemple, de certaines zones de non-droit. Mais c’est un détail.

    La sécurité ne se pense donc plus aujourd’hui en termes de protection, mais de résilience. Montrez-vous résilients, chers concitoyen(-ne)s, autrement dit acceptez la réalité telle qu’elle est (après suppression des frontières). Soit, ce n’est pas toujours très drôle. Mais essayez quand même. De toute manière vous n’avez pas le choix. On ne peut pas, par exemple, empêcher le terrorisme. Le terrorisme est quelque chose d’inéluctable. Il faut apprendre à vivre avec. Cela étant, des psys sont à votre disposition, ils vous aideront, si nécessaire, à récupérer après un attentat. A vous «reconstruire», comme ils disent. Vous aurez droit également à une aide financière. De même, nous ne pouvons pas empêcher les délocalisations. Elles sont dans l’ordre des choses. Nous avons signé des accords internationaux, il faut les respecter. Pour autant, personne, en France, ne mourra jamais de faim. Il y a le Samu social, les restos du cœur, etc.

    C’est tout cela, la résilience. La résilience n’empêche donc rien, ne nous protège non plus de rien, en revanche elle nous aide à surmonter certaines épreuves, à leur survivre (physiquement et/ou psychiquement). Elle nous aide aussi à réparer certains dégâts. Si quelque chose de grave survenait aussi bien dans notre vie personnelle qu’autour de nous (attentat, catastrophe naturelle, invasion, je dis n’importe quoi), nous ne mourrions pas nécessairement. C’est toujours ça. De plus, l’État serait à nos côtés (ne serait-ce que pour veiller à ce que nous ne cédions pas à la tentation de nous défendre).

    Traitant du marché unique européen et de sa «soumission», effectivement totale, à l’OMC, un spécialiste du développement local, Bernard Farinelli, relève: «L’Europe est moins protectrice que presque tout le reste du monde» [3]. Sous sa plume, c’est évidemment un reproche: l’Europe devrait avoir à cœur de se montrer protectrice. Mais l’Europe elle-même ne considérerait pas cette remarque comme un reproche. Elle la considérerait au contraire comme un compliment. Car que veut l’Europe? L’Europe n’a jamais voulu protéger personne. Cela n’a jamais été dans ses intentions. L’Europe est comme le président Macron: elle veut créer un «monde nouveau». D’où l’ouverture des frontières. Car l’ouverture des frontières a un effet accélérateur. C’est donc en soi quelque chose de positif. Assurément, cela se paye au prix fort: par la transformation en cauchemar de la vie de millions d’Européens. Mais ce n’est pas le sujet.

    Eric Werner (Antipresse n°92, 3 septembre 2017)

    Notes

    1. Paul Virilio, L’insécurité du territoire, Galilée, 1993, p. 35.

    2. Ibid., p. 30.

    3. Bernard Farinelli, La révolution de la proximité, Editions Libre & Solidaire, 2015, p. 96.

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  • On déboulonne...

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et dans laquelle il évoque notamment la vague de politiquement correct qui vient renverser les statues de personnages historiques dénoncés comme racistes...

    Auteur de La confession négative (Gallimard, 2009) et de Tuer (Léo Scheer, 2015), Richard Millet a publié l'automne dernier aux éditions Léo Scheer un roman intitulé Province.

     

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    On déboulonne…

    Le scénario est immuable, presque rassurant, en tout cas routinier : l’orgasme médiatique donné par les attentats islamiques de Catalogne a été suivi de son concert d’indignation officielle, et d’infantiles et obscènes lamentations sur la voie publique. Il a, accessoirement, permis de parler le moins possible de l’attaque au couteau, à Turku, en Finlande, où un Marocain a tué deux femmes et en a blessé plusieurs autres : sans doute cela faisait-il trop de Marocains dans le paysage... Le branle-bas politico-médiatique a surtout marqué, encore une fois, l’impuissance européenne devant l’immigration massive de peuples généralement hostiles à l’Europe : paradoxe destructeur qui interdit de nommer l’islam – exception faite pour Charlie Hebdo qui ironise à bon escient sur l’islam comme « religion de paix éternelle », au grand dam des immigrationnistes stipendiés. Pour le reste, nulle analyse de la place conquérante, envahissante, intimidante de cette religion, en Europe, où la presse tente de  « désamalgamiser » le terrorisme de l’islam en expliquant (comme on le lit dans Le Point, où l’on admirera l’euphémisme remplaçant « fou » ou « psychopathe ») que « de plus en plus de profils psychiatriques vont passer à l’acte », alors que ce terrorisme-là (y en a-t-il d’autres ?) a pris le relais de l’islamo-marxisme palestinien des années 1970.

    Ainsi l’Europe est-elle piégée par le politiquement correct, ce bras juridico-culturel grâce auquel le capitalisme mondialisé somme les peuples indigènes de faire comme si les immigrés musulmans et les « migrants » illégaux si chers à la boboïtude mondialiste, étaient des « hommes comme les autres », désireux de se fondre à tout prix dans la béatitude démocratique incantée par l’Union européenne et l’ONU. L’immigration de masse a pour effet d’incliner les vieilles nations au reniement et à l’expiation de leur propre culture, essentiellement judéo-chrétienne, au profit d’un surf sur l’horizontalité amnésique et vertueuse dans laquelle l’ « autre » ne cesse en réalité de me nier. On en voit la trace dans l’inculture des jeunes Français qui n’ont plus d’échelle de temps, ni de sens critique, ni même de goût, mais bien le devoir de dénoncer la « bête immonde » qu’agitent devant eux les professionnels de l’antiracisme d’État. On le voit aussi aux États-Unis, où les Sudistes sont encore punis, et toujours plus privés de leur histoire par les carpetbaggers idéologiques qui exigent le déboulonnage des statues et des symboles confédérés. Ce déboulonnage, qui fait penser au dynamitage des bouddhas de Bamiyan par les talibans, ne réglera évidemment pas la question du « racisme » aux USA. Un ami m’écrit du Minnesota qu’à ce compte-là les figures du mont Rushmore seront un jour martelées sous le prétexte qu’elles se trouvent sur des terres volées aux Indiens… Cela va dans le même sens que la révision générale des manuels scolaires, des textes littéraires, et l’autocensure pratiquée par les écrivains eux-mêmes. On peut redouter ainsi de voir déboulonner par les éditeurs la statue du soldat confédéré qui se dresse à Jefferson, dans les romans de Faulkner. La littérature sudiste sera ainsi caviardée dans son ensemble pour être entièrement au service du Bien ; c’est en grande partie pourquoi la littérature actuelle est illisible.

    Un autre ami m’envoie de magnifiques photos de la colline de Sion-Vaudémont, « colline inspirée » sur laquelle s’élève un monument à Maurice Barrès : on s’étonne que nulle pieuse association n’ait exigée qu’on abatte cet édifice qui pollue ce lieu où ne devrait souffler que l’esprit démocratique.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 27 août 2017)

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  • Terrorisme : « le doigt et la Lune »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son site Bouger les lignes et consacré à la façon dont l'Europe refuse de faire face à la menace islamiste. Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et publie régulièrement ses analyses sur le site du Point et sur celui du Figaro Vox.

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    Terrorisme : « le doigt et la Lune »

    La terreur ne prend pas de vacances. Levallois-Perret, Marseille, Barcelone, Cambrils, Turku, jusqu'à Surgut en Sibérie… Les plages se vident, les enfants font leurs cartables et taillent leurs mines pour apprendre, grandir, aimer la vie et les autres…, tandis que les islamistes affûtent leurs poignards, bourrent leurs sacs à dos d'explosifs, se ceinturent de Semtex ou de pâte à modeler, louent des camionnettes ou empruntent des voitures pour les détruire. Chacun va donc faire ses devoirs et les services de police et de renseignement feront ce qu'ils peuvent – ce qui n'est pas rien mais ne peut tout –, modernes Sisyphes d'un monde occidental qui s'étourdit dans le déni. Combien d'attentats déjoués en vérité ? Combien à venir ? Doit-on s'y habituer, comme certains responsables politiques osent nous y inviter, comme on accepte sans broncher qu'un cambriolage ait lieu en France toutes les deux minutes ?

    Le terrorisme « fait-il partie de notre vie », chacun devant vaquer à ses affaires dans une indifférence désabusée, espérant échapper aux prochaines rafales par des calculs de probabilité rassurants ? Croit-on sérieusement qu'en ignorant le défi qui nous est lancé, en le minorant, en réduisant la menace à des passages à l'acte d'individus psychiatriquement atteints – dans un tiers de cas nous répète-t-on désormais à l'envi –, on va faire disparaître la menace et lasser l'adversaire qui nous laissera en paix ? L'accent mis sur la maladie mentale est une inquiétante défausse. Cette tentation du politique grandit à mesure que se manifeste l'ampleur du phénomène et que monte le sentiment d'impuissance des pouvoirs publics.

    Que des individus fragiles ou même malades agissent de manière mimétique par rapport au modus operandi des terroristes, certes, mais 120 bonbonnes de gaz ont été retrouvées en Espagne pour faire exploser la Sagrada Familia et d'autres monuments ! Ce sont désormais les symboles les plus éclatants de la chrétienté en déroute qui sont ciblés en Europe même, et non plus seulement dans le lointain Orient. Ce sont les dirigeants européens qui « sont dans le gaz » ! À moins que leur calcul implicite ne soit plus cynique encore : notre mode de vie, le choix de nier les problèmes pour ne pas devoir les traiter, suppose un certain ratio de pertes humaines, en quelque sorte incompressible, qu'il faut accepter et faire admettre d'une manière ou d'une autre à nos concitoyens, « parce que nous le valons bien » et qu'on s'en sortira... Fermez le ban.


    Une guerre que nous ne voulons pas voir

    Refusons cette coupable inhibition. Prenons nos responsabilités. La première d'entre elles est la lucidité : chaque attentat n'est pas l'expression d'une violence exceptionnelle, incompréhensible voire inévitable, mais scande une étape sanglante supplémentaire dans une guerre qui nous a été déclarée et que nous ne voulons pas voir.

    On ne fait d'ailleurs pas davantage le lien – sans être taxé de racisme ou d'islamophobie primitive – entre cette « problématique sécuritaire », qui rythme désormais tragiquement notre quotidien, et la vague migratoire qui inonde l'Europe, gonfle en silence, charriant dans son écume d'innombrables malheureux, mais aussi moult individus dangereux, et des centaines de milliers d'autres dont on sait très bien qu'ils sont en train de faire changer notre continent de nature… et de culture. Réfugiés économiques ou politiques, migrants, demandeurs d'asile, légitimement fondés à venir en Europe ou pas, est-ce finalement la question ? Évidemment non.

    Cet exode massif programmé n'est pas le fruit d'un odieux « complot » mais celui d'un enchaînement de circonstances, d'intérêts, et aussi de (nos) décisions politiques folles. Il est surtout une calamité que chacun pressent, mais que nul n'ose dénoncer sans honte et surtout sans s'exposer à la vindicte « d'élites » confites dans l'aveuglement et la repentance délirante… Nos politiques, pour la plupart complaisants et démagogues, pratiquent l'omerta trans-partisane et refusent de traiter sérieusement cet immense péril. Eux aussi espèrent passer entre les gouttes jusqu'au prochain scrutin… Et puis, s'ils devenaient courageux, il leur faudrait encourir l'opprobre du chœur des vierges aux yeux crevés et l'impopularité immédiate, se montrer durs, forcément injustes, oser traiter des nombres et non plus des destins particuliers, imposer des devoirs et restreindre des « droits », traiter « le local » avant « le global », le national avant l'universel. Pas très valorisant ni valorisable électoralement parlant. Il leur faudrait surtout cesser d'invoquer l'Europe, dont chacun sait qu'elle ne peut rien, car elle n'est que la somme des volontés de ses États membres… et donc de leur absence. Aussi préfèrent-ils maquiller le danger manifeste en aubaine pour l'emploi ou la diversité…
    En plein délire, en plein déni

    On nage donc en plein délire et surtout en plein déni. Même Angela Merkel, maîtresse de l'Europe au grand cœur, réalise désormais amèrement le prix de sa naïveté. R. T. Erdogan vient de lui donner une cinglante leçon d'ingérence et poursuit son chantage à l'ouverture des vannes migratoires. Cela lui a rapporté beaucoup déjà. Désormais, il va plus loin encore. La chancelière critique l'évolution autocratique de son pouvoir et renvoie l'intégration de la Turquie dans l'UE aux calendes grecques ? Il appelle publiquement contre elle les Turcs d'Allemagne à ne pas voter pour la CDU ou ses alliés dans quelques semaines. Cela ne changera probablement pas sensiblement l'issue du vote. Certes, mais il y a plus de trois millions de Turcs en Allemagne et c'est là encore voir la paille et non la poutre. Car le signal est limpide : les communautés musulmanes d'Europe sont devenues, bon gré mal gré, les vecteurs d'une entreprise de déstabilisation progressive du Vieux Continent aux fins de sa submersion politico-culturelle et de sa subversion idéologico-religieuse. Ces chevaux de Troie, activés par d'habiles leaders d'influence locaux ou lointains, peuvent à tout moment prendre le mors aux dents et jeter à terre leurs piètres cavaliers sans éperons ni étriers.

    Rappelons, pour éviter tout malentendu ou procès d'intention, que les Français de confession musulmane sont dans leur immense majorité les cibles, les otages, les victimes d'une instrumentalisation politique extérieure, exactement comme les populations civiles d'un pays en guerre. Ils sont la matière première semi-consciente d'une entreprise globale de subversion d'un ordre ancien qui se structure dans l'indifférence générale. Le gros de ces populations est pacifique, travaille, et pratique (ou pas) un islam modéré, c'est-à-dire compatible avec les lois de notre République. Car la question n'est pas, rappelons-le aussi, d'adapter la République aux religions et communautés présentes sur le sol français, mais de définir la marge possible d'expression et de pratique de ces religions dans la seule mesure où elles ne remettent pas en péril les lois, pratiques et équilibres de la République ni la cohésion nationale, et cela dans le respect du cadre historico-politique d'un pays d'histoire et de culture chrétiennes multiséculaires. En toute rigueur, cela suppose, très spécifiquement pour l'islam, qui est par essence un système politico-religieux holistique et ne reconnaît pas la primauté de la loi des hommes sur celle de Dieu, une réforme intellectuelle sérieuse (sur le plan de l'exégèse même du Coran) et en tout cas une constriction, une compression du domaine légitime et légal d'expression et d'observance de la foi musulmane en France.

    Plus immédiatement encore, cela impose aux autorités françaises d'exiger des représentants des Français musulmans (et non des « musulmans de France » !) un grand « ménage » dans les mosquées et les associations et de les appuyer dans cette œuvre de salut public, afin de nous débarrasser de tous les imams salafistes et agents prosélytes prêcheurs de haine et de régression. Car c'est en ces lieux, où se mêlent ignorance, ingérences et pressions extérieures, que s'exprime le rapport de force politico-religieux et que l'on sent la volonté de faire progressivement plier la République devant le poids démographique et électoral croissant d'une communauté de plus en plus réduite à son identité confessionnelle. Or, là est le drame. Car la confessionnalisation de la violence politique, que l'Occident a sciemment encouragée notamment depuis le tournant du siècle, gangrène désormais le monde entier et a transformé, en France, des parents inoffensifs et travailleurs, des enfants revendicatifs et des petits-enfants remplis de haine envers leurs pays nourriciers en une arme à double détente par destination.


    Confessionnalisation

    Pour en revenir à l'attitude de la Turquie, l'appel du néo-Sultan à la désobéissance civique et surtout à l'obéissance à une appartenance communautaire politico-religieuse supérieure transcende l'autorité du pays d'installation et la méprise ouvertement. Cela se passe aujourd'hui en Allemagne. Mais il y aura d'autres appels. Car il sera de plus en plus facile d'activer ces masses humaines globalement insérées, mais en fait désincarnées de la chair nationale d'États en décomposition, et de les mobiliser contre leurs pays d'accueil au service d'un dessein plus vaste. Dans les mosquées ou sur les réseaux sociaux. Question d'opportunité, de mûrissement communautaire et d'affadissement perçu de la volonté d'appareils d'États déliquescents et craintifs.

    Cela rappelle fortement une autre situation, celle de la Bosnie-Herzégovine en 1991, avec l'instrumentalisation tragique de la nationalité confessionnelle des « Musulmans de Bosnie » (avec un grand M), invention de Tito en 1968 pour mieux dominer Serbes et Croates en introduisant un troisième larron dans leur face à face conflictuel. Rebaptisés « Bosniaques », majoritaires en nombre par rapport aux catholiques croates et orthodoxes serbes, les Musulmans de Bosnie (« ethniquement » serbes ou croates !) virent dans l'implosion de l'ancienne Fédération yougoslave – après celle de l'URSS et la réunification allemande – l'occasion inespérée d'une émancipation politique et d'une domination communautaire sous le couvert de conquête démocratique. On connaît la suite…

    La confessionnalisation de la revendication politique, économique et sociale est un engrenage extrêmement dangereux. Le jour venu, en France, en Allemagne ou ailleurs en Europe, ceux qui n'ont pas même encore conscience de cette part de leur identité, quand on leur intimera l'ordre de choisir, pourraient adopter tout naturellement cette forme de « nationalité sans nation », conforme à ce qu'est l'Islam, un système politico-religieux total. Des voisins vivant jusque-là en bonne intelligence autour d'un socle national laïque commun se définiraient alors tout à coup autrement, comme des ennemis prêts à se déchirer. Impossible, improbable ? Délirant ? À voir. Ou plutôt à ne pas voir. Nous devons conjurer ce péril terrifiant, cette dynamique destructrice et faire en sorte que ceci n'arrive pas.

    Que faire alors ? Au moment crucial de poser un diagnostic, il faut prendre garde à un leurre redoutable : le « discours d'expert » sur le terrorisme. Il a évidemment ses vertus : il cherche des explications - souvent des excuses -, décompose les modus operandi, fait des liens, remet en perspective, essaie d'anticiper. Il permet aussi d'expurger une frayeur et un dégoût qui nous saisissent devant le caractère apparemment irrationnel, indiscriminé, injustifiable des cibles de ces « voyous barbares », brebis égarées de la mondialisation transformées en « loups solitaires » ou en meutes morbides. Mais ce discours coupe aussi artificiellement le symptôme du mal. Il fait comme si le terrorisme était un phénomène en soi, qu'il suffisait de bien analyser et de combattre pour le circonscrire et l'éradiquer. Comme dans un jeu vidéo.

    Or, il faut s'interroger : ces brebis sont-elles égarées ou, au contraire, se sentent-elles (re)mises sur La Voie ? C'est la vraie question. Celle qui nous gêne tant, nous terrifie même, car elle met en échec tout notre référentiel. On leur a, dit-on, « lavé le cerveau », pour les lancer, décérébrées et désespérées, contre d'innocents civils ou des représentants de l'autorité, pour faire trembler dans les chaumières et provoquer la sidération progressive d'une nation qui se défait et sa paralysie avant sa reddition ultime. Est-ce si sûr ? N'est-ce que cela ? Ne peut-on penser que ces individus, pour la plupart, s'engagent en toute connaissance de cause dans un combat en fait très cohérent à leurs yeux, qui leur paraît absolument valable et louable ? Ils échappent, par leur sacrifice (le don de leur vie biologique), à la confusion que nos démocraties hyper-individualistes ont opérée entre vie et existence. La vie, tout à la fois souffle et commandement divin, traverse les corps et les justifie, inscrit l'individu dans un dessein transcendant, appelle comme un salut sa mort terrestre au service d'une cause, d'un sens, et le démarque ainsi des « infidèles » prisonniers d'une « existence » réduite à leur pure matérialité biologique et surtout à un matérialisme déspiritualisé… C'est là, on en conviendra, une puissante réponse à la perte de repères spirituels et moraux que fait subir la modernité occidentale à ses enfants les moins aptes à la mobilité mentale et sociale.

    Mais en Occident, nous confondons depuis longtemps déjà vie et vivant. C'est précisément ce que l'on appelle la modernité. Nous sommes de ce fait quasi incapables de reconnaître une quelconque validité à un tel « délire ». Car il défie notre idole absolue : « le progrès », essentiellement technique et technologique, entré désormais en complète symbiose avec le marché. Admettre que ce que nous considérons comme un « égarement » régressif et pathologique dans l'acte terroriste est, aux yeux des acteurs de cette terreur, l'aboutissement d'une quête spirituelle que le monde d'ici-bas ne peut assouvir nous est proprement impensable. Car cela revient à admettre que certains individus, élevés au bon lait de la modernité occidentale et souvent loin de toute misère sociale ou intellectuelle, rejetteraient en toute connaissance de cause et en bloc les étalons lumineux de l'Occident consumériste. Un Occident qui se prétend toujours référent ultime du progrès humain, veut éradiquer toute idée même de mystère ou de destinée, et vogue désormais béatement vers les rivages prometteurs du transhumanisme, sa nouvelle idole, bien décidé à remettre Dieu à sa place pour offrir tout seul l'immortalité et l'omniscience à l'homme…

    Attention ! Que l'on me comprenne bien ! Je ne justifie évidemment rien. C'est exactement l'inverse. Tout combat commence par l'évaluation froide et la plus ouverte possible de l'adversaire. Notre difficulté est que nous sommes incapables d'une grille de lecture lucide sans autocomplaisance. La « conversion du regard » indispensable pour comprendre le fonctionnement de l'autre (non pour l'excuser) nous est inaccessible. Car nous confondons les deux et nous nous fermons intellectuellement de peur d'excuser l'inexcusable en comprenant. Or, le fait de considérer comme de simples fous déséquilibrés ou délirants les auteurs d'attentats nous prive d'un regard à la mesure de la menace que leur élan destructeur fait peser sur notre monde développé.

    Ces individus ne versent pas dans le salafisme parce qu'ils sont mal insérés socialement ou économiquement dans nos sociétés. On peut être pauvre, marginalisé ou inculte sans prendre les armes pour égorger son prochain. La source de l'islamisme violent et de son expression terroriste n'est donc pas sociale (chômage, désinsertion, etc.), pas plus qu'elle ne relève du dérèglement mental ou de « l'égarement » religieux. Elle est PO-LI-TIQUE ! Le religieux est ici massivement instrumentalisé, avec un franc succès, auprès de ses cibles (les masses musulmanes) comme auprès de ses victimes (les populations non musulmanes et les systèmes politiques des États ciblés). Il sert de leurre à une offensive géante qui essaime de manière virale dans des esprits fragiles ou structurés. Une offensive politique donc, mais appuyée, justifiée par la radicalité structurelle d'une Foi qui opère la symbiose totale entre le terrestre et le spirituel et offre donc une cohérence. Le moteur du « sacrifice » consenti et de l'action destructrice des agents de la terreur est infiniment puissant car il est cohérent. C'est en conséquence non une désorientation, mais une réorientation radicale qui les meut.

    Refuser de concevoir cette cohérence intime retrouvée, et nier la globalité du défi qui nous est lancé appauvrit notre analyse et notre capacité de riposte. Réduire la lutte antiterroriste à une « guerre asymétrique » est séduisant mais indigent. « Tuer des terroristes », comme vient de le dire modestement Donald Trump à propos de la nouvelle « stratégie américaine » en Afghanistan, n'a aucune chance, jamais, de mettre fin au terrorisme. On peut faire cela jusqu'à la fin des temps. Car le véritable théâtre de cette guerre globale est sans frontières. Ce sont le communautarisme et le confessionnalisme présents au cœur même de nos propres Nations qui sont nos véritables ennemis. Et personne ne veut les voir ni les combattre autrement qu'à mots couverts. On les laisse prospérer, quand on ne les encourage pas.

    Dès lors, la concentration de l'attention politique sur la dimension militaire de ce qui n'est qu'un pan, un mode d'action d'une stratégie globale, nous fait manquer l'essentiel. Le terrorisme n'est que l'autre nom de la guérilla, technique de combat vieille comme le monde. Ce n'est pas une fin en soi ni une absurdité, c'est l'un des moyens mis au service d'une entreprise d'ordre révolutionnaire, au long cours, tous azimuts, qui se joue simultanément au loin et chez nous. Une entreprise qui rassemble de nombreux acteurs qui jouent sur les faiblesses et la pusillanimité des démocraties modernes, sur leur renoncement à l'autorité, à la sélection, à la punition. Une entreprise qui vise le renversement de l'ordre politique occidental et son remplacement par un ordre politico-religieux dont le référent unique serait l'islam sunnite dans sa pureté originelle, pour lequel la Foi, la Loi et le Droit ne font qu'un, et qui tient les catégories occidentales de la modernité politique et sociale, sa rationalité et les concepts de liberté ou d'égalité pour des pêchés mortels contre Allah lui-même.

    En conséquence, la focalisation sur les modus operandi de la terreur comme le discours actuel sur le recul (réel) du groupe État islamique ou de ses avatars, effectivement engagé dans une phase de déterritorialisation en Syrie et en Irak, qui tirerait pathétiquement ses dernières cartouches en inspirant encore quelques consciences troublées réduites à des modes d'action primitifs (le camion ou la voiture lancée dans la foule, les attaques au couteau, etc.) sont donc séduisants, rassurants…, mais parfaitement insuffisants. Ce récit transpire la peur et le renoncement. Un story telling complaisant qui laisse penser, à l'ennemi notamment, que c'est gagné, que l'on est incapable de lui opposer ne serait-ce qu'une claire conscience de ce qu'il est et veut véritablement. Il faut dire que le renoncement est dans l'air du temps : il y a quelques jours, il s'est bien trouvé une « experte » pour expliquer doctement à la radio que l'empoisonnement des œufs au fipronil était comparable à l'effet d'un café où nagerait une mouche : désagréable mais toujours buvable ! De la même façon que nous devons nous débarrasser de tous ces poisons qui posent un problème de santé publique colossal, mais ne font parler d'eux que lorsqu'il y a quelques « blessés » ou morts non camouflables, nous devons éradiquer sans pitié l'engeance islamiste qui empoisonne graduellement le corps de la nation mais dont on ne réalise la nocivité que lorsqu'elle nous frappe spectaculairement. Mais nos démocraties sont fortes nous dit-on, pleines de « résilience ». « Nous n'avons pas peur » et ne changerons pas d'un iota notre attitude collective ni individuelle. C'est là que le bât blesse. Car il faut tout changer.

    En premier lieu, il faut cesser de sous-estimer l'ennemi et comprendre la nature et l'ampleur de la guerre qui nous est menée. Le terrorisme n'est, nous l'avons dit, que l'un des modes d'action d'une guerre de nature révolutionnaire à finalité idéologico-religieuse qui nous est faite à très grande échelle en profitant du lent dépérissement des États depuis 1990, de l'hyper-mondialisation et de l'idéologie ultra-individualiste qui l'accompagne. La question du « complot » et de la folie américaine initiale du financement massif de l'islamisme contre l'URSS, celle de « la vengeance » du monde arabo-musulman sont sans intérêt. Stupidité stratégique, complot ou pas, une dynamique imperturbable s'accélère et accule progressivement les régimes démocratiques pris au piège de leurs propres « valeurs » et utopies et surtout de l'effet boomerang de leur égalitarisme tant porté aux nues qu'il a fini par dissoudre la cohésion nationale.

    En second lieu, il faut en finir avec cette culture de l'excuse implicite dans nos démocraties schizophrènes, qui ont intégré la repentance à un point tel qu'elles se sentent coupables d'être et d'offrir le gîte, le couvert, le savoir, la sécurité à ceux qui les méprisent, les haïssent et les frappent.

    En troisième lieu, il faut rompre le pacte avec le Diable conclu par complaisance et surtout ignorance par des politiques de tous bords. J'explique depuis longtemps, et reste convaincue, que l'incohérence entêtée d'une ligne diplomatique qui nous fait, contre quelques contrats ou prébendes, soutenir des États suppôts directs ou indirects du salafisme et mécènes d'un prosélytisme religieux qui déstructure nos nations entretient un cercle vicieux redoutable et nous asservit en profondeur. Comment ne pas voir non plus l'absurdité, l'irresponsabilité d'une politique au petit pied, sans vision, qui nous a conduits à abattre des États autoritaires mais laïcs au nom de la démocratie et de la protection des populations, alors que nous tenons un discours permanent sur la vertu de la laïcité pour la coexistence paisible des diverses croyances autour d'un socle national partagé ? Il est vrai que notre antienne est de plus en plus formelle, car dans les faits, nous laissons dépérir ce socle et confortons le communautarisme dans nos villes et banlieues au nom même d'une liberté qui masque un autorenoncement à l'autorité de l'État et à l'imposition d'un référentiel commun. Nos politiques avalent depuis des lustres, le nez bouché et en mettant un cierge, la potion amère des associations musulmanes d'obédiences diverses qui leur promettent paix sociale, soutien électoral ou financements en échange de l'acceptation de leur implantation locale « au service des habitants ». Il est urgent de redécouvrir les vertus de la verticalité. L'horizontalité noie les responsabilités, accentue les réflexes de défausse, transforme les libertés offertes en violence et finalement creuse les disparités. C'est un paradoxe qu'il faut enfin regarder en face.

    La guerre qui nous est faite est certes asymétrique, évidemment, puisque nos armées constituées et formatées pour le combat de haute intensité font face à des commandos, des individus, des milices qui les harcèlent au long cours avec des ruptures de rythme incessantes. Mais il faut bien comprendre que la négation obtuse du lien entre ce qui se passe au loin et ce qui se passe sur le territoire national nous affaiblit. Engager une contre-offensive crédible requiert une détermination et une vision globales et déjà une remise au diapason républicain de communautés entières, elles-mêmes « travaillées » au corps et au cœur comme la pâte à modeler de la domination future.

    J'entends déjà les cris d'orfraie ! Catastrophisme ! Raisonnement fasciste, islamophobe ! Il est impossible, illégal, illégitime, antirépublicain d'engager une telle résistance ! À nous la méthode Coué, l'incantation extatique sur « le vivre ensemble », la danse de la pluie ! Mais « le vivre ensemble » ne se décrète pas. Il se fait respecter. Mais notre République se meurt à force de s'offrir repentante, à ceux qui veulent l'abattre. Mais la résilience ne suffit pas. Mais les fleurs et les bougies sont indécentes. Mais voir les familles des victimes elles-mêmes dénoncer les photos terrifiantes de leurs proches en morceaux signe un inquiétant déni de réalité. Plus de corps, plus de mort ? Plus de danger ? L'euphémisation du réel est impardonnable. On peut le comprendre d'un parent perdu par le chagrin de la perte d'un être aimé, pas d'un État qui doit protéger ses concitoyens.

    Car c'est une guerre globale mais soigneusement « perlée » qui nous est faite. Le rythme des attentats, leur occurrence en salves sporadiques et étendues géographiquement en témoignent. Un rythme suffisamment régulier pour maintenir la pression et faire grandir la peur dans la population, mais insuffisamment massif encore pour déclencher la fureur populaire et contraindre les pouvoirs publics à l'action martiale. Le risque est pourtant grand, à moyen terme, de la procrastination régalienne. C'est donc l'ennemi qui donne le tempo. Il peut décider d'en changer et monter en intensité subitement. Sommes-nous prêts ? Et puis, les moutons pourraient cesser d'accepter leur sacrifice aléatoire et se rebeller ; sans berger, décider de se défendre seuls, en dressant quelques chiens. Et là, ce serait la fin de la République et de l'État de droit. Et l'irruption de la guerre civile.

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 29 août 2017)

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  • La chasse aux statues ou le nouveau délire pénitentiel de l'Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Matthieu Bock-Côté, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la guerre contre le passé, au travers du déboulonnage de statues de personnages historiques, que vient de lancer le camp du Bien aux États-Unis et qui ne devrait pas tarder à gagner nos rivages européens... Québécois, Mathieu Bock-Côté est sociologue et chroniqueur à Radio-Canada et est déjà l'auteur de plusieurs essais comme Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016) ou Le nouveau régime (Boréal, 2017).

     

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    Matthieu Bock-Côté : «La chasse aux statues ou le nouveau délire pénitentiel de l'Occident»

    Dans la suite des événements de Charlottesville, Bill de Blasio, le maire de New York, a envisagé publiquement de déboulonner la statue de Christophe Colomb, parce qu'elle serait offensante pour les Amérindiens. Elle serait susceptible de susciter la haine, comme la plupart des symboles associés à l'expansion européenne et à la colonisation des Amériques, apparemment. À peu près au même moment, au Canada, un syndicat d'enseignants ontarien proposait de rebaptiser les écoles portant le nom de John A. MacDonald, un des pères fondateurs du pays en plus d'avoir été son premier premier ministre. En Grande-Bretagne, on en a aussi trouvé pour proposer d'abattre la statue de Nelson, à qui on reproche d'avoir défendu l'esclavage. On trouvera aisément bien d'autres exemples de cette chasse aux statues dans l'actualité des dernières semaines.

    Certains n'y verront qu'une énième manifestation du péché d'anachronisme, qui pousse à abolir l'histoire dans un présentisme un peu stupide, comme si les époques antérieures devaient être condamnées et leurs traces effacées de l'espace public. Mais il y a manifestement autre chose qu'une autre manifestation d'inculture dans cette furie épuratrice qui excite les foules, comme si elles étaient appelées à une mission vengeresse. Comment expliquer cette soudaine rage qui pousse une certaine gauche, au nom de la décolonisation intérieure des États occidentaux, à vouloir éradiquer la mémoire, comme si du passé, il fallait enfin faire table rase? Nous sommes devant une poussée de fièvre épuratrice particulièrement violente, qui témoigne de la puissance du réflexe pénitentiel inscrit dans la culture politique occidentale contemporaine.

    On peut comprendre que dans un élan révolutionnaire, quand d'un régime, on passe à un autre, une foule enragée s'en prenne au statuaire du pouvoir qu'il confronte. L'histoire est violente et il arrive qu'on fracasse des idoles pour marquer la déchéance d'un demi-dieu auquel on ne croit plus. C'est ainsi qu'au moment de la chute du communisme, l'euphorie des foules les poussa à jeter par terre les statues et autres monuments qui représentaient une tyrannie dont elles se délivraient. Il fallait faire tomber les monuments à la gloire de Lénine pour vraiment marquer la chute du communisme. Il n'y avait rien là de vraiment surprenant. L'histoire n'est pas simplement un processus cumulatif: quelquefois, il faut détruire pour créer. Il en a toujours été ainsi. La vie est brutale. On ne se libère pas toujours avec la délicatesse d'un marchand de porcelaine.

    Mais sommes-nous vraiment dans une situation semblable? Le cas du sud des États-Unis, à l'origine de la présente tornade idéologique, est certainement singulier. La mémoire qui y est associée ne s'est pas toujours définie exclusivement à partir de la question raciale, mais elle a aujourd'hui tendance à s'y réduire. Surtout, ceux qui revendiquent explicitement son héritage sont souvent associés au suprémacisme blanc. Mais la manie pénitentielle, on le voit, frappe partout en Occident. Elle pousse à démanteler des statues, à réécrire les manuels scolaires, à prescrire certaines commémorations pénitentielles, à multiplier les excuses envers telle ou telle communauté, à pendre symboliquement certains héros des temps jadis désormais présentés à la manière d'abominables salauds et à censurer les représentations du passé qui n'entrent pas dans la représentation caricaturale qu'on s'en fait aujourd'hui.

    Cette vision de l'histoire, terriblement simplificatrice, prend la forme d'un grand procès qui vise d'abord les héros longtemps admirés. Des grands personnages, on ne retient que les idées qui heurtent les valeurs actuelles. L'Occident en vient à se voir avec les yeux de ceux qui le maudissent. Tôt ou tard, on s'en prendra aux statues du général de Gaulle, de Churchill, de Roosevelt et de bien d'autres: d'une certaine manière, Napoléon a déjà été victime d'une telle entreprise lorsqu'on a refusé en 2005 de commémorer la victoire d'Austerlitz. Il ne s'agira plus seulement de réduire en miettes la statue de tel ou tel général qui a servi la cause de l'esclavagisme: tous finiront par y passer d'une manière ou d'une autre, comme si nous assistions à une nazification rétrospective du passé occidental, désormais personnifié par un homme blanc hétérosexuel auquel il faudrait arracher tous ses privilèges. À son endroit, il est permis, et même encouragé, d'être haineux.

    On le sait, l'Europe ne sait plus quoi faire de son passé colonial, que plusieurs sont tentés d'assimiler à un crime contre l'humanité. En s'accusant, ils croient n'accuser que leurs pères, alors qu'ils excitent la tentation victimaire de certaines populations immigrées qui n'hésitent pas ensuite à expliquer leur difficile intégration dans la civilisation européenne par le système postcolonial qui y prédominerait. L'histoire de l'Europe serait carcérale et mènerait directement au système concentrationnaire. Dans le cadre américain, c'est l'arrivée même des Européens qu'il faudrait désormais réduire à une invasion brutale, que certains n'hésitent pas à qualifier d'entreprise génocidaire. On invite les jeunes Américains, les jeunes Canadiens et les jeunes Québécois à se croire héritiers d'une histoire odieuse qu'ils doivent répudier de manière ostentatoire. On les éduque à la haine de leur propre civilisation.

    Nous sommes devant une manifestation de fanatisme idéologique s'alimentant à l'imaginaire du multiculturalisme le plus radical, qui prétend démystifier la société occidentale et révéler les nombreuses oppressions sur lesquelles elle se serait construite. Chaque représentation publique du passé est soumise aux nouveaux censeurs qui font de leur sensibilité exacerbée le critère à partir duquel ils accordent ou non à une idée le droit de s'exprimer. Comment ne pas y voir une forme de contrôle idéologique marquée par une intolérance idéologique décomplexée? On y verra une illustration de la racialisation des rapports sociaux dans une société qui se tribalise au rythme où elle se dénationalise. Chacun s'enferme dans une histoire faite de griefs, puis demande un monopole sur le récit collectif, sans quoi on multipliera à son endroit les accusations de racisme. Il faudra alors proposer une représentation du passé conforme au nouveau régime diversitaire.

    Ce qui est frappant, dans ce contexte, c'est la faiblesse des élites politiques et intellectuelles, qui ne se croient plus en droit de défendre le monde dont elles avaient pourtant la responsabilité. On le constate particulièrement dans le monde académique. Très souvent, les administrations universitaires cèdent aux moindres caprices d'associations étudiantes fanatisées, pour peu que celles-ci fassent preuve d'agressivité militante. On l'a vu en juillet avec le King's College de Londres décidant de retirer les bustes de ses fondateurs «blancs» parce qu'ils intimideraient les «minorités ethniques». Encore une fois, l'antiracisme racialise les rapports sociaux. C'est un nouveau dispositif idéologique qui se met en place et qui contribue à redéfinir les contours de la respectabilité politique. Ceux qui s'opposent au déboulonnage des statues controversées sont accusés d'être complices des crimes auxquels elles sont désormais associées.

    Nos sociétés n'ont pas à se reconnaître dans le portrait absolument avilissant qu'on fait d'elles. Surtout, elles doivent raison garder. Il faudrait voir dans ces statues tout autant de couches de sens à la fois superposées et entremêlées: elles témoignent de la complexité irréductible de l'histoire, qui ne se laisse jamais définir par une seule légende, et ressaisir par une seule tradition. C'est pour cela qu'on trouve souvent des statues et autres monuments commémoratifs contradictoires au sein d'une ville ou d'un pays. Ils nous rappellent que dans les grandes querelles qui nous semblent aujourd'hui dénuées d'ambiguïté, des hommes de valeur ont pu s'engager dans des camps contraires. Ils illustrent des valeurs et des engagements qui ne se laissent pas réduire aux idéologies auxquelles ils se sont associés. L'histoire des peuples ne saurait s'écrire en faisant un usage rageur de la gomme à effacer et du marteau-piqueur.

    Matthieu Bock-Côté (Figaro Vox, 29 août 2017)

     

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