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Points de vue - Page 183

  • Contrôle de l'immigration : sortir de l'impuissance ?...

    Nous reproduisons ci-dessous une réaction du groupe Plessis, cueillie sur Figaro Vox, faisant suite à des déclarations du président de la République concernant la lutte contre l'immigration illégale, qui interviennent alors même que l'impuissance des autorités est devenue particulièrement flagrante en la matière. Le groupe Plessis rassemble des hauts-fonctionnaires attachés à l'autorité de l’État ainsi qu'à l'identité et à la souveraineté nationales...

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    Contrôler l'immigration ? Chiche, Monsieur le Président !

    La question migratoire est revenue tragiquement au cœur de l'actualité avec l'assassinat de deux jeunes filles par un terroriste clandestin, délinquant multirécidiviste, relâché peu de temps auparavant par la police sans être autrement inquiété.

    Ce drame jette une lumière crue sur l'impasse de notre politique migratoire, sur l'échec de notre traitement de la délinquance, en général, étrangère, en particulier et sur l'aboulie de notre dispositif d'éloignement des étrangers en situation irrégulière.

    Le récent rapport de l'inspection générale de l'administration (IGA) sur cette affaire, remis au ministre de l'intérieur et mis en ligne le 10 octobre 2017 , décrit l'enchaînement des erreurs de jugement qui ont conduit à cette issue.

    Il confirme surtout, si besoin en était, les «dysfonctionnements graves du dispositif d'éloignement», qui tiennent à la désorganisation de l'administration et à la démotivation des services tant de police que préfectoraux.

    Cette désorganisation et cette démotivation sont d'abord la conséquence des obstacles considérables auxquels les fonctionnaires doivent faire face, au premier rang desquels on trouve:

    - les juges, surtout judiciaires, qui annulent massivement les mises en rétention, souvent pour des motifs procéduraux qui masquent souvent un contrôle d'opportunité non dénué d'arrière-pensées politiques, empiétant ainsi sur le pouvoir exécutif ;

    - les consulats des pays d'origine qui trop fréquemment, se moquent de nous en refusant ou en tardant à délivrer les laissez-passer consulaires indispensables au renvoi des étrangers sans titre d'identité, qui sont très largement majoritaires (80 % au centre de rétention de Lyon, selon le rapport précité) ;

    - la complexité du droit des étrangers en France, illustrée par un Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile obèse qui génère, par nature, incompréhension et contentieux ;

    - la fragilité du dispositif matériel d'éloignement, marqué par une Police aux frontières (PAF) mal considérée et mal équipée, des centres de rétention soit débordés, soit vides, ce qui est le comble de l'absurdité, des services préfectoraux transformés en industrie de délivrance d'actes régaliens divers (arrêté préfectoral d'expulsion, obligation de quitter la France…) non suivis d'effet.

    Cette impuissance de l'État, dans un domaine pourtant éminemment régalien, est manifeste dans les chiffres de

    l'éloignement qui ont encore baissé en 2016 alors qu'ils étaient déjà très faibles et que l'afflux de clandestins ne tarit pas au travers notamment de l'utilisation détournée de la procédure d'asile (86 000 demandes). Seuls 12 961 éloignements «forcés» ont été réalisés en 2016, soit encore une baisse de 16%.

    Et encore, plus de la moitié de ces reconduites depuis la métropole ont été réalisées vers des pays membres de l'Union européenne, au titre notamment des réadmissions vers le pays d'arrivée, sans grande utilité puisqu'elles sont évidemment suivies de retours fréquents, facilités par la porosité des frontières intra-européennes. Et il n'y a guère de chance que les chiffres de 2017 soient meilleurs…

    Pour être tout à fait clair, le système tourne à vide et la France n'expulse quasiment plus. En fait, les problèmes de mécanique administrative précités, reflètent d'abord les choix idéologiques de nos dirigeants ou imposés à eux depuis plusieurs décennies, à savoir que toute immigration est, par essence, positive et que le multiculturalisme est notre avenir.

    Dans ce cadre, l'expulsion ne peut évidemment n'être qu'exceptionnelle. Ils témoignent aussi, plus prosaïquement, d'une incapacité objective à réformer un système qui ne marche pas. Dans une entreprise, on parlerait d'une véritable «insuffisance professionnelle».

    L'interview du Président de la République sur TF1, au cours de laquelle il a déclaré vouloir expulser «tout étranger en situation irrégulière commettant un acte délictueux», n'est pas dénuée d'intérêt, ni d'ambiguïté. Elle peut faire l'objet de deux interprétations, qui ne sont pas d'ailleurs exclusives l'une de l'autre.

    La première, critique, voit une nouvelle concession à l'immigrationnisme ambiant dans la nouvelle distinction entre les clandestins délinquants, qui ont vocation à quitter le territoire, et les autres étrangers en situation irrégulière dont la présence, si l'on s'en tient à la lettre des propos d'Emmanuel Macron, serait tolérée.

    Si cette interprétation est exacte, il faudrait que le chef de l'État ait à l'esprit qu'accepter une immigration irrégulière, même non délinquante, est, par nature, une atteinte à l'autorité de l'État et donc à la sienne propre, et que, plus largement, et c'est une banalité de le dire, une situation migratoire incontrôlée, qu'il s‘agisse d'ailleurs d'entrées légales ou illégales, fait peser une grave menace sur la sécurité et la stabilité sociale, économique et culturelle de notre nation.

    Sans compter, que cela ferait du chef de l'État, garant du «fonctionnement régulier des pouvoirs publics» (article 5 de la Constitution), le promoteur du contournement des lois sur les étrangers, lois qui seraient ipso facto neutralisées pour les illégaux non délinquants.

    Une autre interprétation distingue dans ces propos une fermeté de bon augure, qui tranche d'ailleurs avec les positions tièdes d'une bonne partie de la droite, passée (que l'on se souvienne de la suppression de la «double peine» par N. Sarkozy!) et présente.

    Mettre en œuvre cette simple mesure de bon sens, expulser les fauteurs de troubles, n'est toutefois pas si aisé. La circulaire toute récente du ministre de l'intérieur, dont la presse fait grand cas, s'y emploie, et on ne peut que se féliciter d'avoir enfin un discours de fermeté sur cette question.

    Elle ne lèvera toutefois pas, à elle seule, les nombreux obstacles juridiques qui font de la reconduite hors de nos frontières un parcours de combattant pour les services, qui ont bien souvent l'impression de se battre contre des moulins à vent. Faute d'une adaptation des textes (une circulaire ne fait que rappeler le droit existant) et du processus de l'éloignement, la belle détermination présidentielle et ministérielle aura fait long feu.

    La future loi sur l'immigration, attendue pour début 2018, sera l'occasion de vérifier la fermeté de cet engagement.

    Outre l'allongement annoncé de la durée de la rétention, on espère de ce texte le rétablissement du délit de séjour irrégulier qui permettra aux forces de l'ordre de disposer de moyens d'investigation pour établir l'identité et la nationalité de l'étranger, la sécurisation des décisions de l'administration face aux recours dilatoires, une approche innovante du problème des laissez-passer consulaires, l'extension du champ de l'expulsion pour motif d'ordre public, la généralisation de la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, le renforcement de la PAF…

    Une fois la loi votée, il faudrait ensuite s'assurer que l'intendance suit et ceci exige de la part des ministres un engagement et une énergie intenses, tant il est difficile de mouvoir des administrations (police, magistrature) dont la capacité d'inertie est connue.

    Enfin, on ose à peine le rappeler, tant est épais le climat de déni autour de cette question, la maîtrise de l'immigration et la protection des Français passent par un rétablissement durable de contrôles effectifs aux frontières nationales, par une refonte du dispositif d'asile, par un système d'immigration légale contrôlé et démocratique grâce à des quotas votés par le Parlement, par la fin des régularisations et autres appels d'air, par une renégociation avec nos partenaires des textes européens… Le chantier est vaste mais réalisable si la volonté politique existe.

    La question migratoire a été la grande absente du débat présidentiel. Il serait courageux qu'Emmanuel Macron, qui dit vouloir sortir du vieux système et rétablir une certaine verticalité du pouvoir, s'empare de ce sujet qui préoccupe tant, à juste titre et de longue date, de très nombreux Français, notamment parmi les moins favorisés.

    Gouverner, et durer, c'est prévoir, mais c'est aussi parfois surprendre.

    Groupe Plessis (Figaro Vox, 26 octobre 2017)

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  • Le pari multiculturaliste...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli dans le n°100 d'Antipresse, lettre d'information de Slobodan Despot, dont une nouvelle formule sera disponible la semaine prochaine.

    Auteur d'un essai essentiel, L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015), Eric Werner vient de publier dernièrement Un air de guerre (Xénia, 2017).

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    Le pari multiculturaliste

    Pour prévenir le chaos inévitablement liée à l’imposition contrainte et forcée du multiculturalisme, il n’y a pas d’autre moyen que le recours à l’Etat total.

    Certains disent que l’Union européenne est en train de partir en petits morceaux. C’est sans doute exagéré. En revanche, ce qu’on constate, c’est qu’un vrai fossé est en train de se creuser entre l’Est et l’Ouest du continent, avec d’un côté les pays favorables au multiculturalisme et de l’autre ceux qui lui sont hostiles. La ligne de partage recoupe plus ou moins l’ancien rideau de fer, mais plus ou moins seulement. Les positions autrichiennes en la matière sont, par exemple, plus proches des positions hongroises, tchèques ou polonaises que des positions allemandes, suisses, ou françaises.

    En outre, le débat sur le multiculturalisme est transversal. La société allemande est, par exemple, très divisée sur la question. Tout comme la société française, suisse, etc. Sauf que, dans ces derniers pays, les adeptes du multiculturalisme sont aujourd’hui solidement installés au pouvoir. On voit mal, à l’heure actuelle, ce qui pourrait les en déloger. Seul un événement géopolitique, peut-être. Et encore. En ce sens, la division actuelle de l’Europe en deux blocs antagonistes, l’un favorable, l’autre hostile au multiculturalisme, apparaît durablement installée.

    L’hostilité au multiculturalisme se nourrit de plusieurs critiques, mais la plus importante, sans doute, est celle que résume la référence à la guerre civile. Le premier ministre hongrois insiste ainsi sur le lien, qu’il estime «évident», entre l’immigration de masse et le terrorisme (1). L’insécurité au quotidien est volontiers aussi mise en avant. Dans certains pays, elle a atteint un niveau tel que les gens sont amenés à éviter certains quartiers ou à ne pas prendre le train ou le métro à certaines heures de la journée. D’autres encore déménagent (2). Les populations de même origine tendent ainsi à se regrouper en certains points du territoire pour constituer des «blocs socioculturels» (3). Le multiculturalisme trouve ici sa limite.

    Plus fondamentalement encore, on invoque les leçons de l’histoire. Les sociétés multiculturelles, dit-on, portent en elles les germes de leur propre désintégration. Autrement dit, elles ne sont pas viables. Car, pour qu’une société soit viable, il faut que les citoyens aient un minimum de choses en partage (ethnie, religion, langue, livres, un passé commun, etc.). Pas forcément toutes, mais quelques-unes quand même. Autrement elle éclate, avec à la clé des troubles pouvant, effectivement, conduire à la guerre civile. Le pays alors disparaît, ou s’il se maintient, ne parvient à le faire qu’au prix d’une recomposition démographique. Concrètement, les minorités sont expulsées ou exterminées.

    On ne reprochera pas aux adeptes du multiculturalisme d’ignorer ces risques ni même de les sous-estimer. En règle générale ils en sont conscients. Mais ils ne les croient pas rédhibitoires. C’est sur ce point qu’ils se séparent de leurs antagonistes. Leur raisonnement, en gros, est le suivant: Il y a, certes, disent-ils, des risques, risques, le cas échéant, pouvant même s’avérer mortels. Nous ne les contestons pas. En même temps, nous pensons être en mesure de les surmonter. Les surmonter comment? Par un ensemble de mesures volontaristes visant notamment au renforcement du contrôle social.

    Pour répéter ce qui précède sous une autre forme encore, on pourrait dire que pour pallier la menace du chaos liée aux progrès du multiculturalisme, on s’emploie à favoriser l’émergence d’un Etat total. Comment faire en sorte que le multiculturalisme ne débouche pas dans la guerre civile? En construisant l’Etat total. C’est ce qu’on pourrait appeler le pari multiculturaliste

    Le pari multiculturaliste consiste à dire: nous ne reviendrons jamais en arrière, tenez-vous le pour dit. Nous avons fait un certain choix, nous irons jusqu’au bout de ce choix. Nous étoufferons dans l’œuf toute velléité de remise en cause de l’option multiculturaliste. Mais en même temps, nous ne voulons pas le chaos. A cette fin, nous construisons l’Etat total.

    Ce n’est jamais dit explicitement. Mais très certainement c’est ce qui est pensé. Car cela correspond à ce qui se fait concrètement. On pense en particulier aux lois antiterroristes. Mais pas seulement. Le «tout-numérique» pousse également dans cette direction (4). Comme aussi l’atomisation sociale en général (5).

    Tel est le pari multiculturaliste. Les adeptes du multiculturalisme jugent ce pari gagnable. Il est peut-être gagnable. Mais à quel prix? Peut-être aussi sera-t-il perdu. Car l’Etat total lui-même ne garantit pas nécessairement la non-guerre civile. On aura alors les deux choses: et l’Etat total, et la guerre civile.

    Eric Werner (Antipresse n°100, 29 octobre 2017)

     

    Notes
    1. Le Monde, 23 juillet 2016, p. 3.
    2. Le Figaro, 25 octobre 2017, p. 12.
    3. J’emprunte cette expression à Christophe Guilluy (La France périphérique: Comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014, p. 134).
    4. Cf. François de Bernard, L’Homme post-numérique: Face à la société de surveillance générale, Yves Michel, 2016.
    5. Les analyses de Hannah Arendt conservent à cet égard leur pleine validité.

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  • Où est passée la France « d'en bas » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Maxime Tandonnet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à l'élargissement de la fracture entre la France d'en haut et celle d'en bas... Haut-fonctionnaire, Maxime Tandonnet a raconté son expérience de conseiller de Nicolas Sarkozy, )à l'Elysée, en matière de sécurité et d'immigration dans Au cœur du volcan (Flammarion, 2014).

     

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    Où est passée la France « d'en bas » ?

    «Tout cela va très mal finir» aurait déclaré en privé le président Sarkozy. Que voulait-il dire par là? Deux France évoluent en parallèle et l'abîme entre elles, ne cesse jour après jour de se creuser un peu plus.

    La France dite «d'en haut», ses milieux dirigeants, ses responsables publics et politiques, ses réseaux d'influence, ses médias radio-télévision, ses experts, ses milieux financiers, se porte plutôt bien.

    La personnalisation médiatique du pouvoir, autour du plus jeune président de l'histoire, atteint un niveau vertigineux, jamais égalé, oscillant entre l'exaltation et l'exaspération, dans un monde factice, illusoire, surmédiatisé, où le culte du chef est l'écran de fumée qui recouvre, de quinquennat en quinquennat, l'impuissance publique à régler les problèmes des Français.

    De même, les crises d'hystérie s'enchaînent à un rythme endiablé, venues des Etats-Unis, après l'affaire des statues dites racistes, la dernière en date autour des scandales sexuels et du «#balancetonporc» comme le montre si bien M. Gilles-William Goldnadel.

    La course aux lynchages bat son plein comme dans un jeu de «soft terreur» ayant le déshonneur public pour guillotine. Dernier «suspect», dernier lynché: le député M. Lassale, longtemps coqueluche des médias. Nul n'échappe désormais au syndrome de l'arroseur arrosé, au spectre d'une dénonciation, pas même les bourreaux eux-mêmes, comme le couperet s'est un jour abattu sur la nuque des Robespierre, Saint Just et Fouquier-Tinville

    La fuite dans les commémorations solennelles est elle aussi de routine. Il est logique que cette France dite d'en haut s'apprête à célébrer mai 1968, son acte de naissance, avec son culte du nivellement et de la table rase, son «interdit d'interdire», ses «CRS=SS» et son individu-roi qui s'exprime dans le célèbre - et ambigu - «jouissez sans entraves». De même, la France dite d'en haut s'enivre par avance dans l'éblouissement des jeux olympiques de Paris 2024, comme pour oublier le présent et le monde des réalités.

    Mais au-dessous du grand maelström hystérique, où en est la France dite «d'en bas», celle de la majorité silencieuse et des tracas de la vie réelle?

    Où sont passés les 5 à 6 millions de chômeurs? Les 2 millions de bénéficiaires du RSA?, les 8 à 9 millions de pauvres et les 3,2 millions de mal logés?

    Que ne ferait-on pas pour noyer dans un tumulte stérile la pire tragédie de l'histoire de notre pays depuis 1945, celle d'une France ensanglantée par le terrorisme islamiste?

    Et qui parle encore des squats et des bidonvilles qui prolifèrent sur le territoire? Où en est la crise migratoire, les arrivées incontrôlées en Europe de centaines de milliers de personnes victimes des passeurs criminels? Où en est l'aéroport de Nantes, voulu par l'Etat, confirmé par référendum, mais bloqué par les zadistes?

    Et la situation des cités sensibles, les territoires perdus de la République, les trafics qui y règnent, les phénomènes de communautarisme et de repli identitaire, la tragédie de leurs habitants surexposés à la violence et qui ne demandent qu'à vivre en paix?

    Où en sont les milliers de collèges et de lycées en crise, où les professeurs débordés par le chaos, insultés, giflés, ne parviennent plus à faire leur métier de transmission des savoirs fondamentaux?

    En 2017 s'est déroulé un événement politique d'une portée capitale, historique, passé quasi inaperçu: le taux d'abstention aux élections législatives, le cœur de toute démocratie, pour la première fois dans l'histoire, a dépassé les 50% signant ainsi le naufrage de la démocratie française, dans l'indifférence générale.

    Cette fracture entre les deux France, la France dite d'en haut qui se noie dans les gesticulations de sa bulle médiatique et la France dite d'en bas confrontée à la tragédie du monde réel, est la source de tensions explosives, qui peuvent s'enflammer à tout moment, sous une forme ou sous une autre, dans la rue ou par un vote de destruction en 2022. Certes, aucun signe d'une explosion imminente n'est aujourd'hui décelable mais rien n'est plus calme qu'un magasin de poudre, une demi-seconde avant l'étincelle.

    Maxime Tandonnet (Figaro Vox, 24 octobre 2017)

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  • Après la chute de Raqqa, que devient l'Etat islamique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog, Huyghe.fr, et consacré à l'avenir de l’État islamique. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe a publié récemment La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et, dernièrement, DAECH : l'arme de la communication dévoilée (VA Press, 2017).

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    Après Raqqa

    On annonce que Raqqa, capitale de l'État Islamique est quasiment achevée ; la défaite de Daech est-elle proche ?

    François-Bernard Huyghe : En effet, même si la « prise des derniers mètres de Raqqa» est annoncée depuis plusieurs semaines, cela finit par être vrai : il semble bien que cette fois, les Forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d’Arabes, soient en train de conquérir les derniers bastions et d’évacuer les dji derniers djhadistes - syriens et étrangers-, sans doute vers deir Ezzor qu’ils tiennent encore ; là-bas ils sont confrontés à l’armée syrienne et à ses alliés russes. Aujourd’hui le califat contrôlerait moins de 8% du pays, ce qui commence à ressembler à une déroute pour une organisation territorialisée.
    Sur le plan militaire, que ce soit en Irak et en Syrie où il avait dessiné ses frontières et prétendait exercer sa souveraineté, le califat est condamné par la disproportion des forces. Au mieux il aura un sursis. Son slogan des débuts « le califat durera et s’étendra », les mots qui avaient incité des milliers d’étrangers à aller faire la hijra et le djihad au pays de Cham (traduisez : aller vivre religieusement et combattre sur les territoires tenus par le califat), sont ceux d’une utopie qui a échoué. Pourtant..
    Perdre des batailles n’est pas perdre une guerre, tant que le vaincu n’a pas reconnu sa défaite. Cela peut se faire soit formellement (par un traité ou une reddition) soit de fait, lorsqu’il n’y a plus de combattants refusant de déposer les armes et continuant à se penser en guerre. Et pour les derniers fanatiques, le choix sera ouvert :
    - Continuer la lutte ailleurs en Syrie ou Irak, comme des groupes de guérilla.
    - Rejoindre d’autres groupes armés djihadistes, comme Hayat Tahrir al-Cham, rattaché au « courant historique » al Qaïda / al Nosra (quitte à admettre que la fondation prématurée d’un califat par al Baghdadi était une erreur stratégique)
    - Aller essaimer et renforcer des groupe affiliés à Daech, mais plus loin, au Pakistan, en Afghanistan, en Égypte, en Libye, etc.
    - Pour les « foreign fighters », européens, par exemple, revenir dans leur pays d’origine, échapper, s’ils peuvent, à la prison et relancer une action terroriste.
    - Dernière hypothèse : prendre leur « retraite » en redevenant salafistes « quiétistes » (qui ne font pas le djiahd) ou en se convaincant de l’excellence des valeurs démocratiques qu’ils ont combattues. Nous aimerions que cette option soit la plus vraisemblable.

    Ils pourraient continuer le combat ?

    On le voit, la vraie défaite de Daech ne peut être que psychologique - renoncer à une lutte sans issue aux objectifs impossibles (conquérir le monde) et renoncer à traitet comme ennemis tous ceux qui ne partagent pas cette utopie-. Mais psychologique, pour eux, cela veut dire spirituel : il faut qu’ils se persuadent que Dieu ne leur fait plus obligation de poursuivre le djihad universel. Or, justement, la propagande du califat les prépare à l’hypothèse d’un défaite « apparente » sur le terrain, une défaite qui ne serait en fait qu’une épreuve, avant une victoire finale plus éclatante encore. Après la période utopique (rejoindre le califat où règne la loi divine et qui « durera et s’étendra »), voici une sorte de prophétisme millénariste : la victoire est d’autant plus proche que nos ennemis croient l’avoir emporté. Autrement dit, il n’est pas garanti que la leçon du réel (la perte du territoire) décourage ceux étaient attirés par le projet de conquérir et convertir le monde. La rage pourrait gagner chez ceux qui verront dans les événements la confirmation que les mécréants et les hypocrites persécutent les musulmans depuis des siècles.

    Le terrorisme risque-t-il de se développer en compensation ?

    Quand on perd la guerre classique, il est tentant de mener la « guerre du pauvre » qu’est le terrorisme. La multiplication des attentats en Occident pour « compenser » la chute du califat ? Ces derniers mois les attaques avec une voiture, un couteau, des bonbonnes de gaz qui n’explosent pas toujours, éventuellement avec des armes à feu se sont multipliés. Dans certains cas, la piste djihadiste ne peut être prouvée, dans d’autres on incrimine un mécanisme psychologique d’imitation ou on cherche des causes psychiatriques... Il n’empêche que la tendance lourde semble être à des attaques menées sans grands moyens ou grande organisation, donc d’autant plus difficiles à déceler. La possibilité d’une « routine » terroriste, c’est-à-dire d’attentats relativement fréquents pas forcément très efficaces du fait de l’inexpérience de leurs auteurs, mais motivés par le désir de venger le califat et de punir les pays de la coalition est tout sauf absurde. Et la propagande djihadiste basée sur le ressentiment peut encore nourrir longtemps ce désir de violence compensatrice.

    François-Bernard Huyghe (Blog de François-Bernard Huyghe, 18 octobre 2017)

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  • A charge de revanche !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue Cyril Raul, cueilli sur Polémia et consacré à l'esprit de revanche, sentiment simplement réactif, mais néanmoins vital pour la réveil des  Européens...

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    À charge de revanche

    La racine originelle de la haine des djihadistes « français » à notre encontre ne repose pas que sur le mépris de notre mode de vie occidentalisé ou les quelques bombardements hebdomadaires de nos forces armées en Syrie et en Irak. La véritable source de cette haine est bien plus profonde et ancrée. Elle transcende les siècles et les générations ; elle dépasse même la « simple » question djihadiste. C’est parce que nous sommes aujourd’hui désarmés face à cette haine qu’il est devenu plus que nécessaire d’en cerner les fondements.

    Derrière le djihad, la revanche

    Le plus simple consiste à s’intéresser aux propos tenus par les djihadistes eux-mêmes, sans filtre. Dans son livre Les Revenants, le journaliste David Thomson raconte ses entretiens avec des combattants « français » de retour de Syrie et d’Irak. Au fil des pages et des portraits de ces islamistes, une des raisons du mépris et de la haine de la France et des Français revient fréquemment : la colonisation.

    Un passage est particulièrement parlant. C’est celui où « Lena », une jeune Maghrébine de retour de Syrie, nous explique les causes de son engagement :

    « J’ai toujours eu l’impression d’être inférieure du fait que j’étais musulmane », dit Lena, qui répète détester la France. Une détestation entretenue par un ressentiment post-colonial (…). « Moi étant d’origine algérienne, j’ai mon grand-père qui est mort durant la guerre [d’Algérie, NdA]. J’aime pas dire guerre car c’était pas à armes égales, moi je dis souvent « le génocide français ». Le djihad, c’est se battre pour retrouver notre dignité qu’on a perdue, qu’on a voulu écraser » (David Thomson, Les Revenants, éditions Seuil, page 189).

    Plus loin, un certain Abou Moujahib tient à peu près le même discours :

    « Nous, on est des Marocains, des Algériens et la France elle est venue en Algérie, elle a fait la guerre, elle a exterminé, elle a fait un génocide, elle a tué, elle a égorgé les têtes des Algériens. Donc il y a non seulement sa guerre contre l’islam dans sa politique actuelle, mais il y a aussi sa guerre contre l’islam dans son histoire. Voilà pourquoi la France est une des premières cibles ».

    Et David Thomson d’en conclure que « bien au-delà de son intervention en Syrie et en Irak, de sa politique actuelle jugée hostile à l’islam, la France paierait donc aussi, sur le tard, les blessures issues de la colonisation » (Les Revenants, page 254).

    Des propos dont la teneur nous est familière, car déjà formulés dans bien d’autres bouches que celles de djihadistes. Ce mépris des Français en raison de la colonisation, on le retrouve aussi dans les cours d’école, on le lit également dans les commentaires sur les réseaux sociaux, on l’entend même sur les plateaux de télévision. Car du djihadiste à la racaille du collège en passant par la « beurgeoisie » médiatisée, on observe toujours les deux mêmes ressorts : le mépris plus ou moins exprimé des nôtres (le Blanc, le Français, nos ancêtres responsables de tous les maux) et le sentiment de revanche. Entre la haine affichée à notre égard par la racaille, le djihadiste et le « militant anticolonial » de la 25e heure, il y a une différence de degrés, mais pas de nature.

    Ce sentiment de revanche de musulmans à l’encontre des Européens n’est pas un phénomène nouveau dans l’Histoire. Dans son livre Esclaves blancs, maîtres musulmans sur la traite des chrétiens en Méditerranée de 1500 à 1800, l’historien Robert C. Davis dresse le constat suivant :

    « En Barbarie, ceux qui recherchaient des esclaves pour en faire la traite attendaient sans aucun doute d’en tirer un profit, mais dans leur trafic de chrétiens il y avait toujours une dimension de revanche, presque de jihad, en réparation des torts de 1492 [NdlR : la chute de Grenade et la fin de la Reconquista]. (…) C’est peut-être l’aiguillon de cette vengeance – à opposer aux rouages indifférents du marché – qui a rendu les traitants musulmans tellement plus actifs et, au départ au moins, plus prospères dans leur entreprise que leurs homologues chrétiens ».

    De manière peut-être diffuse mais bien tangible, la traite des Blancs en Méditerranée était perçue comme une réponse à la Reconquista, tout comme, plusieurs siècles après, les attaques contre la France et les Français (les attentats mais aussi les agressions et les insultes du quotidien) sont, de manière plus ou moins consciente selon les cas, appréhendées comme une réponse à la colonisation et à l’exploitation supposée de l’Afrique par les Européens. Il s’agit ici d’un mécanisme séculaire : le sentiment de revanche est une pensée de fond qui s’inscrit sur le temps long et transcende les générations.

    Réhabiliter l’esprit de revanche

    Si aujourd’hui l’esprit de revanche des populations immigrées est basé sur des mythes destinés à culpabiliser leur prétendu oppresseur, l’esprit de revanche n’en est pas pour autant intrinsèquement néfaste. Tout dépend de ses motivations : dans l’Histoire il a pu aussi maintenir des peuples européens en vie. Guidé par l’espérance, l’esprit de revanche peut permettre à un peuple, au fil des générations, de survivre et de demeurer lui-même face à l’adversité. C’est le souffle de la revanche qui a animé la Reconquista pendant près de 8 siècles. C’est cet esprit qui a engendré la renaissance des pays des Balkans (Grèce, Serbie, Bulgarie…) après une longue et cruelle domination ottomane. La notion « d’esprit de revanche » mérite amplement d’être réhabilitée à la seule lumière de ces indéniables constats historiques.

    Par le passé, l’esprit de revanche pouvait, certes, aussi nourrir la rancœur et entraîner des peuples frères à une lutte stérile et autodestructrice. La Grande Guerre, source du suicide européen du XXe siècle, est un exemple criant. Mais c’est aussi, malgré tout, l’esprit de revanche face à l’Allemagne après la défaite de 1870 qui a contribué à forger la vaillance et la persévérance de nos Poilus dans les tranchées. Le chant La Strasbourgeoise est sans doute l’illustration la plus symbolique de ce sentiment qui animait nos Anciens, après pourtant quatre décennies de paix officielle. Face aux blessures infligées par l’ennemi, quel contraste entre l’attitude de la Mendiante de Strasbourg et les bien lénifiants « ils n’auront pas ma haine » d’aujourd’hui !…

    Mais l’esprit de revanche ne souffle plus sur la France. Ou plutôt si, mais en négatif : loin de la porter, le vent de la revanche souffle désormais contre elle. Et de l’intérieur. Notre peuple est attaqué de toutes parts dans son identité, sa culture, sa langue. On lui retire sa fierté, on le contraint à la repentance. On insulte ses ancêtres pour mieux culpabiliser ses enfants. Autant de syndromes pour un même diagnostic : notre peuple est en danger de mort. Pourtant, il semble comme pétrifié. Un nouvel esprit de revanche pourra t-il le ranimer ?

    Une même volonté de salir

    Entre la traite des Blancs en Méditerranée d’hier et les meurtres, les insultes et les agressions contre les Français d’aujourd’hui, il y a – outre l’esprit de revanche – une autre similarité frappante : l’expression d’un profond désir de souiller, de salir, de dégrader. Avec une humiliation perçue comme un mode d’action, un outil de la revanche.

    Dans cette entreprise, les femmes européennes constituent toujours une cible de choix. Autrefois vendues dans les marchés aux esclaves d’Alger, de Tunis ou de Tripoli, elles souffrent encore à notre époque du sentiment de revanche à leur encontre. Un phénomène qui dépasse largement la seule question des attentats, même si on songe évidemment – avec un profond sentiment de tristesse et de colère – à Mauranne et Laura, les deux jeunes filles victimes de la récente attaque à la Gare Saint-Charles de Marseille. Un crachat d’un « harceleur de rue », une insulte adressée à une caissière mère de famille, une gifle infligée à une collégienne… sont aussi les marqueurs quotidiens d’une volonté de souiller la femme européenne. Les épouses, les mères, les sœurs et les filles sont les premières cibles parce que symboliquement plus faciles à salir. En les attaquant, on vise le cœur de notre civilisation. On renvoie aussi l’Homme européen à sa lâcheté en ciblant une femme qu’il n’est trop souvent plus capable de défendre ni de protéger.

    L’avenir de l’esprit de revanche

    Toutes ces attaques, des « petites » humiliations du quotidien aux tueries de masse, ont une conséquence : elles font elles-mêmes, inéluctablement, naître un sentiment de revanche, bien qu’encore en germe, chez les Français.

    N’est-ce pas l’ébauche d’un esprit de revanche qui explique la recrudescence des engagements dans l’armée et la police après chaque attentat d’ampleur ? N’est-ce pas cet esprit ressenti en réaction à des scènes vécues qui a motivé beaucoup des nôtres à changer de vote, prendre radicalement position ou s’engager politiquement ?

    Dans toutes les communautés, le sentiment de revanche progresse. Il est en train de gagner les esprits et les cœurs comme jamais. Il s’inscrit sur le temps long. A ce titre, il animera irrémédiablement les générations qui nous succéderont au cours de ce XXIe siècle.

    Cet esprit de revanche ne constitue sans doute pas une fin en soi. Il ne représente pas nécessairement un sentiment très noble. Mais on aurait grandement tort de le dédaigner, car quand il s’exprime, il a ce pouvoir rare de ranimer un peuple en dormition et de le détourner du chemin qui le mène vers la sortie de l’Histoire. Un peuple qui sera bientôt las de baisser la tête et de compter ses morts.

    Cyril Raul (Polémia, 17 octobre 2017)

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  • Le conservatisme comme préservation des tensions...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mahaut Hellequin, cueilli sur son blog Flamberge et Belladone et consacré au conservatisme comme maintien d'une tension féconde...

     

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    Le conservatisme comme préservation des tensions

    Là où le progressisme veut entraîner l’humanité dans un seul mouvement idéalement unifié et consensuel, le conservatisme préserve la multiplicité des mouvements et des tensions entre des polarités différenciées.
    Le progressisme est une immobilité interne sous la forme d’un mouvement externe, le conservatisme un fourmillement interne sous la forme d’une immobilité externe.

    Cette image peut sembler bien contre-intuitive après des décennies à avoir entendu et répéter la distinction du « parti du mouvement » contre celui de la résistance, de l’immobilisme, de la tradition (que l’on imagine toujours sclérosante), je m’en vais tenter de la développer, non sans avouer auparavant mon ignorance relative en matière de théorie du conservatisme: je ne livre ici que mes modestes intuitions souvent venues au fil de discussions. Tout cela a soit été bien mieux dit ailleurs, soit contredit par d’autres visions du conservatisme.

    Le monde progressiste est unipolaire, il ne supporte pas sa négation, son contraire : « Pas de liberté pour les ennemis de la Liberté. » pas de tolérance pour les prétendus intolérants.
    Son idéal est celui d’une humanité engagée toute ensemble sur une seule et même voie bornée par la Liberté et l’Egalité.
    Liberté : l’Homme est libre de tout faire et défaire, dire et dédire, libre de toute contrainte, de tout donné. La liberté est celle de la volonté individuelle, triomphante et absolue, la lutte est donc engagée contre tout ce qui sépare l’individu de sa liberté toute-puissante et volontaire : structures sociales d’appartenance, chair…
    Egalité : chaque unité est égale à chaque autre, tout vaut tout.
    Est banni et perçu comme adversaire tout système niant l’un de ces deux piliers, sauf s’il reconnaît être égal à tous les autres ainsi que la liberté des individus d’y entrer et d’en sortir au gré de leurs envies. C’est à dire s’il ne nie en fait aucun de ces deux piliers.
    Exemple : un système hiérarchique, clanique, traditionnel et théocratique est tout à fait acceptable dans une vision progressiste du monde pour peu que son adhésion soit libre et volontaire, son apostasie acceptée sans heurts et qu’il renonce à toute velléité suprématiste, autrement dit qu’il se nie lui-même ou n’ait de valeur que celle d’un jeu de rôle temporel.
    Le progressisme n’a donc de libre que des options toutes égales au sein d’un cadre unique, ce que l’on pourrait caricaturer comme un choix d’avatar dans un jeu de rôle en ligne, mais sans combat, sans tension, un jeu de rôle de gestion de population pacifique.
    Les barrières et normes traditionnelles tombant les unes après les autres, le temps est perçu par le progressisme comme une flèche qui s’émancipe, se libère toujours plus de l’ état de nature (ou de l’obscurantisme rigide, clanique, hiérarchique, traditionnel) avec pour but une résolution de toutes les tensions, de tous les conflits dans la fin de l’Histoire, quand plus aucune barrière, aucune entrave ne subsistera, seuls des individus égaux et poreux (virtualisation et redéfinition de l’identité individuelle égotique dont le mouvement final, contenu en germe dans le cogito qui ne tire substance que de lui-même, est la dissolution dans la multitude horizontale des individualités-monades).
    En termes freudiens, cette visée de la réduction ultime des tensions s’appelle pulsion de mort.
    La flèche avance, mais elle doit avancer comme un seul homme, avec pour seul but, pour seul pôle l’égalité indifférenciée. The Wall de Pink Floyd, ou la protestation auto-prophétique.
    Pour réaliser son dessein, le progressisme idéologique couche le réel sur le lit de Procuste. Villes rasées, atomisées, camps, extermination : rien n’est trop dur pour ce qui résiste au Grand Projet.

    Face à cette unité terminale mon conservatisme se fonde sur l’observation d’Héraclite « Polemos pater panton » : le combat est père de toutes choses, et défend le grouillement du multiple.
    Le « combat » dont il s’agit est en réalité moins un conflit qu’une tension, une opposition de divers pôles qui structure réel.
    Toutes les médecines et cosmologies traditionnelles organisent ainsi le monde entre Ciel et Terre, dedans et dehors, chaud et froid, lumière et ténèbre, masculin et féminin etc… et savent fort bien qu’il ne s’agit là que d’échelles (comme celle de Kinsey) où c’est la nuance, la gradation, la mesure mouvante qui importe, et que tout guerrier, quelles que soient ses préférences dans la mêlée, porte à la fois lance et bouclier.
    Ce conservatisme est dialectique, il voit les structures antagonistes de toute chose, les oppositions polarisantes, les paradoxes féconds.
    Parce que toute poussée et toute pensée, toute vie et toute identité sont concordances de contraires, il s’emploie à préserver la différentiation des pôles.
    Il ne conserve pas les structures mais les archétypes, les symboles autour desquels vont et viennent, se font et se défont les structures réelles depuis des millénaires, comme une figure géométrique dont on ne se préoccuperait pas du périmètre ni même de la forme mais des différents angles. Qu’importe si le feu domine l’eau, la terre l’air ou inversement, si l’hiver fait place à l’été ou le patriarcat au matriarcat, tant que le monde se tend et se tord sans cesse entre ces pôles sans qu’aucune victoire soit complète ou définitive, tant que le déséquilibre est aussi changeant que permanent.
    Ce conservatisme n’est pas hégémonique mais laisse l’autre être autre pour s’y mesurer sans l’absorber. Il vise à être et durer, persister et combattre sans viser l’anéantissement mais bien plutôt le combat lui-même comme état de tension et d’accomplissement de soi dans la confrontation.
    En termes freudiens, on parlera de pulsion de vie.
    Le cercle ne va nulle part, et peut-être n’est-il même pas cercle mais héxadécagone, ou peut-être octogone, ou pentacle, ou carré, ou triangle… il ne se déplace pas dans un sens ou l’autre, mais tout en lui se heurte et se tend, s’affronte et s’affirme.

    Mon conservatisme est, plus que tout mélangisme, soucieux de la diversité.
    Il est, plus que tout égalitarisme, respectueux de l’autre dans son intégrité.
    Il est, plus que tout progressisme, sanctuaire de liberté dans le combat.

    Mahaut Hellequin (Flamberge et Belladone, 10 octobre 2017)

     

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