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Points de vue - Page 162

  • Censure sur la criminalité en Europe ?...

     Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré à la censure de faits qui règne dans la presse sur la vraie nature de la criminalité en Europe... Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a récemment publié Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) ou encore Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014).

     

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    Campagne d'affichage de l'AfD :" L'Allemagne a besoin de sécurité ! "

     
    Censure sur la criminalité en Europe ? Pourquoi la baisse évoquée en Allemagne et en Suède est en trompe l’œil
    A la lecture de la presse, le criminologue que je suis est saisi par un étrange malaise sur le traitement réservé aux enjeux de sécurité en Europe. Que d’oublis et d’ignorance et, partant, d’incapacité à comprendre le ressenti des citoyens européens face à la terreur et au crime.

    Prenons ainsi l'étude récente d'un think tank américain selon lequel de janvier 2014 à fin 2017, l'Europe a subi 194 attentats (réussis ou non). Bilan : 357 morts, 1 660 blessés. 32 de ces tueries ayant toute de même causé 1 000 morts ou blessés étaient pour tout ou partie le fait de migrants (Maghreb, Soudan, Irak). Pas exactement rien… 

    Désormais, ces "oublis" frôlent la censure. Fin mai en Allemagne, Susanna Feldman, 14 ans, est violée et tuée par un hybride migrant-irakien (braquage, mars 2018, droit d'asile, rejet en mars 2016).

    Le site israélien I24News révèle qu'elle est juive. Une Juive assassinée en Allemagne - outrage garanti ! Or googlez "Susanna Feldman": sur les cinq premières pages, pas trace du Monde, de Libé ou de France Info. 

    Mais place aux chiffres sur la mondialisation et la réalité de la criminalité dans certains pays d’Europe dont de nombreux articles –relayant sagement des propos officiels- ont expliqué récemment qu’elle était en forte baisse. 

    Allemagne – A en croire, une majorité de nos grands médias d'information, tout va bien et même très bien en matière de sécurité au pays de Mme Merkel puisque les chiffres sont à la baisse ! Voyons voir.

    "No-go areas" (quartiers hors-contrôle) - Mme Merkel l'avoue en février 2018 (RTL-Deutschland,) "Il y a des lieux en Allemagne où les gens ne sont plus en sécurité...Il faut le dire clairement". C'est si clair qu'en juin 2018, 90% des Allemands veulent un durcissement de la politique migratoire. Sur cela, censure des médias précités. 

    Baisse statistique factice de la criminalité - Pour le syndicat policier allemand GdP, les statistiques nationales (PKS) incluent tout passage illégal de la frontière ["infractions liées à la loi sur les étrangers"] donc si en 2015, 890 000 clandestins entrent en Allemagne, et 280 000 en 2016, on a fin 2016... 610 000 infractions de moins ! Fine astuce.

    Ce qui monte malgré tout - Crimes violents en 2015 et 2016, + 7% [homicides & tentatives + 14%, viols + 12%, coups & blessures + 10%] ; en 2017, homicides + 3,2%. 90% de ces hausses sont dues à des migrants mâles de 14 à 30 ans.

    Crimes dans les länder et villes (où la censure d'Etat est moins écrasante) :

    - Leipzig, attaques à l'arme blanche : 2011, 33 cas ; 2017, 138.

    - Sigmaringen (Souabe), 2017 : 57% des infractions connues sont dues aux migrants, dont 49% des vols dans les commerces et 39% des vols violents.

    - Rhénanie-Nord Westphalie, 2e semestre 2017, 500 attaques à l'arme blanche connues.

    Fautives statistiques allemandes sur la sécurité : 

    - Pour le syndicat de la police (Bund Deutscher Beamter), 90% des infractions sexuelles et 88% des "crimes de haine" sont hors-statistiques. Confirmation d'études académiques que le BKA ignore 20% des infractions connues - voire "oublierait" 50% des homicides car nul ne vérifie la mention "mort naturelle" d'un médecin légiste, peut-être soudoyé ou étourdi.

    - Pire, les données du BKA incluent les seules infractions fédérales élucidées "Aufgeklärten Straftaten" ; or 45% des infractions connues ne sont pas élucidés ; ni bien sûr le "chiffre noir" (écart entre infractions connues et vécues). Joli effet d'entonnoir - ignoré des médias.

    - Enfin, les comptages du BKA omettent les actes terroristes, relevant du Renseignement intérieur, loin des yeux indiscrets.

    Gros scandale au service fédéral de l'immigration (BAMF) qui - submergé ou corrompu ? - a des années durant accordé à l'aveuglette des titres de séjour à des Zuwanderer - dont nombre de criminels violents.

    Que sait-on de la criminalité des migrants/étrangers en Allemagne ?

    - 40% des infractions qu'ils commettent sont le fait de 1% d'entre eux - ce qui prouve la présence parmi eux de criminels endurcis,

    - Crimes sexuels imputables aux migrants : 2013, 2/jour ; 2014, 3/jour ; 2015, 5/jour ; 2016, 9/jour ; 2017, 13/jour.

    - En Allemagne, 1 habitant sur 8 est étranger ; sur 3 inculpés de crime, 1 étranger ; Sur 5 victimes d'un crime, 1 étranger.

    Parquet fédéral allemand, enquêtes pour "extrémisme" : 68 en 2013, 1 200 en 2017. Inculpations pour "terrorisme" : 2016, 66 ; 2017, 316.

    Suède (10 millions d'habitants) Sondage pour les législatives de l'automne 2018, sur les colères des électeurs : 1 - l'immigration ; 2 - la santé ; 3 - la loi et l'ordre. Dans ce pays jadis si paisible, la vague migratoire a provoqué un séisme criminel oublié des médias.

    Zones hors-contrôle : selon le syndicat du personnel paramédical (Ambulandförbundet), on en compte 60 autour de Stockholm, Gothenburg et Malmö.

    Omniprésence des armes de guerre : 

    - Attentats à la grenade, 4 en 2014, 20 en 2017. Au marché noir, de meurtrières grenades défensives sont à 30 € pièce ; même, gentil geste commercial, on en a deux gratis pour l'achat d'une kalachnikov. En 2017 à Malmö, des commissariats reçoivent deux de ces engins - dégâts énormes. 

    - Usage d'armes de guerre sur la voie publique : 300 en Suède, en 2017 ; 17 homicides par arme à feu en 2011 ; 41 en 2017 plus 135 blessés. En juin 2018 à Malmö, une fusillade fait 3 morts et 3 blessés graves ; les douilles jonchent le sol, près du commissariat central.

    Voilà ce qu'ignorent nos médias d'information - Fake news, non - censure, plutôt.

    Xavier Raufer (Atlantico, 3 juillet 2018)
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  • Les marqueurs de l’effondrement de l’empire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dmitry Orlov, cueilli sur le blog francophone du  Saker et consacré aux signes annonciateurs de l'effondrement de l'empire américain... De nationalité américaine mais d'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin ou de l'effondrement des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

     

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    Les marqueurs de l’effondrement de l’empire

    En réfléchissant à l’effondrement de l’empire américain qui se déroule (jusqu’à présent) graduellement, l’effondrement de l’URSS, qui s’est produit il y a près de trente ans, continue d’être une utile mine d’exemples et d’analogies. Certains événements survenus pendant l’effondrement soviétique peuvent servir de panneaux de signalisation utiles dans le contexte américain, ce qui nous permet de formuler de meilleures hypothèses quant au calendrier des événements qui peuvent soudainement transformer un effondrement graduel en sa version accélérée.

    Quand l’effondrement soviétique s’est produit, la réaction universelle a été « Qui aurait pu le savoir ? » Eh bien, je le savais. Je me souviens distinctement d’une conversation que j’avais eue avec un chirurgien au cours de l’été 1990, juste au moment où j’allais passer sur le billard pour me faire opérer de l’appendicite, en attendant l’anesthésie. Il m’a demandé ce qu’il adviendrait des républiques soviétiques, de l’Arménie en particulier. Je lui ai dit qu’elles seraient indépendantes en moins d’un an. Il avait l’air positivement choqué. Je ne m’étais trompé que de deux mois. J’espère pouvoir prévoir l’effondrement américain avec le même degré de précision.

    Je suppose que j’étais bien placé pour le savoir, et je suis tenté de deviner comment j’ai réussi cela. Mon domaine d’expertise à l’époque était l’électronique de mesure et d’acquisition de données pour les expériences de physique des hautes énergies, pas la soviétologie. Mais j’avais passé l’été précédent à Leningrad, où j’avais grandi, et j’avais une bonne idée de ce qui se passait en URSS. Pendant ce temps, toute la cohue des experts professionnels sur la Russie,  payés pour le faire, qui étaient installés dans divers organismes gouvernementaux à Washington ou qui consommaient de l’oxygène dans diverses fondations et universités des États-Unis, n’avaient absolument aucune idée de ce à quoi s’attendre.

    Je soupçonne qu’il y a un principe là-dedans : si votre carrière dépend de l’existence de X, et si X est sur le point de cesser d’exister, alors vous ne serez pas très motivé pour prédire avec précision sa fin. Inversement, si vous parveniez à prédire avec précision la fin programmée de X, alors vous seriez également assez intelligent pour changer de carrière à l’avance, donc vous ne seriez plus un expert sur X et votre opinion sur le sujet serait négligée. Les gens penseraient que vous avez quitté un excellent travail et que vous êtes maintenant aigri. À l’heure actuelle, j’observe le même phénomène à l’œuvre chez les experts de la Russie aux États-Unis : ils ne peuvent pas imaginer que les diverses choses qu’ils ont passé leur vie à étudier ont rapidement perdu de leur pertinence. Ou peut-être qu’ils le peuvent, mais qu’ils gardent cette prise de conscience pour eux-mêmes, de peur de ne plus être invités pour des talk-shows.

    Je suppose que puisque l’expertise est une question d’en savoir beaucoup sur un sujet circonscrit, tout savoir sur rien – une chose qui n’existe pas – est son point final logique. Quoi qu’il en soit, je pense que nous autres non-experts, armés du recul parfait que nous offre l’exemple de l’effondrement soviétique, nous pouvons éviter d’être pareillement aveuglés et abasourdis par l’exemple américain. Ce n’est pas une question académique : ceux qui jaugent la situation avec précision peuvent être en mesure de se faufiler et sortir de l’enfer à l’avance, alors que les lumières sont toujours allumées, pendant que le monde ne se promène pas encore dans une brume mentale induite par la drogue et des fusillades de masse et que d’autres types de chaos sont toujours considérés comme dignes d’intérêt par les médias.

    Ce recul nous permet de repérer certains marqueurs qui se sont manifestés à ce moment-là et qui se manifestent maintenant. Les quatre dont je veux discuter maintenant sont les suivants :

    1. Les alliés sont aliénés ;
    2. Les inimitiés se dissipent ;
    3. L’idéologie devient non pertinente ;
    4. La posture militaire devient flasque.

    Tout cela est évident à voir dans l’effondrement américain. Comme pour l’effondrement soviétique, il y a une certaine période d’incubation pour chacune de ces tendances, pouvant durer peut-être un an ou deux, au cours de laquelle peu de choses semblent se produire, mais quand c’est le moment, tout décolle d’un seul coup.

    1. Alliances

    Au fur et à mesure que l’effondrement soviétique s’est déroulé, les anciennes amitiés se sont détériorées, d’abord à cause d’un manque de pertinence, puis ont tourné a une inimitié pure et simple. Avant l’effondrement, le rideau de fer a couru entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest ; trois décennies plus tard, il court entre la Russie et les pays baltes, la Pologne et l’Ukraine. Alors que dans l’après-guerre, les pays du Pacte de Varsovie tiraient de nombreux avantages de leur association avec la Russie et sa puissance industrielle, vers la fin leur adhésion au camp soviétique devenait de plus en plus gênante pour le progrès, entravant leur intégration avec les pays prospères et moins troublés plus à l’ouest et avec le reste du monde.

    De même, avec les États-Unis et l’Union européenne, ce partenariat montre également des signes majeurs de tension alors que Washington tente d’empêcher l’Europe de s’intégrer au reste de l’Eurasie. La menace particulière de sanctions économiques unilatérales dans le cadre d’un effort vain pour bloquer d’autres gazoducs russes vers l’Europe et forcer les Européens à acheter un projet de gaz naturel liquéfié américain incertain et surévalué a mis en évidence le fait que la relation n’est plus mutuellement bénéfique. Et alors que la Grande-Bretagne se sépare de l’Europe et se rapproche des États-Unis, un nouveau rideau de fer émerge peu à peu, mais cette fois, il traversera la Manche, séparant le monde anglophone de l’Eurasie.

    Des développements similaires sont en cours à l’Est, affectant la Corée du Sud et le Japon. La volte-face de Trump entre tweets tumultueux et rhétorique conciliatoire vis-à-vis de la Corée du Nord a mis à nu le vide des garanties de sécurité américaines. Ces deux pays voient maintenant la nécessité de prendre leurs propres dispositions de sécurité et de commencer à réaffirmer leur souveraineté en matière militaire. Pendant ce temps, pour les États-Unis, être incohérent n’est qu’un « arrêt au stand »sur le point de devenir insignifiant.

    2. Les inimitiés

    Pendant toute la période de la guerre froide, les États-Unis étaient l’ennemi juré de l’Union soviétique, et tout effort de Washington pour donner des conseils ou dicter sa volonté se heurtait à des aboiements bruyants, synchronisés et idéologiquement fortifiés de Moscou : encore l’agresseur impérialiste ; n’y faites pas attention. Ce bruit vertueux a très bien fonctionné pendant une période étonnamment longue, et a continué de fonctionner pendant que l’Union soviétique réalisait de nouvelles conquêtes impressionnantes – dans l’espace, la technologie, la science et la médecine, dans des projets humanitaires internationaux, etc. Mais lorsque la stagnation s’est installée, il a commencé à sonner creux.

    Après l’effondrement soviétique, cette immunité contre la contagion américaine a disparu. Des « experts » et des « conseillers » occidentaux ont envahi le pays et proposé des « réformes » telles que le démembrement de l’URSS en 15 pays distincts (piégeant des millions de personnes du mauvais côté de la frontière nouvellement inventée) avec une thérapie de choc (qui a appauvri presque l’ensemble de la population russe), les privatisations (qui mettaient des biens publics importants entre les mains de quelques oligarques politiquement associés, pour la plupart des oligarques juifs) et divers autres projets visant à détruire la Russie et à faire disparaître sa population. Ils auraient probablement réussi s’ils n’avaient pas été arrêtés à temps.

    Symétriquement, les Washingtoniens considéraient l’URSS comme leur ennemi juré. Après sa disparition, il y a eu un peu de confusion. Le Pentagone a essayé de parler de « mafia russe » comme d’une menace majeure à la paix mondiale, mais cela semblait risible. Puis, à l’occasion de la démolition de quelques gratte-ciels à New York, peut-être en plaçant de petites charges nucléaires dans le soubassement sous leurs fondations (ce sont les plans de démolition qui étaient enregistrés 1), ils ont embrassé le concept de « guerre contre le terrorisme », bombardant divers pays qui n’avaient pas de problème de terrorisme avant mais en ont certainement maintenant. Puis, une fois que ce plan stupide a suivi son cours, les Washingtoniens sont retournés à leur premier os à ronger pour harceler la Russie.

    Mais maintenant une odeur étrange flotte dans le vent à Washington : l’odeur de l’échec. L’air commence à fuiter de cette campagne pour calomnier la Russie, et c’est putride. Pendant ce temps, Trump continue à faire des bruits qu’un rapprochement avec la Russie est souhaitable et qu’un sommet entre les dirigeants devrait avoir lieu. Trump emprunte aussi quelques pages du livre de règles russe : tout comme la Russie a réagi aux sanctions occidentales par des contre-sanctions, Trump commence à réagir aux barrières douanières occidentales par ses propres barrières douanières. Nous devrions nous attendre à ce que l’inimitié américaine contre la Russie se dissipe quelque temps avant que l’attitude américaine à l’égard de la Russie (et de beaucoup d’autres choses) ne devienne insignifiante. Nous devrions également nous attendre, une fois la bulle de la fracturation hydraulique [pétrole de schiste, NdT] explosée, à ce que les États-Unis deviendront dépendants du pétrole russe et de son gaz naturel liquéfié, qu’ils seront forcés de payer avec de l’or. (La fracturation implique un processus de combustion en deux phases : la première phase brûle de l’argent emprunté pour produire du pétrole et du gaz, la seconde brûle le pétrole et le gaz.)

    D’autres inimitiés sont aussi sur le déclin. Trump vient de signer un document intéressant avec Kim Jong-un, président de la Corée du Nord. L’affaire (si nous l’appelons ainsi) est un acte de capitulation tacite. Il a été orchestré par la Russie et la Chine. Il affirme ce que la Corée du Nord et la Corée du Sud avaient déjà accepté : la dénucléarisation éventuelle de la péninsule coréenne. Tout comme Gorbatchev a consenti à la réunification de l’Allemagne et au retrait des troupes soviétiques de l’Allemagne de l’Est, Trump s’apprête à accepter la réunification de la Corée et le retrait des troupes américaines de la Corée du Sud. Tout comme la chute du mur de Berlin a marqué la fin de l’imperium soviétique, le démantèlement de la zone démilitarisée coréenne marquera la fin de l’ère américaine.

    3. Idéologie

    Alors que les États-Unis n’ont jamais rien eu d’aussi rigoureux que le dogme communiste de l’Union soviétique, leur mélange de propagande pro-démocratie, de capitalisme du laissez-faire, de libre-échange et de domination militaire a été puissant pendant un certain temps. Après avoir cessé d’être la plus grande puissance industrielle du monde, cédant la première place à l’Allemagne et au Japon, puis à la Chine, les États-Unis accumulent des dettes prodigieuses, confisquant et dépensant l’épargne mondiale tout en défendant le dollar américain sous la menace de rétorsion militaire. Il fut pendant un certain temps compris que le privilège exorbitant de l’impression monétaire sans fin devait être défendu avec le sang des soldats américains. Les États-Unis se voyaient et se positionnaient comme le pays indispensable, capable de contrôler et de dicter des conditions à la planète entière, terrorisant ou bloquant divers autres pays selon les besoins. Maintenant, tous ces schibboleths idéologiques sont en ruines.

    La rhétorique en faveur de la démocratie est toujours utilisée consciencieusement par les porte-parole des médias politiques, mais dans la pratique, les États-Unis ne sont plus une démocratie. Ce pays a été transformé en un paradis des lobbyistes qui ne sont plus confinés dans le hall en bas mais se sont installés dans les bureaux du Congrès et rédigent des quantités prodigieuses de lois pour répondre aux intérêts privés des entreprises et des oligarques. Le penchant américain pour la démocratie n’est pas non plus visible dans le soutien que les États-Unis prodiguent aux dictatures du monde entier ou dans sa tendance croissante à promulguer et appliquer des lois extraterritoriales sans le consentement international.

    Le capitalisme du laisser-faire est également bien mort, supplanté par le capitalisme de copinage nourri par une fusion complète des élites de Washington et de Wall Street. L’entreprenariat privé n’est plus libre mais concentré aux mains d’une poignée de sociétés géantes, alors qu’environ un tiers de la population active aux États-Unis travaille dans le secteur public. Le département américain de la Défense est le plus grand employeur du pays et du monde entier. Environ 100 millions d’Américains en âge et en capacité de travailler ne travaillent pas. La plupart des autres travaillent dans des emplois de service, ne produisant rien de durable. Un nombre croissant de personnes garde des moyens de subsistance précaires en travaillant de manière sporadique. Tout le système est alimenté – y compris les parties qui produisent le carburant, comme l’industrie de la fracturation hydraulique – par de la dette. Aucune personne saine d’esprit, si on lui demandait de fournir une description réaliste du capitalisme, ne fournirait u plan aussi délabré.

    Le libre-échange était prôné jusqu’à très récemment, même si de nos jours le mouvement est en perte de vitesse. Le commerce sans entraves sur de grandes distances est la condition sine qua non de tous les empires, y compris l’empire américain. Dans le passé, des navires de guerre et la menace d’une occupation ont été utilisés pour forcer des pays, comme le Japon, à s’ouvrir au commerce international. Tout récemment, l’administration Obama a été très active dans ses tentatives de faire passer divers partenariats transocéaniques, mais aucun n’a réussi. Et maintenant, Trump s’est mis à détruire le libre-échange en combinant sanctions et barrières douanières, dans une tentative malavisée de raviver la grandeur perdue de l’Amérique en se tournant vers l’intérieur du pays. En cours de route, les sanctions sur l’utilisation du dollar américain dans le commerce international, en particulier avec les principaux pays exportateurs d’énergie tels que l’Iran et le Venezuela, accélèrent le processus par lequel le dollar américain est détrôné en tant que monnaie de réserve mondiale, démolissant le privilège exorbitant de l’impression monétaire sans fin.

    4. Militarisme

    L’effondrement soviétique était dans une certaine mesure déjà acté avec le retrait soviétique de l’Afghanistan. Avant cela, il était encore possible de parler du « devoir international » de l’Armée rouge pour rendre le monde (ou du moins les parties libérées) sûr pour le socialisme. Après cela, le concept même de domination militaire a été perdu, et les interventions qui étaient possibles auparavant, comme en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968, n’étaient même plus pensables. Lorsque l’Europe de l’Est a connu une rébellion en 1989, l’empire militaire soviétique s’est simplement replié, abandonnant ses bases et son matériel militaire en se retirant.

    Dans le cas des États-Unis, pour l’instant, ils restent capable de faire beaucoup de dégâts, mais il est devenu clair que la domination militaire de la planète entière n’est plus possible pour eux. L’armée américaine est encore énorme numériquement, mais elle est déjà bien flasque. Elle n’est plus capable de déployer une force terrestre d’une quelconque envergure où que ce soit et se limite aux bombardements aériens, à l’entraînement et à l’armement de « terroristes modérés » et de mercenaires, et au patrouillage inutile des océans. Aucune des aventures militaires récentes n’a abouti à quelque chose ressemblant à la paix à des conditions que les planificateurs américains avaient initialement envisagées ou que l’on aurait pu juger souhaitables : l’Afghanistan a été transformé en incubateur de terroristes et en usine d’héroïne ; l’Irak a été absorbé par un croissant chiite continu qui s’étend maintenant de l’océan Indien à la mer Méditerranée.

    Les bases militaires américaines sont toujours présentes dans le monde entier. Elles étaient destinés à projeter le pouvoir américain sur les deux hémisphères du globe, mais elles ont été largement neutralisées par l’avènement de nouvelles armes de précision à longue portée, d’une puissante technologie de défense aérienne et d’une magie de guerre électronique. Ces nombreux « nénuphars », comme on les appelle parfois, sont à l’opposé d’actifs militaires : ce sont des cibles inutiles mais coûteuses situées dans des endroits difficiles à défendre mais faciles à attaquer pour des adversaires potentiels. Ils ne peuvent être utilisés que pour faire semblant de combattre, et la série interminable d’exercices d’entraînement militaire, tels que ceux dans les États baltes, juste à la frontière russe, ou ceux en Corée du Sud, sont des provocations, mais ils sont des Parangons d’inutilité, car attaquer la Russie ou la Corée du Nord serait un geste suicidaire. Ce sont essentiellement des exercices de renforcement de la confiance, et leur intensité croissante témoigne d’un déficit de confiance prononcé et croissant.

    Les gens ne se lassent jamais de souligner la taille énorme du budget militaire américain, mais ils oublient presque toujours de mentionner que ce que les États-Unis reçoivent par unité d’argent est dix fois moindre que, par exemple, la Russie. C’est un plan d’extorsion boursouflé et inefficace qui produit de grandes quantités de gaffes – une éponge d’argent public sans cesse assoiffée. Peu importe combien d’argent elle absorbe, cela ne résoudra jamais le problème fondamental de l’incapacité à faire la guerre à un adversaire adéquatement armé sans subir des dommages inacceptables. Partout dans le monde, les États-Unis sont maintenant détestés, mais on les craint de moins en moins : une tendance fatale pour un empire. Par contre l’Amérique a très bien réussi à militariser ses services de police locaux, de sorte que le moment venu, elle sera prête à faire la guerre … contre elle-même.

    Conclusion

    Cette analyse peut se lire comme une enquête historique détachée de considérations pratiques et quotidiennes. Mais je crois que cela a un mérite pratique. Si les citoyens de l’URSS avaient été informés, avant les événements de 1990, de ce qui allait leur arriver, ils se seraient comportés différemment, et beaucoup de tragédies personnelles auraient pu être évitées. Une distinction très utile peut être faite entre l’évitement des effondrements (ce qui est futile, tous les empires s’effondrent) et l’évitement des scénarios les plus défavorables, qui deviendra, lorsque l’effondrement va s’accélérer, votre préoccupation la plus importante. Votre approche peut impliquer de fuir vers un terrain plus sûr, ou de vous préparer à survivre là où vous êtes. Vous pouvez choisir vos propres marqueurs d’effondrement et faire vos propres prédictions sur leur calendrier au lieu de compter sur le mien. Mais, ayant été témoin d’un effondrement, et étant témoin d’un autre, la seule approche que je ne recommanderais vraiment pas, est de ne rien faire et d’espérer le meilleur.

    Dmitry Orlov (Le Saker francophone, 19 juin 2018).

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  • Je ne suis pas...

    Vous pouvez lire ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré à l'analyse de la vidéo présentée ci-dessous, que nous vous laissons découvrir... Accrochez vos ceintures !

    Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe, auteur de nombreux livres, a récemment publié La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Daech : l'arme de la communication dévoilée (VA Press, 2017) et Fake news - La grande peur (VA Press, 2018).

     

                          

    Je ne suis pas...

    Une récente vidéo devenue virale illustre un étonnant mécanisme idéologique. Au cours de l’excellente émission Arrêts sur images, Daniel Schneidermann s’apprête à diriger un débat sur la journée des fiertés LGBT et remarque que ses quatre invités sont des hommes (aucune lesbienne n’ayant semble-t-il été disponible pour ce plateau). L’un des intervenants, petit, barbu, chauve, à lunettes et l’air tout aussi viril que n’importe qui que vous croisez dans un bureau ou le métro, s’exclame alors « mais je ne suis pas un homme, Monsieur ». Argument développé : il ne se sent pas homme mais ni homme ni femme et ce serait un horrible préjugé que de déduire de son apparence qu’il appartient à tel ou tel genre (si vous employez le mot sexe, j’appelle la police). Dire qu’il y a « quatre hommes sur le plateau, ce serait genré et pas très agréable », assène-t-il. Le crime de Schneidermann, on l’a compris, est d’avoir confondu « identité de genre et expression de genre » ce qui le place directement sur la pente savoneuse que l’on sait. Il contribuerait donc à répandre des stéréotypes, crime majeur s’il en fut. Crimepensée !

    Un peu plus tard, quand la rédaction regrette qu’il n’y ait que des blancs sur le plateau, le même barbu se réindigne et affirme qu’il n’est pas blanc, puisqu’à moitité libanais.

    On peut sourire de genre d’incidents qui démontrent que l’on est jamais assez politiquement correct : les journalistes, qui pourtant débordaient de bonne volonté pour apaiser toutes les minorités, ne se le sont pas envoyé dire. On notera au passage que le professeur de tolérance continue à appeler Schneidermann « Monsieur » et à lui parler en français sans le moindre souci de la douleur que cela lui causerait si, dans le fond de son âme, l’animateur était persuadé d’être un bébé femelle kangourou moldo-valaque.

    Au-delà de l’aspect comique de la scène - dont on image qu’elle va donner lieu à des détournements, « Mais au nom de quoi prétendez-vous que ceci est une émission de télévision ? », « Qui vous dit que nous sommes des êtres humains et non des anges ou des martiens ? En voilà bien des préjugés ! », ce petit incident a valeur de symptôme.

    D’abord d’une logique imparable : je ne me sens pas donc je ne suis pas. Mon désir ou mon sentiment l’emportent sur le fait que j’aie un zizi et un chromosome XY, que je n’aie ni les yeux bridés ni de la mélanine dans le sang, sur le fait que le sens commun nous dit qu’un chauve barbu s’appelle Monsieur et qu’un véhicule à essence doté de quatre roues et d’un volant est usuellement désigné comme voiture, même si c’est d’un conformisme patriarcal désolant. L’hyper individualisme mène à l’idée que l’on est une sorte d’entité pure qui peut choisir tous ses attributs : au réel, dont le biologique, de se conformer à mes décrets. Je change les code du langage et de la réalité. J’échappe à toute détermination, je suis mon propre démiurge...

    Le second aspect de ce système idéologique délirant (est vrai et dicible ce que je décide), est sa redoutable utilisation stratégique. Si vous vous pensez que je semble tel ou tel, ou si vous me faites rentrer dans telle ou telle catégorie sur la base de mes attributs (ce qui est quand même une des fonctions du cerveau humain, soit dit en passant), vous m’agressez. Donc vous me causez une souffrance. Donc vous n’êtes quand même pas loin du discours de haine et de la stigmatisation. Donc il faut vous fermer la gueule. Le processus, sinon de criminalisation (cela viendra), du moins de moralisation (qui oblige l’interlocuteur à se repentir des douleurs que provoquent ses mots et ses stéréotypes) offre ainsi le double avantage de se donner le monopole de la parole ou du sens des mots et de se désigner un ennemi d’autant plus facile à vaincre qu’il déborde de bonne volonté.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 1er juillet 2018)

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  • Europe, terre à prendre...

     

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Bernard Lugan, cueilli sur Médias-Presse.infos et consacré à l'afflux de migrants africains en Europe. Historien et africaniste, Bernard Lugan a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement Osons dire la vérité à l'Afrique (Rocher, 2015), Histoire de l'Afrique du Nord (Rocher, 2016), Algérie - L'histoire à l'endroit (L'Afrique réelle, 2017), Heia Safari ! - Général von Lettow-Vorbeck (L'Afrique réelle, 2017) et, dernièrement, Mai 68 vu d'en face (Balland, 2018).

     

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    Bernard Lugan analyse la migration africaine dans une Europe « terre à prendre »

    Les actuelles arrivées de migrants africains en Europe constituent les prémices d’un phénomène massif qui va connaître une amplification considérable dans les prochaines décennies.

    Laissons parler les chiffres :

    - Avec un taux de croissance de 4 % la population africaine double tous les 18-20 ans.
    - Au Niger, pays désertique où le taux de fécondité est de 7 enfants par femme, la population était de 3 millions d’habitants en 1960 et elle sera de 40 millions en 2040, puis de 60 millions en 2050.
    - En Somalie, le taux de reproduction est de 6,4 enfants par femme et en RDC, il est de 6,1.
    - En Algérie le programme de planification familiale avait permis de faire baisser l’indice synthétique de fécondité de 4,5 enfants par femme en 1990, à 2,8 en 2008. Or, avec la réislamisation du pays, depuis 2014, il a rebondi à 3,03.

    Résultat :
    D’ici à 2030, l’Afrique va voir sa population passer de 1,2 milliard à 1,7milliard, avec plus de 50 millions de naissances par an.
    - En 2100, avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent africain abritera 1/3 de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara.

    Pour des centaines de millions de jeunes africains, la seule issue pour tenter de survivre sera alors l’émigration vers l’Europe.

    Bloqués par leurs pré-supposés idéologiques et moraux, les dirigeants européens qui s’obstinent à ne pas tenir compte de cette réalité, ont choisi de s’accrocher au mythe du « développement ». En France, des Insoumis au Front national, tous défendent ainsi – certes à des degrés divers –, le postulat du développement ralentisseur migratoire. Et tous sont dans l’erreur. Comme je l’ai expliqué dans mon livre Osons dire la vérité à l’Afrique [1], le développement de l’Afrique est en effet une illusion et parfois même une escroquerie intellectuelle et politique.

    Pour deux grandes raisons :

    1) À supposer qu’il ait une efficacité, le « développement » ne pourrait en effet avoir que des résultats à très long terme. Or, il y a urgence.

    2) Tout a déjà été tenté en ce domaine depuis les indépendances, il y a plus de six décennies de cela. En vain car, en dépit des sommes abyssales déversées pour tenter de la faire « démarrer », l’Afrique régresse.

    Loin de se développer, l’Afrique s’appauvrit globalement année après année

    Selon les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) adoptés en 2000 par 189 États, aucun recul de la pauvreté africaine ne peut être envisagé sans un minimum de croissance annuelle de 7 % soutenue durant plusieurs années. Conclusion : comme il faut une croissance de 7 % par an pour simplement commencer à réduire la pauvreté, le calcul est vite fait, année après année, il manque donc à l’Afrique entre 3 et 4 % de croissance pour atteindre l’objectif des OMD. Donc, loin de se combler, la pauvreté africaine augmente et cela d’autant plus inexorablement que la démographie galopante y efface les quelques gains de croissance.

    Comment prétendre développer l’Afrique quand les investisseurs s’en détournent ?

    Le discours politique répétitif est l’appel à l’investissement « moteur du développement », mais comme les investisseurs n’investissent pas en Afrique, nous restons donc dans le domaine incantatoire.

    Dans son rapport de mai 2018, la BAD (Banque africaine de développement) souligne ainsi que pour les investissements dans le seul domaine des infrastructures, l’Afrique a besoin annuellement de 170 milliards de dollars d’IED (Investissements étrangers directs), alors que, au total de tous ses postes, elle n’en reçoit que 60 mds.

    Début juin 2018, à la lecture du rapport sur les IED publié par la CNUCED (CNUCED, World Investment Report 2017), nous apprenons qu’en 2017, sur les 2000 milliards (mds) de dollars d’IED mondiaux, l’Afrique n’en recueillit en effet que 60 mds, un volume dérisoire en baisse de 3 % par rapport à 2016 (Banque mondiale). L’Afrique, dans l’ensemble de la globalité de ses 54 pays et de son 1,2 milliard d’habitants a donc reçu presque autant d’IED que Singapour (61,6 mds pour 6 millions d’habitants), et moins que l’Irlande (79,2 mds pour 5 millions d’habitants)… Voilà qui en dit plus que les longs discours lénifiants sur le devenir de l’Afrique et sur son « développement »…

    Une chose est donc certaine, le credo du « développement » ne freinera pas le déversement du surplus démographique africain sur l’Europe. Comment en serait-il d’ailleurs autrement alors que rien ne peut être entrepris sans un strict contrôle des naissances que les Africains refusent d’envisager et que l’Europe n’est pas en mesure de leur imposer ?

    Vue d’outre-Méditerranée, l’Europe continuera donc d’être considérée comme une terre à prendre. D’autant plus facilement qu’elle est peuplée de vieillards repus ou épuisés, d’hommes s’interrogeant sur leur virilité, de femmes n’enfantant plus et dont les dirigeants sont soumis au diktat permanent de l’émotionnel…

    Bernard Lugan (Media-presse.info, 27 juin 2018)
     
    Note :
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  • Franco, symbole des féroces guerres de mémoire...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 21 juin 2018 et consacrée à la guerre des mémoires autour de Franco relancée par le nouveau premier ministre socialiste espagnol... 

     

                                     

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  • Vers un nouveau Yalta ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à la menace que constituerait la mise en place d'un condominium américano-chinois, qui marginaliserait l'Europe et la Russie... Docteur en science politique, au diteur de l'IHEDN, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle vient de créer, avec Hervé Juvin, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Vers un nouveau Yalta

    L’Europe va mal et c’est de sa faute. Elle persiste dans l’aveuglement, signe son effacement progressif de la nouvelle carte du monde et se laisse glisser dans une sorte de coma inquiétant. Elle aurait besoin d’un vigoureux massage cardiaque, d’une séance de défibrillation radicale. Elle préfère tirer nerveusement sur sa pompe à morphine, croire aux contes de fées et attendre le baiser salvateur, en l’espèce d’une Amérique… dont le président est tout sauf un prince charmant. Elle doit pourtant échapper toute seule à la prise en tenaille qui va la broyer. Mais ses sauveteurs eux-mêmes sont ambivalents. Ils s’indignent beaucoup, se réunissent sans cesse et cherchent des parades à une offensive… à laquelle ils ne veulent toujours pas croire. Ils se trompent de diagnostic et donc de recommandation thérapeutique. Nos élites communautaires prennent en effet chaque manifestation de bon sens et de santé démocratique des peuples européens (comme récemment le scrutin italien, ou la crise politique déclenchée en Allemagne par le ministre de l’Intérieur qui implore la chancelière de traiter enfin sérieusement le défi migratoire) pour une attaque contre « Leur Europe », celle de l’utopie initiale, celle de l’incomplétude d’une création qui se meurt de n’avoir jamais osé exister vraiment, et qui s’étouffe toute seule, empêtrée dans ses bons sentiments. Attitude typique d’une confusion entre les effets et les causes.

    L’Europe est en manque de souveraineté, de clairvoyance et d’audace. Les pulsions dites populistes ‒ terme qui mélange à dessein des sensibilités diverses pour disqualifier globalement toute résistance à la doxa européenne ‒ ne menacent pas son unité ; elles révèlent combien celle-ci est fragile et peut conduire l’Union européenne (UE) à sa perte si l’on continue à nier des évidences. L’Europe est parvenue au bout du mensonge dans lequel elle s’est complu si longtemps, celui d’un ensemble de plus en plus vaste, disparate et prospère, mais sans colonne vertébrale politique ni stratégique, élevé au bon lait d’un globalisme désormais battu en brèche partout ailleurs par un retour en force des États et des peuples. Une Europe consentant docilement à la tutelle psychologique et normative d’une Amérique qui n’a plus le temps, désormais, de lui raconter des histoires à dormir debout, toute entière occupée à s’affirmer face à son nouveau Peer Competitor chinois. Depuis toujours, et surtout depuis les années 1990, Washington lui a coupé les ailes stratégiquement, l’a entravée dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) qui ne défend que très marginalement les intérêts communautaires, l’a méthodiquement isolée de sa part orientale (la Russie), diabolisée à outrance pour délégitimer tout rapprochement qui aurait pu faire exister une masse critique stratégique continentale autonome. Et depuis un an, c’est pire : un mépris ouvert, une guerre commerciale radicale, l’ordre de se soumettre à l’extraterritorialité du droit américain, de rentrer dans le rang sans céder aux avances de l’autre Grand, qui propose avec un aplomb chaque jour grandissant un autre type de sujétion, un imperium inédit et déroutant.

    Mais, le choix d’une allégeance est-il nécessaire et fatal ? Devons-nous à toute force nous accrocher à un occidentalisme discrédité ou devenir des Eurasiens sinophiles malgré nous ? Devons-nous ad vitam aeternam admettre ce statut de zone coloniale disputée auquel ce choix nous réduit ? Sans aucun doute, si nous continuons à jouer en ordre dispersé. L’Union européenne n’aura bientôt d’autre choix que de constituer la péninsule d’achalandage des « Nouvelles Routes de la Soie ». La Chine est en train d’enserrer l’Europe au nord et au sud et semble encore hésiter sur le sort à réserver à la France dans ce sandwich. Le Français sera-t-il un consommateur de première classe, avec des produits chinois acheminés par train jusqu’à lui, ou un client de second ordre, achalandé par voie maritime ? C’est encore à nous de choisir… pour l’instant.

    Dans cette course de vitesse avec Pékin pour gober par petits bouts une proie qui tragiquement se croit à l’abri, Washington se gausse de notre incapacité à gérer le défi migratoire qui est aussi sécuritaire et, n’ayons pas peur des mots, identitaire. Il est vrai qu’en misant sur la division des Européens et leur manque de lucidité sur les lignes de forces du nouveau monde et les alternatives qui pourraient se proposer à eux, Washington prend un risque mesuré. En effet, tandis que le partage du monde autour de ce nouveau duopole structurant se fait à toute vitesse, avec une réaffectation des clientèles, des tutelles, des États bascule ou tampon, l’Europe se sent, elle, soudainement orpheline. Il lui faut « tuer le père » et grandir enfin. Les occasions de s’affirmer sans se sentir coupable ne manquent pourtant pas : dénonciation de l’Accord sur le climat, du Partenariat transpacifique, de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPOA), guerre commerciale ouverte, mépris total des positions européennes sur les questions nord-coréenne, palestinienne, syrienne et, bien sûr, iranienne, etc. Il lui faut simplement oser la rupture. Même le patron allemand d’Airbus implore Paris et Berlin de structurer d’urgence une vision industrielle stratégique commune, afin que l’Europe spatiale ne se laisse pas distancer décisivement par l’offensive de Space X qui prend l’Agence spatiale européenne de vitesse et engage une guerre des prix des lanceurs menaçant notre supériorité.

    Alors, qu’attend-on ? De pouvoir dire qu’il est trop tard, que l’on a encore raté une belle occasion mais que l’on saura saisir la prochaine ? Ou bien veut-on à toute force croire au discours ambiant sur « un mauvais moment à passer », sur Donald Trump, « père » tyrannique, abusif et indifférent qui ne sera pas réélu, ce qui nous permettra de retrouver bientôt le giron rassurant d’une domination traditionnelle ? C’est un vœu pieu, de l’ordre de la pensée magique. Quels que soient ses bien réels défauts, le président américain est aussi l’incarnation d’une part de la vérité américaine et l’on perd un temps précieux à le stigmatiser comme un irrationnel incompétent au lieu de saisir le fond de ses messages tonitruants. Chacune de ses prises de position, chaque revirement nous démontrent qu’il n’a cure de nos intérêts ou de nos avis. Et les siens ne sont pas tous naïfs ou inutiles. C’est « l’Amérique d’abord », contre tous s’il le faut. L’Europe doit obéir ou tomber. Le problème est qu’on ne lui accorde aucun crédit, même lorsqu’il fait des propositions qui pourraient indirectement nous désenclaver ; par exemple, lorsqu’il propose habilement (pour dissocier Moscou de Téhéran dont il s’agit d’entraver le rayonnement régional) que l’on réintègre la Russie dans le G7, on s’insurge à Paris et Berlin, tremblant pour la crédibilité de nos propres chantages, sur l’Ukraine notamment… qui ne mènent pourtant à rien depuis des années. Moscou a beau jeu de faire la moue en expliquant que le G7 n’est pas représentatif de la diversité mondiale actuelle et qu’en être ou pas n’a plus d’importance. Le mythe d’un Occident univoque aux intérêts convergents a vécu. Il nous faut grandir enfin, prendre la mesure de notre solitude et tout faire pour qu’elle ne finisse pas en isolement irrattrapable.

    Le nouveau Yalta, c’est donc une course effrénée pour la domination des régions du monde, via le hard, le soft, le smart ou le sharp power. Il faut convaincre des clientèles qu’elles seront mieux loties avec Pékin qu’avec Washington. La démonétisation radicale de « la signature américaine » ne joue pas en faveur de notre Grand Allié. La convertibilité du yuan est en route. Elle va encore prendre quelques années mais on mesurera un beau jour l’ampleur de la bascule économico-politique réalisée par Pékin. Dans ce jeu de go mené à la hussarde, l’Europe n’est qu’une cible commerciale, et chacun des deux nouveaux Grands joue ses membres en bilatéral. La Russie lui a été ravie et n’a d’autre choix que de faire ami-ami avec Pékin autour d’un « eurasisme » qu’il lui sera très difficile de dominer à moyen terme. Donald Trump espère encore, si son entourage le laisse faire, offrir l’illusion à Moscou d’une relation privilégiée avec l’Amérique à laquelle Vladimir Poutine tient toujours. Mais, là encore, cela ne se fera qu’au détriment de l’Europe qui va progressivement découvrir le prix douloureux de son mépris entêté pour Moscou. Ne pas penser par et pour soi-même est toujours lourd de conséquences.

    Ce Yalta sera aussi normatif, dessinant les contours d’une nouvelle carte mondiale des influences et des pratiques sur le plan du droit, des monnaies, des référentiels de normalité politique et démocratique. Là encore, Pékin a de l’avance, car la Chine a toujours soigneusement évité la posture de donneuse de leçons qui fait haïr l’Occident dans toute une partie du monde. Elle ne conditionne pas son soutien financier au respect formel de quelconques droits ou valeurs. Elle pousse des États en difficulté à faire défaut sur des prêts trop importants qu’elle leur accorde pour les soumettre ensuite, achète des dettes souveraines, des pans entiers d’économies nationales, des ressources énergétiques ou minières, des terres rares, et offre à ses nouveaux obligés le développement rapide de leurs infrastructures. Quel que soit le niveau d’activité actuel de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), la priorité accordée à ce type d’investissement signe une vision de très long terme. Tandis qu’on se gargarisait d’un G7 dissonant où s’étalait le divorce américano-européen, Pékin a accueilli à Qingdao, dans l’Est chinois, les huit chefs d’États membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (Chine, Inde, Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Pakistan et bientôt Iran). L’OCS monte en puissance et s’affirme, bien au-delà des enjeux sécuritaires, comme l’un des véhicules structurants du « contre-monde » chinois. Qui s’en est inquiété en Europe ou en a seulement parlé ?

    Enfin, il faut bien comprendre que les nouvelles formes de la gouvernance mondiale vont jumeler un duo de tête sino-américain et, en dessous, une arborescence de mécanismes régionaux ou thématiques « multilatéraux », accompagnés d’un discours autour de la nécessaire pluralité des centres de décision et de souveraineté. En somme, on habille la bipolarité structurante d’un multilatéralisme rassurant…

    Le sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet (en marge duquel les présidents Trump et Poutine arriveront peut-être enfin à se rencontrer) pourrait bien donner une nouvelle impulsion à l’Alliance et éloigner décisivement l’Europe de toute perspective d’autonomie stratégique salutaire. Quelqu’un a-t-il tiré un bilan lucide des bientôt dix ans de réintégration de la France dans le commandement intégré de l’Alliance ? Notre influence est-elle plus grande à Washington, à Mons, à Bruxelles, à Pékin, à Berlin ? Des centaines d’étoiles brillent sur les larges épaules de nos généraux mais… le Commandement allié Transformation est-il vraiment le lieu de la décision ? L’OTAN défend-elle les intérêts des Européens et contribue-t-elle au poids géostratégique de l’UE… ? Toute refondation crédible d’une Europe des nations respectueuse de leurs souverainetés mais aussi désireuse de se faire entendre et prendre enfin au sérieux sur la scène internationale, passe par l’affirmation et la mise en œuvre d’un projet stratégique autonome. Cela ne signifie pas être contre les États-Unis, cela signifie qu’il n’est de meilleur allié que libre.

    N’en déplaise aux moutons bêlants du panurgisme ambiant, la Russie est un bout d’Europe et d’Occident. Ce n’est pas pour rien que l’Amérique a tout fait pour nous en dissocier, et que le pragmatisme d’un Trump, après que ses prédécesseurs ont poussé Moscou dans les bras étouffants de Pékin, le conduit aujourd’hui à jouer sur les deux tableaux : celui d’une dérive russe contrainte vers Pékin afin qu’aucun rapprochement russo-européen ne menace la domination stratégique américaine, celui de la Russie « avec » Washington, comme un vieux couple devisant des affaires du monde par-dessus la tête de l’Europe et contre la Chine.

    Depuis 1991, les États-Unis ont commis une erreur stratégique cardinale en mettant la Russie au ban de l’Occident. Nous devons les convaincre de l’urgence d’en réunir les diverses composantes. La diplomatie religieuse actuellement à l’œuvre entre Églises romaine et orthodoxe peut utilement servir ce rapprochement. Il ne s’agit évidemment pas de se retrouver enfin entre Américains, Européens et Russes pour attaquer la Chine, mais pour, ensemble, faire le poids face à une offensive tous azimuts dont l’Union Européenne sera sinon la prochaine victime.

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 22 juin 2018)

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