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Points de vue - Page 158

  • La paille et la poutre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Bricmont cueilli sur le site Arrêt sur Info et consacré à la vision biaisée des dirigeants européens quant à la question de la désinformation. Chercheur et professeur en physique théorique, Jean Bricmont est un disciple de Noam Chomsky et un défenseur de la liberté d'expression. Il s'est fait connaître dans le monde des idées par un livre, Impostures intellectuelles (Odile Jacob, 1997), écrit avec Alan Sokal dans lequel il étrillait quelques figures médiatiques de la pensée socio-philosophique française, et plus récemment par un essai intitulé La République des censeurs (L'Herne, 2014).

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    Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell devant l'ONU en février 2003

    pour dénoncer la présence d'armes de destruction massive en Irak

     

    La paille et la poutre

    Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?

    (Evangile selon saint Luc, 6, 42)

    Etant physicien et non spécialiste des sciences humaines, je ne suis pas habitué au niveau auquel peuvent s’abaisser certaines recherches dans ces domaines. Par conséquent, je suis tombé de ma chaise en lisant «Les manipulations de l’information, un défi pour nos démocraties», rapport rédigé par quatre experts du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie du ministère des Affaires étrangères (CAPS) et de l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire (IRSEM), et présenté ce 4 septembre lors d’un colloque à l’Ecole militaire, en présence de la ministre des Armées Florence Parly.

    Le rapport se veut académique et encyclopédique : on y parle de Foucault et Derrida, du relativisme, des pseudo-sciences, de l’opinion de Marc Bloch en 1921 sur les fausses nouvelles durant la Première Guerre mondiale, des analyses de Gérald Bronner et de Jacques Ellul ; on y trouve des mots russes comme dezinformatzia (p. 52) qui est supposé être l’origine du mot français «désinformation». On y parle de l’Indonésie, du Vietnam, de l’Amérique latine.

    Ce n’est donc pas un document limité à la supposée ingérence russe dans les affaires françaises, même si le plat de résistance du texte est constitué par la «désinformation russe».

    Mais comment faire un travail aussi apparemment exhaustif sur la désinformation en ne mentionnant nulle part :

    – Les faux charniers de Timisoara en 1989 lors du reversement de Ceaucescu.

    – L’affaire des bébés jetés hors des couveuses au Koweït lors de la première guerre du Golfe.

    – L’affaire des armes de destruction massives en Irak, sauf de façon très marginale (p. 187).

    – Les usages des armes chimiques en Syrie, qui sont systématiquement mises sur le dos du gouvernement syrien, alors que des experts américains en armements ont, au moins en 2013, catégoriquement réfuté ces assertions.

    Les auteurs du rapport évaluent aussi la «désinformation» à l’aune de ce qu’eux considèrent comme des faits établis : l’annexion forcée de la Crimée par la Russie (que savent-ils des volontés de la population criméenne ?), ou l’agression russe en Ukraine (pourquoi la population russophone de l’est de l’Ukraine ne pourrait-elle pas s’opposer au gouvernement central, issu d’un coup d’Etat, et qui lui est manifestement hostile, comme l’a fait la population albano-kosovare face au gouvernement serbe ?).

    Arriver à parler, comme les auteurs du rapport le font, de la «désinformation russe en Amérique latine», sans dire un mot de l’ingérence américaine qui est loin de se limiter à la désinformation (jamais entendu parler d’Arbenz, de Goulart, d’Allende, de l’invasion de la République dominicaine en 1965, du soutien aux «Contras» au Nicaragua sandiniste, du coup contre Chavez en 2002 ?) est un véritable tour de force idéologique.

    Le plus gros de l’ingérence étrangère dans nos pays est d’origine américaine

    Un autre sujet soigneusement évité par les auteurs du rapport, et qui est l’éternel éléphant dans la pièce que personne ne veut voir, c’est l’ingérence israélienne à travers les lobbies pro-israéliens qui, au moins aux Etats-Unis, est très bien documentée même si elle est totalement ignorée par les médias (à cause justement de la force de frappe de ces lobbies).

    On pourrait penser aussi à la campagne de désinformation récente au Royaume-Uni menée contre le Labour Party et Jeremy Corbyn sous prétexte d’antisémitisme et qui est entièrement liée à leurs positions sur le conflit israélo-palestinien.

    Et en France ? Comment expliquer l’influence d’un BHL ou d’un Kouchner, qui non seulement sont passionnément attachés à Israël, mais ont poussé la France à entrer en guerre avec la Libye, et indirectement avec la Syrie, sur la base d’une multitude de fausses nouvelles (dont le bombardement imminent à Benghazi) ? Ces guerres étaient manifestement en contradiction avec les intérêts de la France et ont engendré la crise des réfugiés qui déstabilise aujourd’hui toute l’Europe.

    Ce que les auteurs du rapport semblent ne pas comprendre, c’est que le plus gros de l’ingérence étrangère dans nos pays est bien d’origine américaine. Mais elle se fait à travers une multitude de think tanks, de colloques, d’institut de «recherche», d’invitations dans les grandes universités américaines ; tout cela forme la vision du monde de nos élites, vision dans laquelle nous sommes entourés d’ennemis contre lesquels l’action militaire et politique des Etats-Unis, même à des milliers de kilomètres de leurs rives, est purement défensive. Quand on remarque que trois des quatre auteurs du rapport ont travaillé dans ces universités américaines ou à l’OTAN, on n’est pas étonné de cette incompréhension.

    «L’honnêteté est la meilleure politique»

    Quand on en arrive aux recommandations concrètes, les auteurs du rapport ne savent pas très bien sur quel pied danser : ils se méfient à juste titre de la censure et se rendent compte que, lorsque des médias dominants font des listes de sites fiables et non fiables, la méfiance qui existe à l’égard de ces médias tend à légitimer les sites déclarés par eux non fiables.

    Ma grand-mère, qui me répétait souvent «l’honnêteté est la meilleure politique» avait trouvé, il y a longtemps, la solution à la crise de confiance dans les médias dominants, solution à laquelle les auteurs du rapport n’ont pas pensé. Mais la perte de crédibilité de la presse ne date pas d’hier. Elle a commencé aux Etats-Unis avec la guerre du Vietnam et n’a fait qu’empirer avec les guerres récentes. Espérer l’adoption d’une politique d’honnêteté des médias pour tout ce qui concerne l’international suppose un tel changement dans la vision du monde des journalistes que cela relève du vœu pieux. De plus, la crédibilité, c’est un peu comme la virginité : il est plus facile de la perdre que de la regagner.

    Quand il s’agit de savoir qui utilise des armes chimiques, ou de ce qu’il en est de l’affaire Skripal ou du Russiagate, comment peut-on se faire une opinion si ce n’est en confrontant des points de vue différents ? Cela n’a rien de relativiste et ne signifie nullement que «tout se vaut», mais est la base même de l’attitude scientifique et de la philosophie des Lumières, dont se réclament les auteurs, mais qu’ils défendent très mal.

    La vision du monde véhiculée par les auteurs du rapport est le symptôme d’un nouveau déclin de l’Occident, qui s’exprime par l’incapacité à l’auto-critique : toute allégation d’une ingérence occidentale ou toute mise en doute du récit médiatique dominant est supposé exprimer une «mentalité complotiste», mais les allégations concernant l’ingérence russe sont prises comme parole d’Évangile ; cependant, concernant justement l’Évangile, ils oublient un peu vite la phrase de saint Luc rappelée en exergue de cet article.

    Jean Bricmont (Arrêt sur info, 10 septembre 2018)

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  • Face au défi de la montée des violences, une réforme sérieuse de la justice s'impose !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Xavier Raufer, cueilli sur Atlantico et consacré aux dysfonctionnements de la justice française...

    Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a récemment publié Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et a également coordonné l'ouvrage collectif intitulé La première cyber-guerre mondiale ? (Eska, 2015).

     

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    Pourquoi la réforme de la justice n’est absolument taillée pour répondre au défi de la montée des violences

    A Saint-Denis, une fusillade a provoqué la mort d'un adolescent. A Tours, un homme a été battu à mort pour une place de parking. C'est à l'aune de ce genre de problème que Nicole Belloubet devrait construire sa réforme de la Justice.

    Impuissante à la barre d'un bateau ivre, Mme Belloubet dit, en termes judiciaires, souvent n'importe quoi. Le laxisme de gauche persistant, son plan rabote encore l'échelle des peines qui, courtes, "ne serviraient à rien". Faux : deux cas criminologiques célèbres prouvent que, vite infligées, les peines courtes sont efficaces. Ces exemples, les voici. 

    • Jadis, l'OMS qualifiait Glasgow de "capitale des homicides en Europe". Les morts étant d'usage issus de gangs rivaux, tués à l'arme blanche. En 2006 la police de Glasgow crée une Violence reduction Unit et multiplie les fouilles de suspects juvéniles. Peine pour détention d'arme blanche : 15 mois fermes. Dès 2007, les homicides à Glasgow baissent de moitié et depuis les hospitalisations pour ces blessures ont baissé de 65% à Glasgow, quand elles explosent de + 54% en Angleterre.

    • Pour pacifier High Point, Caroline du nord, la police cible les gangs. D'abord, les 16 dealers habituels, dont les 3 plus agressifs et violents filent en prison. La police dialogue avec les 13 autres : on vous réinsère - mais si le deal continue, c'est aussi la prison. Menace crédible : la sanction a été rapide et certaine. Et la durée de la peine ? Pour qui vit au jour le jour, elle importe peu. 12 voyous acceptent le marché, la criminalité baisse. Depuis lors (2005-2016), les braquages, cambriolages et vols de véhicule ont bien diminué à High Point : la proportion infraction/habitant passe de 521 en 2005 à 351 en 2016.

    Deuxième bourde-Belloubet : "plus on construit de prisons, plus on les remplit", archaïsme dissipé par la criminologie. Démonstration : dans la criminalité des rues, les malfaiteurs sont le plus actifs quand débute leur carrière déviante, vers 18-25 ans. Mais, notre système pénal incarcérant tard, ces récidivistes sont d'abord rappelés à la loi, puis condamnés avec sursis - n'allant en prison qu'après une décennie ou plus. Pour une génération criminelle, un long décalage existe donc entre le pic de criminalité et le pic d'incarcération. Inertie qui dissipe l'idée qu'on remplit sans fin les prisons : c'est en fait un processus diastole-systole où à la fin, les prisons se vident - avant une possible crise criminelle nouvelle. Mais pour que Mme Belloubet le comprenne, il lui faudrait un système statistique décent - or celui de la place Vendôme est nul : elle avance donc ses théories sans appui scientifique probant.

    Myope, le ministère de la Justice est aussi fauché. Les magistrats, personnels pénitentiaires et leurs syndicats, ont appris la réforme-Belloubet dans le journal. Consultés, ils auraient pu dire que les réformes promises - bracelets électroniques, semi-liberté, placements externes, travaux d'intérêt général, suivi-réinsertion des détenus, ne seront efficaces qu'en créant des milliers de poste de surveillants et en doublant l'effectif du Service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP). Sans quoi, le plan Belloubet subira un bide du type de la "probation pénale" de Mme Taubira. Mais foin des accusations abstraites : revue de détail du chaos judiciaire-pénitentiaire des mois écoulés.

    Avortements et mascarades judiciaires

    - Marseille : "Les homicides finissent au tribunal correctionnel" - des assassins jugés comme des voleurs de poules...

    - Amiens : des récidivistes (déjà condamnés aux Assises pour braquages) sont jugés en correctionnelle, pas aux assises, pour "vol aggravé, association de malfaiteurs, port d'armes en réunion, séquestration en bande organisée, et recel de vol". Voleurs de poules, toujours.

    - Paris : "Mama Alicia", maquerelle nigériane ayan, avec sa bande prostitué, torturé et violé 50 jeunes Africaines est libérée avant son procès : (encore) une "erreur de procédure",

    - Pontoise : "Huit trafiquants de drogue présumés relâchés faute de juges",

    - Lyon : "un meurtrier présumé libéré après une erreur de date",

    - Sous contrôle judiciaire, Sibi, 20 ans, et ses complices lynchent (barre de fer, etc.), pour lui voler son engin, un motard qui "présente de multiples fractures au crâne, à la mâchoire et a perdu ses dents",

    - Cuers : braquage à l'Intermarché ; l'un des deux truands est en semi-liberté pour une précédente condamnation,

    - San Remo, Italie : braquage d'une bijouterie. Arrêté en France, un des truands est en permission de sortie de la prison où il purge une peine pour d'antérieurs braquages.

    - Loches : braquage, un des braqueurs est en semi-liberté, condamné pour "vols avec violences, menaces de morts sur gendarmes, saccages et déprédations",

    - Fontenay-sous-Bois : fuyant ses obligations judiciaires, un détenu libéré viole une femme de 54 ans et "la passe à l'eau de javel pour effacer son ADN".

    - Massy : venu du centre de semi-liberté de Corbeil, un dealer " laisse pour mort" (boîte crânienne défoncée) un locataire tombé par mégarde sur sa cachette de drogue.

    Intimidation criminelle des personnels pénitentiaires

    - Prisons de Sequedin, Valence et Fresnes : des voyous brûlent en série les voitures de surveillants devant leurs domiciles ou sur le parking de la prison.

    Evasions

    - A Colmar, deux "Roumains" s'évadent en cassant leur plafond. Normal disent les gardiens : les murs de la Maison d'arrêt "datent du Moyen-Age".

    - Brest : "L'évasion d'un fiché S souligne les failles des escortes des détenus".

    - Sarreguemines, Meaux, Fontenay-le-Comte : des détenus s'évadent en courant du tribunal ou lors de visites médicales. A chaque fois, de somnolents gardiens ou gendarmes les regardent cavaler, bras ballants.

    Evasion de Redoine Faïd : le scandale

    Au jour de rédaction de cet article, Redoine Faïd est en cavale depuis 77 jours. Lorsqu'il s'évade : 

    - le plan non-flouté de la prison de Réau est lisible sur Internet,

    - La cour d'honneur de la prison n'a pas de filet anti-hélicoptère,

    - Des drones ont survolé plusieurs fois la prison,

    - Evasion filmée et mise en ligne par un détenu (les portables sont interdits en prison),

    - Le portable de service des gardiens est en panne ; leur seule arme... un sifflet à roulette.

    Prisons passoires

    - Nancy : à l'isolement, un détenu pour terrorisme possède un portable,

    - Saint-Maur (Indre) un détenu pour homicide (23 ans de réclusion) a un passe-partout ouvrant (presque) toutes les portes de la prison. Un autre détenu du lieu a pour maîtresse... sa conseillère-réinsertion.

    - Maison d'arrêt de Nantes : repéré dans un couloir de la prison, un jeune homme livre direct des téléphones portables aux cellules. Interpellé "il repart libre".

    - Fleury-Mérogis : sortie de sa cellule par la fenêtre, une détenue divague dans les cours. Un syndicat exige "la réouverture des miradors". N'y a-t-il plus de miradors actifs à Fleury?

    - Lille-Sequedin (encore) une gardienne-stagiaire est filmée, faisant une gâterie à un détenu. Sans rire, l'administration dénonce une "posture inadaptée".

    - Grasse : des détenus défoncent en enfilade les murs de SEPT cellules pour lyncher celui de la 8e. Les syndicats de la maison d'arrêt dénoncent une "prison en carton".

    - La Talaudière : 4 évasions ou tentatives en deux mois. La même prison s'avise enfin qu'un détenu a depuis quatre ans une piscine gonflable dans sa cellule.

    - Bois d'Arcy : un braqueur chronique sort en fin de peine. Avec ses affaires, le greffe lui rend... son pistolet factice. L'homme reprend ses braquages trois jours plus tard...

    "Les phénomènes graves sont peu nombreux" dit Mme Belloubet. Eh bien, elle devrait mieux s'informer.

    Xavier Raufer (Atlantico, 19 septembre 2018)



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  • A propos de l'illibéralisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Richard Dessens, cueilli sur EuroLibertés et consacré à la question de l'illibéralisme. Docteur en droit et professeur en classes préparatoires, Richard Dessens a notamment publié La démocratie travestie par les mots (L'Æncre, 2010), Henri Rochefort ou la véritable liberté de la presse (Dualpha, 2017) et La démocratie interdite (Dualpha, 2018).

     

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    L’illibéralisme

    L’« illibéralisme » ou la notion de démocratie illibérale est une construction développée dans les années 1990 par le syndicaliste, sociologue et homme « de gauche » financé par le grand capital, Pierre Rosanvallon. Il plongerait ses racines dans le vieux courant de la droite bonapartiste, sans aucune aménité comme on peut le comprendre.

    Il s’agirait d’un mouvement assez large, de fronde anti-système assez confus, plutôt autoritaire, à tendance nationaliste, partisan d’un État fortement centralisé et critique de « l’État-de-droit », formule incertaine censée garantir toutes les libertés individuelles… ou en réalité individualistes, ce qui est très différent dans nos nouvelles sociétés post-modernes.

    La théorisation négative de l’illibéralisme renaît dans les années 2010 lors de l’arrivée de pouvoirs eurosceptiques en Hongrie et en Pologne. En 2014, Viktor Orban s’approprie l’expression pour définir le pouvoir qu’il incarne. L’illibéralisme devient peu à peu la marque des nouveaux régimes ou mouvements montants en Europe, opposés à l’Union européenne actuelle, anti-immigrationnistes, et défenseurs de leurs identités nationales.

    Consciente des dangers de séduction potentielle d’une telle définition des nouvelles « démocraties illibérales », la Grande Presse Officielle va tenter d’imposer le terme de « Populistes », beaucoup plus négatif pour décrédibiliser ces gouvernements ou partis en ascension. D’autres adversaires, universitaires ou intellectuels référents, dénoncent le rejet de l’« État de droit » des illibéraux et les rapprochent des thèses de Poutine sur la « verticale du pouvoir » ou de Carl Schmitt sur la primauté du politique par rapport à l’État de droit et aux droits fondamentaux. D’autres encore tentent de discréditer la formule en l’appliquant à la politique de Trump aux USA… sans grande pertinence sur le fond.

    Pour susciter des échanges encore discrets entre intellectuels, l’illibéralisme n’en est pas moins une réalité politique qui forge ses valeurs dans une Europe en recomposition. L’« illibéralisme » affiche sans conteste son rejet du libéralisme tel qu’il est compris dans les démocraties post-modernes, un libéralisme devenu libertarisme avec le triomphe de l’individualisme et l’effacement de l’État et des attributs de sa souveraineté. Il affirme la reconnaissance de valeurs identitaires évacuées par un libéralisme mondialisé valorisant toutes les mixités.

    Il s’agit donc principalement d’un illibéralisme politique plus qu’économique, ce qu’on pourrait par ailleurs critiquer ou contester sur ses incertitudes de cohérence et son manque de profondeur de réflexion sur ce point.

    Pourtant à son prétendu rejet de l’« État de droit », fondement inviolable des démocraties libérales et gage de ses valeurs, l’illibéralisme lui préfère l’idée d’« État de Justice ». Le droit n’est qu’un principe lorsque la justice est un fait qui concerne les citoyens dans leur vie quotidienne. Qu’est-ce que le droit si la justice n’est plus rendue ?

    Appliquer par exemple le « principe de précaution » à la justice, c’est-à-dire protéger les personnes et les biens avant qu’il n’y soit porté atteinte est probablement contraire à l’« État de droit » qui préfère intervenir après que les délits et les crimes ont été commis, au nom du respect des droits individuels… des voyous, mais contre les droits à la sécurité des honnêtes gens (mais les « honnêtes gens », autrement appelés « victimes », n’existent pas dans un État de droit). Ainsi un État de Justice ne serait simplement qu’un État (d’un autre) droit, mais effectivement protecteur.

    Mais l’État de Justice, c’est aussi garantir la justice sociale, la justice au travail, la justice du sens commun, celle du « bon et du juste » des Anciens qui assure une réelle équité pour un vivre-ensemble réhabilité.

    L’illibéralisme, un nouvel étendard pour demain pour tous ceux qui rêvent d’une démocratie affermie, juste pour les victimes, protectrice des citoyens, fière de son identité culturelle et de ses legs civilisationnels ? Cette démocratie populaire de la justice remplacerait avec bonheur le « populisme » méprisant de ses adversaires acharnés.

    Richard Dessens (EuroLibertés, 19 septembre 2018)

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  • Le contrôle social par la Jeune-Fille en Occident...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Bonnal, cueilli sur De Defensa et consacré à la figure de la Jeune Fille en Occident. Chroniqueur et essayiste, Nicolas Bonnal est notamment l'auteur de Tolkien, les univers d'un magicien (Les Belles Lettres, 1998) et de Le salut par Tolkien (Avatar, 2016) ainsi que de plusieurs livres sur le cinéma, dont Ridley Scott et le cinéma rétrofuturiste (Dualpha, 2013), Les mystères de Stanley Kubrick (Dualpha, 2014) ou Le paganisme au cinéma (Dualpha, 2015).

     

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    Le contrôle social par la Jeune-Fille en occident

    Alors que l’occident est sous contrôle psychiatrique-pathologique, belliciste-humanitaire, féministe-antiraciste, androphobe-russophobe et sociétal-transgenre, relisons ou découvrons un admirable ouvrage collectif (1) sur ce sujet instructif, la Jeune-Fille :

    « La Jeune-Fille veut être “indépendante”, c’est-à-dire, dans son esprit, dépendante du seul ON. »

    Oui, cet « on », ces « ils », ces indéfinis, qui ne font pas assez couler assez d’encre, en auront-ils fait couler du sang… Et regardez la guerre que May se prépare contre la Russie…

    Tout comme une mauvaise demoiselle peut dans les romans du Graal dérouter le chevalier (2), la Jeune-Fille humanitaire, consumériste des temps postmodernes nous mène à de drôles de guerres psy :

    « Sous les grimaces hypnotiques de la pacification officielle se livre une guerre. Une guerre dont on ne peut plus dire qu’elle soit d’ordre simplement économique, ni même sociale ou humanitaire, à force d’être totale. Tandis que chacun pressent bien que son existence tend à devenir le champ d’une bataille où névroses, phobies, somatisations, dépressions et angoisses sonnent autant de retraites, nul ne parvient à en saisir ni le cours ni l’enjeu. »

    La Jeune-Fille (n’oubliez pas le tiret), c’est la guerre hybride du système pour arraisonner 95% des consciences :

    « Paradoxalement, c’est le caractère total de cette guerre, totale dans ses moyens non moins que dans ses fins, qui lui aura d’abord permis de se couvrir d’une telle invisibilité. »

    La guerre hybride serait-elle d’origine chinoise ? Amusons-nous sans Sun Tze :

    « Aux offensives à force ouverte, l’Empire préfère les méthodes chinoises, la prévention chronique, la diffusion moléculaire de la contrainte dans le quotidien. Ici, l’endoflicage vient adéquatement relayer le flicage général et l’auto-contrôle individuel le contrôle social. Au bout du compte, c’est l’omniprésence de la nouvelle police qui achève de la rendre imperceptible. »

    Le but est pour chaque conscience de devenir sa propre police (peau lisse) :

    « L’enjeu de la guerre en cours, ce sont les formes-de-vie, c’est-à-dire, pour l’Empire, la sélection, la gestion et l’atténuation de celles-ci.

    La mainmise du Spectacle sur l’état d’explicitation public des désirs, le monopole biopolitique de tous les savoirs-pouvoirs médicaux, la contention de toute déviance par une armée toujours plus fournie de psychiatres, coachs et autres “facilitateurs” bienveillants, le fichage esthético-policier de chacun à ses déterminations biologiques, la surveillance sans cesse plus impérative, plus rapprochée, des comportements, la proscription plébiscitaire de “la violence”, tout cela rentre dans le projet anthropologique, ou plutôt anthropotechnique de l’Empire. Il s’agit de profiler des citoyens… »

    Il y a les asservis (clin d’œil à La Boétie, lisez notre texte) et les résistants :

    « Les citoyens sont moins les vaincus de cette guerre que ceux qui, niant sa réalité, se sont d’emblée rendus : ce qu’on leur laisse en guise d’“existence” n’est plus qu’un effort à vie pour se rendre compatible avec l’Empire. »

    Mais définissons la Jeune-Fille ; d’abord par ce qu’elle n’est pas : 

    « Entendons-nous : le concept de Jeune-Fille n’est évidemment pas un concept sexué. Le lascar de boîte de nuit ne s’y conforme pas moins que la beurette grimée en porno-star. Le sémillant retraité de la com’ qui partage ses loisirs entre la Côte d’Azur et ses bureaux parisiens où il a gardé un pied lui obéit au moins autant que la single métropolitaine trop à sa carrière dans le consulting pour se rendre compte qu’elle y a déjà laissé quinze ans de sa vie. »

    Et qu’est-ce qu’elle est alors ?

    « …la Jeune-Fille n’est que le citoyen-modèle tel que la société marchande le redéfinit à partir de la Première Guerre mondiale, en réponse explicite à la menace révolutionnaire. En tant que telle, il s’agit d’une figure polaire, qui oriente le devenir plus qu’elle n’y prédomine. »

    En tant que fashion victim on s’en fout. C’est la jeune fille bio qui nous intéresse, qui donne la Suède, Barack-Hillary, May, Macron, Merkel et leurs croisades humanitaires, leur bolchevisme sociétal. L’équipe Tiqqun explique (admirable texte collectif, une des rares aventures stylistiques récentes) :

    « À mesure que le formatage jeune-filliste se généralise, la concurrence se durcit et la satisfaction liée à la conformité décroît. »

    D’où ce bon vieux virage bio :

    « Un saut qualitatif s’avère nécessaire ; l’urgence impose de s’équiper d’attributs neufs autant qu’inédits : il faut se porter dans quelque espace encore vierge. Un désespoir hollywoodien, une conscience politique de téléjournal, une vague spiritualité à caractère néo-bouddhiste ou un engagement dans n’importe quelle entreprise collective de soulagement de conscience feront bien l’affaire. Ainsi éclot, trait à trait, la Jeune-Fille bio. »

    Faut être gentil alors (si tu veux la guerre prépare la paix, si tu veux être méchant, exige la gentillesse) :

    « La Jeune-Fille prise la “sincérité”, le “bon cœur”, la “gentillesse”, la “simplicité”, la “franchise”, la “modestie”, et d’une façon générale toutes les vertus qui, considérées unilatéralement, sont synonymes de servitude. »

    L’important est la soumission :

    « La Jeune-Fille vit dans l’illusion que la liberté se trouve au bout d’une soumission totale à la “Publicité” marchande. Mais au bout de cette servitude, il n’y a que la vieillesse, et la mort. »

    L’empire (le pire) contre-attaque et il est sur ses gardes (mégarde) :

    « Contrairement à son ancêtre, la Jeune-Fille bio n’affiche plus l’élan d’une quelconque émancipation, mais l’obsession sécuritaire de la conservation. C’est que l’Empire est miné à ses fondements et doit se défendre de l’entropie. »

    Après on fait du Merkel. On aime les LGTBQ ou les migrants, c’est les hommes et les Allemands qu’on déteste :

    « La Jeune-Fille bio sera donc responsable, “solidaire”, écologique, maternelle, raisonnable, “naturelle”, respectueuse, plus autocontrôlée que faussement libérée, bref : biopolitique en diable. Elle ne mimera plus l’excès, mais au contraire la mesure, en tout. »

    Succession d’aphorismes héraclitéens ou presque :

    « Car la Jeune-Fille veut la paix du foutre.

    La Jeune-Fille est le collaborateur idéal.

    La Jeune-Fille conçoit la liberté comme la possibilité de choisir entre mille insignifiances.

    La Jeune-Fille ne veut pas d’histoire.

    La Jeune-Fille vise à la réglementation de tous les sens. »

    Pauvre Rimbaud, encore un macho ! Et vive le dérèglement de tous les sens… interdits !

    Par sa consommation et sa réglementation, la néo-nurse (cf. Chesterton) promeut la soumission :

    « Dans le monde de la marchandise autoritaire, tous les éloges naïfs du désir sont immédiatement des éloges de la servitude. »

    C’est que dans le monde américanisé (moderne), dit Chesterton (3), on n’aura pas plus de droits que dans une nursery (cf. Tocqueville qui devine vers 1830 qu’on sera « maintenus dans l’enfance ») :

    « La violence avec laquelle la féminitude est administrée dans le monde de la marchandise autoritaire rappelle comme la domination se sent libre de malmener ses esclaves, quand bien même elle aurait besoin d’eux pour assurer sa reproduction. »

    Evidemment pas question de râler (sinon on appelle les casques bleus, blancs, roses…) :

    « La Jeune-Fille est le pouvoir contre lequel il est barbare, indécent et même carrément totalitaire de se rebeller. »

    L’homme doit être rééduqué (c’est déjà fait, allez, dans les années 80 Kundera parla de cet arbre à enfantsqui remplace le paternel) :

    « Il faudrait créer un grand projet éducatif (peut-être sur le modèle chinois ou khmer rouge), sous forme de camps de travail où les garçons apprendraient, sous l’égide de femmes compétentes, les devoirs et les secrets de la vie ménagère.»

    Ce n’est plus la mère aux trousses, c’est le khmer aux trousses ! Mais continuons comme dirait Jean-Paul :

    « Et de fait, lorsque la Jeune-Fille “fait tomber le masque”, c’est l’Empire qui vous parle en direct.

    « ... et si on éliminait les mecs de la planète ? Pourquoi essayer de faire du neuf avec du vieux ? Y en a marre des mecs, allez ouste, du balai ! D’ailleurs inutile de s’énerver, historiquement, génétiquement, l’homme a fait son temps. Il se pousse tout seul vers la sortie. »

    Le bonhomme a fait son temps, la Jeune-Fille androphobe l’entame…

    L’épuration éthique règne dans le camp de déconcentration de ce déconcertant féminisme épurateur :

    « Chaque Jeune-Fille est en elle-même une modeste entreprise d’épuration. Prises dans leur ensemble, les Jeunes-Filles constituent le corps franc le plus redoutable que l’on ait à ce jour manœuvré contre toute hétérogénéité, contre toute velléité de désertion. Parallèlement, elles marquent à chaque instant le poste le plus avancé du Biopouvoir, de son infecte sollicitude et de la pacification cybernétique de tout. »

    Une phrase qui résume la philosophie de BHL (qui ressemble depuis longtemps à une vielle Jeune-Fille) :

    « La Jeune-Fille n’aime pas la guerre, elle la fait. »

    Enfin, comme pour parodier les vilaines chansons de Boris Vian, auteur et chanteur bobo, on liquide les ohms :

    « MARRE DES MECS? PRENEZ UN CHIEN ! Vous avez quoi !? 18, 20 ans ? Vous entreprenez des études qui s’annoncent longues et ardues ? Croyez-vous que ce soit le moment de ralentir ce bel envol en cherchant désespérément de l’affection chez un garçon qui finalement n’a rien à donner ? Pire ! Vous affubler d’un compagnon, lui-même pas tout à fait fini, pas très gentil et pas toujours bien propre... »

    On redéfinit la violence dans une sentence impeccable :

    « Comme tout ce qui est parvenu à une hégémonie symbolique, la Jeune-Fille condamne comme barbare toute violence physique dirigée contre son ambition d’une pacification totale de la société. »

    La société ludique est sécuritaire, comme le voyait Muray :

    « Elle partage avec la domination l’obsession de la sécurité. »

    Tout se militarise :

    « Le caractère de machine de guerre qui frappe dans toute Jeune-Fille tient à ce que la façon dont elle mène sa vie ne se distingue pas de la façon dont elle mène sa guerre. Mais par un autre côté, son vide pneumatique annonce déjà sa militarisation à venir. »

    Car la Jeune-Fille a déclaré la guerre à tout ou presque :

    « La Jeune-Fille a déclaré la guerre aux microbes.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au hasard.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre aux passions.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au temps.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au gras.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre à l’obscur.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au souci.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au silence.

    La Jeune-Fille a déclaré la guerre au politique. »

    Enfin, pourquoi la tautologique Jeune-Fille incarne-t-elle la fin de l’histoire alors ? Parce que :

    « LA JEUNE-FILLE A DÉCLARÉ LA GUERRE À LA GUERRE. »

    Et les hommes dans tout cela ? Comme me disait en 2006 une serveuse à Mar del Plata, tandis que je polissais mes contes latinos, « ils se sont éteints, les hommes. »

    Nicolas Bonnal (De Defensa, 14 septembre 2018)

     

    Notes :

    (1) Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, groupe Tiqqoun

    (2) Nicolas Bonnal, Perceval et la reine, préface de Nicolas Richer (Amazon.fr)

    (3) Chesterton – What I saw in America (Gutenberg.org)

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  • Quand l'Union européenne sanctionne le peuple hongrois...

    Nous reproduisons ci-dessous une tribune de Gabriel Robin, cueillie sur le site de L'Incorrect dans laquelle il revient sur le vote du Parlement européen engageant une procédure de sanctions contre la Hongrie de Viktor Orban.

     

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    Orban sanctionné par l’Union européenne : un vote majeur

    « Demain aura lieu un vote décisif au Parlement européen : le déclenchement ou non d’une procédure concernant le respect de l’État de droit en Hongrie. Demain l’Europe sera confrontée à un choix simple : lutter ou se renier. Nous avons choisi », affirmait très directement Christophe Castaner mardi 11 septembre, veille d’un vote décisif au Parlement européen relatif à l’état de droit en Hongrie.

    Le cinquième homme de la République, cumulant les fonctions de Délégué général de La République En Marche et de secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre Edouard Philippe en charge des relations avec le Parlement, s’est donc mué en donneur de leçons en pré-campagne des élections européennes de mai 2019. 

    Il est aussi amusant que triste et révélateur que des personnages éminents de notre gouvernement s’emportent ainsi contre la Hongrie de Viktor Orban, régulièrement réélu avec des scores très confortables, plébiscité et conforté par son peuple lors du référendum contre le plan de l’Union européenne sur l’accueil des réfugiés en octobre 2016, quand, dans le même temps, Richard Ferrand est devenu Président de l’Assemblée nationale en remplacement de François de Rugy, alors que ses ennuis judiciaires le rendaient indigne de la fonction de ministre il y a un peu plus d’un an. Au fond, que reproche-t-on à la nation magyare, l’une des rares utilisant un idiome finno-ougrien en Europe ? De ne pas respecter l’état de droit ? Ou, plus prosaïquement, de mener la révolte contre l’Europe multiculturelle irénique, contre le totalitarisme mou de l’Union européenne, ce règne absurde du conformisme et du politiquement correct, genre d’ONU au rabais semblable à un camp de la mort de la tolérance gigantesque, pour faire référence au dessin animé South Park ?

    Ce mercredi 12 septembre avait donc lieu à Strasbourg un vote du Parlement européen qui a déclenché une procédure visant à faire « respecter l’Etat de droit en Hongrie », comme le permet l’article 7 des traités de l’Union européenne utilisable en cas de « risque clair de violation grave ». Résultat ? La Hongrie a été sanctionnée à la majorité des deux tiers d’extrême justesse, par 468 voix pour (il en fallait 462) contre 197 réfractaires et 48 abstentionnistes. Si le PPE n’avait pas donné de consigne de vote, de nombreux élus du grand parti européen de droit ont voté pour la sanction d’un membre de leur groupe. Il faut dire que l’Allemand Manfred Weber, président allemand du PPE, déclarait juste avant le vote que son groupe « (avait) toujours soutenu l’action du Parlement européen pour suivre la situation en Hongrie » et que « sans volonté du gouvernement hongrois d’entamer un vrai dialogue, il (faudrait) déclencher la procédure ». Limpide !

    Parmi ces 468 votes favorables à la sanction, une dizaine d’eurodéputés français du PPE et les eurodéputés Front de Gauche (GUE) ! Seuls trois eurodéputés des Républicains ont voté contre avec l’ensemble des élus du Rassemblement National : Nadine Morano, Angélique Delahaye et Franck Proust. Ce vote aura donc des conséquences sur la vie politico-politicienne française, révélant les fractures profondes chez Les Républicains. Quel sera le visage des Républicains lors du scrutin de mai 2019, alors qu’ils ne sont même pas capables d’adopter une ligne cohérente sur un vote aussi majeur que celui du mercredi 12 septembre 2019 ? Si Laurent Wauquiez joue les matamores sur la question migratoire, neuf eurodéputés français de sa famille politique (dont cinq actuellement membre de LR, et les trois autres au PPE) ont voté le déclenchement de la procédure de sanction prévue à l’article 7 des Traités de l’Union européenne, sur la base d’un rapport rendu par l’eurodéputée des Verts Judith Sargentini. Cette procédure avait été imaginée en 2000 … après l’arrivée au pouvoir du FPÖ. Principal grief formulé à l’encontre d’Orban ? Ses atteintes supposées aux « libertés individuelles et aux droits des réfugiés ».

    Dans un discours extrêmement vif prononcé à Strasbourg mardi 11 décembre, le chef du gouvernement hongrois s’est défendu : «?Vous avez décidé que notre pays ne pouvait pas refuser d’être un pays d’immigration. Nous ne céderons pas au chantage et notre pays défendra ses lois, contre vous s’il le faut ». S’il ne faudrait pas idéaliser la pratique du pouvoir d’Orban, force est de constater que ce dernier dérange énormément depuis qu’il est le chef de file des partisans d’une Europe forteresse en matière migratoire. D’autres avant lui ont nommé des proches à la tête de médias publics. Nous-mêmes, Français, n’avons peut-être d’ailleurs pas de leçons à donner en matière de pluralisme… Refuser la répartition des « migrants » clandestins pour que la Hongrie ne ressemble pas, demain, à certaines zones du territoire belge ou français, ne revient pas à ne pas respecter « l’Etat de droit », mais à se donner la chance de pouvoir le maintenir dans l’avenir lointain. Les Hongrois ont parfaitement le droit de rester seuls maîtres chez eux, de rester souverains.

    La Hongrie a d’ailleurs toujours été europhile, plutôt bonne élève de l’Union européenne. En déterrant la hache de guerre pour châtier et humilier excessivement la rebelle magyare, les eurodéputés prennent un gros risque qui pourrait s’avérer peu payant. Pour priver la Hongrie de ses droits de vote au Conseil de l’Union, il faudra que l’unanimité des pays qui le composent consentent à cela. Il est évident que la Pologne, elle-même menacée depuis l’arrivée au pouvoir du PIS, s’y opposera ; de même, peut-être, que d’autres pays d’Europe centrale et de l’est, ainsi qu’un autre membre du groupe dit de Visegrad. La situation est donc très complexe, puisque les partis de la droite européenne se déchirent, les Autrichiens de l’ÖVP et les Allemands du CSU s’étant désolidarisés d’Orban. Dans ce capharnaüm, la voix d’Orban apparaît comme étant la plus claire, lorsqu’il dit défendre « (sa) patrie parce que ces valeurs sont des questions d’honneur pour les Hongrois » et que le rapport bafoue « l’honneur des Hongrois?», ou qu’il fustige les eurodéputés qui prétendent «?mieux savoir que les Hongrois eux-mêmes ce qui est bon pour eux?».

    Ces propos sont ceux d’un homme qui, à la tête d’une puissance pourtant moyenne, y compris en Europe, n’a pas renoncé à faire valoir sa souveraineté, la spécificité de son pays et son identité culturelle. Un grand politique n’a nul besoin de centaines de millions d’habitants, d’armes nucléaires ou de géants du net pour résister dans le monde globalisé. Nous l’avons oublié, mais une armée de bergers peut triompher d’une armée moderne équipée de chars, pourvu qu’elle choisisse habilement le champ de bataille et fasse preuve d’une détermination sans faille.

    Gabriel Robin (L'Incorrect, 12 septembre 2018)

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  • La Post-démocratie, une démocratie sans liberté ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Lhomme, cueilli sur Metamag et consacré à la question de la post-démocratie.

     

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    La Post-démocratie, une démocratie sans liberté ?

    La montée du populisme, l’hyper libéralisme, la désinformation et les manipulations électorales sont les questions abordées par les derniers best-sellers politiques internationaux comme How Democracies Die (« Comment les démocraties meurent ? ») de Steven Levitsky et Daniel Ziblatt; How Democracy Ends (« Comment les démocraties se terminent ? ») de David Runciman ou le seul ouvrage déjà traduit en français, Le peuple contre la démocratie de Yascha Mounk [L’Observatoire, Paris 2018]. Tous ces ouvrages sont imprégnés de pessimisme sur l’avenir du pire système politique, à l’exception de tous les autres, comme Churchill le définissait. En France, au contraire, nos universitaires organiques continuent d’animer des séminaires sur la démocratie.

    Le dernier rapport de Freedom House qui analyse les données de 195 pays pour évaluer leur état de santé démocratique, souligne que 2017 a marqué 12 années consécutives de détérioration globale de l’intégrité des processus électoraux en raison de facteurs tels que l’argent excédentaire dans les campagnes ou la manipulation médiatique. Selon Freedom House, l’année dernière, dans 71 pays, les droits politiques et civils et les libertés publiques ont été réduits et seulement 35 ont été améliorés. Depuis 2000, au moins 25 pays ont cessé d’être démocratiques. Pendant la guerre froide, les coups d’État ont été responsables de 75% des cas de rupture démocratique, en particulier en Afrique et en Amérique latine. Aujourd’hui, ces méthodes grossières de coup d’état militaire pour capturer le pouvoir avec la violence ont cédé la place à des stratégies beaucoup plus sophistiquées pour déformer ou déformer la volonté populaire au profit des puissants, quitte même parfois à faire revoter les électeurs (idée qui commence à prendre de l’ampleur en Angleterre face au Brexit) ou à ne pas tenir compte de leur vote (le référendum français sur la constitution européenne). Le paradoxe de cette nouvelle voie électorale vers l’autoritarisme est que les nouveaux liberticides utilisent les institutions mêmes de la démocratie de manière graduelle, subtile et même légalement pour l’assassiner.

    À l’ère du numérique, le pouvoir politique dispose désormais de multiples instruments pour dénigrer la volonté populaire sans recourir à la violence, à la répression. Dans sa large gamme d’options, le pouvoir utilise la manipulation des documents de recensement, les scandales créés de toutes pièces par « la transparence », les calendriers électoraux (les législatives post-présidentielles), l’exclusion arbitraire de candidats, le redécoupage des circonscriptions. De fait, le vol électoral parfait est celui qui est perpétré avant que les gens votent.

    Pour les politistes, il n’y a rien à redire à 2017 : les Français se sont librement exprimés, même si au final Emmanuel Macron ne représente que 15 % des inscrits. À l’échelle mondiale, seulement 30% des élections entraînent un changement de gouvernement ou un transfert de pouvoir à l’opposition. Et ce chiffre est encore plus bas dans les pays ayant un passé autoritaire récent. De fait, il n’y a pas un seul autocrate du 21ème siècle qui n’ait appris qu’il est plus facile de rester au pouvoir à travers des « exercices démocratiques », ce qui explique le paradoxe que même s’il y a plus d’élections que jamais, le monde devient moins démocratique.

    Mais fi du processus électoral désormais maîtrisé pour que la populace ne parvienne jamais au pouvoir, la post-démocratie est en train d’opérer une synthèse encore plus radicale celle de l’autoritarisme numérique et de la démocratie libérale utilisant l’intelligence artificielle et les données recueillies pour surveiller et prévenir tout dérapage oppositionnel à la vision mondialiste car le numérique ne promet pas seulement une nouvelle économie  pour réformer le monde, il promet aussi aux gouvernements de lui permettre de mieux comprendre le comportement de ses citoyens pour les surveiller et les contrôler en permanence. Cette nouvelle réalité citoyenne offrirait ainsi aux gouvernants une alternative possible à la démocratie libérale d’hier restée trop gênante parce que source d’oppositions argumentatives. Il ne s’agirait plus d’éduquer mais de formater, à la lettre une éducation non plus critique à la Condorcet mais de la confiance à la Blanquer, soit la confiance en l’autorité immuable de l’administration des choses, prélèvement à la source et contrôle du privé par impôt et compteur link en prime, par solde de toute monnaie papier, par suivi informatique des déplacements et des pensées.

    L’intelligence artificielle permettra aux grands pays économiquement avancés d’enrichir leur citoyenneté sans en perdre le contrôle. Certains pays sont déjà dans cette direction. La Chine, par exemple, a commencé la construction d’un État autoritaire en support numérique, une sorte de nouveau système politique, un système de contrôle social indolore avec l’utilisation d’outils de surveillance perfectionnés comme la reconnaissance faciale qui vise à pouvoir contrôler n’importe quel secteur turbulent de la population. Plusieurs États liés à l’idéologie numérique ont commencé d’ailleurs à imiter le système chinois. Une grande partie du XXe siècle a été définie par la concurrence entre les systèmes sociaux démocratiques, les fascistes et les communistes. On en discute encore en Gaule dans les bibliothèques du Sénat  alors que la synthèse de la démocratie libérale et de l’autoritarisme numérique se déroule sous nos yeux.

    Les gouvernements pourront censurer de manière sélective les problèmes et les comportements sur les réseaux sociaux tout en permettant aux informations nécessaires au développement d’activités productives de circuler librement. Ils mettront ainsi un terme enfin au débat politique réalisant de fait le projet libéral en son essence : la dépolitisation du monde.

    Michel Lhomme (Metamag, 14 septembre 2018)

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