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Géopolitique - Page 28

  • De meilleures armes pour une planète plus sûre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dimitry Orlov cueilli sur le site Le Saker Francophone et consacré aux nouvelles armes russes présentées par Vladimir Poutine à l'occasion d'une récente allocution et à leur influence sur l'équilibre géopolitique de la planète. De nationalité américaine mais d'origine russe, ingénieur, Dimitry Orlov, qui a centré sa réflexion sur les causes du déclin ou de l'effondrement des civilisations, est l'auteur d'un essai traduit en français et intitulé Les cinq stades de l'effondrement (Le Retour aux sources, 2016).

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    De meilleures armes pour une planète plus sûre

    Beaucoup de gens semblent avoir perdu le fil quand il s’agit d’armes nucléaires. Ils pensent que les armes nucléaires sont comme les autres armes et sont conçues pour être utilisées en temps de guerre. Mais c’est une pure inertie mentale. Selon toutes les preuves disponibles, les armes nucléaires sont des armes anti-armes, conçues pour empêcher l’utilisation d’armes, nucléaires ou pas. Par essence, si elles sont utilisées correctement, les armes nucléaires sont des dispositifs de suppression de la guerre. Bien sûr, si elles sont mal utilisées, elles représentent un risque grave pour toute vie sur Terre. Il y a aussi d’autres risques pour toute la vie sur Terre, tel que le réchauffement planétaire incontrôlé causé par la consommation incontrôlée des hydrocarbures ; peut-être devons-nous inventer une ou deux armes pour empêcher cela aussi.

    Certaines personnes estiment que la simple existence d’armes nucléaires garantit qu’elles seront utilisées quand différents pays dotés d’armes nucléaires se retrouveront financièrement, économiquement et politiquement in extremis. Pour en « faire la demonstration » ils mettent en évidence le principe dramaturgique de l’arme de Tchekhov. Anton Tchekhov a écrit : « Если вы говорите в первой главе, что на стене висит ружье, во второй или третьей главе оно должно непременно выстрелить. А если не будет стрелять, не должно и висеть » [« Si vous dites à l’acte I qu’il y a un pistolet accroché au mur, alors il faut obligatoirement qu’à l’acte II ou III, il fasse feu. Sinon, il ne devrait pas être suspendu là. »].

    Et si vous faites remarquer que nous parlons de stratégie militaire et de géopolitique, pas de théâtre, on peut citer ensuite Shakespeare : « Le monde est une scène et tous les hommes et les femmes ne sont que des acteurs ; ils font leurs sorties et leurs entrées… » et croire que c’est quod erat demonstrandum. Maintenant, je suis tout à fait d’accord avec Tchekhov en matière de dramaturgie, et je suis aussi d’accord avec Shakespeare, à condition de définir « le monde » comme « le monde du théâtre » dans lequel les deux mondes de la géopolitique et de la physique nucléaire sont dramatiquement différents.

    Laissez-moi l’expliquer en des termes qu’un bon dramaturge comprendrait. S’il y a une bombe nucléaire accrochée au mur dans l’acte I, il y a de fortes chances qu’elle soit encore accrochée à ce mur lors du dernier baisser de rideau. En attendant, peu importe combien d’autres armes sont présentes sur scène pendant le jeu, vous pouvez être sûr qu’aucune d’entre elles ne sera utilisée. Ou peut-être qu’elles le seront, mais alors tout le public sera mort, auquel cas vous devriez certainement demander à être remboursé parce que la pièce a été présentée comme un spectacle familial.

    Dans le monde réel, il est difficile de prétendre que les armes nucléaires n’ont pas été utiles comme moyen de dissuasion contre la guerre conventionnelle et nucléaire. Quand les Américains ont largué des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, ils ne l’ont fait que parce qu’ils pouvaient le faire en toute impunité. Si le Japon, ou un allié du Japon, avait possédé des armes nucléaires à l’époque, ces attaques n’auraient pas eu lieu. Il existe un nombre considérable d’opinions selon lesquelles les Américains n’ont pas atomisé le Japon pour obtenir une victoire (les Japonais se seraient rendus), mais pour envoyer un message à Joseph Staline. Staline a reçu le message, et les scientifiques et les ingénieurs soviétiques ont ont mis l’affaire en train.

    Il y a d’abord eu une période inconfortable, avant que l’URSS teste avec succès sa première bombe atomique, alors que les Américains envisageaient sérieusement de détruire toutes les grandes villes soviétiques en utilisant des frappes nucléaires. Mais ils ont mis ces plans de côté parce qu’ils ont calculé qu’ils n’avaient pas assez d’armes nucléaires à l’époque pour empêcher l’Armée rouge de conquérir toute l’Europe occidentale en représailles. Mais le 29 août 1949, lorsque l’URSS a testé sa première bombe atomique, ces plans ont été mis de côté – pas tout à fait de façon permanente, on en reparle plus bas – parce qu’une seule explosion nucléaire résultant d’une réaction soviétique à une première frappe américaine, aurait effacé, disons, New York ou Washington. Cela aurait été un prix trop élevé à payer pour détruire la Russie.

    Depuis lors – à l’exception d’une période comprise entre 2002 et il y a deux jours – la capacité des armes nucléaires à décourager une agression militaire est restée incontestée. Il y a eu quelques défis en cours de route, mais ils ont été traités. Les Américains ont jugé bon de menacer l’URSS en plaçant des missiles nucléaires en Turquie. En réponse, l’URSS a placé des missiles nucléaires à Cuba. Les Américains ont pensé que ce n’était pas juste, ce qui a provoqué la crise des missiles de Cuba. Finalement, les Américains ont été contraints de se retirer de Turquie, et les Soviétiques ont reculé à Cuba. Une autre menace pour le pouvoir de dissuasion des armes nucléaires a été le développement d’armes anti-balistiques capables d’abattre des missiles à tête nucléaire (en fait seulement les missiles balistiques, on en reparle plus tard). Mais cela a été largement reconnu comme une mauvaise chose, et une percée majeure a eu lieu en 1972, lorsque les États-Unis et l’URSS ont signé le Traité sur les missiles anti-balistiques.

    Pendant toute cette période, le principe qui maintenait la paix était la Destruction Mutuelle Assurée : aucune des deux parties ne devait provoquer l’autre au point de lancer une frappe nucléaire, car une telle action était garantie comme suicidaire. Les deux parties en ont été réduites à mener une série de guerres par procuration dans divers pays du monde, au détriment notable de ces pays, mais il n’y avait aucun risque que ces conflits indirects éclatent en une conflagration nucléaire à grande échelle.

    Entre-temps, tout le monde a tenté de s’opposer à la prolifération nucléaire, empêchant un plus grand nombre de pays d’accéder à la technologie des armes nucléaires – avec un succès limité. Les cas où ces efforts ont échoué témoignent de la valeur dissuasive efficace des armes nucléaires. Saddam Hussein, en Irak, n’avait aucune « arme de destruction massive » et a fini par être pendu. Mouammar Kadhafi de Libye a renoncé volontairement à son programme nucléaire et a été torturé à mort.

    Mais le Pakistan a réussi à acquérir des armes nucléaires, et par conséquent ses relations avec son ennemi juré traditionnel sont devenues beaucoup plus polies et coopératives, au point qu’en juin 2017, tous deux sont devenus membres à part entière de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) avec la Chine, la Russie et d’autres nations eurasiennes. Et puis la Corée du Nord a fait quelques percées en matière de bombes nucléaires et de missiles balistiques. Les États-Unis en ont été réduits à des menaces futiles et des postures guerrières alors que la Corée du Sud a exprimé un nouveau respect pour son voisin du nord. Les deux cherchent maintenant à se rapprocher.

    En 2002, la perspective d’une dissuasion nucléaire en continu a subi un revers majeur lorsque les États-Unis se sont retirés du traité ABM. La Russie a protesté contre cette décision et a promis une réponse asymétrique. Les responsables américains ont ignoré cette protestation, pensant à tort que la Russie était finie en tant que puissance nucléaire. Depuis lors, les Américains ont dépensé des sommes d’argent prodigieuses – des milliers de milliards de dollars – en construisant un système de défense anti-missiles balistiques. Leur objectif était simple : permettre de lancer une première frappe contre la Russie, en détruisant une grande partie de son arsenal nucléaire ; ensuite, utiliser les nouveaux systèmes ABM américains pour détruire tout ce que la Russie parviendrait encore à lancer en réponse. Le 2 février 2018, les Américains ont décidé qu’ils étaient prêts et ont publié un réexamen de leur posture nucléaire dans lequel ils se sont expressément réservé le droit d’utiliser des armes nucléaires pour empêcher la Russie d’utiliser sa force de dissuasion nucléaire.

    Et puis, il y a deux jours, tout s’est bien terminé lorsque Vladimir Poutine a prononcé un discours dans lequel il a dévoilé plusieurs nouveaux systèmes d’armes qui annihilent complètement la valeur du bouclier antimissile américain, entre autres choses. C’est la réponse que les Russes avait promis de livrer lorsque les États-Unis se sont retirés du traité ABM en 2002. Maintenant, 16 ans plus tard, le processus s’est terminé. La Russie s’est réarmée avec de nouvelles armes qui ont rendu le traité ABM complètement hors de propos.

    Le traité ABM portait sur les missiles balistiques, ceux propulsés par des roquettes qui font accélérer le missile à une vitesse  proche de la vitesse d’évasion. Après cela, le missile suit une trajectoire balistique – comme un obus d’artillerie ou une balle. Cela rend son chemin facile à calculer et le missile facile à intercepter. Les systèmes de défense antimissile américains reposent sur la capacité de voir le missile sur un radar, calculer sa position, sa direction et sa vitesse, et lancer un missile en réponse de telle sorte que les deux trajectoires se croisent. Au point de rencontre, le missile intercepteur est activé, détruisant le missile attaquant.

    Aucune des nouvelles armes russes ne suit des trajectoires balistiques. Le nouveau Sarmat est un ICBM sans le « B ». Il manœuvre tout au long de sa trajectoire et peut voler dans l’atmosphère plutôt que surgir au-dessus d’elle. Il a une courte phase de mise à feu, ce qui rend difficile son interception après le lancement. Il a la possibilité de parcourir des chemins arbitraires autour de la planète, par exemple par le pôle sud, pour atteindre n’importe quel point de la Terre. Et il transporte de multiples véhicules de rentrée hypersoniques manœuvrables dotés d’armes nucléaires qu’aucun système de défense antimissile existant ou prévu ne peut intercepter.

    Parmi les nouvelles armes dévoilées il y a deux jours, on a un missile de croisière à propulsion nucléaire d’une portée pratiquement illimitée et qui dépasse les Mach 10, et un drone sous-marin à propulsion nucléaire qui peut descendre à des profondeurs beaucoup plus grandes que n’importe quel sous-marin existant et se déplacer plus vite qu’aucun navire existant. Il y avait également un canon laser mobile présenté lors du show, dont on sait très peu de choses, mais qui est susceptible d’être utile quand il s’agira de faire frire des satellites militaires. Tout cela repose sur des principes physiques qui n’ont jamais été utilisés auparavant. Tous ont passé les tests et sont en cours de production ; l’un d’entre eux est déjà utilisé en service de combat actif dans les forces armées russes.

    Les Russes sont maintenant fiers de leurs scientifiques, ingénieurs et soldats. Leur pays est à nouveau en sécurité. Les Américains ont été arrêtés en chemin et leur nouvelle posture nucléaire ressemble maintenant à un cas sévère de lordose. Ce genre de fierté est plus important qu’il n’y paraît. Les systèmes d’armes nucléaires avancés ressemblent un peu aux caractéristiques sexuelles secondaires des animaux : comme la queue du paon ou les bois du cerf ou la crinière du lion, ils témoignent de la santé et de la vigueur d’un spécimen qui a suffisamment d’énergie à dépenser pour des accessoires bien visibles.

    Pour être en mesure d’exploiter un missile de croisière nucléaire hypersonique à portée illimitée, un pays doit disposer d’une communauté scientifique saine, de nombreux ingénieurs bien formés, d’une armée professionnelle hautement qualifiée et d’un establishment de sécurité compétent capable de garder l’ensemble secret, avec une économie industrielle puissante et assez diversifiée pour fournir tous les matériaux, processus et composants nécessaires sans avoir recours aux importations. Maintenant que la course aux armements est terminée, cette nouvelle confiance et compétence peut être transformée à des fins civiles.

    Jusqu’à présent, la réaction occidentale au discours de Poutine a suivi de près l’illogisme des rêves que Sigmund Freud a expliqué en utilisant la blague suivante :

    1. Je n’ai jamais emprunté de bouilloire
    2. Je vous l’ai retourné intacte
    3. Elle était déjà cassée quand je vous l’ai empruntée.

    Un exemple plus commun est l’excuse d’un enfant pour ne pas avoir fait ses devoirs : je l’ai perdu ; mon chien l’a mangé ; je ne savais pas que je devais le faire.

    Dans ce cas, les commentateurs occidentaux nous ont proposé ce qui suit :

    1. Il n’y a pas de telles armes ; Poutine bluffe
    2. Ces armes existent mais elles ne fonctionnent pas vraiment
    3. Ces armes fonctionnent et c’est le début d’une nouvelle course aux armements nucléaires

    Prenons ces arguments un par un :

    1. Poutine n’est pas connu pour bluffer ; il est connu pour faire exactement ce qu’il dit qu’il va faire. Il a annoncé que la Russie apporterait une réponse asymétrique aux États-Unis qui se retiraient du traité ABM ; et maintenant c’est le cas.
    2. Ces armes sont une continuation des développements qui existaient déjà en URSS il y a 30 ans mais qui ont été mis en sommeil jusqu’en 2002. Ce qui a changé depuis lors, c’est le développement de nouveaux matériaux qui permettent de construire des véhicules volant au-dessus de Mach 10, avec leur surface chauffant jusqu’à 2000ºC, et, bien sûr, des améliorations spectaculaires dans le domaine de la microélectronique, des communications et de l’intelligence artificielle. La déclaration de Poutine selon laquelle les nouveaux systèmes d’armes entrent en production est un ordre : ils vont donc entrer en production.
    3. Une grande partie du discours de Poutine ne portait pas sur des questions militaires. Il s’agissait d’augmentations salariales, de routes, d’hôpitaux et de cliniques, de jardins d’enfants, de maternités, de coups de pouce aux retraités, de logements pour les jeunes familles, de rationalisation de la réglementation des petites entreprises, etc. : améliorer considérablement le niveau de vie de la population. Le problème militaire a déjà été résolu, la course aux armements a été gagnée et le budget de la défense de la Russie est réduit et non augmenté.

    Une autre idée en Occident était que Poutine a dévoilé ces nouvelles armes, qui sont en développement depuis 16 ans au moins, dans le cadre de sa campagne de réélection (le vote est le 18 mars). C’est absurde. Poutine est assuré de la victoire parce que la grande majorité des Russes approuve son leadership. Les élections ne sont l’objet d’un combat que pour prendre la deuxième place entre les libéraux démocrates, menés par l’ancien cheval de guerre Vladimir Jirinovski, et les communistes, qui ont nommé un homme d’affaires oligarque non communiste, Pavel Groudinine, qui s’est rapidement disqualifié en ne dévoilant pas ses comptes bancaires à l’étranger et autres irrégularités et semble maintenant être entré dans la clandestinité. Ainsi, les communistes, qui étaient auparavant prévus pour la deuxième place, se sont brûlés les ailes et Jirinovski arrivera probablement en deuxième position. Si les Américains n’aiment déjà pas Poutine, ils aimeraient encore moins Jirinovski. Poutine a une attitude pragmatique et ambivalente à propos des « partenaires occidentaux » comme il aime à les appeler. Jirinovski, d’un autre côté, est plutôt habité d’un sentiment de revanche et semble vouloir infliger des souffrances à ces mêmes « partenaires occidentaux ».

    En même temps, il y a maintenant un comité, composé d’hommes et de femmes très sérieux, qui sont chargés de surveiller et contrecarrer l’ingérence américaine dans la politique russe. Il semble peu probable que la CIA, le Département d’État américain et les coupables habituels puissent avoir une quelconque efficacité en Russie. L’ère des révolutions colorées est terminée, et le train du changement de régime a vécu… alors qu’il rentre péniblement à Washington, où Trump a une chance d’être détrôné à l’ukrainienne.

    Une autre façon de voir la réaction occidentale aux nouvelles armes de la Russie est d’utiliser les 5 étapes du deuil d’Elizabeth Kübler-Ross. Nous avons déjà vu le déni (Poutine bluffe, les armes ne fonctionnent pas) et le début de la colère (nouvelle course aux armements). Nous devrions nous attendre à un peu plus de colère avant de passer à la négociation (vous pouvez avoir l’Ukraine si vous arrêtez de construire les missiles Sarmat). Une fois que la réponse russe sera bien perçue (« Tu as cassé l’Ukraine, tu paies pour la réparer ») nous passerons à la dépression (« Les Russes ne nous aiment plus ! »). Et finalement, l’acceptation. Une fois le stade de l’acceptation atteint, voici ce que les Américains peuvent utilement faire en réponse aux nouveaux systèmes d’armement de la Russie.

    Tout d’abord, les Américains peuvent mettre au rebut leurs systèmes ABM parce qu’ils sont maintenant inutiles. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a dit ceci : « То, что сегодня создаётся в Польше и Румынии, создаётся на Аляске и предполагается к созданию в Южной Корее и Японии — этот ‘зонтик’ противоракетной обороны, получается, ‘дырявый’. И не знаю, зачем за такие деньги теперь этот ‘зонтик’ им приобретать. » [« Ce qui est construit en Pologne et en Roumanie, et en Alaska, et qui est prévu en Corée du Sud et au Japon – ce ‘parapluie’ de défense antimissile – s’avère criblé de trous. Je ne sais pas pourquoi ils devraient maintenant payer aussi cher pour ce ‘parapluie’. »].

    Deuxièmement, les Américains peuvent laisser tomber leur flotte de porte-avions. Cela ne sert pour le moment qu’à menacer des nations sans défense, mais il existe des moyens beaucoup moins coûteux de menacer les nations sans défense. Si les Américains envisagent de les utiliser pour dominer les voies maritimes et contrôler le commerce mondial, alors l’existence de missiles de croisière hypersoniques et de sous-marins à portée illimitée qui peuvent se cacher à de grandes profondeurs pendant des années rendra les océans inaccessibles pour les groupes de combat de la marine américaine en cas d’escalade majeure (non nucléaire) parce que maintenant la Russie peut les détruire à distance sans mettre en danger aucun de ses biens ou de son personnel.

    Enfin, les Américains peuvent se retirer de l’OTAN, qui s’est révélée complètement inutile, démanteler leurs 1000 bases militaires dans le monde et rapatrier les troupes qui y sont stationnées. Ce n’est pas comme si, à la lumière de ces nouveaux développements, les garanties de sécurité américaines valaient encore grand chose aux yeux du monde, et les « alliés » américains s’en rendront compte rapidement. En ce qui concerne les garanties de sécurité russes, il y a beaucoup à offrir : contrairement aux États-Unis, qui sont de plus en plus considérés comme des voyous, inefficaces et maladroits, la Russie a scrupuleusement respecté ses accords internationaux et le droit international. En développant et en déployant ses nouveaux systèmes d’armes, la Russie n’a violé aucun accord, traité ou loi international. Et la Russie n’a aucun plan agressif envers qui que ce soit, sauf les terroristes. Comme l’a dit Poutine lors de son discours, « Мы ни на кого не собираемся нападать и что-то отнимать. У нас у самих всё есть. » [« Nous ne prévoyons pas d’attaquer qui que ce soit ni de prendre le contrôle d’un quelconque pays. Nous avons tout ce dont nous avons besoin. »].

    J’espère que les États-Unis ne prévoient pas d’attaquer qui que ce soit, parce que, vu leur histoire récente, cela ne fonctionnera pas. Menacer la planète entière et la forcer à utiliser le dollar américain dans le commerce international (et détruire des pays comme l’Irak et la Libye, quand ils refusent) ; assumer d’énormes déficits commerciaux avec pratiquement le monde entier en forçant les banques de réserve du monde entier à racheter la dette du gouvernement américain ; tirer parti de cette dette pour accumuler des déficits budgétaires colossaux (maintenant environ 1000 milliards de dollars par an) ; et voler la planète entière en imprimant de l’argent et en le dépensant dans divers scénarios de corruption – cela, mes amis, a été le business plan de l’Amérique depuis les années 1970 environ. Et il se défait devant nos yeux.

    J’ai l’audace d’espérer que le démantèlement de l’Empire américain se fera aussi efficacement que le démantèlement de l’Empire soviétique. (Cela ne veut pas dire qu’il ne sera pas humiliant ou qu’il ne va pas appauvrir l’Amérique, ou qu’il ne s’accompagnera pas d’une augmentation considérable de la morbidité et de la mortalité). Une de mes plus grandes craintes au cours de la dernière décennie était que la Russie ne prendrait pas les États-Unis et l’OTAN assez au sérieux en essayant juste d’attendre qu’ils changent. Après tout, qu’y a-t-il vraiment à craindre d’une nation qui a plus de 100 milliards de dollars de prestations non financées, des toxicomanes opioïdes, 100 millions de chômeurs sans emploi, des infrastructures vétustes et une politiques nationale délétère ? Et en ce qui concerne l’OTAN, il y a, bien sûr, l’Allemagne, qui est en train de réécrire « Deutschland, Deutschland, über alles » pour être « gender-neutral ». Que sont-ils censés faire ensuite ? Marcher sur Moscou sous une bannière arc-en-ciel et espérer que les Russes meurent de rire ? Oh, et il y a aussi le plus grand atout eurasien de l’OTAN, la Turquie, qui est actuellement en train de liquider les actifs kurdes de l’Amérique dans le nord de la Syrie.

    Mais simplement attendre aurait été un pari, parce que dans son agonie l’Empire américain aurait pu s’en prendre à la Russie par des moyens imprévisibles. Je suis heureux que la Russie ait choisi de ne pas jouer avec sa sécurité nationale. Maintenant que les États-Unis ont été neutralisés en toute sécurité en utilisant les nouveaux systèmes d’armes russes, je pense que le monde est un bien meilleur endroit. Si vous aimez la paix, il semblerait que votre meilleure option soit aussi d’aimer les armes nucléaires, les meilleures possibles, contre lesquelles aucune dissuasion n’existe, et maniées par des nations paisibles et respectueuses de la loi qui n’ont aucun dessein maléfique pour le reste de la planète.

    Dmitry Orlov (Le Saker Francophone, 6 mars 2018)

     

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  • Syrie : qui veut (vraiment) la paix ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Caroline Galactéros, cueilli sur son blog Bouger les lignes et consacré à la question du retour à la paix en Syrie... Docteur en science politique et dirigeante d'une société de conseil, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et publie régulièrement ses analyses sur le site du Point et sur celui du Figaro Vox.

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    Syrie : qui veut (vraiment) la paix ?

     

    L'Occidental postmoderne goûte la lumière des évidences simples, la clarté des antagonismes légitimes. Il prend l'information pour de la connaissance, donne à fond dans la substitution de l'image au réel qui devient le quotidien de la politique et ne produit plus seulement une déformation du réel, mais une autre réalité. Et puis, la complexité le fatigue, le paradoxe le lasse, la mise en perspective l'égare. Il croit dans « le su parce que vu ». Il croit que les fake news tombent du ciel ou proviennent directement des enfers que seuls les bad guys et leurs hackers habitent. L'homme occidental a donc la conscience assoupie et les yeux bandés, mais sa sentimentalité exacerbée lui donne l'illusion d'avoir une conscience morale.

    Aussi bien ne voit-il aucune indécence, aucun cynisme dans la façon dont les médias occidentaux décrivent et montrent la situation militaire et humanitaire dans la Ghouta orientale. Et pourtant… La terreur bien réelle vécue par les populations civiles de cette banlieue damascène gangrénée depuis des années par les groupes djihadistes, le calvaire des enfants morts-vivants, pris sous les décombres des bombardements de l'armée syrienne appuyés par la Russie en prélude à une probable offensive terrestre dans l'espoir de réduire ce foyer islamiste qui bombarde régulièrement les faubourgs de la capitale dans un silence occidental assourdissant, sont présentés comme la marque d'une cruauté insensée, délibérée et ciblée des « forces du régime » et de ses soutiens contre la population civile effectivement prise au piège de cet affrontement sans merci. Comme si l’ogre Assad, chaque matin, réclamait à ses sicaires pour son petit déjeuner, son saoul de femmes et d’enfants démembrés et sanguinolents. Comme si ces malheureux civils étaient les cibles de ces bombardements et non les boucliers humains dont se servent impunément depuis des années les salafistes qui veulent faire tomber le président syrien et prendre le pouvoir à Damas pour le compte de leurs puissances mandataires. Des groupuscules ultraviolents qui le forcent ainsi à leur livrer son pays ou bien à faire la « guerre au milieu des populations » pour déclencher l'ire internationale et le diaboliser encore un peu plus…

    On s'est habitués au martyre au long cours du peuple syrien

    On a tellement voulu croire, et faire croire, que l'État islamique était le seul problème et qu'une fois sa réduction (relative) acquise, la guerre serait sans objet et s'étiolerait, que l'on a « oublié » qu'à côté des scories encore dangereuses de cette hydre spectaculaire se démènent toujours les groupes salafistes Al-Nosra et consorts qu'on laisse agir pour compromettre une victoire trop éclatante de l'axe Moscou-Téhéran-Ankara.

    Alors, pour ne pas parler de ce qui pose vraiment problème et nourrit le conflit, on braque les projecteurs sur une offensive gouvernementale, comme si on redécouvrait subitement que la guerre fait toujours rage et est insupportable… Pourtant, notre « coalition internationale » la mène contre le gouvernement syrien depuis 7 ans. Et l'on doit endurer les sommets de cynisme de l'ambassadrice américaine aux Nations unies qui reconnaît que « à cause de la Russie » le Conseil de sécurité « a manqué à son devoir » vis-à-vis des malheureux civils syriens en tardant à signer une résolution demandant un cessez-le-feu d'un mois. Elle ne dit évidemment pas pourquoi ce retard ! Car Moscou a voulu faire apporter quelques substantielles modifications au projet initial en excluant du cessez-le-feu les zones où sévissent encore les groupes terroristes, notamment Al-Nosra.

    La réduction militaire de l'abcès salafiste de la Ghouta devrait donc se poursuivre, les morts innocents se multiplier et nos inconscientes consciences, gargarisées de leur haute moralité abstraite et partiale, continuer de s'indigner. Quoi ? la guerre tue, est sale, injuste, laide, elle fait des victimes innocentes, surtout quand elle doit être menée au sein des populations civiles prises en otages ?

    Une indignation à éclipses pourtant depuis sept ans, mis à part quelques séquences stigmatisées comme la reprise d'Alep – alors que celle de Mossoul nous a laissés plus placides, car il s'agissait de nos bombes. Car on s'est habitués au martyre au long cours du peuple syrien. Tant que c'est à bas bruit, que ce sont nos frappes lointaines qui tonnent, que les morts que l'on fait sont « du mauvais côté » et point trop spectaculaires, on ne lève pas le nez de notre assiette. Sauf pour donner, de temps à autre, quelques leçons de morale de plus en plus inaudibles sur « le boucher Assad ennemi de son peuple » et les gentils rebelles insurgés au grand cœur qui veulent la démocratie et le bien-être de leurs concitoyens.

    De tragiques erreurs de jugement

    Cet ahurissant et persistant biais dans l'interprétation des faits a une origine. Depuis 7 ans en effet, on présente le conflit comme une lutte entre deux légitimités équivalentes qui seraient en concurrence finalement « normale » pour régir le pays. On fait comme si la Syrie n'était pas un État stable et sûr en 2011, comme si elle n'avait jamais eu de gouvernement légitime, mais un « régime » illégitime et honni, comme si c'était un territoire sans unité, un simple espace à conquérir, comme s'il ne s'agissait pas d'un pays souverain ; entré en résistance forcenée et nécessairement meurtrière, contre une agression tous azimuts venue de l'extérieur bien plus qu'aux prises avec une guerre civile, quelles qu'aient été la réalité et la légitimité des revendications politiques, sociales et économiques à l'origine des premières manifestations de 2011.

    Puis, de fil en aiguille, nous avons fini par nous convaincre de cette reconstruction des faits et par tomber dans un manichéisme dogmatique confondant, qui a déformé notre compréhension des choses et du coup a grandement affaibli notre capacité d'action. Nous avons cru que cette attitude néanmoins préserverait « nos intérêts ». Mais où en sommes-nous finalement de notre influence dans ce pays et même dans cette région dont nous nous préoccupons soi-disant tant ? Et quel poids nous accordent ceux qui dominent le jeu politique et militaire régional ?

    L'honnêteté impose d'admettre que nous sommes toujours largement hors-jeu, car nous ne voulons pas admettre nos tragiques erreurs de jugement et préférons ressasser les vieilles antiennes anti-Assad au lieu de chercher pragmatiquement à reprendre pied et langue dans le pays et à faire basculer les alliances dans le sens de l'apaisement et du compromis… dont les populations civiles seraient évidemment les premières bénéficiaires. Nous sommes malheureusement encore très loin d'une telle réforme intellectuelle et pour le coup « morale ». Alors, nous observons.

    Le trouble jeu américain

    L'affrontement Moscou-Washington bat son plein, attisé par les va-t-en-guerre néoconservateurs américains qui « environnent » fermement le président Trump et ont fait de l'Iran le nouveau rogue state à abattre. Washington veut miner la consolidation du « croissant chiite » qui traduit la renaissance de l'influence iranienne dans cette région stratégique et pour commencer, il veut que l'Iran sorte de Syrie. Les slogans très « calibrés » des récentes manifestations populaires en Iran ont clairement fait le lien entre le mécontentement « spontané » du peuple des provinces et les dépenses du pouvoir mises au service de la guerre menée en appui du pouvoir syrien. Le président Rohani ne s'y est pas trompé, qui a rappelé qu'il n'était pas comptable des fonds alloués aux gardiens de la Révolution sous tutelle du guide suprême Ali Khamenei.

    Alors, après l’échec de cette tentative de déstabilisation ou a minima de récupération d’une grogne populaire, pour pousser Moscou à lâcher son partenaire tactique iranien, l’Amérique remet une couche de sanctions (élément de chantage supplémentaire), une louche sur le délirant feuilleton du Russian probe du Procureur Mueller. Et en Syrie même, afin de contrôler les zones pétrolières de l'Est syrien pour peser sur la reconstruction économique et politique du pays, Washington s'engage militairement durablement aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les Kurdes syriens (YPG) que Moscou ne défend pas vraiment des assauts turcs. Il semble en effet probablement plus important au Kremlin d'enfoncer un coin dans l'Alliance atlantique en laissant se développer l'affrontement Washington-Ankara à propos de ces mêmes Kurdes. L'Amérique se sert en tout cas des YPG – ce qui n'empêche pas ces derniers de demander parfois, comme à Afrin, le soutien des milices syriennes pro-Assad contre l'aviation et l'artillerie turques, car leurs liens avec le régime et l'armée sont anciens et puissants – pour empêcher de fait un règlement politique global sur lequel elle n'aurait pas la main, sachant que la Turquie, qui parraine le processus d'Astana aux côtés de Moscou et de Téhéran, ne peut admettre leur participation à un règlement politique.

    Cessons d'attiser les divisions intrasyriennes communautaires

    Parallèlement, ainsi que vient de le révéler la fuite d'un document diplomatique du Foreign Office, tout est fait pour casser le processus d'Astana (et celui de Sotchi), compromettre le succès des zones de désescalade (d'où la reprise des affrontements dans la Ghouta comme à Idlib) et redonner une crédibilité à celui de Genève, moribond et sans représentativité. À la manœuvre depuis janvier dernier, un « petit groupe américain sur la Syrie » composé des USA, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Arabie saoudite et de la Jordanie… Et on s'étonne que la guerre ne finisse pas ! La guerre dont il est au demeurant toujours imprudent de clamer la fin.

    Plutôt que de s'indigner stérilement de la recrudescence des combats, on ferait mieux de cesser d'attiser les divisions intrasyriennes communautaires et confessionnelles en espérant encore démembrer ce pays pour lui dicter son avenir, chacun espérant se tailler la part du lion des marchés de la reconstruction. Le sentiment national syrien n'est pas un vain mot. C'est une réalité plus vivante que jamais, fortifiée par l'épreuve de la guerre et la résilience d'un peuple multiple, mais un, qui a refusé l'atomisation qu'on lui promettait. C'est autour d'un mot d'ordre de « la Syrie unie » que l'on devrait aujourd'hui chercher à faire naître un embryon de convergence des positions des puissances intervenantes au service des intérêts véritables du peuple syrien dans toute sa diversité, et non plus des leurs.

     

    Caroline Galactéros (Bouger les lignes, 28 février 2018)

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  • Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui...

    Les éditions Chroniques ont publié à l'automne un livre d'Olivier Zajec intitulé Frontières - Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui. Ancien officier, maître de conférences en science politique à l'Université Lyon III et professeur de géopolitique et de stratégie à l'École de Guerre, Olivier Zajec est l'auteur de Nicholas John Spykman - L'invention de la géopolitique américaine (Presses universitaires de la Sorbonne, 2016) et de Introduction à l'analyse géopolitique - Histoire, outils, méthodes (Rocher, 2016).

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    " Filtres des identités, garantes des souverainetés, à la fois ponts et forteresses, les frontières ne se limitent pas à un poste de douane ou une ligne de barbelé. Si elles existent, ce n’est pas seulement parce que les hommes les ont arbitrairement décrétées, mais surtout parce qu’elles permettent aux cultures humaines de concilier pacifiquement le local et le global, le spécifique et l’universel. 60 chapitres et des cartes inédites pour comprendre toute la complexité de cette notion de « limite », du « limes » romain du Ier siècle, jusqu’au mur israélien du XXIe, des remparts de Carcassone à Check Point Charlie, du fond des océans au silence des espaces intersidéraux. "

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  • Alep, Pyongyang, Davos… Vers la chute de l’Empire américain ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré au déclin de la superpuissance américaine. Haut-fonctionnaire, animateur de la Fondation Polémia, Michel Geoffroy doit prochainement publier un essai chez Via Romana, La super-classe mondiale contre les peuples.

     

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    Alep, Pyongyang, Davos… Vers la chute de l’Empire américain ?

    L’année 2017 restera comme un grand tournant géopolitique que les médias de propagande se gardent bien de nous révéler : celui de la fin, en direct en quelque sorte, de la domination des États-Unis sur la scène mondiale.
    Les médias mainstream nous cachent ce tournant car c’est une mauvaise nouvelle pour la Super Classe Mondiale qui comptait sur la surpuissance américaine pour faire avancer son projet mondialiste !
    Analyse d’une chute en direct.

    Corée du Nord : le roi est nu

    Première étape, la Corée du Nord : un tout petit Etat de 25 millions d’habitants qui s’est doté non seulement de l’arme nucléaire mais de missiles intercontinentaux. Une nouvelle illustration de l’incapacité des Occidentaux à conserver leur monopole nucléaire, mais pas seulement.

    En effet, Donald Trump peut toujours prétendre avoir « un plus gros bouton » que Kim Jong Un. Mais tout le monde voit que les gesticulations américaines n’ont pas permis de mettre au pas la minuscule Corée du Nord. A la différence de 1962, lors de la crise des fusées de Cuba, où les États-Unis ont fait plier l’URSS, qui était un adversaire d’une toute autre dimension que le pays du matin calme, même en version soviétoïde. L’Amérique de Donald Trump en est même réduite à demander l’aide diplomatique de la Chine et de la Russie pour tenter de résoudre la crise !

    L’affaire coréenne ébranle surtout la crédibilité de la puissance américaine dans cette partie du monde au point d’inquiéter sérieusement l’allié japonais, qui songe à renforcer ses forces d’auto-défense et donc à revenir sur son pacifisme constitutionnel.
    L’onde de choc coréenne n’a donc pas fini de se propager en Asie, car tout le monde comprend que le roi est nu….

    Syrie : échec au roi

    Seconde étape, la fin de Daesch en Syrie du fait de l’intervention militaire russe, symbolisée par la reprise d’Alep.
    Alors que les Occidentaux en ont été bien incapables, d’autant qu’ils voulaient avant tout le renversement de Bachar El Assad et qu’ils n’hésitaient pas pour ce faire à s’appuyer sur des groupes islamistes comme Al Nosra, présentés comme des forces démocratiques d’opposition. Gribouille n’aurait pas fait mieux !
    La Syrie marque une nouvelle défaite stratégique des États-Unis dans leur prétention à imposer leur « nation-building », c’est-à-dire en réalité le chaos au Proche Orient. Une nouvelle défaite aussi pour tous ceux qui se sont embarqués dans la folle stratégie américaine et singulièrement la France, qui a perdu le peu d’influence qu’elle avait encore dans ce pays. Une belle performance française donc, dans un pays autrefois placé sous son mandat !

    L’intervention russe en Syrie fut non seulement décisive et « souveraine » car elle mit un coup d’arrêt à la déstabilisation occidentale de la Syrie. Elle apporte aussi la preuve que la Russie est de nouveau un acteur international à part entière avec lequel il faut désormais compter. D’autant que l’intervention militaire russe a démontré, au grand dam de l’OTAN, les très grandes capacités militaires de ce pays y compris dans les hautes technologies. Pendant que les frappes américaines continuaient de tomber à côté des cibles visées et de multiplier les « bavures »….

    Car, malgré l’enfumage médiatique permanent*, la puissance militaire américaine n’est plus ce qu’elle était. On finit par oublier par exemple que cela fait désormais 16 ans que les Etats-Unis pataugent en Afghanistan pour « lutter contre le terrorisme » : mais pour quel résultat exactement, sinon l’explosion du trafic de drogue ?

    Davos : le roi est mort vive le roi !

    Troisième étape : Davos en janvier 2018.
    Car contrairement à ce que nous serinent nos médias de propagande, la révélation de l’édition 2018 du Forum Economique Mondial de Davos n’était pas Emmanuel Macron, récitant avec application et en anglais son cours libéral de « réformes » et de « flexibilité », en bon élève de l’oligarchie.
    Non c’était la Chine qui donnait le ton y compris en matière de défense de l’environnement, d’autant que les États-Unis apparaissaient marginalisés avec leur retrait du Protocole de Paris !
    Le représentant chinois n’a-t-il pas affirmé en outre que « la Chine aspire à construire un monde ouvert, inclusif, propre et beau qui jouisse d’une paix durable, de la sécurité universelle et d’une prospérité partagée. Ayant cela à l’esprit, le gouvernement chinois assume aujourd’hui davantage de responsabilités à l’égard de la paix et du développement du monde » ? Se payant donc le luxe de reprendre à son compte, mais au second degré, le discours habituel des Occidentaux.
    Une Chine qui, avec les autres Brics , déconstruit en outre patiemment la domination du dollar et des États-Unis dans les institutions financières internationales.

    A Davos on parle toujours anglais, mais désormais avec un fort accent chinois ou indien.

    Bienvenue dans le nouveau monde !

    Le XIXe siècle fut européen et anglais. Le XXe siècle fut américain. Mais, à l’évidence, le XXIe siècle sera différent : peut-être chinois mais surtout, comme on dit, « multipolaire », ce qui signifie que les Occidentaux n’auront plus les moyens d’imposer aux autres civilisations leurs intérêts et leurs lubies idéologiques. Et que les Etats-Unis vont perdre leur statut de surpuissance.

    Cela permet d’ailleurs de comprendre la signification réelle des critiques médiatiques récurrentes portées des deux côtés de l’Atlantique contre la personne de Donald Trump : elles servent à essayer de cacher la nouvelle donne stratégique du monde aux Occidentaux, en faisant de Donald Trump un bouc émissaire.
    Car ce n’est pas à cause de la prétendue « folie », « imprévisibilité » ou « maladresse » de son actuel Président, que les États-Unis perdent leur leadership. C’est tout simplement parce que nous changeons d’époque et parce que les rapports de force mondiaux ne sont plus les mêmes. Mais chut ! il ne faut pas réveiller les autruches occidentales.
    Lors de son discours sur l’État de l’Union, le 30 janvier dernier, le Président Trump a ainsi affirmé « nous pouvons tout faire », dans une sorte de remake du « Yes we can » de son prédécesseur Barak Obama. Mais avec le nouveau monde qui vient, cette méthode Coué a peu de chances de fonctionner.
    Et il serait temps que les Européens en prennent conscience, au lieu de continuer de se placer à la remorque d’un Oncle Sam de plus en plus vieillissant.

    Michel Geoffroy (Polémia, 4 février 2018)

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  • L’Iran, puissance montante en Orient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du journaliste Nicolas Gauthier, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré la montée en puissance de l'Iran et au conflit entre chiites et sunnites...

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    L’Iran, puissance montante en Orient : panique à Riyad, sang-froid à Tel Aviv…

    Au-delà des emportements du moment, il y a le temps court et le temps long. L’adversaire conjoncturel et l’ennemi structurel. En cette heure du tout-médiatique, l’émotion a trop tendance à prendre le pas sur la réflexion. Phénomène qui aggrave plus encore les travers d’une doxa dominante, toujours plus prompte aux concepts binaires qu’à la pensée à long terme.

    Un tel état d’esprit n’épargne pas plus la gauche que la droite. L’une considère que les forces de la réaction identitaire marcheraient en rangs serrés, forte d’un plan ourdi de longue date ; la seconde estime qu’une oumma aussi fantasmée que fantasmatique s’apprêterait à présider les destinées du monde, obéissant à on ne sait quel génial stratège enterré sous la montagne, qui manipulerait attentats terroristes et invasions migratoires.

    La réalité est fortuitement moins lyrique, telle qu’en témoigne par exemple une actualité irano-saoudienne riche d’enseignements. Et qui nous démontre, une fois de plus, que le fameux choc des civilisations entre Occident et Orient, islam et chrétienté, relève plus du slogan de circonstance que d’autre chose. Ce qui n’empêche pas d’autres personnes, par calcul politicien ou aveuglement politique, de jouer de ce totem, espérant qu’à force d’invoquer le Diable, on puisse finir, tôt ou tard, par le faire apparaître.

    En l’occurrence, de quoi est-il question ? Une fois et encore de l’ancestrale lutte entre les deux branches majeures de l’islam, sunnites et chiites. L’occasion de rappeler, une fois de plus, que les guerres religieuses les plus sanglantes sont les guerres internes menées contre les hérétiques – catholiques contre protestants – et non point celles que l’on déclare à une religion concurrente. Dans ce conflit, deux pôles majeurs, Riyad et Téhéran. La première entend régenter le monde sunnite, tandis que la seconde a la ferme intention de fédérer les chiites de la région. Et c’est ainsi que, dans cet affrontement larvé, l’Iran est en passe de donner corps au pire des cauchemars de l’Arabie saoudite ; soit ce croissant qui va désormais de Téhéran à Beyrouth dont la double faute consiste à professer un islam hérétique et, pis, de n’être pas arabe.

    Dans Le Figaro de ce lundi, notre confrère Georges Malbrunot note, avec pertinence : « Dans cette guerre, le modèle iranien est incontestablement plus efficace. Il repose sur des milices locales, parfois plus puissantes que les armées nationales. Le génie iranien est d’avoir su tisser un réseau de relais locaux qui permet à Téhéran de contrôler sans avoir besoin d’être massivement déployé sur place. » Pour un peuple ayant inventé le jeu d’échecs, cela ne relève pas exactement de l’exploit ; ce, d’autant plus qu’il est favorisé en cette manœuvre par trois facteurs majeurs.

    L’impéritie militaire, diplomatique, politique et économique du rival saoudien. Le retrait des USA de la région et le retour en force de la Russie. Et, surtout, l’attentisme bien compréhensible de l’État hébreu. On peut encore y ajouter le fait que Riyad n’est pas la capitale la plus à même de négocier dans un contexte post-terroriste, alors qu’elle est celle ayant le plus appuyé ces mêmes mouvements, aujourd’hui en déroute. Remarque qui vaut, d’ailleurs, aussi pour l’Occident en général et Israël en particulier.

    Pourtant, cette dernière nation se montre finalement la plus lucide sur ce dossier brûlant, à en croire cette passionnante tribune publiée dans The Jerusalem Post : « Le désengagement des États-Unis au Moyen-Orient laisse le champ libre à Téhéran. » Dans cette dernière, on prend ainsi acte du récent rapprochement américano-russe : « Cet accord inattendu entre les deux grandes puissances porte le coup de grâce à la résurrection de la grande alliance contre l’Iran des pays sunnites pragmatiques. »

    Et c’est ainsi que, pendant que Riyad lèche ses plaies, que Téhéran pousse ses pions, Tel Aviv en est réduit à compter les points. Un arbitre qui menace certes de siffler la fin de la partie, mais qui n’a pas plus les moyens que l’envie de s’en prendre directement à un Iran en train de réaliser le but qui a toujours été le sien depuis des siècles ; à savoir renouer avec l’Empire perse de jadis. Temps long, disions-nous…

    Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 28 novembre 2017)

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  • Après la chute de Raqqa, que devient l'Etat islamique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son blog, Huyghe.fr, et consacré à l'avenir de l’État islamique. Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information et directeur de recherches à l'IRIS, François Bernard Huyghe a publié récemment La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015) et, dernièrement, DAECH : l'arme de la communication dévoilée (VA Press, 2017).

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    Après Raqqa

    On annonce que Raqqa, capitale de l'État Islamique est quasiment achevée ; la défaite de Daech est-elle proche ?

    François-Bernard Huyghe : En effet, même si la « prise des derniers mètres de Raqqa» est annoncée depuis plusieurs semaines, cela finit par être vrai : il semble bien que cette fois, les Forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d’Arabes, soient en train de conquérir les derniers bastions et d’évacuer les dji derniers djhadistes - syriens et étrangers-, sans doute vers deir Ezzor qu’ils tiennent encore ; là-bas ils sont confrontés à l’armée syrienne et à ses alliés russes. Aujourd’hui le califat contrôlerait moins de 8% du pays, ce qui commence à ressembler à une déroute pour une organisation territorialisée.
    Sur le plan militaire, que ce soit en Irak et en Syrie où il avait dessiné ses frontières et prétendait exercer sa souveraineté, le califat est condamné par la disproportion des forces. Au mieux il aura un sursis. Son slogan des débuts « le califat durera et s’étendra », les mots qui avaient incité des milliers d’étrangers à aller faire la hijra et le djihad au pays de Cham (traduisez : aller vivre religieusement et combattre sur les territoires tenus par le califat), sont ceux d’une utopie qui a échoué. Pourtant..
    Perdre des batailles n’est pas perdre une guerre, tant que le vaincu n’a pas reconnu sa défaite. Cela peut se faire soit formellement (par un traité ou une reddition) soit de fait, lorsqu’il n’y a plus de combattants refusant de déposer les armes et continuant à se penser en guerre. Et pour les derniers fanatiques, le choix sera ouvert :
    - Continuer la lutte ailleurs en Syrie ou Irak, comme des groupes de guérilla.
    - Rejoindre d’autres groupes armés djihadistes, comme Hayat Tahrir al-Cham, rattaché au « courant historique » al Qaïda / al Nosra (quitte à admettre que la fondation prématurée d’un califat par al Baghdadi était une erreur stratégique)
    - Aller essaimer et renforcer des groupe affiliés à Daech, mais plus loin, au Pakistan, en Afghanistan, en Égypte, en Libye, etc.
    - Pour les « foreign fighters », européens, par exemple, revenir dans leur pays d’origine, échapper, s’ils peuvent, à la prison et relancer une action terroriste.
    - Dernière hypothèse : prendre leur « retraite » en redevenant salafistes « quiétistes » (qui ne font pas le djiahd) ou en se convaincant de l’excellence des valeurs démocratiques qu’ils ont combattues. Nous aimerions que cette option soit la plus vraisemblable.

    Ils pourraient continuer le combat ?

    On le voit, la vraie défaite de Daech ne peut être que psychologique - renoncer à une lutte sans issue aux objectifs impossibles (conquérir le monde) et renoncer à traitet comme ennemis tous ceux qui ne partagent pas cette utopie-. Mais psychologique, pour eux, cela veut dire spirituel : il faut qu’ils se persuadent que Dieu ne leur fait plus obligation de poursuivre le djihad universel. Or, justement, la propagande du califat les prépare à l’hypothèse d’un défaite « apparente » sur le terrain, une défaite qui ne serait en fait qu’une épreuve, avant une victoire finale plus éclatante encore. Après la période utopique (rejoindre le califat où règne la loi divine et qui « durera et s’étendra »), voici une sorte de prophétisme millénariste : la victoire est d’autant plus proche que nos ennemis croient l’avoir emporté. Autrement dit, il n’est pas garanti que la leçon du réel (la perte du territoire) décourage ceux étaient attirés par le projet de conquérir et convertir le monde. La rage pourrait gagner chez ceux qui verront dans les événements la confirmation que les mécréants et les hypocrites persécutent les musulmans depuis des siècles.

    Le terrorisme risque-t-il de se développer en compensation ?

    Quand on perd la guerre classique, il est tentant de mener la « guerre du pauvre » qu’est le terrorisme. La multiplication des attentats en Occident pour « compenser » la chute du califat ? Ces derniers mois les attaques avec une voiture, un couteau, des bonbonnes de gaz qui n’explosent pas toujours, éventuellement avec des armes à feu se sont multipliés. Dans certains cas, la piste djihadiste ne peut être prouvée, dans d’autres on incrimine un mécanisme psychologique d’imitation ou on cherche des causes psychiatriques... Il n’empêche que la tendance lourde semble être à des attaques menées sans grands moyens ou grande organisation, donc d’autant plus difficiles à déceler. La possibilité d’une « routine » terroriste, c’est-à-dire d’attentats relativement fréquents pas forcément très efficaces du fait de l’inexpérience de leurs auteurs, mais motivés par le désir de venger le califat et de punir les pays de la coalition est tout sauf absurde. Et la propagande djihadiste basée sur le ressentiment peut encore nourrir longtemps ce désir de violence compensatrice.

    François-Bernard Huyghe (Blog de François-Bernard Huyghe, 18 octobre 2017)

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