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Géopolitique - Page 22

  • Le bel avenir de la géopolitique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec au site Comprendre Les Enjeux Stratégiques et consacré à la géopolitique. Saint-Cyrien, agrégé et docteur en Histoire des relations internationales, Olivier Zajec est maître de conférence à l'université Lyon III, où il dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense, et enseigne également la géopolitique à l’École de Guerre. Il a notamment publié  Nicholas John Spykman - L'invention de la géopolitique américaine (Presses universitaires de la Sorbonne, 2016) et  Introduction à l'analyse géopolitique (Rocher, 2016).

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    Le bel avenir de la géopolitique

    Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

    Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

    Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

    En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

    La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

    L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

    Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

    Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

    Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

    Spykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

    Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

    L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

    Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

    Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

    C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

    La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

    Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

    Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

    D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

    Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

    C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

    Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

    Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

    Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

    Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

    Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

    Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

    Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

    Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

    Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

    L’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

    Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

    La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

    Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

    Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

    Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

    Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’œuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

    La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

    Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

    Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

    C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

    Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

    Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

    C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

    En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

    Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

    Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

    L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

    Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

    Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

    Dans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

    L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

    En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

    Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

    Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

    Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

    Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

    La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

    Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

    Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

    Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

    Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

    Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

    C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

    On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

    Sans les humanités, nous analysons à vide.

    Du point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

    Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

    La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

    Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

    Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

    Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

    Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

    La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

    À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

    Comment a été reçu votre dernier livre ?

    Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

    Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

    Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

     

    Olivier Zajec, propos recueillis par Jean-François Fiorina (Comprendre Les Enjeux Stratégiques, 28 novembre 2019)

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  • Monsieur le Président, encore un effort pour défendre la France !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux choix d'Emmanuel Macron dans le domaine de la politique étrangère. Économiste de formation, vice-président de Géopragma et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Candidat aux élections européennes sur la liste du Rassemblement national, il a publié récemment un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

     

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    Monsieur le Président, encore un effort pour défendre la France !

    Pourquoi bouder son plaisir ? Pour avoir publié en 2009, chez Gallimard, un essai consacré au « Renversement du Monde », je ne peux que saluer le constat établi par Emmanuel Macron le 27 août 2019, dans sa conférence annuelle aux Ambassadeurs, quand il reconnait que l’Occident ne dirige plus le monde.

    Pour avoir publié en 2014, chez Pierre-Guillaume de Roux, «Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé », un essai consacré à la fragilité croissante de notre alliance avec les États-Unis, je ne peux qu’entendre le constat livré par Emmanuel Macron à The Economist, l’hebdomadaire de la doctrine libérale anglo-américaine (8 novembre 2019). L’OTAN est une organisation vide de sens, le Traité de l’Atlantique Nord doit être renégocié sur des bases nouvelles, la France et l’Europe doivent compter sur elles-mêmes pour assurer leur défense, et il est urgent de renouer avec la Russie un vrai dialogue stratégique — d’autant plus urgent qu’il sera long. 

    Et pour avoir à maintes reprises dénoncé la dérive de l’Union européenne, qui croit se construire en détruisant les Nations qui la composent, pour m’être élevé contre les européistes béats, les fédéralistes forcenés et le principe imbécile qui veut que si ça va mal en Europe, c’est qu’il faut plus d’Union, je ne peux qu’approuver le constat présidentiel : l’Union européenne est au bord du gouffre. Je lui ajoute mon constat personnel : à chaque séance plénière, le Parlement lui demande de faire un grand pas en avant.

    Des déclarations, toujours des déclarations

    Le sujet n’est pas d’avoir eu raison trop tôt, ce qui est en politique une manière d’avoir tort.

    Le sujet est d’avoir raison pour agir, pour décider, et pour gagner. Et tout suggère qu’Emmanuel Macron ne peut pas savoir ce qu’il sait, qu’il ne veut pas vouloir ce qu’il veut, et qu’il ne pourra pas conduire la renaissance nationale.

    L’essentiel des déclarations d’Emmanuel Macron porte sur la défense, avec une réponse qui n’appartient qu’à lui ; la Défense sera européenne ou ne sera pas ! Mais cette réponse interroge. D’abord, parce que nul n’en veut dans une Europe qui a payé son confort social au prix de l’assurance militaire américaine. Parlez-en à la Pologne, à la Hongrie, à l’Espagne !

    Ensuite, parce que l’inconsistance européenne signifie la débandade du « chacun pour soi » dès qu’un vrai choc sécuritaire atteindra l’un ou l’autre de ses membres, choc nécessairement asymétrique, choc que chaque Nation vivra selon son histoire, ses intérêts et sa pente, choc d’autant plus impossible à affronter que l’Europe s’interdit collectivement de penser invasion, conquête, et guerre. Emmanuel Macron aurait-il oublié le « chacun pour soi » qui a suivi la criminelle décision de Mme Angela Merkel d’ouvrir la porte aux migrants en 2015 ? En clair ; une Europe de la Défense est plus improbable qu’un OTAN redéfini. Et surtout, parce que l’adhésion de l’Union et de M. Emmanuel Macron au mondialisme, au libre-échange et au néo-libéralisme la vide de toute portée ; qu’y a-t-il à défendre, pourquoi tuer et pourquoi mourir, quand tout est à vendre ?

    Que défendre

    Que défendre ? Les Hongrois savent ce que veut dire défendre la Hongrie, comme les Serbes savent ce que signifie défendre la Serbie. Les Français savent-ils ce qu’ils ont à défendre ? Défendre commence par dire « nous », et nommer ses ennemis. Les Français savent bien qui profane les églises, qui engorge les hôpitaux, qui agresse enseignants, policiers et concierges ; les nommer est déjà un délit. Les Français savent bien au nom de quelle idéologie d’importation la France se décompose, le désaménagement des territoires se répand, les services de l’Etat se dégradent et les conquêtes sociales ne sont plus que des freins au « Doing Business ».

    Qui dit qu’il n’y a pas de culture française, qu’il n’y a pas de peuple français, qu’il n’y a pas d’unité nationale, dit qu’il n’y a rien à défendre. La maison est vide, qui paie s’installe. Ceux qui livrent la France à l’immigration de peuplement et aux délires des universités américaines, ceux qui ne reconnaissent pas que l’ennemi est à l’intérieur, et qu’il gagne chaque jour des batailles que les Français ne livrent pas, ont déjà abandonné l’idée de défendre la France.

    Que défendre ? Si tous les hommes sont les mêmes, s’il n’y a sur terre que des individus de droit, et si tout est à vendre, l’idée même de défendre un territoire, une Nation, un régime politique, devient dérisoire.Toute la politique du gouvernement d’Emmanuel Macron continue le travail d’indétermination, d’indifférenciation, de banalisation de la France qui lui interdit de répondre. Ou plutôt, elle répond chaque jour ; la France n’est rien, puisqu’il est interdit de distinguer les Français et de les préférer.

    L’idée même qu’un citoyen français puisse se prévaloir de droits auxquels tout individu ne pourrait prétendre devient coupable — les décisions du Conseil constitutionnel sont constantes sur ce point. Le Conseil d’État a renchéri, en statuant que c’est aux Français de s’adapter à l’étranger . Et l’idée même que la Nation existe, qu’elle compte, et qu’elle vaut, est étrangère à un gouvernement qui nie l’histoire, les racines chrétiennes de la France, la transmission familiale de l’esprit national et la primauté de l’État dans la singularité française. Que défendre, si être Français ne fait plus de différence ? Entre le libéralisme de l’individu souverain, et la France des citoyens, il faut choisir. 

    Que défendre ? Emmanuel Macron constate que l’Europe n’est plus la priorité de l’Amérique. Il redoute l’avènement d’un monde bipolaire qui est déjà là, partagé entre les États-Unis et la Chine. Il en appelle à – à quoi vraiment ? À ce vide béant que creuse l’Union européenne entre les États-Unis, la Russie et la Chine ? À une étonnante complaisance pour des néo-conservateurs qui sont, depuis quarante ans, les premiers coupables de la déstabilisation du monde ?

    N’est pas de Gaulle qui veut

    La lucidité du constat n’assure en rien la pertinence du projet. Sa franchise inattendue provoque déjà les haut-le-cœur chez nos voisins de l’Est, la prudence fuyante de Mme Merkel, les mises en garde de Mike Pompéo. L’appel à une souveraineté européenne attire déjà les réponses des affidés de Washington, comme le gouverneur de la Banque centrale de Hongrie ; l’indépendance de l’Europe, quelle idée ! Et la dureté, voire la violence, du propos d’Emmanuel Macron résonne comme un constat d’échec ; quel contraste avec la boursouflure prétentieuse des discours de la Sorbonne et d’Aix-la-Chapelle, quand celui qui n’arrive pas à gouverner la France prétendait guider l’Europe !

    Face à l’unilatéralisme des États-Unis, face à leur intolérance à l’égard de toute manifestation d’indépendance de la France, face au terrorisme économique qu’ils manient(par exemple contre le Danemark pour s’opposer au passage de Nordstream), le constat vient trop tard, et ses conclusions sont erronées.

    N’est pas de Gaulle ou Kissinger qui veut. Il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une vision du monde, les moyens qui la permettent, la profondeur qui la fait tenir. Car l’état du monde est sans ambigüité ; la forme politique de la mondialisation, c’est l’État-nation.

    L’insurrection de la diversité des peuples sera à la mesure du carcan que le mondialisme leur a imposé. La forme économique de la mondialisation gagnante, c’est le nationalisme de marché. La destruction des Nations par les traités de libre-échange, comme le CETA et le MERCOSUR, des Etats par l’ouverture des frontières et le pillage des territoires par les privatisations, voilà les raisons de la crise qu’à juste titre Emmanuel Macron annonce ; il peut la prévoir puisqu’il contribue à la provoquer.

    Seuls survivront ceux qui auront su créer cette unité nationale qui rassemblera le droit, l’économie et la force au service de leur Nation. Car la marche du monde est sans pitié ; ce n’est plus de l’hyperpuissance américaine qu’il convient d’avoir peur, c’est de l’affaiblissement américain, du sentiment d’encerclement vécu par la Russie, et de la revanche de la diversité portée par la Chine et par l’Inde comme par l’Islam.

    Les peuples qui ne savent plus dire « nous » sont condamnés. La question n’est pas de quitter l’OTAN et la dépendance qu’elle impose (voir l’achat forcé de 35 F, l’avion qui ne volera jamais, par tant d’Européens !) mais d’abandonner les rêveries d’une démocratie planétaire instaurée sous les bottes des Marines, qui suscite un rejet universel — pourquoi attendre avant de rouvrir l’ambassade de France à Damas ? La France a mieux à faire du côté de ceux qui refusent le partage du monde, constatent que la Russie est devenue une force de stabilisation aux pourtours de l’Europe, que les routes de la Soie échappent aux péages américains, et que la militarisation du dollar commande de lui trouver un substitut. La question est moins de s’éloigner des États-Unis que d’en finir avec les errements du mondialisme et de l’individualisme libéral ; ce que la France doit au monde, aux Français et à elle-même, c’est de demeurer la France.

    Le constat est là. La brutalité américaine le provoque, les gains accumulés par la Chine plus récemment par la Russie et aussi par l’Iran le justifient, l’impuissance tragique et comique à la fois de l’Union européenne l’oblige. Ce constat ne peut qu’appeler un projet. C’est le projet d’une France libre, d’une France du non-alignement, de la non-conformité, c’est le projet d’une France qui propose aux Nations européennes qui le veulent, si elles le veulent, de devenir le troisième pôle d’un monde réellement multipolaire.

    Et cela se voit

    Emmanuel Macron ne peut le conduire. Trois raisons au moins le lui interdisent.

    Derrière la crise de civilisation qui touche les États-Unis comme l’Europe, l’abandon de la justice et de l’égalité au nom de la performance, la perversion du droit par sa mise en concurrence, la réduction de chaque chose à son prix de marché. Comment l’élu de la banque, des big pharma et du big business mettrait il en cause ce qui assure la fortune du très petit nombre contre l’intérêt de tous ? Le Président de la France qui gagne peut-il être le Président de tous les Français, peut-il inventer la démocratie économique et parler à ceux qui se lèvent tôt, qui travaillent, qui ne sont pas des gagnants, mais qui ne sont pas rien – ils sont seulement Français ?

    Derrière la crise sécuritaire qui balaie l’Europe, le retour de l’affrontement ethnique, religieux et idéologique. La Chine des Hans veut être la Chine des Hans, l’Afrique redevient la terre des Africains, et l’Islam retrouve une dynamique de conquêtes que dissimule l’anecdote terroriste. L’internationalisme est le péché qui achève de tuer le socialisme français. L’individualisme est le voile qui aveugle l’Union et la France sur les masses qui se sont mises en marche et qui les écraseront si elles ne savent retrouver l’unité, la volonté de survivre, la passion de demeurer. Comment ceux qui interdisent de nommer les choses, qui veulent qu’un homme ne soit plus un homme, qu’une femme ne soit plus une femme, et qu’un criminel ne soit qu’un imbécile, pourraient-ils affronter une situation où le pouvoir d’agir dépend du pouvoir de nommer et de dire ?

    Derrière la crise qui secoue la France, le sentiment d’une perte de contrôle, la réalité d’une fuite en avant européenne, la vérité de trente années de renoncement à la Nation. Le malheur français n’a pas d’autre origine que cet abandon de l’idéal de la grande France, présente par ses outre-mer sur tous les océans et tous les continents, du recul d’un État qui assure l’égalité des territoires, le progrès pour tous les citoyens, et cette sécurité globale, économique aussi bien que morale, qui est la condition de la confiance. L’affirmation sans complexe de l’intérêt national, de la prééminence du citoyen français sur tout individu, de l’unité de la France sur tous les facteurs de division que l’Union attise, est la clé. Comment un Président élu par les tenants du mondialisme et du fédéralisme européens pourrait-il incarner l’État et la Nation, comment pourrait-il fournir la solution, alors que sa politique est le problème ?

    Emmanuel Macron a fait un choix

    Oui, la situation est grave. Oui, il faut abandonner l’illusion que la France donnera à une nouvelle Europe son souffle et sa force ; le général de Gaulle, puis François Mitterrand s’y sont essayés sans succès. Deux fois suffisent. Oui, la France a besoin d’alliés qui tiennent leur parole et leurs engagements, et les États-Unis ne sont plus cet allié-là. Oui encore, le sentiment national est le socle à partir du quel tout peut renaître. Dans le désordre et la confusion que répand partout la politique du « en même temps », des éléments de langage et de l’information sous tutelle, l’unité nationale, la garde aux frontières, et l’exigence citoyenne, sont le recours. Et la volonté que la France demeure, quel que soit le prix à payer, en argent, en combats, ou en morts.

    Voilà le point décisif. Au moment où la Grande-Bretagne célèbre le souvenir de ses soldats morts contre l’Allemagne en lançant 750 000 coquelicots dans la mer, ce 11 novembre, l’Union européenne commande à la France d’oublier que sa liberté et ses frontières ont été gagnées au prix de millions de morts. Et certes, de Clemenceau au général de Gaulle, ceux qui ont fait la France libre n’ont jamais hésité sur le prix à payer pour que la France vive. Ils n’hésiteraient pas plus aujourd’hui.

    Emmanuel Macron a fait le choix de mutiler les gilets jaunes, pas ceux qui envahissent la France. Il a fait le choix de poursuivre ceux qui défendent la France, ses frontières et son identité, pas ceux qui s’emploient à détruire l’État social, à précariser les Français et à faire des terres et des paysages de France, des lois françaises, des marques et des villes françaises, des produits comme les autres, en vente comme les autres sur le marché mondial. Quand le moment sera venu de dire non à l’intolérable, comment serait-il celui qui paiera le prix pour rétablir la France dans son histoire, dans ses frontières, dans sa dignité, et dans tout ce qui n’a pas de prix ?

    Emmanuel Macron a fixé l’enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2022 ; choisir qui paiera le prix de la France libre, quel qu’il soit. Il faut savoir gré à un Président qui ne peut lui répondre d’avoir déjà posé un tel enjeu. Il est urgent de définir le projet national qui relèvera cet enjeu, un enjeu qui s’appelle simplement la survie de la France.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 13 novembre 2019)

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  • Un nouveau partage du monde est en train de se structurer...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros à Figaro Vox, dans lequel elle commente les récentes déclaration d'Emmanuel Macron à l'hebdomadaire The Economist sur la situation de l'Europe. Docteur en science politique, Caroline Galactéros est l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et de Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    Caroline Galactéros: «Un nouveau partage du monde est en train de se structurer»

    FIGAROVOX.- Le magazine The Economist consacre son dernier numéro et sa couverture à une interview d’Emmanuel Macron dans laquelle il affirme que le monde est au bord du précipice. La situation internationale est-elle aussi apocalyptique que celle que décrit le chef de l’État?

    Caroline GALACTEROS.- Il me semblait que le Président, dans son interview, avait appliqué cet oracle à l’Europe et non du monde. Le monde n’est pas du tout au bord du précipice. Il se rééquilibre autour de puissances qui assument leur souveraineté, définissent leurs ambitions et se donnent les moyens de les mettre en œuvre. Ce sont nos utopies qui sont en déroute et c’est bien l’Europe qui tombe dans l’insignifiance stratégique (une forme de mort cérébrale) subitement privée de la béquille mentale que lui fournissaient le lien transatlantique et son alignement servile sur les injonctions américaines. Quant à la France, elle danse sur un volcan et pas seulement au plan extérieur. Si la présente lucidité présidentielle se consolide par des actes et des dynamiques durables, alors nous éviterons le pire et peut-être même renverserons-nous enfin la vapeur à notre avantage. Ce serait là, sur le plan stratégique, une vraie et salutaire «disruption». Après Biarritz, Moscou, la Conférence des Ambassadeurs et désormais cette interview, la grande question est désormais la suivante: Jusqu’à quel point sommes-nous déterminés à désobéir et à assumer les critiques ou la résistance active de certains de nos partenaires européens?

    Le rôle de pionnier, de défricheur d’une voie nouvelle est périlleux et demandera beaucoup de ténacité. Jusqu’au moment où certains de nos partenaires, entrevoyant la liberté, voleront au secours de la victoire et nous emboîteront le pas, notamment en Europe du sud mais pas seulement. Notre vieux continent est en pleine dépression post-traumatique non traitée. Le choc? Notre abandon sans états d’âme par la figure paternelle américaine. Sur le fond, rien de bien nouveau mais le verbe trumpien nous a brutalement ouvert les yeux sur le profond mépris et l’indifférence en lesquels Washington nous tient. La servilité ne paie jamais vraiment. Emmanuel Macron a bien raison de douter de l’applicabilité de l’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique. Le problème n’est pas de savoir si les États-Unis voleraient au secours d’un État européen attaqué par la Russie ou Chine. La Russie a vraiment d’autres chats à fouetter et la Chine «attaque» déjà l’Europe tous azimuts économiquement. Non, le problème est bien celui d’un fatal entraînement de la France ou d’un autre membre de l’Otan si jamais la Turquie venait à être prise à partie militairement par la Syrie en réponse à sa violation caractérisée de la souveraineté syrienne. Scénario peu probable à vrai dire, car Moscou ne laissera sans doute pas un tel engrenage ruiner ses patients efforts pour en finir avec la déstabilisation de son allié moyen oriental. Même chose si l’Iran venait à réagir à une provocation savante téléguidée par Washington. Moscou, Téhéran et Ankara ont partie liée pour régler le sort de la Syrie au mieux de leurs intérêts respectifs et Washington comme Damas n’y peuvent plus rien. Ce qui est certain, néanmoins, c’est que la Turquie n’agit à sa guise en Syrie qu’avec l’aval américain. Washington laisse faire ce membre du flanc sud de l’Alliance qui lui sert en Syrie de nouvel agent de sa politique pro islamiste qui vise à empêcher Moscou de faire totalement la pluie et le beau temps dans le pays et la région. Ankara gêne aussi l’Iran. Bref, ce que fait Erdogan est tout bénéfice pour Washington. Et les Kurdes ne font pas le poids dans ce «Grand jeu»? En conséquence, c’est bien l’Amérique qui dirige toujours et complètement l’Otan. S’il est bien tard pour s’en indigner ou faire mine de le découvrir, il n’est pas trop tard pour se saisir de cette évidence et initier enfin une salutaire prise de distance de l’Europe par rapport à une Alliance qui ne traite nullement ses besoins de sécurité propres.

    Nous restons extrêmement naïfs. Nous n’avons jamais eu voix au chapitre au sein de l’Alliance pas plus d’ailleurs depuis que nous avons rejoint le commandement intégré pour nous faire pardonner notre ultime geste d’autonomie mentale de 2003 lorsque nous eûmes l’audace de ne pas rejoindre la triste curée irakienne. Il faut que nous ayons aujourd’hui le courage d’en sortir et de dire que l’OTAN ne correspond pas à la défense des intérêts sécuritaires de l’Europe et d’ailleurs que l’épouvantail de la prétendue menace russe est une construction artificielle destinée à paralyser le discernement des Européens, à les conserver sous tutelle, à justifier des budgets, des postures, des soutiens résiduels au lieu de construire enfin une véritable stratégie propre à l’Europe en tant qu’acteur et cible spécifique stratégique. Je rejoins là notre président. Mais je ne crois pas du tout que L’OTAN soit en état de mort cérébrale. Il devient juste clair que ce qui pouvait, aux yeux de bien des atlantistes, justifier notre alignement silencieux et quasi inconditionnel a vécu. Trump veut faire payer les Européens pour qu’ils achètent des armes…américaines et obéissent aux décisions d’intervention américaines qui ne les concernent pas. Il est temps de ne plus supporter ce chantage et de sortir de l’enfance stratégique. Nous en avons les moyens. Il ne manquait que la volonté.

    De son côté l’UE peine à définir une politique étrangère commune, croyez-vous la diplomatie européenne encore?

    Je n’y ai jamais cru! Je ne vous rappellerai pas le cruel sarcasme de Kissinger «l’Europe? Quel numéro de téléphone?» Ce qui est possible, c’est de faire sauter un tabou ancien qui veut que l’affirmation de la souveraineté des nations européennes soit antinomique de la puissance collective et un autre, qui veut que l’élargissement de l’UE ait été destiné à la rendre puissante et influente. C’est précisément tout l’inverse. Mais il est trop tard pour regretter cet élargissement brouillon et non conditionnel stratégiquement. Il faut partir du réel et le réel, c’est qu’il existe une très grande divergence entre les intérêts stratégiques américains et ceux des Européens qui doivent se désinhiber. La France peut prendre la tête de cette libération et favoriser une conscience collective lucide et pragmatique des enjeux communs sécuritaires et stratégiques.

    Il faut commencer par une véritable coopération industrielle à quelques-uns en matière de défense, sans attendre une unanimité introuvable. Il faut créer des synergies, faire certaines concessions et en exiger d’autres, et ne plus tolérer la moindre critique de Washington sur les contributions à une Alliance enlisée dans d’interminables et inefficaces opérations.

    Alors qu’Emmanuel Macron rentre d’un voyage officiel en Chine, vous écrivez, «La Chine a émergé tel un iceberg gigantesque». La Chine est en train de tisser son empire autour du globe, est-elle en train d’imposer son propre contre modèle à l’Occident?

    Pékin agit très exactement comme Washington et joue l’Europe en ordre dispersé. Oui le «contre monde» comme je l’appelle est en marche. La Chine profite du tirage entre Washington et les Européens au fur et à mesure que les pays européens prennent conscience qu’ils ne comptent plus pour l’Amérique, mis à part pour justifier un dispositif otanien contre Moscou et empêcher le rapprochement stratégique avec la Russie qui seule pourrait donner à l’Europe une nouvelle valeur ajoutée dans le duo-pôle et triumvirat Washington -Moscou-Pékin. C’est Sacha Guitry je crois qui disait que les chaînes du mariage sont si lourdes qu’il faut être trois pour les porter. L’adage est valable pour l’Europe à mais aussi pour Moscou qui sait combien «le baiser de la mort» chinois peut à terme lui être fatal. L’Europe n’a donc pas encore tout à fait perdu de son intérêt aux yeux de Moscou même si, en ce qui concerne la France, la charge affective et historique du lien a été très abîmée. Il me semble donc que l’initiative française d’une relance d’un «agenda de confiance et de sécurité» est un pas important dans cette direction qu’il faut jalonner à bon rythme de réalisations concrètes.

    La guerre commerciale semble être la forme conflictuelle privilégiée par l’administration de Donald Trump. Les sanctions américaines pleuvent sur les entreprises chinoises, en Iran, en Russie. La guerre commerciale devient-elle un des éléments structurant d’un monde Yalta 2.0?

    La fin de l’utopie d’une mondialisation heureuse a permis la résurgence d’un politique de puissance et d’influence décomplexée. Or le commerce est l’instrument privilégié de ces relations. Il n’y a qu’en France que l’on croit encore aux pures amitiés et aux affections qui guideraient les rapprochements entre États. Attention! Je ne veux pas dire que les relations personnelles, l’empathie ou l’animosité ne comptent pas, bien au contraire. Mais ce qui compte dans l’établissement du rapport de force et dans la consolidation des rapprochements, ce sont les complémentarités économiques mais aussi culturelles et même civilisationnelles et surtout la fiabilité de la parole donnée et la crédibilité interne des dirigeants.

    Votre livre donne un aperçu global de l’état des relations diplomatiques depuis les cinq dernières années. Le monde depuis 1989, puis 2001 est en constante restructuration. Le jeu des puissances est mouvant. Quelle place la France peut-elle occuper dans un monde géopolitique si instable et imprévisible? Comment peut-on participer à construire une «coexistence optimale»?

    La France doit se voir en grand car elle a de sérieux atouts de puissance et d’influence mais elle n’en use pas à bon escient. Elle se complaît dans la repentance et l’alignement. Notre place dépendra en premier lieu de notre capacité à structurer une vision et un chemin puis dans notre ténacité à défendre nos intérêts et à affirmer nos principes.

    Il nous faut effectuer un tournant pragmatique en politique étrangère et en finir avec l’idéologie néoconservatrice. Celle-ci a dramatiquement vérolé toute une partie de notre administration et de nos élites qui ne savent plus ce qu’est l’intérêt national. La France est toujours une puissance globale. Plus que nombre d’autres. Simplement elle doit retrouver une économie florissante, restructurer son industrie, remettre son peuple au travail autour d’un projet de prospérité lié à l’effort et non à l’incantation. Un État puissant est un État sûr, qui sait d’où il vient, n’a pas honte de son passé et embrasse l’avenir avec confiance.

    La Russie de Vladimir Poutine s’est imposée aux puissances occidentales comme un acteur majeur des relations géopolitiques. Son attitude sur la crise syrienne incarne ce positionnement dans l’échiquier mondial. La Russie peut-elle être un allié «fréquentable» des puissances européennes? La distance entre les Européens et les Russes en termes de politique internationale est-elle encore légitime?

    La Russie est tout à fait fréquentable. La diabolisation infantile à force d’être outrancière, dont elle fait l’objet chez nous, nous ridiculise et surtout la conforte dans une attitude de plus en plus circonspecte envers ces Européens qui ne savent plus penser ni décider par eux-mêmes.

    En 30 ans, la Russie a vécu le pire durant les années 90 puis a entamé sans violence une remarquable reconstruction nationale. Tout n’y est pas parfait, mais pouvons-nous réellement donner des leçons et nous imaginer être encore pris au sérieux après les sommets de cynisme démontrés dans nos propres ingérences étrangères, avec les résultats que l’on sait? C’est là une posture qui sert essentiellement à se défausser, à ne pas aller de l’avant notamment sur les dossiers où nous pourrions et aurions tout intérêt à tendre la main à la Russie: sanctions, Ukraine Syrie, Libye, Union économique eurasiatique (UEE), etc… Sur ce dernier point, il faut nous montrer un peu plus lucides et anticipateurs que sur les Nouvelles Routes de la Soie sur lesquelles nos diplomates ironisaient il y a encore quelques années. L’UE doit se projeter vers l’Union Économique Eurasiatique (UEE) et nouer avec elle de très solides partenariats. Je souhaite de tout cœur que la récente inflexion imprimée par notre président à la relation franco-russe après une sombre et triste période, passe rapidement dans les faits et que nous soyons le maillon fort d’une nouvelle ère collaborative, intelligente et humaine entre la Russie l’Europe.

    La solution diplomatique peut-elle encore jouer un rôle dans le dossier syrien?

    Une solution diplomatique ne peut exister que si l’on a atteint un équilibre militaire acceptable. La Syrie doit d’abord recouvrer son intégrité territoriale. Après les Syriens décideront de ce qu’ils souhaitent politiquement pour leur pays.

    Notre implication a été si humainement et politiquement désastreuse qu’il est possible de prétendre encore pouvoir décider du sort de ce pays à la place de son peuple. Évidemment, la guerre n’est pas finie. Il y a encore des dizaines de milliers de djihadistes fondus dans la population civile d’Idlib. Il y a la Turquie, la Russie et l’Iran qui consolident dans un vaste marchandage leurs influences respectives. Et il y a tous les autres acteurs régionaux et globaux qui cherchent à tirer leur épingle du jeu et à faire oublier leurs méfaits. Nous avons eu tout faux sur le dossier syrien. Je l’ai assez expliqué, démontré et je n’épiloguerai pas. J’en parle abondamment dans mon recueil. Il est trop tard pour pleurer mais sans doute pas pour faire amende honorable, intégrer le processus d’Astana et son actuel dérivé - le Comité constitutionnel en cours de formation à Genève. Cela aussi, nous le devons à l’approche diplomatique inclusive et non idéologique de Moscou, ne nous en déplaise. Essayons, pour une fois, d’être intelligents et d’avancer pour que le peuple syrien sorte au plus tôt de son interminable martyr.

    Caroline Galactéros (Figaro Vox, 9 novembre 2019)

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  • Relations internationales et antagonismes idéologiques...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à l'impact des antagonismes idéologiques dans le champ des relations internationales.

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    Relations internationales et antagonismes idéologiques

    A côté du schéma des relations internationales classique depuis les traités de Westphalie, fondé sur des rapports entre entités plus ou moins souveraines, d’autres facteurs sont régulièrement venus colorer ces relations. On peut citer ici les conflits de civilisations chers à S. Huntington, bien qu’historiquement on trouve peu d’exemples où un conflit significatif oppose ce qu’on peut décrire comme deux aires de civilisation (voir un billet précédent). Même si des différences culturelles profondes ont souvent contribué à renforcer les antagonismes et à les radicaliser : les conflits étaient et sont en général d’abord des conflits entre puissances. Ce n’est que dans le cas de l’Islam que ce terme pouvait acquérir plus de vraisemblance, dans son opposition avec le monde chrétien d’un côté, le monde hindou de l’autre. Mais justement l’Islam est spécifique par l’association étroite qu’il fait entre religion et politique, et donc sa proximité potentielle avec une idéologie politique.

    Cela nous conduit à mettre en lumière une autre type d’opposition, plus caractéristique de l’époque moderne au sens large, qui sont les conflits idéologiques. La guerre froide vient immédiatement ici à l’esprit, mais la seconde guerre mondiale dans une très large mesure aussi ; voire la première, du moins si on prend au pied de la lettre la propagande de l’époque. Comme si, à l’époque démocratique tout particulièrement, il fallait justifier les conflits par autre chose que les simples oppositions de puissance : par des oppositions entre un bien et un mal, moyennant bien sûr simplification éventuellement caricaturale de la réalité. Cette opposition idéologique n’oblitère évidemment pas la dimension de conflit de puissance, évidente dans tous ces cas, mais elle lui donne une caractère et une intensité toutes particulières ; elle peut en outre orienter les décisions prises, du fait de sa logique propre. C’est cette époque qu’on a pu croire un bref instant terminée en 1991 avec la fin de l’URSS.

    Qu’en est-il aujourd’hui ? Apparemment la domination de ce qu’on peut appeler l’idéologie occidentale, est considérable sinon massive : elle donne sa substance au discours international de tout côté, depuis les débats de l’ONU jusqu’aux argumentaires donnés par les faucons américains, en Iraq et ailleurs. Idéologie utilisée abondamment pour justifier des politiques, et notamment des interventions ici ou là, militaires ou non. Mais sans qu’il y ait désormais un adversaire idéologique clair.

    Les tentatives pour dresser une protestation, ou un début d’alternative, sincère ou pas, contre cette idéologie dominante sont timides et locales. C’est même vrai dans le cas de l’islamisme, sous ses différentes formes. Certes il représente un phénomène majeur. Soit comme prétexte à intervention, soit comme boutefeu, il peut jouer un rôle important dans les évènements. Mais il ne se situe pas à ce stade au niveau des grands rapports de force entre puissances, car il faudrait pour cela qu’une vraie puissance l’incarne. Sur la scène internationale il s’exprime en fait surtout sous la forme spécifique du terrorisme, dont la connexion avec de vraies puissances reste limitée. Certes un certain islamisme militant est revendiqué sous des formes diverses et souvent antagonistes par l’Arabie saoudite, l’Iran, et d’autres comme de plus en plus la Turquie. La première répand sa version rigide et extrême de l’Islam, à coups de dizaines de milliards, depuis plus de 50 ans (avec ses amis ou rivaux du Golfe), mais sans fédérer un véritable camp structuré comme tel. L’éventail de ses amis est pour le moins éclectique. Le second a su rassembler et mobiliser les communautés chiites dans un arc traversant tout le Moyen Orient, qui a actuellement le vent en poupe, mais sans sortir de ce cousinage par nature limité. Le chiisme reste fort peu missionnaire. La Turquie, importante comme puissance régionale, est peu suivie comme leader et reste à dominante nationaliste. Dans les faits donc, même si l’idéologie conditionne ces antagonismes et d’autres, le conflit de puissances reste prépondérant au niveau des relations de pouvoir. Reste que la résurgence indéniable de l’islamisme est un fait géopolitique majeur, qui peut l’être plus encore à l’avenir, si elle conduit à une modification suffisante des équilibres internes, et par là des priorités des pays concernés. C’est donc dans la patte humaine des pays musulmans qu’est l’enjeu, avant les relations internationales entre puissances.

    Une autre source majeure d’alternative idéologique, potentiellement plus massive et plus significative, est l’évolution possible de la Chine. Au stade actuel, l’ancien antagonisme entre marxistes et occidentaux ne joue plus de rôle significatif au niveau mondial. Mais la Chine reste fondée sur des principes indéniablement différents et antagonistes de ceux qui constituent la doxa internationale, notamment américaine. A ce stade, cela ne prend pas chez elle la forme d’un programme idéologique conquérant. On peut même avancer que sa situation idéologique interne n’est elle-même pas stabilisée : il est clair que le régime cherche une justification à ce niveau, mais pour réussir il faudrait que cela prenne une forme différente et surtout plus élaborée. Elle pourrait tourner autour de l’idée actuellement latente d’un régime « éclairé », possédant une vision à long terme, qui est dégagée et mise en œuvre par des élites intellectuelles et sociales elles-mêmes sélectionnées à partir du peuple par le tamis du parti : on mêlerait ainsi une certain héritage léniniste plus ou moins maoïste (cher au président chinois actuel) avec des éléments de confucianisme récupéré (l’idée ancienne d’une élite supposée vertueuse au service du peuple, mue par le culte de la moralité publique). Mais la formalisation théorique de cela reste à ce stade limitée et déficiente, et non exportable.

    A ce stade donc la Chine n’est pas mûre pour jouer un rôle international significatif à ce niveau, même si dans son mode d’intervention on voit l’impact de la différence avec les pays occidentaux, notamment dans son indifférence affichée à toute « démocratisation » dans les pays qu’elle aide. Ajoutons que la tradition chinoise séculaire était plus introvertie que messianique ; même si la Chine ancienne avait progressivement assimilé des zones vastes, grâce à son modèle culturel et politique attractif pour ses voisins ou les pays dominés. Mais outre qu’elle n’a plus cette puissance d’attraction à ce stade, sous cette forme cela ne donnerait de réponse que pour les pays de son environnement immédiat, culturellement proches (Japon, Corée, Vietnam) – et ce n’est en rien le cas actuellement. En bref la Chine actuelle commence à faire sentir sa puissance, mais elle rayonne bien plus par son pragmatisme que par son modèle ou ses idées. Elle n’a en outre aucune expérience historique des relations de puissance. Mais le temps travaille pour elle. Et à terme, on ne peut pas exclure qu’elle construise un modèle alternatif plus puissant, idéologiquement rival du modèle américain ou occidental. On peut par ailleurs trouver dans la tradition chinoise ancienne, si elle est quelque peu revisitée, un modèle politique fort, et même des motifs à interventionnisme, y compris sur base moralisante ; ainsi chez Mencius, successeur principal de Confucius, qui justifiait la guerre s’il s’agit d’éliminer des « tyrans » opprimant leur peuple. La situation reste donc mouvante et pourrait nous surprendre.

    D’autres sources encore peuvent émerger à terme long : pensons à une civilisation ancienne comme celle de l’Inde, désormais en voie d’affirmation politique elle aussi.

    Mais il n’est pas inintéressant de considérer un autre cas beaucoup plus d’actualité, quoique bien moins dramatique que les exemples cités : celui des populismes. Bien entendu les mouvements ou personnages classés comme tels sont censés faire partie du monde des démocraties à l’occidentale. En outre, ils sont hétérogènes, et ne constituent ni un front ni même une alliance. Rien ne dessine à ce stade un antagonisme d’ensemble entre eux et les autres régimes se disant démocratiques. Néanmoins la manière dont ils sont perçus, tant par les médias que par la diplomatie de ces autres pays, présente des traits caractéristiques, où la dimension idéologique (en l’espèce de réprobation) est manifestement prégnante : PIS polonais, Orban, Lega de Salvini, Brexiters à la Boris Johnson, personnages comme Trump ou Bolsonaro sont fondamentalement ressentis dans le discours dominant comme des anomalies moralement condamnables, dans leur discours même. On les rapproche parfois même d’un autre réprouvé comme V. Poutine, malgré les différences évidentes – mais justement ce rapprochement est symptomatique. Certes, le phénomène n’en est qu’à ses débuts, et peut faire long feu. Le succès ou l’échec du Brexit, l’avenir politique de D. Trump, l’évolution de l’Est de l’Europe ou de l’Italie seront ici des tournants importants, parmi d’autres. Certes, même si le phénomène subsiste, la possibilité d’un front de tout ou partie de ces dirigeants paraît plutôt improbable à ce stade. Mais on ne pourrait pas exclure qu’une fracture durable s’installe dans la belle unanimité antérieure, colorant alors les relations internationales de façon appréciable, vu l’importance des pays concernés. Le consensus idéologique occidental pourrait se trouver alors fortement altéré.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 4 novembre 2019)

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  • Désastre pour l’Europe, le rapprochement militaire entre Moscou et Pékin s’accélère...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alexis Feertchak cueilli sur Geopragma et consacré au rapprochement de la Russie avec la Chine au détriment de l'Europe. Membre de Geopragma, Alexis Feertchak est journaliste au Figaro.

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    Désastre pour l’Europe, le rapprochement militaire entre Moscou et Pékin s’accélère

    Le président Emmanuel Macron a indéniablement raison de marteler la nécessité d’un dialogue ambitieux avec la Russie. Pour l’heure, il ne s’agit cependant que de mots et d’images fortes, qui ont certes le mérite d’énerver les « néoconservateurs » de « l’Etat profond » – pour reprendre une formule désormais présidentielle – mais qui n’apportent pas le moindre début de commencement de réponse concrète à la question naguère lancée par Mitterrand et Gorbatchev : comment construire une « maison commune » européenne qui contienne Moscou ? Autrement dit, comment faire rentrer politiquement la Russie en Europe alors même que l’Europe demeure dans un état de soumission envers les Etats-Unis qui, eux, continuent follement de définir la Russie comme leur ennemi éternel ? Peut-on imaginer voir cohabiter, sous le toit d’une même maison, deux adversaires aussi résolus ? Certes, on peut attendre de ce rapprochement une avancée sur le dossier ukrainien, mais celle-ci serait plus conjoncturelle que structurelle. Le format Normandie pourrait bien aboutir à une percée diplomatique (tous les acteurs y ont aujourd’hui intérêt), mais les raisons anciennes et profondes de la défiance qui ont conduit à la crise ukrainienne demeureraient intactes.

    Le temps presse pourtant car, entre Moscou et Pékin, les signes d’une relation de plus en plus rapprochée se font sentir. Il ne s’agit certes pas encore d’une alliance, mais, dans un contexte d’antagonisme croissant entre la Chine et les Etats-Unis, plus ce partenariat sino-russe sera solide, moins Moscou disposera de latitude pour faire, le jour venu, un pas vers l’Europe, quand bien même celle-ci le souhaiterait. Autrement dit, si une rebipolarisation du monde (quoiqu’incomplète) se dessine dans les prochaines années et que la Russie s’ancre dans le bloc mené par Pékin, le mur de l’Est, dont la logique aurait voulu qu’il tombât réellement en 1991 pour raccrocher la Russie au continent européen, se reformera pour de bon. Ironie de l’histoire : les Etats-Unis, à force de considérer à tort que le mur n’était pas réellement tombé, pourraient finir par avoir raison. C’est le propre des prophéties de malheur auto-réalisatrices, dont les Etats-Unis se sont fait une spécialité. Comme l’avait prédit John Keenan, pourtant père du concept de containment, l’avancée de l’OTAN dans les années 1990 allait nécessairement pousser les Russes à réagir… L’histoire ukrainienne a montré la justesse de ce raisonnement décrit dès 1998 dans Foreign Policy.   

    Si demain, le mur de l’Est était réellement reconstitué, son tracé serait peu ou prou le même que pendant la Guerre froide, mais le bloc qu’il délimiterait serait différent, puisque son centre ne serait plus à Moscou, mais à Pékin. Raison pour laquelle, à moyen terme, la Russie n’a aucun intérêt à voir se reconstituer de tels blocs. Les Européens sauront-ils le voir ? Mais, même s’ils le voient, sauront-ils quoi faire ?

    Le dernier signal faible de ce rapprochement sino-russe touche – et c’est l’une des premières fois – à un domaine par nature stratégique puisqu’il a trait, indirectement, à la dissuasion nucléaire. La Russie a en effet annoncé cette semaine qu’elle va aider la Chine à développer un « système d’alerte avancée », technologie dont seuls Washington et Moscou disposent depuis les années 1970 et qui permet de détecter et de suivre le tir d’un missile balistique (notamment intercontinental) afin d’avoir le plus de temps possible pour l’intercepter. En pratique, ce système repose à la fois sur des radars particulièrement puissants et sur des satellites d’alerte qui, au moyen de détecteurs infrarouges, peuvent détecter la chaleur dégagée par un missile lors de sa phase propulsée.

    « Nous sommes en train d’aider nos collègues chinois à créer un système d’alerte d’attaque par missile. C’est quelque chose de très sérieux, ce qui va fondamentalement, drastiquement muscler la défense de la République populaire. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a que les États-Unis et la Russie qui disposent de ce type de système », a déclaré Vladimir Poutine. S’exprimant lors de la seizième édition du Club Valdaï, à Sochi, le président de la Fédération de Russie n’a pas donné davantage de précisions techniques sur l’objet de cette collaboration.

    En 1972, l’URSS avait signé avec les Etats-Unis un traité bilatéral encadrant très fortement le développement de systèmes d’interception d’engins balistiques. Poussée trop loin, la création d’un bouclier antimissiles peut en effet affaiblir la dissuasion nucléaire si la « destruction mutuelle assurée » n’est plus garantie ou seulement plus ressentie par tous les acteurs. Le Traité ABM offrait le choix aux deux signataires entre deux protections possibles : la protection d’un site de lancement de missiles (solution choisie par les Américains) ; la protection de leur capitale (solution choisie par Moscou).

    En pratique, le Système d’alerte d’attaque de missile (SPRN) russe se compose de radars d’alerte précoce de nouvelle génération dite «Voronezh» (actuellement installés sur huit sites) qui sont en train de remplacer les radars plus anciens «Dnper» (toujours en service) et «Daryal» (retirés du service en 2011). En matière de satellite d’alerte précoce, la Russie disposerait d’au moins deux « Toundras » lancés en 2015 et 2017, nouvelle génération de satellites de cette catégorie chargés de remplacer les anciens «Oko», dont le dernier exemplaire lancé est hors service depuis 2014. 

    Pour l’interception, la Russie possède aujourd’hui un système anti-balistique A-135 qui remplace depuis 1995 l’A-35 mis en service en 1971. Ce système relativement récent, qui fonctionne en tandem avec le système d’alerte avancée, repose sur un radar de gestion de combat « Don-2N » et sur deux types de missiles. Le premier, le 53T6 (ou Gazelle), est un missile à courte portée (80 km) chargé d’intercepter des missiles balistiques une fois que ceux-ci sont rentrés dans l’atmosphère (autrement dit dans la dernière phase de vol). Le second, le 51T6 (ou Gorgon), est un missile à plus longue portée (350 km) capable d’intercepter des missiles balistiques en dehors de l’atmosphère. Particularité : ces deux types de missiles disposent tous les deux de têtes nucléaires… En matière d’ABM russe, le nucléaire arrête en quelque sorte le nucléaire ou, comme il est écrit dans la Bible, « Satan expulse Satan ». Il y a actuellement cinq sites mettant en œuvre un total de 68 53T6 qui assurent la protection de Moscou. Le 51T6, lui, a été retiré du service, mais les Russes travaillent sur un nouveau système, l’A-235 (ou «Samolet-M»).

    Pour les Russes, le maintien de leur capacité de détection avancée et d’interception est une nécessité stratégique alors que les Etats-Unis se sont retirés du traité ABM (désormais caduque) en 2003, qu’ils déploient progressivement leur propre bouclier anti-missiles aussi bien en Europe de l’Est qu’en Asie et que leurs capacités de frappes stratégiques s’améliorent (systèmes de plus en plus sophistiqués de mirvage des missiles intercontinentaux à têtes nucléaires) et se diversifient avec le développement d’une dissuasion également conventionnelle (planeurs hypersoniques et autres engins à très haute vélocité). Les Chinois eux-mêmes sont en pointe en la matière, comme l’a montré le défilé militaire de la semaine dernière pour l’anniversaire des 70 ans de la République populaire de Chine, avec la mise en avant de missiles balistiques à portée intermédiaire (y compris anti-navires, ce qui représente une menace mortelle pour les porte-avions américains) et le dévoilement d’un planeur hypersonique, le DF-17. Il faut maintenant aux Chinois exceller aussi en matière de détection avancée, ce qu’une coopération avec les Russes leur permettra de faire plus rapidement. Déjà, contrairement aux années 1990, en matière d’exportations, Moscou n’hésite plus à livrer en premier à Pékin ses armements les plus sophistiqués : chasseurs Su-35 et systèmes anti-aériens S-400. Jeté dans les bras des Chinois par Washington, Vladimir Poutine pousse désormais son amitié avec Xi Jinping sur des terrains qui ont trait indirectement à la dissuasion nucléaire. La maison commune européenne, qui aurait pu être construite dans les années 1990, a fait long feu. En la matière, aucun système de détection avancée ne permet d’observer de mise à feu sérieuse, sinon le filet de mots prononcés par le président Macron, qui ne permettent pas, à eux seuls, de calculer une trajectoire réellement ambitieuse.

    Alexis Feertchak

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  • Crise avec les États-Unis : l’Iran « ne se laissera pas faire »...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec Pierre Conesa à propos des relations irano-américaines à la suite de l’attaque récente d’Abqaiq en Arabie saoudite, diffusé le 27 septembre par Sputnik. Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Désormais consultant, il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016) et Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018).

     

                                        

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