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Entretiens - Page 178

  • Chantal Delsol réhabilite le populisme...

    Chantal Delsol, auteur de l'essai intitulé Populisme, les demeurés de l'histoire (Rocher, 2015), était reçu le 12 février 2015 par Martial Bild, dans le cadre du journal de TV Libertés. Elle a évoqué à cette occasion la question du populisme au travers de la rupture entre les élites et le peuple...

     

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  • « Nous ne sommes plus à l’époque où le FN n’était qu’un parti contestataire marginal »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la violence...

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    « Nous ne sommes plus à l’époque où le FN n’était qu’un parti contestataire marginal »

    BHL l’a dit : « L’union nationale, c’est le contraire de la France aux Français. » Après la manifestation du 11 janvier, l’unité nationale semble être de mise. Mais à quoi peut rimer une union nationale lorsque le Front national, premier parti de France aux dernières élections européennes, en est exclu ?

    De même que tout unanimisme est suspect, parce qu’on ne peut jamais ramener à l’unité la diversité des opinions et des aspirations, de même le thème de « l’union nationale » est-il toujours mystificateur, et pour la même raison : il s’énonce dans l’ordre du général, mais c’est toujours au profit d’un particulier. Cela dit, votre question me paraît naïve. Car si l’on parle aujourd’hui d’« unité nationale », ce n’est pas malgré l’exclusion du FN, mais bien au contraire pour la justifier. Bernard-Henri Lévy l’a dit sans fard dès le 8 janvier : « L’union nationale, c’est le contraire de la France aux Français. » Ce n’est donc qu’une reformulation de la thématique du « front républicain » ou, si l’on préfère, la version élégante de la formule « UMPS », en même temps qu’un appel à resserrer les rangs face à la montée d’un parti dont François Hollande n’hésite pas à dire qu’il ne respecte pas les « valeurs républicaines » (comprendre : libérales, atlantistes et « droits-de-l’hommistes »), afin de mieux défendre les privilèges de la classe dominante – au risque, ce faisant, de confirmer que la frontière entre le PS et l’UMP ne correspond plus à rien.

    Le chef de l’État l’a très bien compris, qui se réclame maintenant de « l’esprit de janvier ». Il sait que la marche des Charlie n’a rien été d’autre que la répétition de la grande manifestation anti-FN qui aura lieu au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle si Marine Le Pen se retrouve au second. Cependant, l’idée était dans l’air depuis quelque temps. Le 26 mai 2014, Bernard-Henri Lévy – encore lui – avait déjà appelé, dans Le Monde, à la mise en place d’un « gouvernement d’union nationale ». Bien des hommes politiques rêvent aujourd’hui de la renaissance d’un « grand centre » à la Giscard, qui associerait aussi bien Juppé et Raffarin que Valls ou Macron. C’est une idée dont on n’a pas fini d’entendre parler.

    Et cela peut marcher ?

    Le problème, c’est que nous ne sommes plus à l’époque où le FN n’était qu’un parti contestataire relativement marginal, automatiquement exclu du second tour lors des consultations électorales. Aujourd’hui, non seulement il accède presque toujours au second tour, mais il y accède souvent en tête. La compétition entre les deux partis de gouvernement se joue dès lors dès le premier tour, et non plus au second. Or, cette donnée nouvelle fait en même temps obligation à l’UMP ou au PS, lorsqu’un de ces deux partis est éliminé à l’issue du premier tour, de faire voter au second pour celui qu’il combattait la veille, ce qui déstabilise son électorat, renforce son incrédulité et le convainc plus encore que la formule « UMPS » correspond bien à la réalité. Situation particulièrement inconfortable pour l’UMP, dans la mesure où elle se prétend dans l’opposition. Comment rester crédible quand, après avoir fait campagne contre la « désastreuse politique » du gouvernement, on demande à ses électeurs de voter pour ce gouvernement plutôt que pour le Front ? Adopter la tactique du « ni-ni » (« faire barrage au FN » tout en laissant aux électeurs leur liberté de choix) est à peine plus convaincant. Et c’est ainsi que l’UMP, qui était autrefois accoutumée à siphonner les suffrages du FN, devient maintenant son réservoir de voix.

    Tiraillée en tous sens, l’UMP n’a aujourd’hui plus aucune ligne directrice, et ses consignes deviennent de ce fait inaudibles. Nicolas Sarkozy s’est emparé du parti, mais il ne parvient pas à s’imposer. Son « grand retour » est d’autant plus compromis que les milieux d’affaires misent désormais sur Alain Juppé. Un tel parti est de toute évidence voué à éclater, ou à se désagréger, ce qui devrait faciliter, avant ou après 2017, la recomposition du paysage politique « centriste » autour d’un axe Juppé-Bayrou-Valls-Macron, d’orientation libérale-mondialiste et antipopuliste, dont les modalités restent à déterminer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 10 février 2015)

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  • « Cette culture libertaire du libéralisme est une nouvelle forme d’esclavage »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné à Philitt par Charles Robin. Essayiste, Charles Robin déploie ses travaux dans la lignée du philosophe Jean-Claude Michéa. Il a déjà publié plusieurs essais comme Le libéralisme comme volonté et représentation (The Book, 2013) et La Gauche du Capital (Krisis, 2014). Il est également un contributeur régulier des revues Rébellion, Éléments et Perspectives libres.

     

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    « Cette culture libertaire du libéralisme est une nouvelle forme d’esclavage »

    PHILITT : Vous rejetez les Lumières car vous voyez en elles l’origine du libéralisme. Cependant, les Lumières ont aussi été une source d’inspiration pour les premiers socialistes, notamment Rousseau et Montesquieu. N’est-ce pas paradoxal ?

    Charles Robin : Résumer mon propos sur la philosophie des Lumières et ses liens avec le libéralisme à une position de « rejet » me semble relever, pour le moins, du raccourci philosophique ! Le fait est que le libéralisme, tel qu’il s’est formalisé au cours de l’histoire moderne (et, plus particulièrement, au XVIIIe siècle), s’appuie essentiellement sur cette vision de l’Homme – défendue à l’époque par la plupart des penseurs des Lumières – comme d’un individu rationnel, dont le sens et la finalité ultimes de l’existence se réduiraient à la recherche de l’intérêt. Je vous renvoie, à ce sujet, aux textes de Locke et de Hume (deux figures majeures des Lumières britanniques) qui, dans leurs traités d’anthropologie philosophique, s’accordent à voir dans l’homme « cette chose pensante, sensible au plaisir et à la douleur, apte au bonheur ou au malheur et portant de ce fait intérêt à soi ». Or, c’est de cette définition de l’homme comme être naturellement mu par son égoïsme que le libéralisme entend partir (définition supposée reposer sur l’ « expérience » et l’ « observation des faits ») pour concevoir un modèle de société rendant possible la coexistence pacifique des individus concurrents.

    C’est là qu’interviennent les deux grandes instances de régulation, parallèles et conjointes, du système libéral : le Droit, censé garantir la liberté de tous les citoyens dans le cadre de la loi (je vous rappelle ici que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule que « la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ») ; et le Marché, censé résoudre mécaniquement l’antinomie des intérêts particuliers par un phénomène providentiel d’ « harmonisation spontanée » (je vous renvoie, sur ce point, aux textes fameux d’Adam Smith sur les vertus de la « main invisible » du Marché). On voit donc ici en quoi la philosophie des Lumières, en s’appuyant sur une vision de l’Homme comme être foncièrement « libre », « égoïste » et « rationnel » – aptitudes qu’il ne s’agit, du reste, aucunement de nier ou de minimiser –, a fourni aux théoriciens du libéralisme le matériau anthropologique à partir duquel le modèle d’une société libérale, c’est-à-dire d’une société qui fait de l’égoïsme des individus le moteur unique de son fonctionnement, allait pouvoir prospérer jusqu’à nos jours. Quant à votre remarque sur Rousseau et son apport dans la constitution de la pensée socialiste, je ne peux que vous rejoindre, dans la mesure où je reconnais moins dans l’auteur de L’Essai sur les sciences et les arts un philosophe des Lumières qu’un philosophe contre les Lumières (ses lignes sur la liberté et sur le désir lui vaudraient probablement, aujourd’hui, les plus violentes accusations de « totalitarisme », voire de « fascisme », de la part des descendants intellectuels d’un libéral comme Voltaire, son pire ennemi).

    PHILITT : Rousseau ne s’inscrit donc pas, selon vous, dans le mouvement des Lumières ?

    Charles Robin : En effet, contrairement aux Lumières – qui n’envisageaient la problématique de la liberté que du point de vue de l’individu – Rousseau, quant à lui, voyait essentiellement dans cette dernière une aspiration collective et un projet commun (ce en quoi il représente, selon moi, le dernier penseur véritable du problème politique). Je ne m’étendrai pas ici sur sa notion politique centrale d’ « intérêt général », qui ne pourra que heurter la sensibilité individualiste de tout libéral authentique, qui n’admet, par définition, que le bien-fondé et la toute-puissance du « droit privé ». Daniel Cohn-Bendit n’est-il pas celui qui nous a rappelé, récemment, que la démocratie consistait dans « la défense des minorités contre la majorité » ? Lorsque de telles insolences dialectiques se retrouvent permises, on n’ose à peine imaginer le sort qu’aurait réservé notre intelligentsia libérale à ce pauvre Rousseau !

    PHILITT : Selon vous, le libertarisme est, dès le départ, un élément constitutif du libéralisme. Mais peut-on vraiment mettre Proudhon, Bakounine et Kropotkine dans le même sac que Serge July et Daniel Cohn-Bendit  ?

    Charles Robin :  Il convient d’abord de s’entendre sur le sens des mots. Par l’adjectif « libertaire », j’entends caractériser le discours qui érige la « liberté individuelle » et le « droit privé » au rang de norme politique, sociale et culturelle suprême, et qui, partant, fait de la contestation de toutes les structures et de toutes les normes symboliques et collectives existantes un idéal anthropologique et un impératif pratique. Or, ce qu’il me semble important de noter, c’est que dès lors qu’on redéfinit la liberté comme le droit offert à l’individu de satisfaire sa tendance – supposée naturelle et inévitable – à poursuivre son intérêt et son désir, il est clair que le but atteint n’est pas ce que Marx nommait, à son époque, la « liberté réelle ». C’est, au contraire, la soumission grandissante des individus aux exigences capitalistes de « libération pulsionnelle » et de « satisfaction libidinale », en vue d’une extension indéfinie des sphères de la consommation. Soit l’exact antithèse de la conception des sages grecs de l’Antiquité, qui voyaient dans la liberté cette capacité proprement humaine à la retenue et à la « maîtrise des passions » (ce que les philosophes grecs appelaient la sophrosyne : la tempérance, et qu’ils opposaient à l’hybris : la démesure). On est donc loin, selon ce critère, de ce que notre cher Rousseau appelait, dans ses Lettres écrites de la montagne, un « état libre », dans lequel, disait-il, la liberté de chaque individu est subordonnée à la liberté du groupe !

    Philitt : C’est donc l’illusion de liberté de nos sociétés libérales que vous souhaitez dénoncer ?

    Charles Robin : Oui, le philosophe Dany-Robert Dufour n’hésite d’ailleurs pas à parler, au sujet de cette culture « libertaire » du libéralisme, d’une nouvelle forme d’esclavage, en tant qu’elle fait de l’individu consentant (c’est-à-dire de celui qui a définitivement intériorisé l’idée que le droit et le désir devaient constituer l’unique moteur de tous ses agissements) le complice inconscient de sa propre servitude – celle de son souverain désir. Une servitude objective aux attentes du Marché vécue subjectivement comme une liberté et un droit (d’où l’urgence de réintroduire dans la réflexion philosophique le concept d’ « aliénation »), alors même qu’elle participe de la dépossession des sujets de leur dimension supra-matérielle, celle par laquelle nous pouvons accéder à la sphère, abstraite et immatérielle, du « don » et de la « gratuité » (vérifiable au fait, par exemple, qu’il puisse nous arriver d’agir sans rien attendre en retour). Difficile, dans ce contexte, de déceler une quelconque parenté philosophique entre un tel libéralisme libertaire (expression forgée par Michel Clouscard en 1973, pour lequel, au passage, Daniel Cohn-Bendit représentait déjà l’emblème incandescent), qui fait de l’atomisation des individus et de la promotion de l’idéologie du désir son armement idéologique privilégié, et le socialisme libertaire d’un Proudhon ou d’un Bakounine, qui voyaient dans le lien à autrui – le lien représentant, dans la doxa libérale, la marque caractéristique de la « dépendance » et de la « servitude » – la condition profonde de toute liberté réelle, puisqu’elle conditionne l’existence du groupe. Une idée que le NPA semble décidément avoir le plus grand mal à entendre…

    PHILITT :  Vous faites du NPA l’un des plus grands promoteurs actuels du capitalisme. Or, il s’agit également d’un parti fortement influencé par Daniel Bensaïd, un grand disciple de l’École de Francfort, et où on trouve encore aujourd’hui des intellectuels comme Michael Löwy. Votre analyse ne gagnerait-elle pas à être plus nuancée ?

    Charles Robin : Sans doute ! Mais, comme l’écrivait déjà Günther Anders, « s’il peut y avoir la moindre chance d’atteindre l’oreille de l’autre, ce n’est qu’en donnant le plus de tranchant possible à son propos ». On pourra toujours me reprocher certaines généralisations ou approximations – qui n’en fait pas ? Je réponds que toute théorisation est à ce prix. Or, au-delà des quelques exemples que vous me citez (auxquels, par ailleurs, je souscris en grande partie), je constate une tendance générale à l’œuvre dans le discours politique et « sociétal » du NPA, et des représentants de la « gauche libertaire » en général – dont, par exemple, le philosophe « hédoniste » Michel Onfray a longtemps fait partie –, que je tiens pour infiniment plus influente sur l’air du temps médiatique et le « débat public » (comme l’on doit dire de nos jours) que ne pourraient l’être les réflexions rigoureuses d’un théoricien du mouvement communiste révolutionnaire comme Daniel Bensaïd. Si je focalise mon attention critique sur le cas spécifique de cette « extrême gauche », c’est dans la mesure exacte où celle-ci symbolise, selon moi, le contresens idéologique moderne qui fait obstacle à toute approche pertinente (et, partant, à l’analyse qui en découle) de la question de la domination. En articulant sa lutte contre l’hégémonie capitaliste et l’injustice sociale à une disqualification systématique de toute notion de « norme », d’ « autorité » ou de « limite » (ces notions étant, bien entendu, à définir), l’extrême gauche s’interdit ainsi par avance de défendre les conditions symboliques et anthropologiques d’institution réelle d’une société juste et égalitaire, qui ne peut espérer s’édifier que sur la base d’un « monde commun » – ne serait-ce que celui des règles minimales de la morale commune et de la décence.

    Pour le dire d’une manière simple, on ne peut à la fois s’élever contre la logique de marchandisation et de réification croissantes de l’existence humaine par le libéralisme triomphant (l’exploitation salariale, l’anéantissement des acquis sociaux, l’augmentation du coût de la vie) et encourager, dès que l’occasion s’en présente, la déliaison des individus de toutes les attaches symboliques, culturelles et morales qui empêchent, précisément, la réduction de l’existence humaine à la seule dimension matérielle du désir et de l’intérêt (comme l’œuvre radicale et cohérente du Marquis de Sade l’a brillamment illustré). Si l’on admet cette idée que le capitalisme ne peut espérer se maintenir qu’avec la participation des sujets qu’il englobe et asservit, on doit, du même coup, consentir à l’examen de ce qui, dans nos propres schémas d’action et de représentation, rend encore possible l’emprise sur notre économie, mais aussi sur nos vies, de la domination libérale. Ce qu’on appelle, communément, prendre le mal à sa racine. Et qu’aucun militant anticapitaliste authentique ne saurait, a priori, me reprocher !

    Charles Robin, propos recueillis par Benjamin Fayet (Philitt, 1er février 2015)

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  • Révolution conservatrice d'hier et d'aujourd'hui...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Pierre Saint-Servant pour Novopress et consacré à la Révolution conservatrice.Essayiste et philosophe, Alain de Benoist vient de publier récemment Quatre figures de la Révolution conservatrice (Amis d'Alain de Benoist, 2014) et Le Traité transatlantique et autres menaces (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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    Révolution conservatrice d'hier et d'aujourd'hui

    La Révolution Conservatrice retient depuis plusieurs décennies votre attention. Dans votre dernier ouvrage, vous avez choisi de l’aborder par l’intermédiaire de quatre personnalités, symbole probable de la grande diversité de ce mouvement. Comment définiriez-vous cette Konservative Revolution ?

    Les représentants de la Révolution Conservatrice allemande n’ont que rarement utilisé ce terme pour se désigner eux-mêmes. L’expression ne s’est imposée qu’à partir des années 1950, à l’initiative de l’essayiste Armin Mohler, qui a consacré à cette mouvance un énorme « manuel » (La Révolution Conservatrice en Allemagne, 1918-1932) traduit en France en 1993. Elle désigne couramment ceux des adversaires de la République de Weimar, hostiles au traité de Versailles, qui se réclamaient d’une idéologie « nationaliste » distincte de celle du national-socialisme. Mohler les regroupe en trois familles principales : les jeunes-conservateurs (Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Oswald Spengler, Carl Schmitt, Wilhelm Stapel, etc.), les nationaux-révolutionnaires (Ernst Jünger, Franz Schauwecker, Ernst Niekisch, etc.) et les Völkische, qui sont des populistes à tendance souvent biologisante ou mystique. La Révolution Conservatrice n’est donc pas du tout un mouvement unitaire, même s’il existe entre ses représentants certains points communs. C’est plus exactement une mouvance, qui ne comprend pas moins de trois ou quatre cents auteurs, dont seule une minorité ont été traduits en français. Cette mouvance n’a pas à proprement parler d’équivalent dans les autres pays européens, mais pour ce qui concerne la France, on pourrait à bien des égards la rapprocher de ceux que l’on a appelés les « non-conformiste des années trente ».

    Sous le IIIe Reich, peu de révolutionnaires conservateurs se sont ralliés au régime. Quand ils l’ont fait (comme Carl Schmitt), cela a généralement été pour peu de temps. Certains se sont exilés, quelques uns ont été assassinés (Edgar J. Jung), d’autres sont entrés dans la Résistance, ce qui leur a valu d’être emprisonnés (Ernst Niekisch) ou exécutés (Harro Schulze-Boysen). La plupart ont vécu dans une sorte d’exil intérieur (Jünger) rarement dépourvu d’ambiguïté.

    Si la Révolution Conservatrice reste méconnue en France, n’est-ce pas en partie à cause de la contradiction des termes qu’elle semble contenir ? Les définitions françaises et allemandes des termes « conservateur » et « révolutionnaire » seraient-elles à ce point différentes ?

    En France, le mot « conservatisme » est assez péjoratif. On le tient volontiers pour synonyme de « réactionnaire ». Il en va très différemment en Allemagne, où le mot « droite » est en revanche peu employé. L’association, à première vue surprenante, des mots « conservateur » et « révolutionnaire » témoigne d’abord, d’un point de vue théorique, d’une volonté de conciliation des contraires (c’est au fond l’idée hégélienne d’Aufhebung, de dépassement d’une contradiction). Mais elle répond aussi à l’idée que, dans le monde tel qu’il est devenu, seul un bouleversement général, c’est-à-dire une révolution, permettra de conserver ce qui vaut la peine d’être conservé : non pas le passé, mais ce qui ne passe pas. Arthur Moeller van den Bruck écrit ainsi : « Le réactionnaire se représente le monde tel qu’il a toujours été. Le conservateur le voit comme il sera toujours ». Il ajoute que, par opposition aux réactionnaires, qui ne comprennent rien à la politique, « la politique conservatrice est la grande politique. La politique ne devient grande que lorsqu’elle crée de l’histoire ».

    La confusion sémantique ne s’arrête pas là. Le terme « socialiste » est aujourd’hui utilisé (tant par ceux qui s’en réclament que par ceux qui s’y attaquent) à tort et à travers. Voir l’équipe Hollande-Valls-Macron se réclamer du socialisme est aussi ridicule qu’entendre certains invoquer une « dictature socialiste » pour nommer le désordre libéral-libertaire actuel. Que recouvre le socialisme dont se réclament à la fois Arthur Moeller, Werner Sombart ou encore Ernst Niekisch, au-delà de leurs nuances respectives ?

    Une idée propre à de nombreux révolutionnaires conservateurs est que « chaque peuple a son propre socialisme » (Moeller van den Bruck). Sous Weimar, la notion de « socialisme allemand » est d’usage courant aussi bien à droite qu’à gauche, y compris au sein des organisations nationalistes. Werner Sombart, grand spécialiste de l’histoire du mouvement social et du capitalisme, est d’ailleurs l’auteur d’un livre portant ce titre (Le socialisme allemand, traduction française en 1938). Oswald Spengler parle de « socialisme prussien », c’est-à-dire d’un socialisme porté par l’éthique et le style prussiens, qui rejette d’un même mouvement les valeurs bourgeoises et la « prolétarisation ». Expliquant que Marx a dévoyé le socialisme en l’entraînant en Angleterre, patrie du libéralisme, il affirme qu’il faut maintenant le « rapatrier » dans le pays où « chaque Allemand véritable est un travailleur ». Ces références montrent que pour la Révolution Conservatrice l’ennemi principal est très clairement le libéralisme.

    L’un des riches débats qui animèrent les rangs de la Révolution Conservatrice opposa les tenants d’un « ruralisme », admirateurs de la paysannerie et contempteurs du mode de vie urbain aux partisans d’une prise en main de la technique et de la figure mythique du Travailleur (que contribuèrent à forger tant Jünger que Niekisch). Que peut-on en retenir ?

    C’est en effet l’un des traits qui distinguent les jeunes-conservateurs des nationaux-révolutionnaires. Les premiers, très influencés par l’idée du Reich médiéval, en tiennent souvent pour une société des « états » (Stände) où la paysannerie, lieu par excellence des solidarités organiques et des traditions populaires, joue un rôle essentiel, tandis que les seconds se veulent à la fois plus radicaux et plus « modernistes ». Cela dit, un auteur comme Oswald Spengler n’hésite pas à donner une interprétation « faustienne » de la technique. Le cas d’Ernst Jünger est plus complexe. Son livre sur Le Travailleur (1932), qui oppose à la Figure du Bourgeois une sorte de métaphysique du Travail, est une apologie « titanesque » de la Technique en tant que facteur de « mobilisation totale », mais l’auteur des Orages d’acier reviendra par la suite sur cette façon de voir, notamment sous l’influence de son frère, Friedrich Georg Jünger, auteur dans l’immédiat après-guerre d’un livre très hostile à la technique (Die Perfektion der Technik) que l’on peut considérer comme un ouvrage fondateur de l’écologisme actuel.

    Ce qui frappe dans les portraits que vous dressez, c’est la difficile incarnation politique des idéaux portés par la Révolution Conservatrice. L’extraordinaire fécondité intellectuelle de ce mouvement donne d’autant plus le vertige que ses réalisations politiques paraissent faibles. Qu’en est-il ?

    Il est exact que la Révolution Conservatrice n’a pas réussi à s’imposer politiquement, ce qui est fort dommage, car elle aurait évidemment constitué une alternative positive à l’hitlérisme. Sur le plan politique, elle s’est plutôt manifestée par des activités « ligueuses », des clubs de réflexion, des associations multiples et variées, ce qui n’empêche pas qu’on repère sans peine son influence à l’intérieur du Mouvement de jeunesse (Jugendbewegung) issu de l’ancien Wandervogel, ou à la faveur d’événements ponctuels, comme la révolte paysanne dans le Schleswig Holstein. Mais cela n’a pas suffi à en faire une dynamique de premier plan. Cela s’explique notamment par le fait qu’à quelques exceptions près, les représentants de la Révolution Conservatrice n’étaient pas des politiciens, mais des écrivains et des théoriciens. D’un autre côté, c’est aussi ce qui nous permet de les lire encore aujourd’hui avec profit.

    La Révolution Conservatrice semble trouver des échos inattendus dans la nouvelle critique anti-libérale qui émerge actuellement avec des auteurs tels que Jean-Claude Michéa, Dany Robert-Dufour mais aussi Hervé Juvin, ou encore le jeune Charles Robin que vous avez édité récemment. Que manque-t-il à ce renouveau pour qu’il puisse « faire école » ?

    Disons que certaines thématiques propres à la Révolution Conservatrice resurgissent incontestablement aujourd’hui. Mais on pourrait en dire autant des idées des « non-conformistes des années trente », qu’il s’agisse de Thierry Maulnier, Bertrand de Jouvenel, Alexandre Marc, Robert Aron, Bernard Charbonneau et tant d’autres. Ce qu’il faut, c’est que cette tendance s’amplifie. Au-delà des évolutions individuelles, de plus en plus nombreuses, ce qui me paraît le plus de nature à y contribuer, c’est le fait que l’on voit aujourd’hui s’imposer de nouveaux clivages qui rendent chaque jour plus obsolète le vieux clivage droite-gauche. Le clivage essentiel est désormais celui qui oppose partisans et adversaires de la mondialisation, ou encore le peuple et la classe dominante. La critique du libéralisme peut dans cette optique jouer un rôle fédérateur

    « Droite libérale et gauche sociétale semblent communier dans un même aveuglement », résume Christopher Gérard pour évoquer le récent ouvrage de Paul-François Paoli, Malaise de l’Occident. Vers une révolution conservatrice ? C’est la collusion de ces deux camps que vous démontrez implacablement depuis des décennies. Avez-vous le sentiment que cette compréhension avance ?

    J’ai en effet ce sentiment. Jean-Claude Michéa a joué à cet égard un rôle très important, en montrant (ou en rappelant) l’identité de nature existant entre le libéralisme économique, surtout défendu par la droite, et le libéralisme culturel ou sociétal, surtout défendu par la gauche. La révolution permanente des mœurs ne peut qu’aller de pair avec la libération totale du marché, l’une et l’autre relevant d’une même conception anthropologique, fondée sur l’axiomatique de l’intérêt et sur ce que Heidegger appelle la « métaphysique de la subjectivité ». Un gouvernement associant à la fois Emmanuel Macron et Najat Vallaud-Belkacem en est une illustration frappante. Le fait nouveau est la réapparition « à droite » d’une critique radicale du capitalisme libéral, que je crois aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Elle a l’avantage de faire apparaître l’inconséquence tragique de ces « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse d’éliminer.

    Paoli évoque « la précarité intellectuelle de nos enfants, des adolescents qui n’ont aucun repère et dont la culture historique est très pauvre. » et poursuit : « Le mode de vie consumériste fondé sur la consommation de masse a appauvri ce pays. Il l’a appauvri culturellement et symboliquement ». Pour conclure, ne peut-on pas envisager que si une révolution conservatrice est en germe, elle s’incarne plus dans des modes de vie dissidents (citadelle ou grain de sable) que dans une énième structure politique ?

    Vous avez sans doute raison. Face à un système de l’argent en passe de se détruire lui-même du fait de ses contradictions internes, l’action politique, si utile qu’elle puisse être, trouve très vite ses limites. Se rebeller contre ce système exige d’adopter des modes de vie ou des styles de vie différents, ce qui implique un patient dessaisissement par rapport à l’idéologie dominante, à commencer par le primat des valeurs marchandes. Serge Latouche parle à ce propos de « décolonisation » de l’imaginaire symbolique, formule qui me paraît bien trouvée. C’est à cette condition que l’on pourra voir réapparaître à l’échelon local des « espaces libérés » où la réanimation du lien social permettra l’émergence d’une nouvelle citoyenneté sur la base de valeurs partagées.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Pierre Saint-Servant (Novopress, 4 et 5 février 2015)

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  • École : sans savoirs, pas de «valeurs» ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par François-Xavier Bellamy à l'Opinion et cueilli sur son site Pensées pour le jour qui vient. Normalien et agrégé de philosophie, François-Xavier Bellamy est l'auteur d'un essai intitulés Les Déshérités (Plon, 2014).

    Aussi intéressants que soient les propos de l'auteur, on ne peut que regretter qu'il évite soigneusement d'aborder une question centrale, celle de la part désormais massive d'élèves d'origine extra-européenne dans la population scolaire. Une réalité explosive qui, on peut l'admettre, vient un peu compliquer la réflexion sur la transmission des savoirs et de la culture. A ce titre, la comparaison de la situation actuelle de l'école avec celle de 1870 prête un peu à sourire (jaune)...

     

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    École : sans savoirs, pas de «valeurs»

    Qu’a t-on appris sur l’école à l’occasion des attentats terroristes de début janvier ?

    L’opinion a appris ce que beaucoup d’enseignants savaient déjà : ces événements ont servi de révélateur, ils ont fait apparaître la crispation de beaucoup de jeunes, la difficulté de dialoguer avec eux pour résoudre les tensions autour des questions de religion, d’identité, qui se font de plus en plus vives… Ces difficultés sont souvent occultées dans le débat public, mais elles touchent déjà beaucoup d’établissements. Cette rupture devient glaçante, lorsque des élèves refusent, au-delà de tout désaccord, de s’associer à la simple expression du respect des morts, et lancent en classe de véritables déclarations de guerre.

    N’a-t-on pas découvert aussi l’impuissance des enseignants ?

    Pour parler ensemble, il faut une langue commune… Quand l’école n’a pas transmis aux élèves les moyens de former et de nourrir leur réflexion, ils sont facilement piégés par des raisonnements simplistes, manichéens. Dépourvus de mots, ils sont abandonnés à la puissance des images mises en scène sur le web, qui alimentent ce qu’il y a de plus irrationnel – le complotisme, la fascination pour la violence. Les professeurs sont démunis pour engager avec eux un dialogue raisonné. Ce n’est pas tant le signe de leur impuissance, que celui de l’échec global de l’école… En 2012, une enquête ministérielle comptait 21% de collégiens incapables de « donner sens à une information » ou « d’exploiter des textes même simples. » En 2013, un jeune majeur recensé sur cinq est illettré. Comment s’étonne-t-on encore du résultat ?

    Qu’ont appris, eux, les politiques de ces événements ?

    Peu de choses… Les responsables politiques sont informés depuis longtemps de l’état de l’école. Nous avons tous sous les yeux les statistiques officielles : en 2013, la dernière enquête PISA recensait en France 22% de collégiens en échec, considérés comme incapables de prolonger leurs études et de « participer de manière efficace et active à la vie de la société. » La même année, notre système scolaire est devenu le plus inégalitaire des pays de l’OCDE. Les politiques savent tout cela !

    Que n’ont-ils pas compris ?

    Ils n’arrivent pas à faire le lien entre transmission du savoir et intégration à la vie de la société. Contrairement à ce qu’affirme Najat Vallaud-Belkacem, on ne transmet jamais des « valeurs » : aucune contrainte n’obligera la jeunesse à croire aux valeurs de la République. Cela ne marchera jamais. Ce n’est qu’en apprenant à lire, à écrire, à se situer dans l’histoire, à réfléchir à partir de savoirs communs, que l’on construit son lien à la société. L’école peut bien sûr éduquer, mais seulement en instruisant. Faute de l’avoir compris, elle va devenir de plus en plus coercitive… Le plan proposé par la Ministre ne s’intéresse même pas à la transmission du savoir ; c’est le projet d’une école qui, ayant renoncé à former les élèves, décide de les formater. La stratégie qui consiste à leur faire des cours de morale, auxquels ils devront adhérer sous peine d’être « signalés », est à la fois contre-productive et inquiétante ! Je crois que l’école ne remplira profondément sa mission éducative, sa fonction d’intégration, que par son travail propre, qui est la transmission du savoir et de la connaissance. Sa mission est d’apprendre à lire, écrire, compter, raisonner. Remettons tout à plat pour y arriver.

    De quand datez-vous l’entrée dans ce cycle infernal ?

    J’ai tenté de l’expliquer dans Les Déshérités. L’un des moments décisifs a été le travail de Bourdieu, qui a structuré la formation des enseignants. Il ne fallait pas transmettre notre savoir, nos connaissances, parce que c’était faire violence aux élèves. On retrouve cette vision dans le débat sur la notation, que la Ministre considère comme traumatisante. Ce débat est symptomatique : une génération est en train de détruire l’école par laquelle elle est passée, et qui pourtant ne l’a pas trop desservie… Peut-on sérieusement dire que les millions d’adultes qui ont vécu hier l’expérience de l’apprentissage et de la notation en sont ressortis traumatisés ? Depuis les années 70 pourtant, cette condamnation de la transmission règne sur l’école. Et aujourd’hui, nous nous lamentons des conséquences de nos propres décisions… En refusant de transmettre une culture commune, nous avons suscité la désagrégation que nous constatons maintenant. Et nous n’avons même pas rendu nos élèves plus libres, au contraire : seule la connaissance libère. Tant que l’école renoncera à la transmettre, nous abandonnerons les jeunes à toutes les formes d’oppressions.

    La ministre de l’Education veut une fois encore revoir la carte scolaire, est-ce une bonne idée ?

    Nous passons notre temps à parler d’organisation, de structures, de moyens ; mais nous ne parlons plus jamais du but de l’enseignement. On demande d’ailleurs aux enseignants de faire tout et n’importe quoi : combattre le sexisme, faire de bons citoyens, lutter contre les inégalités et même contre le réchauffement climatique…Bref, on leur demande de réformer leurs élèves pour résoudre tous les problèmes de la société. Il faudrait revenir encore une fois, avec pragmatisme, à la mission première de l’école : transmettre un savoir. Tout le reste procède de cela. Savoir mettre des mots sur ses difficultés évite la violence, apprendre la littérature et la poésie aide à s’émerveiller de l’autre, maîtriser les principes de la biologie conduit à devenir responsable…

    Y a-t-il encore une approche de l’école différente à droite et à gauche ?

    Là encore, le débat ne porte plus que sur les moyens : d’un côté, la création de 60 000 postes supplémentaires et, de l’autre, des bureaux pour les enseignants dans les établissements… Mais qui propose encore une vraie vision de l’acte éducatif, du rôle de l’enseignant, de la valeur du savoir ? Tout cela est bien en-deçà des enjeux. Les responsables politiques sont d’ailleurs très éloignés des salles de classes ; ils passent peu de temps dans les établissements scolaires.

    Que pensez vous des autres idées : distribuer des livrets de la laïcité, faire chanter la Marseillaise ?

    Tout cela sera inutile si on ne se penche pas d’abord sur l’essentiel. En décembre 2005, après les émeutes en banlieues, Gilles de Robien, alors ministre de l’Education, avait expliqué que le premier impératif à en retirer était de remettre au point l’apprentissage de la lecture. C’était pour moi la bonne réaction ; c’est celle qu’il faudrait avoir aujourd’hui. Malheureusement, ce chantier avait été reçu de façon très polémique par les instances pédagogiques, et l’on s’est empressé de le refermer.

    Le retour de l’autorité est aussi prôné…

    Nous assistons à un retournement absolu ! Pendant des années, on a expliqué aux enseignants que l’idée d’assumer une autorité trahissait seulement leurs problèmes psychanalytiques, que l’autorité du maître était une oppression pour les élèves… « Il faut, écrivait Bourdieu, ramener toute autorité pédagogique à sa réalité objective de violence. » Voilà ce qui a structuré la formation des enseignants. Aujourd’hui, on redécouvre subitement la nécessité d’une autorité… mais en restant dans l’ambiguïté : la Ministre demande aux enseignants d’imposer avec autorité les valeurs de la République, tout en organisant en permanence des débats dans la classe. C’est une injonction contradictoire ! A l’école, les élèves ne viennent pas pour parler, pour exprimer leur opinion : lorsqu’ils n’ont encore rien appris, elle se résume à ce qu’ils ont entendu à la maison ou sur les réseaux sociaux… A l’école, ils viennent recevoir les moyens de former une pensée vraiment personnelle, les connaissances qui nourriront progressivement leur liberté de conscience. En cela, le savoir de l’enseignant fait autorité : il fait grandir.

    Les enseignants ne sont-ils pas eux-mêmes réticents au changement ?

    Beaucoup d’enseignants voudraient aujourd’hui réfléchir à ces questions. Il y a des expériences, des initiatives, des méthodes qui fonctionnent, qu’il faudrait savoir reconnaître et mettre à contribution. Mais le débat éducatif reste encore piégé par des crispations idéologiques, et le dialogue avec les enseignants est biaisé par une représentation syndicale faussée.

    Leur faible rémunération alimente-t-elle aussi ce malaise ?

    Il y a d’une manière générale une grande souffrance du monde enseignant, et un sentiment profond de déclassement. Bien souvent, les élèves eux-mêmes perçoivent négativement ce métier. Si les conditions matérielles y contribuent, cela vient d’abord, je crois, du fait que nous avons collectivement perdu le sens de la fécondité essentielle du savoir qui se transmet à l’école.

    Etes vous optimiste ?

    Non ; mais je ne suis pas pessimiste non plus. L’histoire n’est jamais écrite d’avance. Les récents événements nous l’ont révélé, nous sommes à un tournant décisif : la suite maintenant dépend de nous. Notre école peut relever le défi ; elle l’a d’ailleurs déjà fait. Après 1870, elle a démontré sa capacité à rassembler une France exsangue, profondément divisée par un siècle d’affrontements. Mais aujourd’hui comme hier, ce n’est qu’en faisant de l’école un lieu d’apprentissage efficace que nous pourrons redonner à notre pays la possibilité de l’unité, de la paix et de la liberté.

    François-Xavier Bellamy (Pensées pour le jour qui vient, 27 janvier 2015)

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  • « Tous les mouvements de résistance ont fait appel à la violence ! » ...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la violence...

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    « Tous les mouvements de résistance ont fait appel à la violence ! »

    Violence des rues (faits divers de plus en plus sordides), mais aussi violence institutionnelle (le terrorisme d’État est autrement plus mortifère que son homologue « privé »), ou encore violence sociale (licenciements de masse afin de satisfaire les intérêts de l’actionnariat). Peut-on dire que notre société devient de plus en plus violente ?

    C’est très difficile à dire. La violence est de tous les temps, parce qu’elle s’enracine dans la nature humaine. L’homme n’est ni naturellement bon (il serait « corrompu par la société »), ni naturellement mauvais (théorie du péché originel), mais capable à la fois du meilleur et du pire. C’est ce qui le rend à la fois imprévisible et dangereux – les institutions ayant pour raison d’être de le prémunir contre lui-même. En ce sens, la violence est consubstantielle à la dynamique de toute société, qui se doit de la canaliser d’une manière ou d’une autre. Mais il y a bien entendu des périodes plus violentes que d’autres, et aussi des facteurs aggravants. L’urbanisation, par exemple, favorise la violence criminelle parce qu’elle généralise le déracinement et l’anonymat, et qu’elle diminue le sens de l’appartenance et du commun. Mais ce qui augmente aujourd’hui le plus, c’est la sensibilité à la violence. Cela fait partie de la schizophrénie de l’époque : de même qu’on n’a jamais fait autant la guerre que depuis que l’on a proclamé la valeur absolue de la paix, on n’a jamais autant refusé la violence que depuis qu’elle ressurgit partout.

    La violence est fondamentalement polymorphe. C’est pourquoi en parler dans l’abstrait n’a guère de sens. Tout est affaire de contexte. Il ne faut pas oublier non plus que l’agressivité peut se révéler utile dans certaines circonstances, ne serait-ce que pour faire face à un ennemi. C’est ce que Konrad Lorenz avait rappelé dans un livre resté célèbre. Julien Freund et après lui Michel Maffesoli ont eux aussi beaucoup insisté sur l’ambiguïté fondamentale de la violence, qui peut aussi bien être créatrice que destructrice. Schumpeter a également employé l’expression de « destruction créatrice » pour caractériser le processus d’innovation à l’œuvre dans l’activité économique et industrielle (il y voyait même la « donnée fondamentale » du capitalisme). On l’a oublié, parce que nous avons tendance à nous aligner sur la langue anglaise, qui n’a pas de mot pour désigner le sens positif de la violence. Cela n’a pas toujours été le cas. Pascal, dans ses Pensées (n° 498), parle de la « violence amoureuse et légitime ». Maurice Bellet, plus récemment, évoquait la « bienheureuse violence » qui caractérise les fortes personnalités. Le mot latin violentia dérive d’ailleurs de vis, qui signifie tout simplement « vigueur ».

    Pour Georges Sorel, la violence n’est pas à confondre avec la force. Pour Éric Zemmour, il y a aussi une violence légitime, puisqu’il affirme, à propos de la peine de mort, qu’une société incapable de tuer pour se protéger est une société qui meurt. Y a-t-il contradiction entre ces différents points de vue ?

    Politiquement parlant, il est généralement admis que la violence devient légitime lorsqu’il n’existe plus d’autre moyen de s’exprimer. C’est le fondement du « droit à l’insurrection », qui justifie le recours à la violence quand elle est mise au service du tyrannicide ou de la résistance à l’oppression. Mais cela pose le problème de l’attitude que l’on peut adopter face à la tyrannie fondée sur une violence systémique, structurelle ou symbolique. Tous les mouvements de résistance ont fait appel à la violence, tous les mouvements de décolonisation aussi, et ils l’ont souvent fait avec succès. Georges Sorel exaltait la « violence prolétarienne » qui « nie la force organisée par la bourgeoisie et prétend supprimer l’État qui en forme le noyau central » (Réflexions sur la violence). Cet éloge de la violence contre la force peut surprendre, car nous sommes plutôt portés à entendre l’inverse : l’éloge de la force et la critique de la violence. Mais le point de vue de Sorel s’éclaire dès qu’on le met en rapport avec l’opposition entre légalité et légitimité. L’État prétend détenir le « monopole de la violence légitime » (Max Weber), mais il n’est jamais que titulaire d’une légalité qui n’est pas synonyme de légitimité. Face au pouvoir légal, la violence peut devenir légitime.

    « On aurait tort, écrit Michel Onfray, de braquer le projecteur sur les seules violences individuelles alors que tous les jours, la violence des acteurs du système libéral fabrique les situations délétères dans lesquelles s’engouffrent ceux qui, perdus, sacrifiés, sans foi ni loi, sans éthique, sans valeurs, exposés aux rudesses d’une machine sociale qui les broie, se contentent de reproduire à leur degré, dans leur monde, les exactions de ceux qui les gouvernent et demeurent dans l’impunité. Si les violences dites légitimes cessaient, on pourrait enfin envisager la réduction des violences dites illégitimes. »

    Même si le phénomène demeure encore marginal, de plus en plus de Français sont tentés par l’autodéfense. Cette « violence » vous paraît-elle légitime ?

    Tout à fait légitime, mais seulement jusqu’à un certain degré, car l’autodéfense peut aussi déboucher sur la vendetta, qui est le contraire de la justice. En France, les lois qui définissent l’autodéfense me paraissent trop restrictives. Aux États-Unis, elles ne le sont pas assez. La culture américaine est depuis toujours une culture de la violence. Savez-vous qu’entre 1968 et 2012, on a compté aux États-Unis 1,3 million d’homicides par armes à feu, soit plus de victimes qu’il n’y a jamais eu de morts au combat durant toutes les guerres auxquelles ce pays a participé ?

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 janvier 2015)

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