Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entretiens - Page 18

  • Quand Washington accentue sa pression sur Pékin...

    Pour son émission sur TV Libertés, Chocs  du monde, Edouard Chanot reçoit Laurent Michelon pour évoquer avec lui la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine.

    Entrepreneur, Laurent Michelon travaille entre la France et la Chine et est aussi l’auteur d'un essai intitulé Comprendre la relation Chine-Occident - La superpuissance réticente et l’hégémon isolé (Perspectives Libres, 2022).

                             

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Qu’est-ce que la métapolitique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à la Revue des Amis de Jean Mabire et publié sur le site de la revue Éléments. Celui-ci y revient sur les origines et le sens de la notion de « métapolitique », centrale dans l'activité de la Nouvelle Droite.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et, dernièrement, Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023).

     

    Métapolitique.jpg

    Qu’est-ce que la métapolitique ?

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Quand avez-vous découvert la métapolitique ? Le thème vous était-il déjà familier ? Quelle en est aujourd’hui votre conception ?

    ALAIN DE BENOIST : J’ai probablement rencontré le terme pour la première fois dans la seconde moitié des années 1960, mais j’ai oublié dans quelles circonstances. A cette époque, je ne connaissais pas le livre, d’ailleurs très contestable, publié en 1941 à New York par Peter Viereck sous le titre Metapolitics, pour qualifier la culture allemande post-romantique dans une perspective critique. Je n’avais pas lu non plus le livre d’Anthony James Gregor, An Introduction to Metapolitics, paru en 1971. Et bien sûr j’ignorais complètement que c’est au XVIIe siècle que le mot a été employé pour la première fois, en l’occurrence dans un manuscrit intitulé Metapolitica, hoc est tractatus de republica philosophice considerata, aujourd’hui conservé aux Archives historiques du diocèse de Vigevano, près de Pavie, dont l’auteur était le mathématicien et philosophe catholique espagnol Juan Caramuel y Lobkowitz, né à Madrid en 1606.

         J’étais alors au sortir de l’adolescence, et j’étais désireux, pour des raisons que j’ai eu l’occasion d’expliquer ailleurs, de rompre avec l’engagement politique et militant qui avait été le mien durant les années précédentes. Le terme de « métapolitique » est celui qui m’est apparu comme le plus susceptible de tenter de convaincre un certain nombre de mes amis que le travail d’ordre théorique, culturel ou intellectuel, était au moins aussi important que l’action politique au jour le jour. J’ambitionnai alors de créer une école de pensée qui se tiendrait à l’écart des contingences de l’actualité et s’emploierait, de façon collective, à fonder ou refonder un corpus théorique embrassant tous les domaines de la connaissance et du savoir. Le projet était vaste, certes, et non dépourvu de naïveté, mais j’étais déjà bien conscient de la grande difficulté qu’il y a à mener de pair un travail de réflexion et un engagement de type politique. Je voyais bien que les hommes politiques veulent avant tout rassembler, tandis qu’à leurs yeux les idées divisent. Je constatais aussi qu’une transposition d’un programme idéologique en un programme politique impliquait de faire en permanence des concessions auxquelles je n’étais pas disposé : on commence à vouloir défendre les idées de sa stratégie, et l’on finit par ne plus avoir que les idées de cette stratégie.

         Bref, au départ, la métapolitique était tout simplement pour moi synonyme de travail intellectuel collectif. Cela n’a pas toujours été bien compris – ni bien accepté. J’ai eu tort de m’en agacer parfois : les hommes de puissance ne peuvent pas se transformer en hommes de connaissance par un coup de baguette magique ! Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, on ne change pas de casquette à volonté.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Est-ce la fréquentation des écrits d’Antonio Gramsci qui vous a poussé à investir la métapolitique ou bien cet auteur n’a-t-il fait que confirmer votre inclination vers ce champ ?

    ALAIN DE BENOIST : La référence à Gramsci n’a pas précédé, mais au contraire découlé de mon intérêt pour la métapolitique. Mon premier article sur Gramsci, paru dans Valeurs actuelles, date d’octobre 1974 ! Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans les années 1970, j’ai écrit de nombreux articles sur l’articulation de la culture et de la politique. Je m’y employais à cerner la notion de « pouvoir culturel ». J’insistais sur le rôle de la culture comme élément déterminant des changements politiques : une transformation politique forte consacre une évolution déjà intervenue dans les mœurs et dans les esprits. Le travail intellectuel et culturel contribue à cette évolution des esprits en popularisant des valeurs, des images, des thématiques en rupture avec l’ordre en place ou avec les valeurs de la classe dominante. Dans une telle perspective, la conquête d’une position éditoriale, voire la diffusion d’un feuilleton télévisé, ont plus d’importance que les slogans d’un parti. Ma démonstration reposait sur l’idée que, sans théorie bien structurée, il n’y a pas d’action efficace (« il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs »). La Révolution française n’aurait pas eu le caractère qui fut le sien si la voie ne lui avait pas été ouverte par les philosophes des Lumières, on ne peut avoir un Lénine avant d’avoir eu un Marx, même un petit catéchisme présuppose l’existence d’une théologie, etc.

         C’est dans cette perspective qu’il m’est arrivé à plusieurs reprises de me référer à ce qu’Antonio Gramsci a pu écrire à propos des « intellectuels organiques », qu’il chargeait d’exercer un pouvoir culturel susceptible de créer un nouveau « bloc hégémonique ». Sans doute y avait-il là une équivoque. Gramsci, tout attaché qu’il ait été à l’action des intellectuels, n’en avait pas moins été aussi l’un des membres dirigeants du parti communiste italien. En me référant à lui, ne risquais-je pas de conforter la critique selon laquelle les idées n’étaient pour moi qu’un moyen de parvenir à un but proprement politique, au moment même où je disais vouloir me tenir résolument à l’écart de toute préoccupation politique ? Le fait est en tout cas que la Nouvelle Droite a rapidement été caractérisée comme porteuse d’un « gramscisme de droite » dont certains observateurs, en particulier à l’étranger, n’ont pas hésité à faire le cœur de sa doctrine, ce qui m’a proprement stupéfié. Quant aux membres de la classe politique qui se réfèrent aujourd’hui à ce «gramscisme de droite », ils n’ont jamais que cinquante ans de retard – et je peux vous certifier qu’ils n’ont toujours pas lu Gramsci !

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. Selon vous, la métapolitique ne concerne-t-elle que la seule réflexion ou bien a-t-elle des déclinaisons possibles, en particulier politiques ?

    ALAIN DE BENOIST : Certains de mes proches ont pu croire que la « métapolitique » n’était jamais qu’une autre manière de faire de la politique. C’est à mon avis une erreur, mais une erreur qui leur a donné bonne conscience pour céder aux démons de la politique qui n’avaient jamais cessé de les travailler. Pour moi, de même que la métaphysique n’a pas grand-chose à voir avec la physique, la métapolitique se situe sans ambiguïté au-delà de la politique. Joseph de Maistre, en 1814, la définissait comme la « métaphysique de la politique », ce que je ne trouve pas plus satisfaisant. Cela dit, dès l’instant où l’on parle de « métapolitique » et pas seulement de travail intellectuel, quelques explications complémentaires sont nécessaires. Le rapport n’est pas celui de la théorie et de la pratique. S’il y a un rapport entre la métapolitique et la politique, c’est un rapport indirect, consistant dans l’effet de causalité dont j’ai déjà parlé : le pouvoir culturel, lorsqu’il est idéologiquement bien structuré et qu’il parvient à influer sur le Zeitgeist d’une époque donnée, peut avoir un effet de levier par rapport à certaines évolutions ou situations politiques. Pensons à nouveau au rapport entre la philosophie des Lumières et la Révolution française. Mais l’erreur serait de croire que ceux qui font les révolutions sont les mêmes que ceux qui les rendent possibles. En réalité, c’est très rarement le cas. Et lorsque c’est le cas, l’ironie de l’histoire veut que ceux qui s’engagent dans les révolutions qu’ils ont contribué à rendre possibles en soient généralement les premières victimes. En novembre 1793, lors du procès de Lavoisier, Jean-Baptiste Coffinhal, président du tribunal révolutionnaire, proclamait hautement que « la République n’a pas besoin de savants ». Les révolutions manifestent une fâcheuse tendance à dévorer leurs pères, tout aussi bien que leurs enfants (Coffinhal fut lui aussi guillotiné).

         Je crois donc qu’il faut séparer la politique de la métapolitique. Cela ne signifie évidemment pas que la métapolitique ait une supériorité qui en ferait un modèle absolu, ni que faire de la métapolitique empêche de s’intéresser à la politique, de se poser vis-à-vis d’elle, non pas en acteur, mais en observateur. J’ai moi-même écrit constamment sur la politique, qu’il s’agisse de l’actualité politique ou de travaux sur la philosophie politique, les doctrines politiques ou les théories de l’État. Il est bon que certains fassent de la politique, parce que c’est ce qu’ils savent faire le mieux. Un monde uniquement composé d’intellectuels serait tout aussi invivable qu’un monde uniquement composé de fleuristes ou d’électroniciens ! Comme le disait Dominique Venner à la fin de sa vie : « Si vous éprouvez le désir d’agir en politique, engagez-vous, mais en sachant que la politique a ses règles propres qui ne sont pas celles de l’éthique » (Un samouraï d’Occident).

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. La naissance du GRECE fut incontestablement un fait majeur ainsi qu’un outil déterminant de cette pensée. Par quelle volonté arriva-t-elle et quel fut le moteur de son développement ?

    ALAIN DE BENOIST : Le GRECE a été fondé fin 1967 par une trentaine d’amis, étudiants pour la plupart, qui s’étaient connus dans le cadre de la Fédération des étudiants nationalistes (FEN). C’est à mon initiative qu’ils se sont réunis, à peu près au moment où je faisais paraître le premier numéro de Nouvelle École. Un certain nombre ne se sont finalement pas associés au projet, mais d’autres s’y sont ralliés au point d’être toujours là un demi-siècle plus tard ! Le sens de l’acronyme était clair : au-delà d’une évocation symbolique de la Grèce, il s’agissait bien de fonder une école de pensée qui serait un « Groupement de recherche et d’études ». C’est à cette école de pensée que les médias ont donné à l’été 1979 le nom de « Nouvelle Droite », une dénomination qui ne m’a jamais satisfait, mais qui a été consacrée par l’usage.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. D’après vous, Jean Mabire était-il sensible à l’approche métapolitique et quel rôle joua-t-il au sein du GRECE ?

    ALAIN DE BENOIST : Oui, bien sûr. Jean Mabire, qui entretenait avec nous des relations de complicité amicale, et qui vivait alors à Paris (où il a quelque temps habité chez moi), était plus que sensible l’approche métapolitique, qui correspondait à l’une des facettes de son tempérament. Je ne sais plus s’il a été formellement adhérent du GRECE, mais il a participé durant de longues années aux activités de la mouvance qui a très tôt débordé le seul cadre de l’association. Je pense notamment au rôle qu’il a joué aux éditions Copernic, où il a dirigé, à la fin des années 1970, deux collections : « Maîtres à penser » et « Réalisme fantastique ». Il a aussi bien entendu collaboré aux publications apparues à la périphérie du GRECE, à commencer par la revue Éléments, qui paraît toujours.

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. À travers ses essais, ses articles, ses ouvrages historiques et ses critiques littéraires, Jean Mabire faisait-il de la métapolitique, à quel niveau et sur quels thèmes ?

    ALAIN DE BENOIST : Je n’hésiterais pas à dire que tous les livres de Jean Mabire ont eu une portée métapolitique, mais c’est surtout vrai, à mon avis, pour les travaux qu’il a consacrés à la Normandie et au « nordisme », pour ses ouvrages sur la mer, pour Les dieux maudits et pour Thulé, pour des romans comme La Mâove ou des biographies comme celle du « baron fou » von Ungern-Sternberg, et bien sûr pour la formidable entreprise que représenta à partir de 1994 sa série des « Que lire ? » (qui mériteraient d’être aujourd’hui réédités dans la collection « Bouquins »).

    LES AMIS DE JEAN MABIRE. À l’heure des réseaux sociaux et de l’effondrement de la transmission à l’école, la métapolitique a-t-elle un avenir ?

    ALAIN DE BENOIST : Elle a sûrement un avenir, pour la simple raison qu’il existera toujours des poètes, des écrivains, des peintres, des musiciens et des théoriciens soucieux de comprendre leur temps et désireux d’y exercer une influence. Mais il lui faudra s’adapter à des moyens d’expression et de diffusion nouveaux. La montée rapide de la « vidéosphère » (Régis Debray), relayée aujourd’hui par le monde des écrans, l’effondrement du niveau scolaire et de la culture en général, l’apparition de l’intelligence artificielle et le rôle joué désormais par les « influenceurs » dans un monde « archipélisé », gouverné par l’émotion plus que par les idées (la « désidéologisation », pour reprendre un terme récemment vulgarisé par Christophe Bourseiller), en outre menacé par le nihilisme et le chaos, représentent de ce point de vue autant de défis à relever.

    Alain de Benoist (Site de la revue Éléments, 8 avril 2024)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Vers un raz-de-marée nationaliste aux européennes ?...

    Sur Tocsin, Clémence Houdiakova recevait Thibaud Gibelin pour évoquer avec lui les prochaines élections européennes et notamment la poussée nationaliste et identitaire qui s'annonce...

    Diplômé d'histoire et de sciences politiques, professeur au Mathias Corvinius Collegium de Budapest, la plus grande institution privée d'enseignement supérieur de Hongrie, Thibaud Gibelin a publié Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne - Résurgence de l'Europe centrale (Fauves, 2020).

     

                                            

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Le réalisme politique : une école du cynisme ?...

    Le 25 mars 2024, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Antoine Dresse, alias Ego non à l'occasion de la publication de son essai intitulé Le Réalisme politique - Principes et présupposés (La Nouvelle Librairie, 2024).

    Né à Liège, en Belgique, Antoine Dresse a suivi des études de philosophie à Bruxelles. Il anime la chaîne de philosophie politique Ego Non sur YouTube et écrit régulièrement dans la revue Éléments. Avec Clotilde Venner, il a publié À la rencontre d’un cœur rebelle - Entretiens sur Dominique Venner (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

                                            

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • L’agriculture et l’alimentation modernes préparent l’Homme Augmenté...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien consacré à la question agricole, donné par Hervé Juvin à la revue trimestrielle de Paul-Marie Coûteaux, Le Nouveau Conservateur.

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste localiste intitulé Chez nous ! - Pour en finir avec une économie totalitaire (La Nouvelle Librairie, 2022).

    Ferme du futur.png

    L’agriculture et l’alimentation modernes préparent l’Homme Augmenté

    Notre dossier «agriculture, alimentation, santé» est au cœur de votre œuvre, comment l’expliciteriez-vous en quelques mots?

    C’est simple : nous sommes ce que nous mangeons. Le geste de manger est à la fois le plus intime, le plus indispensable et le plus risqué qui soit. D’autant plus qu’il est plus inconscient… Notre corps est fait de ce que nous mangeons, ce qui signifie que la santé de la population passe d’abord par la qualité de la nourriture qui améliore son immunité naturelle à travers les vitamines et les autres éléments nutritifs, notamment ceux des fruits et légumes non industriels. L’histoire montre que ce qui a fait décoller l’espérance de vie et la santé de la population française, c’est d’abord l’hygiène et la nourriture, bien avant la médecine. Faut-il ajouter que la dégénérescence d’une majeure partie de la population occidentale, par obésité, abus de sucre et de graisse, manque d’efforts physiques soutenus, est d’abord un effet de la dégradation des pratiques alimentaires ? Et que l’empoisonnement des eaux, des sols et de l’air par l’agrochimie est une menace sur la santé humaine ? 

    Ce constat est de grande conséquence. L’agriculture consista longtemps à produire. Elle sera de plus en plus une question de santé. Le couple « santé sécurité » est en passe de prendre le pas sur tout le reste – libertés publiques, traditions, préférences individuelles, tout aussi bien aménagement du territoire, protection de la diversité, etc. Quelle démonstration éclatante que le régime de la peur qui s’est mis en place en un tournemain à l’occasion de la propagande vaccinale lors de la prétendue « pandémie » dite de la Covid !

    Vous avez développé dans plusieurs ouvrages le localisme dont vous jugez – nous le pensons nous-mêmes – qu’elle peut apporter bien des solutions aux problèmes contemporains. Pouvez-vous nous dire en quelques mots en quoi elle consiste et surtout en quoi elle répond aux maux du mondialisme?

    Le localisme n’est pas une théorie. C’est une approche politique, économique et sociale, celle d’une transformation radicale de nos modes d’agir.

    Politique ; face à l’Etat totalitaire que l’Union européenne entreprend de mettre en place, rien n’est plus urgent que de refonder nos démocraties en partant de la base, c’est-à-dire des citoyens sur leur territoire. Politique aussi, en ce que l’Etat a la responsabilité de l’aménagement du territoire. Il l’a abandonnée, la multiplication des emplois dans les chambres d’agriculture et autres organismes servant à cacher la réalité : l’industrialisation a détruit 80 % des exploitations en quelques décennies, tandis qu’une écologie punitive chasse les habitants des zones rurales et que les SAFER continuent de privilégier les concentrations de terre, au détriment de l’installation de jeunes agriculteurs. Est-ce un désert que nous voulons voir naître entre les métropoles ?

    Economique ; face au capitalisme totalitaire des monopoles, de l’uniformisation des normes et des lois et de l’étouffement de la liberté d’entreprendre, rien n’est plus urgent que de rendre de l’air aux PME et aux indépendants, de restaurer la concurrence et de valoriser nos atouts territoriaux. En matière agricole aussi, l’Etat doit organiser des marchés libres, ouverts et concurrentiels, sinon, la fiction de marchés déréglementés n’aboutit qu’aux monopoles, aux abus de positions dominantes et aux rentes issues de captations réglementaires dont nous voyons les effets. Les agriculteurs ne sont que les faire valoir des banques, du machinisme agricole et des groupes industriels !

    Social, enfin ; la participation à la décision collective et aux bénéfices d’actions réussies, la satisfaction de voir son travail profiter à son lieu de vie et à sa communauté, le constat que son travail est utile, sont des moyens puissants de corriger ce « gouvernement du désir » par lequel la propagande des entreprises nous enchaîne. A cet égard, le localisme est une pratique, mais aussi une éthique, qui consiste à privilégier partout où cela est possible l’impact positif des décisions individuelles ou collectives pour les entreprises locales, la collectivité rurale, l’environnement local.

    J’ajouterais que le localisme est un projet intégral, en ce qu’il intègre par exemple un travail de fond sur le droit de propriété, sur les brevets, sur l’Intelligence Artificielle et le numérique, sur l’usage des techniques et les libertés fondamentales, sur la médecine et la reproduction, bref, autant de sujets qui échappent largement à ce qui continue de s’appeler la politique, bien qu’elle laisse échapper l’essentiel. J’ai choisi de contribuer à un mouvement informel, en mettant le terme de localisme dans le domaine public et j’ai la satisfaction de le voir largement repris, y compris dans le dictionnaire où il a fait son apparition récemment. M. Dupont Moretti, après la première conférence de presse que nous avions tenue, avec Andréa Kotarac et quelques autres, nous avait fait beaucoup d’honneur en attaquant le localisme, l’assimilant au racisme dans un raccourci pour le moins audacieux.

    Le localisme, au contraire, est un moyen d’intégration ; d’où qu’ils viennent, ceux qui partagent un territoire ont quelques raisons de devoir se parler d’abord, de négocier ensuite, d’agir ensemble enfin. Bien loin d’être repli sur soi, le localisme met la mondialisation à l’endroit, celle-ci signifiant que les excellences et singularités de chaque territoire rayonnent et se font valoir sur un marché mondial. Le champagne de France, le cochon noir ibérique ou la burrata italienne sont des vestiges de cette mondialisation des excellences qui a été sacrifiée au profit de l’industrialisation, de la standardisation et des concentrations industrielles. Des drapeaux bretons dans les stades du Qatar, devant la Maison Blanche ou la Grande Muraille de Chine, voilà le localisme !

    Parmi les maux du mondialisme, il y a une agriculture complètement saccagée, aussi bien dans les pays du Nord, notamment en France, que dans les pays du Sud. Vous êtes député européen, ce qui est un poste d’observation, guère d’action. Si vous étiez Ministre de l’Agriculture, quelles seraient les trois priorités de votre action?

    Votre remarque est pertinente. Le député européen d’un groupe minoritaire, ou non inscrit, est d’abord la justification d’un système qui lui laisse peu de capacité à agir ; voilà pourquoi le mouvement localiste accorde tant d’importance à l’aide au développement d’entreprises ou de filières d’excellence, quand du moins je peux leur faire bénéficier d’une ouverture internationale que j’ai cultivée depuis trente ans.

    Votre question est un peu théorique, car je ne suis pas ministre de l’Agriculture. J’y répondrai néanmoins sans hésiter. D’abord, définir notre modèle. Une nourriture de qualité, vendue à des prix accessibles à tous et rémunérant le producteur, et produite en France ; c’était le modèle gaulliste, il est à l’origine de la modernisation de l’agriculture française dans les années 1960, sous l’égide d’Edgar Pisani, en particulier en Bretagne, région la plus pauvre de France dans les années 1950 devenue l’une des plus florissantes trente ans plus tard, non certes sans effets indésirables. Qu’avons-nous à ajouter ?

    Ensuite, restaurer ce modèle, ou aller vers celui que nous aurons défini. Ce n’est pas l’Etat qui va recréer des exploitations, rétablir les revenus de l’élevage et gérer l’alternance des cultures ou décider de la transition en « bio » ! Mais l’Etat peut déjà supprimer les incohérences, voire les contradictions, de sa politique, notamment des aides (plus de 340 !), créer des incitations positives et décider de sanctions qu’il appliquera pour garantir une saine concurrence. Mais l’Etat peut aussi contrôler plus strictement la conformité des produits importés. Si l’objectif est de stabiliser le nombre d’exploitations et de maintenir une agriculture dite « paysanne », peu industrialisée et dispersée, il faut travailler sur des revenus complémentaires à ceux qui sont assurés par la vente des produits – comme l’entretien des haies, des zones humides, de la biodiversité.

    Si l’objectif est de favoriser les circuits courts et la consommation locale, les cahiers des charges des collectivités et leurs appels d’offre peuvent jouer un grand rôle. Et si la question du niveau des prix et du pouvoir d’achat se pose, la régulation des relations entre producteurs et distributeurs peut appeler à un renouveau des coopératives de producteurs, distinctes des fonctions de conseil et des moyens de la mise en marché. La nouvelle PAC, avec les Plans Stratégiques Nationaux, nous en donne la possibilité, mobilisons-là ! Et n’hésitons pas à employer les techniques disponibles lorsqu’elles vont dans le sens de nos objectifs ; des territoires sains, porteurs de productions diversifiées et moins dépendants de l’extérieur ! L’un des moyens les plus puissants du progrès vers une agriculture saine et durable, c’est l’information du consommateur. Les QR code sont le moyen d’une information intégrale ; que contient le produit, d’où il vient, comment il a été produit ou fabriqué, quels en sont les composants, etc.

    Encore, construire le modèle institutionnel de coopération entre écologie et agriculture. Il faut libérer le Ministère de l’Ecologie de l’influence d’ONG et de Fondations étrangères, comme il faut libérer le Ministère de l’Agriculture de la tutelle d’un syndicat de céréaliers qui prétend abusivement parler au nom de toute l’agriculture ! L’opposition entre les deux n’a pas de sens à long, voire à court terme. Il n’y a pas de territoires divers et vivants sans agriculteurs, il n’y a pas d’agriculteurs sans terres vivantes, sans biodiversité. Et il n’y a pas de puissance agricole dans la dépendance aux fournisseurs étrangers, ni dans l’épuisement de nos terres.

    Enfin, reprendre la main sur l’aménagement du territoire, la santé publique et les échanges internationaux. Au Parlement européen, j’ai eu l’occasion de débattre des accords de libre échange dans la commission du Commerce International. Par hasard, la Commission est présidée par un Allemand ; par hasard, les Allemands sont surreprésentés parmi les fonctionnaires de la Commission en charge du commerce ; par hasard aussi, l’agriculture française est sacrifiée à l’intérêt industriel allemand ; il faut que les agneaux, la poudre de lait et les œufs de Nouvelle-Zélande entrent en France pour que l’Allemagne continue à lui vendre ses machines-outils. Je n’accepte pas une situation où l’indépendance et la sécurité alimentaire de la France sont sacrifiées pour sauver l’Allemagne de ses colossales erreurs, dont l’Energiewende (la fin du nucléaire) est la plus éclatante. Je n’accepte pas un modèle agricole industriel tel que les bénéfices des groupes privés signifient une dépendance toujours plus grande à des fournisseurs étrangers d’engrais azotés, de pesticides, d’OGM et des détenteurs de brevets sur le vivant. L’industrialisation de l’agriculture a pour résultat que nous importons les 3/4 de notre consommation de fruits, le tiers de notre consommation de légumes et, sans cesse, plus de poulets, d’agneaux et de viande.

    La puissance de notre agriculture ne peut être fondée sur une dépendance toujours accrue à des pays extérieurs. La responsabilité des politiques dans l’abandon de l’agriculture nationale est criante. Ici comme ailleurs, les politiques ont abdiqué devant le marché ou ce qui est en réalité la loi des plus forts et d’intérêts étrangers, et laissé faire des mouvements dont ils déploraient en public les conséquences. Qu’il s’agisse des prix qui ne rémunèrent plus le producteur, qu’il s’agisse de l’invasion de produits qui ne respectent aucune des conditions imposées à nos propres producteurs, qu’il s’agisse d’obligations administratives multipliées sans compensation ou indemnisation, les pouvoirs publics et les élus ont laissé s’instaurer un protectionnisme à l’envers ; nous imposons à nos producteurs des contraintes qui ne le sont pas aux produits importés. Dans le domaine alimentaire comme dans celui des migrations, l’intérêt national a dû céder devant un dogme contraire aux réalités les plus éclatantes.

    Les localistes ne sont pas naïfs. Nous faisons face à des intérêts puissants, qui ne sont pas les nôtres et qui sont hostiles à ce que nous reprenions le contrôle de nos propres affaires. Est-ce pourquoi les effectifs de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence), entité performante chargée de traquer les fraudes des entreprises et garante de la qualité sanitaire de nos aliments, sont constamment réduits depuis vingt ans ? Nous les augmenterons fortement, comme ceux des Douanes chargés de contrôler la conformité des produits importés. La santé des Français vaut mieux que le « laissez faire, laissez passer » qui tient lieu de politique.

    Lors d’une conférence devant l’Academia Christiana, vous montriez une certaine angoisse devant ce qu’il est convenu d’appeler la privatisation du vivant. Quels en sont les aspects les plus graves et les conséquences, notamment sur l’agriculture? Vous posiez la question de l’expansion des techniques OGM et NGT, qui permettra à quelques multinationales, comme Bayer ou BASF, de contrôler toute notre agriculture?

     « Qui possède les semences, possède le pouvoir. » Main basse sur la vie, expulsion de ceux qui vivent de la nature qui les entoure : je pourrais résumer ainsi l’une des transformations décisives du capitalisme contemporain, qui s’éloigne de plus en plus du libéralisme.

    Première transformation ; le retour des grandes découvertes. Dans les années 1980, sous l’effet d’une intense pression des entreprises et des cabinets d’avocats spécialisés, l’autorité américaine des brevets reconnaît la brevetabilité des découvertes et non plus seulement des inventions. L’évolution est majeure. Alors que seule l’invention d’une nouvelle technique, d’un nouveau procédé, etc., permettait de déposer un brevet, il suffit désormais d’être le premier à décrire une singularité, un élément, une propriété alléguée d’un organisme ou d’un gène pour pouvoir déposer un brevet et s’assurer ainsi la perception de royalties sur toute exploitation ultérieure de cette singularité ou de cet élément. A titre d’exemple, une université australienne a déposé un brevet portant sur la découverte du lien entre un gène et un cancer du sein ; tout laboratoire qui voudra développer une thérapie sur ce sujet devra payer des royalties à l’Université puisqu’elle exploite sa « découverte ». La démarche reproduit, cinq siècles plus tard, celle qui a permis à l’Europe de parler de découvertes là où il s’agissait de territoires habités, organisés, certains d’un haut niveau de civilisation, comme les Aztéques, les Zulus ou les Incas, mais territoires que les Colomb, Pizarre, Stanley ou Léopold, considéraient terra nullius, « terre de personne », parce que leurs habitants n’étaient pas des Européens.

    La colonisation, pourtant jugée crime contre l’humanité trouve une actualité saisissante dans la colonisation du vivant par les entreprises déposant par milliers des brevets sur leurs « découvertes », ce qui a pour premier effet de privatiser les services des écosystèmes et d’en finir avec les gratuités de la nature – nous sommes tous les colonisés des envahisseurs du vivant. Ce mouvement majeur, passé largement inaperçu, a transformé les entreprises américaines d’abord, dont beaucoup ne sont plus que des gestionnaires de portefeuilles de brevets ; l’entreprise sans usine, dont Nike est le modèle, est née de cette évolution juridique. Il bouleverse ensuite les conditions de l’innovation et de la recherche ; les détenteurs de brevets peuvent protéger leur activité de toute concurrence, lever le seuil d’accès et s’entendre avec d’autres codétenteurs pour former de véritables oligopoles protégés de la concurrence de nouveaux entrants. Une économie de péages voit le jour, voire une économie de rentes. Enfin, et surtout, la brevetabilité du vivant découle de la transformation du droit des brevets ; et des entreprises s’engouffrent dans la brèche, accumulant des milliers de brevets sur tous les êtres vivants de manière à s’assurer ensuite des revenus sur toute exploitation d’espèces sur lesquelles des brevets ont été déposés. A titre d’exemple, une seule entreprise, BASF, possède aujourd’hui plus de la moitié des droits existants sur les génomes des organismes marins !

    Avec des effets redoutables. Le maïs fait l’objet d’hybridations depuis un bon demi-siècle. L’objectif unique était de produire plus et le maïs « amélioré » a perdu sa capacité naturelle à se défendre contre la pyrale, en émettant une molécule qui attirait le prédateur de la pyrale dès qu’elle s’attaquait aux racines. Capacité gratuite, fruit de la coévolution sur des millénaires entre le maïs et deux espèces d’insectes. En même temps, la suppression des haies a fait disparaître les oiseaux, mangeurs des pyrales à l’état de papillons. Et voilà comment la disparition de mécanismes naturels bénéfiques a permis à l’industrie de vendre des pesticides, d’abord, puis du maïs « OGM Bt [bacillus thurigiensis] » breveté produisant une toxine qui tue tous les insectes sensibles à cette toxine – toxine présente dans tous les organes de la plante et donc dans ce que nous mangeons ! Et voilà comment l’extinction des ressources de la nature permet à l’industrie d’y substituer ses produits ! Rappelons par ailleurs que les OGM ou autres NGT ne font pas baisser la quantité de pesticides ou d’herbicides utilisés au contraire ; les données du Brésil et de l’Inde montrent que les résistances développées très vite par les plantes invasives supposent au contraire l’usage plus abondant de ces produits, puis le recours à des composants plus toxiques.  

    Seconde transformation ; le retour du mouvement des enclosures, mouvement d’expulsion de millions d’Anglais de leurs terres, quand les propriétaires ont commencé à interdire aux populations locales de faire valoir leurs droits coutumiers à l’affouage, au ramassage du bois mort, à la pêche ou la chasse et à supprimer the chapter of the forests, contemporain de la Magna Carta (1217) et qui garantissait à toute la population l’accès aux biens communs et aux services gratuits des écosystèmes. Nous vivons à bas bruit le même « mouvement des enclosures » sur l’ensemble du vivant ; l’industrie entend substituer partout ses produits et procédés payants aux gratuités de la nature. Nous payons déjà l’air que nous respirons à travers les diverses taxations du CO2. Les heureux propriétaires d’un jardin devront de plus en plus payer redevance aux semenciers ou aux reproducteurs ; plus question de voir les plants de tomates ou de pommes de terre, les poules ou les lapins, échapper au péage des manipulateurs de gènes ! Et les agriculteurs pris au piège des OGM devront chaque année payer pour utiliser des semences dont ils ne sont plus propriétaires ; les propriétaires des brevets font main basse sur toutes les variétés culturales, rachetant les petites structures propriétaires de semences « naturelles » pour les faire disparaître !

    Ce mouvement est décisif. Nous sommes expulsés du vivant. L’industrie entend s’interposer à travers les brevets déposés, entre chacun de nous et les services gratuits de la nature. Quel plus bel exemple que la Banque du Vivant, créée par le WEF en janvier 2018, qui permet aux sociétés privées de détenir la propriété du génome de toutes les espèces vivantes et de se la répartir sous forme de blockchain, tout en ménageant avec générosité une part de revenus aux territoires dont elles sont issues ! Ou encore, celui de ces sociétés qui proposent de remplacer les abeilles par des drones ! L’extinction totale des abeilles leur ouvrirait un marché de dizaines de milliards de dollars ; allez vous étonner si les abeilles disparaissent !

    Les localistes ne sont pas plus naïfs à ce sujet. Le combat pour la vie est engagé. Il faut saluer le courage et le rôle clé pour notre avenir des paysans et des jardiniers qui continuent d’assurer la culture de plantes dont la commercialisation est interdite et qui prennent le risque de les diffuser, comme les associés de Kokopelli ! Pour gagner leur combat, il faudra dénoncer les brevets ne portant pas sur des inventions et refuser totalement les brevets qui privatisent le vivant, les gènes des plantes, des animaux et des hommes. Et il faudra réactiver les procédures employées contre les cigarettiers, en créant la qualification pénale d’entreprise criminelle pour celles qui ne peuvent ignorer les effets nuisibles pour la santé humaine de leurs produits ou d’un modèle économique, qui produit de la fausse science en achetant la complicité des medias et des dirigeants. La société anonyme ne peut pas disposer d’une irresponsabilité illimitée et la dissolution de sociétés dont les opérations menacent la santé humaine doit entrer dans le droit, leurs actifs venant indemniser leurs victimes.

    Autre point concernant l’agriculture; vous affirmez que, à force d’engrais et de surexploitation des terres, certaines des meilleures terres de France, notamment la Beauce, seront dans vingt ou trente ans improductives, comme stériles; cela signifierait-il, entre autres maux, la fin de notre souveraineté alimentaire, déjà très mise à mal, alors qu’elle était assurée depuis des siècles?

    J’ai cité, dans mon ouvrage Chez nous! Pour en finir avec une économie totalitaire, une déclaration du PDG de Nestlé, géant de l’agroalimentaire, évoquant son inquiétude sur la dégradation des terres en Europe.

    Quelle est la situation ? Depuis la révolution agricole de la mécanisation et de la « chimie verte », les mécanismes de la nature ont été de plus en plus artificialisés et transformés par les engrais, par les pesticides et herbicides, par les apports de toute sorte, des labours profonds aux mutations génétiques. Le résultat est paradoxal ; une partie croissante des terres agricoles est « hors sol ». Nos terres sont ce que l’industrie en a fait. Et elle les détruit. Notre puissance est en danger, car la destruction des terres est une perte de puissance et d’autonomie. Et elle est en cours. L’abus d’intrants, de labours profonds, provoque l’érosion des sols, la perte des vers de terre, des bactéries, des insectes qui font la vie des sols. La monoculture épuise les sols en exploitant la même profondeur, alors que les cultures en mélange ou en rotation utilisent différents niveaux de sol sans en épuiser aucun. Les études ont montré que la diversité des espèces en forêt expliquait la résistance aux maladies, aux évènements extrêmes, en même temps qu’elle augmente la captation de carbone.

     Il faut mesurer l’ampleur de l’artificialisation qui nous met hors sol. Parler d’agriculture, d’alimentation, de santé, c’était parler de modes de vie, de lieux de vie, de relief et de terre – la campagne, et tout ce qui va avec – et c’était parler de ce qui dure. C’est parler de business, de capital investi, de rendement financier et d’entreprises. De brevets, de technique, d’innovation. Oublier la nature, le territoire et la vie. L’histoire veut que les patrons des compagnies pétrolières n’aient jamais vu un derrick ; les agriculteurs de demain n’auront jamais tenu de la terre dans leurs mains. Agriculture, alimentation et santé sont pris à leur tour dans la révolution résumée par Hayek : « Ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur ». Pas de valeur un troupeau sur les Causses, pas de valeur la tomate cueillie à la main, chaude encore du soleil d’après-midi ; pas de valeur, le retour des champs derrière le troupeau qui musarde ; pas de valeur, l’ordonnancement de la campagne française ou de ce qu’il en reste – murets suivant les courbes de niveau, haies sculptant le paysage, palette entière des verts, des jaunes, exaltés par les jeux d’ombre et de lumière dessous les arbres, et pas de valeur non plus pour le bond du lièvre, la charge des sangliers, la veille obsédée du busard. Agriculture, alimentation et santé se réduisent aux prix, au rendement et au chiffre des ventes, rien de plus et rien de moins. Et fruits et légumes se réduisent à un prix au kilo et à un bel aspect – quant à la saveur et au goût… L’alliance de la chimie et du numérique promet à l’exploitant d’oublier la terre comme géographie, relie, exposition – ces artifices oblitèrent lieu et temps ; l’agriculture moderne est hors sol !

    Le projet poursuivi par tous les accords de libre échange est d’en finir avec toute marque ou appellation territoriale. La terre est un actif comme un autre, évaluée selon son rendement à l’hectare et son statut d’investissement refuge, et négociable sur le marché mondial des terres. Et de même, c’en est fini et bien fini du médecin qui connaissait l’histoire de la famille, des maladies d’enfance aux accidents de toute vie, et qui jugeait d’un coup d’œil si « c’est grave, docteur ? » Contre toute l’expérience de l’art médical, le corps humain est pris pour une mécanique comme une autre et la médecine est priée de se plier à sa vocation – devenir le prescripteur des Big Pharma qui lui fournissent de quoi soigner, surtout pas guérir – l’idéal étant le vaccin qu’il faudra refaire sa vie durant, source de revenus inépuisables et prévisibles ! Autant dire qu’il n’y a plus aucun respect de l’être humain dans cette vision, de même qu’il n’est plus question de respect du vivant dans l’agro-industrie. Quant à l’alimentation, qui y voit autre chose que le moyen de soumettre les peuples, selon le fort mot de Kissinger, « On tient les Etats par l’énergie et les peuples par l’alimentation » ? Les commentateurs naïfs ont cru que c’était un constat ; ils n’ont pas compris que c’était un programme, que les multinationales américaines ou chinoises se mettent en demeure de réaliser à travers la concentration, la norme et le droit. Qui croit que le territoire, la tradition ou la liberté ont quelque chose à y voir ?

    Si la première priorité est celle de l’autonomie alimentaire, elle dépend d’abord, sur le moyen et long terme, de terres vivantes et fécondes. C’est pourquoi il est non seulement vain, mais dangereux, d’opposer écologie et puissance. Au moment où plus de 60 % des terres agricoles européennes sont menacées de devenir stériles du fait de mauvaise pratiques culturales, la priorité s’impose : la restauration de la nature, des haies, des zones humides, la protection des sols, le retour de la biodiversité, ne s’opposent pas à la puissance, comme une propagande dictée par les industriels de l’agrochimie le fait accroire, mais elle en est une condition. Ajoutons ce constat ; même si quelques entreprises agricoles issues de la coopération, comme Limagrain, le groupe Avril, etc., ont connu de remarquables succès à l’international, contribué à la balance commerciale de la France et bien servi la puissance de la France dans le monde, cette contribution à la sécurité et à l’autonomie alimentaire est contestable. Plus la France est engagée dans la globalisation et les échanges de marché, plus elle est dépendante d’intérêts qui ne sont pas les siens. Plus la France parvient, dans le cadre des accords de libre-échange et dans les quelques domaines où elle atteint une excellence reconnue, par exemple les vins, à gagner des parts de marché et à s’ouvrir de nouveau marchés, plus elle est dépendante de contre-mesures et plus elle est en danger, puisque toute interdépendance est aussi une dépendance.

    Hervé Juvin (Le Nouveau Conservateur, 24 janvier 2024)

    La suite de cette analyse est à retrouver dans le numéro XII du Nouveau Conservateur.

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • La peur, amie ou ennemie ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'entretien donné à Sylvain Durain sur Tocsin par Piero San Giorgio, à l'occasion de la sortie de son essai Survivre à la peur (Culture & racines, 2024),  et par Laurent Obertone, son préfacier. 

     

                                            

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!