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Entretiens - Page 160

  • Populismes et politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jacques Sapir sur la question du populisme...

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    Populismes et politique

    Alexis Franco – L’essor des discours hostiles aux élites et au système rencontre un écho particulier chez les populations occidentales: que ce soit aux Etats-Unis avec Donald Trump ou en France avec Marine Le Pen, voire aussi chez les partisans d’un Brexit. Pourquoi en sommes-nous arrivés à un tel degré inédit d’opposition entre le peuple et les élites ? Quels exemples l’illustrent le mieux selon vous ?

    La montée du populisme est un phénomène assez ancien, qui traduit une profonde fracture entre le peuple et ce que l’on appelle les « élites ». Cela se manifeste par le fait que ces dites « élites » ne sont plus capables de représenter le peuple. Cette fracture cependant s’enracine dans plusieurs sentiments.

    Il y a, tout d‘abord, le sentiment qui monte dans la population que ses élus, et globalement les milieux politiques, constituent en réalité une « caste » aux intérêts séparés et contradictoires avec ceux de la population. Ce sentiment se nourrit de la pratique d’un « entre-soi », d’un langage condescendant employé à l’égard de qui ne fait pas partie de la « caste ». Il se nourrit aussi des attitudes trop souvent fréquentes au sein des politiques, des collusions évidentes avec le monde des affaires, mais aussi de cette proximité avec ceux du spectacle et du journalisme. Tout cela accrédite donc l’idée que l’on est en présence d’une « caste » au mode de vie particulier et qui vit séparée du reste de la population et qui finit par ignorer la vie réelle de la majorité des ses concitoyens. C’est le schéma traditionnel sur lequel se développe traditionnellement le populisme à travers la représentation de deux mondes opposés : « eux » et « nous ». Cette représentation renvoie, en particulier dans l’imaginaire politique en France, à la coupure symbolique d’avant 1789 entre noblesse et tiers-état. Elle s’articule avec le caractère de plus en plus ouvertement cosmopolite de cette « caste » qui enracine l’idée d’une séparation totale avec le peuple resté lié à la Nation.

    Mais, ce type de représentation n’est pas propre à l’imaginaire politique français. On le retrouve dans de nombreux pays. Il en est ainsi de l’opposition entre un « peuple » travailleur et une « élite » corrompue, que l’on retrouve aux Etats-Unis avec l’opposition entre Washington et « Capitol Hill », assimilé à la noblesse britannique et l’américain moyen qui se représente comme le descendant légitimes des « insurgents ». Il faut savoir que le populisme fait parti de la culture politique des Etats-Unis depuis longtemps. Ce qui semble nouveau, tant dans la cas de Trump que dans celui de Bernie Sanders, c’est que les grands courants de « l’establishement » politique, tant chez les Républicains que chez les Démocrates, ne soit plus capable de canaliser cette dimension populiste.

    Mais, si l’on revient en Europe, il y a quelque chose de nouveau dans la poussée actuelle du populisme. De fait à l’image habituelle des représentations populistes, les « petit contre les gros », est venue se superposer une autre, plus moderne et plus redoutable dans ses effets : celle d’une élite technocratique qui dépossède les électeurs de leur pouvoir et qui conduit le pays progressivement vers la tyrannie. Cette nouvelle image devient aujourd’hui de plus en plus prégnante en Europe depuis maintenant une quinzaine d‘années. Et il y a des raisons bien réelles à cela. De fait, l’événement fondateur de cette représentation a été la confiscation du vote des électeurs français et néerlandais lors du référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen. D’autres cas sont venus renforcer cette représentation et plus généralement le fait que la voix du peuple soit de moins en moins écoutée accrédite bien entendu cette image. C’est ce qui explique la radicalisation des opinions populistes aujourd’hui en Europe.

    Il est aujourd’hui évident que l’Union européenne concentre une large part du ressentiment contre les «élites ». Les partis populistes, d’ailleurs, se positionnent essentiellement en critique ou en opposition radicale à l’UE. Mais, la montée de ces partis s’explique aussi, et il ne faut pas l’oublier, par les dérives anti-démocratiques que l’on observe dans ces différents pays. Le fait que depuis une quinzaine d‘années, en Europe, on puisse associer les dérives anti-démocratiques et la construction européenne a constitué un terreau des plus fertiles au développement du populisme. En un sens, il le rend inévitable.

     

    Alexis Franco – Existe-t-il un dénominateur commun aux « élites » dénoncées partout en Occident, tant sur le plan des méthodes employées que de l’idéologie qu’ils véhiculent ?

    La montée d’un pouvoir à la fois technocratique, en cela qu’il entend substituer des choix « techniques » aux choix politiques, mais aussi oligarchique, ce que l’on constate avec la crise des classes moyennes et l’ouverture de l’écart entre les plus riches et le reste de la population est le grand dénominateur commun des élites modernes. Elles sont fondamentalement oligarchiques dans leurs intérêts, mais elles dissimulent cela derrière un discours qui se prétend fondé en technique, et ce discours est essentiellement d’apparence économique. J’avais identifié cette évolution dans mon livre de 2002, Les économistes contre la démocratie.

    L’abus des techniques dites de « communication » qui ont remplacé dans les grands partis le discours politique (au sens de la définition du bien commun), la collusion entre les politiques dominants et les journalistes, collusion qui va jusqu’à l’intime – que les politiques se mettent en couple avec des journalistes ou qu’ils livrent à pâture leur intimité aux journalistes – constituent les méthodes de cette élite oligarcho-technocratique.

    On revient ici à la critique du libéralisme articulée par Carl Schmitt. Ce qui est en cause c’est la dépersonnalisation de l’action politique. Cette dépersonnalisation conduit à une dépolitisation des sociétés, processus qui porte en lui le germe de leur disparition. Dans les régimes actuels dits de démocratie parlementaire, le pouvoir en apparence n’est plus celui des hommes mais celui des lois. Or, ces les lois ne “règnent” pas ; elles s’imposent comme des normes générales, de manière « technique », aux individus. Dans un tel régime, il n’y a plus de place pour la controverse et la lutte pour le pouvoir et pour l’action politique[1]. Il n’y a plus de place que pour une polarité entre raisonnement que l’on prétend technique et posture morale. On a donc bien cette dépolitisation du politique qui est ressentie comme une agression insupportable par une majorité du peuple car elle vise à lui retirer cette capacité de décider, c’est à dire sa souveraineté. C’est ce qu’une partie des analystes politiques ne comprend pas, parce qu’ils ne comprennent pas la place fondatrice de la souveraineté dans la démocratie. Tel est le thème de mon récent livre Souveraineté, Démocratie, Laïcité[2]. Mais, facteur aggravant, cette dépolitisation se fait sous couvert d’un discours moralisateur, la « posture morale », qui caractérise une large part des politiques depuis la fin des années 1980 et ce que l’on avait appelé la fameuse « génération morale ».

    En réalité, ce système de références n’est qu’une apparence, une idéologie au sens marxiste du terme. Il n’existe que pour masquer le pouvoir – lui bien réel – de ce que j’ai appelé l’élite oligarcho-technique. Cela est devenu manifeste aujourd’hui à de plus en plus de gens. C’est ce qui explique le succès croissant des mouvements populistes. Mais, le sentiment d’avoir été dépossédé du pouvoir démocratique se combine de plus avec un réel sentiment de rage qui provient du fait que ceux qui ont capturé à leur profit la politique, ceux qui ont tiré profit de cette dépossession du plus grand nombre, l’on fait sous couvert de la morale. Il est difficile d’imaginer une situation pire que celle ou un petit groupe commet des actes contraires à la morale mais au nom de cette dernière. L’effondrement politique, mais aussi moral, de ce que l’on a appelé la « génération morale », cette génération devenue politiquement adulte sous Mitterrand dont Hollande est un représentant, ne laisse derrière lui que décombres et désillusions.

     

    Alexis Franco – Si les élites devaient se remettre en question, que devraient-elles changer pour retrouver la confiance du peuple ?

    Il faudrait que ces élites comprennent la nature profonde de ce processus duquel elles participent et qu’elles acceptent de le remettre en cause. Mais, pour cela, il faudrait que ces élites soient disposées à remettre en cause l’idéologie qui légitime leur pouvoir. Il est très peu probable qu’il en soit ainsi. Cela équivaudrait, pour cette classe politique, à « gauche » comme à droite, de commettre un véritable suicide.

    Il faut donc revenir sur ce qui légitime cette dépossession du pouvoir mais aussi cet accaparement inouï de richesses auquel ces élites se livrent, dans une parfaite bonne conscience, sous nos yeux. L’idéologie qui est censée légitimer cela c’est la transformation du projet européen en une religion dont ces élites se sont constituées tout à la fois le clergé et le bras séculier. Des personnages sont ainsi devenus des archétypes, Jean-Claude Juncker pour la Commission européenne, Pierre Moscovici, ou Dijsselbloem. Ils allient en eux tout à la fois l’arrogance de ces élites en train de se transformer en caste, le pouvoir de dire le « dogme » de cette religion associé au pouvoir de décider et de nuire – ce que l’on a appelé le bras séculier – et enfin l’immense accaparement d‘avantages matériels divers et (a)variés qui les qualifie comme membres de l’oligarchie.

    Mais, cette transformation de la construction européenne en une nouvelle religion s’est accompagnée de la prise de mesures qui sont en train de tuer l’Union européenne. Et à cet égard, le rôle de l’Euro a été important. Le fait est aujourd’hui reconnu par des autorités en économie. Lord Mervyn King, l’ancien gouverneur de la Bank of England ou Banque Centrale du Royaume-Uni (de 2003 à 2013), vient de sortir un livre[3] dans lequel il étrille l’Euro et dont le journal britannique The Telegraph a publié des « bonnes feuilles »[4]. On annonce la sortie d’un nouvel ouvrage de Joseph Stiglitz, ci-devant prix Nobel, entièrement consacré au risque que l’Euro fait peser sur l’économie de l’Union européenne[5]. La sortie de ces deux ouvrages est symptomatique. Depuis la crise entre l’Eurozone et le gouvernement grec du premier semestre 2015, les langues se délient, et la parole se libère. Il y a ici une dimension politique, et c’est la question de la souveraineté à laquelle j’ai consacré un récent ouvrage[6], et il y a une dimension économique, celle que traitent King et Stiglitz. Plutôt que de l’admettre, l’élite se jette à corps perdu dans une fuite en avant européiste dont les conséquences seront catastrophiques. Clairement, elle n’est plus capable de remettre en cause sa croyance religieuse. Il faudra donc s’en débarrasser.

    Car, la seule manière de sortir de cette situation pour des dirigeants politiques serait de refaire de la politique, non pas tant sur des sujets que l’on dit sociétaux, piste sur laquelle s’aventure et se perd Nicolas Sarkozy, mais sur le fond : notre rapport à l’UE, le modèle économique et social que nous voulons pour les trente prochaines années, la question des alliances de notre politique étrangère et enfin la question des institutions et de la réintroduction de véritables mécanismes démocratiques. Mais, on doit alors constater qu’il n’y a en France que trois personnes à porter, avec d’ailleurs des différences substantielles entre eux un tel discours profondément politique : Marine le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Jean-Luc Mélenchon. Il sera donc des plus instructif de regarder où montera l’addition de leurs voies au soir du premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Car, ne nous y trompons pas, ces trois candidats, au-delà de leurs désaccords, renouent avec le politique dans leurs discours.

     

    Alexis Franco – Combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ? Quelle pourrait en être l’issue en France ?

    Il est aujourd’hui évident que la fracture entre l’élite, ce que Jean-Pierre Chevènement appelait « l’établissement » et la majorité de la population est un fait politique majeur. On n’a pas assez dit en quoi la victoire du « non » lors du référendum de 2005 avait été un premier soulèvement démocratique contre cet « établissement ». Ce soulèvement, pour être victorieux, peut nécessiter des postures populistes.

    Dans certaines conditions, la légitimité charismatique, qui est au cœur du populisme, permet de revigorer la démocratie. Le principal ennemi de l’Etat démocratique, et des principes de l’ordre démocratique, n’est pas l’Etat réactionnaire, mais bien en réalité l’Etat collusif, cet Etat dominé par la caste oligarcho-technocratique, vers lequel nous nous acheminons depuis maintenant une trentaine d’années. L’Etat démocratique qui allie la légitimité démocratique et la légitimité bureaucratique est traversé par une contradiction assez fondamentale entre ces deux formes de légitimations. L’Etat collusif apparaît – hélas – comme la forme la plus stable en dynamique de ces structures de légitimation, suivi par l’Etat populiste (la combinaison de la légitimité charismatique et de la légitimité démocratique). Pour éviter que l’Etat démocratique ne se transforme en Etat collusif, il faut réintroduire en son sein une dimension charismatique et donc de formes de l’Etat populiste. Cela pose la question du politique et de la politique. Le politique se définit par l’opposition amis/ennemis. Dans la sphère du politique, on est en présence d’affrontements irréductibles qui impliquent alors au sein de chaque camp, des alliances jusqu’au moment où la question définissant l’opposition initiale est tranchée. Dans le domaine de la politique l’expression des diverses sensibilités retrouve ses droits et la présence de désaccords persistant redevient légitime.

    Tel est donc l’enjeu des conflits politiques actuels. On sait qu’au sein du mouvement espagnol PODEMOS, il y a une dimension charismatique évidente. Il convient dès lors de dégager la notion de populisme de ses atours négatifs. Le populisme, au sens des formes politiques renvoyant à la légitimité charismatique, n’est pas la démagogie. Cela renvoie au problème de l’action décisionnelle, l’acte de gouvernement, mais aussi à la question de l’action exceptionnelle qui nécessite justement cette forme de décision.

    Désormais, entre la caste oligarcho-technocratique et ses opposants, la fracture est profonde et irrémédiable. Mais à cela s’ajoute le fait que le pouvoir, Hollande et Valls, est profondément déconsidéré et délégitimé.

    Ce pouvoir peut se maintenir par une combinaison de force répressive et d‘artifices. Il se reposera sur des mécanismes institutionnels (comme le 49-3), tout comme il cherchera à soudoyer certains segments de la société dans une logique clientéliste qui est le pendant de sa nature profonde oligarchique. Mais, il sera sans cesse confronté à des révoltes locales. Nous allons vivre des mois très troublés, mais l’élection présidentielle prendra la nature d’un référendum. Si, du moins, on arrive jusque là.

    Jacques Sapir (RussEurope, 12 juin 2016)

     

    [1] Bellamy R., (1994). ‘Dethroning Politics’: Liberalism, Constitutionalism and Democracy in the Thought of F. A. Hayek. British Journal of Political Science, 24, pp 419-441.

    [2] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Paris, Michalon, 2016.

    [3] King, Mervyn A., The End Of Alchemy: Money, Banking And The Future Of The Global Economy, Londres, Little, Brown.

    [4] http://www.telegraph.co.uk/business/2016/02/28/lord-mervyn-king-forgive-them-their-debts-is-not-the-answer/

    [5] Stiglitz Joseph E., The Euro: And its Threat to the Future of Europe, New Yok, Allen Lane, 2016.

    [6] Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, Michalon, Paris, janvier 2016.

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  • La dernière chance du Système...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux manœuvres du système pour surmonter la vague de populisme qui menace de le submerger...

    Directeur de la revue Krisis et éditorialiste de la revue Éléments,  Alain de Benoist vient de rééditer, chez Pierre-Guillaume de Roux, dans une nouvelle version largement augmentée, son essai intitulé Au de là des droits de l'homme.

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    Alain de Benoist : La dernière chance du Système : tous contre Marine !

    Emmanuel Macron affirme désormais haut et fort qu’il n’est ni de « gauche » ni de « droite ». Cela doit vous faire plaisir, puisque vous ne croyez pas au clivage gauche/droite. Camperait-il sur les mêmes positions que vous ?

    Je dirais plutôt sur des positions symétriquement opposées. L’effacement du clivage droite/gauche qui se dessine « en haut », au sein de la classe politique, n’est en effet que la conséquence logique de l’effacement de ce clivage déjà intervenu « en bas », c’est-à-dire au sein du peuple. « Ce dont la France fracturée a besoin, c’est de social-libéralisme », proclamaient récemment les Gracques, cet aréopage de technocrates qui conseille Emmanuel Macron. Traduction : les partis anti-système et les mouvements populistes accentuant leur emprise, le Système doit resserrer les rangs face à la jacquerie électorale.

    Le seul vrai clivage actuel est en effet celui qui oppose la France périphérique à la France urbanisée, le peuple aux élites mondialisées, les gens ordinaires à la caste, les classes populaires à la grande bourgeoisie mondialiste, les perdants aux profiteurs de la mondialisation, les tenants des frontières aux partisans de l’« ouverture », les « invisibles » aux « sur-représentés », bref ceux d’en bas à ceux d’en haut. Perpétuellement déçus par ce que Jérôme Sainte-Marie appelle la « convergence des politiques publiques menées au fil des alternances, qui traduit la communion des libéralismes, économiques, politiques et culturels, sous le haut patronage européen », plus d’un tiers des électeurs se dérobent désormais au clivage gauche/droite, soit en s’abstenant (ou en votant blanc), soit en apportant leurs suffrages au Front national. Le vent du boulet passant de plus en plus près, les grands partis de gouvernement, qui s’estiment (à juste titre) également menacés, envisagent donc tout naturellement de cesser de se combattre pour sauver les meubles – d’autant que si Marine Le Pen est présente au second tour en 2017, aucun d’entre eux ne pourra gouverner seul s’il finit par l’emporter, surtout si le FN parvient à constituer un groupe parlementaire.

    D’où la rhétorique actuelle en faveur d’une « grande coalition » des partis de gouvernement, c’est-à-dire d’une réunification des libéraux de droite et de gauche, présentée comme la condition nécessaire d’une véritable mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour « redresser la France ». Contre les contestataires et les récalcitrants des deux bords, il s’agirait de réunir dans le même « cercle de raison » (Alain Minc) droite et gauche de marché, partisans de la mondialisation et « réformateurs » de tous poils, « gauche moderne » et « droite réaliste », tous adeptes d’un « social-libéralisme » qu’on essaie aujourd’hui de nous vendre comme la solution d’avenir pour procéder aux réformes. C’est évidemment dans ce contexte qu’il faut situer les rumeurs insistantes faisant état d’un exécutif du genre « Juppé à l’Élysée, Macron à Matignon », l’un et l’autre se rattachant à un courant orléaniste dont la philosophie pourrait se résumer dans ce principe : laissons agir les plus forts et les plus riches, les pauvres et les faibles ne s’en porteront que mieux !

    La conjoncture s’y prête-t-elle ?

    Dans un espace électoral actuellement tripartite, les élections régionales ont déjà constitué la préfiguration de ce que pourrait être le second tour de la présidentielle : tous contre Marine ! Mais la récente élection présidentielle autrichienne est également parlante, qui a vu 86 % des ouvriers voter pour Norbert Hofer, candidat du FPÖ, et les deux grands partis gouvernementaux s’effondrer au profit du candidat populiste dont l’adversaire écologiste ne l’a emporté que d’extrême justesse grâce à des électeurs qui ne l’ont rallié que par défaut. Dans l’un et l’autre cas – et comme ce fut déjà le cas aux référendums de 1992 et 2005 –, c’est à autre chose qu’à un affrontement traditionnel de type gauche/droite que l’on a assisté. En France, un PS au bord de l’explosion et des Républicains sans projet crédible craignent, eux aussi, d’être éliminés à terme comme l’ont été les « noirs » (démocrates-chrétiens) et les « rouges » (sociaux-démocrates) en Autriche. D’où, encore une fois, l’idée de réunir ceux qui pensent à peu près la même chose sur l’Europe, les États-Unis, l’économie, la mondialisation, la libéralisation des capitaux, etc. Ce qui reviendrait à abolir le politique au profit d’une « convergence programmatique » dictée par le monde des affaires et l’expertocratie. L’administration des choses remplaçant le gouvernement des hommes, comme disait déjà Saint-Simon.

    Ce rêve d’« union nationale » ou de « grande coalition », plusieurs pays européens l’ont déjà mis en œuvre. Avec quels résultats ?

    Une étude parue dans L’Expansion en mars 2015 a passé au peigne fin les performances de neuf coalitions gouvernementales depuis 2007. Les résultats sont accablants. En moyenne, la richesse nationale des pays sous coalition a diminué au rythme de 0,2 % par an, tandis que celle de l’ensemble des pays de la zone euro augmentait de 0,2 %. Les pays sous coalition pratiquent, en outre, une politique d’austérité encore plus pesante que les autres pays de la zone euro, politique qui n’a provoqué nulle part un supplément de croissance ou une baisse du chômage. Que ce soit aux Pays-Bas, où une coalition libérale-travailliste est au pouvoir depuis 2012, en Italie lors de l’expérience Monti, en Finlande, en Irlande ou en Suède, pour ne rien dire de la Grèce à l’époque de l’alliance Pasok-Nouvelle Démocratie, les coalitions n’ont nullement permis de mener à bien les réformes annoncées, seule l’alliance CDU-SPD en Allemagne tirant son épingle du jeu.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 7 juin 2016)

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  • La « société ouverte », horizon indépassable de notre temps...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au patriotisme...

    Directeur de la revue Krisis, Alain de Benoist vient de rééditer, chez Pierre-Guillaume de Roux, dans une nouvelle version largement augmentée son essai intitulé Au de là des droits de l'homme.

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    Alain de Benoist : Patriotisme : aimer les siens ne signifie pas qu’il faille détester les autres

    Pour certains patriotes, la ligne de fracture politique se résumerait entre les « nôtres » et les « autres »… Ce concept ne serait-il pas un peu court ?

    Il est surtout équivoque. Veut-on dire que, par principe, il est toujours légitime de préférer les « nôtres », ou que par rapport aux « autres » les « nôtres » ont toujours raison ? Le vieux principe « my country, right or wrong » est souvent mal interprété. Il ne signifie nullement qu’il faut donner raison à son pays même quand il a tort, mais que lorsqu’il a tort il n’en demeure pas moins notre pays, ce qui n’est pas la même chose. En outre, pour admettre que notre pays puisse parfois avoir tort, il faut disposer d’un critère de jugement excédant notre seule appartenance. Faute d’un tel critère, la vérité se ramène à l’appartenance, c’est-à-dire à la pure subjectivité. C’est la conception développée par Trotski dans Leur morale et la nôtre (1938). Ce n’est pas la mienne.

    Sur la préférence, je n’ai en revanche pas d’objection. La commune appartenance nourrit, non seulement chez l’homme, mais aussi chez les autres animaux, un sentiment naturel qui porte à préférer ceux qui nous sont plus proches, qui nous ressemblent et en qui nous pouvons nous reconnaître. Il ne s’ensuit pas que nous devions détester les autres. En règle générale, un homme préfère ses enfants aux enfants des autres. Si son fils est en train de se noyer en même temps que l’un de ses camarades, c’est son fils qu’il cherchera à sauver en premier. Il y a, bien sûr, toujours des exceptions, parfois justifiées, mais elles confirment la règle.

    Le patriotisme n’en est pas moins devenu aujourd’hui, aux yeux de beaucoup, une idée ringarde, digne de cette « France moisie » jadis stigmatisée par Philippe Sollers. Comment en est-on arrivé là ?

    Excellente question. Lactance, qu’on a surnommé le « Cicéron chrétien », disait au début du IVe siècle que « l’attachement à la patrie est, par essence, un sentiment hostile et malfaisant ». Apparemment, il a fait école. Mais comment en est-on arrivé à diaboliser le sentiment naturel de préférence pour les siens ? Esquisse d’une réponse.

    Dans la foulée de l’idéologie du progrès, on a d’abord disqualifié le passé au seul motif que la modernité attribue plus de valeur au présent qu’au passé. Porteur de valeurs et d’exemples révolus, le passé n’a dès lors plus rien à nous dire. Il n’est au pis qu’une erreur, au mieux qu’une annonce imparfaite des catégories modernes. Les grandes idéologies universalistes nous ont ensuite convaincus, d’abord que tous les hommes sont partout les mêmes, ensuite que parmi ces mêmes il y en a quand même qui sont pires que les autres, à savoir les Européens. Cette conviction a ouvert en grand les portes de la repentance : il faut se repentir, voire finalement s’excuser d’exister. Amour de l’autre et haine de soi. Dette infinie à l’égard du reste du monde, rédemption par l’immigration. Comme l’écrit François Bousquet, « le majoritaire est trois fois coupable : en tant que mâle (c’est le procès en misogynie), en tant qu’hétérosexuel (c’est le procès en homophobie), en tant que Blanc (c’est le procès en racisme) ».

    On s’est aussi attaché à discréditer tout ce qui est de l’ordre de la nature, de l’ancrage ou de l’enracinement. Dans son dernier livre, Yann Moix déclare fièrement que « la naissance ne saurait être biologique », car « naître […] c’est s’affranchir de ses gènes [sic] », ce dont ne sont capables que « ceux qui préfèrent les orphelins aux fils de famille, les adoptés aux programmés, les fugueurs aux successeurs, les déviances aux descendances ». « La question se pose de savoir pourquoi une femme devrait préférer ses propres enfants à ceux du voisin du simple fait qu’ils sont biologiquement les siens [sic], alors que tous ont la même valeur morale en tant que personnes humaines », écrit de son côté le philosophe « branché » Ruwen Ogien.

    Enfin, on a désacralisé. Même si elle a finalement été annulée, l’invitation faite au rappeur Black M de venir chanter à Verdun entre dans ce cadre (Prokofiev à Palmyre, Black M à Verdun : deux mondes). Plus remarquables encore sont les paroles prononcées par Najat Vallaud-Belkacem pour justifier qu’on puisse encore chanter « La Marseillaise » : « La Marseillaise est un hymne national tourné vers l’universel [sic]. Sa place au sein de notre école est donc multiple, diverse et variée [sic]. Elle s’appuie sur la voix, l’instrument le plus démocratique qui soit [sic]. » Ce tissu d’imbécillités traduit une véritable contorsion mentale. C’est dans le même esprit qu’on s’applique à représenter les opéras de Wagner avec des mises en scène grotesques, afin de discréditer le contenu idéologique du livret.

    L’antiracisme a aussi joué un rôle…

    Le « racisme » dont on parle aujourd’hui n’a, depuis longtemps, plus rien à voir avec les races. Le terme est devenu un opérateur commode permettant de stigmatiser toute critique dont feraient les frais des minorités dont les revendications s’expriment dans le langage des droits afin de placer la majorité en état de sidération et de la rendre étrangère à elle-même. De la plaisanterie au « harcèlement », tout ce qui est susceptible d’être perçu comme désagréable, déplaisant, humiliant, offensant, par tel ou tel individu à raison de son appartenance à tel ou tel groupe, est considéré comme du « racisme ». On ne cache d’ailleurs pas qu’une définition objective du racisme serait encore de la discrimination : « Une attitude perçue comme raciste par une personne “racisée” doit être considérée comme telle sans discuter. Seules sont légitimes à définir le racisme d’une situation les personnes “racisées” concernées », pouvait-on lire dans un texte récent. Parallèlement, au cinéma, les films de science-fiction ont pris le relais des westerns, parce qu’il n’y a plus qu’avec les extra-terrestres qu’on peut, sans « discriminer », imaginer une lutte sans merci. Le « racisme » en est ainsi venu à regrouper toutes les « phobies » face auxquelles des sensibilités exacerbées exigent des réponses institutionnelles et judiciaires. La loi est plus que jamais appelée à consacrer le sentiment ou le désir. On retrouve là les ravages de la subjectivité.

    Ainsi la figure du nomade, de l’individu hors-sol, désincarné, qui n’est « déterminé » par rien et se crée librement lui-même, s’est-elle peu à peu imposée, tandis que la « société ouverte » s’imposait comme l’horizon indépassable de notre temps.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 25 mai 2016)

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  • Les journalistes entre manipulation et bonne conscience...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un excellent entretien de Claude Chollet, président de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique avec Ingrid Riocreux, universitaire et auteur du remarquable essai intitulé La lanue des médias - Destruction du langage et fabrique du consentement (Toucan, 2016).

     

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  • Terrorisme : la France est toujours une cible !...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Xavier Raufer, réalisé le 13 mai 2016 par Martial Bild et Élise Blaise pour TV Libertés, dans lequel il fait un bilan d'étape six mois après les attentats de Paris. Il regrette l'absence en France d'un service efficace de lutte contre le terrorisme...

     

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  • Un manifeste contre l’idéologie des droits de l’homme...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien, réalisé le 10 mai 2016 par Martial Bild pour TV Libertés, avec Alain de Benoist, à l'occasion de la réédition de son essai Au-delà des droits de l'homme (Pierre-Guillaume de Roux, 2016), dans lequel il s'attaque à l'idéologie des droits de l'homme qui constitue un instrument de domination mais aussi de nivellement et d’uniformisation  au service du système global...

     

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