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Entretiens - Page 161

  • Piero San Giorgio rencontre Eric Werner...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien de Piero San Giorgio, théoricien (et praticien) suisse du survivalisme, avec le philosophe et essayiste Eric Werner. Penseur qu'il est indispensable de lire, Eric Werner est, notamment l'auteur d'essais tels que De l'extermination (Thaël, 1993 ; Xénia, 2012), L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) L'après-démocratie (L'Age d'Homme, 2001), Douze voyants (Xénia, 2010) et de recueils de courtes chroniques incisives et profondes comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). il a dernièrement publié Le temps d'Antigone (Xénia, 2015).

     

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  • Vous avez dit diversité ?....

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la diversité...

     

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    « Diversité ? Le choix entre libéralisme de droite et libéralisme de gauche, Pepsi ou Coca »

    À l’heure où les médias dominants nous assomment de « diversité », il suffit de voyager un peu pour constater que c’est plutôt l’uniformité qui règne en maître. Paradoxe ?

    C’est vers 2007, sous l’influence d’une mode venue des États-Unis, que le terme de « diversité » (sous-entendu : « d’origine ») a commencé à recouvrir le champ sémantique de ce qu’on appelait auparavant les « minorités visibles ». Quand on dit, par exemple, que la 41e cérémonie des César a « sacré la diversité », il faut entendre que les minorités y ont été mises à l’honneur (sauf quand elles étaient évoquées de façon non conformiste, ce qui explique que l’excellent film de Jacques Audiard, Dheepan, n’ait pas obtenu la moindre récompense) aux dépens de la majorité. C’est dans le même esprit que Delphine Ernotte, nouvelle présidente de France Télévisions, a pu déclarer voici quelques mois qu’« on a une télévision d’hommes blancs de plus de cinquante ans et ça, il va falloir que ça change ». En d’autres termes, il faut promouvoir les races-qui-n’existent-pas en faisant disparaître celle qui n’a pas le droit d’exister. Comme nous sommes dans une société de type orwellien, on comprend du même coup que la promotion actuelle de la « diversité » vise en réalité à la faire disparaître.

    Une autre façon de procéder est de mettre en place un faux-semblant de pluralité, assorti d’une fausse liberté de choix. Prenons à nouveau l’exemple de la télévision : il y a toujours plus de choix puisqu’il y a toujours plus de chaînes, mais comme elles disent toutes plus ou moins la même chose, le choix est en réalité inexistant. On pourrait faire la même observation à propos des partis politiques, qui emploient presque tous des mots différents pour délivrer le même message, à savoir qu’il n’y a qu’une seule société possible. On a le choix entre le libéralisme de droite et le libéralisme de gauche, comme on a le choix entre L’Express ou Le Point, Total ou Esso, Pepsi ou Coca.

    L’uniformisation des modes de vie est elle-même impliquée par l’expansion planétaire du marché et la nécessité inhérente au système de l’argent de poursuivre à l’infini le processus de mise en valeur du capital. La diversité n’y est donc tolérée que sur fond d’uniformité concrète et d’universalité abstraite. La société tout entière se transforme en machine à fabriquer du Même.

    Et la diversité culturelle ?

    La diversité culturelle est le constat qu’il existe des cultures différentes. Or, depuis deux millénaires, toutes les doctrines universalistes visent à nous persuader que les hommes sont fondamentalement les mêmes. Sécularisées à partir du XVIIIe siècle, ces croyances aspirent à l’arasement de ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs », à la suppression des frontières et au gouvernement mondial. L’image de l’homme qu’elles véhiculent est celle d’un homme hors-sol, délié de toute forme d’appartenance et d’enracinement, qui ne serait gouverné que par des références abstraites (les droits de l’homme) et des mécanismes sociaux impersonnels (le contrat juridique et l’échange marchand). L’idée générale est qu’il faut détruire les cultures et les peuples, c’est-à-dire précisément la diversité, en favorisant l’hybridation et le « métissage » généralisé comme idéaux normatifs d’un vaste dispositif d’uniformisation. Il y a là une allergie aux différences, à l’altérité réelle, qui fait songer au « monotonothéisme » dont parlait Nietzsche.

    Claude Lévi-Strauss, pour qui la civilisation impliquait la « coexistence de cultures qui offrent le maximum de diversités entre elles », disait déjà en 1955, dans Tristes Tropiques : « L’humanité s’installe dans la monoculture ; elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. » Nous en sommes là, à une époque où toute culture qui prétend ne pas s’aligner sur le modèle dominant est régulièrement présentée comme « archaïque », scandaleuse ou menaçante.

    Au-delà de ce qui se passe chez les humains, il y a aussi la biodiversité, c’est-à-dire la diversité des vivants. Or, là aussi, les nouvelles ne sont pas rassurantes ?

    En 3,8 milliards d’années, cinq extinctions massives de toutes les formes de vie ont eu lieu sur Terre. La dernière en date, celle du Crétacé-Tertiaire, il y a 65 millions d’années, a vu la disparition de près de 80 % des espèces de l’époque (dont les célèbres dinosaures). Plusieurs millions d’années sont nécessaires pour recouvrer une diversité biologique suite à une extinction massive. Or, de l’avis unanime des spécialistes, nous sommes entrés actuellement dans la sixième phase d’extinction de masse du vivant.

    L’activité humaine ne cesse d’accélérer le rythme d’extinction des espèces, qui est aujourd’hui au moins cent fois supérieur au rythme naturel. Les grands animaux sont massacrés, les écosystèmes durablement pollués, les habitats de nombreuses espèces détruits, la surexploitation, le productivisme et la déforestation faisant le reste. D’ores et déjà, près de 41 % des amphibiens, 26 % des mammifères et 13 % des oiseaux sont menacés d’extinction. Au rythme actuel de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’espèces anéanties chaque année, nous aurons éliminé d’ici à la fin du siècle plus de la moitié des espèces animales et végétales de la planète, jusqu’à atteindre le seuil fatidique de 75 % d’espèces disparues, au-delà duquel on peut parler d’extinction de masse. Et nous en subirons les conséquences car, étant donné que les espèces ne vivent pas côte à côte, mais en interaction les unes avec les autres et avec leurs milieux, il existe un lien systémique entre les écosystèmes et la biosphère. Ce qui revient à dire que nous dépendons de la biodiversité. En nous attaquant à elle, c’est nous-mêmes que nous mettons en danger.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 1er mars 2016)

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  • « La classe dominante a perdu son hégémonie intellectuelle »...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au rôle des intellectuels...

     

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    « Les intellectuels sont aujourd’hui souvent plus proches des réalités concrètes que les élites mondialisées… »

    En France, les intellectuels ont toujours été critiqués : prompts à couper les cheveux en quatre, à sodomiser les mouches et à verser d’un totalitarisme à l’autre, ils font souvent figure d’idiots inutiles. Ce constat vous semble-t-il injuste ?

    Il est surtout très bête. Qu’ils soient professionnels ou artistes de la pensée et du savoir, les intellectuels sont comme les fleuristes ou les garagistes, les plombiers ou les médecins : il y en a des bons et des mauvais. Certains écrivent des sottises, d’autres disent des choses profondes dont on ferait bien de s’inspirer. Encore faut-il les lire, ce qui exige un minimum de curiosité et d’intérêt pour les idées, sans même parler des facultés cognitives, que beaucoup sont loin de posséder (en règle générale, plus ils sont idiots, plus ils détestent les intellectuels). Dans le passé, des théoriciens ou des « intellectuels » comme Alexis de Tocqueville, Hippolyte Taine, Georges Sorel ou Gustave Le Bon, pour ne citer que ceux-là, me paraissent avoir plutôt bien supporté l’épreuve du temps. Pour l’époque contemporaine, il en va de même de Louis Dumont, de Jean Baudrillard ou de Jean-Claude Michéa. Mais il est vrai qu’il y a encore, paraît-il, des gens qui n’ont jamais lu Michéa. Je trouve cela consternant.

    Ce qui est vrai, c’est que depuis Émile Zola, Julien Benda et Jean-Paul Sartre, le statut des intellectuels a changé. Ils ne sont plus aujourd’hui les porte-parole des sans voix, les directeurs de conscience ou les grandes autorités morales qu’ils furent autrefois. L’Université, qui fut le lieu d’où la plupart d’entre eux s’exprimaient, a elle-même perdu son prestige. Les intellectuels courent alors le risque, soit d’accepter de venir jouer les chiens savants sur les plateaux de télévision, soit de se réfugier dans l’entre-soi des colloques académiques où ils ne rencontrent plus que leurs collègues. Mais le rôle des idées reste aussi important qu’hier. Sans une théorie cohérente pour l’appuyer, l’action politique n’est qu’un navire sans gouvernail. La révolution copernicienne, la révolution kantienne, la révolution libérale ont eu plus d’effets dans l’Histoire qu’aucune révolution politique.

    Dans le cadre de la campagne contre les « néo-réacs », on vient de rééditer le livre de Daniel Lindenberg, « Le Rappel à l’ordre ». Mais rien n’y fait : alors que Pierre Moscovici peine à vendre 500 exemplaires de son livre, ce sont les ouvrages de Michel Onfray, Éric Zemmour ou Michel Houellebecq qui s’envolent en librairie. C’est le triomphe des « réacs » ?

    Rappelons qu’à l’origine, le livre de Daniel Lindenberg était un travail de commande qui a permis à Pierre Rosanvallon de régler ses comptes au sein de l’intelligentsia. Lindenberg déclare aujourd’hui que « la pensée réactionnaire a largement gagné la bataille des idées » – ce qui prête d’ailleurs à sourire, car ce n’est pas parce que la gauche n’a plus rien à dire que la droite réactionnaire a cessé d’être, en matière d’idées, en état d’encéphalogramme plat !

    La nouveauté est ailleurs. Dans le passé, c’est un fait que beaucoup d’intellectuels s’en tenaient à des spéculations abstraites pendant que les politiques se confrontaient à la réalité (vieille opposition de l’éthique de conviction et de l’éthique de responsabilité). Curieusement, c’est aujourd’hui plutôt l’inverse. Comme l’écrivait récemment Jacques Julliard, « le gouvernement a pris à son compte l’antiracisme, cependant que les intellectuels réfléchissent sur les impasses de cet antiracisme ». Bien des intellectuels sont aujourd’hui plus proches des réalités concrètes et du peuple réel que les élites dominantes appartenant à la bourgeoisie mondialisée. C’est pour cela que leurs livres se vendent. Et c’est pour cela qu’on essaie de les enfermer dans le ridicule fourre-tout des « nouveaux réacs », alors que beaucoup viennent de la gauche, sinon de l’extrême gauche, et n’ont nulle intention de la quitter.

    Mais ce qui est vraiment nouveau, c’est que la classe dominante, non seulement reconnaît qu’elle a perdu son hégémonie intellectuelle (« l’anti-politiquement correct est devenu la norme », écrit Nicolas Truong dans Le Monde), mais n’hésite plus à endosser le costume de la bien-pensance (Laurent Joffrin, à la une de Libération : « Oui, on est “bien-pensants”, et alors ? »). Finie la transgression, à nous les discours de curé ! Les nouveaux inquisiteurs sont plus que jamais devenus des employés de l’« Espace Bien » (Philippe Muray). Rien ne témoigne mieux de ce grand retournement idéologique que l’extraordinaire article de Jean-Loup Amselle, paru dans L’Obs en novembre dernier, qui déclarait voir dans le succès de Zemmour ou Onfray la revanche de la « plèbe intellectuelle » sur les normaliens sortis de la rue d’Ulm avec des accents de petit marquis puant le mépris de classe. Ajoutez à cela qu’au premier tour des dernières élections régionales, 22 % des professions intellectuelles supérieures ont voté Front national. C’est aussi un fait nouveau.

    Que peut-on encore attendre des intellectuels dans les prochaines décennies ?

    On peut en attendre ce qu’on en a attendu de tout temps : la possibilité d’acquérir une conception du monde (afin de lui faire dire sa vérité) et de se structurer idéologiquement. Un intellectuel digne de ce nom est quelqu’un qui s’efforce de comprendre et de faire comprendre le moment historique que nous vivons. Il est en effet toujours difficile d’être contemporain de son présent. Le travail d’idées nous aide à prendre de la distance. Il nous aide à raisonner et à penser par nous-mêmes, à déceler les lignes de fond qui se dessinent sous la poussière d’insignifiance de l’actualité, à lire les signes avant-coureurs de ce qui vient.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 20 février 2016)

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  • « La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretiendonné par Périco Légasse au Figaro Vox pour évoquer la crise profonde qui secoue le monde agricole en France. Critique gastronomique de Marianne et défenseur sincère de l'enracinement et des identités régionales, Périco Légasse est l'auteur d'un savoureux Dictionnaire impertinent de la gastronomie (François Bourin, 2013).

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    Périco Légasse : «Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent»

    LE FIGARO. - La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques?

    Périco LEGASSE. - Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.

    N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même: on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée?

    Personne n'a donc vu venir le danger? C'est étonnant...

    Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.

    Et s'il pose trop des questions, ou manifeste trop sa colère, c'est que, non content d'être assisté, il succombe aux sirènes du Front national.

    La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites?

    De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. «Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons» … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.

    L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer?

    Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.

    Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.

    Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame?

    Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.

    Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre?

    On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire «Voici mon œuvre» est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.

    Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse?

    Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!

    Et en projetant un peu plus loin?

    De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet «classes du goût», créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer.

    Périco Légasse, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 19 février 2016)

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  • Une cise de l'identité française ?...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la crise identitaire française...

     

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    « La vraie question c’est : « Qu’est-ce qu’être français ? », non pas : « Qui est français ? » »

    La question identitaire, souvent évacuée du débat politique, n’en finit plus de hanter les esprits. Mais quid de la définition de cette dernière ? Quelle est la part de la culture, de l’ethnie ou de la religion ?

    À une époque où, comme le dit Alain Finkielkraut, un nombre croissant de Français sont « cloués au pilori médiatique parce qu’ils réclament le droit à la continuité historique », on parle en effet de plus en plus d’identité – et ce n’est pas bon signe. Quand l’identité va de soi, personne ne se pose la question de savoir en quoi elle consiste. Quand on commence à le faire, c’est que l’identité est sérieusement dégradée ou déjà perdue.

    Il ne faut jamais oublier que l’identité n’est pas ce qui ne change jamais, mais ce qui définit notre façon de changer tout en restant nous-mêmes. Souvenons-nous aussi que l’identité d’un individu a toujours plusieurs facettes : identité nationale certes, mais aussi identité linguistique et culturelle, identité professionnelle, identité sexuelle, identité religieuse, identité politique ou philosophique, etc. Celle de ces facettes que nous tenons pour la plus déterminante, et qui détermine de qui nous nous sentons le plus proche (si je suis de gauche, me sens-je plus proche d’un Français de droite ou d’un Allemand de gauche ? Si je suis chrétien, me sens-je plus proche d’un Français athée ou d’un catholique sénégalais ?), n’est évidemment pas la même pour tout le monde.

    Autre point capital : l’identité n’est jamais une donnée immédiate, elle ne se manifeste que par la médiation d’une culture. Or, une culture ne vaut que par sa créativité, faute de quoi elle n’est qu’une tradition postiche. Comme l’écrit le philosophe Philippe Forget, « un peuple n’exprime pas son génie parce qu’il est doté d’une identité, mais il manifeste une identité parce que son génie l’active […] Un peuple s’affirme par l’excellence de ce qu’il fait, par l’éclat de ses formes de vie, bien plus que par sa conformation obstinée à un seul modèle d’être. » Au cours de son histoire, la France n’a elle-même cessé de changer, mais elle est restée la France parce qu’à chaque étape de cette trajectoire, le peuple français a su renaître à lui-même à partir de sa manière d’être. Restituer de l’identité ne signifie donc pas reproduire le même contenu ou s’en remettre à la réception passive de formes héritées. Une histoire qui se réduit à la mémoire ou au culte du passé traduit un génie qui dégénère. Si l’identité se ramène à une incantation, au petit musée portatif des grands événements et des héros du passé, elle devient inévitablement résiduelle, fossile, voire tout simplement fantasmée.

    À propos, vous êtes favorable à la déchéance de la nationalité ?

    Dans les circonstances actuelles, certainement pas. Les discussions de ces dernières semaines l’ont bien montré : déchoir de leur nationalité des gens qu’on ne peut expulser n’a aucun sens. Plutôt que de s’interroger sur la façon d’enlever la nationalité française à ceux qui la possèdent, on ferait mieux de débattre de la façon dont elle doit être attribuée.

    Et la sortie de Nadine Morano, citant (approximativement) de Gaulle pour dire que la France est une « nation de race blanche » ?

    De Gaulle est mort depuis bientôt un demi-siècle. Nadine Morano aurait été plus crédible si elle avait parlé au passé.

    Mais, en fin de compte, c’est quoi, être français ?

    J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire lors de précédents entretiens. La bonne question est : « Qu’est-ce qu’être français ? », et non pas : « Qui est français ? » Me dire Français n’explicite pas le style qui me définit comme tel. En toute rigueur, est Français celui possède une carte d’identité de citoyen français. Vous me direz, bien sûr, que beaucoup de « Français de papiers » ne se sentent pas du tout français. Sans doute, mais c’est tout aussi vrai de nombre de « Français de souche », dont l’identité nationale n’est tout simplement pas la composante de leur identité qui leur paraît la plus importante. Au demeurant, on peut être Français et n’aimer ni l’île Saint-Louis, ni le mont Saint-Michel, ni Jeanne d’Arc, ni Georges Brassens, ni le camembert ! On peut être Français sans se sentir tenu d’aimer la France. On peut être Français et préférer l’Irlande à la France. Et on a aussi le droit d’être misanthrope ! Les Français qui ne sont pas républicains, enfin, ne sont pas moins français que ceux qui ne sont pas royalistes. Être Français, ce n’est pas adhérer à des principes ni à des valeurs (fussent-elles « républicaines »), mais reconnaître une appartenance qui s’inscrit ou est appelée à s’inscrire dans l’Histoire.

    Le problème ne commence que lorsque l’on fait primer sur l’appartenance nationale une autre appartenance, nationale ou communautaire, censée rendre la première caduque ou inopérante. C’est le cas de certains immigrés qui, bien que détenteurs de la nationalité française, se sentent en fait Algériens, Syriens ou Sénégalais. Mais c’est aussi le cas des nationalistes corses qui, à tort ou à raison, affirment qu’il existe un peuple corse distinct du peuple français – et une nation corse distincte de la nation française – et qui ne se considèrent donc français qu’administrativement. Dans ce dernier cas, cependant, la distinction de la citoyenneté et de la nationalité, synonymes dans la tradition française mais disjointes dans bien d’autres pays, pourrait permettre de résoudre le problème (les Corses deviendraient des citoyens français de nationalité corse). Cela vaut aussi pour nos compatriotes ultramarins, dont Marion Maréchal-Le Pen rappelait récemment, à juste titre, qu’ils étaient Français avant que les Savoyards et les Niçois ne le deviennent.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 16 février 2016)

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  • Attentats de Paris : où en est l'enquête ?...

    Vous pouvez ci-dessous découvrir un entretien avec Xavier Raufer, réalisé le 13 février 2016 par Martial Bild et Élise Blaise pour TV Libertés, dans lequel il dresse un bilan de l'enquête. Mauvaises pistes, négligences, erreurs politiques, et déni de réalité, un constat implacable et alarmant...

     

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