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Entretiens - Page 101

  • Le bel avenir de la géopolitique...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Olivier Zajec au site Comprendre Les Enjeux Stratégiques et consacré à la géopolitique. Saint-Cyrien, agrégé et docteur en Histoire des relations internationales, Olivier Zajec est maître de conférence à l'université Lyon III, où il dirige l’Institut d’études de stratégie et de défense, et enseigne également la géopolitique à l’École de Guerre. Il a notamment publié  Nicholas John Spykman - L'invention de la géopolitique américaine (Presses universitaires de la Sorbonne, 2016) et  Introduction à l'analyse géopolitique (Rocher, 2016).

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    Le bel avenir de la géopolitique

    Comment en êtes-vous venu à la géopolitique, puis avez-vous choisi d’orienter votre enseignement vers cette discipline ?

    Je suis venu à la géopolitique par l’histoire (maîtrise puis agrégation), avant de choisir la science politique comme enseignant-chercheur, à l’issue de ma thèse.

    Plus j’enseigne la géopolitique et les Relations internationales, que ce soit à mes étudiants de master à Lyon 3, ou aux officiers dans les écoles de guerre, en France comme à l’étranger, et plus le socle historique m’apparaît comme indispensable.

    En règle générale, les géopoliticiens qui ne se préoccupent que d’économie ou de science politique – pour ne rien dire de ceux qui ont un agenda purement idéologique – ont tendance à privilégier les dynamiques par rapport aux inerties, même inconsciemment.

    La géopolitique est l’art de pondérer ces deux forces, en tenant compte des conditionnements culturels et spatiaux.

    L’histoire, qui donne l’intuition de la longue durée, de ce qui est « lent à couler, à se transformer », comme l’écrivait Braudel, est donc l’une des ancres référentielles majeures de la géopolitique.

    Il n’y a pas d’analyse socio-spatiale utile sans prise en compte de la longue durée.

    Pour comprendre notre monde, où s’entremêlent sans cesse passé et présent, mémoires et espoirs, coopération et compétition, peut-être vaut-il mieux lire René Grousset que Robert Kaplan.

    Vous avez consacré votre thèse à Nicholas Spykman. Sa pensée ou à tout le moins sa méthode d’analyse sont-elles toujours utiles aujourd’hui ?

    Spykman est un personnage assez fascinant. De nombreux auteurs de géographie politique le classent parmi les géopoliticiens « matérialistes », uniquement préoccupés de quantification des facteurs de force, en particulier militaires, et obnubilés par les déterminismes liés à la localisation des acteurs étatiques.

    Tous les manuels répètent ce topos. C’est malheureusement une perspective complètement faussée, qui montre à quel point l’historiographie des concepts et théories géopolitiques est parfois mal connue en France, malgré les travaux récents de Martin Motte, de Pascal Vénier, de Florian Louis, de Philippe Boulanger et d’autres auteurs.

    L’originalité de Spykman réside en premier lieu dans sa formation sociologique, laquelle prend racine dans la thèse de doctorat qu’il consacre à la sociologie de Georg Simmel en 1923, et qui fut lue avec profit dans l’entre-deux guerres par de nombreux sociologues, philosophes et spécialistes de relations internationales, parmi lesquels le jeune Aron, comme je l’ai montré dans une biographie publiée en 2016.

    Cette culture sociologique, fondée sur une intégration fonctionnelle des interactions, des distances et du conflit, contribue à faire de Spykman un cas singulier chez les politistes et les « géopoliticiens » de l’entre-deux guerres : « Je suis, répétera-t-il souvent, un théoricien social, l’un de ceux qui adaptent un peu de leur théorie sociale dans le domaine des relations internationales… »

    Spykman, en raison de son éducation au regard sociologique, sera de fait l’un des rares pionniers des Relations internationales à penser le mot relations au même titre que le mot international.

    C’est extrêmement moderne, presque constructiviste, et cela se passe à la fin des années 1920 !

    La géopolitique de ce globe-trotter polyglotte est en réalité une géo-sociologie, une modélisation socio-spatiale qui fait la différence entre l’aspect quantitatif de la force, et l’aspect qualitatif de la puissance.

    Son concept de « rimland », par exemple, privilégie l’équilibre à l’opposition. Contrairement à ce que répètent les manuels à ce propos, c’est Mackinder, beaucoup plus que Spykman, qui inspire le containment de la Guerre froide.

    Spykman est mort prématurément en 1943. En quoi est-il utile dans le monde multipolaire qui est déjà le nôtre ?

    D’abord, par sa méthode. Pour lui, la géostructure demeure bien la plus permanente des réalités de la politique internationale.

    Mais il est également le premier, des décennies avant la Critical Geopolitics, à faire reposer sa théorie des Relations internationales sur un socle « social ». C’est d’une géopolitique interstitielle et contextualisée de ce type dont nous avons aujourd’hui besoin, me semble-t-il. La géopolitique n’est pas une « science » déterministe.

    C’est une méthode d’approche des conditionnements de la scène internationale.

    Elle nous suggère des modèles, plutôt que de nous imposer des lois. C’est cette approche dont Spykman a été le pionnier négligé.

    Redécouvrir la géopolitique à travers son regard est extrêmement enrichissant.

    Par quels autres auteurs, anciens ou actuels, avez-vous été marqué ?

    Bien entendu, en matière de géopolitique, il faut connaître et redécouvrir les « classiques » : Ratzel, Mackinder, Mahan, Haushofer, pour s’apercevoir tout à la fois de la richesse de leur pensée (les Allemands, Ratzel surtout, ont été caricaturés) mais également… de leurs limites. Mahan n’est pas très profond, il a beaucoup emprunté.

    Mackinder a un regard qui embrasse les continents et brasse les époques, mais son anglo-centrisme outré lui fait exagérer la dichotomie terre-mer d’une manière excessive.

    Les auteurs les plus intéressants, anciens ou nouveaux, sont pour moi ceux qui se situent généralement aux marges de la géopolitique.

    Par exemple le sociologue Robert Park et son concept de Human Ecology, l’approche d’économie géographique de l’économiste Paul Krugman, ou le travail pionnier et extrêmement pénétrant réalisé sur les frontières par le géographe Michel Foucher.

    Pour la synthèse entre géopolitique et stratégie, Coutau-Bégarie doit être lu et relu, car nul n’est plus clair et synthétique.

    Le terme « géopolitique » est aujourd’hui très utilisé, souvent de manière extensive, et parfois abusive. Tout ne se résume pas à la géopolitique. A contrario, certains auteurs considèrent aujourd’hui que la mondialisation, parce qu’elle ôte de l’influence aux Etats, donc relativise l’importance politique du territoire, rend la géopolitique, sinon obsolète, en tout cas moins légitime. Comment vous situez-vous dans ce débat ? Et d’une manière générale, dans quelle(s) direction(s) la géopolitique évolue-t-elle aujourd’hui ?

    L’interdépendance économique est certes une réalité. Elle l’était aussi à la veille de 1914.

    Son extension ne vaut nullement garantie d’un futur pacifique. Ainsi que le rappelait Hassner dans une optique tout aronienne, « l’universalité ne saurait faire fi de la pluralité, le cosmopolitique de l’interétatique, donc de la rivalité et du conflit ».

    La géopolitique a un bel avenir devant elle, contrairement à certaines théories performatives à obsolescence programmée qui promettent, semble-t-il, de disparaître avec les cohortes les plus idéologisées de la génération du baby-boom.

    Les années 1990-2000 ont été marquées par une illusion intellectuelle, parfois fortement polarisée idéologiquement.

    Après avoir diagnostiqué la fin de la géographie (O’Brien), de l’histoire (Fukuyama), ou des frontières (Ohmae), les analystes transnationalistes ou libéraux-institutionnalistes semblent aujourd’hui sur la défensive.

    Sans sous-estimer la force des phénomènes globaux de convergence normative, il nous faut effectivement constater que, dans la société internationale contemporaine, les dynamiques de différenciation politiques semblent bien progresser au rythme même des dynamiques d’uniformisation technologiques.

    Je fais souvent la comparaison avec le processus de mise à feu thermonucléaire, fondé sur la fission-fusion : nous voyons en effet à l’œuvre dans la géopolitique mondiale une concomitance de la fusion globale (économique, financière et technologique) et des fissions locales (culturelles et identitaires).

    La première s’accélère, les autres se multiplient. Mal régulé, ce mélange peut libérer des forces explosives d’une intensité accrue.

    Le plus urgent, pour préserver la paix, est sans doute de considérer avec attention les mutations dynamiques de la structure internationale actuelle, en estimant à leur juste poids les agendas politiques et culturels des acteurs qui la polarisent.

    Certains auteurs voudraient que le monde à venir ne soient fait que de lieux et d’espaces interconnectés d’où les appartenances auraient quasi-disparu.

    C’est une dangereuse illusion, qui sous-estime la centralité renouvelée du politique dans notre monde réticulé où la connexion, je le répète souvent aux étudiants, n’est pas forcément le lien.

    Entre le local et le global, il y aura toujours des territoires politiquement appropriés, représentés et défendus par des États.

    Ces derniers utiliseront le droit et la technologie comme des instruments et non des fins en soi, de manière à augmenter leur influence et densifier leur puissance, au nom de leur autonomie stratégique et de leur liberté d’action.

    C’est la raison pour laquelle la géopolitique est aussi intéressante : interprétative et non explicative, elle permet de tempérer nos projections, en modélisant les conditionnements qui agiront sur les matrices de coopération, de compétition et d’opposition de cette nouvelle scène internationale.

    En ce sens, les analyses que l’on pourrait appeler « statophobes » voilent la réalité des relations internationales.

    Il y a, me semble-t-il, un immense désir d’État dans le monde. Mais des États réformés. Représentatifs. Respectueux de leurs peuples. Que veulent d’ailleurs ces derniers ?

    Une connexion au niveau global qui ne détériore pas le respect de leur identité au niveau local.

    L’État, à la charnière du global et du local, est donc consubstantiel à la mondialisation, parce que dans un monde accéléré, on attend de lui qu’il assure la paix et la sécurité sur un territoire, en produisant du commun plutôt que de se soumettre aux seules lois du marché.

    Sur ce point de la place des États dans la mondialisation, vous avez parfaitement raison de dire que tout ne se résume pas à la géopolitique. Il faut aussi, entre autres, se tourner vers la théorie des relations internationales.

    Comme le rappelle ainsi avec raison Michael Williams, reprenant en cela des avertissements similaires du constructiviste Alexander Wendt, « Il est important de noter que l’État demeure une limite – non la limite de la communauté politique. Reconnaître la centralité continue des acteurs étatiques n’empêche en aucune manière le développement – et l’étude analytique – d’autres formes d’ordres, d’institutions, de solidarités transversales et de transformations par-delà les frontières ».

    Dans son récent essai, L’affolement du monde, Thomas Gomart dit que nous vivons un moment « machiavélien », au sens où l’analyse des rapports de force, qui était passée au second plan à l’ère des grandes conférences sur le désarmement, reprend une importance fondamentale dès lors que les trois principales puissances, Etats-Unis, Russie et Chine, réarment comme jamais. Après avoir contribué à stabiliser le monde, ce que le général Gallois appelait « le pouvoir égalisateur de l’atome » est-il en train de devenir obsolète ?

    L’analyse de Thomas Gomart est fondamentalement juste. Il faut également lire les développements qu’il a récemment consacrés à la notion d’intérêt national.

    En étant sur une ligne pour l’essentiel complémentaire, j’aurais simplement tendance à dire que le moment que nous vivons est sans doute autant « clausewitzien » que « machiavélien ».

    Machiavel raisonne en termes de rapports de force transactionnels. Il faut le compléter avec les aspects interactionnels de la théorie réaliste de la guerre clausewitzienne. Celle-ci ne peut pas être restreinte à la stratégie dite « classique ».

    Relire Clausewitz, c’est comprendre l’importance de distinguer, pour reprendre son expression, les genres de guerres dans lesquels s’engagent ou auxquelles se préparent les États, et les relations stratégiques qui en découlent au niveau international.

    Ceux qui ont négligé Clausewitz pendant la parenthèse idéaliste des années 1990-2000 ont eu tendance à oublier que De la Guerre était un ouvrage de théorie sociale, fondée non pas sur les seuls rapports de force, mais sur la dialectique des intérêts et des volontés.

    Et précisément, la dissuasion nucléaire est une dialectique, avant d’être un rapport de force. Les Français l’ont parfaitement compris avec leur concept de stricte suffisance.

    La dissuasion reste plus que jamais pertinente et stabilisatrice dans le monde qui vient. Simplement, elle ne peut pas résoudre tous les problèmes.

    Sous la voûte nucléaire qui nous garantit des guerres absolues, un considérable espace de conflits potentiels – y compris de guerres majeures – demeure, qu’il faut anticiper et auxquels il faut se préparer en renforçant l’autonomie stratégique de la France et de l’Europe.

    Que peut apporter une culture géopolitique aux futurs managers qui auront à évoluer dans une économie mondialisée ?

    Le sens des permanences, qui seul donne l’intelligence des transformations. Et je ne vois pas d’aptitude professionnelle qui soit plus précieuse aujourd’hui.

    Que faudrait-il enseigner concrètement aux étudiants en matière de géopolitique ?

    Je constate depuis une dizaine d’années, à l’occasion des cours et des conférences que je donne en stratégie, géopolitique ou relations internationales, que le niveau de culture historique, artistique, religieuse et surtout littéraire décroît de manière dramatique. Ce n’est pas un lamento régressif.

    C’est un fait brut, massif, inquiétant. Or, il ne peut y avoir de compréhension, d’interprétation, de saisie de ce qui porte l’autre, de ses traumatismes historiques, de ce qui l’attache à un territoire, sans prise en compte de sa matrice spirituelle, de ses modes de représentation du bien et du mal, du beau et du laid, du juste et de l’injuste.

    On ne saisit pas la spécificité iranienne sans connaître sa poésie millénaire. Balzac permet toujours de comprendre ce pays déconcertant qu’est la France. Kennan – l’un de mes auteurs préférés – conseillait au Département d’Etat de lire Tchekhov plutôt que les briefs de la CIA pour mieux comprendre les Russes.

    Sans les humanités, nous analysons à vide.

    Du point de vue des apprentissages, la « géopolitique » n’y fera rien, ni l’économie, ni la « communication ».

    Le rejet de la culture générale dans les écoles qui forment les élites françaises est une stupidité sans nom. L’économie, le marketing, sont importants. Mais c’est la culture, pas l’économie, qui nous empêche de nous jeter les uns sur les autres.

    La culture n’est pas un produit de nos déterminismes sociaux, elle n’est pas un outil de reproduction de ces derniers, c’est au contraire ce qui permet de leur échapper. Elle est tout ce qui peut parfois paraître inutile de prime abord.

    Mais c’est cette culture générale qui donne son prix à une analyse géopolitique, à une dissertation d’économie, à un policy paper de think-tank, parce qu’elle permet de lever le nez des chiffres ou des oracles liés aux taux de croissance, au débit internet, ou au nombre de porte-avions.

    Je conseillerais aux étudiants en géopolitique de ne pas utiliser exclusivement les méthodologies instrumentales et quantifiées qu’on leur présente parfois comme plus efficaces, et d’investir aussi dans les outils d’analyse qui permettent d’approfondir l’inquantifiable des vies humaines.

    Simone Weil avait saisi cette dimension lorsqu’elle écrivait que « La perte du passé, collective ou individuelle, est la grande tragédie humaine, et nous avons jeté le nôtre comme un enfant déchire une rose. C’est avant tout pour éviter cette perte, concluait-elle, que les peuples résistent désespérément à la conquête. »

    Lire cette phrase, la retenir, la méditer, permet de mieux comprendre la raison pour laquelle un petit pays peut résister à un grand pendant si longtemps.

    La géopolitique, méthode d’approche multidisciplinaire des Relations internationales, permet de mieux saisir l’altérité.

    À condition de l’ouvrir à l’histoire et à la littérature : celles-ci nous fournissent les clés d’un passé qui, en transmettant ce qui fut, nous murmure parfois ce qui sera.

    Comment a été reçu votre dernier livre ?

    Frontières, paru en 2017, a été bien reçu. Je suis très fier que l’Armée de terre l’ait distingué par le prix « L’Épée ».

    Mieux nous comprendrons la nécessité fonctionnelle et indépassable des frontières, moins il y aura de murs dans le monde.

    Faire de la géopolitique, c’est également, me semble-t-il, comprendre ce type de paradoxes.

     

    Olivier Zajec, propos recueillis par Jean-François Fiorina (Comprendre Les Enjeux Stratégiques, 28 novembre 2019)

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  • Le retour de la censure...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous Bercoff en liberté, une émission de Sud Radio, diffusée le  28 novembre 2019, au cours de laquelle André Bercoff recevait François-Bernard Huyghe à l'occasion de la parution de son essai L'art de la guerre idéologique (Cerf, 2019). Spécialiste de la stratégie et de la guerre de l'information, François-Bernard Huyghe enseigne à la Sorbonne et est l'auteur de nombreux essais sur le sujet, dont, récemment, La désinformation - Les armes du faux (Armand Colin, 2015), Fake news - La grande peur (VA Press, 2018) et, avec Xavier Desmaison et Damien Liccia, Dans la tête des Gilets jaunes (VA Press, 2019).

     

                                  

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  • Le libéralisme comme règne du non-commun...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le site Critique de la raison européenne, dans lequel il évoque la question du libéralisme. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Alain de Benoist : «Le libéralisme consacre le règne du non-commun»

    Le terme « libéral » apparaît totalement galvaudé dans le débat public actuel. Pourriez-vous définir ce qu’est le projet libéral ?

    Alain de Benoist : Comme pour tous les mots qui ont beaucoup servi (démocratie, progrès, etc.), il est difficile de donner une définition du libéralisme qui fasse l’unanimité. La difficulté se renforce du fait que, contrairement au marxisme, le libéralisme a eu de nombreux « pères fondateurs », et du fait aussi que ce qui relie le libéralisme économique au libéralisme politique, au libéralisme philosophique et au libéralisme « sociétal », n’est pas évident pour tout le monde. Le projet libéral, pour reprendre votre expression, est à mon sens un projet qui privilégie l’individu par rapport à tout ce qui l’excède en s’appuyant sur une anthropologie faisant de l’homme un être essentiellement mû par le désir de maximiser son intérêt personnel et son profit privé.

    En quoi le libéralisme empêche-t-il de constituer une société qui ne serait pas qu’une somme d’intérêts particuliers ?

    Il l’empêche pour la simple raison que toute société n’est à ses yeux qu’une somme d’intérêts particuliers. Du point de vue de l’idéologie libérale, ce n’est plus la société, mais l’individu qui vient en premier. Les sociétés, les peuples, les nations, les cultures, etc. n’ont pas d’existence en tant que tels : ils ne sont que des agrégats d’individus. Ces individus sont appréhendés comme fondamentalement autosuffisants, propriétaires d’eux-mêmes, capables à ce titre de se construire eux-mêmes à partir de rien – hors de tout déjà-là – sans que leurs choix puissent devoir quoi que ce soit à des appartenances qui leur préexistent. C’est en ce sens que Margaret Thatcher pouvait prétendre que « la société n’existe pas » (there is no society). Cette conception des choses, qui contredit à angle droit l’idée, remontant pour le moins à Aristote, selon laquelle l’homme est un animal politique social, est évidemment antagoniste de toute idée de bien commun. Du point de vue libéral, l’intérêt général se définit comme une somme d’intérêts particuliers dont on postule arbitrairement qu’ils peuvent s’harmoniser spontanément ou sous le seul effet des rapports juridiques et des mécanismes du marché. Le libéralisme consacre le règne du non-commun.

    Selon le discours dominant aujourd’hui, la liberté libérale est la seule forme possible de la liberté. Or il existe dans l’histoire des idées d’autres façons de concevoir la liberté. Pourriez-vous en citer des exemples?

    L’idéologie libérale ne veut pas connaître d’autre liberté que la liberté individuelle. Tout ce qui excède la liberté individuelle est posé comme une menace potentielle contre les droits des individus, le premier de ces droits étant en quelque sorte le droit d’avoir des droits. Cela transparaît clairement dans la façon dont le libéralisme s’oppose au politique, dont il veut toujours limiter l’autorité, en particulier vis-à-vis de l’économie. Historiquement parlant, le règne de l’idéologie libérale est indissociable de la montée de la classe et des valeurs bourgeoises, qui prétendaient lever tous les obstacles susceptibles de freiner les échanges commerciaux et la production de marchandises. Cette conception de la liberté est propre au libéralisme. Il en est heureusement (bien) d’autres. J’en donnerai deux exemples. Le premier est l’opposition bien connue, développée en son temps par le très libéral Benjamin Constant, entre la « liberté des Anciens » et la « liberté des Modernes ». La première se définissait comme ce qui permettait à tous les citoyens de participer aux affaires publiques, tandis que la seconde est au contraire ce qui permet aux individus de ne pas y participer et de se soustraire aux obligations civiques pour rechercher leur épanouissement dans le domaine du privé. Le second exemple est celui de la « liberté républicaine » telle qu’elle a été conçue par un courant de pensée allant de Tite-Live à Harrington en passant par Machiavel. Sa caractéristique principale est de lier liberté individuelle et liberté collective : je ne peux me considérer comme libre si le pays auquel j’appartiens ne l’est pas. La liberté est donc appelée à s’articuler avec le commun, ce que le libéralisme ignore entièrement.

    Dans La Grande Transformation, Karl Polanyi explique que l’émergence de l’État-nation a permis le triomphe de la logique du marché et la destruction des structures et des solidarités organiques. Pourtant, l’État-nation semble aujourd’hui être la seule échelle à laquelle quelque chose du politique subsiste et l’un des derniers cadres de résistance au capitalisme financier. Nous pensons à « Critique de la raison européenne » qu’il doit donc être défendu. Comment vous situez-vous sur ce débat ?

    Vous n’avez pas tort de penser que, dans les circonstances présentes, l’Etat-nation doit être défendu, mais j’ajouterai qu’il doit l’être comme un pis-aller. Il ne faut en effet pas se faire d’illusions. La souveraineté des Etats nationaux ne tient plus aujourd’hui que par la peinture ! Des pans entiers de souveraineté leur ont été enlevés dans le cadre de la construction européenne, sans que ces parts de souveraineté se trouvent reportés à un plus haut niveau (l’Europe ne s’est pas construite comme une puissance, mais comme un marché). D’autre part, l’évolution récente des Etats-nations atteste que ceux qui les dirigent – ou plutôt qui les administrent ou qui les gèrent – sont eux-mêmes largement gagnés à l’idéologie libérale. C’est ce qui explique que les libéraux, après avoir férocement combattus l’influence de l’Etat, en viennent aujourd’hui bien souvent à en attendre qu’il contribue lui-même à créer les circonstances les plus favorables au libre développement des marchés, à la mise en œuvre de l’idéologie des droits, etc. L’autorité publique se ramène alors à la « bonne gouvernance », qui calque le gouvernement des hommes sur l’administration des choses, en prétendant que les problèmes politiques ne sont en dernière instance que des problèmes « techniques », pour lesquels il n’y a qu’une seule solution rationnelle optimale (« there is no alternative »).

    Existe-t-il un lien entre le libéralisme et « l’idéologie du même » que vous pourfendez ? Le libéralisme contribue-t-il à la disparition de l’altérité et à l’avènement de ce que le philosophe tchèque Jan Patočka nomme « l’âme fermée » ?

    Je pense que le libéralisme contribue en effet à la disparition de l’altérité, d’abord parce qu’il ne reconnaît que les différences individuelles, et non les différences collectives, ensuite parce ses fondements individualistes vont inévitablement de pair avec un universalisme de fait, au regard duquel les hommes sont fondamentalement les mêmes. Le seul fait de dessaisir l’homme de ses appartenances au profit d’un homme abstrait, de partout et de nulle part, montre qu’aux yeux des théoriciens libéraux les différences collectives, entre les peuples, les nations ou les cultures, ne peuvent qu’être secondaires, superficielles ou transitoires. Nous apparaissons certes différents, mais au fond nous sommes les mêmes ! C’est pour cela que le libéralisme estime qu’une bonne Constitution est bonne pour tous les peuples, comme le disait Condorcet, que le monde entier peut être transformé en un vaste marché planétaire régi par les seules lois du marché, que les droits de l’homme sont valables en tous temps et en tous lieux, etc.

    Les démocraties libérales traversent aujourd’hui une crise profonde. L’émergence et l’arrivée au pouvoir de mouvements dits populistes, mais également la mobilisation des gilets jaunes ou l’apparition de voix dissonantes dans les médias, le milieu associatif et l’université, le montrent bien. Êtes-vous d’accord pour dire que le libéralisme est une idéologie en déclin ?

    Je ne dirais pas encore que le libéralisme est en déclin, mais qu’il est en crise, et que cette crise a de bonnes chances d’annoncer son déclin. La crise en question touche à la fois les institutions politiques et le système économique capitaliste. La démocratie libérale, fondée sur l’« Etat de droit », que beaucoup considéraient comme indépassable, est en train de s’effondrer du fait de la défiance généralisée des sociétaires. Elle était à la fois représentative et parlementaire. Or, les gens constatent que les représentants ne représentent plus grand-chose et que la souveraineté parlementaire s’est substituée à la souveraineté populaire. Du même coup, les mots de « démocratie » et de « libéralisme » ne sont plus synonymes ; on redécouvre au contraire qu’ils correspondent à des choses complètement différentes. La démocratie place la légitimité dans la souveraineté populaire, alors que le libéralisme place l’exercice du jeu démocratique sous conditions en plaçant les « droits » au-dessus du peuple. Les gens ne font plus confiance aux partis, et il est significatif que le mouvement des gilets jaunes soit apparu en marge des partis comme des syndicats. La crise de la démocratie libérale a d’abord nourri l’abstention, après quoi elle a favorisé la montée des mouvements dits « populistes », montée qui se fait au détriment des anciens partis traditionnels, dits « de gouvernement », qui s’effondrent aujourd’hui comme des châteaux de cartes. Ces partis ayant été les vecteurs essentiels du clivage horizontal gauche-droite, un nouveau clivage apparaît, de nature verticale, qui oppose les classes populaires et les classes moyennes en voie de déclassement au bloc bourgeois des élites transnationales mondialisées (voir les travaux de Christophe Guilluy et Jérôme Sainte-Marie, pour ne citer qu’eux).

    Mais le système capitaliste est lui-même menacé par ses contradictions internes. La recherche de gains de productivité exigée par la concurrence aboutit à ce que l’on produit toujours plus de biens et de services avec toujours moins d’hommes. L’omnipotence de l’argent, qui a d’abord favorisé le système du crédit, a abouti à un endettement généralisé qui atteint désormais des sommets jamais vus. Le capitalisme a perdu ses anciens ancrages nationaux pour devenir purement spéculatif et totalement déterritorialisé. S’ajoutent encore à cela les problèmes écologiques (il n’est plus possible de croire que les réserves naturelles sont inépuisables et gratuites). Nombreux sont les observateurs qui s’attendent aujourd’hui à une nouvelle crise financière mondiale beaucoup plus grave que celle de 2008. Je ne peux ici qu’effleurer le sujet, mais la concordance de ces deux crises majeures, l’une politique, l’autre économique, laisse évidemment prévoir des basculements décisifs dans les années qui viennent.

    Nous estimons dans notre association que le pouvoir se gagne par les idées. Sur quelles grandes figures intellectuelles recommanderiez-vous de s’appuyer afin de mener la bataille culturelle contre le libéralisme ?

    J’aimerais bien que le pouvoir se gagne par les idées ! Le problème est que la façon dont les idées exercent une influence et finissent par s’imposer est tout sauf simple. Les hommes politiques n’aiment pas beaucoup les idées, car ils veulent rassembler alors que les idées divisent. C’est la raison pour laquelle ils ne s’intéressent aux idées que lorsqu’ils peuvent les instrumentaliser à leur profit. Et c’est aussi la raison pour laquelle, après avoir parfois tenté d’avoir la stratégie de leurs idées, ils finissent si souvent par n’avoir plus que les idées de leurs stratégies. Cela dit, je n’en pense pas moins, comme vous, que rien ne remplace le combat des idées. Quant à vous recommander telle ou telle grande figure intellectuelle, je préfère y renoncer : il y en a trop ! Reportez-vous éventuellement aux auteurs dont je présente les œuvres dans mon livre Ce que penser veut dire, paru récemment aux éditions du Rocher. Il y a de toute façon bien des valeurs sûres, que vous connaissez déjà sûrement : Jean-Claude Michéa, Christopher Lasch, Jean Baudrillard, Louis Dumont, Julien Freund, Carl Schmitt, Heidegger et tant d’autres.

    Pour l’instant, aucune alternative n’émerge au-delà de l’échelle locale. La décroissance que vous appelez de vos vœux n’est-elle pas invendable (auprès de populations qui restent globalement attachées à la société de consommation) et utopique au regard des forces économiques en présence ?

    Vous n’avez pas tort : la décroissance est tout à fait « invendable » auprès de beaucoup de gens, et plus encore auprès des hommes politiques qui font tous assaut de prétentions pour « ranimer la croissance » ! Cela peut paraître désespérant, mais la justesse d’une idée ne dépend pas de l’accueil qu’elle est susceptible de recevoir à tel ou tel moment. Si la théorie de la décroissance est juste, si elle est fondée, elle finira par s’imposer au moment où il deviendra impossible de ne pas envisager cette option. Il est vraisemblable qu’on déplorera alors de ne pas l’avoir envisagée plus tôt, ce qui aurait évité des tournants catastrophiques. La théorie de la décroissance dit que le système actuel n’est plus réformable, qu’il va dans le mur. Si le mur est bien là, il n’est pas du tout utopique de dire qu’il existe effectivement !

    Selon Régis Debray, ceux qui ont appuyé le projet de construction européenne depuis la Seconde Guerre mondiale considèrent que « le propre de l’Europe est de ne pas avoir de propre ». Alors que l’Europe s’abandonne au nihilisme et à l’oubli de soi, pourriez-vous revenir sur ce qui fonde le sentiment européen et l’identité de l’Europe ?

    L’opinion de Régis Debray est, je crois, partagée par beaucoup d’autres. Le fait est que tout se passe comme si l’Europe voulait en quelque sorte se délester d’elle-même. Les polémiques suscitées récemment par la nomination, à la Commission européenne, d’un commissaire chargé de la « protection du mode de vie européen » sont révélatrices. Un mode de vie européen, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ! Tout aussi significativement, les polémiques ne se sont apaisées que lorsqu’on a laborieusement expliqué que le « mode de vie européen » consiste en fait à accepter tous les autres modes de vie (il suffisait d’y penser) ! L’Europe ne veut rien avoir en propre qui puisse servir de modèle parce qu’elle se veut porteuse de « valeurs universelles » qui, comme par hasard, sont aussi des valeurs libérales. Etant « universelles », elles sont elles aussi de partout et de nulle part. En se présentant comme « ouverte à l’ouverture », c’est-à-dire ouverte à tout, l’Union européenne fait l’aveu de son impuissance et de sa soumission à l’idéologie dominante. Il n’en est que plus nécessaire, en effet, de réaffirmer un sentiment européen susceptible de s’inscrire dans une continuité historique reliant le passé à l’avenir. L’Europe est une histoire associée à un espace territorial. Son identité trouve son fondement dans la communauté d’appartenance et d’origine de la plupart des pays qui la composent. Mais cette identité ne doit pas être essentialisée : c’est une substance, pas une identité. L’identité n’est pas ce qui ne change jamais, mais ce qui nous permet de changer tout le temps tout en restant nous-mêmes. Nietzsche disait qu’on « ne ramène pas les Grecs » ; on peut en revanche prendre exemple sur eux pour être aussi novateurs qu’ils le furent en leur temps. L’identité en fin de compte, n’est pas tant ce que l’on est que ce que l’on fait de ce que l’on est.

    Pour finir sur une note d’actualité, la marche contre l’islamophobie d’il y a deux semaines a mis en lumière une fois de plus l’ampleur des fractures françaises et la sécession culturelle croissante d’une partie des Français de confession musulmane. Sur quoi pouvons-nous encore nous appuyer pour résister à la montée de l’islamisme, au-delà des incantations creuses sur les « valeurs de la République » ?

    La force de l’islamisme n’est que le reflet de nos faiblesses. Il ne sert à rien de déplorer l’évidente « sécession culturelle croissante d’une partie des français de confession musulmane » si nous sommes nous-mêmes incapables de réanimer un lien social porteur de valeurs partagées. C’est précisément là que l’on retrouve le libéralisme, qui est l’un des principaux responsables de la destruction des anciennes structures organiques. La société des individus est une société fracturée, effritée, atomisée, où les gens vivent à la fois dans une solitude croissante et dans une « guerre de tous contre tous ». C’est une société de manque, une société où le principe de plaisir a pris le pas sur le principe de réalité. Faire face aux dangers qui menacent implique d’en finir avec cette société et de nous reconstruire nous-mêmes.

    Alain de Benoist (Critique de la raison européenne, 26 novembre 2019)

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  • La chute du modèle républicain ?...

    Le 27 novembre 2019, Pierre Bergerault recevait sur TV libertés Michel Maffesoli et Hélène Strohl pour évoquer la parution de leur essai La faillite des élites (Lexio, 2019). Penseur de la post-modernité, Michel Maffesoli a publié récemment Être postmoderne (Cerf, 2018) et dernièrement La force de l'imaginaire - Contre les bien-pensants (Liber, 2019). Hélène Strohl a été inspectrice des affaires sociales et a publié, avec Michel Maffesoli, Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014).

     

                              

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  • L’Occident doit se repenser en grand et stratégiquement...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Caroline Galactéros au site Le Saker à l'occasion de la sortie de son recueil de chroniques Vers un nouveau Yalta (Sigest, 2019). Docteur en science politique, Caroline Galactéros est déjà l'auteur de  Manières du monde, manières de guerre (Nuvis, 2013) et intervient régulièrement dans les médias. Elle a créé récemment, avec Hervé Juvin entre autres, Geopragma qui veut être un pôle français de géopolitique réaliste.

     

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    L’Occident doit se repenser en grand et stratégiquement

    SF : Bonjour Mme Galactéros, merci d’avoir accepté cet interview avec le Saker Francophone. J’avoue que vos chroniques sont d’une telle richesse qu’il a été difficile de sélectionner un nombre limité de questions. Vous balayez en 390 pages une grande partie de l’histoire du 20ème siècle depuis la Seconde Guerre Mondiale jusqu’aux derniers développement de la Guerre en Syrie.

    Pour commencer, je voudrais revenir sur cette curiosité pour moi qu’est le choix des éditions Sigest ? Est-ce le signe de l’excellence de leur travail ou un choix par défaut devant des portes fermées ? D’ailleurs, si on s’intéresse aux sources de publications de vos chroniques, on perçoit un net glissement de sites institutionnels vers des sites disons alternatifs y compris votre propre blog. La réalité de vos analyses est-elle si insupportable à entendre pour certaines oreilles ?

    CG : Les Editions Sigest me semblent sérieuses et ce n’est pas un choix par défaut, mais le résultat d’une rencontre cordiale avec leur directeur, Jean Sirapian et de l’opportunité concomitante d’une découverte de l’Arménie que je ne connaissais point. Un voyage passionnant et la confirmation d’un rôle potentiel important de ce pays comme pont entre la France et l’Eurasie…

    À ma connaissance, nul ne m’a encore ouvertement fermé de porte et je ne les force jamais. Sans doute le devrais-je parfois, considérant l’urgence de la situation de mon pays et sa déroute diplomatique et stratégique. Par ailleurs, j’achève un essai sur la politique étrangère française telle que je souhaite pour mon pays, qui paraîtra – je l’espère au printemps prochain- chez un grand éditeur connu et reconnu. Mes analyses que je veux mesurées, équilibrées et sans parti pris ou biais idéologique, dérangent parfois – précisément du fait de ces caractéristiques- certains esprits engoncés dans une pensée dogmatique et hors sol. Ce n’est pas bien grave. Il leur devient de plus en plus difficile de nier certaines évidences géopolitiques et stratégiques. J’ai toujours réfléchi et écrit par conviction et en liberté. C’est l’histoire en marche qui déchire la fumée d’utopies dangereuses et met désormais du vent dans mes voiles. Du moins je souhaite le croire. Par ailleurs, je publie régulièrement dans le Figaro Vox et chez Marianne qui ne me semblent pas vraiment des médias « alternatifs »

    SF : Comment s’informe Caroline Galactéros en 2019 ? On parle de l’effondrement du poids des médias officiels. Le ressentez-vous vous aussi ? Quelles sont vos autres sources d’information, notamment des sources étrangères ?

    CG : Je lis beaucoup, je voyage aussi le plus possible et je rencontre moults personnes de tous horizons géographiques et politiques. J’écoute le tumulte du monde et j’essaie de sortir de l’ethnocentrisme qui nous afflige tous plus ou moins pour me mettre à la place des autres. Pour mieux comprendre, il faut aussi ressentir. Je me suis toujours appliquée, depuis le début de ma vie professionnelle, à laisser les situations et les êtres résonner en moi. Je cherche le lien et le partage, qu’il soit celui du malheur, de la fureur ou de l’espoir. J’essaie d’opérer cette « conversion du regard » essentielle pour l’intelligence du monde et des hommes. Au fil des ans et des expériences, cet effort n’en est plus vraiment un, mais bien plutôt un goût et un réflexe. Pour le reste, je structure mon analyse du monde et des questions stratégiques au sens large à partir de mon expérience pratique des questions internationales et des théâtres de crise ou de conflit qu’il m’a été donné d’approcher.

    SF : Que pensez vous de cette nouvelle opinion sur Internet qui se pique de se mêler de tout y compris de géopolitique ? Quelles passerelles sont possibles ? Comment imaginez-vous de recréer ces liens distendus ou rompus avec le peuple ?

    CG : Je crois que la géopolitique est centrale pour appréhender le monde dans sa richesse et sa complexité. Les affaires sont plus que jamais géopolitiques, l’économie aussi. Nos concitoyens en prennent conscience et s’essaient eux aussi à l’interprétation. Cela donne le pire et le meilleur aussi parfois. Les réseaux sociaux sont une chambre d’écho formidable des préoccupations humaines de toute nature, pas seulement les vecteurs de désinformation, de manipulation ou de fake news. Finalement, la liberté de conscience progresse et il devient plus difficile pour certains médias encore prisonniers plus ou moins consentants de tabous politiques ou d’inhibition intellectuelle, de contrôler la diffusion et l’interprétation des faits. Après, tout est question de capacité à recouper, à douter, à exercer son esprit critique.

    SF : Pour en venir à votre livre, ce titre un « nouveau Yalta » suggère fortement l’idée que le monde serait à nouveau sur le point d’être découpé en zones d’influence. L’avez-vous écrit pour conjurer le sort ou n’y a-t-il aucune échappatoire face aux forces centrifuges qui menacent d’instaurer une Guerre Froide 2.0 ?

    CG : Je crois que le monde, entré en vibration en 1989 puis en 2001, est en train de chercher son équilibre. La « guerre » n’est plus froide mais d’une tiédeur diffuse. L’idéologie occidentale qui se prétendait neutre et universelle a fait la preuve de son cynisme dans bien des pays. L’Occident doit se repenser en grand et stratégiquement, il ne pourra survivre que sur trois pieds : États-Unis (si ils le veulent), Europe et Russie, dans une projection vers l’Eurasie. Je m’attache en conséquence à faire de la pédagogie stratégique sur cette nécessité vitale à mon sens, et ce n’est pas simple tant les intérêts institutionnels, corporatistes ou matériels sont puissants et rétifs à évoluer. Quoiqu’il en soit, deux grands ensembles autour de la Chine et de l’Amérique se constituent, mais il n’y aura pas cette fois-ci, d’alignement strict et inconditionnel en dessous de ce nouveau duopôle. Les autres grands acteurs régionaux ou globaux entendent nouer des partenariats « à la carte » et ont compris que, dans cette nouvelle configuration, leur sécurité comme leur développement dépendront de leur agilité à faire valoir leurs atouts et leur capacité de nuisance aussi…

    SF : Votre premier texte fait remonter le début de nos mauvaises décisions à la Guerre du Kosovo puis au si fameux 11 Septembre. D’autres pensent que c’est la fin du dollar-or en 1971 et plus encore la fin de l’URSS qui sont les vraies dates du début du déclin de l’Empire occidentaliste, comme si la chute d’une civilisation était inscrite dans les gènes de sa surpuissance. Qu’en pensez-vous ? Peut-on même remonter plus loin, aux révolutions industrielles, peut-être, selon la citation « Les Lumières, c’est désormais l’industrie » qui aurait terrifiée Stendhal ?

    CG : C’est la conception de la victoire comme d’une destruction de toute altérité, une volonté de dominer en écrasant les autres et le refus de chercher un équilibre et une coopération sur un pied d’égalité et qui ne soit pas un asservissement qui sont à l’origine du déclin occidental. Dans le domaine militaire, cela se voit évidemment plus clairement encore comme en témoigne sinistrement l’explosion du terrorisme islamiste. C’est ce que l’on appelle l’impuissance de la puissance. Quant à l’utopie technicienne, elle est source de progrès mais aussi de régressions humaines. J’en avais déjà beaucoup parlé dans mon livre de 2013 « Manières du monde, manières de guerre » (ed Nuvis)

    SF : On peut sentir sans rien trahir votre inclination pour une alliance avec la Russie pour contrebalancer le monde anglo-saxon mais aussi une forte défiance envers la Chine. Si pour la Russie, ce choix est presque appelé par beaucoup en dehors du Système, la Chine, si elle est une redoutable nation-commerçante, n’a jamais fait preuve d’impérialisme comme l’Occident ou le monde islamique. Pourquoi alors une telle position qui peut laisser supposer une sorte d’alignement  sur la position d’un Kissinger, jouer la Russie contre la Chine ? Pourquoi pas la Russie et la Chine pour permettre aux trois pôles plus l’Iran et la Turquie, de s’équilibrer tout au long des Routes de la Soie qui ne seraient plus dès lors une exclusivité chinoise ?

    CG : Je suis tout à fait d’accord avec vous ! C’est ce que nous devons faire. L’Eurasie est la bonne et juste dimension d’une nouvelle ère de croissance et de coopération pour l’Europe comme pour la Russie et, à l’autre bout du bloc eurasiatique, pour la Chine. Mais il faut pour cela changer profondément d’état d’esprit en Europe, prendre nos intérêts en main, cesser de nous voir comme trop petits ou divisés, jouer collectif et souverain à la fois, ce qui n’est nullement antinomique. Notre problème est un problème de perception, de trop longue inhibition et d’acceptation de diktats d’outre Atlantique qui ne sont plus audibles et qui surtout sont destructeurs pour nos sociétés et nos économies. On me rétorquera que la France comme l’Europe, n’ont d’autre choix que d’obéir à Washington, car sinon, l’Amérique nous fera payer cher notre rébellion, ruinera nos économies, nous fermera ses marchés, nous isolera, nous diabolisera ad nauseam. En fait, les règles du jeu et le rapport de force changeront du tout au tout lorsque le dollar aura enfin été détrôné de sa suprématie dans les échanges internationaux et que la Lawfare pratiquée par les États-Unis pour imposer l’extraterritorialité de leurs règles et désignations de l’ennemi en fonction de leurs seuls intérêts aura vécu. C’est en cours mais cela va prendre encore un peu de temps.

    Pour l’heure, l’État qui aurait l’audace de prendre la tête d’une telle fronde, par exemple en refusant d’appliquer les sanctions contre la Russie ou l’Iran serait séance tenante cloué au pilori. Ce n’est pas un risque, c’est sans doute une forte probabilité… tant que nous serons seuls. Mais nous ne le serions pas longtemps. Une fois le choc initial tenu, nombre d’autres États européens -notamment tout le sud de l’Europe- dont les économies sont entravées à l’instar de la nôtre par l’extraterritorialité américaine, nous rejoindraient et les États-Unis alors devraient très vite réviser leurs positions sauf à voir une grande partie de l’Europe leur échapper. Il en va d’ailleurs de même face à l’OTAN, qui ne protège plus l’Europe mais veut juste lui faire rendre gorge pour poursuivre des engagements militaires hasardeux. Et puis, quel sort plus enviable nous attend-il si nous restons pétrifiés et aux ordres ? La double dévoration américano-chinoise, la découpe et la vente par appartements de l’UE, et la certitude d’une insignifiance stratégique définitive. L’Amérique elle-même, obsédée depuis plus de dix ans au moins par son nouveau challenger chinois, ne veut maintenir son emprise stratégique et commerciale que pour nous neutraliser et nous empêcher de grandir stratégiquement en faisant masse critique avec la Russie, avec laquelle nous avons pourtant d’évidents intérêts sécuritaires, industriels, énergétiques communs. Les États-Unis lorgnent ultimement sur le marché énergétique chinois, mais ils n’y arriveront pas.

    Au plan civilisationnel, il y a évidemment selon moi une bien plus grande convergence entre la Russie et l’Europe qu’entre l’Europe et la Chine, mais je ne vois pas du tout la Chine comme une ennemie ni même une adversaire. C’est un concurrent et un partenaire potentiel crucial pour notre avenir en Eurasie. Je suis la première à considérer légitime qu’une puissance, quelle qu’elle soit, cherche à promouvoir ses intérêts nationaux. Je suis aussi fervente partisane d’une coopération entre l’Europe et la Chine, mais, de même qu’une alliance stratégique et sécuritaire ne signifie pas l’allégeance, la coopération économique ne doit pas se transformer en dépendance critique ni en renoncement souverain. L’Europe doit s’affranchir de la tutelle économique, stratégique et normative américaine sans tomber sous une autre dépendance. La dynamique des Routes de la Soie appliquée à certains pays africains ou asiatiques a déjà montré qu’il faut rechercher une coopération équilibrée donc renforcer nos propres économies.

    SF : Sur notre blog, on suit deux dossiers autour de la technologie occidentale et en l’occurrence américaine, les déboires du Boeing 737 Max et ceux du F-35. La corruption généralisée aux États-Unis pourrait même laisser envisager la disparition de Boeing et de Looked-Martin. Comment analyser vous cette situation ? Qu’est ce que cela dit de l’Empire Américain ?

    CG : Vous allez bien vite en besogne à mon avis. La lutte en ces domaines est planétaire, et ses enjeux financiers et économiques, donc électoraux, sont colossaux. Ne sous-estimons pas l’Empire, même affaibli.

    SF : Si on prolonge cette question, vous tournez pas mal autour du pot mais en filigrane, vous portez un message assez fort sur nos « partenaires » américains qui se permettent assez largement de s’essuyer les crampons sur les états européens et qui seraient/sont le principal obstacle à notre souveraineté. Du coup, suivez vous par exemple les débats autour des volontés sécessionnistes aux États-Unis, de la Californie au Texas, les hispanophones qui lorgnent vers le Mexique, même le Vermont qui se sent pousser des ailes ? Ce pays pourrait-il basculer dans une guerre civile avec une partition du pays de facto avant de l’être de jure ? N’y aurions nous d’ailleurs pas intérêt ?

    CG : Je ne suis nullement favorable à la déstabilisation ou au démembrement des États, quels qu’ils soient. La non-ingérence est pour moi l’une des pierres angulaires de la coexistence internationale. Je critique assez les ingérences ou l’interventionnisme occidental au Moyen-Orient ou en Europe même pour ne pas m’autoriser à souhaiter la déstabilisation américaine.

    SF : Pour beaucoup il faut compléter la grille de lecture géopolitique par d’autres à la fois connexes et intriquées. Que pensez vous du rôle de l’énergie dans nos sociétés et des risques en terme d’approvisionnement notamment en Europe ? Avez vous un avis sur ce fameux Peak Oil théorisé notamment par l’ASPO ? Que pensez vous aussi de la thermodynamique et du concept d’entropie à l’échelle de notre civilisation ?

    CG : La civilisation humaine est structurellement entropique. De même que le conflit est partie inhérente, essentielle, des relations humaines de toutes natures. Polemos est au principe même de l’humanité. Quant au Peak Oil, il n’est pas advenu et la fin du pétrole n’est pas pour demain. Même s’il est intéressant de voir tous les grands groupes énergétiques et pétroliers se lancer dans la recherche de nouvelles sources d’énergie… et de profit. Plus généralement, la grille de lecture énergétique des conflits me semble structurante pour leur compréhension, notamment pour celle des ingérences extérieures, mais cette dimension est presque systématiquement sous-estimée dans les analyses mainstream qui lui préfère l’explication par les élans moralisateurs et démocratiques ou la ferveur droit-de-l’hommiste qui dissimulent pourtant de bien prosaïques arrières pensées…

    SF : On peut aussi parler de la monnaie. Avec la fin de l’hégémonie américaine, on assiste à la fin du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Voyez vous venir un nouveau Bretton Woods ? À quoi peut-on s’attendre ? Que pensez-vous aussi des DTS du FMI ?

    CG : Vous voyez large… Le Yuan deviendra sans doute un jour la monnaie du « contre monde » dans laquelle se fera une grande partie du commerce mondial. Le dollar devra composer et l’extraterritorialité américaine perdra son levier principal de pression sur une grande partie du monde qui aura alors le choix de pouvoir s’affranchir sans mourir. Derrière cette lutte se déploie un conflit normatif fondamental, celui de visions différentes du monde et du développement humain et politique souhaitable portées par des « modèles » concurrents. C’est le propre d’une dimension impériale que de chercher à influer sur tous les aspects du développement des sociétés humaines, bien au-delà de ses propres frontières. On peut le faire par la guerre, l’économie, l’exemple ou les trois… Le hard, le soft, le smart ou le sharp power ne sont que des vecteurs de conviction dans cette projection tous azimuts de la puissance et de l’influence.

    SF : Pour revenir sur la Russie, ce pays semble avoir tout pour lui, de l’espace, des ressources en tout genre, de l’eau, et même une âme… Pourrait-elle avoir à moyen terme, surtout en cas de raréfaction énergétique, une politique donnant-donnant, énergie contre le retour d’une réelle souveraineté des états européens, gage de sécurité pour elle par rapport à une incroyable et ignominieuse cabale russophobe organisée par les oligarchies occidentales ? Pourquoi devrait-elle nous alimenter en énergie si cela est si mal payé en retour ? Est ce que le fameux discours aux ambassadeurs d’Emmanuel Macron en cette fin août n’est pas le signe d’un pivot européen vers la Russie, timide certes ?

    CG : Je l’appelle de mes vœux depuis des années et je l’espère profondément. Nous avons perdu bien du temps en faux procès et en dogmatisme infantile. Pour l‘instant, la Russie cherche son positionnement optimal entre Chine et États-Unis, se déploie vers l’Eurasie, structure à travers l’OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) et l’UEE (Union Economique Eurasiatique) une « contre OTAN » et un nouvel espace d’influence politico-économico-sécuritaire. Elle déploie son influence au Moyen-Orient de manière magistrale (Syrie, Libye, Arabie Saoudite, Égypte, etc…), place ses pions en Afrique (où elle pourrait selon moi utilement coopérer avec la France en matière sécuritaire et économique pour faire pièce aux ambitions chinoises et américaines) et pose les limites de sa bonne volonté en Europe. Les États-Unis (et les Européens avec eux qui en font plus directement les frais, as usual) ont fait une faute stratégique majeure en cherchant à faire basculer de force l’Ukraine dans l’Alliance atlantique. Ce choc initial pour Moscou a paradoxalement été l’occasion d’un coup d’arrêt mis à son élan trop longtemps unilatéral vers la coopération politique vers l’UE. L’Ukraine a été un moment de double bascule initiant le reflux de l’influence américaine en Europe et le déploiement de l’influence russe au Moyen-Orient à la faveur du drame syrien.

    SF : Page 35 de votre livre, vous parlez de Nouveau Gouvernorat Mondial. Pourquoi pas gouvernance mondiale ou Nouvel Ordre Mondial, cette fameuse et si controversée expression pourtant employée par nombre de présidents des pays occidentaux dans les années 90 et 2000 ? Que pensez-vous du mondialisme comme idéologie ? Du désir de certaines élites comme les hommes de Davos de faire disparaître les nations issues du traité de Westphalie ?

    CG : La gouvernance mondiale est en crise. Le Nouvel ordre mondial est une utopie occidentaliste qui a vécu. L’hyper puissance américaine aussi. Les États et les peuples sont partout en rébellion de plus en plus ouverte. Et pas seulement contre des potentats ou des tyrans. Ils résistent à l’arasement identitaire et culturel. Le populisme que l’on dénonce est essentiellement la marque d’un sentiment de dépossession profonde et de mise à mal du sentiment d’appartenance culturelle et nationale. Il est regrettable que les grands partis de gouvernement, pour céder à l’air du temps ou éviter d’avoir à trancher, se soient à ce point coupés des préoccupations profondes de leurs électorats et les aient jetés dans les bras de formations extrêmes qui ont beau jeu de les récupérer en leur proposant d’autres réductions idéologiques tout aussi stupides que les doxas indigentes des premiers. Il faut aider les nations et cesser de croire en un mondialisme qui est une violence et une uniformisation grave de la diversité humaine. Le mondialisme, comme tous les -ismes, est une dérive, une perversion. À rebours des tartes à la crème libertarienne, les États et les frontières sont les plus grands protecteurs des individus, surtout les plus faibles. Les efforts pour les faire éclater n’ont abouti qu’à la propagation d’un communautarisme dangereux car instrumentalisé par l’extrémisme religieux, et souvent ridicule car outrancier dans ses revendications corporatistes, dérisoires voire indécentes à l’échelle de la misère du monde… J’appelle de mes vœux un équilibre mondial fondé sur le respect de la souveraineté des États, celui de leurs frontières, la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, la coopération sur un pied d’égalité, le dialogue et la confiance. Comme vous le voyez, la route reste longue, mais passionnante.

    SF : Merci Madame Galactéros.

     

    Caroline Galactéros (Le Saker francophone, 24 novembre 2019)

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  • Prendre le populisme au sérieux...

    Le 20 novembre 2019, Pierre Bergerault recevait, sur TV libertés, Frédéric Rouvillois pour évoquer la parution du  Dictionnaire des populismes (Cerf, 2019), dont il est l'un des maîtres d’œuvre. Professeur de droit public à l’université Paris-Descartes, Frédéric Rouvillois est l'auteur de plusieurs ouvrages d'histoire des idées comme Histoire de la politesse (2006), Histoire du snobisme (2008),  tous deux disponibles en format de poche dans la collection Champs Flammarion, ou L’invention du progrès (CNRS éditions, 2010), Une histoire des best-sellers (Flammarion, 2011) et, plus récemment, Être ou ne pas être républicain (Cerf, 2015).

     

                                         

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