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La contagion monégasque...

Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question royale. Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019) et La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020).

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Alain de Benoist : « Le Journal officiel des familles royales, désormais, c’est Closer, Gala ou Voici ! »

Entre le piteux exil du roi Juan Carlos en Espagne, le prince Andrew banni de Buckingham Palace en raison de ses frasques sexuelles auprès de Jeffrey Epstein, le prince Harry et Megan Markle qui soutiennent maintenant la campagne Black Lives Matter, comment jugez-vous le spectacle donné par les monarchies européennes ?

Il y a, heureusement, de belles exceptions, mais les familles royales n’ont plus aujourd’hui de « royales » que le nom. Peut-être faudrait-il parler de contagion monégasque. Leurs représentants font tout simplement partie des « people », dont on suit les aventures conjugales ou extraconjugales exactement comme on suit celles des acteurs, des chanteurs ou des joueurs de football. On a pleuré la princesse Diana comme on a pleuré Michael Jackson. Le Journal officiel des familles royales, désormais, c’est Closer, Gala ou Voici.

Beaucoup font partie de la jet-set, cette plèbe dorée parasitaire dont la vie se déroule entre aéroports et grands hôtels, croisières de luxe et jets privés, partouzes d’élite et conseils d’administration. Quand on lit les noms figurant dans le carnet d’adresses de Jeffrey Epstein, opportunément « suicidé » l’an dernier, on les retrouve à peu près tous : membres des familles princières et politiciens en vue, hommes d’affaires et financiers internationaux, play-boys et « masseuses » professionnelles, mannequins et vedettes du show-biz, traders et agents d’influence en contact avec les mafias, les « services » et les « réseaux ». Leurs femmes se présentent invariablement comme galeristes, décoratrices, architectes d’intérieur. Tous ont, bien entendu, leurs bonnes œuvres humanitaires pour mieux blanchir leurs spéculations et leurs trafics. Au total, cinq à dix mille familles sans aucun rapport avec les gens ordinaires. Si l’on faisait les enquêtes que l’on ne fait pas, on s’apercevrait que la grande majorité mériteraient d’être en prison.

En Espagne comme en Angleterre, où la couronne bénéficiait naguère d’un large consensus, de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’un retour à la république. Ce débat vous semble-t-il légitime ?

Je le crois surtout inutile. Ce qui frappe, quand on compare les sociétés européennes, c’est qu’elles ont toutes les mêmes problèmes, connaissent les mêmes dysfonctionnements, subissent la même idéologie dominante. On ne constate entre elles aucune différence politique, sociologique ou autre qui serait due à leur statut de république ou de monarchie. Les monarchies de droit divin étant devenues impensables, les seules qui puissent exister sont d’ailleurs des monarchies constitutionnelles et parlementaires, c’est-à-dire des démocraties couronnées. Il reste, bien sûr, des symboles dont je ne méconnais pas l’importance mais qui, par eux-mêmes, ne résolvent rien. De ce point de vue-là, le débat est complètement dépassé.

Et à titre personnel, avez-vous la fibre monarchiste ? Le retour de la royauté serait-il une bonne nouvelle ou relève-t-il tout bonnement de la simple rêverie ?

Dans l’abstrait, on peut discuter à perte de vue des qualités et des défauts du principe monarchique. On se souvient de la célèbre Enquête sur la monarchie, publiée par Maurras dans La Gazette de France, du 29 juillet 1900 au 1er juillet 1902 (et publiée sous forme de livre en 1909). L’auteur d’Anthinéa était allé poser à diverses personnalités la question suivante : « Oui ou non, l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée est-elle de salut public ? » Mais à cette époque, à peine plus d’un siècle après la Révolution, la France était encore partagée entre républicains et monarchistes, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Il y avait aussi un prétendant crédible, ce qui n’est plus le cas non plus. Pour restaurer la monarchie, Maurras prônait le coup d’État (Si le coup de force est possible, 1907). Quand on voit ce qui s’est passé ensuite, on comprend que sa grande erreur a été de surestimer le pouvoir des institutions (et d’avoir exagéré la coupure entre l’Ancien Régime et la Révolution).

Le mouvement de Maurras, l’Action française, fondée en 1898 par Henri Vaugeois et Maurice Pujo, existe toujours aujourd’hui. On y rencontre de sympathiques et talentueux jeunes militants royalistes, de belles fidélités, des nostalgies qui sont respectables – comme le sont beaucoup de vœux pieux. Mais rien qui puisse empêcher la Nouvelle Classe de dormir sur ses deux oreilles.

Je n’ai, personnellement, jamais été monarchiste, mais je ne méconnais pas certains mérites de la monarchie. Je n’oublie pas, en même temps qu’à partir de la fin du Moyen Âge, la monarchie s’est instaurée aux dépens d’un ordre féodal qui avait, à mes yeux, de plus grands mérites encore. Je n’oublie pas, non plus, que les monarchies n’ont pas toujours été héréditaires : les premiers rois, à commencer par Clovis, étaient désignés par l’assemblée des hommes libres (qui les « hissaient sur le pavois ») ; ils étaient donc élus, comme le furent ensuite les empereurs du Saint-Empire romain germanique, les doges de la République de Venise et les papes. Ces dernières années, c’est sans doute Jean Raspail qui a le mieux parlé de l’espérance monarchiste (Sire, 1991). Vous ne serez donc pas surpris que mon roi préféré soit Antoine de Tounens, le roi des Patagons !

Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 11 octobre 2020)

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