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Economie - Page 9

  • Et à la fin, c'est toujours Bruxelles qui gagne ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 26 février 2015 et consacrée à l'accord que le gouvernement grec mené par la coalition Syriza a passé avec les "institutions" européennes. L'analyse est d'une cruelle lucidité. Une leçon à retenir...

     


    "Les Grecs se sont couchés", juge Éric Zemmour par rtl-fr

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  • Le Minotaure planétaire...

    Les éditions du Cercle viennent de publier un essai de Yanis Varoufakis intitulé Le Minotaure planétaire - L'ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial. Professeur d'économie politique, Yanis Varoufakis est devenu ministre des finances de Grèce à l'occasion de la victoire de la coalition Syriza aux élections législatives.

     

     

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    " Le Krach de 2008 était-il programmé ?

    Tout commence en 1929, avec la Grande Dépression et son cortège d’immenses souffrances. L’absence de régulation bancaire aux États-Unis et la cupidité sans bornes des acteurs de Wall Street plongèrent le monde dans un chaos tel qu’il fallut une guerre mondiale – plus de 50 millions de morts et un champ de ruines sur l’Europe et le Japon – pour remettre un peu d’ordre dans les esprits.

    Se saisissant de l’occasion qui leur fut offerte au sortir de la guerre, les États-Unis s’arrogèrent alors le rôle de maître d’œuvre de la reconstruction du monde occidental. Les ennemis d’hier, l’Allemagne et le Japon, sont désormais leurs protégés et deviennent de fait les deux piliers de leur nouvel ordre mondial, ouvrant ainsi la voie aux « Trente Glorieuses ».

    Cet ordre mondial cédera cependant sous le poids écrasant des déficits américains et poussera Washington, en 1971, à suspendre la convertibilité du dollar en or afin d’assurer son hégémonie sur des bases radicalement différentes. C’est à ce nouvel arrangement que Yanis Varoufakis donne le nom de Minotaure planétaire : un ogre à la fois tuteur et cannibale de l’économie mondiale.

    Portant en lui les gènes de sa propre destruction, le Minotaure planétaire tombera sous les coups de la nouvelle dérégulation bancaire aux États-Unis et de la cupidité redoublée de la finance internationale, provoquant le Krach de 2008.

    Quel avenir pour le monde après le Minotaure planétaire ? Et qu’espérer de l’Europe quand l’insuffisance de ses dirigeants et les égoïsmes nationaux mènent droit à la désunion ?

    C’est la question, vitale, à laquelle Yanis Varoufakis tente de répondre dans cet essai à la fois brillant, iconoclaste et palpitant. "

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  • La recherche-développement militaire américaine : vecteur de domination mondiale...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Sylvain Gimberlé, cueilli sur Infoguerre et consacré à l'effort considérable fourni par les Etats-Unis en matière de recherche et développement dans le domaine militaire et à ses retombées...

     

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    La recherche-développement militaire américaine : vecteur de domination mondiale

    Les USA à l’orée de la 2ème Guerre Mondiale ne disposent pas réellement d’industries de l’armement à l’instar de nombreux autres pays. Tout au long de la guerre les USA vont véritablement devenir l’arsenal des Alliés et pour pourvoir à cet effort gigantesque l’État américain va investir énormément aussi bien dans l’outil de production que dans tous les domaines de la recherche scientifique. Ceci s’appelle de nos jours R&D. À la fin du conflit il leur a fallu continuer cet effort pour tenter d’être toujours devant l’URSS. Pendant quarante-cinq ans cela leur a ainsi permis d’être le leader incontesté du bloc occidental en tirant vers le haut non seulement leur économie mais également celles de leur bloc. Avec l’effondrement de l’URSS, les USA sont devenus la superpuissance mondiale aussi bien militairement qu’économiquement. Voulant garder leur leadership mondial ils se doivent de maintenir leur effort de R&D militaire car qui dispose de la plus forte armée peut contraindre à sa guise aussi bien physiquement que par pression diplomatique. Néanmoins cet effort économique en terme de R&D militaire, même s’il draine des fonds et des moyens humains et industriels spectaculaires, peut aussi bien être vu comme un manque d’investissements dans des domaines de R&D civile tout en sachant que nombre de technologies militaires se retrouvent dans le civil mais que la réciproque est vraie également de plus en plus.

    La R&D se décompose en trois domaines essentiellement, à savoir la recherche fondamentale, la recherche appliquée et le développement expérimental (définition établie par l’OCDE). Cependant les moyens humains, industriels et surtout financiers qu’ils octroient à leur R&D ne sont pas répartis de façon homogène sur tous les Departments. De plus le budget fédéral et les entreprises civiles ne contribuent pas financièrement de la même manière selon les secteurs d’activités comme la santé, l’énergie, l’espace, les télécommunications etc… Pour cela ils ont dû et doivent encore consacrer une part importante de leurs dépenses fédérales (environ 4% en moyenne sur les 20 dernières années) à la R&D. Le résultat est qu’ils dépensent dans le domaine militaire plus que tous les autre pays au monde réunis et la tendance s’est encore accentuée depuis les attentats du 11 septembre 2001 et avec l’invasion de l’Afghanistan puis de l’Irak qui ont nécessités des investissements massifs. Le budget du DoD a ainsi presque doublé en dix ans. La R&D militaire américaine a donc fortement augmenté car l’investissement en R&D est resté quasiment stable en pourcentage du budget fédéral. Le budget fédéral alloué au DoD représente ainsi 20% du budget total de l’État américain. La R&D militaire américaine est essentiellement tournée vers le développement, le test et l’évaluation de systèmes d’armes avec 80% des dépenses en R&D du DoD qui représentent 60% de la R&D fédérale des USA. Cependant 66% de la R&D totale des USA (État + entreprises privées) proviennent du secteur privé et le budget fédéral en R&D ne représente que 27% des dépenses totale en R&D. Ces 27% sont drainés à 97% par huit ministères et agences. Il reste ainsi près de 40% du budget fédéral américain alloué aux dépenses civiles même si certaines des découvertes de part et d’autres peuvent trouver des applications dans le civil et le militaire.

    L’émergence d’une R&D civile de plus en plus indépendante de la R&D militaire a commencé avec la course à l’espace, dans les années 60, que se livraient les USA et l’URSS. Même si cette R&D pouvait avoir des répercussions dans le domaine militaire, ce dernier n’en était plus l’unique bénéficiaire. Les recherches dans les secteurs de la santé, des télécommunications, de la biologie, de l’énergie etc… ont nécessité des dépenses que n’était pas capable d’assumer seul l’État fédéral et donc des entreprises privées ont été mises a contribution pour faire avancer les recherches. Mais l’État fédéral et les entreprises du secteur privé ne pouvaient plus à ce moment là investir dans la R&D sans un retour sur investissement à court ou moyen terme. Ils ont donc commencé à faire de la R&D à fin duale (à des fins civiles et militaires) afin de pouvoir adapter rapidement d’un domaine à l’autre les recherches qui aboutissaient. Pour le long terme elles privilégiaient la R&D militaire qui nécessite des investissements plus lourds et est donc plus longue à amortir et pour le court terme de la R&D civile.

    Ainsi même si le DoD reste aujourd’hui le ministère bénéficiant des plus gros investissements en R&D de l’État américain, il n’est plus celui qui donne les avancées les plus significatives dans la recherche. Pour qu’il y ait des transferts de technologies du domaine militaire au domaine industriel civil, il faut que non seulement le DoD finance des programmes et projets d’armement mais aussi que les entreprises privées qui travaillent en collaboration avec lui aient suffisamment de ressources humaines, matérielles et financières pour pouvoir honorer ces programmes. Les firmes privées aux USA disposent de près de 80% des chercheurs ce qui leur confère une grande capacité à innover et à proposer des solutions rapidement aux exigences du DoD. Cette capacité en R&D des entreprises américaines se retrouve pour plus de 70% dans le secteur de l’industrie contre 13% dans les universités. Cela montre la forte compétitivité des entreprises américaines par rapport aux entreprises d’autres pays. En effet elles peuvent à la fois innover tester et mettre en production beaucoup de programmes en même temps. Elles ont donc tout intérêt à investir dans la R&D puisque plus elles auront d’avance technologique, plus elles auront la possibilité de décrocher des contrats du DoD.

    En outre le DoD a d’autres instruments pour favoriser les investissements des firmes dans la R&D militaire. L’un de ceux-ci est la R&D dite indépendante, ou IR&D. L’IR&D est une R&D conduite à l’initiative des firmes d’armement, en dehors de leurs contrats courants, sans contrôle et sans financement direct du DoD. Le contractant finance au départ lui-même l’entièreté des dépenses, mais il sait qu’une partie de celles-ci pourront ultérieurement être imputées comme coûts indirects dans les contrats conclus avec le DoD. Ainsi grâce à l’IR&D les entreprises sont encore plus fortement incitées à investir en R&D et c’est pour cela que c’est dans l’industrie que les investissements en R&D sont les plus massifs. C’est pour maintenir ce haut niveau d’IR&D et ainsi défendre leur position a commencé une vague de fusions-acquisitions dans les années 80-90 et qui se poursuit de nos jours.

    Beaucoup de firmes concurrentes travaillent sur les mêmes projets (ce qui stimule les entreprises) et pour maintenir les investissements en R&D il faut réaliser des économies de fonctionnement et d’échelle. Les retombées de la R&D miliaire américaine sont profitables au domaine civil en cela qu’il stimule les entreprises et permet des investissements privés massifs dans l’industrie. En contrepartie ce sont des investissements qui ne sont pas mis dans d’autres secteurs de recherche et c’est alors au budget fédéral d’investir dans la R&D civile. Les investissements en R&D liés à la conquête spatiale ont fait progresser les STIC de façon significative avec toutes les découvertes qui en découlent telles la mise en orbite des satellites, le radioguidage ou encore la navigation GPS. Même si les crédits alloués à la R&D STIC civile sont plus importants en Europe qu’aux USA, quand on regarde les crédits alloués à la R&D STIC militaire, les USA sont largement en tête car la majorité des crédits publics en R&D STIC bénéficiant aux entreprises relève des crédits de défense. En effet l’investissement de crédits publics en R&D STIC aux USA représente 60% des investissements de la R&D fédérale et est réalisé majoritairement par le DoD. Ceci a pour conséquence que le ratio R&D STIC entreprises / R&D STIC fonds publics n’est que de 4,2 aux USA alors qu’il est plus important en Europe ou encore au Canada.

    Un projet néanmoins a eu un développement particulier à partir des années 60, à savoir l’ARPANET l’ancêtre d’Internet. En effet même s’il a été développé par le DARPA, ce réseau informatique a relié en premier des universités pour faciliter l’échange de données. Le réseau évoluant suite au succès rencontré, il fut décidé en 1980 de le scinder en deux réseaux : l’un militaire, l’autre universitaire. Ce dernier a continué à grandir, s’est connecté à d’autres réseaux et ainsi petit à petit a donné l’Internet que tout le monde connaît et qui est de nos jours indispensable dans notre quotidien et dont la majorité des serveurs mondiaux sont situés sur le sol américain. Les USA ont donc compris très tôt que le monde, se rétrécissant grâce aux télécommunications, il allait être nécessaire de faire de gros investissements militaires dans les STIC pour à la fois conserver leur force militaire en C3I et leur contrôle civil de l’Internet ; les deux assurant leur maîtrise de l’information et ainsi leur hégémonie. Au sein même des STIC la part réservée à la cybersécurité va croissante depuis le 11 septembre 2001. En effet l’acquisition d’informations ainsi que la maîtrise de sa propre information fournissent le moyen d’avoir en permanence un coup d’avance et ainsi de posséder un atout maître dans sa prise de décision que cela soit au niveau stratégique, opératif ou encore tactique.

    C’est par des investissements massifs en R&D que les USA peuvent encore conserver l’avance technologique militaire dont ils ont besoin pour influer sur la géopolitique mondiale. Ces efforts n’ont pas été, au fil du temps, axés sur les mêmes priorités avec notamment depuis la chute de l’URSS des dotations en R&D à la fois dans l’armement mais aussi dans le domaine de la santé. Celui-ci est d’ailleurs le premier poste de dépense fédéral de nos jours (environ 22%), bien que le budget du DoD soit juste derrière avec 20%. L’industrie civile est grandement stimulée car près de 80% des chercheurs sont dans les entreprises ce qui leur donne une immense capacité d’innovation qui se retrouve pour 70% dans l’industrie et ainsi a permis jusqu’à présent au DoD de maintenir l’avance technologique militaire des USA. Cependant les dépenses en R&D de l’État dans les universités pour la recherche fondamentale et les investissements dans le domaine de la santé ne compensent que faiblement les fonds pour les STIC.

    Les investissements en R&D militaire des USA sont donc un immense atout pour leur économie et un vecteur de domination mondiale car massifs et réalisés aussi bien par les entreprises que par l’État. De nos jours, ces investissements sont essentiellement concentrés dans les STIC afin que les USA puissent garder l’avance qu’ils ont dans la maîtrise de l’information. En effet ces derniers savent que la Chine et l’Inde rattrapent à grande vitesse leur retard dans ce domaine et que ces pays essaieront à court terme de leur ravir cette maîtrise de l’information qui est l’arme du XXIème siècle.

    Sylvain Gemberlé (Infoguerre, 25 janvier 2015)

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  • Vente d'Alsthom : le dessous des cartes...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Michel Quatrepoint au Figaro Vox à propos des suites de la vente d'une partie de l'entreprise Alstom au groupe américain General Electric...

    Journaliste économique, Jean-Michel Quatrepoint a récemment publié Le choc des empires: États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l'économie-monde ? (Gallimard, 2014).

     

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    Vente d'Alsthom : le dessous des cartes

    Vendredi 19 décembre, dans un complet silence médiatique, les actionnaires d'Alstom ont approuvé à la quasi-unanimité le passage sous pavillon américain du pôle énergie du fleuron industriel. 70% des activités d'Alstom sont donc vendues au conglomérat General Electric (GE). Que cela signifie-t-il concrètement?

    Le protocole d'accord approuvé par Emmanuel Macron en novembre et voté par l'assemblée générale d'Alstom, le 19 décembre, est proprement hallucinant! tant il fait la part belle à Général Electric et ne correspond pas à ce qui avait été négocié et présenté au printemps dernier.

    Au-delà des éléments de langage des communicants et de la défense de Patrick Kron, il s'agit, bel et bien de la vente - oserais-je dire, pour un plat de lentilles - d'un des derniers et des plus beaux fleurons de l'industrie française à General Electric.

    Pour comprendre les enjeux, il faut rappeler quelques faits. Le marché mondial de la production d'électricité, des turbines, est dominé par quatre entreprises: Siemens, Mitsubishi, General Electric et Alstom. Le groupe français détient 20 % du parc mondial des turbines à vapeur. Il est numéro un pour les centrales à charbon et hydrauliques. Alstom Grid, spécialisé dans le transport de l'électricité, est également un des leaders mondiaux. Mais c'est dans le nucléaire qu'Alstom était devenu un acteur incontournable. Avec 178 turbines installées, il couvre 30 % du parc nucléaire mondial. Ses nouvelles turbines, Arabelle sont considérées comme les plus fiables du monde et assurent 60 ans de cycle de vie aux centrales nucléaires. Arabelle équipe les futurs EPR. Mais Alstom a également des contrats avec Rosatom en Russie et avec la Chine pour la livraison de quatre turbines de 1000 MW. Alstom, faut-il le rappeler, assure la maintenance de l'îlot nucléaire des 58 centrales françaises.

    Les activités nucléaires d'Alstom n'étaient-elle pas censées être sanctuarisées?

    Au début des négociations avec GE, celui-ci n'était intéressé que par les turbines à vapeur et notamment à gaz. Dans l'accord du mois d'avril dernier, cette activité était vendue à 100 %, mais trois filiales 50-50 étaient créées. L'une pour les énergies renouvelables, dont l'hydraulique et l'éolien en mer. La deuxième pour les réseaux, Alstom Grid, et la troisième, pour les activités nucléaires. À l'époque, les autorités françaises, par la voix d'Arnaud Montebourg, avaient garanti que ce secteur nucléaire resterait sous contrôle français. Le vibrionnant ministre français est parti et les promesses, c'est bien connu, n'engagent que ceux qui veulent les croire.

    Non seulement le 50-50 est devenu 50 plus une voix pour General Electric, mais le groupe américain détiendra 80 % pour la partie nucléaire. C'est dire que la production et la maintenance des turbines Arabelle pour les centrales nucléaires sera contrôlée par GE.

    Quelles sont les conséquences sur l'industrie française, notamment sur la filière nucléaire?

    On peut dire ce que l'on veut, mais c'est désormais le groupe américain qui décidera à qui et comment vendre ces turbines. C'est lui aussi qui aura le dernier mot sur la maintenance de nos centrales sur le sol français. La golden share que le gouvernement français aurait en matière de sécurité nucléaire n'est qu'un leurre. Nous avons donc délibérément confié à un groupe américain l'avenir de l'ensemble de notre filière nucléaire…

    Pourquoi General Electric qui, il y a un an, n'était intéressé que par les turbines à vapeur a-t-il mis la main sur ce secteur nucléaire?

    Tout simplement, parce que l'énergie est au centre du projet stratégique américain. Et que le nucléaire est une des composantes de l'énergie. Le marché redémarre. Dans les pays émergents, mais aussi en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. General Electric en était absent. Là, il revient en force et acquiert, pour quelque milliards de dollars avec Arabelle, le fleuron des turbines nucléaires.

    Sur le marché chinois, l'un des plus prometteurs, Westinghouse associé à Hitachi, est en compétition face à EDF, Areva et Alstom. Arabelle était un atout pour la filière française. Que se passera-t-il demain si GE négocie un accord avec Westinghouse pour lui fournir Arabelle? C'est donc à terme toute la filière nucléaire française qui risque d'être déstabilisée à l'exportation.

    Cela peut-il également avoir des conséquences diplomatiques et géopolitiques? Lesquelles?

    Oui, et c'est peut-être le plus grave. Les Etats-Unis sont nos alliés, mais il peut arriver dans l'histoire que des alliés soient en désaccord ou n'aient pas la même approche des problèmes, notamment dans la diplomatie et les relations entre États. Est-on sûrs qu'en cas de fortes tensions entre nos deux pays, comme ce fut le cas sous le Général de Gaulle, la maintenance de nos centrales nucléaires, la fourniture des pièces détachées seront assurées avec célérité par la filiale de GE?

    En outre, on a également oublié de dire qu'il donne à GE le monopole de la fourniture de turbines de l'ensemble de notre flotte de guerre. D'ores et déjà, le groupe américain fournit près de la moitié des turbines à vapeur de notre marine, à travers sa filiale Thermodyn du Creusot. Alstom produit le reste, notamment les turbines du Charles de Gaulle et de nos quatre sous-marins lanceurs d'engins. Demain, GE va donc avoir le monopole des livraisons pour la marine française. Que va dire la Commission de la concurrence? Monsieur Macron a-t-il étudié cet aspect du dossier?

    Enfin, il est un autre secteur qu'apparemment on a oublié. Il s'agit d'une petite filiale d'Alstom, Alstom Satellite Tracking Systems, spécialisée dans les systèmes de repérage par satellite. Ces systèmes, installés dans plus de 70 pays, équipent, bien évidemment, nos armées, et des entreprises du secteur de la défense et de l'espace. C'est un domaine éminemment stratégique, car il concerne tous les échanges de données par satellite. General Electric récupère cette pépite. Quand on sait les liens qui existent entre la NSA, les grands groupes américains pour écouter, lire, accéder aux données des ennemis, mais aussi des concurrents, fussent-ils alliés, on voit l'erreur stratégique à long terme que le gouvernement vient de commettre. Le ministère de la Défense a t il donné son avis?

    Peut-on aller jusqu'à parler de dépeçage?

    Oui car, ne nous y trompons pas, l'histoire est écrite. Patrick Kron, actuel PDG, s'est félicité que les accords avec les Américains permettront à Alstom de vendre, d'ici à trois ou quatre ans, ses participations dans les trois sociétés communes, dans de bonnes conditions… pour les actionnaires. Ce qui restera d'Alstom, la partie ferroviaire qui aura bien du mal à survivre, reversera de 3 à 4 milliards d'euros aux actionnaires dont Bouygues qui détient 29% et qui souhaitait sortir. En fait on fait porter à Bouygues un chapeau trop grand pour lui. Ce n'est pas la raison principale de cette cession. Ni le fait que la branche énergie d'Alstom ne soit pas rentable ( seules les turbines à gaz depuis le rachat catastrophique de l'activité de ABB en 2000 posent problème ).

    Quelle est alors, selon vous, la véritable raison de cette vente?

    La véritable raison, quoiqu'en disent les dirigeants d'Alstom, c'est la pression judiciaire exercée par la justice américaine qui s'est saisie en juillet 2013 , d'une affaire de corruption, non jugée, en Indonésie pour un tout petit contrat ( 110 milions de dollars ). Tout se passe comme si cette pression psychique, voire physique, sur les dirigeants, la crainte d'être poursuivi, voire emprisonné ( comme ce fut le cas pour un des responsable d'une filiale du groupe aux Etats Unis ) la menace d'amendes astronomiques avaient poussé ces dirigeants a larguer l'activité énergie. Comme par hasard il y avait un acheteur tout trouvé: Général Electric. Ce ne sera jamais que la cinquième entreprise soumise à la vindicte de la justice américaine que ce groupe rachète. Au passage je rappelle que Jeffrey Immelt son PDG est le président du conseil pour l'emploi et la compétitivité mis en place à la Maison Blanche par Obama. Ce qui n'empêche pas GE d'être le champion de l'optimisation fiscale ( Corporate Tax Avoiders ) avec une vingtaine de filiales dans les paradis fiscaux. Sur 5 ans le groupe a déclaré 33,9 milliards de dollars de profits et n'a pas payé un cent d'impôts aux Etats Unis. Outre Atlantique ont dit désormais ce qui est «bon pour GE est bon pour l'Amérique «. Mais ce qui est bon pour GE ne l'est pas forcément pour la France ou l'Europe. A moins de considérer que notre avenir est de devenir une filiale de GE…

    Si on peut comprendre que les actionnaires trouvent leur compte dans cette vente, comment expliquer la passivité des acteurs de la filière nucléaire et surtout de l'Etat?

    On ne peut que s'étonner du peu de réactions des acteurs de la filière nucléaire. Il est vrai que Bercy et l'Élysée ont donné leur feu vert à cette nouvelle version des accords au moment même où EDF et Areva connaissaient une vacance du pouvoir. Chez Areva, Luc Oursel, aujourd'hui décédé, avait quitté de fait les rênes à la fin de l'été. Chez EDF, François Hollande et Emmanuel Macron ont décidé seuls, contre l'avis de Manuel Valls et de Ségolène Royal, de ne pas renouveler Henri Proglio et de le remplacer par Jean-Bernard Lévy. Un patron de qualité, unanimement apprécié… chez Thalès. Cette vacance du pouvoir, à un moment crucial, a incontestablement favorisé l'évolution des accords au profit de GE. Une politique de gribouille, puisque Henri Proglio va se retrouver président du Conseil de surveillance… de Thalès. Du grand n'importe quoi. Le moins qu'on puisse dire c'est que l'Élysée et Bercy n'ont pas fait un cadeau de Noël aux nouveaux présidents d'EDF et d'Areva. Le drame de l'appareil d'Etat c'est qu'il est dirigé par Bercy où la fibre industrielle a pratiquement disparu. Soit nous avons des politiques qui ne connaissent l'activité économique qu'à travers le prisme des collectivités locales soit nous avons de jeunes technocrates formés, imprégnés par la mentalité de banquier d'affaires . Un bref passage par Rothshild ou Lazard n'est pas forcément un gage de compétences en industrie…

    L'Europe a-t-elle joué un rôle dans cette affaire?

    Indirectement oui, lorsque Pierre Bilger, en 1999, a racheté une partie des activités de turbines de ABB - un rachat funeste, le groupe français ayant payé fort cher des turbines qui vont se révéler défectueuses - la Commission européenne a exigé qu'Alstom cède une partie de ses actifs dans ce secteur. Et ce, pour éviter une position dominante sur le marché européen. C'est ainsi que General Electric a racheté l'usine de Belfort d'Alstom.

    Que dit le cas Alstom de la désindustrialisation de la France?

    Qu'il y a un lien direct entre la désindustrialisation de la France, son déficit abyssal du commerce extérieur, sa perte d'influence dans le monde, la lente attrition des emplois qualifiés et les désastres industriels à répétition que notre pays a connu depuis vingt ans. De Péchiney à Arcelor, en passant par Bull, Alcatel, la Générale de Radiologie et aujourd'hui Alstom, la liste est longue de nos fleurons industriels qui ont été purement et simplement liquidés par l'absence de vision stratégique de la classe politique et de la haute administration, par la cupidité et l'incompétence de certains dirigeants d'entreprise qui ont fait passer leurs intérêts personnels avant ceux de la collectivité. Oui, il y a bien une corrélation entre l'étrange défaite de 1940, qui vit en quelques semaines l'effondrement de notre pays et celle, plus insidieuse et plus longue, qui voit le délitement de notre appareil industriel.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figaro Vox, 5 janvier 2015)

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  • L'imposture économique...

    Les éditions de l'Atelier viennent de publier L'imposture économique, un essai de Steve Keen. Directeur du département Économie, Histoire et Politique de l'université de Kingston à Londres, Steve Keen est australien. Il a été reconnu par ses pairs comme l'économiste «qui a, le premier et le plus clairement, prévu et donné l'alerte sur l'effondrement de la finance mondiale».

     

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    L'imposture économique est la traduction du livre «coup de poing» de l'économiste australien Steve Keen paru sous le titre Debunking Economies.
    Figure de proue du New Economic Thinking («une nouvelle manière de penser l'économie»), Steve Keen développe dans son ouvrage une critique systématique de la pensée économique néoclassique dominante. Loin de se contenter d'en dénoncer l'irréalisme ou les biais idéologiques, il dévoile de l'intérieur les graves incohérences des fondements logiques de l'économie orthodoxe, montrant que celle-ci ne parvient à se perpétuer que parce que les étudiants en économie sont maintenus dans l'ignorance des lacunes de leur discipline.
    Cet ouvrage, «fondateur» pour l'économiste Gaël Giraud (qui a assuré la direction scientifique de la traduction et en signe la préface), démonte une à une les grandes pièces de l'édifice dogmatique : aucune des théories qui composent le «dur» de l'économie universitaire depuis la fin du XIXe siècle ne résiste à l'analyse, depuis la microéconomie du consommateur jusqu'à la théorie néokeynésienne de la déflation, en passant par l'efficience des marchés financiers et la théorie du capital. Et, sur les ruines de l'orthodoxie défaite, Steve Keen jette les bases solides d'une «autre économie», suggérant d'autres manières, beaucoup plus cohérentes et scientifiques, de penser l'économie.
    Le livre a suscité de nombreux débats lors de sa publication en anglais : il répond aux questions que chacun se pose sur la pertinence des arguments économiques exposés depuis la crise des subprimes, et invite à engager une réforme profonde de l'enseignement et de la recherche en économie dans le monde.

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  • Là où il y a une volonté, il y a un chemin...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jacques Sapir, publié sur son blog RussEurope et consacré aux voies et moyens pour sortir de la crise économique qui sévit en Europe...

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    Là où il y a une volonté, il y a un chemin...

    Q- Pensez-vous que l’entrée de l’UE dans une phase déflationniste longue à la japonaise est inéluctable?

     

    Je dois commencer par dire qu’il n’y a rien, en économie ni en politique, que l’on puisse dire inéluctable. Souvenons nous que dans l’action humaine, comme à la guerre, un désastre refusé est à moitié effacé. C’est l’acceptation de la catastrophe, la résignation au malheur, qui conduit à l’abîme. Parce que la volonté ne peut pas tout, certains s’imaginent qu’elle ne peut rien et, supposant son impuissance, lui tournent le dos. Mais, sans volonté, il n’y a pas d’action. Sans volonté, il ne saurait y avoir de politique, et la politique économique c’est aussi de la politique.

     

    Ceci étant posé, il est clair que l’ensemble des règles fixées par le TSCG, par ce que l’on appelle le « Pacte de Stabilité », nous conduit à la déflation comme la pente attire la boule. Le mécanisme du multiplicateur des dépenses publiques nous entraîne dans une logique implacable. Au vu de sa valeur actuelle, comprise entre 1,4 et 1,5, il implique que toute réduction des dépenses publiques, par un accroissement des impôts ou par une contraction des dépenses, aura un effet récessif important. Au nom d’une logique purement comptable, qui est incapable d’imaginer la dynamique possible des actions, on a accepté effectivement de s’engager sur la voie qui fut celle du Japon dans la « décennie perdue ».

     

    Et il est vrai que les similitudes entre la situation de l’Union Européenne, et plus spécifiquement de la Zone Euro et celle du Japon au départ de la cette fameuse « décennie perdue » sont nombreuses. Mais, les différences doivent aussi être comprises et assimilées. Le Japon est un pays, et la Zone Euro une alliance de pays. Si cela apporte son lot de contraintes, cela laisse ouvert la possibilité de changer rapidement de règles en refusant de se plier à ce que l’on veut nous imposer. Assurément, si nous acceptons, en maugréant peut-être, les règles qui ont été fixées de Francfort à Bruxelles, la déflation va bien prendre l’apparence d’un destin inéluctable. Et ceux qui prétendent qu’il en était ainsi s’en trouveront conforté en apparence. Mais, ce sera avant tout parce que nos dirigeants auront manqué de volonté.

     

    Nous constatons aujourd’hui, comme de Gaulle l’écrivit à propos de 1940, qu’il manque deux choses à François Hollande, comme elles ont manqué à Paul Reynaud, pour qu’il soit un chef d’Etat : un Etat, et d’être un chef. Et il est vrai qu’ayant accepté les différentes usurpations de l’UE, les petites comme les grandes, il ne reste pas grand-chose de la souveraineté de l’Etat. Le constat de reniements et des abandons a été fait depuis des années. Aujourd’hui, nul ne l’ignore. Quant à être un chef, c’est à dire avoir tout ensemble cette volonté d’agir, cette foi dans l’action, et cette capacité à entraîner autour de cette action ceux qui vous entourent, cela implique une discipline de tous les instants. C’est bien ce qui manque à notre Président, comme à une bonne partie de la classe politique, dont nous voyons bien qu’elle est composée de viveurs individualistes, d’adolescents attardés. Le problème, ici, dépasse l’homme Hollande, avec ses défauts et ses qualités. On ne mesure pas à quel point, quant on a dit la fin de l’héroïsme, quand on a célébré la « normalité » en politique, on a signé la fin de l’action politique.

     

    Pour autant, si une génération, et une classe politique, ont largement failli, ceci n’implique nullement que les qualités nécessaires à l’action politique aient disparue. On peut le constater tous les jours, quand on regarde les acteurs du système associatif, de certains syndicats, ces militants anonymes qui sont d’autant plus humiliés qu’il sont d’autant plus trahis. Face au désastre qui nous menace, il faut une révolution. Celle-ci commencera d’abord en nous-mêmes. Il nous faut réapprendre à servir, et non à se servir, si nous voulons être capables de commander. Il nous faut retrouver l’idée collective. Il nous faut retrouver la vertu, non dans un sens moral mais au sens politique, la force d’âme, si nous voulons vivre en République.

     

    Techniquement, la situation actuelle nous remet en mémoire deux grands principes de l’économie. Le premier est que la politique monétaire est efficace quand il s’agit de freiner l’économie, dans le cas d’une surchauffe, et de faire baisser l’inflation, mais pas pour relancer celle-ci quand elle est à l’arrêt. L’expansion de la demande est nécessaire, et cette expansion ne peut être obtenue QUE par la politique budgétaire. Le second principe est la dissymétrie entre les taux d’intérêts et les revenus. Pour les taux d’intérêts ce qui compte n’est as le taux nominal, mais le taux réel. Mieux vaut emprunter à 6% quand il y a 4% d’inflation qu’à 3% quand l’inflation est nulle. Par contre, pour ce qui est des revenus, et ceci vaut tout autant pour les ménages, pour les entreprises que pour l’Etat, les revenus nominaux sont en fait plus importants que les revenus réels dans la mesure où il y a des coûts fixes. En fait, ceci traduit le fait que les prix n’ont pas tous la même élasticités tant à la hausse qu’à la baisse. Aussi, en période de déflation (baisse des salaires) certains coûts vont baisser moins vite. Inversement, en période d’inflation, et en particulier d’inflation salariale, certains coûts vont s’accroître plus lentement que les salaires. C’est pourquoi l’inflation est préférable pour les salariés, pour les entrepreneurs et in fine pour l’Etat (via la TVA). Ces deux principes étaient connus dans les années 1960. Je les ai appris à mon entrée à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, en 1971. Nous les redécouvrons aujourd’hui en période de déflation.

     

    Q – En quoi la réforme du système financier que vous appelez de vos vœux est-elle un préalable à toute autre réforme?

     

    Le système financier doit se lire à partir d’une analyse de la financiarisation de nos économies. Le capitalisme moderne a besoin d’un système financier, d’une monnaie de crédit. Parce que les productions deviennent toujours plus complexes, avec des délais importants de la conception au retour sur investissement, le crédit, c’est-à-dire l’avance de capital, pour investir et pour consommer, devient plus essentiel. Mais, ce processus qui implique un changement d’attitude par rapport à la monnaie n’est pas la financiarisation. Cette dernière tire l’origine de son développement actuel de la décomposition du cadre de Bretton Woods, qui s’est jouée en deux temps, d’abord en 1971 puis en 1973. Dès lors, on assiste à deux phénomènes qui sont étroitement liés. D’une part, le métier de la banque tend à s’éloigner des activités de crédit, qui impliquent une connaissance et un lien réciproques entre le banquier et son client, pour s’orienter de plus en plus vers des activités dites « de marché », c’est-à-dire des activités de spéculation. De l’autre, des « quasi-banques » se forment à partir des fonds d’investissement et des hedge funds ou fonds spécialisés dans les opérations spéculatives. Les grandes entreprises elles-mêmes, dont on a suivi précédemment la « multinationalisation » découvrent à travers la gestion de leur trésorerie la possibilité de réaliser de nouveaux profits. Ce phénomène n’aurait jamais pu voir le jour sans le processus de déréglementation que l’on a connu depuis maintenant plus de trente ans. La déréglementation bancaire et financière s’est mise en place depuis 1980. Au États-Unis, il a commencé en effet avec le Depository Institutions Deregulation and Monetary Control Act de 1980 qui a entamé le démantèlement des cadres réglementaires issus de la crise de 1929. Il a culminé avec le Gramm-Leach-Bliley Act de 1999[1] qui a annulé le Glass-Steagall Act de 1933[2] et ouvert la porte à la fusion entre banques et assurances, au plus grand profit de Citicorp. Il faut ici signaler que ce processus a été largement le produit d’un consensus bipartisan aux États-Unis. Le première loi de 1980 avait été préparée durant la présidence Carter (1976-1980) et la deuxième le fut sous le second mandat de Bill Clinton (1996-2000). Un processus analogue eut lieu en Europe, avec la déréglementation de la City de Londres, bientôt imitée en France sous l’impulsion du ministre des Finances socialiste de l’époque, Pierre Bérégovoy, et renforcée en 1993 sous le gouvernement conservateur d’Édouard Balladur. Ces pratiques ont été consolidées à l’échelle européenne par diverses directives et renforcées par les principes adoptés au sein de la zone Euro.

     

    Elle a entraîné un accroissement très important de la part des profits financiers dans le total des profits. Ces derniers constituaient entre 10 et 15 % des profits dans les profits totaux au cours des années 1950. Ils atteignent, aujourd’hui, de 35 à 40 %. Encore faut-il se souvenir que ces profits « financiers » sont ceux d’entreprises dites financières. Mais quand une entreprise qui n’a a priori rien à voir avec la finance développe une activité financière, les profits qu’elle réalise alors sont comptabilisés dans les profits des sociétés dites non financières. On peut donc raisonnablement estimer que plus de 50 % des profits réalisés par les entreprises américaines proviennent des activités financières. Telle est bien le visage que prend la financiarisation des économies, qui n’est que l’autre versant de la globalisation financière.

     

    D’un point de vue théorique, la financiarisation, c’est avant tout la puissance du capitaliste, de « l’homme aux écus » sur la société. Et cela implique une compréhension de ce que sont tant les prix que la monnaie pour comprendre le mécanisme de défense de la rente financière et comment il aboutit à étrangler l’économie. Il faut savoir que dans une économie capitaliste les prix ne sont pas le produit d’un équilibre entre une offre et une demande. Car, offre et demande sont liées, et sont par ailleurs le reflet de bien d’autres facteurs. Les prix, et donc la monnaie, sont des vecteurs d’un conflit entre plusieurs acteurs : « Les prix monétaires résultent de compromis et de conflits d’intérêt; en ceci ils découlent de la distribution du pouvoir. La monnaie n’est pas un simple “droit sur des biens non spécifiés” qui pourrait être utilisé à loisir sans conséquence fondamentale sur les caractéristiques du système des prix perçu comme une lutte entre les hommes. La monnaie est avant tout une arme dans cette lutte; elle n’est un instrument de calcul que dans la mesure où l’on prend en compte les opportunités de succès dans cette lutte[3]. »

     

    Ces conflits, on le sait depuis l’origine de l’économie politique classique, opposent en fait trois acteurs, d’uns part les salariés, qui n’ont pas d’autre choix que de louer leur force de travail, les entrepreneurs, et les rentiers. Keynes, Bien avant qu’il n’ait écrit la Théorie Générale, l’a expliqué de manière lumineuse.

     

    Dans un texte tirant le bilan des désordres monétaires qui suivirent la fin de la Première guerre mondiale, il écrivait ces lignes qui résonnent encore aujourd’hui avec une profonde actualité: « Depuis 1920, ceux des pays qui ont repris en mains la situation de leurs finances, non contents de mettre fin à l’inflation, ont contracté leur masse monétaire et ont connu les fruits de la Déflation. D’autres ont suivi des trajectoires inflationnistes de manière encore plus anarchique qu’auparavant. Chacun a pour effet de modifier la distribution de la richesse entre les différentes classes sociales, l’inflation étant le pire des deux sous ce rapport. Chacun a également pour effet d’emballer ou de freiner la production de richesses, bien que, ici, la déflation soit le plus nocif.[4] ». Keynes va même plus loin et lie explicitement l’inflation et la déflation, c’est à dire la dépréciation de la monnaie ou au contraire son appréciation face aux prix des autres biens, au mouvement historique qui voit de nouveaux groupes sociaux s’affranchir de la tutelle des anciens dominants: « De tels mouvements séculaires qui ont toujours déprécié la monnaie dans le passé ont donc aidé les “hommes nouveaux” à s’affranchir de la main morte; ils profitèrent aux fortunes de fraîche date aux dépens des anciennes et donnèrent à l’esprit d’entreprise des armes contre l’accumulation des privilèges acquis [5]».

     

    On voit alors que l’inflation correspond à une alliance des salariés et des entrepreneurs contre les rentiers. Inversement, la déflation favorise les rentiers. Mais, pour pouvoir la mettre en œuvre ils doivent soit s’associer aux entrepreneurs, et dans ce cas faire peser la totalité du poids de leur victoire sur les salariés (ce fut le scénario de la crise de 1929 à 1935), soit chercher à convaincre les salariés de s’allier à eux, et pour cela ils doivent réduire le taux de marge des entrepreneurs (ce qui s’est historiquement passé depuis une quinzaine d’années en France et en Italie). La spécificité de la position des rentiers est qu’ils peuvent basculer d’une alliance à une autre, tandis que salariés et entrepreneurs se querellent constamment alors qu’ils devraient faire front commun ensemble sur des stratégies inflationnistes. Il faut ici signaler que cette terminologie, salariés, entrepreneurs et rentiers, renvoie tout autant à des individus qu’a des fonctions. Marx le montre à plusieurs reprises dans le Capital quand il parle de l’entrepreneur capitaliste, qui risque ses propres capitaux. En cet individu se combinent en fait deux fonctions, celle de gérant du capital (ce que nous appelons l’entrepreneur) et celle du capitaliste proprement dit ou du propriétaire du capital. La confusion entre les fonctions de gestion et de propriété du capital, qui est naturelle, empêche cependant de comprendre les dynamiques réellement à l’œuvre. Aujourd’hui, dans les grandes entreprises, la distinction entre les fonctions de gestion et de propriété du capital est évidente, et matérialisée par des personnes différentes.

     

    La monnaie apparaît dès lors sous deux faces, analytiquement distinctes et systémiquement liées. Elle est bien sur l’indispensable moyen de calcul inter-temporel qui permet de sublimer les obstacles posés sur la route des échanges par l’hétérogénéité. Cette dernière fonde la nécessité d’un instrument particulier fonctionnant comme norme d’homogénéisation d’une réalité non homogène, une réalité que la théorie standard se refuse à reconnaître[6]. Mais cet instrument n’est pas neutre. Il est aussi un vecteur des rapports de force sociaux. La monnaie, pour reprendre les termes de Max Weber, est à la fois un “droit sur des biens non spécifiés” et un instrument dans la lutte entre les individus et les groupes sociaux autour de l’appropriation de ce type de droit. La double nature, contradictoire, de la monnaie est l’une des bases de l’analyse de M. Weber[7].

     

     

    Il faut souligner ici l’importance et le caractère extrêmement moderne de sa distinction entre une rationalité “formelle” et “substantielle”. Pour Weber, la rationalité “formelle” est celle qui dérive du calcul économique quand celui-ci peut être entièrement fait à partir des valeurs monétaires. Par contre, la rationalité “substantielle” définit pour sa part une situation où les besoins d’une population donnée sont satisfaits en accord avec le système des valeurs de cette population et les normes qui en découlent. Cependant, ces facteurs substantiels limitent fondamentalement le champ d’application de la rationalité issue du calcul monétaire, et c’est pourquoi elle est qualifiée de “formelle”. Le conflit entre la nature “formelle” et la nature “substantielle” est indépassable dans les sociétés réelles. En d’autres termes, la notion de calcul monétaire n’a de sens qu’à partir d’une connaissance de la distribution des revenus[8], elle est contingente à l’organisation sociale. Weber refus l’aporie rationaliste comme quoi tout serait réductible au calcul monétaire. Les bases de ce dernier sont des normes et des valeurs qui ne sont pas exprimables en des termes monétaires. Cet argument ici reprend explicitement celui d’Otto Neurath[9], il n’est jamais possible de tout calculer.

     

     

    Q – Peut-elle être envisagée dans un cadre strictement national ?

     

    Le processus auquel nous avons été confronté depuis la fin des années 1970 est celui d’une montée en puissance des relations financières, en partie du fait de l’hétérogénéité croissante du monde, mais aussi en partie du fait d’une bataille qui se déroulait entre salariés, entrepreneurs et rentiers. Dans cette montée en puissance, les rentiers avaient une position particulièrement favorable car ils contrôlaient la ressource de la financiarisation, la liquidité monétaire. Ce faisant, ils ont progressivement imposé des institutions particulières, comme l’indépendance des banques centrales et en Europe l’Euro, afin de garantir leur place prééminente dans l’économie en s’assurant que des épisodes inflationnistes, comme ceux que l’on avait connu de 1945 à 1980, ne se reproduiraient plus. Dans cette construction institutionnelle, la clef de voute est constituée par l’Euro, au nom duquel les principales institutions et règles de la financiarisation ont été imposées. C’est pourquoi, aujourd’hui, combattre la financiarisation (et non pas une « finance » indistincte et largement mythique) passe par le combat contre la monnaie unique. On dit, et c’est un des arguments des thuriféraires « de gauche » de l’Euro que son abolition ne changerait rien et que seul compte le combat contre la financiarisation. Mais ceci oublie fort à propos que la financiarisation aujourd’hui tient grâce à l’Euro. L’indépendance de la Banque Centrale a été inscrite dans le traité de Maastricht, qui contenait lui-même l’Union monétaire, c’est-à-dire l’Euro. En fait, abolir l’Euro, c’est provoquer un changement tel des règles que l’on devra adopter un autre régime monétaire, un régime dans lequel de nouvelles institutions deviendront nécessaires et qui, pour reprendre la formule de Keynes, aidera les entrepreneurs qu’il qualifie « d’hommes nouveaux [10]» de s’affranchir de la main-morte du passé et de développer l’économie.

     

    Il est clair que ce changement nécessitera une coopération entre pays. Mais, celle-ci surviendra après que dans chaque pays on aura retrouvé sa souveraineté monétaire. Il n’est pas exclu que dans certains pays le rapport des forces soit tel que les rentiers puissent maintenir une forme dégénérée de leur pouvoir. Mais dans d’autres, des alliances spécifiques pourront se tisser entre salariés et entrepreneurs autour d’institutions nouvelles.

     

    Q – Que pensez-vous de la place du débat sur l’UE/ l’Euro dans le milieu universitaire, et au delà dans l’espace médiatique ? Existe-t-il une spécificité française en Europe en matière d’information sur ces questions ?

     

    Il est incontestable qu’il y a une spécificité française, voire franco-italienne, sur le débat concernant l’Euro. Dans d’autre pays, comme en Allemagne, aux Pays-Bas, et bien entendu en Grande-Bretagne, cette question est dépouillée du contenu quasi-mystique qu’elle prend en France. .Sa réalité et sa légitimité sont reconnues à l’étranger ; même le journal allemand Spiegel lui a consacré il y a des années de cela un long dossier[11]. En France, il se fait que nous avons construit la monnaie en religion et l’Euro en fétiche. L’Euro, c’est la religion de ce nouveau siècle, avec ses faux prophètes et ses grands prêtres toujours prêts à fulminer une excommunication faute de pouvoir en venir aux bûchers, avec ses sectateurs hystériques.  C’est cette déformation du débat qui explique la violence des réactions que toute tentative d’avoir un débat sur l’Euro, et sur une possible sortie de la monnaie unique, suscite, A lire les accusations multiples qui pèsent sur vous dès que l’on aborde un tel sujet, on est en droit de douter de la santé mentale de vos interlocuteurs. Pourtant, le débat est en train de s’imposer. Il a été longtemps nié par une large part de la classe politique et en particulier le Parti « se disant socialiste ». En France, qu’un dirigeant du Parti socialiste parle sur ce sujet et sa phrase commence immanquablement par un verset sur les « bienfaits » de l’euro (mais sans jamais préciser, et pour cause, lesquels) ou sur la « nécessité » de défendre la monnaie unique. Il semble constituer un impensé ou, à tout le moins, une question que l’on voudrait à tout prix refouler. La monnaie unique concentre en elle, comme on l’a montré plus haut, des projets économiques et politiques. Mais, elle concentre aussi des représentations symboliques. Ce sont ces interrelations qui rendent le débat à la fois nécessaire et extrêmement difficile. Ceci explique aussi la violence des réactions dès que l’on touche au principe de la monnaie unique. Nombreux, en effet, sont ceux qui ont chanté sur tous les tons les louanges de la monnaie unique, parfois avec des arguments qui étaient parfaitement recevables, mais parfois avec des arguments relevant plus de la « littérature (ou l’argumentation) à l’estomac ». L’engagement en faveur de la monnaie unique a été tel que tout débat implique une remise en cause de l’autorité morale de ces personnes, et toute remise en cause peut provoquer la perte de légitimité pour ces dirigeants ainsi que pour leurs conseillers et autres économistes à gages

     

    La crise de l’euro s’impose cependant, constituant pour l’instant un horizon indépassable. Les dernières tensions sur les marchés financiers de la semaine du 12 au 17 octobre 2014, le fait que les taux d’intérêt remontent dans les pays périphériques (Grèce, Espagne) en témoigne. Il y a donc bien une particularité franco-française à ce débat ou, plutôt, à son refus qui ne cède qu’aujourd’hui sous les coups de boutoirs de la réalité. La violence des réactions, et l’outrance des amalgames, qui parsèment la presse française traduisent pourtant le fait qu’en dépit d’un effet d’étouffoir médiatique sans précédent ce débat est en train de percer[12]. De nombreuses personnalités, tant proches du gouvernement que dans l’opposition, en parlent en privé.

     

    Dans le monde universitaire, le débat a en un sens toujours été légitime. Mais il est lourdement chargé en technique, ce qui rend les travaux peu accessibles du grand public. Cette situation semble satisfaire certains collègues, qui pourront ainsi dire qu’ils étaient conscients des méfaits de la monnaie unique, mais qui évitent prudemment de prendre position publiquement sur cette question. J’avoue que je ne comprend pas et que je ne partage pas cette attitude. Un scientifique ne fait pas des recherches « pour soi » mais pour la collectivité qui l’entretient et qui lui permet de travailler dans de bonnes (ou parfois, hélas, de moins bonnes) conditions. Il y a donc un impératif moral à diffuser le résultat de nos recherches.

    Jacques Sapir (RussEurope, 19 octobre 2014)

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