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Economie - Page 2

  • L'industrie française doit-elle s'inspirer des modèles asiatiques ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par William Thay au Figaro Vox, et consacré à la politique industrielle. William Thay est président du Millénaire, centre de réflexion d'orientation gaulliste, spécialisé dans les politiques publiques.

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    «L'industrie française devrait s'inspirer des modèles asiatiques»

    FIGAROVOX. - Vous publiez un rapport sur la politique industrielle française du XXIe siècle. L'objectif est-il de s'inspirer des modèles industriels asiatiques pour mieux rivaliser ?

    William THAY. - La crise sanitaire a accéléré des mutations déjà à l'œuvre sur le plan économique ou géopolitique. Sur le plan économique, la crise financière de 2008 a mis à mal le cycle néolibéral ouvert dans les années 80 par Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Seulement, si nous avions un Keynes ou un Friedmann pour penser les ères keynésiennes et néolibérales, nous n'avons pas encore de penseurs économiques qui ont imaginé le monde d'après.

    Il nous a alors semblé opportun d'observer les remèdes des pays est-asiatiques pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit d'un modèle qui a rencontré un succès après s'être transformé pour s'adapter aux cycles économiques. Alors qu'en 1960, les pays est-asiatiques étaient encore peu industrialisés, la Chine (2e), le Japon (3e) et la Corée du Sud (10e) figurent actuellement parmi les 10 premières puissances économiques mondiales.

    Ensuite, il s'agit probablement du cœur géopolitique et économique (renforcé par l'accord de libre-échange «Partenariat économique global»). Cette zone se retrouve alors comme notre prochain partenaire mais également concurrent. Probablement la prochaine première puissance mondiale, la Chine entraîne dans son sillage le déplacement du centre de gravité du monde de l'Atlantique Nord vers l'Asie Pacifique. Alors, si les pays est-asiatiques se sont inspirés de nous pour nous rattraper, il apparaît judicieux d'en faire de même à leur égard.

    Enfin, il s'agit pour nous de bâtir un nouveau modèle économique d'après-crise pour renouer avec les jours heureux du modèle gaullien afin de bâtir une nation d'industriels et de savants, qui permet de répondre à ce que qualifie Marcel Gauchet de «Malheur français» et de mettre un terme à la spirale continue du déclin et du nivellement par le bas.

    Vous évoquez peu le rôle de l'Union européenne et insistez sur la souveraineté industrielle du pays. La France peut-elle se permettre de faire cavalier seul pour relancer son industrie ?

    Nous avons deux solutions vis-à-vis de l'Union européenne : soit plaider pour un changement de modèle tant attendu afin d'être moins naïf sur les évolutions mondiales, soit agir nous-même pour devenir une référence à suivre pour les autres États membres. Ainsi, l'Allemagne n'a pas attendu l'Europe pour sauver son modèle grâce aux réformes Hartz menées par le Chancelier Schröder au début des années 2000. De plus, pour obtenir des arbitrages favorables dans les instances de l'Union européenne, la France doit se renforcer pour être crédible. En ce sens, devenir la première puissance économique européenne doit être un objectif car cette qualité nous permettra d'avoir le statut nécessaire de changer l'Europe.

    Pour autant, la stratégie française doit prendre en compte les spécificités européennes aussi bien ses atouts que ses faiblesses. Sur nos quinze propositions seulement deux nécessitent une modification européenne. Il s'agit d'une réforme de la politique de concurrence afin de lever les seuils permettant de créer des champions européens à partir de nos champions nationaux. L'autre concerne, la protection de notre marché intérieur pour imposer une barrière douanière aux produits qui ne respectent pas nos normes. D'autres propositions auraient pu faciliter la mise en place de notre plan, mais elles nécessitaient l'accord des autres capitales européennes, ce qui est peu probable notamment sur la politique commerciale.

    Vous parlez de «certains choix économiques et industriels discutables» qui seraient «à l'origine du déclin industriel français». À quoi faites-vous référence ?

    La France a manqué deux tournants clés, il s'agit de l'entrée dans la mondialisation dans les années 80 et le début des années 2000 lorsque l'Allemagne commence à se redresser après avoir été qualifié d'«homme malade de l'Europe».

    En 1981, la France a raté son entrée dans la mondialisation. Alors que tous les pays occidentaux adaptaient leur économie à l'ère néolibérale, les réformes socialistes ont plongé la France dans un état d'esprit où notre État-providence et notre bureaucratie interdisent davantage qu'ils ne protègent nos acteurs économiques. Les élites socialistes conduites par François Mitterrand ont négligé les mutations mondiales préférant s'accrocher aux vieilles lunes socialistes qui n'étaient plus valables avec une ère keynésienne mise à mal par les deux chocs pétroliers et l'ouverture à la concurrence induite par la mondialisation. Ainsi, il a été privilégié des politiques de soutien à la consommation par la revalorisation du SMIC et la réduction du temps de travail plutôt que de favoriser l'innovation et l'investissement dans les secteurs d'avenir. Ces manquements sont à l'origine du déclin français qui marque une rupture avec l'épopée industrielle gaulliste.

    À cela s'ajoute le manque de réforme structurelle au début des années 2000 marquées par le tandem Jacques Chirac et Lionel Jospin. Ces années sont cruciales pour comprendre le retard accumulé par la France. Alors que le PIB par habitant de la France et de l'Allemagne se situent à un niveau proche dans les années 2000, un écart se creuse à partir des années 2005-2006. En effet, la France n'a pas mené de réformes structurelles et a poursuivi une politique de baisse du temps de travail inadapté aux mutations industrielles mondiales. Tandis que les réformes structurelles conduites par le chancelier Schröder ont donné un avantage comparatif aux acteurs économiques allemand pour qu'ils puissent s'imposer dans la concurrence mondiale. Ce décrochage économique français s'est révélé par deux fois : lors de la crise de 2008 et lors de la crise sanitaire de 2020-2021.

    Vous expliquez que le bas coût de la main-d’œuvre en Asie lui est profitable. Considérez-vous que le SMIC – qui, en comparaison avec les salaires asiatiques, est élevé en France - est un frein à la compétitivité industrielle de la France ?

    Les pays est-asiatiques dont nous avons choisi de nous inspirer ont bénéficié d'une abondance du facteur travail, comme la France de la fin des années 1950. Dans un premier temps, l'absence d'un modèle social protecteur leur a permis de s'insérer dans les échanges intra-branches, principalement en qualité de fournisseurs de composants destinés à l'exportation, avant de produire des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée, permettant un rattrapage des salaires.

    La Commission européenne a longtemps jugé le salaire minimum français «trop élevé». En 2020, selon l'OCDE, la France dispose du troisième plus haut niveau de salaire minimum horaire réel en PPA des pays développés avec un salaire de 12,2 $ par heure. Il s'agit d'un niveau légèrement plus élevé que l'Allemagne (12 $), et bien plus élevé que la Corée du Sud (8,9 $) ou encore que le Japon (8,2 $). D'autant plus que la France est un des pays qui travaille le moins puisque la durée de travail tout au long de la vie est la plus faible des pays de l'OCDE. Il s'agit en effet d'un frein à la compétitivité industrielle de la France. Pour autant, la problématique du SMIC en France est davantage liée au coût qu'il représente pour l'entreprise. Il convient donc de revoir le financement de notre modèle social qui pèse beaucoup trop sur le travail et qui mine notre compétitivité. Pour faire de la France le paradis du travail, il faut rompre avec notre politique économique basée sur la consommation et la dépense publique.

    Le schéma démographique, social et surtout politique de la France est assez éloigné des modèles asiatiques, est-il ainsi possible d'adopter leur modèle économique et industriel ? Les choix économiques ne vont-ils pas de pair avec le contexte politique et sociétal ?

    L'idée est de s'inspirer dudit modèle, pas de nier des dérives inhérentes et les répercussions évidentes du dirigisme autoritaire en Chine ou auparavant en Corée du Sud sur les libertés individuelles. Nous souhaitons nous inspirer de la méthode de fonctionnement en l'adaptant à notre trajectoire historique, nos problématiques sectorielles ainsi qu'à nos traditions et notre culture politique.

    En ce sens, l'action du général de Gaulle est une illustration des possibilités d'adopter un modèle économique qui peut faire notre singularité. Son plan d'action autour de réformes économiques et un pilotage à travers le commissariat au plan ont constitué une singularité française. Nous subissons depuis les années 80, ce que le philosophe Marcel Gauchet appelle «le malheur français», puisque nous sommes dans un modèle d'entre deux : entre la volonté de conserver notre singularité et la nécessaire adaptation à la mondialisation. Les pouvoirs publics ont souhaité adapter la France à la mondialisation depuis le fameux tournant de la rigueur en 1983, sans pour autant l'assumer. Ils ont ainsi fait porter cette adaptation par les institutions européennes tout en compensant les effets pervers de la mondialisation par une politique sociale dispendieuse. Cette même politique sociale qui mine notre compétitivité et qui empêche nos acteurs économiques de pouvoir conquérir les marchés européens et mondiaux.

    Le nouveau cycle économique qui s'ouvre après les ères keynésiennes et néolibérales est plus propice à la culture française puisqu'il s'agit de cumuler la prospérité économique avec une aspiration de puissance. En prenant en compte cette évolution, nous proposons de bâtir une nation d'industriels et de savants pour construire la France d'après-crise et rompre avec le Malheur français ainsi que la spirale infernale du nivellement par bas. Pour cela, notre plan d'action regroupe 15 propositions autour de trois axes : des réformes structurelles pour créer un environnement propice aux acteurs économiques, renforcer notre tissu économique autour de champions nationaux et un réseau de PME et d'ETI.

    Cette note de politique industrielle paraît dans un contexte d'élection présidentielle. Quel candidat est, selon vous, le plus à même de relancer l'industrie et de partager ces recommandations ?

    Au vu de leur position économique, trois candidats sont susceptibles d'appliquer ce programme, avec chacun des forces et des défauts : Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Éric Zemmour.

    Le Président prochainement candidat a pour lui sa volonté d'axer sa politique économique sur l'amélioration de l'attractivité française et l'investissement. À ce titre, sa politique de baisse des impôts notamment sur le capital (transformation de l'ISF et mise en place de la flat tax), et sa politique d'investissement à travers le plan France 2030 vont dans le bon sens. Cependant, nous pouvons avoir des doutes sur sa volonté réformatrice. Tout d'abord, l'abandon du plan Action publique 2022 et son absence de réforme structurelle durant son quinquennat sont un manque. Ensuite, Emmanuel Macron se heurte à une certaine résistance comme le soulignent les manifestations récentes après ses propos sur les «non-vaccinés». Est-ce qu'une tentative de réformes structurelles en cas de réélection ne se heurtera pas à un blocage de la société comme lors des Gilets jaunes et des manifestations contre sa tentative avortée de réforme des retraites ?

    Valérie Pécresse présente de nombreux avantages en s'inspirant du programme de François Fillon. Ses réformes économiques sont les plus précises et les plus volontaristes. Cependant, comme l'ancien Premier ministre, son programme apparaît comme punitif parce qu'il ne propose pas une perspective aux Français, à savoir un cap. Si, elle arrive à projeter une vision comme celle que nous proposons à savoir bâtir une nation d'industriels et de savants, elle apparaîtra comme la mieux armée parmi les trois parce qu'elle arrivera à justifier les efforts nécessaires pour construire la France d'après-crise.

    Éric Zemmour a des positions plus libérales que Marine Le Pen, dont le programme économique et social comprend la retraite à 60 ans. En revanche, il n'a pas projeté ses réformes pour bâtir la France de 2050 et son programme, trop interventionniste, ne comporte pas de réelles réformes structurelles. En ce sens, il cumule les défauts d'Emmanuel Macron et de Valérie Pécresse : un manque de volonté de réforme structurelle, une possibilité non négligeable de manifestations, et une absence de vision économique.

    William Thay (Figaro Vox, 18 janvier 2022)

     
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  • Mondialisme : la tyrannie des élites ultralibérales...

    Le 22 novembre 2021, Pierre Bergerault recevait sur TV libertés, dans l'émission Politique & Eco, Philippe Murer, pour évoquer son dernier essai, Sortir du capitalisme du désastre (Jean-Cyrille Godefroy, 2021). Économiste, Philippe Murer est spécialiste des questions liées à la souveraineté économique, à l'environnement et à l'énergie.

     

                                               

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  • L’e-Euro : outil de souveraineté européenne ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Henon et Michel Makinsky cueilli sur Geopragma et consacré à la stratégie européenne concernant la création d'une crypto-monnaie...

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    L’e-Euro : outil de souveraineté européenne

    Faut-il le rappeler, la monnaie est un instrument souverain émis par une autorité monétaire disposant, dans le meilleur des cas, d’une indépendance lui permettant de gérer la valeur de cette monnaie loin des contingences du politique. Cette souveraineté monétaire ne se limite pas au seul droit d’émettre, mais s’étend au droit de réglementer c’est-à-dire, entre autres, d’en contrôler la masse en circulation, sa valeur et d’avoir un droit de regard sur certains champs de son utilisation s’agissant notamment des flux externes pour lesquels des contreparties étrangères se voient dès lors opposer des lois monétaires nationales.

    Toutes les monnaies ne se valent pas si l’on peut dire. En effet, en dépit d’un déficit public américain qui atteint les 12% du PIB et d’une dette publique abyssale qui frôle les 29 trillions de dollars[1] (environ 125% du PIB), le dollar bénéficie de la puissance économique mais aussi militaire des États-Unis. La devise américaine est une valeur refuge. En période d’incertitude, les investisseurs se désengagent des régions à risques pour placer leur argent sur les marchés financiers américains réputés sans risques. En captant une part non négligeable de l’épargne mondiale, les États-Unis peuvent ainsi financer leurs déficits budgétaire et commercial. Pour le moment en tout cas.

    Grâce à cette profondeur de liquidités, le dollar devient également un enjeu d’influence politique fort : étalon mondial, monnaie d’échange sur les marchés internationaux, destination d’investissement des réserves de banques centrales… Il constitue une arme diplomatique de première envergure s’agissant notamment des politiques d’embargos et après tout, rappelons qu’il s’agit d’un instrument souverain.

    Cependant, depuis les années 2000, les monnaies occidentales reculent dans les réserves de change des banques centrales hormis l’Euro qui fluctue de manière constante autour des 20% de parts de marché après avoir atteint un pic historique en 2009 à 28% avant la crise des dettes souveraines de 2011. Le FMI indique que ce repli est encore plus marqué pour le dollar qui atteint son niveau le plus faible depuis 25 ans, « tombant » à un niveau néanmoins toujours plus que respectable de 59%[2] contre 71% en 1999… L’Euro ne semble malheureusement pas profiter du recul du dollar, en raison sans doute de la politique monétaire mise en œuvre et des incertitudes tant économiques que politiques.  

    Les investisseurs pourraient-ils se détourner du dollar ? La People’s Bank of China[3] pourrait-elle amplifier la vente des titres américains qu’elle détient ? Ce n’est pas certain : la prudence inspire Pékin qui ne souhaite pas nécessairement susciter une baisse significative de la valeur du dollar qui pourrait à certains égards lui être préjudiciable. Il reste néanmoins que la Chine dispose ici d’un levier parmi d’autres. La transition énergétique signe-t-elle la fin du pétrole, marché historiquement en dollars ? Sans céder à la tentation vaine des scénarios apocalyptiques inopérants, une diminution progressive (et relative selon les zones géographiques) du rôle du pétrole dans le ‘mix’ énergétique peut affecter cette devise au fur et à mesure de la régression programmée des énergies fossiles. L’évolution de la dette publique américaine et les évolutions géopolitiques obligent les banquiers centraux à peser tous les scenarii

    Sans lien de causalité, dans le contexte de cette érosion possible des monnaies de référence, d’autres systèmes ont émergé ; initialement sur des bases libertaires, ils ont désormais la capacité de devenir systémiques et de concurrencer les monnaies de banques centrales. La valorisation mondiale des crypto-actifs fait l’objet de diverses estimations fluctuantes autour des 2,5 trillions de dollars. Face à ce succès grandissant, les banques centrales ont été obligées de se positionner pour protéger leur monopole de création monétaire. Elles ont ainsi été forcées à envisager, pour rester concurrentielles, d’une part de se doter elles-mêmes de monnaies digitales dont la valeur serait adossée à la monnaie de référence, d’autre part d’envisager une réglementation adaptée pour maîtriser ce nouvel écosystème sans pour autant étouffer l’innovation.

    En effet, si les citoyens et leurs entreprises réalisaient à l’avenir l’essentiel de leurs transactions sur des systèmes privés en se passant de la monnaie officielle, comme l’Euro ou le dollar, le risque de déstabilisation serait considérable pour le système financier. Le cas Libra de Facebook en est d’ailleurs l’illustration. Compte-tenu de la taille du réseau de Facebook (près de 3 milliards d’utilisateurs), ce cryptoactif assis sur un panier de devises (stablecoin) dont Facebook souhaitait faire une monnaie d’échange entre ses utilisateurs constituait un risque pour les monnaies internationales. La FED a rapidement repris en main le sujet… La BCE a marqué son opposition à la circulation d’un Diem en Euros (le remplaçant édulcoré de Libra). La FED et la BCE ont raison.

    La Chine, et c’est une première au monde, vient d’interdire l’utilisation des crypto-monnaies sur son propre territoire et expérimente sa propre monnaie digitale de banque centrale. Son projet s’inscrit dans une double volonté de contrôle des géants de l’Internet en interne et de promotion du Yuan sur la scène internationale.

    Autre exemple, en Iran, alors que des milliers de ‘fermes’ illicites sont utilisées par de nombreux opérateurs (autant pour des transactions commerciales extérieures que comme outil de spéculation, mais aussi pour des activités de marché noir au profit de structures hors contrôle), le think tank de la présidence de la République a élaboré sous le mandat du précédent chef de l’Etat (H.Rohani) une feuille de route pour une monnaie digitale. La Banque Centrale d’Iran (BCI), à l’image de sa consoeur chinoise, se prépare à réguler l’ensemble de ce domaine (bitcoin et monnaie virtuelle assise sur la devise nationale). L’approche iranienne s’inspire de celle de Pékin. Notons que la technologie utilisée en Iran provient sans doute de Chine (la ‘ferme’ sinistrée il y a quelques temps en Iran était opérée par des chinois…). La BCI a déjà accordé plusieurs licences à des opérateurs dont un important acteur turc ; elle entend réserver cet usage à des exportations licites. Le Parlement se prépare également à légiférer. Parallèlement, les autorités procèdent à des fermetures massives d’installations illicites, mais semblent impuissantes à les éliminer pour reprendre le contrôle de cette situation car celles-ci disposent de puissants appuis haut placés dans le régime. La constitution d’un e-toman ou e-rial répond à un objectif prioritaire pour la République Islamique : contourner les sanctions américaines, et éviter le dollar, afin de permettre aux exportations iraniennes de pouvoir être payées plutôt que de recourir aux seuls mécanismes de barter en marchandises[4]. L’Iran a cruellement besoin d’argent et le recours à une monnaie digitale serait une arme efficace pour contribuer à desserrer l’étau américain. Pareillement, l’émergence d’un e-Yuan est pour la Chine un outil pour parer les sanctions et pressions américaines et échapper au carcan du dollar[5].

    Soyons prudents : ne cédons pas aux sirènes alarmistes. Pékin ne vise pas la marginalisation du dollar dans les transactions internationales, pas plus que Téhéran (en dépit de discours martiaux). Mais cet outil est un moyen de protection. Ajoutons que Moscou, plus discrètement, travaille aussi sur ces orientations.

    Dans le contexte du renforcement croissant des liens entre ces 3 acteurs, le recours à des devises digitales assises sur des monnaies nationales est une tendance non seulement macro économique mais également géopolitique si ces partenaires en arrivent à coordonner leurs actions.

    Les défis et obstacles à franchir sont encore nombreux. Par nature, en quelque sorte, la monnaie digitale est vue (non sans raison) avec suspicion par toutes les autorités et organes de régulation traquant l’argent sale, le financement du terrorisme, les activités illicites. Les monnaies digitales vont a priori directement à l’encontre de l’orientation générale d’une transparence et d’une traçabilité accrues suscitée par les révélations de dissimulations ou d’optimisations fiscales abusives (cf les Pandora Papers). Le Gafi vient d’actualiser ses lignes directrices[6] sur les fournisseurs d’actifs virtuels. De son côté, le Trésor américain  a perçu l’émergence des monnaies virtuelles et a publié en octobre 2021 de nouvelles « Lignes Directrices de conformité aux sanctions pour l’Industrie des monnaies virtuelles ». L’administration américaine s’emploie ainsi à affiner son arsenal réglementaire, et le cas échéant, de sanctions.

    De plus, la concurrence avec les crypto-actifs reste un combat intense à mener pour les banques centrales comme en témoigne François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France en janvier 2020 : « La monnaie, ça ne peut pas être privé. La monnaie c’est un bien public de souveraineté. C’est une réflexion que nous commençons, parce qu’elle pose énormément de questions. » Puis en juillet 2021, « sur l’Euro numérique nous devons être prêts à agir aussi rapidement que nécessaire sans quoi nous risquerions une érosion de notre souveraineté monétaire, ce que nous ne pouvons tolérer. »  

    La France et l’Europe auraient grand tort néanmoins de ne pas tirer parti de ce nouveau champ des possibles encore insoupçonné. La Présidence Européenne française en 2022 est l’occasion de développer ce leadership. Une monnaie a besoin d’être gérée pour assurer sa valeur, ce que les crypto-actifs n’assurent pas. Des opérateurs régulés telles que les banques ou établissements de paiement sont essentiels pour intermédier la distribution de cette monnaie numérique auprès des citoyens avec un taux de confiance sur la solvabilité de ces intermédiaires et sur la sécurité des transactions.

    En Europe, les pays adoptent une position judicieuse mais sans doute conservatrice. Ils ont signé en janvier 2019 l’accord « Joint statement on stablecoins[7] » déclarant en substance qu’aucun stablecoin ne devrait porter atteinte à la stabilité financière, à la sécurité et à l’efficacité des systèmes de paiement, à la concurrence loyale ainsi qu’à la souveraineté monétaire existant dans l’Union européenne. La Banque de France expérimente néanmoins depuis l’an dernier l’utilisation d’un Euro numérique pour les échanges interbancaires. En parallèle, elle participe aux réflexions de la BCE sur un usage plus large de la monnaie. L’émission d’un E-Euro numérique permettrait de combiner les qualités de la monnaie centrale en termes de confiance et de liquidité avec les facilités d’usage d’une monnaie digitale.

    Au-delà de l’optimisation exceptionnelle apportée par une monnaie digitale (quelques secondes de délai pour une monnaie digitale contre 3 à 5 jours pour un virement hors Union Européenne actuellement, un coût de quelques centimes contre parfois plusieurs dizaines d’Euros…), les infrastructures de paiement actuelles sont composées de multiples strates qui se sont accumulées au cours du temps et constituent autant de portes pour accéder aux informations et identifier les transactions. Il faut ici rappeler que Swift Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication, dont le siège social est en Belgique à La Hulpe près de Bruxelles, fonctionne sous la forme d’une coopérative et que la part d’actionnariat dépend de la proportion d’utilisation des messages swifts… autant dire qu’avec 40,4% des paiements internationaux réalisés en dollars, certaines influences y sont plus marquées que d’autres, comme en témoigne d’ailleurs l’Accord Swift[8] signé en 2010. Il s’avère que les Etats-Unis ont abusé, si ce n’est détourné les dispositions de l’Accord supposé contribuer à la lutte contre le terrorisme international, en se servant de l’accès aux informations sur des transactions licites opérées par des entreprises étrangères avec l’Iran pour exercer des moyens de pression, et le cas échéant recueillir des éléments permettant de prononcer des sanctions extraterritoriales à leur encontre. De ce point de vue, il serait indispensable que l’Union Européenne exige d’insérer dans cet accord une disposition interdisant aux administrations et juridictions américaines d’utiliser Swift pour contraindre, voire poursuivre et sanctionner des entreprises ou banques européennes.

    De plus, sur un plan très technique, un e-Euro est concrètement un objet fait de lignes de code informatique auquel il est désormais possible d’ajouter des propriétés additionnelles opérables dans le monde des paiements… identité du détenteur, conversion possible ou non dans une devise – dans certaines transactions il y a en effet un risque de conversion intermédiaire utilisant notamment le dollar et donc d’enclenchement du fameux US Nexus (88% des transactions de change impliquent le dollar, il y a donc plus de liquidités sur ces paires de devises).

    20% de part de marché pour l’Euro sur les paiements internationaux est bien médiocre eu égard au marché et à l’importance stratégique qui devrait revenir à la zone Euro. La France doit prendre le leadership sur la monnaie numérique et augmenter la part de marché de l’Euro dans les transactions internationales. Est-il encore acceptable que des places de marché internationales (métaux, matières premières, pétrole) n’utilisent que le dollar pour les cotations et les transactions ? Est-ce normal que des biens fabriqués en Europe tels des Airbus soient encore vendus uniquement en dollars ?

    Détrôner le roi dollar ne serait ni simple ni souhaitable. Il s’agit d’instaurer un nouvel équilibre, incluant le respect des partenaires et de leur souveraineté et de mettre aussi un terme à un mode de concurrence déloyale. La transition monétaire nécessite un temps long et être le premier en la matière donne des privilèges incommensurables. Il ne s’agit plus dès lors d’incantations mais de rapports de force géopolitiques à mettre en œuvre pour faire progresser l’Euro.

    Il se trouve que les circonstances présentes confortent l’urgence d’un renforcement de celui-ci. La Commission européenne, après avoir conclu le 31 août 2021 son bilan de l’application du règlement de blocage 2271/96 destiné à protéger les opérateurs européens contre les sanctions et menaces de sanctions extraterritoriales américaines (sur des transactions jugées licites en Europe), a lancé une consultation, notamment auprès des organisations nationales représentant les entreprises, sur les amendements et modifications utiles pour accroître l’efficacité de ce règlement. Or, cette dernière est en quelque sorte minée ab initio par une disposition (article 5 alinéa 2) qui permet aux entreprises européennes dont les intérêts seraient menacés par des législations extraterritoriales, de solliciter de la Commission européenne une dispense de se soumettre au règlement qui leur impose de ne pas se conformer aux dites législations extraterritoriales. Il suffit donc de demander à être exclu du règlement de blocage pour en être exonéré… (et donc se soumettre de son plein gré à l’extraterritorialité américane)!

    Toujours à titre d’illustration et, en raison des contraintes pesant sur elles, très peu d’entreprises ont avoué à la Commission avoir renoncé à commercer avec l’Iran à cause des menaces ou risques de sanctions américaines et déposé une requête de dispense de conformité. Si les autorités européennes avaient interrogé les nombreuses sociétés qui ont interrompu leurs opérations avec l’Iran, celles-ci auraient répondu avoir simplement changé leur politique commerciale devant un marché moins… attractif. Il nous semble peu probable que modifier le règlement puisse résoudre cette impasse et protéger les Européens des futurs rapports de force à venir et ce, quels qu’en soient les pays d’origine. De toute façon il conviendrait de demander la suppression de l’article 5 alinéa 2 du règlement. Ce dernier conserve une valeur de simple message politique sans grande portée pratique. Une exception naîtra-t-elle de la première action contentieuse introduite en Allemagne où il a été invoqué ?[9].

    Nous notons au passage que le risque de menaces (comme de parades) attachées aux sanctions extraterritoriales (ou non) est bien loin de se limiter aux Etats-Unis. La Chine, en particulier, a prononcé le 22 mars 2021 des sanctions (qui ne sont pas extraterritoriales) retirant à un certain nombre de personnalités et d’organisations l’accès au territoire chinois, mais aussi (ce qui est moins connu) interdisant aux entreprises qui leur sont liées de mener des transactions avec la Chine. Il est intéressant de noter aussi que d’une part, le 9 janvier 2021, le ministère chinois du commerce (Mofcom) a publié un décret (Executive Order) bloquant les législations extraterritoriales étrangères. Puis, le 10 juin 2021, Pékin a adopté une législation anti-sanctions, qui prévoit de sanctionner toute entité qui d’une façon ou d’une autre participera à des mesures hostiles à la sécurité de la Chine. La panoplie des représailles (non précisées) est sans doute vaste[10]. On comprend tout de suite que ce dispositif ne peut être assimilé au règlement communautaire européen, tout simplement parce que la puissance et la détermination politique de la Chine ne sont pas vraiment comparables à celles de l’Union Européenne qui serait bien en peine d’infliger des ‘punitions’ du même ordre.

    Si la territorialité des sanctions possibles est manifeste, en revanche, comme le soulignent certains experts, le flou règne quant à ce qui pourrait affecter citoyens et entreprises hors du champ des juridictions chinoises

    Enfin, en matière d’imperium juridique, l’implication spectaculaire de la Chine dans l’élaboration des normes internationales reflète une volonté d’y imprimer sa marque en profitant de rapports de forces qui lui sont favorables. Ainsi, à l’occasion de la mise en place accélérée des projets liés aux Routes de la Soie, Pékin organise et impose un système de normes[11] et règles qui risque de bouleverser l’ordre international. Une forme nouvelle et subtile d’extraterritorialité[12] à la chinoise qui ne dit pas son nom n’est pas loin.  

    D’autres pistes de défense des intérêts européens (représailles commerciales, sanctions contre les intérêts des Etats, formes diverses de protection(nisme ?) seront certainement évoquées ici ou là. Nous doutons de leur efficacité réelle tant qu’elles ne seront pas assorties de l’insertion au sein de tout accord commercial avec les pays concernés (les négociations transatlantiques pourraient ne pas être un cas unique) d’un ‘chapitre bloquant’ reprenant les conditions indispensables à la liberté et la sécurité des transactions européennes avec des tiers, sous peine d’un refus de l’Union Européenne de signer un tel accord. Il nous semble que l’Euro digital pourrait apporter une contribution plus pragmatique et plus constructive (pour l’ensemble des parties).

    In fine, l’Euro aura été pensé comme un moyen de cohésion et de commerce. Il serait grand temps d’ambitionner d’en faire un instrument de puissance et de souveraineté. Le dollar apparaît de plus en plus contesté sur le fond par des monnaies émergentes et l’Euro reste second de loin. Nous avons ainsi une longueur d’avance sur les autres monnaies et notamment sur le Yuan chinois dont la convertibilité est par ailleurs encore très limitée. En tous les cas, il n’est pas encore près de devenir une monnaie de réserve… Mais l’outil digital chinois, que nous évoquions plus haut, pourrait changer la donne… Pékin ne veut assurément pas la marginalisation du dollar, contraire à ses propres intérêts, mais veut mettre un terme à l’utilisation de cette devise par Washington à des fins autres que celles d’un outil commun de transactions. La Chine n’accepte plus (elle semble faire des émules) que le dollar serve d’outil coercitif d’alignement politique et de moyen d’éliminer ou de neutraliser des concurrents sur de nombreux marchés.

    Il faut saisir rapidement l’opportunité qu’elle soit technique ou géopolitique. Sous réserve d’une profondeur de liquidité suffisante et d’une innovation dont nous avons parfois encore le secret, un E-Euro activement soutenu par la France pourra se placer comme réponse à l’ascension des cryptomonnaies, promouvoir un leadership européen et assurer une meilleure immunité face aux outils de la coercition économique qui deviendraient juridiquement et opérationnellement inopérants.

    Notre dernière doléance : pour un Euro renforcé, il faut désormais également que certains Etats se décident à une trajectoire budgétaire acceptable sans quoi l’Euro finira par ressembler à une pyramide de Ponzi dans laquelle les problèmes des uns sont reportés sur l’Union sans jamais être réglés. Le délai d’écroulement de cette pyramide avant l’heure de vérité est-il vraiment trop éloigné pour être d’importance à nos politiques?

    Philippe Henon et Michel Makinsky (Geopragma, 8 novembre 2021)

     

    Notes :

    [1]   Données US Treasury « Total Public Debt outstanding »au 28/10/2021

    [2]   Enquête du FMI sur la composition en monnaies des réserves de change officielles (COFER) du 5 mai 2021

    [3]   Banque Centrale Chinoise

    [4] Voir Michel Makinsky, « L’Iran : enjeu nucléaire, élections présidentielles et relations extérieures », Institut d’Études de Géopolitique Appliquée, Juin 2021.

    [5]  Selon une analyse de la Deutsche Bank, le Yuan digital a pour vocation d’accélérer les transactions intérieures et à l’extérieur, de renforcer le Yuan face aux autres devises : Deutsche Bank, Digital Yuan : what is it and how does  it work ?, 14 juillet 2021. Sur la dimension géopolitique de cet outil, notamment à l’égard des sanctions américaines, voir : Evan Freidin, China’s digital currency takes shape, The Interpreter, Lowy Institute, 8 septembre 2021.Voir aussi : Le Digital Yuan: remise en question chinoise de l’ordre monétaire mondial ?  Ecole de Guerre Economique, 4 juin 2021 et : China’s Digital Yuan: An Alternative to the Dollar-Dominated Financial System – Carnegie India – Carnegie Endowment for International Peace, 31 août 2021.

    [6]   https://www.fatf-gafi.org/publications/fatfrecommendations/documents/guidance-rba-virtual-assets-2021.html

    [7]   https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/12/05/joint-statement-by-the-council-and-the-commission-on-stablecoins/#

    [8]   L’accord Swift est un traité international entré en vigueur le 1er août 2010 entre l’Union européenne et les États-Unis. Il donne aux autorités américaines l’accès aux données bancaires européennes stockées sur le réseau de la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (SWIFT), dans le but de lutter contre le terrorisme, sous certaines conditions de protection de la vie privée des citoyens.

    [9]   Une question préjudicielle a été posée à la Cour Européenne de Justice (CJUE) par une Cour d’appel allemande dans l’affaire Bank Melli Iran c/ Telekom Deutschland Gmbh qui avait suspendu ses services à cette banque au motif qu’elle était sur la liste des entités sanctionnées par les Etats-Unis.La juridiction allemande a demandé à la CJUE si le Règlement de Blocage pouvait faire obstacle à cette suspension. Le 12 mai 2021 l’avocat général a rendu son opinion indiquant que le Reglement (art. 5§1) pouvait être invoqué pour s’opposer à l’interruption des services. Au passage il critique l’obligation de solliciter une dispense pour s’exonérer du respect du Règlement. La décision de la CJUE est attendue avec intérêt. Environ 80% des décisions suivent les conclusions de l’avocat général. Voir : https://lupicinio.com/en/the-advocate-general-delivers-his-opinion-on-the-interpretation-of-the-european-unions-blocking-statute-bank-melli-iran-v-telekom-deutschland/.

    [10] Voir : Alan Hervé « Œil pour œil, dent pour dent » ou quand la Chine adopte une législation en réponse aux sanctions internationales, Le Club des Juristes, 30 juin 2021.

    [11] La France peut-elle contribuer au réveil européen dans un XXIème siècle chinois ? Rapport d’information N°846 de Mme Gisèle Jourda, MM. Pascal Allizard, Edouard Courtial, André Gattolin et Jean-Noël Guerini, Sénat, 22 septembre 2021.

    [12] Certains experts chinois énoncent qu’il est pertinent pour Pékin de développer un corpus juridique à caractère explicitement extraterritorial  :Zhengsing Huo,Man Yp,Extraterritoriality of Chinese Law : Myths, Reality and the Future, The Chinese Journal of Comparative Law,12 mai 2021 : https://academic.oup.com/cjcl/advance-article-abstract/doi/10.1093/ cjcl/cxab004/ 6274891?redirectedFrom=fulltext .

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  • Sortir du capitalisme du désastre...

    Les éditions Jean-Cyrille Godefroi viennent de publier un essai de Philippe Murer intitulé Sortir du capitalisme du désastre et préfacé par Jacques Sapir. Économiste, Philippe Murer est spécialiste des questions liées à la souveraineté économique, à l'environnement et à l'énergie.

     

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    " Depuis longtemps, l’économie des pays occidentaux envoie des signaux inquiétants : fermeture d’usines, hausse inexorable du chômage, précarisation, forte hausse de la pauvreté et milliardaires dont la fortune augmente à toute vitesse, baisse du niveau de vie, réduction drastique des libertés. Les « révoltes » de l’Amérique de Trump, du Royaume-Uni du Brexit, la grande révolte des gilets jaunes en France, soutenue par 80% des Français, sont les signes que les peuples ne l’acceptent plus.

    Tout cela ne vient pas de nulle part. C’est la conséquence de décisions politiques, elles-mêmes conséquences d’une théorie économique dominante, maquillée par mille ruses et mensonges : l’ultralibéralisme. Qui sont ses penseurs, quel est ce dogme, comment s’est-il diffusé, naturalisé sans même que la plupart d’entre nous ne s’en aperçoivent ?

    Sur son propre terrain, l’économie, nous démontrerons que les résultats de ce dogme sont piteux en utilisant des graphiques sur 60 ans des grandeurs économiques principales, l’équivalent de l’expérience scientifique en économie. Nous démonterons aussi ses mythes et ses pièges.

    Enfin, nous plongerons en profondeur dans les mécanismes aujourd’hui à l’œuvre dans notre économie et leurs conséquences sur les hommes. Ces mécanismes nous conduisent obligatoirement au désastre économique, social, écologique et même anthropologique.

    Ce désastre n’est absolument pas inéluctable.

    Après le constat, viennent les antidotes à ce poison. Les solutions sont nombreuses et cohérentes. Serons-nous capables de les saisir ou laisserons-nous nos sociétés mourir ? "

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  • Mondialisation : le « dernier clou dans le cercueil » ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un échange entre Yves Perez et Jacques Sapir, dans l'émission RussEurope Express sur Sputnik France, consacré à la question du protectionnisme. Économiste, professeur émérite de l’Université catholique de l’Ouest à Angers, Yves Perez est l'auteur d'un essai intitulé Vertus du protectionnisme (L’Artilleur, 2020).

     

                                              

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  • Autonomie nationale et détention du capital...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à la protection des actifs stratégiques nationaux.

     

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    Autonomie nationale et détention du capital

    La réflexion stratégique doit s’étendre à la protection et au développement des activités et institutions essentielles pour la communauté nationale. La crise de la Covid nous a par exemple rappelé l’importance d’assurer la sécurité d’approvisionnements qualifiés justement de stratégiques. Mais en matière économique, il n’y a pas que les échanges commerciaux ; il y a aussi les mouvements financiers et les rapports technologiques ; et il y a le pouvoir, le contrôle des entreprises. La prise de contrôle d’une entreprise, surtout d’une certaine taille ou jouant un rôle particulier dans la vie collective, ne peut être considérée comme une opération neutre. Cela implique évidemment une contrôle minimal par l’autorité publique sous forme d’autorisation de cette cession, lorsque l’activité de cette entreprise le justifie. Mais la réflexion ne peut s’arrêter là. Elle doit porter plus généralement sur le l’ensemble des modalités de détention des entreprises : droit de vote, statuts, composition des actionnariats.

    Un préalable : la prise en charge de l’activité nationale

    La disparition de pans entiers ou de segments vitaux de la production aboutit à des bouleversements, par disparition d’emplois et parfois de pans entiers d’activité (compensés plus ou moins par d’autres, mais n’affectant pas les mêmes personnes). Pour en évaluer le sens, deux faits sont à considérer. D’un côté, les théories économiques classiques sur les bienfaits du commerce international (spécialisation sur les avantages comparatifs) sont simplistes. Non seulement on n’est jamais dans le cadre du schéma théorique ; mais en outre les avantages comparatifs sont loin d’être des données immuables ; ils dépendent largement de l’histoire et de la volonté humaine. Se résigner à une position résultant des données du moment est peu rationnel. Mais d’un autre côté il serait absurde de viser une forme d’autarcie ; non seulement parce qu’une grande partie des biens nécessaires ne peuvent être produits sur place (matières premières, spécialités chimiques, technologiques ou autres), ou pas de façon aussi économique, mais aussi parce que l’échange porte en soi ses bienfaits. Il se déduit de tout ceci qu’une attitude intelligente est intermédiaire : une forme d’ouverture raisonnée et contrôlée. Mais elle est difficile à assurer politiquement de façon rationnelle (on ferme la frontière par démagogie là où on devrait rester ouvert, mais on ouvre là où on manque d’ambition).

    Ceci est aggravé par la mobilité du capital financier. Sans parler des crises que cela peut causer ou aggraver, elle distend de façon encore plus forte le lien entre actionnaires et entreprises. Il paraît donc que le degré de protection ou de contrôle sur les mouvements de capitaux, notamment sur les actions (fonds propres) devrait être plus strict que sur celui des marchandises. La question clef est donc l’élaboration d’un mode de gestion collective pragmatique, visant à la protection de la communauté et notamment du travail, mais sans fermeture méthodique, combinant détention largement locale/nationale des entreprises, culture appropriée des actionnaires et des travailleurs, et intervention publique judicieuse.

    La question de l’actionnariat

    Un point essentiel soulevé par tous les critiques de notre système économique est la financiarisation. Notamment, le marché devient le moyen de tourner la caractéristique principale de l’actionnariat : l’engagement à risque dans l’entreprise sur la longue durée, puisque les actionnaires peuvent vendre leurs titres à tout moment. En un sens donc, le marché boursier est devenu trop souvent le lieu du refus de l’engagement. D’où son court-termisme et la déformation que cela imprime au fonctionnement des entreprises, obsédées par le seul résultat financier observé instantanément. Le symptôme est particulièrement aigu dans le cas des OPA (offres publiques d’achat) : elles permettent en effet de changer radicalement l’orientation d’une entreprise, y compris contre sa direction (OPA hostile). Mais c’est aussi un moyen pour ses actionnaires de récupérer leur argent en totalité, et au prix fort. Le désengagement du capital est alors total. En amont, la menace ou la possibilité permanente d’une telle OPA est en outre un moyen puissant pour les actionnaires et pour le marché de dicter une conduite aux dirigeants.

    La question se pose avant tout dans le cas des sociétés commerciales. Il ne s’agit pas ici de remettre en question leur principe, et donc celui de l’actionnariat. Il est logique que celui qui prend l’essentiel des risques liés à l’entreprise soit celui qui prenne les décisions, en assume les profits et les pertes, et en soit donc au sens propre le propriétaire. Le modèle de la société commerciale (par actions) est donc légitime, même s’il n’est pas le seul, et s’il comporte aussi des devoirs. Il reste que, dans le cas de l’actionnaire d’une société cotée, qui a la possibilité de vendre son action à tout moment, le lien risque d’être beaucoup plus lâche – même si pour vendre il doit trouver un acheteur qui se substitue à lui. Et cela peut donner lieu à de multiples excès, par court-termisme, financiarisation etc., et plus généralement non-respect de l’intégrité de l’entreprise, de sa raison d’être et de son rôle collectif. D’où l’intérêt majeur de favoriser la détention sur longue durée ainsi que l’engagement actif des actionnaires.

    Les voies d’action possibles

    La première voie vise à privilégier avec détermination la détention à long terme. Certes, il serait difficile et illogique de contraindre directement l’ensemble des investisseurs, notamment financiers, à se passer de toute liquidité. Mais plusieurs moyens sont disponibles pour les inciter à détenir les titres sur une certaine durée : par exemple, en donnant des droits de vote différenciés selon la durée de détention, soit après coup, soit par un engagement pris à l’avance. Cela conduit logiquement et au minimum à une mesure simple : supprimer les droits de vote en cas de détention sur courte durée – ce qu’on fait pourtant fort peu. De même lorsque le gestionnaire ne poursuit pas dans sa gestion le bon fonctionnement de l’entreprise, comme dans le cas de la gestion passive ou indicielle. Le gérant se borne alors à suivre l’indice. Il est alors absurde qu’il exerce un droit de vote.

    Une deuxième famille de réflexion vise à structurer l’actionnariat en favorisant un noyau dur et stable, par exemple la famille fondatrice, ou les fondateurs en général, ou des actionnaires liées par un pacte (avec des droits de vote accrus, des pouvoirs de veto etc.), ou par des fondations dédiées comme on va le voir. Ce qui se relie évidemment avec la considération de la raison d’être de l’entreprise, qu’on va évoquer. Mais cela peut conduire à la mise en place d’un nouvel investisseur public, avec des moyens conséquents – ressemblant éventuellement aux fonds souverains de certains pays. A l’Amafi j’avais proposé la réactivation à cette fin du Fond de réserve des retraites créé par Jospin, et stupidement mis en liquidation progressive sous Sarkozy.

    Une troisième famille de réflexion consiste à décourager certaines OPA jugées nocives, soit par des dispositifs externes (examen par les pouvoirs publics ; pression de l’environnement de l’entreprise, etc.), soit par des mécanismes financiers telles les ‘poison pills’ américaines. Une intervention publique peut notamment se justifier lorsqu’un changement d’actionnariat modifie profondément l’orientation de l’entreprise, notamment au profit d’intérêts étrangers à la communauté nationale.

    Plus fondamentalement, une quatrième famille de réflexion consiste à préciser la ‘raison d’être’ de l’entreprise, qui doit aller au-delà de l’intérêt pécuniaire des actionnaires. C’est ce que propose de façon un peu timide la loi ‘Pacte’ française. Dans l’optique qui est la nôtre, elle devrait s’insérer dans une préoccupation de bien commun et conduire à de vrais engagements. Car l’entreprise est d’abord une communauté humaine, certes partielle, mais réelle, qui vise à réaliser ensemble une œuvre : fournir aux autres, à la société, certains biens ou services. Le calcul économique est une des composantes de cette action, mais pas son centre exclusif. Celui qui achète une telle action sait alors clairement quelles sont les orientations de l’entreprise concernée. Bien entendu, la question se pose du respect ultérieur de cette « charte fondatrice » en cas de changement massif de l’actionnariat. C’est même un enjeu essentiel, notamment pour des sociétés cotées à large actionnariat, car il est tentant pour des prédateurs de s’emparer d’une société gérée de façon éthique pour en tirer à court terme des superprofits en vivant sur la bête, ou même, plus modestement, pour des actionnaires de chercher à les gérer dans une perspective purement financière. Outre diverses méthodes juridiques (majorité très renforcée pour changer la raison d’être, etc.), une proposition attractive de Colin Mayer est d’utiliser des fondations : un conseil de mandataires (‘trustees’) est chargé de veiller au respect par les dirigeants (et les actionnaires) de cet objet social, selon des modalités librement déterminées par les parties intéressées. Soit avec des droits spécifiques, soit en étant un actionnaire particulier.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 21 juin 2021)

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