Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non nous fait découvrir l’œuvre de l'économiste hétérodoxe austro-hongrois Joseph Schumpeter, qui a identifié le principe de la destruction créatrice comme moteur du capitalisme.
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Dans cette nouvelle vidéo, Ego Non nous fait découvrir l’œuvre de l'économiste hétérodoxe austro-hongrois Joseph Schumpeter, qui a identifié le principe de la destruction créatrice comme moteur du capitalisme.
Les éditions L'Artilleur viennent de publier un essai de André-Victor Robert intitulé La France au bord de l'abîme. De formation scientifique, André-Victor Robert est économiste.
" Ce livre décrit l’état de la France à la fin de l’année 2023, en matière économique et démographique. Il appuie le diagnostic non pas sur des impressions d’observation personnelle, mais sur les statistiques issues des instituts officiels et sur les travaux académiques disponibles les plus récents. Les statistiques présentées dans cet ouvrage sont toutes disponibles en ligne, sur les sites Internet de l’Insee, de l’Ined, d’Eurostat, de l’OCDE et des principaux instituts de statistiques des pays européens. Les liens pour y accéder sont tous présentés.
Pour donner une vraie signification aux chiffres, l’auteur présente par ailleurs les évolutions temporelles des grandeurs considérées et des comparaisons avec les autres pays développés. Le lecteur peut ainsi mieux évaluer la situation particulière de la France.
Le bilan qui se dégage de cet examen d’ensemble est très sombre et l’urgence de mettre en oeuvre des changements radicaux apparaît dans toute sa crudité. "
Le 31 octobre 2022, Olivier Pichon, avec Pierre Bergerault, recevait sur TV libertés, dans l'émission Politique & Eco, Jacques Sapir, pour évoquer le basculement du monde provoqué par la guerre en Ukraine et les sanctions occidentales prises contre la Russie.
Économiste hétérodoxe, directeur d’études à l’EHESS, expert de l’économie russe, Jacques Sapir a publié de nombreux essais comme La fin de l'euro-libéralisme (Seuil, 2006), La démondialisation (Seuil, 2011) ou Souveraineté - Démocratie - Laïcité (Michalon, 2016).
" Nous assistons, en dépit des apparences, à l’affaiblissement continu des États-Unis et de leurs alliés. Ce processus prend la forme d’une "désoccidentalisation" du monde qui va de pair avec la démondialisation, avec l’émergence des BRICS et de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Mais il faut aussi comparer la part dans le PIB mondial (calculé en parité de pouvoir d’achat) du G-7 et celle des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Aujourd’hui, ce groupe de pays, qui est en passe de s’élargir avec de nouveaux candidats comme l’Algérie, l’Argentine, le Nigeria, le Kenya, l’Indonésie et la Turquie, apparaît comme un bloc refusant les sanctions décidées par les États-Unis et l’UE. Il est donc clair que le processus de démondialisation est aujourd’hui engagé de manière irréversible. Dans ce contexte, quelle est la taille réelle de l’économie de la Russie ? Par la méthode de la parité de pouvoir d’achat, l’économie russe devient alors à peu près équivalente à celle de l’Allemagne. Et compte tenu de la dépendance, que ce soit celle de l’UE ou plus globalement des marchés mondiaux, aux exportations russes, l’impact sur le reste du monde des sanctions sera quant à lui très fort. C’est l’une des formes les plus évidentes de "l’effet boomerang". Enfin, le rouble s’est apprécié d’environ un tiers et les pays des BRICS réfléchissent sur la constitution d’un fonds monétaire qui leur est propre. Le gel des avoirs de la Banque centrale de Russie a eu pour conséquence d’inquiéter les autres membres du FMI qui songent sérieusement à le quitter pour ne pas tomber sous le coup des mêmes mesures : effet boomerang toujours et encore. "
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue consacré à la « déterritorialisation des terres » , cueilli sur le site Champs communs - Le laboratoire d'idées de la reterritorialisation animé par Guillaume Travers.
Professeur d'économie, Guillaume Travers est chroniqueur à la revue Éléments et a notamment publié Pourquoi tant d'inégalités ? (La Nouvelle Librairie, 2020), Économie médiévale et société féodale (La Nouvelle Librairie, 2020), Capitalisme moderne et société de marché (La Nouvelle Librairie, 2020) et La société de surveillance, stade ultime du libéralisme (La Nouvelle Librairie, 2021).
La déterritorialisation des terres : un changement civilisationnel
« Déterritorialisation des terres » : l’expression est paradoxale. Et pourtant, c’est bien de cela dont il s’agit : des terres transformées en purs actifs financiers, échangées dans le monde entier par des sociétés anonymes dont les gérants ne les habiteront jamais ; des terres qui ne vaudront que comme placements ou sources de dividendes. Le phénomène est difficile à mesurer, car les statistiques disponibles ne le saisissent pas, mais il s’accélère massivement. Tentons un état des lieux.
Un état des lieux
En France, l’un des premiers signaux d’alerte s’est allumé en 2015, lorsque deux entreprises chinoises ont racheté 1 700 hectares de terres agricoles dans l’Indre. Le phénomène n’était pas complétement nouveau : on savait ces achats de terres massifs sur d’autres continents, et l’on avait déjà vu des vignobles passer dans des mains étrangères. Mais l’annonce a néanmoins fait l’effet d’une petite bombe – c’était là des champs de blé et d’orge. Un livre récemment paru, Hold-up sur la terre, montre que les acheteurs ne sont pas qu’étrangers : nombre de petites exploitations et de parcelles sont rachetées par des groupes industriels et des entreprises de la grande distribution, Fleury Michon ou Chanel. Les prix payés pour ces achats dépassent tout ce que les jeunes agriculteurs peuvent raisonnablement débourser pour s’installer. À petit feu, l’agriculture cesse d’être familiale, pour être confiée à des multinationales gestionnaires embauchant des travailleurs agricoles non propriétaires. Il est à craindre que la tendance s’accentue soudainement, car la moyenne d’âge chez les agriculteurs est élevée, et plus de 160 000 exploitations devront trouver un successeur dans les trois ans à venir. Enfin, dernière révélation récente : la terre intéresse aussi les très grandes fortunes. Aux États-Unis, le plus grand propriétaire de terres arables n’est autre que Bill Gates, le fondateur de Microsoft, qui détient 97 000 hectares de champs répartis sur 18 États – et qui a bien du mal à expliquer publiquement les raisons de ces achats.
Le même mouvement touche aussi les forêts. Le bois bénéficie de la mode des énergies « vertes », mais ce n’est guère une bonne nouvelle pour la gestion des forêts, qui se voit industrialisée : des parcelles entières rasées et replantées avec une seule espèce – celle qui convient le mieux à la demande du marché. Là encore, un livre récent, Main basse sur nos forêts, tente d’alerter l’opinion. Et là aussi, la question des achats par l’étranger devient saillante. Plus de 30% du bois français partirait vers l’étranger avant d’être transformé, et notamment vers la Chine, dont les importations de chêne ont bondi de 42% sur un an (et de 66% pour les résineux).
Notons, pour clore brièvement le constat, que des tendances comparables touchent aussi le foncier urbain. Au Canada, dans des villes comme Toronto ou Vancouver, plus du tiers de l’immobilier serait possédé par des acteurs chinois. À New York, des débats intenses ont récemment eu lieu s’agissant de certains gratte-ciel autour de Central Park, qui passent de sociétés financières en sociétés financières, sans même être habités. De purs placements.
La rupture du lien à la terre
Le fait de pouvoir acheter des terres n’importe où dans le monde paraît normal à la plupart de nos contemporains. Cela ne choque la majorité, au mieux, que dans quelques cas extrêmes. Si l’on considère la longue durée historique, c’est pourtant quelque chose de tout à fait neuf.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des institutions européennes, une distinction très nette est toujours établie entre les biens immobiliers et les biens mobiliers. Ces derniers, que l’on parle de troupeaux ou de monnaie, ont très tôt été l’objet d’échanges, y compris avec des étrangers. À l’inverse, c’est un pléonasme d’affirmer que le propre de l’immobilier, c’est d’être immobile. Contrairement aux biens meubles, les Européens se sont toujours représentés la terre comme quelque chose qui ne peut pas être liquide, échangeable avec n’importe qui. La terre n’est pas un simple bien matériel, c’est le lieu sur lequel se déploie l’existence d’une lignée ou d’une communauté. Ce fait se laisse voir par de multiples exemples. Ainsi, dans le monde antique, là où les biens mobiliers sont échangés sans formalisme abondant (selon un modèle propre aux transactions commerciales), l’échange de la terre était beaucoup plus rare et formalisé par des cérémonies de nature religieuse : en faisant passer la terre de mains en mains, on délogeait les divinités familiales qui y habitaient, et cela ne pouvait être un acte anodin. Depuis l’Antiquité et jusqu’à la Révolution de 1789, une pratique comme celle du retrait lignager évitait la dispersion du patrimoine des lignées, en permettant précisément de ramener un bien dans le lignage quand celui-ci devait être vendu. Quant à la qualité d’une terre, elle n’a longtemps pas été pensée comme quelque chose de purement objectif ou matériel. On pensait au contraire qu’une terre était meilleure si des lignées illustres y avaient résidé : toujours, la valeur de la terre était représentée comme intrinsèquement liée à l’identité de ceux qui y avaient vécu ou y vivaient toujours. Sous des formes diverses, ces grands traits se retrouvent, pour autant qu’on puisse les reconstituer, depuis les civilisations indo-européennes jusqu’à la fin du Moyen Âge, en passant évidemment par l’Antiquité grecque et latine et par le monde germanique.
La distinction très forte longtemps établie entre mobilier et immobilier avait un grand nombre de conséquences pour la structure de l’ordre social. Tout d’abord, la terre avait toujours une dimension politique. Elle était le bien des citoyens ou des membres de la communauté et n’était jamais cédée, ou presque, à des étrangers hors de la cité ou de la communauté. Pour cette raison, l’attachement à la terre était aussi le fondement du pouvoir – aussi bien à Rome que dans le monde féodal. Mais, et c’est ce qui est ici le plus important pour nous, le traitement spécial accordé à la propriété de la terre fut associé à tout un univers mental. La terre n’était pas un bien coupé des hommes, mais une chose à laquelle ils étaient intimement reliés. Elle était considérée comme ce qu’il y a de plus sûr (une perception qui demeure encore aujourd’hui en Europe, ce qui n’est pas le cas dans toutes les aires culturelles, où les biens considérés comme les plus sûr son parfois des meubles, comme les bijoux). Enfin, là où les biens mobiliers sont liquides, homogènes (rien n’est plus similaire à une pièce de monnaie qu’une autre pièce de monnaie), et peuvent être accumulés en théorie sans fin, l’immobilier est associé à l’image d’un monde profondément divers et borné. L’idée que l’on puisse accumuler sans fin des terres, considérées seulement pour leur superficie ou leurs qualités abstraites, est un non-sens dans le monde européen prémoderne.
On mesure donc la révolution que constituent les dynamiques actuelles d’accaparement, où les terres ne valent plus, aux yeux de ceux qui les achètent, comme lieux différenciés et habités d’une âme, mais comme source de profits, ou comme simples « actifs sûrs » pour l’investissement. Historiquement, ce bouleversement est le fruit de la Révolution française et du Code civil, qui ont fait triompher une conception purement individualiste et absolue de la propriété. L’accélération très récente de la concentration de la terre dans les mains de groupes internationaux est un fruit direct de l’amplification de la mondialisation – mais qui ne doit pas faire oublier ces causes plus anciennes. Dans le cas des terres agricoles, la rupture se manifeste nettement dans le fait que les parcelles ainsi achetées ne sont plus travaillées par des paysans attachés à un champ particulier, mais par des simples travailleurs agricoles, possiblement tout aussi mobiles que les capitaux qui les emploient.
Les périls de l’industrialisation
Si la « déterritorialisation de la terre » heurte notre sensibilité, elle est aussi porteuse de périls graves. Elle témoigne d’un rapport pathologique, purement utilitariste et court-termiste, à notre environnement. Car l’autre face de la marchandisation de la terre, c’est son industrialisation, sa gestion technique, comme une ressource distante, afin de maximiser la profitabilité immédiate du sol.
Les dangers sont particulièrement nets dans le cas des parcelles forestières, dont l’intérêt stratégique est depuis longtemps connu. Au XVIIe siècle, alors que la construction d’un navire peut nécessiter l’abattage de 4000 chênes centenaires, Colbert pense la politique forestière de la France à l’horizon d’un siècle au moins. Récemment, la Chine a fait de même, interdisant l’abattage de tout chêne dans le pays pour une durée de 99 ans. La Russie a suivi, en interdisant les exportations de bois. Alors qu’elle a longtemps été un modèle de gestion forestière, la France subit aujourd’hui de plein fouet les ravages de la marchandisation. La pression commerciale pousse à couper des arbres très anciens, à une vitesse qui ne permet plus leur renouvellement. L’absence de régulation stricte, qui se fonde sur l’illusion libérale selon laquelle rien n’est stratégique localement, car tout pourra toujours être acheté ailleurs, menace tôt ou tard certains de nos approvisionnements. Une part croissante de ces ressources stratégiques part à l’étranger alors que, dans un mouvement inverse, nombre de pays réduisent leurs exportations. À la faveur de discours industriels vantant la « biomasse » et l’« économie verte », les parcelles déboisées sont souvent replantées avec une espèce unique, poussant vite et qui permettent d’optimiser l’utilisation de l’espace. Les conséquences écologiques sont parfois désastreuses : gérée par des coupes franches de parcelles entières, la forêt perd en diversité, et cesse d’être un écosystème vivant pour devenir une plantation industrielle d’arbres. De tels maux sont particulièrement nets sur les terres achetées par des multinationales afin de « compenser » leurs émissions de carbone par des plantations d’arbres. Certaines de ces parcelles n’ont parfois plus rien de naturel, et deviennent paradoxalement des déserts biologiques.
Les périls d’une gestion trop distante planent aussi sur les terres agricoles. Gérées de manière industrielle, elles sont converties afin de produire les marchandises les plus échangeables internationalement. Dans le contexte actuel, les cultures destinées à la production de bio-carburants tiennent le haut du pavé, et raison notamment des subventions et du regard public favorable dont elles jouissent. Sur le temps long, le développement à grande échelle des bio-carburants est cependant un leurre. Tout d’abord, les terres étant limitées, leur exploitation à des fins énergétiques se fait au détriment de la production alimentaire – humaine ou animale – , de sorte que l’indépendance en ce domaine est remise en cause. Ensuite, ces activités, qui valent avant tout par la quantité de biomasse produite, sont particulièrement épuisantes pour les sols (il s’agit de planter de priorité ce qui pousse « beaucoup » et « vite ») et sont souvent très gourmandes en intrants. On voit poindre là un danger majeur : le jour où les biocarburants cesseront de bénéficier de subventions directes ou indirectes, l’intérêt des industriels s’en détournera, et l’on réalisera que des millions d’hectares de terres ont été appauvris par des politiques à trop court terme. Le sol est, lui aussi, une ressource épuisable et stratégique qu’il convient de gérer sur le temps long. La marchandisation des terres n’y participe guère.
Conclusion
Un pays dont le peuple n’est plus maître de ses terres est en danger : parce qu’il s’expose à des crises majeures mais aussi parce qu’il cesse d’habiter son environnement et de nouer avec lui des liens intimes. Des garde-fous ont longtemps existé, même à l’époque moderne, pourtant dominée par l’absolutisation du droit de propriété : les Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural) pour réguler la vente des terres agricoles, et l’ONF (office national des forêts) pour gérer les forêts. Malheureusement, par manque de volonté politique, ces deux structures ont été laissées à l’abandon. Dans les deux cas, le tarissement des fonds publics a été compensé par un financement privé, qui a pour partie modifié la nature de ces organismes : financés par des prélèvements sur les ventes de terres agricoles, ou par les ventes de bois, ces institutions ont désormais, davantage que par le passé, intérêt à maximiser les transactions et l’exploitation industrielle des ressources… donc à accompagner le pillage des terres et le démantèlement du patrimoine commun. En miroir, de plus en plus de pays dans le monde nous montrent une autre voie : celle qui conduit à voir la terre comme une ressource d’intérêt national, qui ne peut pas être abandonnée au seul jeu de l’offre et de la demande mondiales.
Champs communs (Champs communs, septembre 2022)
Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue d'Olivier Maison Rouge, cueilli sur le Journal de l'économie et consacré à la nécessité d'intégrer la question environnementale à la réflexion en matière d'intelligence économique au niveau européen...
Écologie, Énergie et Intelligence Économique
L’écologie a été largement préemptée par la sphère politique et idéologique ; c’est un fait.
Pour autant, la réflexion environnementale ne doit pas être absente de l’intelligence économique, bien au contraire. Cela doit en être une donnée essentielle et structurante dans le traitement de l’information stratégique et la maîtrise de l’environnement dans toutes ses composantes.
De l’indépendance énergétique à la pénurie coupable
En matière énergétique, par exemple, la France du général de Gaulle avait su investir massivement sur le nucléaire civil, afin de contribuer à son indépendance. On sait depuis lors combien ce choix fut payant pour la France, d’une part, et de quelle manière elle fut la cible privilégiée des guerres informationnelles autour de l’atome, d’autre part.
Ce choix avec une hauteur de vie indéniable – au-delà de l’autonomie stratégique destinée à réduire la dépendance aux autres acteurs économiques et puissances concurrentes– devait s’avérer prémonitoire et audacieux en matière environnementale. On sait désormais que cette énergie est faible consommatrice en carbone, parmi les plus neutres au monde (3 grammes CO2 / kWh).
D’ailleurs, même le Japon, qui a été profondément ébranlé par une catastrophe naturelle lors du tsunami de 2006 (drame de Fukushima) qui avait affecté l’une de ses centrales, avait abandonné cette énergie avant d’y revenir désormais. Il ne s’agit pas ici de louer aveuglément cette énergie qui présente également des risques certains. Pour autant, elle a largement fait ses preuves et fait l’objet d’un contrôle strict.
Pour l’avenir, la course à la fusion nucléaire devient un impératif stratégique. C’est dire si les esprits ont changé sur le sujet longtemps décrié.
La France avait incontestablement un avantage acquis dans ce domaine que peu d’acteurs pouvaient lui disputer. Pour une fois, elle devançait même l’Allemagne qui – bien que soucieuse de son industrie – avait abandonné l’atome pour relancer ses centrales à charbon (870 grammes CO2/kWh), contribuant à reconstituer une économique carbonée tout en se lançant dans un Green Deal européen de manière assez schizophrène…
Elle a néanmoins abdiqué sous le poids des dénonciations médiatiques, d’une part, et des mécanos politico-industriels Framatome-Areva-Orano, d’autre part. L’Europe a eu sa part dans cet affaiblissement indirectement téléguidé par les Allemands. Areva et EDF ont depuis lors été recapitalisées chacune pour près de 5 milliards d’Euros chacune par l’État français alors qu’elles étaient extrêmement rentables, en plus d’assurer l’autonome stratégique de la Nation.
EDF avait longtemps le monopole de la vente d’électricité. À travers elle, l’État avait investi sur des énergies autonomes, au bénéfice de la population française, selon un prix réglementé et une production assurée. La libéralisation et l’Europe – ainsi que les menées antinucléaires – ont eu la peau de ce fleuron. Alors que ses réserves financières étaient considérables il y a encore 15 ans, permettant d’assurer l’indépendance stratégique en finançant à long terme des transformations industrielles, EDF a vu depuis lors – en vendant à perte de l’électricité à ses propres concurrents au nom d’une prétendue concurrence, forcément asymétrique, car les nouveaux acteurs n’ont jamais supporté les investissements originels – sa trésorerie asséchée (tarif ARENH). EDF est désormais menacée de démantèlement par Bruxelles (plan Hercule). Elle n’a pas pu conserver son savoir-faire, ni davantage entretenir et investir dans son parc, au bénéfice d’opérateurs privés. C’est donc le potentiel énergétique de la France qui a été atteint.
Ce faisant, d’exportateur d’électricité, la France est devenue importatrice, à l’heure où la balance commerciale est déjà très déséquilibrée, à son désavantage.
Des énergies alternatives peu dirimantes
À ce stade, il est encore vain de croire que d’autres énergies renouvelables seront suffisantes à court terme.
Mais la France ne manque toutefois pas d’atouts. L’énergie hydraulique, verte par excellence est méprisée alors que la France est un château d’eau. Elle est même la proie d’objections idéologiques, qui affaiblissent la cohérence d’une production énergétique durable et respectueuse de l’environnement, tout en étant pleinement profitable et diversifiée.
À défaut, nous voyons pulluler de prétendues énergies nouvelles – faiblement décarbonées – telles que le photovoltaïque ou l’éolien. À l’heure où l’on abandonne – sans doute à juste titre – le moteur à explosion à énergie thermique, le besoin d’énergie électrique n’a jamais été aussi pressant. Or, non seulement ces ressources alternatives n’offrent pas les mêmes capacités de production, mais par surcroît elles créent une nouvelle forme de pollution, plus grande encore. En effet, que penser des fermes à panneaux solaires – comme il en pousse en Espagne – ou des champs d’éoliennes, désormais off shore, en mer qui porte atteinte à notre magnifique littoral ; le béton des côtes n’avait pourtant pas suffi ? Ces infrastructures consomment tout d’abord davantage qu’elles ne le prétendent, mais encore elles défigurent nos territoires, constituant une autre forme d’atteinte à l’environnement in fine.
Précisément, il n’est malheureusement pas suffisamment pris en compte la pollution visuelle, comme d’ailleurs la pollution sonore. À l’heure on l’on institue un délit d’écocide, il faudra prendre en considération ces atteintes dans l’avenir portées au cadre de vie. Précisément, puisque l’urgence climatique a été décrétée, il convient de penser cette harmonie dans son ensemble, et s’abstenir, au nom d’un autre productivisme court-termiste, de sombrer dans de nouveaux actes portant atteintes à l’environnement. En effet, il ne s’agit pas de limiter la protection de l’environnement exclusivement à ses données carbone, pollutions des eaux, appauvrissement des sols, émissions de gaz, etc. C’est un tout non négociable, un ensemble savant et cohérent comme l’avait déjà pensé Blaise Pascal dans les deux infinis.
Protection de l’environnement et intelligence économique
Par voie de conséquence, le respect des écosystèmes, dans toutes leurs composantes, doit être intégré à la politique géoécologique, sans exclure les atteintes aux territoires, aux paysages et aux cadres de vie.
La nature est en effet un ordonnancement harmonieux, fécond pour l’homme et son environnement ; mais c’est aussi un équilibre fragile et précaire, qu’il ne s’agit pas de brutaliser sans discernement et sans conséquence.
Ce faisant, l’Europe, qui conserve un vieux fond humaniste qui intègre la place de l’homme dans son élément, a souvent su éveiller les consciences et parfois prendre les devants en la matière. Même si les efforts sont modestes, il n’en demeure pas moins que l’Occident est en mesure d’être un modèle.
D’aucuns diront cependant que l’Europe a bonne conscience a œuvrant ainsi à donner des leçons de morale, privant les pays émergents de pouvoir atteindre un niveau de productivité légitime, tandis que l’Europe n’a pas eu les mêmes pudeurs auparavant. Pour ces détracteurs, l’écologie serait même un facteur de déséquilibre économique mondial destiné à laisser dans la misère industrielle les pays qui n’ont pas eu accès au développement économique auquel ils aspiraient. Cette accusation – relayée par des déclinistes verts – serait fondée sur un droit à polluer des pays émergents, tandis que les économies européennes devraient tendre à la décroissance.
Au-delà d’une chimère stérile, un tel vœu tend en réalité à maintenir l’Europe dans un asservissement économique au bénéfice des industries avancées de l’Asie. Voilà un exemple des pensées déviantes radicales qui néanmoins fait son nid chez certains, adeptes de la décroissance, contre les économies occidentales. Comme si la culture de l’excuse permanente devait faire une politique publique écologique.
L’Europe a su cependant devenir une forme de référence en matière de protection de la nature, héritage de son humanisme.
Dès lors, ces choix politiques doivent trouver à s’imposer au-delà de nos frontières. De la même manière qu’elle a su faire respecter le respect de la vie privée numérique avec le RGPD, y compris de manière extraterritoriale, c’est avec la même rigueur fondamentale que l’Europe doit ériger ses propres critères environnementaux à l’égard des pays tiers avec lesquels elle échange. Ce cadre s’est encore imposé avec les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordre avec la loi de mars 2017 relative au respect des droits humains, contraignant les entreprises françaises et leurs sous-traitants étrangers.
Sur ce modèle, l’Europe doit définir le principe fort de protection de l’environnement – dans toutes les composantes civilisationnelles telles que recensées ci-avant – et l’intégrer à sa politique commerciale, imposant ses standards aux produits importés, à peine de taxation ou de retour à l’expéditeur.
À l’instar des normes CE (1) en matière de santé, sécurité, hygiène, etc., l’écologie intégrale doit s’imposer à ses cocontractants extraeuropéens. L’idée n’est d’ailleurs pas nouvelle et déjà, en 2011, Arnaud Montebourg l’avait-il intégré à son programme de présidentiable à l’occasion de la primaire socialiste.
Puisque le monde est en voie de déglobalisation, cette opportunité est à saisir dès à présent, faisant du respect de l’homme et des civilisations un enjeu fondamental dans le cadre des rapports économiques asymétriques, au même titre que les intérêts fondamentaux de la Nation.
Olivier de Maison Rouge (Journal de l'économie, 12 septembre 2022)Note :1 - Conformité aux exigences de l'UE
Les éditions de L'Esprit du temps viennent de publier un essai d'Yves Perez intitulé Friedrich List et l'économie politique des nations, avec une préface de Jacques Sapir. Décédé au début de cette année, Yves Perez était économiste, professeur de la faculté de droit, d'économie et de gestion de l'Université Catholique de l'Ouest à Angers et enseignait également aux écoles militaires de Saint-Cyr Coëtquidan. Il a publié plusieurs livres, dont Les vertus du protectionnisme (L'Artilleur, 2020) et Protéger ou disparaître - Le débat français sur le protectionnisme (Perspectives Libres, 2021).
" Parce qu'il a vécu dans l'Allemagne de la première moitié du XIXè siècle, pays pauvre et en retard, List a magistralement compris le dilemme des pays émergents. Soit ces pays imitent l'économie du pays dominant, acceptent le jeu du libre-échange et ils tombent dans une dépendance sans cesse accrue à l'égard du monde extérieur. Soit ils s'efforcent de se frayer une voie originale vers le développement en préservant leur souveraineté. Pour y parvenir, il est nécessaire que ces pays rompent avec la vulgate libre-échangiste et mondialiste en s'appuyant sur le rôle de l'Etat développeur et du protectionnisme éducateur. Depuis un siècle et demi, tous les pays émergents comme l'Allemagne, les Etats-Unis, la Russie et le Japon à la fin du XIXe et durant le XXe siècle, ont emprunté ce chemin, suivis ensuite par les pays du Sud-Est asiatique et, enfin, par la Chine aujourd'hui. Ce livre comporte quatre parties principales : La première porte sur List et sa théorie du développement économique des nations. La seconde traite de l'influence de la pensée de List à l'ère des nationalismes économiques (1870-1945) La troisième aborde la question de l'influence de la pensée de List à l'ère des indépendances et des décolonisations. La quatrième partie étudie l'actualité de la pensée de List à l'ère de la démondialisation et du retour des nations. Elle constitue le prélude à l'élaboration d'une économie politique des nations adaptée à notre temps. "