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  • Le blanchiment des idées sales...

    Les éditions de L'Artilleur viennent de publier un essai de Julie Graziani intitulé Les escrocs - Le blanchiment des idées sales. Agrégée de lettres, diplômée d’HEC, Julie Graziani est spécialiste en redressement d’entreprise et également éditorialiste et chroniqueuse pour plusieurs médias.

     

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    "Les histoires d’escroqueries et d’abus de confiance sont fréquentes dans la vie quotidienne. Le plus souvent la déconvenue nous sert de leçon et nous devenons plus prudents lors des transactions ultérieures.

    Mais pourquoi donc n’appliquons-nous pas la même vigilance envers ceux qui utilisent les idées pour nous séduire ? C’est ce que Julie Graziani essaye de comprendre en appliquant ses méthodes d’analyse économique au monde intellectuel et politique. Car il ne faut pas s’y tromper, les responsables politiques sont parfois des commerçants et s’ils cherchent à ce point notre adhésion, il se peut que ce soit à leur avantage plus qu’au nôtre.

    Quelle que soit notre sensibilité, les agitateurs d’idées savent faire appel à nos émotions en déguisant sous des apparences nobles et altruistes des idées qui font appel à certaines de nos pulsions douteuses. Dénoncer l’appât du gain en suggérant qu’on ferait bien les poches des milliardaires, défendre les femmes en les cantonnant à un statut de victime, mettre en avant l’urgence ou la rationalité des experts pour forcer votre consentement, vous culpabiliser si vous résistez, les méthodes sont nombreuses sur le marché très lucratif de l’influence intellectuelle. Sans jamais verser dans la défiance systématique, Julie Graziani les analyse et propose un usage raisonné du soupçon qui permet une prise de distance salutaire, un outil pour voir plus clair et arbitrer librement."

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  • Trump face à la logique de la guerre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun, cueilli sur Geopragma et consacré à la logique de la guerre, qui semble échapper à Trump.

    Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    Trump face à la logique de la guerre

    Donald Trump a beaucoup insisté sur une dimension de son programme : la recherche de la paix, la fin des guerres idéologiques, et le terme mis aux guerres existantes, en premier lieu l’Ukraine et Gaza. On lui prête même le désir d’obtenir le Prix Nobel de la Paix, comme avant lui Barack Obama (même si avec le recul ce dernier n’est pas très convaincant).

    Il a pu mettre en avant plusieurs interventions qui pourraient avoir eu une influence réelle dans le sens de la paix, entre Thaïs et Cambodgiens, entre Indiens et Pakistanais, etc. Mais ce sont là des dossiers mineurs par rapports aux deux où il est vraiment attendu, l’Ukraine et Gaza. Sur ceux-là il a donné longtemps et donne encore souvent l’impression de patiner, loin de ses promesses initiales de régler tout cela facilement et rapidement. Même s’il vient de marquer un point sur Gaza.

    On peut, semble-t-il, admettre que sa volonté de chercher la paix est réelle – même s’il a un faible pour les solutions de force. On sait en outre que la connaissance intime de la vie internationale n’est pas son fort.  Mais cela n’explique pas tout ce qui se passe. On a en effet l’impression qu’il explore successivement plusieurs hypothèses sur tel ou tel aspect de ces conflits, pour ensuite découvrir d’autres dimensions qui lui montrent que l’équation est plus complexe qu’il n’apparaissait. Ce faisant il progresse ; mais les problèmes résistent.

    Le dilemme ukrainien

    La difficulté est particulièrement nette dans le cas de l’Ukraine. Tantôt il fait un geste en faveur de Poutine, voit des possibilités de coopération fructueuse avec la Russie, comprend que Poutine ne fera jamais la paix en lâchant les territoires conquis ou en laissant les troupes occidentales s’installer en Ukraine. Tantôt au contraire il menace la Russie de sanctions terribles, livre des armes à Kiev, déclare la victoire de ce dernier possible, et se brouille avec l’Inde pour la punir d’acheter du pétrole russe. Tantôt il insulte publiquement Zelenski, lui reprochant son ingratitude et son irréalisme, tantôt il s’entretient cordialement avec lui. Tantôt il court-circuite les Européens, tantôt il les remet dans le jeu en vue de garanties à donner à l’Ukraine, et surtout pour payer les frais de la guerre en achetant du matériel américain. Etc. 

    Mais au-delà du processus d’apprentissage, d’une méthode bizarre de négociation, ou du jeu normal de l’exploration des options, il semble qu’il y ait un autre facteur plus profond, une certaine ignorance ou sous-estimation de la logique de la guerre. Je l’avais noté dans un précédent article sur ce même site, en juin 2022 :

    « Qui dit guerre dit choc de deux volontés en sens contraire, dont la solution est recherchée dans la violence réciproque. Par définition, cela suppose que l’une au moins des deux parties considère que ce recours à la force a un sens pour elle, et que l’autre soit ait la même perception, soit préfère résister à la première plutôt que céder. La clef de la sortie de l’état de guerre est dès lors principalement dans la guerre elle-même et son résultat sur le terrain. Mais comme la guerre est hautement consommatrice de ressources, puisque son principe est la destruction, elle a en elle-même un facteur majeur de terminaison : elle ne peut durer indéfiniment. Le rapport de forces sur le terrain peut d’abord aboutir à la victoire d’une des deux parties, qui obtient un résultat la conduisant à cesser les opérations une fois son but atteint, ou conduisant l’autre à jeter l’éponge. Alternativement, on a une situation non conclusive, mais qui elle aussi ne peut durer. A un moment donc, les opérations s’arrêtent, et le statu quo a des chances de se stabiliser au moins pour un temps. Bien entendu, un tel arrêt des opérations n’est pas nécessairement définitif. En effet, après un moment de cessation des hostilités, si le choc des volontés subsiste, la reconstruction des forces rend possible une reprise des hostilités.

    Mais dans tous les cas, tant que ces facteurs de terminaison n’ont pas opéré suffisamment, la guerre continue, car les motifs qui y ont conduit restent, et le sort des armes auxquels les deux parties ont eu recours n’a pas donné sa réponse. Arrêter prématurément signifierait en effet pour celui qui va dans ce sens non seulement que tous ses efforts antérieurs ont été vains, pertes humaines et coûts matériels en premier lieu, mais surtout cela reviendrait à accepter une forme de défaite avant qu’elle soit acquise ; or il avait par hypothèse décidé de se battre. Dès lors il continue, et l’adversaire de même.

    C’est là que les bonnes volontés, attachées à la paix, sont déçues – un peu naïvement. Leurs appels à une cessation des hostilités, si possible sans gagnant ni perdant, tombent alors presque toujours sur des oreilles sourdes. Du moins tant que la logique même du déroulement de la guerre n’y conduise. »

    Comme je le notais déjà, la guerre en cours entre la Russie ou l’Ukraine en fournit une bonne illustration. La Russie occupe environ 20% du territoire ukrainien ; elle a une relative supériorité matérielle ; elle n’est pas à genoux économiquement ; elle n’a donc a priori aucune raison de s’arrêter. L’Ukraine vise évidemment à récupérer son territoire antérieur ; elle a bien mieux résisté que ce que les experts pensaient, et reçoit une aide conséquente des Occidentaux. Elle continue donc la lutte. Tant que ces facteurs seront à l’œuvre (donc tant qu’il n’y a pas selon les cas, percée militaire, effondrement économique, épuisement des perspectives etc.), la guerre continuera.

    De l’extérieur, seule une action très puissante pourrait éventuellement changer cet état des choses. Mais pour Trump, cela supposerait une toute autre stratégie que celle qu’il a suivi : soit intensifier très brutalement les sanctions et surarmer l’Ukraine, avec de gros risques et sans être sûr que cela marche, loin de là ; surtout quand on voit, comme Trump l’a fait remarquer, les hésitations des Européens à aller au bout de la logique des sanctions, en frappant avec détermination l’Inde et la Chine – excusez du peu. Soit, au contraire, tordre le bras de Zelenski et des Européens, mais dans ce qui pourrait apparaître comme une capitulation – et là encore, en supposant que cela marche. D’où l’hésitation : il a joué successivement avec ces idées diverses. Il apprend en cours de route, mais cela ne donne pas la réponse.

    D’autres leçons

    Par ailleurs, un point qui n’est pas assez souligné est le rôle innovateur des guerres réelles, particulièrement évident ici en Ukraine avec l’usage des drones et autres systèmes qui ont radicalement remis en cause ou en tout cas redimensionné dans un certain usage le rôle d’armes autrefois centrales comme les chars, les hélicoptères de combat ou même les avions. Le fait est clairement perçu par tous mais on est loin d’en tenir toutes les conséquences, notamment aux États-Unis et en Europe. Car ce sont pratiquement des armées nouvelles qu’il faudrait mettre sur pied.

    En outre, cela conduit à revoir en profondeur le rapport de force réel sur le continent européen. Car les deux seules armées qui ont une expérience intense et complète de ces nouvelles réalités du combat sont l’ukrainienne et la russe. Actuellement elles se battent. Mais lorsque la guerre sera finie, elles seront sous un certain angle surpuissantes par rapport aux armées occidentales. Et donc la Russie, à mon sens peu dangereuse avant 2022 contrairement à l’idée reçue, peut le devenir une fois les hostilités terminées. En tout cas, elle aura les moyens d’autres ambitions. Mais l’Ukraine, évidemment non menaçante, totalement ravagée, aura à ce moment-là développé une spécialité rare et recherchée : la conduite de la guerre moderne, et l’armement correspondant. Il ne faudra oublier ni l’un ni l’autre lorsqu’on considérera les conditions de la paix. Mais d’ici là, cela colore les positions des uns et des autres ; et ni côté russe ni côté ukrainien, cela ne pousse à la paix, tant qu’un certain seuil n’est pas atteint, contraignant à s’arrêter.

    Le guêpier moyen-oriental et Gaza

    Le paysage est différent, mais plus prometteur à Gaza. Au départ, la même logique est à l’œuvre. Laissés à eux-mêmes, à court terme, d’un côté Netanyahou et derrière lui une partie appréciable d’Israël excluait d’arrêter les opérations tant que le Hamas subsistait et gardait des otages. D’un autre côté, le Hamas n’avait pas de raisons de capituler, malgré la supériorité militaire écrasante d’Israël, d’autant que les souffrances des Gazaouis ne le gênent pas (c’est son bouclier humain), et le servaient diplomatiquement.

    Pour Trump, cela se compliquait du tiraillement entre ses liens avec Israël d’un côté, ses amitiés arabes de l’autre, notamment dans la Péninsule arabique. Mais il a indéniablement là aussi appris en cours de route, notamment à écouter un peu plus. Et surtout il a ici des moyens de pression bien plus substantiels qu’en Ukraine. Dès lors, un accord de cessez-le-feu a pu apparaître possible, d’où son plan. On verra ce que l’opération donnera finalement, mais cela peut permettre, dans le meilleur des cas, d’arrêter les hostilités actuelles à Gaza même. Ce qui est une excellente chose.

    En revanche, plus profondément, les vrais objectifs stratégiques des deux côtés restent non seulement radicalement incompatibles, mais chacun structurel : pour Israël, sauf pour une minorité, c’est le refus d’un Etat palestinien et la poursuite de la colonisation, au moins en Cisjordanie, avec à l’horizon au moins implicite un état juif sur l’essentiel de la Palestine. Pour le Hamas (ou, s’il disparaît, un autre mouvement du même type), c’est la destruction d’Israël. Même un observateur extérieur bienveillant a du mal à discerner une solution équitable, dans ce conflit sans bonne solution, deux peuples se disputant une seule terre. D’autant que la logique de l’antagonisme fait que chacune des parties voit l’autre comme une menace existentielle, et de plus en plus.

    De ce fait, si Trump peut éventuellement réellement imposer une forme de paix relative, un arrêt momentané des combats en cours, cela ne résoudra pas la question de fond – même si une telle pause serait évidemment bienvenue.

    *

    Dans les deux cas donc, en conclusion, les péripéties n’ont rien pour surprendre. Cela ne veut pas dire que les conflits dureront indéfiniment, la logique même de la guerre s’y oppose. Mais cela peut durer longtemps encore. Et surtout, tout arrêt des combats peut n’être qu’une étape dans un conflit séculaire plus large.

    Le Nobel attendra ?

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 13 octobre 2025)

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  • Les vérités taboues de la guerre du genre...

    Les éditions de l'Observatoire viennent de publier un essai de Peggy Sastre et Leonardo Orlando intitulé Sexe, science & censure.

    Peggy Sastre est docteur en philosophie des sciences, spécialiste de Nietzsche et de Darwin. Ses travaux s'orientent autour d'une lecture biologique des questions sexuelles. Leonardo Orlando est docteur en science politique et titulaire d'un master de philosophie.

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    "Hormones, cerveau, psychologie, comportements : depuis des décennies, la science documente des différences indéniables entre hommes et femmes. Mais à l'université, le simple fait d'en parler est devenu tabou. Chercheurs, psychologues, philosophes qui invoquent la biologie ou l'évolution sont accusés, menacés, parfois réduits au silence par des activistes militants. Cette négation de la nature humaine dépasse aujourd'hui le seul monde académique : elle contamine les institutions, les médias et les réseaux sociaux, au point de fragiliser le débat démocratique lui-même. Victimes directes de cette censure, le politologue Leonardo Orlando et la philosophe Peggy Sastre livrent un décryptage précis de cette nouvelle « guerre du genre ». À rebours des dogmes, ils rétablissent des vérités scientifiques passionnantes sur la morphologie, la psychologie, les goûts et les sentiments - qu'il s'agisse de jalousie, de préférences amoureuses révélées par les applications de rencontre, ou encore des choix de carrière et d'orientation professionnelle. Autant de différences qui, loin de contredire l'égalité, la rendent intelligible."

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  • Qui sont les Blancs ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous la présentation par Julien Rochedy de son nouvel essai intitulé Qui sont les Blancs ? - Généalogie d'une identité interdite (Hétairie, 2025).

    Publiciste et essayiste, Julien Rochedy, qui est une figure de la mouvance identitaire, a déjà publié plusieurs essais dont Nietzsche l'actuelL'amour et la guerre - Répondre au féminisme, Philosophie de droite et dernièrement Surhommes et sous-hommes - Valeur et destin de l'homme (Hétairie, 2023).

     

                                              

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  • Ballades des frontières écossaises...

    Les éditions de La Giberne viennent de publier sous le titre de Ballades des frontières écossaises un recueil de récits de Walter Scott. Écrivain, poète et historien romantique, Walter Scott (1781-1832) est considéré comme le fondateur du roman historique moderne et comme un des chantres de l’Écosse.

     

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    « Quatre récits, quatre éclats de l’âme écossaise. À travers ces pages, c’est une Écosse ancienne qui surgit — brumeuse, farouche, traversée de lueurs et de sang. Robert Le Bruce, Lord Ronald, Harold, Henry de Cranstoun : autant de figures fières et tourmentées, mi-guerriers mi-rêveurs, porteurs d’un pays indomptable. Sous leurs pas, c’est toute l’histoire d’un peuple qui affleure, dans le fracas des batailles comme dans le silence des landes. Walter Scott tisse ici un monde de douleurs et de grandeurs, de regrets profonds et d’élans sublimes. Et dans un ultime chant, Le Lai du Dernier Ménestrel, il ferme le rideau sur une Écosse de légende — perdue, mais inoubliable. »

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  • Le prochain et le lointain...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Gilles Carasso, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la question de la "solidarité" internationale...

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    Le prochain et le lointain. Sur la solidarité internationale

    La solidarité internationale est un phénomène nouveau qui est apparu d’abord comme une composante de l’opinion publique, autrement dit comme un thème des médias. Ses prémices au XIXe siècle, à l’occasion des insurrections polonaises et de la guerre d’indépendance grecque, sont contemporaines du développement de la presse, du télégraphe et du chemin de fer qui permet de faire « Le Tour du monde en 80 jours ». Mais c’est dans la seconde moitié du XXe siècle qu’elle a pris la place que nous lui connaissons dans le discours politique et qu’elle est devenue, avec les agences de développement et les ONG, un véritable secteur d’activité.

    Elle s’est installée dans le champ politique comme une voix de la conscience humanisant les monstres froids que sont les États, au point que certains politiques en ont fait une des motivations de leur action internationale. C’est particulièrement le cas aujourd’hui avec l’Ukraine et avec la Palestine, mais cela a été aussi vrai de l’internationalisme soviétique comme de de l’aide publique au développement (APD) déployée dans les pays du sud à partir de 19491 avec l’objectif d’y prévenir des révolutions communistes. Dans tous les cas, il est aisé de repérer des motivations moins altruistes, mais la solidarité internationale est devenue un thème obligé. Au point que le parlement français a voté à l’unanimité en 2021 la loi de programmation de l’aide au développement. A l’unanimité signifie avec les voix du RN, parti dont le fondateur avait écrit dans le programme de sa première campagne présidentielle un demi-siècle plus tôt: « La coopération sera supprimée ».

    De l’opinion publique, on est passé à la société civile et aux organisations dites non gouvernementales. A de rares exceptions près (en France Médecins sans Frontières), elles sont financées majoritairement par les pouvoirs publics, qu’il s’agisse des organismes internationaux, des États ou des collectivités locales. Pour les agences internationales et pour les États, les ONG sont devenues des opérateurs dont les coûts sont inférieurs à la mise en œuvre des programmes d’aide par des coopérants bénéficiant du statut d’agents publics. Dans les pays du sud, se sont constituées des ONG locales qui agissent, selon l’expression forgée par J-P Olivier de Sardan, comme des « courtiers en développement ». Un des domaines d’action des ONG, la promotion de la démocratie ou « bonne gouvernance », est devenu un canal d’influence des démocraties occidentales.

    Ces financements ont entraîné une professionnalisation du secteur, avec du personnel permanent, des frais de structure et donc la nécessité de rechercher de nouveaux financements. Un véritable lobby de la solidarité internationale a ainsi obtenu de divers gouvernements français non seulement l’engagement d’augmenter le budget de l’aide Publique au Développement à 0,7% du PIB2 mais aussi d’en attribuer un certain pourcentage aux ONG.

    Laïcisation de la charité

    Toujours dans la seconde moitié du XXe siècle, les collectivités locales ont découvert la solidarité internationale, d’abord sous la forme des jumelages. Ce fut l’occasion de sympathiques voyages qui ne manquèrent pas de dégénérer en avantages en nature des élus, dont le Canard Enchaîné a longtemps tenu la chronique. Aujourd’hui, l’action internationale des collectivités locales se divise essentiellement en deux branches, l’économie (recherche de marchés pour les entreprises locales et d’investisseurs) et le financement d’ONG souvent liées aux diasporas locales.

    La solidarité est une laïcisation de la charité, correspondant à la substitution, à partir du XIXe siècle, de la religion de l’humanité à la religion chrétienne. Mais l’ajout de la dimension internationale n’est pas un simple élargissement, il entraîne un changement de nature. La charité prônée par toutes les religions est un devoir envers son prochain, c’est-à-dire son voisin. Son déclencheur est une perception de la souffrance, une sympathie. Dans le cas de la solidarité internationale, cette perception est médiée. C’est par l’écran de télévision, ou désormais de téléphone, que nous arrive l’image ou le témoignage de la souffrance.

    Cette médiation a plusieurs implications. La première est que la solidarité est devenue un instrument de politique internationale piloté par les médias et ceux qui les contrôlent. Ils choisissent parmi toutes les misères du monde celles qu’ils vont montrer aux téléspectateurs.  A cet égard, les nouveaux médias d’internet ne constituent pas un changement fondamental. Le choix des images revient de plus en plus à des algorithmes, mais ceux-ci ne sont ni neutres ou innocents. Au pouvoir de sélectionner les images s’ajoute celui de les cadrer, c’est-à-dire de les constituer en récit. Les exemples abondent de scènes qui, photographiées en gros plan ou en plan large racontent une toute autre histoire. A l’extrême, il y a le faux récit des images poignantes d’enfants atteints de maladies génétiques censées illustrer une famine à Gaza. Et bien sûr, ces pouvoirs s’exercent également en négatif en choisissant de ne pas montrer des images de drames qui, dès lors n’existent pas dans la conscience publique des pays riches. La solidarité internationale est toujours fabriquée.

    Une misère virtualisée

    La médiation technologique de la souffrance et du sentiment de solidarité a une autre conséquence : l’abolition de la charité. Quiconque a un peu parcouru le monde pauvre hors des mégalopoles sait qu’on y a le souci du prochain, connu ou inconnu. La souffrance du pauvre y est vue comme un phénomène de nature qu’il est normal de côtoyer et qui vous crée une obligation. En Europe, le mendiant était autrefois un personnage normal du parvis de l’église. Aujourd’hui, la place de la misère est sur l’écran de télévision ou d’ordinateur qui nous en livre une forte dose quotidienne. Ce flot de souffrances médiatisées par les écrans entraîne une forme de mithridatisation. Le SDF dans le métro ou couché sous une porte cochère des beaux quartiers n’est pas un objet de sympathie mais de scandale. On passe son chemin en se dispensant de croiser son regard et l’on attend de l’État qu’il le fasse faire disparaître du paysage, comme il l’a fait, sous les louanges, à l’occasion des Jeux Olympiques de Paris. Cette priorité donnée au lointain sur le voisin comme objet de sympathie est un trait de l’enfermement anomique dans leurs écrans des sociétés développées.

    Si Jean-Marie le Pen s’est acquis le privilège d’incarner le diable sur la scène politique française, ce n’est pas seulement à cause de ses provocations négationnistes, c’est aussi parce qu’il a eu cette phrase dont la gauche a fait une sorte d’anti-totem : « Je préfère mes filles à mes nièces et mes nièces à mes voisines ». Cette formule, qui est censée résumer l’esprit d’exclusion de la droite, énonce en fait une évidence que peu d’entre nous, de gauche comme de droite, renieraient dans leur particulier. Si elle a pu être érigée en repoussoir, c’est parce que, comme la reproduction sexuée par accouplement d’un homme et d’une femme, elle sent trop l’organique3. Gilles Deleuze qui louait « le corps sans organes » avait fait de la capacité à regarder d’un point de vue lointain l’un des marqueurs de la gauche.

    Ce qui s’oppose à l’organique, on le voit chaque jour d’avantage, c’est le technologique, c’est-à-dire la numérisation, c’est-à-dire la déréalisation. C’est vrai du regard qui ne se pose plus sur le monde mais sur l’écran, c’est vrai aussi de l’abolition de la distance par le transport aérien perfectionné par l’électronique. La solidarité internationale est née non seulement de la télévision mais aussi de l’aviation. Pas d’envoyés spéciaux, pas d’humanitaires, pas d’experts en développement sans avions4. Il revient à la médiologie, ce nouveau département du savoir, de décrire le « petit remplacement », comme dirait Renaud Camus, du voyage, lente expérience de la distance, des frontières, apprentissage douloureux de l’altérité, par « le  voyage » , expédition quasi-instantanée d’un colis humain dûment contrôlé, d’un aéroport à un autre aéroport identique, suivie d’un séjour dans un hôtel aux normes occidentales. Le vrai voyage, les œuvres des authentiques voyageurs comme Nicolas Bouvier en témoignent, est une prise de risque qui seule permet d’écarter les voiles de nos préjugés pour parvenir à une forme de sympathie, à un début de compréhension des indigènes.

    La bonne conscience mise au service du « soft-power »

    La solidarité internationale est un mot d’ordre purement occidental. Elle n’est pas une relation, sinon celle que décrit le proverbe africain : « la main qui reçoit est toujours en-dessous de celle qui donne ». Cela est si évident qu’on a récemment vu diverses tentatives de donner de l’aide au développement une formulation moins inégalitaire en la couplant à l’exigence écologique : développement durable, co-développement, Biens publics mondiaux, etc. Elle est pourtant considérée comme un marqueur de démocratie, entendue sans doute comme bénévolence. Les seuls pays qui ont atteint ou dépassé l’objectif des 0,7% d’APD sont les pays scandinaves et l’Allemagne, soit ceux qui semblent le mieux incarner l’idéal démocratique occidental.

    Soulagement facile du remords de l’homme blanc, instrument de « soft power » des États, alibi des paresseux du ciboulot qui prétendent résoudre le problème migratoire en augmentant l’APD, business pour certains, la solidarité internationale est une dimension insécable de la mondialisation libérale dont elle est contemporaine. Lui survivra-t-elle ? Le « capitalisme de la finitude »5 qui est en train de se substituer à la « mondialisation heureuse » sera certainement moins enclin à gaspiller des ressources pour entretenir la bonne conscience des dominants. Dans le nouveau monde inquiet qui émerge sans arbitre hyper-puissant pour y faire régner l’ordre, le « hard power » comptera plus que le « soft power ».

    Pour autant, l’unité du monde scellée par les photographies des astronautes, ne sera pas abolie, les images continueront à circuler d’un bout à l’autre de la planète. Mais quelles images ? L’intelligence artificielle est en train de porter un coup fatal à leur crédibilité. Or, nous l’avons vu, les images sont le moteur principal de la solidarité internationale. La dévalorisation des images, dans une civilisation dominée par le regard, est un phénomène dont on ne mesure pas encore les conséquences. Les optimistes diront que la prise de conscience de ces bidouillages va renforcer l’esprit critique. Les pessimistes y verront l’apparition d’une forme radicalement nouvelle d’iconoclasme – on ne peut plus croire les images – qui va emporter dans un tourbillon de confusion notre représentation du monde, notre confiance dans le discours politique et au-delà, notre croyance dans la Vérité. Le fanatisme s’en accommodera fort bien : il n’a pas besoin de croire à la vérité de ce qu’on lui montre, la vérité n‘est pas nécessaire à la haine.

    Quant à la solidarité internationale, c’était peut-être une ultime tentative du post-christianisme de confondre la Cité terrestre et la Cité de Dieu. L’une des précédentes, l’internationalisme prolétarien, s’est volatilisée le 1er août 1914. La solidarité internationale nous protègera-t-elle mieux d’un nouvel été 14 ? Il est permis d’en douter.

    Gilles Carasso (Site de la revue Éléments, 10 octobre 2025)

     

     

    Notes :

    1 Discours d’investiture de Harry Truman le 20 janvier 1949

    2 Conformément à un engagement des Nations-Unis de 1970, rarement atteint, jamais en ce qui concerne la France.

    3 cf Gilles Carasso, La Solution biotechnologique, in L’Atelier du Roman , n° 99 décembre 2019

    4 Ayant travaillé de 2004 à 2006 au Niger, pays où le tourisme et l’industrie étaient inexistants, j’ai constaté que la majorité des passagers de la ligne Paris-Niamey étaient des blancs.

    5 Cf Marc Orain, Le Monde confisqué, Essai sur le capitalisme de la finitude (XVIe-XXIe siècle), Flammarion 2025

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