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  • Akinakès : Une histoire des épées divines en Eurasie...

    Les éditions Lemme edit viennent de publier un essai de Iaroslav Lebedynsky intitilé Akinakès - Une histoire des épées divines en Eurasie.

    Historien spécialiste des anciennes cultures des steppes eurasiatiques et du Caucase, Iaroslav Lebedynsky enseigne l’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales à Paris.

     

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    " De l’akinakès des anciens nomades de la steppe, à l’Excalibur d’Arthur, en passant par le « glaive de Mars » que prétendait détenir Attila, Batradz, le héros caucasien dont le corps est une lame d’acier trempé, le mythique Zulfikar d'Ali, ou les sabres des héros chinois et japonais, les cultures d’Eurasie connaissent de nombreuses traditions d’épées divines. Certaines légendes ont des similitudes frappantes... Remontent-elles à une source commune ?
    Sans omettre la part de rêve attachée à ces armes surnaturelles, ce livre recense les principales histoires d’épées "magiques" d’Eurasie, nous entraînant par là même de la Bretagne à l’Extrême-Orient, des steppes d’Ukraine aux pics du Caucase. "

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  • Pour un nouveau commencement !...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Javier Portella et reproduit parle site de la revue Éléments.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et, dernièrement, Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023) ainsi que Martin Buber, théoricien de la réciprocité (Via Romana, 2023).

     

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    JAVIER PORTELLA. Il y a cinquante ans, tu lançais avec une poignée de camarades et d’amis ce que l’on appellera plus tard la Nouvelle Droite. Quelle tâche ! Car il ne s’agissait pas seulement de défendre ou de s’opposer à telles ou telles idées, revendications, conflits… Il s’agissait – et il s’agit toujours – de transformer l’ensemble de notre vision du monde, c’est-à-dire la configuration d’idées, sentiments, aspirations… dans laquelle nous, hommes d’une époque donnée, vivons et mourons. Puisque ce qui est cherché, c’est quelque chose de nouveau, de différent, il est clair qu’il faut le trouver en dehors des deux grands piliers (à moitié démolis, d’ailleurs) que nous appelons « droite » et « gauche ». Or, ne penses-tu pas que les nouveaux piliers voués à soutenir le Vrai, le Beau et le Bien sont plus proches de l’esprit de la droite – pour autant qu’elle ne soit ni libérale, ni théocratique, ni ploutocratique – que de celui d’une gauche qui, dans le meilleur des cas, restera toujours individualiste, égalitariste et matérialiste ?

    ALAIN DE BENOIST : Je me méfie des singuliers à majuscule. Je connais des choses belles et des choses laides, des choses bonnes et des choses mauvaises, mais le Beau et le Bien en soi je ne les ai encore jamais rencontrés. Il en va même de la gauche et de la droite. « La droite » et « la gauche » n’ont jamais existé. Il y a eu toujours des droites et des gauches (au pluriel), et la question de savoir si l’on peut trouver un dénominateur commun à l’ensemble de ces droites et à l’ensemble de ces gauches reste discutée. Tu le reconnais toi-même quand tu parles d’une droite qui ne serait « ni libérale, ni théocratique, ni ploutocratique » : c’est bien la preuve qu’à côté de la droite que tu apprécies il y en a d’autres. Mais pour parler de la gauche, tu repasses immédiatement au singulier ! C’est une erreur. De grands penseurs socialistes comme Georges Sorel et Pierre-Joseph Proudhon n’étaient ni individualistes, ni égalitaristes, ni matérialistes. Même chose pour George Orwell, Christopher Lasch ou Jean-Claude Michéa. Il ne faut pas non plus confondre la gauche socialiste, qui a défendu les travailleurs, et la gauche progressiste, qui défend les droits de l’homme (ce n’est pas la même chose). Tout ce qu’on peut dire, c’est que l’égalitarisme, pour ne prendre que cet exemple, se rencontre historiquement plus souvent « à gauche » qu’« à droite ». Mais quand on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose, ne serait-ce que parce qu’il y a aussi « à droite », dans la droite libérale notamment, des formes d’inégalitarisme que je trouve tout à fait inacceptables. C’est la raison pour laquelle je crois qu’il faut juger au cas par cas plutôt qu’à partir d’étiquettes qui sont toujours équivoques. Comme je l’ai dit souvent, les étiquettes c’est pour les bocaux de confiture ! Il ne faut pas céder au fétichisme des mots.

         Je pense que l’un et l’autre nous apprécions des types humains qui sont porteurs des valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. Ces types humains sont plus fréquents « à droite » qu’« à gauche », ce que je reconnais volontiers. En ce sens, je me sens tout à fait « de droite », mais sans en faire un absolu. Les valeurs sont une chose, les idées en sont une autre. C’est pourquoi je n’ai aucun mal à me sentir « de droite » d’un point de vue psychologique et anthropologique tout en reconnaissant la justesse de certaines idées qui sont généralement, à tort ou à raison, attribuées à « la gauche ».

    JAVIER PORTELLA. Quel est ton sentiment, au terme de ces cinquante années riches en réflexions, combats, victoires… et, bien sûr, l’une ou l’autre défaite ? Je suppose que tu te réjouis de constater que l’esprit que la Nouvelle Droite incarne au sens le plus large, s’il n’est pas encore devenu « l’horizon spirituel de notre temps » (comme Sartre le disait du marxisme), il a quand même fini par marquer l’air intellectuel en France ; sans oublier sa présence, quoique moins vigoureuse, dans des pays comme l’Italie, l’Allemagne, la Hongrie, l’Espagne même…

    ALAIN DE BENOIST : C’est l’éternelle histoire du verre à moitié plein et du verre à moitié vide. Oui, en cinquante ans, il y a eu beaucoup de succès. Non seulement la ND n’a pas disparu (un demi-siècle d’existence pour une école de pensée, c’est déjà extraordinaire), mais les thèmes qu’elle a introduit dans le débat d’idées ont largement diffusé dans la plupart des pays européens. En témoignent les milliers d’articles, de livres, de conférences, de colloques, de traductions, de rencontres, qui ont marqué ces cinquante dernières années. Cela dit, il faut aussi être réaliste : ces points que nous avons marqués n’ont pas empêché les forces du chaos de progresser. L’« horizon spirituel de notre temps » n’a rien de spirituel : c’est un horizon de déclin, et ce déclin s’accélère tous les jours. Déclarer, comme il est souhaitable, que « le nihilisme ne passera pas par moi » n’y change rien. Comme disait Jean Mabire, nous n’avons pas changé le monde, mais au moins le monde ne nous a pas changés. Ajoutons que la « lutte finale » n’est pas encore survenue.

    JAVIER PORTELLA. Parmi les différents phénomènes qui peuplent le monde d’aujourd’hui, quels sont ceux qui te semblent les plus porteurs d’espérance et ceux qui te paraissent les plus désespérants ? Tout est évidemment imbriqué dans le grand entremêlement de phénomènes sociaux, culturels et politiques qui font un monde, mais lequel de ces phénomènes te semble-t-il être notre principal ennemi et lequel notre plus grand ami ?

    ALAIN DE BENOIST : Il est évidemment plus facile de répondre à la seconde question qu’à la première, car la réponse s’étale sous nos yeux. Les trois plus grands dangers qui nous menacent aujourd’hui sont à mon sens les suivants. Il y a d’abord les ravages de la technique et les conditionnements qu’elle implique à l’époque de l’intelligence artificielle et de l’omniprésence des écrans, ce qui laisse prévoir à terme le Grand Remplacement de l’homme par la machine. Sur ce plan, nous n’en sommes encore qu’au début : le transhumanisme prône déjà la fusion de la machine et du vivant. Il y a ensuite la marchandisation du monde, qui est l’un des piliers de l’idéologie dominante, avec le ralliement des esprits à la logique du profit et à l’axiomatique de l’intérêt, c’est-à-dire la colonisation de l’imaginaire symbolique par l’utilitarisme et la croyance que « l’économie c’est le destin », conformément à une anthropologie libérale fondée sur l’économisme et l’individualisme, qui ne conçoit l’homme que comme un être égoïste visant en permanence à maximiser son meilleur intérêt privé. Son moteur principal est évidemment le système capitaliste, qui cherche à supprimer tout ce qui peut faire obstacle à l’expansion du marché (souveraineté nationale et souveraineté populaire, objections morales, identités collectives et particularités culturelles) et à discréditer toutes les valeurs autres que les valeurs marchandes. Le troisième danger, enfin, c’est le règne quasi planétaire d’une idéologie dominante fondée sur l’idéologie du progrès et l’idéologie des droits de l’homme qui généralise le chaos dans un monde de plus en plus voué au nihilisme : réduction de la politique à la gestion technocratique, vogue de la « cancel culture », délires de la théorie du genre propagés par le lobby LGBT, néoféminisme prônant la guerre des sexes, effondrement de la culture générale, pathologies sociales engendrées par une immigration aussi massive qu’incontrôlée, déclin de l’école, disparition programmée de la diversité des peuples, des langues et des cultures – et tant d’autres choses encore.

         L’ennemi principal, pour moi, reste plus que jamais l’universalisme sur le plan philosophique, le libéralisme sur le plan politique, le capitalisme sur le plan économique et le monde anglo-saxon sur le plan géopolitique.

         Les phénomènes « porteurs d’espérance » ? On ne peut aborder ce sujet qu’avec prudence. Outre que l’histoire reste toujours ouverte (elle est par excellence le domaine de l’imprévu, disait souvent Dominique Venner), il est évident que nous vivons aujourd’hui une période de transition et de crise généralisée. L’idéologie dominante est bel et bien dominante (d’autant qu’elle est toujours l’idéologie de la classe dominante), mais elle s’effrite partout. La démocratie libérale, parlementaire et représentative, est de plus en plus discréditée. La montée des populismes, l’apparition des démocraties illibérales et des « Etats civilisationnels », les tentatives de démocratie participative et de renouveau civique à la base, vont de pair avec le fossé qui ne cesse de se creuser entre le peuple et les élites. La classe politique traditionnelle est discréditée. Toutes les catégories professionnelles se mobilisent et la colère gronde partout, ce qui laisse envisager des révoltes sociales de grande ampleur (le moment classique où « en haut on ne peut plus, tandis qu’en bas on ne veut plus »). Dans le même temps, à l’échelle internationale, les choses bougent. On rebat les cartes entre les puissances. Les Etats-Unis d’Amérique sont eux-mêmes la proie d’une crise profonde, et l’on semble s’acheminer vers la fin d’un monde unipolaire ou bipolaire pour aller vers un monde multipolaire, ce qui me paraît une très bonne chose. Un nouveau clivage oppose les BRICS (les puissances émergentes) à l’« Occident collectif ». Dans une telle situation, les fenêtres d’opportunité sont nombreuses. Encore faut-il, pour les exploiter, renoncer aux outils d’analyse périmés et être attentifs à ce qui s’annonce.

    JAVIER PORTELLA. Que penses-tu de cette bombe à retardement dans laquelle deux hécatombes sont en train de se télescoper ? D’une part, le fait que les Européens semblent décidés à ne plus procréer ; d’autre part, une immigration si massive qu’elle ressemble plutôt à une invasion… encouragée, certes, par les « élites » elles-mêmes des pays envahis. Vois-tu quelque chose qui pourrait ressembler, sinon à une solution, du moins à un moyen d’amortir l’explosion d’une telle bombe ? Tu as parfois déclaré que la remigration forcée que certains proposent ne te semble pas faisable. Tu as probablement raison, étant donné le sentimentalisme bien-pensant qui imprègne tout. Mais si la remigration n’est pas possible, quelle serait alors l’alternative ? Ne nous resterait-il qu’à baisser les bras et crever ?

    ALAIN DE BENOIST : L’immigration est en effet une catastrophe puisque, passé un certain seuil, elle entraîne un changement de l’identité et de la composition des peuples. On n’y remédiera pas en se lançant dans une sorte de course à la natalité, qui est perdue d’avance. Je ne crois pas non plus à la remigration (pas plus qu’à l’assimilation ou à la « laïcité »), parce qu’elle n’est tout simplement pas possible dans les conditions présentes. Tout comme la « Reconquista », c’est un mythe-refuge. La politique, c’est d’abord l’art du possible. Mais il n’est évidemment pas question de baisser les bras. Quand la volonté politique est présente (ce qui n’est guère le cas aujourd’hui), on peut, sinon stopper l’immigration, sinon la ralentir de façon drastique, ne serait-ce qu’en supprimant les dispositions sociales et sociétales qui la favorisent en jouant un rôle de « pompes aspirantes ». Les moyens ont été indiqués de longue date. Mais si la volonté politique est un facteur décisif, ce n’est pas le seul. Il faut aussi la possibilité de l’exercer. Or, toutes les mesures sérieuses visant à stopper l’immigration sont aujourd’hui bloquées par un gouvernement des juges, sans légitimité démocratique, mais qui prétend s’imposer à la fois aux gouvernements des États et à ce que veulent les peuples. Pour dire les choses clairement, aucun gouvernement ne mettra fin à l’immigration s’il ne décide pas de tenir pour nulles et non avenues les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Et s’il continue à obéir à l’idéologie libérale.

         L’immigration correspond en effet à la mise en œuvre du principe libéral du « laissez faire, laissez passer », qui s’applique aussi bien aux hommes qu’aux capitaux, aux services et aux biens. Le libéralisme est une idéologie qui analyse la société à partir du seul individu et ne reconnaît pas que les cultures ont une personnalité propre. Voyant dans l’immigration l’arrivée d’un nombre supplémentaire d’individus dans des sociétés déjà composées d’individus, il tient les hommes pour interchangeables. Le capitalisme, quant à lui, milite depuis longtemps pour l’abolition des frontières. Le recours à l’immigration est pour lui un phénomène économique naturel. Partout, c’est le grand patronat qui demande toujours plus d’immigrés, notamment pour pouvoir exercer une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs autochtones. C’est en ce sens que Karl Marx a pu dire très justement que les immigrés, c’est « l’armée de réserve du capital ». Ceux qui critiquent l’immigration tout en adorant le capitalisme feraient donc mieux de se taire. Il ne sert à rien de condamner les conséquences quand on se garde bien de toucher aux causes.

    JAVIER PORTELLA. Comme tu l’as toi-même parfois souligné, la situation actuelle de nos sociétés est caractérisée par la tension découlant d’une dualité typiquement prérévolutionnaire : l’ancien monde s’effondre, tandis que le nouveau n’est pas encore là, même si tout un malaise, exprimé dans plein de mouvements et de combats (l’actuelle jacquerie paysanne, par exemple), devient de plus en plus puissant. La question est alors : pourquoi un tel malaise – tu t’en plaignais à demi-mots dans un éditorial récent d’Éléments – ne parvient-il pas à déboucher sur des victoires concluantes et conduisant à un véritable renversement de la situation ?  L’une des raisons ne pourrait-elle pas être qu’un tel malaise est le fait surtout des couches populaires, alors qu’il ne concerne guère les foules des grandes métropoles et encore moins nos « élites » ? Pour ce qui est de ces dernières, penses-tu qu’il soit envisageable de changer le monde sans qu’une partie significative de ces « élites », tout à fait indignes pour l’instant, ne se joigne au grand chambardement qu’il faut espérer ? Toutes les grandes révolutions que l’histoire a connues, se seraient-elles jamais produites si un tel changement de bord n’avait pas vu le jour ?

    ALAIN DE BENOIST : Rappelons d’abord que, comme Pareto l’a montré, le mot « élite » est un mot neutre : il y a aussi une élite des trafiquants et des escrocs. Les « élites » de nos sociétés, qu’elles soient politiques, économiques ou médiatiques, sont faites d’hommes (et de femmes) généralement bien instruits et intelligents (mais pas toujours), qui n’en ont pas moins accumulé les échecs dans tous les domaines. Ce sont des gens coupés du peuple qui vivent hors-sol, dans un univers mental transnational et nomade. Ils sont tout autant coupés du réel. Je ne vois pas l’utilité de les voir se joindre au « grand chambardement » dont tu parles, et encore moins la nécessité d’accepter des compromis pour tenter de les séduire. En revanche, il est clair que les classes populaires, qui se dressent aujourd’hui contre ces « élites », ont besoin d’alliés. Elles les trouveront de plus en plus en raison du déclassement des classes moyennes. C’est de cette alliance des classes populaires et des déclassés des classes moyennes que peut sortir le bloc historique qui finira par s’imposer. Si cela finit par arriver, on verra de toute façon des opportunistes d’en haut se solidariser des révoltés d’en bas ; on a déjà vu cela aussi dans toutes les grandes révolutions de l’histoire. Et comme d’habitude, c’est du peuple que sortiront les nouvelles élites, authentiques celles-là, dont nous avons besoin.

    JAVIER PORTELLA. Vu ta mise en question, bien connue, du capitalisme, certains ont parfois prétendu que la Nouvelle Droite serait devenue plutôt une espèce de Nouvelle Gauche… Blagues à part, la véritable question est : que faire avec le capitalisme ? En finir avec lui, me diras-tu. Certes, mais pour mettre quoi à sa place ? S’agirait-il, d’aventure, de remplacer le capitalisme par la propriété étatique des moyens de production ? Faudrait-il abolir, comme les communistes l’ont fait partout, le marché et la propriété ?  Non, ajouteras-tu sans doute. Mais alors, s’il s’agit d’abolir les injustices criantes du capitalisme tout en sauvegardant le marché, l’argent et la propriété – mais placés hors de la clé de voûte où ils se tiennent aujourd’hui –, n’est-ce pas là, sur le plan strictement économique, d’une sorte de réformisme qu’il s’agit ?

    ALAIN DE BENOIST : « Il est plus facile pour nos contemporains d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme », disait en 2009 le théoricien britannique Mark Fisher. Quand on est dans cet état d’esprit, on se demande, ainsi que tu le fais toi-même, comment on pourrait sortir du capitalisme et par quoi on pourrait le remplacer. Ce faisant, et sans s’en rendre compte, on naturalise abusivement un phénomène historique parfaitement localisé. L’humanité a vécu sans capitalisme pendant des milliers d’années, pourquoi ne serait-elle pas capable de le faire à nouveau demain ? Le capitalisme, ce n’est pas toute l’économie, ni même toutes les formes d’échange. Le capitalisme, c’est le règne du capital. Il apparaît lorsque l’argent devient capable de se transformer en un capital qui s’augmente perpétuellement de lui-même. C’est aussi la transformation des rapports sociaux selon les exigences du marché, le primat de la valeur d’échange sur la valeur d’usage, la transformation du travail vivant en travail mort, la disparition du métier au profit de l’emploi, etc. Un tel système ne peut fonctionner que s’il progresse constamment (il s’effondre s’il s’arrête, c’est comme la bicyclette), ce qui signifie que son principe est l’illimitation. Sa loi est celle de l’hubris, de la démesure, de la fuite en avant dans le « toujours plus » : toujours plus de marché, de profits, de libre-échange, de croissance, toujours moins de limites et de frontières. La mise en œuvre de ce mot d’ordre a abouti à l’obsession du progrès technique, à la financiarisation grandissante d’un système qui a depuis longtemps perdu tous ses ancrages nationaux, et subsidiairement à la dévastation de la Terre.

         L’opposition de principe entre le public et le privé est elle-même une idée libérale. Sortir du capitalisme, ce n’est donc nullement remplacer l’initiative privée par la propriété étatique des moyens de production, qui ne résout rien (l’ancienne URSS était un capitalisme d’Etat). Ce n’est pas non plus faire disparaître toute forme de marché, mais plutôt favoriser le local par rapport au global, le circuit court sur le commerce à grande distance. Et ce n’est évidemment pas non plus supprimer la propriété privée, sans toutefois en faire un absolu comme le font les libéraux. Le tiers secteur est déjà une réalité, les coopératives et les entreprises mutualistes aussi. Au-delà de l’opposition factice entre le privé et l’étatique, il y a les communs tels qu’on les entendait jusqu’à la naissance de l’idéologie libérale. C’est dans cette redéfinition de ces communs qu’il faut s’engager, afin de mettre en place une économie de type communautaire, concernant en priorité les membres de telle ou telle communauté. Il n’y a là rien de réformiste si l’on considère qu’une telle évolution exige une transformation radicale des mentalités.

         Le capitalisme est aujourd’hui lui-même en crise. Les marchés financiers raisonnent au jour le jour, les déficits publics atteignent des niveaux records, l’« argent fictif » circule à pleins tuyaux, et tout le monde s’inquiète d’une possibilité d’effondrement du système financier mondial. Ce n’est pas forcément une perspective agréable quand on sait qu’en général, c’est sur une guerre que débouche ce genre de crise.

    JAVIER PORTELLA. Pour en revenir à ma question précédente. Si le réformisme est l’alternative au capitalisme en tant que système économique, n’en va-t-il pas autrement pour tout le reste ? J’entends par là l’état d’esprit, la vision du monde pour laquelle la soif d’argent constitue le centre de tout, tandis que la vie – la vie publique, mais cela marque aussi la vie privée – se trouve régie par l’esprit de la démocratie libérale et partitocratique, individualiste et égalitariste (elle nivelle tout par le bas) que nous connaissons. Un tel état des choses, s’agirait-il de le réformer, de l’amender – et donc, finalement, d’en sauvegarder les rouages essentiels ? Ou s’agirait-il de tout le contraire ? En un mot comme en cent, pourquoi nous battons-nous : pour des réformes ou pour la révolution ?

    ALAIN DE BENOIST : Nous ne nous battons certainement pas pour des réformes. Ce à quoi nous aspirons, c’est à ce que Heidegger appelait un « nouveau commencement ». Non pas refaire ce que d’autres ont fait avant nous, mais s’inspirer de leur exemple pour innover à notre tour. Remplacer la démesure capitaliste par le sens des limites, lutter contre l’universalisme au nom des identités collectives, substituer l’éthique de l’honneur à la morale du péché, réorganiser le monde sous une forme multipolaire (le « pluriversalisme » contre l’universalisme), privilégier les valeurs de communauté sur les valeurs de société, lutter contre le remplacement de l’authentique par l’ersatz et du réel par le virtuel, redéfinir le droit comme l’équité dans la relation (et non comme un attribut dont tout un chacun serait propriétaire à sa naissance), rétablir le primat du politique (le gouvernement des hommes) sur l’économie (la gestion des choses), redonner un sens concret à la beauté et à la dignité, réhabiliter l’autorité et la verticalité, ce serait bel et bien une révolution. Et même, osons le dire, une révolution telle qu’on n’en a jamais connu.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Javier Portella (Site de la revue Éléments, 25 mars 2024)

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  • Nouveaux lieux communs...

    Les éditions de La Nouvelle librairie viennent de publier un essai de Richard Millet intitulé Nouveaux lieux communs - Exégèse, exorcisme.

    Romancier, essayiste et polémiste, Richard Millet est l'auteur, notamment, de La confession négative (Gallimard, 2009), d'Arguments d'un désespoir contemporain (Hermann, 2011), de Fatigue du sens (Pierre-Guillaume de Roux, 2011), de Langue fantôme (Pierre-Guillaume de Roux, 2012), de Tuer (Léo Scheer, 2015), de Français langue morte (Les Provinciales, 2020), et Paris bas-ventre - Le RER comme principe évacuateur du peuple français (La Nouvelle Librairie, 2021). Un recueil de ses écrits de combat a également été réédité sous le titre de Chronique de la guerre civile en France (La Nouvelle Librairie, 2022).

     

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    " Jamais les lieux communs ne se sont mieux portés. Ils pullulent même, comme les punaises de lit et comme les espèces invasives, avec Internet et les réseaux sociaux. Et jamais le monde n’a été aussi abject, en tous lieux, et pour des raisons qui se rejoignent plus qu’elles ne divergent, dans une société qui a fait du mépris un mode du gouvernement. « Créer un poncif, c’est le génie », disait Baudelaire, dans l’une de ses irréfutables formules. C’est le travail de l’écrivain que de non seulement éviter ces poncifs, mais d’en proposer l’exégèse, l’exorcisme, voire l’autopsie, car les lieux communs, le plus souvent journalistiques, révèlent ce cadavre de langage qu’on appelle l’opinion publique, ou la doxa. "

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  • Pierre Conesa : "Les intellectuels parisiens n'iront jamais faire la guerre"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Pierre Conesa à Omerta, dans lequel il évoque les conflits en cours en Ukraine et au Proche-Orient...

    Agrégé d'histoire et énarque, Pierre Conesa a fait partie dans les années 90 de la Délégation aux affaires stratégiques du Ministère de la défense. Il est l'auteur de plusieurs essais, dont, notamment, Dr. Saoud et Mr. Djihad - La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite (Robert Laffont, 2016), Hollywar - Hollywood, arme de propagande massive (Robert Laffont, 2018), Le lobby saoudien en France - Comment vendre un pays invendable (Denoël, 2021), Vendre la guerre - Le complexe militaro-intellectuel (L'aube, 2022) et État des lieux du salafisme en France (L'aube, 2023).

     

                                                

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  • Technopolitique...

    Les éditions du Seuil viennent de publier un essai de Asma Mhalla intitulé Technopolitique - Comment la technologie fait de nous des soldats. Docteure en études politiques, chercheuse au Laboratoire d’Anthropologie Politique de l'Ehess, Asma Mhalla est un spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech et de l’IA.

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    " Intelligence artificielle, réseaux sociaux, implants cérébraux, satellites, métavers… Le choc technologique sera l’un des enjeux clés du XXIe siècle et les géants américains, les « BigTech », sont à l’avant-garde. Entités hybrides, ils remodèlent la morphologie des États, redéfinissent les jeux de pouvoir et de puissance entre nations, interviennent dans la guerre, tracent les nouvelles frontières de la souveraineté. S’ils sont au cœur de la fabrique de la puissance étatsunienne face à la Chine, ils sont également des agents perturbateurs de la démocratie. De ces liens ambivalents entre BigTech et « BigState » est né un nouveau Léviathan à deux têtes, animé par un désir de puissance hors limites. Mais qui gouverne ces nouveaux acteurs privés de la prolifération technologique ? A cette vertigineuse question, nous n’avons d’autre choix que d’opposer l’innovation politique !

    S’attaquant à tous les faux débats qui nous font manquer l’essentiel, Asma Mhalla ose ainsi une thèse forte et perturbante : les technologies de l’hypervitesse, à la fois civiles et militaires, font de chacun d’entre nous, qu’on le veuille ou non, des soldats. Nos cerveaux sont devenus l’ultime champ de bataille. Il est urgent de le penser car ce n’est rien de moins que le nouvel ordre mondial qui est en jeu, mais aussi la démocratie. "

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  • Odessa mon amour ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Ghislain de Castelbajac cueilli sur Geopragma et consacré à une analyse lucide des envolées lyriques et martiales de notre président...

    Membre fondateur de Geopragma , Ghislain de Castelbajac est spécialiste des questions d'intelligence économique et enseigne à l’École de Guerre Economique.

     

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    Odessa

     

    Odessa, mon amour ?

    Face aux attaques de tous bords auxquelles Geopragma et ses membres font face, il est temps de répondre aux adeptes du whisky churchilien d’un côté, et ceux de la vodka triste de l’autre, par un vieil armagnac bien construit et structuré.

    Nous traitons la géopolitique de façon réellement indépendante, et défendons une analyse du temps long et des intérêts et évolutions des puissances. Nous ne sommes pas toujours d’accord, et c’est heureux. 

    Les anciens diplomates français de tout premier niveau qui participent à nos travaux le savent: parler à tout le monde ne signifie pas cautionner. Il faut parfois ravaler ses opinions pour écouter l’adversaire, le représentant d’un régime honni, afin d’être force d’analyse, puis de proposition.

    L’agora des réseaux sociaux et les donneurs de leçons inféodés brouillent l’écoute de la réflexion et de l’action géopolitique. 

    Les « trolls » bas du front sévissent et polluent le débat : D’un côté les partisans d’un régime kleptocrate revanchard post-soviétique qui teste les limites d’européens sous tutelle américaine.

    De l’autre, des hyènes dactylographes souvent payées par des officines étrangères bellicistes et non moins impérialistes, à l’agenda tout aussi dangereux pour la France.

    Le plus comique étant que leur maître états-unien commence à se désengager justement de nos conflits européens pour des raisons budgétaires et électorales. Sans doute pris de panique par la perspective d’un désengagement de Washington, ces servants s’en prennent à ceux qui ne pensent pas comme eux pour tenter d’exister. 

    Comme par enchantement, une offensive propagandiste est venue des tréfonds du ventre encore fécond de l’hydre néocon qui causa tant de souffrances depuis l’invasion illégale de l’Irak. La vague provient notamment de l’émissaire français d’un think tank américain belliciste, pour réclamer une intervention de nos troupes au sol sur le front ukrainien. Le relai fut comme par hasard immédiat auprès de Charles Michel (1) et du président Macron.

    Or, c’est ce moment géopolitique, moment de vérité nue car les empires de l’Est comme de l’Ouest montrent leurs vrais visages, qu’il convient de saisir pour l’Europe et la France en particulier.

    Normalement vouée à être apôtre de la Paix en cette année olympique, la France peut prendre l’initiative dans la future mise en place de négociations pour un cessez le feu en Ukraine, mais aussi et surtout pour la mise en place d’une paix durable en Europe orientale. 

    Mais la méthode présentée par nos dirigeant est-elle la bonne ?

    Stratégie du fou au fort ?

    En évoquant la possibilité d’un envoi de troupes au sol, notamment dans la région d’Odessa, le président de la République s’adresse très certainement à l’électorat français dans un contexte d’élections européennes. Il s’agit d’un jeu politicien basé sur la peur et l’irrationalité.

    Mais si l’on fait fi de cette manœuvre électorale en se concentrant sur le terrain géopolitique, le message que le président fait passer à Vladimir Poutine n’est pas dénué de tout fondement opératif. Reste à savoir s’il en découle une stratégie cohérente, qui elle-même servirait les intérêts fondamentaux de la France.

    Dans un jeu du fou au fort, ou du fou au fou, il peut être intéressant de parler le même langage que la Russie expansionniste, en posant les bases d’une limite stratégique, ici territoriale, qui placerait Odessa en but de paix pour la France et l’Europe, et ferait apparaître Paris non plus comme une capitale coulée dans un moule eurocrate, mais bien comme une puissance historique européenne qui ferait valoir ses « droits » de manière parfois brusque, face au révisionnisme de Moscou.

    Pour bien comprendre l’épisode faussement fuité dans la presse du président Macron qui, devant un verre de whisky, se verrait bien « envoyer des gars » à Odessa, suivi de cet aveu présidentiel géopragmatique : «Aider l’Ukraine, c’est aussi notre intérêt à court terme parce qu’il y a en Ukraine beaucoup de ressources, beaucoup d’éléments dont nous avons besoin pour notre économie». C’est intéressant, même s’il oublie de mentionner que plus de 40% des terres arables en Ukraine sont détenues par des investisseurs étrangers (mais non français) et qu’il faudra expliquer à nos agriculteurs le bienfait d’une entrée de ces ressources ukrainiennes sur le marché européen.

    Face à l’ignorance d’une partie croissante de notre personnel politique, il faut donc reprendre le contexte historique :

    La France est déjà intervenue entre 1853 et 1855 en Crimée pour combattre la Russie. Cette embardée fit près de 100 000 morts français, dans un conflit inspiré par l’Angleterre pour ses propres intérêts, les Britanniques étant restés au large de la péninsule pendant que les Français se faisaient tuer…pour rien à part quelques noms d’avenues parisiennes.

    Le Général Marquis Armand de Castelbajac, qui était alors ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, avait -en vain- alerté l’empereur Napoléon III des dangers pour la France de se faire embarquer dans cette guerre.

    Le vieux Général, blessé plusieurs fois à la Moskova, se souvenait de la campagne de Russie de Napoléon Ier, qui fit 500 000 morts côté français. Réprimandé à son retour à Paris par sa hiérarchie, l’Empereur qui avait depuis perdu son fils dans une autre envolée interventionniste stérile en Afrique du Sud, finit par reconnaître la sagesse du vieux général en le nommant sénateur du Gers à vie.  

    Mi-décembre 1918 les Français ont débarqué à Odessa pour combattre les Russo-bolcheviks. La ville fut sous administration française jusqu’en mars 1919. Ce fut un échec, accompagné d’une mutinerie des marins français et des débats houleux à la Chambre.

    La participation de la France à la construction de la ville en 1803, puis durant la première guerre de Crimée, et notre campagne d’Odessa en 1919 démontre à la Russie poutinienne que le sang versé par nos hommes n’est pas un vain mot. Il semble donc intéressant de faire entrer l’hypothèse auprès du Kremlin que la France a une certaine légitimité historique à vouloir défendre Odessa. Le président Poutine est un féru d’Histoire : je connais d’ailleurs les manœuvres et barbouzeries de son entourage le plus proche pour obtenir nos précieuses archives et souvenirs familiaux du général de Castelbajac qui ont concerné cette première guerre de Crimée.

    Le président Macron peut donc trouver des arguments (autres qu’électoralistes) d’indiquer aux russes qu’Odessa est une ligne rouge pour la France.

    Pour ces raisons historiques et quasi-« sentimentales », mais aussi pour des raisons stratégiques, car la fermeture du verrou d’Odessa bloquerait l’accès de l’Ukraine à la Mer Noire, qui redeviendrait un lac russo-ottoman.

    Créé par Catherine II avec l’aide du duc Armand de Richelieu, le port d’Odessa est également le plus proche de celui de Sébastopol. La ville est aussi un verrou terrestre, à moins de 90 kilomètres de la frontière avec la République autoproclamée russophone et russophile de Transnistrie, séparatiste de la Moldavie.

    Il est important que la paix en construction permette à chacune des deux parties de sauver la face. L’auteur de ces lignes a toujours défendu une ligne claire. Pour paraphraser François Mauriac, je pourrais dire que j’aime tellement l’Ukraine que je souhaite qu’il y en ait deux.

    La paix des braves passe donc, qu’on le veuille ou non, par un partage territorial qui retrouverait les lignes naturelles des peuples russes et russophones qui habitent l’Ukraine orientale du bassin du Donbass ainsi que la Crimée, et une Ukraine occidentale héritière de la Mitteleuropa et pleinement légitime à retrouver la voie d’une réintégration aux ensembles européens : royaume polono-lituanien, Autriche-Hongrie, bientôt UE (?), qui en firent autrefois sa gloire.

    Il est d’ailleurs très utile de se pencher sur des cartes projetant les projets de tracés des frontières de la très grande Pologne, telle qu’elle fut envisagée par la France -et par les empires centraux- en 1918 afin de contrer le tout nouveau danger bolchevique :

    Le tracé intègre la Crimée et le Donbass à la nouvelle Russie, mais Odessa et son hinterland aurait été polonaise selon ce projet.

    L’impossibilité d’un lac ?

    Malgré les envolées lyriques et martiales de notre président, alors que nos forces armées « sont à l’os » pour reprendre les termes de nombreux officiers supérieurs, quel serait l’intérêt stratégique et militaire de la France, et même de l’Europe, d’envoyer des troupes, ou de devenir cobelligérants en Ukraine, particulièrement pour défendre le verrou d’Odessa ?

    S’il est admis que la perte d’Odessa par Kiev serait un coup très dur porté à la nation ukrainienne car elle priverait l’Ukraine d’accès à la mer et permettrait aux Russes d’assurer leur jonction avec les Russes de Transnistrie, il me semble qu’il faut aussi envisager cette hypothèse malheureuse comme porteuse à l’avenir de paix et de stabilité retrouvée de cette région de l’Europe :

    Nous avons à plusieurs reprises déploré l’absence de remise en cause des découpages soviétiques faisant fi des réalités des nations et des volontés des peuples qui composèrent l’ex URSS. 

    C’est donc un crève-cœur et une tragédie que d’avoir abandonné à l’armée russe et son lot de destructions le nécessaire travail de révision de ces frontières administratives internes qui aurait dû se faire par des référendums d’auto-détermination dans les oblasts concernés, et par des traités : le manque de mise à plat des points de friction à la chute de l’union soviétique et l’absence de Pacte de stabilité tel qu’il existât pour l’Europe centrale en 1995, puis tous les événements subséquents avec l’accélération depuis le coup d’Etat de Maïdan en 2014 nous ont précipité dans ce gouffre d’une guerre qui pourrait entraîner l’Europe dans un ultime suicide.

    Cette tragédie est malheureusement ficelée de longue date, notamment par les états-majors américains, qui avant même l’arrivée de Poutine au pouvoir, identifiaient trois actions qui permettraient aux Etats-Unis de conserver leur rôle à l’échelle mondiale : contenir la poussée de la Chine, assurer la division de l’Europe et couper la Russie de l’Ukraine. (2) Ces buts stratégiques américains sont atteints au-delà de leurs espérances, en poussant à la faute Poutine et en coupant pour plusieurs décennies la Russie de l’Europe, tout en la poussant dans les bras de la Chine.

    Pourtant, au-delà de ces agitations idéologiques, il apparait aujourd’hui selon de nombreux experts que la capacité militaire de la Russie ne lui permet pas à ce jour de s’emparer d’Odessa, même si les attentats du théâtre Crocus près de Moscou le 22 mars, ainsi que les salves de missiles ukrainiens tirés sur Sebastopol, sont en train de faire basculer le conflit vers un engrenage de plus en plus incontrôlable.

    A quelques encablures d’Odessa se construit actuellement en Roumanie, à proximité de la ville portuaire de Constanța, la future plus grande base militaire européenne de l’alliance de l’OTAN. La nouvelle installation abritera quelque 10 000 membres du personnel et leurs familles.

    La situation ne serait donc pas -encore- aussi désespérée pour Kiev sur le front Sud-Ouest, qui entend profiter de sa situation sur la côte pour harceler la marine russe. 

    Les annonces du président Macron seraient donc une stratégie de galvanisation à bon compte censée permettre une re-mobilisation des pays membres de l’OTAN. En utilisant le golem russe comme épouvantail, et le peuple français comme cobaye de peurs irrationnelles, la rhétorique guerrière et apocalyptique de certains oiseaux de malheur peut, en effet, servir de catalyseur électoral… ou de panique. (3)

    Comme déjà exprimé à de nombreuses reprises, il existe pourtant une voie pour une Paix durable en Europe, mais celle-ci ne passera ni par le président Zelenski, emporté dans une voie sans issue tant par le Royaume Uni de Boris Johnson qui l’enfuma dans un refus d’accepter de rédiger des accords à Ankara en 2022, ni par la Rada qui instaura une loi interdisant toute négociation avec la Russie.

    Il serait donc intéressant pour la France d’écouter les déclarations du général Zaloujni, CEMA ukrainien récemment destitué, plus au fait de la situation sur le terrain et sans doute plus pragmatique.

    Peut-être même que dans une prise de conscience, certes tardive, de l’importance pour les européens de prendre enfin en main leur destin de défense du continent, nous pourrions -rêvons un peu- nous soustraire d’un ordre américain qui est de toute façon en demande de prise de distance. (4)

    Mais entre soutenir la cause ukrainienne, prendre enfin conscience de l’inconstance des politiques budgétaires de défense de la France, et entrer dans une guerre totale (c’est l’ennemi qui vous désigne, y compris comme cobelligérant), il y a un abîme à ne pas franchir. 

    Le cynisme ambiant des bellicistes en herbe est l’inverse d’une réflexion posée et construite. Elle s’apparente à une perte de contrôle, un errement guidé, aveuglé par les peurs, les sentiments, et sans doute l’ignorance, qui pourraient faire de la France une cobelligérante. Comme le disait le général de Gaulle, il n’y a que les arrivistes pour y arriver…

    Ghislain de Castelbajac (Geopragma, 25 mars 2024)

     

    Notes :

    1 - https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/03/19/if-we-want-peace-we-must-prepare-for-war/
    2 - C.f Zbigniew  Brzeziński, Le Grand Echiquier, 1997
    3 - C.f : https://geopragma.fr/les-hypocrites-les-cyniques-et-leurs-golems/
    4 - https://www.bvoltaire.fr/otan-75-ans-pour-quoi-faire/
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